ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

21 octobre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 52, paragraphe 1, sous b) – Travailleur ayant exercé une activité salariée dans deux États membres – Période minimale requise par le droit national pour l’acquisition d’un droit à une pension de retraite – Prise en compte de la période de cotisation accomplie sous la législation d’un autre État membre – Totalisation – Calcul du montant de la prestation de retraite à verser »

Dans l’affaire C‑866/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 19 septembre 2019, parvenue à la Cour le 27 novembre 2019, dans la procédure

SC

contre

Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen (rapporteur), Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie, par MM. J. Piotrowski et S. Żółkiewski, radcowie prawni,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Pavliš et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme M. Brauhoff, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SC au Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie (institut des assurances sociales, bureau I de Varsovie, Pologne) (ci-après l’« organisme de pension ») au sujet de la détermination du montant de la pension de retraite proratisée devant lui être versé par cet organisme.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »), a été abrogé le 1er mai 2010, date à laquelle le règlement no 883/2004 est devenu applicable.

Le règlement no 1408/71

4

L’article 1er, sous r), du règlement no 1408/71 définissait l’expression « périodes d’assurance » comme « les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies ou sont considérées comme accomplies, ainsi que toutes périodes assimilées dans la mesure où elles sont reconnues par cette législation comme équivalant aux périodes d’assurance ».

5

L’article 45 du règlement no 1408/71, intitulé « Prise en compte des périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous les législations auxquelles le travailleur salarié ou non salarié a été assujetti pour l’acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit à prestations », disposait, à son paragraphe 1 :

« Si la législation d’un État membre subordonne l’acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations en vertu d’un régime qui n’est pas un régime spécial au sens des paragraphes 2 ou 3, à l’accomplissement de périodes d’assurance ou de résidence, l’institution compétente de cet État membre tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, que ce soit dans le cadre d’un régime général ou spécial, applicable à des travailleurs salariés ou non salariés. Dans ce but, elle tient compte de ces périodes, comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique. »

6

L’article 46 de ce règlement, intitulé « Liquidation des prestations », prévoyait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Lorsque les conditions requises par la législation d’un État membre pour avoir droit aux prestations sont satisfaites sans qu’il soit nécessaire de faire application de l’article 45 ni de l’article 40 paragraphe 3, les règles suivantes sont applicables :

a)

l’institution compétente calcule le montant de la prestation qui serait due :

i)

d’une part, en vertu des seules dispositions de la législation qu’elle applique ;

ii)

d’autre part, en application du paragraphe 2 ;

[...]

2.   Lorsque les conditions requises par la législation d’un État membre pour avoir droit aux prestations ne sont satisfaites qu’après application de l’article 45 et/ou de l’article 40 paragraphe 3, les règles suivantes sont applicables :

a)

l’institution compétente calcule le montant théorique de la prestation à laquelle l’intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des États membres auxquelles a été soumis le travailleur salarié ou non salarié avaient été accomplies dans l’État membre en cause et sous la législation qu’elle applique à la date de la liquidation de la prestation. [...]

b)

l’institution compétente établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique visé au point a), au prorata de la durée des périodes d’assurance ou de résidence accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d’assurance et de résidence accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en question. »

Le règlement no 883/2004

7

Aux termes de l’article 1er, sous t), du règlement no 883/2004, le terme « périodes d’assurance » désigne « les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies ou sont considérées comme accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées dans la mesure où elles sont reconnues par cette législation comme équivalent aux périodes d’assurances ».

8

L’article 6 du règlement no 883/2004, intitulé « Totalisation des périodes », a succédé à l’article 45, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 en ces termes :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, l’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne :

l’acquisition, le maintien, la durée ou le recouvrement du droit aux prestations,

[...]

à l’accomplissement de périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique. »

9

Le chapitre 5 du titre III du règlement no 883/2004, intitulé « Pensions de vieillesse et de survivant », comporte notamment l’article 52 de ce règlement, intitulé « Liquidation des prestations ». Cet article 52, paragraphe 1, qui a repris, en substance, les dispositions de l’article 46, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, dispose :

« L’institution compétente calcule le montant de la prestation due :

a)

en vertu de la législation qu’elle applique, uniquement lorsque les conditions requises pour le droit aux prestations sont remplies en vertu du seul droit national (prestation indépendante) ;

b)

en calculant un montant théorique et ensuite un montant effectif (prestation au prorata), de la manière suivante :

i)

le montant théorique de la prestation est égal à la prestation à laquelle l’intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des autres États membres avaient été accomplies sous la législation qu’elle applique à la date de la liquidation de la prestation. Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce montant est considéré comme le montant théorique ;

ii)

l’institution compétente établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres concernés. »

Le droit polonais

10

Conformément à l’article 5, paragraphe 1, point 2, de l’ustawa o emeryturach i rentach z Funduszu Ubezpieczeń Społecznych (loi sur les prestations de vieillesse et d’invalidité du fonds de sécurité sociale), du 17 décembre 1998, dans sa version applicable au litige au principal (Dz. U. de 2018, position 1270), lors de la détermination du droit à la pension de retraite et du calcul de son montant, les périodes d’assurance non contributives sont prises en compte aux fins du calcul du montant de la pension de retraite uniquement dans la limite du tiers des périodes d’assurance contributives attestées.

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

Par une décision du 24 février 2014, émise par l’organisme de pension, le requérant au principal s’est vu attribuer une pension de retraite à compter du 5 novembre 2013.

12

Aux fins de la détermination du droit à une pension de retraite, l’organisme de pension a tenu compte des différentes périodes d’assurance du requérant au principal. Cet organisme a, d’abord, déterminé la durée correspondant aux périodes d’assurance contributives accomplies sous la législation de la République de Pologne pour, ensuite, prendre en compte les périodes d’assurance non contributives accomplies sous la législation de cet État membre à hauteur d’un tiers de ces périodes d’assurance contributives. Enfin, et dans la mesure où l’assuré ne justifiait pas, sur la base des seules périodes d’assurance accomplies sous la législation de la République de Pologne, de la durée minimale d’assurance requise pour l’acquisition d’un droit à pension de retraite, les périodes d’assurance accomplies sous la législation d’un autre État membre, en l’occurrence le Royaume des Pays-Bas, ont été ajoutées à la durée des périodes d’assurance accomplies sous la législation de la République de Pologne.

13

Une fois la durée d’assurance déterminée et conformément à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004, l’organisme de pension a calculé de la même manière le montant théorique de la prestation, en additionnant les périodes d’assurance contributives nationales et les périodes d’assurance non contributives nationales dans la limite du tiers de ces premières périodes avant d’ajouter les périodes d’assurance accomplies sous la législation d’un autre État membre. Le montant effectif de la prestation a été calculé au prorata de la durée des périodes d’assurance accomplies sous la législation de la République de Pologne, contributives et non contributives, ces dernières à hauteur d’un tiers des périodes d’assurance contributives nationales, par rapport à la durée totale des périodes d’assurance accomplies tant sous la législation de la République de Pologne que sous celle d’un autre État membre.

14

Le requérant au principal a formé un recours contre la décision de l’organisme de pension du 24 février 2014, en demandant notamment que les périodes d’assurance non contributives accomplies sous la législation de la République de Pologne soient plus largement prises en compte dans le calcul du montant de la pension de retraite, l’organisme de pension ayant commis une erreur en ne considérant pas le raisonnement de la Cour dans l’arrêt du 3 mars 2011, Tomaszewska (C‑440/09, ci-après l’« arrêt Tomaszewska », EU:C:2011:114), selon lequel il convient de tenir compte, lors de la détermination des périodes nécessaires en vue de l’acquisition du droit à une pension de retraite, pour les besoins de la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes de cotisation non contributives, toutes les périodes d’assurance acquises durant le parcours professionnel du travailleur migrant, y compris celles acquises dans d’autres États membres.

15

Estimant que la méthode de calcul appliquée par l’organisme de pension était correcte, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) a rejeté ce recours par un jugement du 19 novembre 2015.

16

À la suite de l’appel interjeté par le requérant au principal, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne) a réformé, par un arrêt du 9 août 2017, ce jugement ainsi que la décision de l’organisme de pension du 24 février 2014. Cette juridiction a précisé que l’interprétation retenue dans l’arrêt Tomaszewska concernant l’application de l’article 45 du règlement no 1408/71 est valable non seulement pour la détermination de la durée nécessaire pour l’acquisition d’un droit à pension de retraite, mais également pour les besoins du calcul du montant de la prestation due.

17

L’organisme de pension a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne). À l’appui de son pourvoi, cet organisme fait valoir, premièrement, que l’arrêt Tomaszewska concernait l’interprétation de l’article 45, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, correspondant à l’article 6 du règlement no 883/2004, et non pas l’article 46, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, qui correspond à l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, en cause au principal. Deuxièmement, cet arrêt ne trouverait à s’appliquer que dans des situations factuelles analogues à celles de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt. Troisièmement, l’application de l’interprétation de l’article 45 du règlement no 1408/71, telle que retenue par l’arrêt Tomaszewska, dans l’affaire au principal aurait pour conséquence que les périodes d’assurance non contributives accomplies sous la législation de la République de Pologne seraient prises en compte dans une mesure plus large que celle prévue par le droit polonais, conduisant à une augmentation de la part de contribution du régime polonais d’assurances sociales dans la prestation due à l’assuré. Quatrièmement, il ressortirait du point 2 de la décision no H6 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, du 16 décembre 2010, relative à l’application de certains principes concernant la totalisation des périodes en vertu de l’article 6 du règlement no 883/2004 (JO 2011, C 45, p. 5), que les périodes d’assurance communiquées par d’autres États membres sont totalisées par l’État membre destinataire sans que leur valeur soit remise en question, de sorte que l’organisme polonais d’assurances sociales ne peut pas être contraint de tenir compte de périodes d’assurance nationales dans une mesure plus large que ce qui est prévu par le droit national.

18

Selon la juridiction de renvoi, l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004 peut recevoir trois interprétations différentes.

19

La première interprétation possible serait celle suivie par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), qui se fonde sur l’interprétation de l’article 45, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, telle qu’elle ressort de l’arrêt Tomaszewska, en vertu duquel l’institution compétente de l’État membre concerné doit prendre en considération, pour les besoins de la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives, toutes les périodes d’assurance acquises, y compris celles acquises dans d’autres États membres. Cette fiction juridique s’appliquerait non seulement à l’acquisition du droit à une prestation, mais également au calcul du montant, tant théorique qu’effectif, de cette prestation.

20

La deuxième interprétation consisterait à dire que l’arrêt Tomaszewska n’influe qu’en partie sur l’interprétation de l’article 52 du règlement no 883/2004, en ce sens que seul le paragraphe 1, sous b), i), de cet article prévoit expressément qu’il y a lieu de calculer le montant théorique en employant une fiction juridique selon laquelle l’assuré aurait accompli toutes les périodes d’assurance, y compris celles acquises dans d’autres États membres, au sein de l’État membre saisi de la liquidation de la prestation. En revanche, le calcul du montant effectif visé par le paragraphe 1, sous b), ii), dudit article, s’effectuerait sans que cette fiction soit appliquée systématiquement.

21

La troisième interprétation impliquerait que l’arrêt Tomaszewska s’applique uniquement à l’acquisition du droit à une pension de retraite et non pas au calcul du montant de celle-ci.

22

Dans ces conditions, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 52, paragraphe 1, sous b), du [règlement no 883/2004] doit-il être interprété en ce sens que l’institution compétente :

a)

tient compte – conformément au droit national – des périodes non contributives dans la limite du tiers du total des périodes contributives accomplies sous l’empire du droit national et sous la législation d’autres États membres tant pour déterminer le montant théorique [point i)] que pour déterminer le montant effectif de la prestation [point ii)] ; ou

b)

tient compte – conformément au droit national – des périodes non contributives dans la limite du tiers du total des périodes contributives accomplies sous l’empire du droit national et sous la législation d’autres États membres uniquement pour déterminer le montant théorique [point i)], mais non pour déterminer le montant effectif de la prestation [point ii)] ; ou

c)

ne tient pas compte, lors de la détermination du montant théorique [point i)] et du montant effectif de la prestation [point ii)], des périodes d’assurance accomplies dans un autre État membre, aux fins du calcul du plafond applicable aux périodes non contributives en vertu du droit national ? »

Sur la question préjudicielle

23

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que l’institution compétente de l’État membre concerné doit tenir compte, pour les besoins de la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives conformément à la législation de cet État membre, des différentes périodes d’assurance, y compris celles accomplies sous la législation d’autres États membres, lors du calcul du montant théorique de la prestation visé au point i) de cette disposition ainsi que du montant effectif de la prestation visé point ii) de ladite disposition.

24

À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, même si le règlement no 1408/71 a été remplacé, à compter du 1er mai 2010, par le règlement no 883/2004, les dispositions des articles 45 et 46 du règlement no 1408/71 ont été respectivement reprises, en substance, aux articles 6 et 52 du règlement no 883/2004. Par conséquent, la jurisprudence de la Cour relative auxdites dispositions du règlement no 1408/71 conserve, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 28 de ses conclusions, toute sa pertinence pour l’interprétation des dispositions en cause du règlement no 883/2004.

25

Il importe de rappeler que les dispositions tant du règlement no 1408/71 que du règlement no 883/2004 n’organisent pas un régime commun de sécurité sociale, mais ont pour unique objet d’assurer une coordination entre les différents régimes nationaux qui continuent de subsister. Ainsi, selon une jurisprudence constante, les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, point 35, et du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 38).

26

Comme les règlements no 1408/71 et no 883/2004 ne déterminent pas les conditions auxquelles est soumise la constitution des périodes d’emploi ou d’assurance, ces conditions sont, ainsi qu’il ressort tant de l’article 1er, sous r), du règlement no 1408/71 que de l’article 1er, sous t), du règlement no 883/2004, exclusivement définies par la législation de l’État membre sous laquelle les périodes en cause ont été accomplies (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Salgado Alonso, C‑306/03, EU:C:2005:44, point 30).

27

Toutefois, s’il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, notamment, les conditions qui donnent droit à des prestations, les États membres doivent néanmoins respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, points 36 et 37, ainsi que du 23 janvier 2020, Bundesagentur für Arbeit, C‑29/19, EU:C:2020:36, point 41 et jurisprudence citée).

28

Afin de garantir ce respect, l’article 45 du règlement no 1408/71, tel que repris, en substance, à l’article 6 du règlement no 883/2004, prévoit que, lorsque la législation d’un État membre subordonne l’acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l’accomplissement de périodes d’assurance, l’institution compétente de cet État membre doit tenir compte des périodes d’assurance accomplies sous la législation de tout État membre comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique. En d’autres termes, les périodes d’assurance accomplies sous la législation de divers États membres doivent être totalisées (arrêt du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 41).

29

Ainsi, l’article 45 du règlement no 1408/71, tout comme l’article 6 du règlement no 883/2004, met en œuvre le principe de totalisation des périodes d’assurance, de résidence ou d’emploi tel qu’énoncé à l’article 48 TFUE. Il s’agit de l’un des principes de base de la coordination, au niveau de l’Union, des régimes de sécurité sociale des États membres, tendant à garantir que l’exercice du droit à la libre circulation n’ait pas pour effet de priver un travailleur d’avantages de sécurité sociale auxquels il aurait pu prétendre s’il avait accompli toute sa carrière dans un seul État membre. Une telle conséquence pourrait, en effet, dissuader le travailleur de l’Union d’exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté (voir, en ce sens, arrêt Tomaszewska, point 30 et jurisprudence citée).

30

Par conséquent, lorsqu’une législation nationale prévoit, pour la détermination de la période d’assurance minimale requise en vue de l’acquisition du droit à une pension de retraite, une limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives, l’institution compétente de l’État membre concerné doit prendre en considération, pour la détermination des périodes d’assurance contributives, toutes les périodes d’assurance acquises durant le parcours professionnel du travailleur migrant, y compris celles acquises sous la législation d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Tomaszewska, points 37 et 39).

31

À cet égard, il convient de préciser que ce principe de la totalisation s’applique dans toutes les situations où l’acquisition du droit à une pension de retraite nécessite la prise en compte des périodes accomplies sous la législation d’autres États membres et son application ne saurait, dès lors, être cantonnée au seul cas de figure, à l’origine de l’ arrêt Tomaszewska, où le seuil n’est pas atteint sur la base d’un premier calcul qui ajouterait simplement, aux périodes d’assurance contributives et non contributives déterminées selon les dispositions nationales, les périodes d’assurance contributives accomplies sous la législation d’un autre État membre, sans les faire intervenir dans le calcul de cette limite.

32

Le litige au principal porte cependant non pas sur l’acquisition d’un droit à pension, dont les règles sont fixées à l’article 45, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, auquel l’article 6 du règlement no 883/2004 a succédé, mais sur le calcul du montant d’une pension de retraite.

33

À cet égard, il importe de rappeler que l’article 48, premier alinéa, sous a), TFUE prescrit, pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs, que le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne adoptent les mesures nécessaires pour la totalisation de toutes les périodes d’assurance effectuées sous les différentes législations nationales non seulement pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations, mais également pour le calcul de celles-ci.

34

Il ressort du libellé de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004, qui reprend, en substance, les règles de calcul établies notamment à l’article 46 du règlement no 1408/71 (voir, en ce sens, arrêt Tomaszewska, point 22 et jurisprudence citée), que le calcul du montant de la pension de retraite s’effectue en deux phases, en calculant d’abord un montant théorique et ensuite un montant effectif.

35

Pour ce qui est de la première phase, visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), i), de ce règlement, l’institution compétente est tenue de calculer le montant théorique de la prestation à laquelle l’assuré pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence qu’il a accomplies sous les législations d’autres États membres l’avaient été sous la législation qu’elle applique [voir, pour ce qui est de l’article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71, arrêts du 26 juin 1980, Menzies, 793/79, EU:C:1980:172, point 9, et du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 42].

36

Conformément à cette disposition, le montant théorique de la prestation doit donc être calculé comme si l’assuré avait exercé toute son activité professionnelle exclusivement dans l’État membre en cause (voir, en ce sens, arrêts du 26 juin 1980, Menzies, 793/79, EU:C:1980:172, point 10 ; du 21 juillet 2005, Koschitzki, C‑30/04, EU:C:2005:492, point 27, et du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, point 41).

37

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 53 de ses conclusions, cela implique, en l’occurrence, que les périodes de cotisation accomplies sous la législation de la République de Pologne et sous celle du Royaume des Pays-Bas doivent être prises en compte pour les besoins de la détermination de la limite d’un tiers que ne peuvent excéder, selon la législation de la République de Pologne, les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives, afin de calculer le montant théorique de la prestation. En d’autres termes, pour les besoins du calcul du montant théorique de la prestation, les périodes d’assurance accomplies sous la législation des différents États membres font l’objet d’une totalisation.

38

Cette interprétation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004 est conforme à la finalité de cette disposition dans la mesure où le calcul à effectuer en vertu de celle-ci a, à l’instar de celui à effectuer en vertu de l’article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71, pour objet d’assurer au travailleur le montant théorique maximal auquel il pourrait prétendre si toutes ses périodes d’assurance avaient été accomplies sous la législation de l’État membre en cause (arrêts du 26 juin 1980, Menzies, 793/79, EU:C:1980:172, point 11, et du 21 juillet 2005, Koschitzki, C‑30/04, EU:C:2005:492, point 28).

39

Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 56 de ses conclusions, le fait de maximiser les éléments pertinents pour le calcul du montant théorique est conforme à la jurisprudence constante selon laquelle l’article 46, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, auquel l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 a succédé, doit être interprété à la lumière de l’objectif fixé à l’article 48 TFUE, qui est de contribuer, notamment par la totalisation des périodes d’assurance, de résidence ou d’emploi, à l’établissement de la libre circulation des travailleurs, impliquant que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de sécurité sociale ni subir une réduction de leur montant du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation (voir, en ce sens, arrêts du 9 août 1994, Reichling, C‑406/93, EU:C:1994:320, points 21 et 24 ; du 17 décembre 1998, Lustig, C‑244/97, EU:C:1998:619, points 30 et 31, ainsi que du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, point 43).

40

En revanche, en vertu de la seconde phase, visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), ii), du règlement no 883/2004, l’institution compétente établit le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations de tous les États membres concernés [voir, pour ce qui est de l’article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, arrêts du 26 juin 1980, Menzies, 793/79, EU:C:1980:172, point 9, et du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 42].

41

L’article 52, paragraphe 1, sous b), ii), du règlement no 883/2004 entend ainsi uniquement répartir la charge respective des prestations entre les institutions des États membres concernés au prorata de la durée des périodes d’assurance accomplies sous la législation de chacun desdits États membres. Cette application, au stade du calcul du montant effectif, du principe de proratisation et non de celui de totalisation est justifiée eu égard à l’absence de régime commun de sécurité sociale impliquant qu’il faille, tout en ne pénalisant pas les travailleurs exerçant leur droit à la libre circulation, préserver l’intégrité financière des régimes de sécurité sociale des États membres. Or, la prise en considération, dans le calcul du prorata, d’une période qui ne correspond à aucune période d’assurance ou même de résidence effective dans l’État membre en cause serait susceptible de déséquilibrer, unilatéralement et artificiellement, la balance de la charge des prestations entre États membres dans un sens incompatible avec le mécanisme institué par cet article [voir, en ce sens, concernant l’article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, arrêt du 26 juin 1980, Menzies, 793/79, EU:C:1980:172, point 11].

42

Ainsi que l’a également relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 55 et 58 de ses conclusions, selon le principe de la proratisation, chaque institution compétente ne doit verser que la partie de la prestation qui se rapporte aux périodes pertinentes accomplies sous la législation qu’elle applique. Ainsi, le montant effectif de la prestation à payer représente la proportion du montant théorique correspondant aux périodes totales d’assurance ou de résidence effectivement accomplies sous la législation de l’État membre en question.

43

En conséquence, le montant effectif de la prestation doit être calculé en tenant compte de toutes les périodes de cotisation effectives ou assimilées par la législation que l’institution compétente applique (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2002, Barreira Pérez, C‑347/00, EU:C:2002:560, point 39), à l’exclusion des périodes d’assurance accomplies hors de l’État membre concerné.

44

En l’occurrence, le calcul du montant effectif de la prestation doit donc s’effectuer conformément à la législation polonaise, en tenant compte des périodes d’assurance contributives accomplies sous la législation de la République de Pologne ainsi que des périodes d’assurance non contributives accomplies sous la législation de cet État membre dans la limite du tiers de ces périodes d’assurance contributives, telle qu’imposée par cette législation mais en excluant les périodes d’assurance accomplies dans un autre État membre.

45

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, pour les besoins de la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives conformément à la législation nationale, l’institution compétente de l’État membre concerné doit, lors du calcul du montant théorique de la prestation visé au point i) de cette disposition, tenir compte de toutes les périodes d’assurance, y compris celles accomplies sous la législation d’autres États membres, tandis que le calcul du montant effectif de la prestation visé au point ii) de ladite disposition s’effectue au regard des seules périodes d’assurance accomplies sous la législation de l’État membre concerné.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens que, pour les besoins de la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives conformément à la législation nationale, l’institution compétente de l’État membre concerné doit, lors du calcul du montant théorique de la prestation visé au point i) de cette disposition, tenir compte de toutes les périodes d’assurance, y compris celles accomplies sous la législation d’autres États membres, tandis que le calcul du montant effectif de la prestation visé au point ii) de ladite disposition s’effectue au regard des seules périodes d’assurance accomplies sous la législation de l’État membre concerné.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.