Affaire C‑911/19

Fédération bancaire française (FBF)

contre

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

[demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (France)]

Arrêt de la Cour(grande chambre) du 15 juillet 2021

« Renvoi préjudiciel – Articles 263 et 267 TFUE – Acte de l’Union juridiquement non contraignant – Contrôle juridictionnel – Orientations émises par l’Autorité bancaire européenne (ABE) – Modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail – Validité – Compétence de l’ABE »

  1. Recours en annulation – Actes susceptibles de recours – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Orientations de l’Autorité bancaire européenne (ABE) portant sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail – Exclusion

    (Art. 263 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010, art. 16, § 3)

    (voir points 36-38, 44, 45, 48-50, disp. 1)

  2. Questions préjudicielles – Compétence de la Cour – Actes pris par les institutions – Portée de la compétence – Orientations de l’Autorité bancaire européenne (ABE) portant sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail – Inclusion

    [Art. 19, § 3, b), TUE ; art. 267 TFUE]

    (voir points 53-57, disp. 2)

  3. Droits fondamentaux – Droit à une protection juridictionnelle effective – Contrôle de la légalité des actes de l’Union – Modalités – Exception d’illégalité dirigée contre un acte de l’Union, soulevée par le justiciable devant la juridiction nationale – Condition d’être directement et individuellement concerné par cet acte – Absence

    (Art. 263 et 267 TFUE)

    (voir points 59, 61-63, 65, disp. 3)

  4. Institutions de l’Union européenne – Exercice des compétences – Délégations – Attribution de pouvoirs à l’Autorité bancaire européenne (ABE) d’émettre des orientations – Encadrement de ces pouvoirs de façon précise sur la base des critères objectifs, susceptibles de contrôle juridictionnel – Orientations de l’ABE ne produisant pas d’effets juridiques obligatoires – Absence d’impact sur l’étendue dudit contrôle

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010)

    (voir points 67, 68)

  5. Politique économique et monétaire – Politique économique – Surveillance du secteur financier de l’Union – Compétence de l’Autorité bancaire européenne (ABE) pour émettre des orientations portant sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail – Étendue – Limites

    [Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010, art. 1er, § 2, 3 et 5, 8, § 1, a), b) et h), § 2, c), et 16]

    (voir points 75, 83, 84)

  6. Politique économique et monétaire – Politique économique – Surveillance du secteur financier de l’Union – Orientations de l’Autorité bancaire européenne (ABE) portant sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail – Appréciation de la validité – Conditions – Orientations relevant du champ d’action de l’ABE – Orientations relevant du cadre spécifique arrêté par le législateur de l’Union pour l’exercice du pouvoir de l’ABE d’émettre des orientations – Validité

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010, art. 1er, § 2, 3 et 5, 8, § 1 et 2, 16, § 1 ; directives du Parlement européen et du Conseil 2007/64, 2009/110, 2013/36 et 2014/17)

    (voir points 94-96, 106, 113-116, 122, 123, 125-131, disp. 4)

Résumé

Les orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail de l’Autorité bancaire européenne sont valides

La procédure de renvoi préjudiciel peut être utilisée aux fins de contrôler la validité de telles orientations

En 2016, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a émis des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail ( 1 ). Par un avis publié le 8 septembre 2017 sur son site Internet, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (France) a annoncé qu’elle se conformait à ces orientations, les rendant ainsi applicables à tous les établissements financiers soumis à son contrôle.

Le 8 novembre 2017, la Fédération bancaire française (FBF) a formé devant le Conseil d’État (France) un recours tendant à l’annulation de l’avis de l’ACPR. La FBF faisait valoir que les orientations de l’ABE, que cet avis rendait applicables, n’étaient pas valides du fait que cette autorité n’avait pas la compétence pour émettre de telles orientations.

Nourrissant des doutes, d’une part, quant aux voies de recours disponibles pour assurer le contrôle de la légalité des orientations litigieuses par le juge de l’Union et, d’autre part, quant à la validité de ces orientations au regard du cadre du mandat accordé à l’ABE par le droit dérivé, le Conseil d’État a saisi la Cour à titre préjudiciel, en lui demandant de se prononcer sur ces aspects.

Dans son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour, après avoir tout d’abord constaté que les orientations de l’ABE ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, se déclare ensuite compétente pour apprécier la validité de ces orientations à titre préjudiciel, en vertu de l’article 267 TFUE, et enfin confirme leur validité.

Appréciation de la Cour

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des orientations litigieuses par le juge de l’Union, la Cour relève que ces actes ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, car ils ne visent pas à produire des effets juridiques obligatoires.

À cet égard, elle souligne qu’il découle du règlement no 1093/2010 ( 2 ) que les autorités compétentes destinataires des orientations litigieuses ne sont pas tenues de s’y conformer et disposent de la faculté de s’en écarter, auquel cas elles doivent motiver leur position. Ainsi, ces orientations ne peuvent pas être regardées comme produisant des effets juridiques obligatoires à l’égard de ces autorités compétentes ou des établissements financiers. Dès lors, selon la Cour, en autorisant l’ABE à émettre des orientations et des recommandations, le législateur de l’Union a entendu lui conférer un pouvoir d’incitation et de persuasion distinct du pouvoir d’adopter des actes dotés d’une force obligatoire.

Toutefois, la circonstance que les orientations litigieuses sont dépourvues d’effets juridiques obligatoires n’est pas de nature à exclure la compétence de la Cour pour se prononcer, à titre préjudiciel, sur leur validité. À cet égard, la Cour se déclare compétente, en vertu de l’article 267 TFUE, pour apprécier la validité des orientations litigieuses.

Elle apprécie par conséquent cette validité au regard des dispositions du règlement no 1093/2010, en vue de vérifier si ces orientations relèvent des compétences de l’ABE.

Tout d’abord, elle souligne que, dès lors qu’il ressort du règlement no 1093/2010 que le législateur de l’Union a encadré le pouvoir de l’ABE d’émettre des orientations de manière précise, sur la base de critères objectifs, l’exercice de ce pouvoir doit être susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel rigoureux au regard de ces critères. La circonstance que les orientations litigieuses ne produisent pas d’effets juridiques obligatoires n’est pas de nature à affecter l’étendue de ce contrôle.

Ensuite, la Cour précise que le pouvoir d’action de l’ABE est limité, en ce sens que cette autorité n’est compétente pour émettre des orientations que dans la mesure explicitement prévue par le législateur de l’Union. Après avoir rappelé le contenu des dispositions du règlement no 1093/2010 portant sur l’étendue des compétences conférées à l’ABE, la Cour constate, d’une part, que la validité d’orientations émises par cette autorité est subordonnée au respect des dispositions de ce règlement encadrant spécifiquement le pouvoir de l’ABE de les émettre, mais également à l’inscription de ces orientations dans le champ d’action de l’ABE, que ce même règlement définit par référence à l’application de certains actes de l’Union visés par celui-ci. D’autre part, l’ABE peut, afin d’assurer une application commune, uniforme et cohérente du droit de l’Union, émettre des orientations relatives aux obligations de surveillance prudentielle pesant sur les établissements concernés, notamment en vue de protéger les intérêts des déposants et des investisseurs par un encadrement adéquat de la prise de risques financiers. En effet, rien dans le règlement no 1093/2010 ne permet de considérer que seraient exclues de ce pouvoir des mesures relatives à la conception et à la commercialisation des produits, pour autant que ces mesures s’inscrivent dans le champ d’action de l’ABE.

C’est à l’aune de ces considérations que la Cour examine si les orientations litigieuses relèvent, d’une part, du champ d’action de l’ABE, et, d’autre part, du cadre spécifique arrêté par le législateur de l’Union pour l’exercice du pouvoir de l’ABE d’émettre des orientations.

En ce qui concerne le champ d’action de l’ABE, la Cour souligne que la validité des orientations litigieuses est subordonnée à la condition que celles-ci s’inscrivent dans le champ d’application d’au moins un des actes visés par le règlement no 1093/2010 ( 3 ) ou qu’elles soient nécessaires pour assurer l’application cohérente et efficace d’un tel acte.

À cet égard, elle conclut que les orientations litigieuses peuvent être considérées comme étant nécessaires pour assurer l’application cohérente et efficace des dispositions des directives 2013/36, 2007/64, 2009/110 et 2014/17, visées directement ou indirectement par le règlement no 1093/2010.

En effet, en ce qui concerne notamment ces trois premières directives, la Cour souligne que, dès lors que les orientations litigieuses visent à définir de quelle manière les établissements concernés devraient inclure des modalités de gouvernance et de surveillance des produits, destinées à assurer la prise en compte des caractéristiques des marchés visés ainsi que de celles des consommateurs concernés, dans leurs structures et leurs procédures internes, ces orientations doivent être considérées comme établissant des principes destinés à garantir des processus efficaces de détection, de gestion et de suivi des risques ainsi que des mécanismes adéquats de contrôle interne, au sens des dispositions pertinentes des actes visés par le règlement no 1093/2010 ( 4 ), en vue de garantir l’existence du dispositif solide de gouvernance d’entreprise exigé par ces dispositions.

Pour ce qui est du cadre spécifique arrêté par le législateur de l’Union pour l’exercice du pouvoir de l’ABE d’émettre des orientations, la Cour constate que les orientations litigieuses relèvent bien de ce cadre ( 5 ).

À cet égard, elle précise, premièrement, que les orientations litigieuses ont pour objet de contribuer à la protection des consommateurs ainsi qu’à celle des déposants et des investisseurs, visées par le règlement no 1093/2010. Deuxièmement, ces orientations se rattachent aux fonctions conférées à l’ABE conformément à ce règlement, en ce qui concerne l’encadrement de la prise de risque par les établissements financiers. Troisièmement, elles doivent être regardées comme concourant à l’instauration de pratiques de surveillance cohérentes, efficientes et effectives au sein du système européen de surveillance financière ( 6 ).

La Cour en conclut que les orientations litigieuses relèvent bien du cadre spécifique arrêté par le législateur de l’Union pour l’exercice du pouvoir de l’ABE d’émettre des orientations et, par conséquent, des compétences de l’ABE, et juge dès lors que l’examen de validité sollicité par la juridiction de renvoi n’a révélé aucun élément de nature à remettre en cause celle desdites orientations.


( 1 ) Orientations du 22 mars 2016 (ABE/GL/2015/18) (ci-après les « orientations litigieuses »).

( 2 ) Article 16, paragraphe 3, du règlement (UE) no 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne), modifiant la décision no 716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/78/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 12).

( 3 ) La Cour constate que quatre directives doivent être considérées comme constituant des actes visés à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1093/2010, à savoir : la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338) ; la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO 2007, L 319, p. 1) ; la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE (JO 2009, L 267, p. 7) ; et la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 60, p. 34).

( 4 ) Article 74, paragraphe 1, de la directive 2013/36, article 10, paragraphe 4, de la directive 2007/64, et article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/110.

( 5 ) Tel qu’il résulte de l’article 8, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1093/2010, lus en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 5, de celui-ci.

( 6 ) Pratiques auxquelles il est fait référence à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1093/2010.