ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

16 septembre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Liberté de circulation des capitaux – Droit des sociétés – Actions admises à la négociation sur le marché réglementé – Société d’investissement financier – Réglementation nationale établissant un plafonnement de la participation au capital de certaines sociétés d’investissement financier – Présomption légale de concertation »

Dans l’affaire C‑339/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décision du 20 février 2018, parvenue à la Cour le 25 avril 2019, dans la procédure

SC Romenergo SA,

Aris Capital SA

contre

Autoritatea de Supraveghere Financiară,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteure) et M. N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour SC Romenergo SA et Aris Capital SA, par Mes C. C. Vasile, C. Secrieru et M. Strîmbei, avocați,

pour le gouvernement roumain, initialement par Mmes E. Gane et L. Liţu, ainsi que M. C.-R. Canţăr, puis par Mmes E. Gane et L. Liţu, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par M. J. M. Hoogveld et Mme M. Bulterman, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. H. Støvlbæk, L. Malferrari et J. Rius ainsi que par Mme L. Nicolae, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 63 à 65 TFUE, lus en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition (JO 2004, L 142, p. 12), ainsi qu’avec l’article 87 de la directive 2001/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 mai 2001, concernant l’admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l’information à publier sur ces valeurs (JO 2001, L 184, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SC Romenergo SA (ci-après « Romenergo ») et Aris Capital SA (ci-après « Aris Capital ») à l’Autoritatea de Supraveghere Financiară (Autorité de surveillance financière, Roumanie) (ci-après l’« ASF »), au sujet d’une demande d’annulation de l’article 2, paragraphe 3, sous j), du Regulamentul Comisiei Naționale a Valorilor Mobiliare nr. 1/2006 privind emitenții și operațiunile cu valori mobiliare (règlement de la Commission nationale des valeurs mobilières no 1/2006 concernant les émetteurs et les opérations de valeurs mobilières) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 312 bis du 6 avril 2004, ci-après le « règlement no 1/2006 ») et des décisions administratives adoptées par l’ASF en ce qui concerne ces sociétés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2004/25

3

Les considérants 2, 6, 18 et 20 de la directive 2004/25 énoncent :

« (2)

Il est nécessaire de protéger les intérêts des détenteurs de titres de sociétés relevant du droit d’un État membre lorsque ces sociétés font l’objet d’offres publiques d’acquisition ou de changements de contrôle et qu’une partie au moins de leurs titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé d’un État membre.

[...]

(6)

Il convient que, pour être efficaces, les règles relatives aux offres publiques d’acquisition soient souples et permettent de faire face aux nouvelles réalités lorsque celles-ci se présentent, et que, par conséquent, elles prévoient la possibilité d’exceptions et de dérogations. Toutefois, en appliquant toute règle ou exception établie ou en accordant toute dérogation, il convient que les autorités de contrôle se conforment à certains principes généraux.

[...]

(18)

En vue de renforcer l’effet utile des dispositions existantes en matière de libre négociation des titres des sociétés visées par la présente directive et de libre exercice du droit de vote, il importe que les structures et mécanismes de défense prévus par ces sociétés soient transparents et fassent régulièrement l’objet d’un rapport présenté à l’assemblée générale des actionnaires.

[...]

(20)

Tous les droits spéciaux que les États membres détiennent dans des sociétés devraient être examinés dans le cadre de la libre circulation des capitaux et des dispositions pertinentes du traité. Les droits spéciaux que les États membres détiennent dans des sociétés et qui sont prévus par le droit national privé ou public devraient être exemptés de la règle de neutralisation des restrictions s’ils sont compatibles avec le traité. »

4

L’article 2 de cette directive prévoit :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

“offre publique d’acquisition” ou “offre” : une offre publique (à l’exclusion d’une offre faite par la société visée elle-même) faite aux détenteurs des titres d’une société pour acquérir tout ou partie desdits titres, que l’offre soit obligatoire ou volontaire, à condition qu’elle suive ou ait pour objectif l’acquisition du contrôle de la société visée selon le droit national ;

b)

“société visée” : la société dont les titres font l’objet d’une offre ;

c)

“offrant” : toute personne physique ou morale, de droit public ou privé, qui fait une offre ;

d)

“personnes agissant de concert” : les personnes physiques ou morales qui coopèrent avec l’offrant ou la société visée sur la base d’un accord, formel ou tacite, oral ou écrit, visant à obtenir le contrôle de la société visée ou à faire échouer l’offre ;

[...]

2.   Aux fins du paragraphe 1, point d), les personnes contrôlées par une autre personne au sens de l’article 87 de la directive [2001/34] sont réputées être des personnes agissant de concert avec cette autre personne et entre elles. »

La directive 2001/34

5

L’article 87 de la directive 2001/34 dispose :

« 1.   Aux fins du présent chapitre, on entend par “entreprise contrôlée” toute entreprise dans laquelle une personne physique ou une entité juridique :

a)

a la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés ; ou

b)

a le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance et est en même temps actionnaire ou associé de cette entreprise ; ou

c)

est actionnaire ou associé et contrôle seule, en vertu d’un accord conclu avec d’autres actionnaires ou associés de cette entreprise, la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés de celle‑ci.

2.   Pour l’application du paragraphe 1, les droits de vote, de nomination ou de révocation de l’entreprise mère doivent être majorés des droits de toute autre entreprise contrôlée, ainsi que de ceux de toute personne ou entité agissant en son nom mais pour le compte de l’entreprise mère ou de toute autre entreprise contrôlée. »

Le droit roumain

6

L’article 286 bis de la legea nr. 297/2004 privind piețele de capital (loi no 297/2004 sur les marchés de capitaux) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 571 du 29 juin 2004), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les marchés de capitaux »), prévoit :

« 1.   Toute personne peut obtenir, à quelque titre que ce soit, et peut détenir, seule ou avec les personnes avec lesquelles elle agit de concert, des actions émises par des sociétés d’investissement financier nées de la transformation des fonds de propriété privée, dans la limite de 5 % du capital social desdites sociétés.

2.   L’exercice des droits de vote est suspendu pour les actions détenues par des actionnaires dépassant les limites fixées au paragraphe 1.

3.   Lorsqu’elles atteignent le plafond de 5 %, les personnes visées au paragraphe 1 sont tenues d’informer dans un délai de 3 jours ouvrables la société d’investissement financier, la Commission nationale des valeurs mobilières et le marché réglementé sur lequel les actions concernées sont négociées.

4.   Dans un délai de 3 mois à compter du dépassement du plafond de 5 % du capital social des sociétés d’investissement financier, les actionnaires se trouvant dans une telle situation sont tenus de vendre les actions dépassant le plafond de participation. »

7

L’article 2, paragraphe 1, point 22, de cette loi définit la notion de « personnes impliquées » en ces termes :

« a)

les personnes qui contrôlent un émetteur, sont contrôlées par un émetteur ou se trouvent sous le même contrôle ;

[...]

c)

les personnes physiques investies de fonctions de direction ou de contrôle au sein de la société émettrice ;

[...] »

8

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, point 23, de la loi sur les marchés de capitaux :

« Personnes agissant de concert : deux ou plusieurs personnes liées par un accord exprès ou tacite en vue de définir une politique commune concernant un émetteur. Jusqu’à preuve du contraire, les personnes suivantes sont présumées agir de concert :

a)

les personnes impliquées ;

[...]

c)

une société commerciale, les membres de son conseil d’administration et les personnes impliquées ainsi que ces personnes entre elles ;

[...] »

9

Le règlement no 1/2006 énonce :

« Dans le cadre de l’application de l’article 2, paragraphe 1, point 23, de la loi no 297/2004, sont présumées agir de concert, jusqu’à preuve du contraire, entre autres, les personnes suivantes :

a)

les personnes qui, dans le cadre d’opérations économiques, utilisent des ressources financières provenant de la même source ou de différentes entités qui sont des personnes impliquées ;

[...]

j)

les personnes ayant effectué ou effectuant ensemble des opérations économiques avec ou sans lien avec le marché des capitaux. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

10

Romenergo était actionnaire de SIF Banat Crişana SA (ci-après « Banat Crişana »), une société d’investissement financier issue du mouvement de privatisation qui a eu lieu en Roumanie et dont les actions sont négociées sur le marché des capitaux, et détenait 4,55498 % des droits de vote attachés aux actions de cette dernière société. Romenergo a, par la suite, cédé toutes les actions qu’elle détenait dans ladite société à Aris Capital.

11

Le 18 mars 2014, l’ASF a pris les décisions nos A/209, A/210 et A/211 (ci-après, ensemble, les « décisions administratives litigieuses ») aux termes desquelles :

Les actionnaires XV, YW, ZX, Romenergo, Smalling Limited et Gardner Limited sont présumés agir de concert en ce qui concerne Banat Crişana, conformément aux dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, point 22, sous a) et c), et point 23, sous a) et c), de la loi sur les marchés de capitaux et de l’article 2, paragraphe 3, sous j), du règlement no 1/2006 ;

SC Depozitarul Central SA est tenue de prendre les mesures nécessaires pour inscrire dans ses écritures la suspension de l’exercice des droits de vote pour les actions émises par Banat Crişana qui dépassent 5 % des droits de vote et qui sont détenues par XV, YW, ZX, Romenergo, Smalling Limited et Gardner Limited ;

le conseil d’administration de Banat Crişana est tenu de prendre les mesures nécessaires pour que le groupe composé des actionnaires XV, YW, ZX, Romenergo, Smalling Limited et Gardner Limited, lesquels sont présumés agir de concert, ne puisse plus exercer les droits de vote afférents à la position détenue en violation de l’article 286 bis, paragraphe 1, de la loi sur les marchés de capitaux ainsi que de l’article 2, paragraphe 3, sous j), du règlement no 1/2006.

12

L’ASF a donc enjoint aux actionnaires susmentionnés, présumés agir de concert, de vendre dans un délai de trois mois une partie des actions détenues dans Banat Crişana, de telle sorte que leurs actions cumulées ne dépassent pas le plafond de 5 % imposé par la réglementation roumaine.

13

Estimant que les décisions administratives litigieuses étaient contraires au droit de l’Union, Romenergo et Aris Capital ont introduit un recours devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie) portant, d’une part, sur la validité de ces décisions et, d’autre part, sur celle de l’article 2, paragraphe 3, sous j), du règlement no 1/2006.

14

Au cours de la procédure suivie devant l’ASF puis devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest), les requérantes au principal ont soutenu que les dispositions nationales concernées violent, notamment, les dispositions du droit de l’Union relatives à la libre circulation des capitaux. Elles ont également fait valoir que la notion d’« action concertée », telle que prévue par le droit de l’Union, ne vaut que dans le contexte d’une offre publique obligatoire, le législateur de l’Union présumant que les personnes agissant de manière concertée sont les personnes contrôlées ou celles qui contrôlent d’autres personnes et qui, toutes ensemble, visent le contrôle de la société émettrice par la réalisation de l’offre ou par son échec. Or, l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2004/25 n’établirait qu’une présomption en ce qui concerne les personnes contrôlées par une autre personne détenant la majorité des droits de vote.

15

Selon Romenergo et Aris Capital, le droit de l’Union ne prévoit pas la possibilité d’établir une présomption d’action concertée reposant de manière générale sur des considérations « économiques » et ne reconnaît pas l’existence d’une action concertée lorsque des personnes utilisent, pour la réalisation d’opérations économiques, des ressources financières ayant la même source ou provenant des personnes impliquées par l’intermédiaire d’entités différentes.

16

Le 4 mai 2015, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a rejeté la demande de Romenergo et d’Aris Capital comme étant non fondée. Ces dernières ont alors introduit un pourvoi devant la juridiction de renvoi.

17

C’est dans ces conditions que l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions combinées de l’article 63 TFUE, de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2004/25 et de l’article 87 de la directive 2001/34 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une législation nationale (en l’espèce, l’article 2, paragraphe 3, sous j), du règlement no 1/2006 [...]) instituant une présomption légale de concertation des participations dans des sociétés dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé et [qui] sont assimilées à des fonds d’investissement alternatifs (dénommées “sociétés d’investissement financier ou SIF”) à l’égard :

des personnes ayant réalisé ou qui réalisent des opérations économiques ensemble, avec ou sans lien avec le marché des capitaux, ainsi que

des personnes qui, dans le cadre d’opérations économiques, utilisent des ressources financières provenant de la même source ou de différentes entités qui sont des personnes impliquées ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

18

Dans ses observations, le gouvernement roumain émet des doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle en ce que la question soumise à la Cour porterait sur des présomptions de concertation dans le cadre de certaines opérations économiques qui ne feraient pas l’objet du litige au principal et seraient, partant, hypothétiques.

19

À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

20

Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

21

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que Romenergo et Aris Capital ont, notamment, saisi les juridictions roumaines d’un recours contre les décisions administratives litigieuses. Ces décisions prévoient, en substance, que les droits de vote cumulés, dépassant 5 %, des personnes présumées avoir agi de concert, au nombre desquelles figurent Romenergo et Aris Capital, sont suspendus et que ces personnes doivent vendre, dans un délai de trois mois, la part de l’ensemble des actions cumulées qu’elles détiennent dans Banat Crişana, dépassant ce plafond de 5 %.

22

Or, les interrogations de la juridiction de renvoi portent, en substance, sur la conformité au droit de l’Union de la réglementation roumaine relative au plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier, telle que celle en cause au principal, précisée par certaines présomptions de concertation. Il ne saurait, dès lors, être considéré que la question posée est de nature hypothétique au motif qu’elle n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

23

Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

24

Il y a lieu de relever, à titre liminaire, premièrement, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient à cette dernière, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi et que, dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question qui lui est posée [arrêt du 5 mars 2020, X (Exonération de TVA pour des consultations téléphoniques), C‑48/19, EU:C:2020:169, point 35 et jurisprudence citée].

25

En l’occurrence, la question posée, telle qu’elle est énoncée par la juridiction de renvoi, porte sur la conformité, aux dispositions du traité FUE relatives à la liberté de circulation des capitaux ainsi qu’à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2004/25 et à l’article 87 de la directive 2001/34, de certaines présomptions de concertation dans le cadre de la participation au capital d’une société d’investissement financier.

26

Or, d’une part, il ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle que le problème auquel la juridiction de renvoi est confrontée porte, plus largement, sur la conformité, au droit de l’Union, de la règle de plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier, et non pas uniquement sur les présomptions de concertation, qui viennent simplement, selon les indications de cette juridiction de renvoi, préciser cette règle. D’autre part, si l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2004/25, invoqué par ladite juridiction, prévoit bien une présomption de concertation, cette directive ne régit que des situations nées dans le cadre d’offres publiques d’achat, ce qui, au regard des éléments fournis par la juridiction de renvoi et des observations déposées devant la Cour et sous réserve de vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, ne paraît pas être le cas dans l’affaire au principal.

27

Deuxièmement, il convient de préciser que les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux ne s’appliquent pas aux situations purement internes, dans lesquelles les mouvements de capitaux se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. Ainsi, il revient à la juridiction de renvoi, avant toute application de l’article 63 TFUE, de vérifier s’il existe, dans l’affaire au principal, une situation transfrontalière impliquant l’exercice de la liberté de circulation des capitaux au sein de l’Union européenne (voir, en ce sens, ordonnance du 12 octobre 2017, Fisher, C‑192/16, EU:C:2017:762, point 35).

28

En l’occurrence, Romenergo puis Aris Capital sont présumées agir de concert avec plusieurs sociétés établies en dehors du territoire roumain. Ainsi, sous réserve de vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer qu’il existe, dans l’affaire au principal, une telle situation transfrontière.

29

Partant, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale prévoyant le plafonnement, à 5 %, de la participation au capital des sociétés d’investissement financier.

30

Afin de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de déterminer si une prise de participation au capital d’une société d’investissement financier, telle que celle en cause au principal, constitue un mouvement de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

31

Selon une jurisprudence constante de la Cour, cette disposition interdit de manière générale les entraves aux mouvements de capitaux entre les États membres (arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

32

En l’absence, dans le traité FUE, d’une définition de la notion de « mouvements de capitaux », au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, la Cour a reconnu une valeur indicative à la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [CE] [(article abrogé par le traité d’Amsterdam)] (JO 1988, L 178, p. 5). Ainsi, la Cour a jugé que constituent des mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, notamment les investissements dits « directs », à savoir les investissements sous forme de participation dans une entreprise par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à la gestion et au contrôle de cette entreprise (arrêt du 22 octobre 2013, Essent e.a., C‑105/12 à C‑107/12, EU:C:2013:677, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

33

Dès lors que les investissements directs visent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l’entreprise à laquelle ces fonds sont destinés, les actionnaires doivent avoir la possibilité de participer effectivement à la gestion de la société ou à son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2011, Commission/Portugal, C‑212/09, EU:C:2011:717, point 43).

34

Ainsi, la prise de participation au capital d’une société d’investissement financier, telle que celle en cause au principal, notamment en ce qu’elle s’accompagne de droits de vote correspondant au pourcentage de cette prise de participation, relève de la notion de « mouvements de capitaux », au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

35

S’agissant, en deuxième lieu, du point de savoir si une mesure nationale prévoyant le plafonnement, à 5 %, de la participation dans une telle société d’investissement financier constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux, il y a lieu de relever que la Cour a précisé qu’une mesure nationale peut être qualifiée de « restriction », au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, même si elle n’établit pas de discrimination ou de distinction formelle entre les personnes en fonction de leur nationalité ou de leur résidence ou encore en raison de l’origine de leurs capitaux. En effet, il suffit, aux fins d’une telle qualification, que la mesure nationale considérée soit susceptible d’empêcher ou de limiter l’acquisition d’actions dans les entreprises concernées ou soit susceptible de dissuader les investisseurs des autres États membres d’investir dans le capital de celles-ci (arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, EU:C:2007:623, point 19 et jurisprudence citée). Tel est le cas, notamment, d’une réglementation nationale qui prévoit la suspension des droits de vote liés à des participations au capital de certaines entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2005, Commission/Italie, C‑174/04, EU:C:2005:350, point 30).

36

Il s’ensuit que, de même, une mesure nationale prévoyant un plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier a pour effet de dissuader les investissements prenant la forme d’une participation dans une entreprise par la détention d’actions. En effet, ces actions sont susceptibles de donner la possibilité de participer effectivement à la gestion et au contrôle de cette entreprise dès lors que, notamment, la détention d’actions est associée à des droits de vote proportionnels aux parts sociales détenues. Une telle mesure nationale constitue donc une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

37

En troisième lieu, selon une jurisprudence constante de la Cour, la liberté de circulation des capitaux peut être limitée par des mesures nationales si celles-ci sont justifiées soit par l’une des raisons mentionnées à l’article 65 TFUE soit par des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’il n’existe pas de mesure d’harmonisation au niveau de l’Union prévoyant des mesures nécessaires pour assurer la protection des intérêts légitimes concernés (arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, EU:C:2007:623, point 72 et jurisprudence citée).

38

À défaut d’une telle harmonisation, il appartient, en principe, aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de tels intérêts légitimes ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité, qui exige que les mesures adoptées soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, EU:C:2007:623, point 73 et jurisprudence citée).

39

Une mesure nationale de plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier, telle que celle en cause au principal, ne saurait être justifiée sur le fondement de l’un des motifs énoncés à l’article 65 TFUE.

40

En effet, une telle mesure ne relève pas de la matière fiscale, mentionnée à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE et ne vise pas non plus à faire échec aux infractions à la réglementation nationale, si bien qu’elle ne saurait être justifiée sur le fondement de l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE. Par ailleurs, conformément à une jurisprudence constante, des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, prévues à cette dernière disposition, ne peuvent être invoquées qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, et ne sauraient, en outre, servir à des fins purement économiques (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2012, VBV – Vorsorgekasse, C‑39/11, EU:C:2012:327, point 29 et jurisprudence citée).

41

Ainsi, il convient de déterminer si une mesure nationale de plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

42

En l’occurrence, le gouvernement roumain indique que les sociétés d’investissement financier créées au cours de l’année 1996 sous la forme de sociétés anonymes ont pour seul objet la réalisation d’investissements collectifs par le placement de fonds dans des instruments financiers liquides suivant le principe de la diversification du risque et de l’administration prudentielle. Ces sociétés d’investissement financier seraient donc des organismes de placement collectifs censés garantir les investissements financiers populaires. En ce sens, le degré élevé de dispersion de la structure de leurs actionnariats serait censé garantir une protection de l’intérêt général de l’ensemble des actionnaires sans qu’une personne ou un groupe de personnes agissant de concert puisse prendre le contrôle des décisions stratégiques de l’une de ces sociétés.

43

À cet égard, il y a lieu de relever que la volonté d’assurer la dispersion de l’actionnariat de certaines sociétés d’investissement financier relève d’un motif de nature économique qui, au demeurant, ne concerne que les personnes détenant des actions au sein de telles sociétés. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les motifs de nature économique ne sauraient constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2010, Commission/Portugal, C‑171/08, EU:C:2010:412, point 71 et jurisprudence citée).

44

Il s’ensuit que, sous réserve de vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, une mesure nationale de plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier, telle que celle en cause au principal, constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux qui n’est justifiée ni par l’une des raisons mentionnées à l’article 65 TFUE ni par une raison impérieuse d’intérêt général.

45

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale prévoyant le plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier si cette mesure n’est pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la limitation des effets de l’arrêt dans le temps

46

Le gouvernement roumain a demandé que, dans l’hypothèse où la Cour jugerait qu’une mesure nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction non justifiée à la libre circulation des capitaux, les effets du présent arrêt soient limités dans le temps.

47

À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle du droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il s’ensuit que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (arrêt du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan, C‑274/18, EU:C:2019:828, point 60 et jurisprudence citée).

48

Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée, en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (arrêt du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan, C‑274/18, EU:C:2019:828, point 61 et jurisprudence citée).

49

Plus spécifiquement, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues, en particulier, au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission européenne (arrêt du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, point 62 et jurisprudence citée).

50

Il incombe cependant à l’État membre sollicitant une limitation des effets de l’arrêt dans le temps de produire des éléments tendant à démontrer qu’un risque de troubles graves existe (voir, par analogie, arrêt du 14 avril 2015, Manea, C‑76/14, EU:C:2015:216, point 55).

51

Or, en l’occurrence, le gouvernement roumain se borne à affirmer qu’un tel risque existe dès lors que l’ordre juridique national résultant de la mise en œuvre de l’article 286 bis, paragraphes 2 et 4, de la loi sur les marchés de capitaux est remis en cause. Ce faisant, ce gouvernement ne démontre pas que le présent arrêt risque de causer des troubles graves, mais se limite à relever que ces dispositions nationales sont susceptibles de constituer des restrictions à la libre circulation des capitaux, ce qui pourrait conduire le juge national à les écarter.

52

Dans ces conditions, il convient de constater que, dans la présente affaire, il n’a été fait état d’aucun élément de nature à justifier une dérogation au principe selon lequel un arrêt d’interprétation produit ses effets à la date de l’entrée en vigueur de la règle interprétée.

53

Partant, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

Sur les dépens

54

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale prévoyant le plafonnement, à 5 %, de la participation au capital d’une société d’investissement financier si cette mesure n’est pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.