ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
27 juin 2024 (*)
« Pourvoi – Concurrence – Produits pharmaceutiques – Marché du périndopril – Article 101 TFUE – Ententes – Concurrence potentielle – Restriction de la concurrence par objet – Stratégie visant à retarder l’entrée sur le marché de versions génériques du périndopril – Accord de règlement amiable de litige en matière de brevets »
Dans l’affaire C‑197/19 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 28 février 2019,
Mylan Laboratories Ltd, établie à Hyderabad (Inde),
Mylan Inc., établie à Canonsburg (États-Unis),
représentées initialement par MM. C. Firth, C. Humpe, S. Kon, solicitors, ainsi que Me V. Adamis, avocat, puis par MM. C. Firth, C. Humpe et S. Kon, solicitors,
parties requérantes,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée initialement par Mme F. Castilla Contreras, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, SC, puis par Mmes F. Castilla Contreras, J. Norris et M. C. Vollrath, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
soutenue par :
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme D. Guðmundsdóttir, en qualité d’agent, puis par M. S. Fuller, en qualité d’agent,
partie intervenante au pourvoi,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. M. Longar et Mme R. Şereş, administrateurs,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 octobre 2021,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, Mylan Laboratories Ltd et Mylan Inc. demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Mylan Laboratories et Mylan/Commission (T‑682/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:907), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation, en ce qui les concerne, de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci–après la « décision litigieuse ») et à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.
Les antécédents du litige
2 Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 37 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
Le périndopril
3 Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.
4 Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.
5 Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.
6 Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir les brevets EP0308339 (ci-après le « brevet 339 »), EP0308340 (ci-après le « brevet 340 »), EP0308341 (ci-après le « brevet 341 ») et EP0309324.
7 Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004. Servier a aussi déposé auprès de l’OEB le brevet EP1294689, relatif à la forme cristalline bêta du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, et le brevet EP1296948 (ci-après le « brevet 948 »), relatif à la forme cristalline gamma du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication.
8 Le 6 juillet 2001, Servier a, en outre, déposé des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977. Servier a, par exemple, déposé des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107 532), en République tchèque (PV2003-357), en Estonie (P200300001), en Hongrie (HU225340), en Pologne (P348492) et en Slovaquie (PP0149-2003). Ces brevets ont été délivrés le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 août 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en République tchèque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.
Les activités de Matrix Laboratories Ltd relatives au périndopril
9 Le 26 mars 2001, Medicorp Technologies India Ltd (ci-après « Medicorp »), un fabricant de médicaments génériques établi en Inde, et Bioglan Generics Ltd (ci-après « Bioglan »), un fabricant de médicaments génériques établi au Royaume-Uni, ont conclu un accord de développement et de licence en vue de commercialiser une version générique du périndopril dans l’Union européenne (ci-après l’« accord du 26 mars 2001 »). Medicorp était chargée de développer et de fournir le principe actif de ce médicament. Bioglan était responsable de la stratégie commerciale ainsi que de l’obtention des autorisations de mise sur le marché de ce médicament.
10 Au cours de l’année 2002, Unichem Laboratories Ltd (ci-après « Unichem »), un fabricant de médicaments établi en Inde, et des actionnaires dirigeants de Bioglan ont constitué Niche Generics Ltd (ci‑après « Niche »).
11 Le 15 avril 2002, Niche a repris les actifs et les engagements commerciaux de Bioglan.
12 Le 27 mars 2003, Medicorp et Unichem ont conclu un accord en vertu duquel Medicorp était responsable du développement et de la fourniture du principe actif d’une version générique du périndopril et Unichem devait assurer la production de ce médicament sous forme de comprimés.
13 Le 20 mai 2003, Matrix Laboratories Ltd (ci-après « Matrix »), une société établie en Inde spécialisée dans la production de principes actifs de médicaments génériques, a fusionné avec Medicorp et fourni un premier lot d’une version générique du principe actif du périndopril ainsi que le dossier nécessaire à la préparation des demandes d’autorisations de mise sur le marché par Niche.
14 Au cours de l’automne de l’année 2004, Servier a envisagé l’acquisition de Niche. Le 10 janvier 2005, au terme de la première phase d’un audit préalable, Servier a présenté une offre préliminaire non contraignante d’acquisition du capital de Niche. Le 31 janvier 2005, après la seconde phase de cet audit, Servier a informé Niche oralement qu’elle ne souhaitait plus procéder à cette acquisition.
15 Le 22 juin 2005, Matrix a notifié à Niche la suspension de l’accord du 26 mars 2001 avec effet immédiat jusqu’au 16 septembre 2008, date d’expiration des brevets 339, 340 et 341.
16 Au mois de décembre de l’année 2006, Unichem a acquis la totalité du capital de Niche.
17 Le 8 janvier 2007, Mylan a augmenté sa participation dans le capital de Matrix à 71,5 %. Depuis le 22 août 2011, Mylan détient entre 97 % et 98 % de ce capital.
18 Depuis le 5 octobre 2011, Matrix est dénommée Mylan Laboratories.
Les litiges relatifs au périndopril
19 Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.
Les décisions de l’OEB
20 Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Niche, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.
21 Le 11 août 2004, Niche a formé opposition contre le brevet 948 devant l’OEB.
22 Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947. Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Par une décision du 6 mai 2009, cette dernière a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.
Les décisions des juridictions nationales
23 La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec certains de ces fabricants de médicaments génériques.
24 Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.
25 Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite le 15 août 2007 par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision, Servier et Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.
Le litige opposant Servier à Niche
26 Le 25 juin 2004, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341 contre Niche qui, par voie reconventionnelle, a demandé l’invalidation du brevet 947. Matrix a participé à cette procédure en effectuant des dépositions. La date de l’audience dans ladite procédure avait été fixée aux 7 et 8 février 2005. Servier a par ailleurs envoyé une lettre formelle d’avertissement à Matrix le 7 février 2005, en lui reprochant de violer les brevets 339, 340 et 341 et en la menaçant d’intenter une action en contrefaçon.
L’accord Matrix
27 Le 8 février 2005, Servier a conclu deux accords de règlement amiable du litige visé au point précédent du présent arrêt ainsi que des procédures d’opposition aux brevets 947 et 948 alors pendantes devant l’OEB, le premier avec Niche et Unichem (ci-après l’« accord Niche ») et, le second, avec Matrix (ci-après l’« accord Matrix »). Niche s’est ainsi désistée de la procédure d’opposition relative au brevet 947 le 9 février 2005 et de celle relative au brevet 948 le 14 février 2005.
28 Chacun de ces accords contenait, d’une part, des clauses dites de « non-commercialisation », par lesquelles ces entreprises s’engageaient, jusqu’à l’expiration des brevets pertinents de Servier relatifs au périndopril, à s’abstenir de fabriquer, de fournir ou de commercialiser toute forme générique du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par ces brevets et, d’autre part, une clause dite de « non-contestation », par laquelle ces entreprises s’engageaient à s’abstenir et à se désister de toute action tendant à contester la validité desdits brevets ou à obtenir des déclarations de non-contrefaçon.
29 En contrepartie, Servier s’engageait, d’une part, à ne pas introduire d’actions en contrefaçon contre lesdites entreprises et, d’autre part, à les indemniser pour les coûts pouvant résulter de la cessation de leur programme de développement d’une version du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par les brevets de Servier. Cette indemnisation devait donner lieu à deux paiements en faveur, pour le premier, de Niche, et pour le second, de Matrix, de la somme de 11,8 millions de livres sterling (GBP) (17 161 140 euros) chacun. Ces accords couvraient, notamment, tous les États membres de l’Espace économique européen (EEE) dans lesquels les brevets 339, 340, 341 et 947 étaient en vigueur.
30 Aux termes d’un troisième accord également conclu le 8 février 2005, Niche s’est engagée à transférer à Biogaran des dossiers d’autorisations de mise sur le marché pour trois médicaments autres que le périndopril, ainsi qu’une autorisation de mise sur le marché obtenue en France pour l’un de ces trois médicaments. En contrepartie, Biogaran devait verser à Niche la somme de 2,5 millions de GBP, laquelle n’était pas remboursable, même en cas de non-obtention de ces autorisations de mise sur le marché.
La décision litigieuse
31 Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse.
32 À l’article 2 de cette décision, la Commission a constaté que les requérantes avaient enfreint l’article 101 TFUE, en participant à un accord avec Servier, couvrant tous les États qui étaient membres de l’Union à la date d’adoption de cette décision, à l’exception de l’Italie et de la Croatie ; que cette infraction avait commencé, pour Mylan Laboratories, le 8 février 2005, et pour Mylan, le 8 janvier 2007, sauf en ce qui concerne, pour Mylan Laboratories, la Lettonie, où elle avait commencé le 1er juillet 2005, la Bulgarie et la Roumanie, où elle avait commencé le 1er janvier 2007, et, pour ces deux sociétés, Malte, où elle avait commencé le 1er mars 2007 ; et que ladite infraction avait pris fin le 15 septembre 2008, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où elle avait pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où elle avait pris fin le 12 décembre 2007.
33 À l’article 7, paragraphe 2, sous a), de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Mylan Laboratories, au titre de l’infraction à l’article 101 TFUE, une amende d’un montant de 17 161 140 euros, dont 8 045 914 euros conjointement et solidairement avec Mylan.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
34 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 septembre 2014, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où elle les concerne et à l’annulation ou à la réduction de l’amende qui leur a été infligée par la Commission.
35 Dans leur recours en première instance, les requérantes invoquaient huit moyens à l’appui de leurs conclusions, dont les premier à cinquième ainsi que le huitième sont pertinents aux fins du présent pourvoi. Ces moyens concernaient l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Matrix et Servier (premier et deuxième moyens) ; la qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par objet (troisième moyen) et par effet (quatrième moyen), au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ; l’imposition d’une amende (cinquième moyen) et l’imputation à Mylan de la responsabilité du comportement de sa filiale (huitième moyen).
36 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours des requérantes dans son intégralité.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
37 Par acte déposé au greffe le 28 février 2019, les requérantes ont introduit le présent pourvoi.
38 Par acte déposé au greffe de la Cour le 19 juin 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 22 juillet 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.
39 Par lettre du 16 septembre 2019, le Royaume-Uni a renoncé à déposer un mémoire en intervention.
40 La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, EU:C:2021:244), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245). Les requérantes et la Commission ont déféré à cette demande dans le délai imparti.
41 Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué pour autant qu’il rejette leur demande d’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle les concerne ;
– d’annuler ou réduire substantiellement le montant de l’amende, ou
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui–ci statue conformément à l’arrêt de la Cour, et
– de condamner la Commission aux frais et dépens d’ordre juridique ou autre exposés par les requérantes en lien avec cette affaire et à toute autre mesure que la Cour considère appropriée.
42 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi dans son intégralité et
– de condamner les requérantes aux dépens.
Sur le pourvoi
43 Au soutien de leur pourvoi, les requérantes soulèvent cinq moyens. Le premier moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la concurrence potentielle. Le deuxième moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par objet. Le troisième moyen est pris d’une omission de statuer sur la qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par effet. Le quatrième moyen se rapporte à l’imputation à Mylan de la responsabilité du comportement de Matrix. Le cinquième moyen est pris d’une violation du principe de légalité des délits et des peines.
Sur le premier moyen, relatif à la concurrence potentielle
Argumentation des parties
44 Par leur premier moyen, qui se subdivise en deux branches, les requérantes critiquent l’appréciation du Tribunal selon laquelle Matrix était un concurrent potentiel de Servier au moment de la conclusion de l’accord Matrix.
45 Par la première branche, les requérantes contestent l’appréciation, au point 89 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission avait pu se fonder sur l’existence de l’accord du 26 mars 2001 pour considérer que Matrix et Niche avaient la capacité d’entrer sur le marché du périndopril. En examinant si ces entreprises disposaient conjointement de possibilités réelles et concrètes d’intégrer ce marché et d’y concurrencer Servier, le Tribunal a, selon les requérantes, commis trois erreurs.
46 Premièrement, le Tribunal aurait ignoré le fait que Matrix et Niche étaient des entreprises distinctes et non liées entre elles par un contrat. Le Tribunal aurait ainsi méconnu la notion d’entreprise, au sens de l’article 101 TFUE.
47 Deuxièmement, le Tribunal aurait également ignoré que Matrix était présente, en amont, sur le marché du principe actif du périndopril, mais pas, en aval, sur le marché de ce médicament. Or, ces deux marchés seraient distincts. Faute d’être présente sur le marché en aval, Matrix n’aurait pas pu être un concurrent potentiel de Servier.
48 Troisièmement, le Tribunal aurait, à tort, considéré, au point 90 de l’arrêt attaqué, que l’accord du 26 mars 2001 était encore en vigueur à la date de la conclusion de l’accord Matrix, le 8 février 2005. Or, selon les requérantes, en se focalisant sur la date de résiliation formelle de cet accord, le Tribunal aurait omis d’examiner de façon exhaustive tous les éléments de preuve visant à démontrer que, à cette date, les relations issues dudit accord avaient déjà cessé. Cette omission serait constitutive d’une erreur de droit ou d’une dénaturation manifeste des éléments de preuve.
49 Par la seconde branche de leur premier moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal, aux points 111, 121, 123 et 128 de l’arrêt attaqué, a appliqué de manière erronée les critères juridiques permettant d’établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle.
50 En considérant que toute entreprise qui souhaite intégrer un marché et entreprend des démarches à cet effet peut être qualifiée de concurrent potentiel, sauf si des barrières insurmontables l’empêchent d’entrer sur ce marché, le Tribunal aurait accordé trop d’importance aux intentions des parties. Selon les requérantes, de simples démarches préparatoires ne suffisent pas à établir qu’une entreprise avait des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur ledit marché. Ces erreurs auraient conduit le Tribunal à rejeter, à tort, la pertinence des obstacles brevetaires et réglementaires auxquels Matrix et Niche se sont heurtées. Elles auraient également amené le Tribunal à renverser la charge de la preuve de l’existence de possibilités réelles et concrètes d’entrée sur le marché, qui incombe à la Commission, en exigeant des requérantes qu’elles réfutent l’absence de barrières insurmontables à cette entrée.
51 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
52 La seconde branche du premier moyen vise à contester la validité des critères juridiques sur la base desquels le Tribunal a statué sur l’argumentation des requérantes relatives à l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Matrix et Servier. Il convient de l’examiner en premier lieu.
– Sur la seconde branche
53 Afin de répondre à l’argumentation par laquelle les requérantes, dans le cadre de la seconde branche de leur premier moyen, soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait pu établir que Matrix, conjointement avec Niche, était un concurrent potentiel de Servier, il y a lieu de rappeler que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, il convient de déterminer, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence le second [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
54 Ainsi, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de conclusion de tels accords, le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. De telles démarches permettent d’établir l’existence de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 à 45].
55 À cet égard, l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 46].
56 Certes, dans l’hypothèse où la validité d’un tel brevet aurait été établie de manière définitive devant toutes les juridictions ayant été saisies de cette question, il serait difficilement concevable que d’autres éléments du contexte économique et juridique caractérisant de manière objective les rapports de concurrence entre le titulaire de ce brevet et un fabricant de médicaments génériques puissent fonder la conclusion selon laquelle il existait encore une relation de concurrence potentielle entre eux. Cependant, il incombe néanmoins à l’autorité administrative ou au juge compétent d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle ce titulaire et ce fabricant ne sont pas des concurrents potentiels, surtout lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants.
57 En effet, la Cour a déjà jugé que d’éventuels brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication font incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques. Toutefois, l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette appréciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].
58 Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de médicaments génériques n’était pas présent sur le marché concerné, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
59 En l’occurrence, le Tribunal a considéré, en substance, aux points 46 et 87 de l’arrêt attaqué, qu’un concurrent potentiel est celui qui dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en cause. Une telle constatation doit reposer, selon cette juridiction, essentiellement sur la capacité, confortée, le cas échéant, par l’intention, d’intégrer ce marché, étant entendu que, lorsqu’un marché est caractérisé par des obstacles à l’entrée, l’examen de leur caractère insurmontable vient utilement compléter celui des possibilités réelles et concrètes de l’entreprise en cause, fondé sur sa capacité et son intention, d’entrer sur ledit marché.
60 Aux points 50 à 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait observer à cet égard que les efforts accomplis pour développer un médicament générique constituent des indices de la capacité et de l’intention d’entrer sur le marché.
61 Il a, en outre, considéré, aux points 55 à 59 de cet arrêt, que, pour qu’une entreprise puisse être qualifiée de concurrent potentiel, son entrée sur le marché doit pouvoir se faire suffisamment rapidement aux fins de peser et ainsi d’exercer une pression concurrentielle sur les entreprises présentes sur ce marché.
62 Aux points 60 à 65 et 113 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que la preuve de l’existence d’une concurrence potentielle peut être confortée, d’une part, par la perception, par l’opérateur présent sur le marché, de la concurrence potentielle exercée par les fabricants de médicaments génériques, ainsi que, d’autre part, par la perception, par ces fabricants, des possibilités d’invalidation ou de contrefaçon des brevets, cette perception pouvant contribuer à établir l’intention de ces fabricants d’entrer sur ce marché. Il a relevé, à cet égard, en se référant à sa propre jurisprudence, que la conclusion d’un accord entre ces entreprises peut constituer un indice de nature à corroborer l’existence d’une concurrence potentielle entre elles.
63 Après avoir rejeté, pour les motifs énoncés aux points 77 à 95 de l’arrêt attaqué, dont le bien-fondé sera apprécié dans le cadre de l’examen de la première branche du premier moyen, les griefs par lesquels les requérantes reprochaient à la Commission d’avoir examiné la qualité de concurrent potentiel de Matrix non pas de manière autonome, mais à la lumière des liens qui existaient à la date de conclusion de l’accord Matrix entre cette entreprise et Niche, le Tribunal a examiné, aux points 96 à 135 de cet arrêt, si la Commission avait pu considérer que l’accord du 26 mars 2001 permettait de qualifier Niche et Matrix de concurrents potentiels de Servier.
64 Le Tribunal a, dans un premier temps, constaté, aux points 96 et 97 de l’arrêt attaqué, que Niche et Matrix avaient la capacité et l’intention d’entrer sur le marché du périndopril. Dans un second temps, il a examiné, aux points 99 à 135 de cet arrêt, si les requérantes étaient fondées à soutenir que cette entrée se heurtait à des obstacles insurmontables. Le Tribunal a rejeté les allégations des requérantes relatives à l’existence d’obstacles brevetaires, techniques, réglementaires et financiers. En conséquence, le Tribunal a rejeté le moyen de première instance des requérantes pris d’erreurs de droit et d’appréciation dans l’analyse de la concurrence potentielle entre Matrix et Servier.
65 Il résulte de ces éléments que c’est sans commettre d’erreur de droit et en statuant d’une manière conforme à ce qui a été rappelé aux points 53 à 58 du présent arrêt que le Tribunal a exposé les critères permettant de conclure à l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques. En effet, les critères retenus par le Tribunal correspondent, en substance, à ceux retenus par la Cour aux points 36 à 57 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52).
66 S’agissant, en particulier, des deux critères tenant à la capacité et à l’intention d’intégrer le marché en cause, visés au point 46 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater qu’ils correspondent à ceux retenus par la Cour, notamment au point 44 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), tenant à la détermination ferme ainsi qu’à la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps.
67 Contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, le Tribunal n’a pas, dans son appréciation des critères de la concurrence potentielle, accordé « trop d’importance » aux intentions des parties. Au contraire, le Tribunal a indiqué, au point 46 de l’arrêt attaqué, que, « si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente afin de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché ». Le Tribunal a également souligné, aux points 61 à 63 de l’arrêt attaqué, que la perception par l’opérateur présent sur le marché de la concurrence potentielle exercée par une entreprise tierce ne constitue qu’un élément complémentaire par rapport aux critères tenant à la capacité et à l’intention d’intégrer le marché, dont l’importance, dans la décision litigieuse, n’a été que « très marginale ». Au point 113 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, en outre, que la perception, par les parties, de la possibilité d’invalidation ou de contrefaçon des brevets peut contribuer à établir leur intention d’entrer sur le marché, tout en réitérant que le critère essentiel en la matière est la capacité d’entrer sur ce marché. Ainsi, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit à cet égard susceptible de remettre en cause le bien-fondé de son appréciation relative à la concurrence potentielle.
68 Quant au grief des requérantes selon lequel le Tribunal aurait, en imposant aux entreprises d’établir l’existence d’obstacles insurmontables à l’entrée des fabricants de médicaments génériques sur le marché, renversé la charge de la preuve de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle qui incombe à la Commission, il doit être rejeté.
69 En effet, il ressort des points 96 à 135 de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas procédé à un tel renversement de la charge de la preuve, mais s’est, en substance, limité à considérer que, en l’absence de preuves contraires relatives à des difficultés techniques, réglementaires, commerciales ou financières, la Commission pouvait établir la capacité et l’intention des fabricants de médicaments génériques d’entrer sur le marché, et ainsi leurs possibilités réelles et concrètes d’y entrer, si elle avait réuni un faisceau d’indices concordants attestant, à tout le moins, de démarches visant à la production et à la commercialisation du médicament en cause dans un délai suffisamment court pour peser sur le fabricant de médicaments princeps. Or, selon la jurisprudence de la Cour, en matière de responsabilité pour une infraction aux règles de la concurrence, les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite (arrêts du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 80, et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 79).
70 Conformément à cette jurisprudence, si la Commission parvient à établir l’existence d’une concurrence potentielle entre deux entreprises, sur la base d’un faisceau d’indices concordants, et sans ignorer les éventuelles preuves contraires dont elle a effectivement eu connaissance dans le cadre de l’enquête qu’elle a menée à charge et à décharge, notamment celles relatives à d’éventuels obstacles potentiels à une entrée sur le marché, il incombe alors à ces entreprises de réfuter l’existence d’une telle concurrence en rapportant la preuve contraire, ce qu’elles peuvent faire soit dans le cadre de la procédure administrative soit, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi (voir, à ce dernier égard, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72). Une telle charge ne constitue ni un renversement indu de la charge de la preuve ni une probatio diabolica, car il suffit aux entreprises en cause de rapporter des preuves relatives à un fait positif, à savoir l’existence de difficultés techniques, réglementaires, commerciales ou financières qui constituent, selon elles, des obstacles insurmontables à l’entrée de l’une d’elles sur le marché. Une fois une telle preuve rapportée, il incombe à la Commission de vérifier si elle infirme son analyse relative à l’existence d’une concurrence potentielle.
71 Si, au contraire, il appartenait à la Commission d’établir, de manière négative, l’absence de telles difficultés, et, partant, celle de toute barrière insurmontable, quelle qu’elle soit, à l’entrée de l’une des entreprises en cause sur le marché, une telle charge de la preuve représenterait une probatio diabolica pour cette institution.
72 Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen doit être rejetée.
– Sur la première branche
73 Par la première branche de leur premier moyen, les requérantes critiquent le Tribunal pour avoir considéré que la Commission avait pu considérer que Matrix, en raison de ses liens avec Niche, était un concurrent potentiel de Servier.
74 Aux points 77 à 84 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que la Commission avait considéré, dans la décision litigieuse, que, en raison de l’accord du 26 mars 2001, Matrix était étroitement liée aux activités déployées par Niche ainsi que par sa société mère Unichem, afin de développer une version générique du périndopril. Dans ces conditions, la Commission a examiné si Matrix était un concurrent potentiel de Servier, non pas prise isolément, mais principalement au regard du partenariat mis en place entre Matrix et Niche.
75 Il résulte des motifs exposés aux points 89 à 95 de cet arrêt que le Tribunal a constaté que ce partenariat n’avait été suspendu que le 22 juin 2005, soit plus de quatre mois après la conclusion des accords Niche et Matrix. Il a ainsi jugé, au point 89 dudit arrêt, que la Commission avait valablement pu examiner « la qualité de concurrent potentiel de Matrix, ensemble avec Niche, en vérifiant si, grâce à [l’accord du 26 mars 2001], ces deux sociétés étaient en mesure d’entrer sur le marché avec le périndopril générique issu de la mise en œuvre de [cet] accord » et ce nonobstant le fait que Niche et Matrix sont deux sociétés autonomes.
76 Les requérantes contestent cette dernière appréciation dans le cadre de la première branche de leur premier moyen en faisant valoir, en substance, que le partenariat entre Niche et Matrix résultant de l’accord du 26 mars 2001 avait, en pratique, déjà été abandonné lorsque ces entreprises ont conclu le 8 février 2005 les accords Niche et Matrix avec Servier. Selon les requérantes, en constatant que l’accord du 26 mars 2001 a été suspendu le 22 juin 2005, le Tribunal a dénaturé les preuves et enfreint son obligation d’examiner de manière exhaustive l’ensemble des preuves qui lui sont soumises.
77 À cet égard, il convient de souligner qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).
78 En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié des faits, la Cour est compétente pour exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal a qualifié leur nature juridique et en a fait découler des conséquences en droit. Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, EU:C:2021:154, point 53 ainsi que jurisprudence citée).
79 Sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs à la constatation des faits et à leur appréciation dans la décision attaquée lorsqu’il est allégué que le Tribunal a effectué des constatations dont l’inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier ou qu’il a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 35).
80 Une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citée).
81 En l’occurrence, les requérantes ne remettent pas en cause en tant que telle la véracité de la constatation du Tribunal selon laquelle Matrix a, le 22 juin 2005, notifié à Niche la suspension de l’accord du 26 mars 2001. Elles font valoir que, en dépit de cette notification, l’ensemble des preuves soumises à l’appréciation du Tribunal aurait dû conduire cette juridiction à considérer que cet accord avait déjà cessé de produire ses effets avant le 8 février 2005, date de conclusion des accords Niche et Matrix.
82 Toutefois, il convient de constater, d’une part, que les requérantes se bornent, en substance, à renvoyer de manière globale aux éléments de preuve décrits dans la partie 4.3.1.4.2.1 de la décision litigieuse, sans toutefois identifier des dénaturations spécifiques de certains éléments de preuve particuliers qui auraient été commises par le Tribunal, selon elles, et que, d’autre part, sous couvert d’invoquer une violation des règles relatives à l’examen des preuves, les requérantes se bornent, en réalité, à critiquer la constatation, au point 90 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’accord du 26 mars 2001 avait cessé de produire ses effets à compter du 22 juin 2005. Conformément à la jurisprudence visée aux points 77 à 80 du présent arrêt, une telle argumentation ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi et doit, dès lors, être rejetée.
83 Les requérantes font en outre valoir dans le cadre de la première branche de leur premier moyen que le Tribunal s’est fondé sur l’accord du 26 mars 2001 pour considérer que Matrix, en raison du partenariat avec Niche, était un concurrent potentiel de Servier, alors que Matrix et Niche ne constituaient pas une entreprise, au sens de l’article 101 TFUE.
84 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que le choix des auteurs des traités a été d’utiliser la notion d’« entreprise » pour désigner l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence, susceptible d’être sanctionné en application de cette disposition, et non d’autres notions telles que celles de « société » ou de « personne morale ». Le législateur de l’Union a également retenu la notion d’« entreprise » à l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), pour définir l’entité à laquelle la Commission peut infliger une amende pour sanctionner une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union (arrêts du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, points 123 et 124, ainsi que du 25 novembre 2020, Commission/GEA Group, C‑823/18 P, EU:C:2020:955, points 62 et 63).
85 Ce faisant, le droit de la concurrence de l’Union, en visant les activités des entreprises, consacre comme critère décisif l’existence d’une unité de comportement sur le marché. La notion d’« entreprise » comprend donc toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et désigne ainsi une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, cette unité économique pouvant concourir à commettre une infraction visée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, points 84 et 86).
86 En l’espèce, ni la Commission, dans la décision litigieuse, ni le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, ni d’ailleurs les requérantes, dans le cadre de leur pourvoi, n’ont considéré que Niche et Matrix formaient ensemble une unité économique responsable de l’infraction visée à l’article 2 de cette décision. Au contraire, les requérantes soutiennent que Niche et Matrix étaient deux sociétés autonomes qui n’étaient pas liées entre elles par un contrat, et que, dès lors, la Commission aurait dû examiner si Matrix disposait, seule, d’une capacité réelle et concrète d’entrer sur le marché du périndopril.
87 Toutefois, cette argumentation repose sur la prémisse factuelle selon laquelle l’accord du 26 mars 2001, qui constituait la base du partenariat entre Niche et Matrix pour le développement du périndopril, avait cessé à la date de conclusion de l’accord Matrix. Or, cette prémisse est directement contredite par les constatations opérées par le Tribunal au point 90 de l’arrêt attaqué, sans que les requérantes soient parvenues à démontrer que ces constatations reposaient sur une dénaturation des preuves. Le Tribunal ayant valablement pu constater que, à la date de conclusion de l’accord Matrix, Niche et Matrix demeuraient liées par l’accord du 26 mars 2001, ladite argumentation des requérantes repose sur une prémisse factuelle qui est erronée.
88 En outre, cette même argumentation est erronée en droit. Certes, si une entreprise se borne exclusivement à commercialiser un composant d’un produit fini, dont elle n’assure pas la production ni la commercialisation sur le marché de ce produit en aval, elle ne peut être considérée, en principe, comme étant un concurrent potentiel des entreprises déjà actives dans le secteur en cause que sur le marché de ce composant situé en amont. Toutefois, une telle circonstance ne signifie pas que cette entreprise n’est pas susceptible d’entrer sur le marché dudit produit fini dans une situation telle que celle en cause en l’espèce où cette entreprise a conclu un accord de partenariat pour le développement du produit fini et sa commercialisation sur le marché en aval, et ce nonobstant le fait que le rôle de ladite entreprise dans le cadre de ce partenariat consiste essentiellement à fournir ledit composant à son partenaire. Dans une telle situation, il ne peut donc être exclu que l’entreprise produisant ce composant puisse être considérée comme étant un concurrent potentiel d’une entreprise présente sur le marché du produit fini.
89 Il s’ensuit que, en jugeant, au point 88 de l’arrêt attaqué, que « la qualité de concurrent potentiel ne saurait être refusée à un opérateur au seul motif qu’il ne dispose pas à lui seul de la capacité d’entrer sur un marché donné, lorsqu’il a la possibilité de trouver des partenaires commerciaux lui permettant d’accéder audit marché, voire a déjà conclu un accord avec de tels partenaires commerciaux », le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit susceptible d’invalider son appréciation de la qualité de concurrent potentiel de Matrix dans les circonstances de la présente affaire.
90 Par ailleurs, il ressort des antécédents du litige exposés aux points 2 à 30 du présent arrêt que Matrix, Niche et la société mère de cette dernière, Unichem, avaient pour stratégie commune le développement d’une version générique du périndopril et sa commercialisation sur le territoire de l’Union. Cette stratégie était matérialisée par les accords du 26 mars 2001 et du 27 mars 2003. Selon ces accords, Matrix était chargée de produire le principe actif et Unichem de la production, à partir de ce principe actif, de comprimés d’une version générique du périndopril. La commercialisation de ce médicament, y compris dans ses aspects réglementaires, était confiée à Niche.
91 Admettre, comme le prétendent les requérantes, que Matrix ne pouvait pas être considérée comme étant un concurrent potentiel de Servier sur le marché du périndopril au seul motif qu’elle produit exclusivement le principe actif entrant dans la composition de ce médicament serait donc non seulement contraire à l’interprétation de la notion de concurrence potentielle exposée aux points 53 à 58 et 88 du présent arrêt, mais reviendrait également à considérer qu’un accord entre ces entreprises visant à ce que Matrix renonce à fournir ce composant à Unichem – ou d’ailleurs à toute entreprise tierce capable de l’affecter à la production d’une version générique du périndopril – et à intégrer ainsi le marché de ce médicament ne pourrait pas être sanctionné au titre d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE constatée sur ce marché. Au vu de l’objet manifestement anticoncurrentiel d’un accord de cette nature par rapport au marché du médicament en cause, ce résultat porterait atteinte à l’effet utile de la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
92 Il découle de ces éléments que le Tribunal n’a commis aucune dénaturation, ni erreur de droit ou de qualification juridique, en considérant, pour les motifs exposés aux points 86 à 95 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu de rejeter les allégations des requérantes critiquant l’analyse commune de la qualité de concurrents potentiels de Niche et de Matrix.
93 La première branche du premier moyen doit, dès lors, également être rejetée, ainsi que l’ensemble du premier moyen.
Sur le deuxième moyen, relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet
Argumentation des parties
94 Par son deuxième moyen, qui se subdivise en trois branches, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission avait pu qualifier l’accord Matrix de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
95 Par la première branche de leur deuxième moyen, les requérantes contestent les motifs exposés aux points 204 et 222 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a considéré que le fait que les clauses de non-commercialisation et de non-contestation stipulées par l’accord Matrix ne dépassaient pas le champ d’application des brevets de Servier ne suffisait pas à écarter la qualification de cet accord de restriction de la concurrence par objet. Cette qualification, soumise à une interprétation restrictive de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, serait réservée aux comportements dont le caractère nocif est, au vu de l’expérience acquise et de la science économique, avéré et facilement décelable. Le Tribunal aurait ainsi méconnu le critère juridique pour établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, tel que défini par la Cour dans l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204).
96 Par la deuxième branche de leur deuxième moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal, au point 199 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en déduisant du paiement effectué par Servier en faveur de Matrix l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.
97 Premièrement, la qualification de restriction de la concurrence par objet implique, de l’avis des requérantes, que cette restriction soit facilement décelable à la lecture des clauses d’un accord. Or, le Tribunal ne se serait pas limité à examiner le libellé des clauses de l’accord Matrix pour retenir une telle qualification. L’approche retenue par le Tribunal signifierait qu’une restriction de la concurrence par objet pourrait être déduite du contexte économique et juridique d’un accord, alors même que l’objectif et le contenu de cet accord ne révèleraient pas en eux-mêmes un objet anticoncurrentiel. Le Tribunal aurait ainsi brouillé la distinction entre les restrictions de la concurrence par objet et les restrictions de la concurrence par effet.
98 Deuxièmement, les requérantes font valoir que l’existence d’un paiement dit « inversé », par le fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, ne peut pas suffire à transformer un banal accord de règlement amiable de litige en matière de brevets en une restriction de la concurrence par objet. En effet, une telle qualification suppose non pas de savoir si le fabricant de médicaments génériques a été incité à conclure un tel accord grâce à un paiement inversé, mais de déterminer si cet accord, par sa nature même, restreint la concurrence. Afin d’apprécier le contexte économique et juridique dans lequel l’accord Matrix s’insère, le Tribunal ne pouvait ignorer l’importance des brevets de Servier. L’existence d’un paiement inversé ne fournirait aucune indication permettant de douter de la validité de ces brevets. Selon les requérantes, Servier aurait pu consentir un paiement inversé malgré sa confiance dans la solidité de ses brevets et les faibles chances, pour Matrix, de commercialiser une version générique de ce médicament.
99 Par la troisième branche de leur deuxième moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a considéré que le paiement inversé avait incité Matrix à ne pas concurrencer Servier.
100 Premièrement, les requérantes font valoir qu’un paiement inversé ne signifie pas que les termes d’un règlement amiable de litige en matière de brevets ne résultent pas d’une évaluation objective de la validité du ou des brevets concernés. Elles affirment que, en l’espèce, Matrix a conclu l’accord Matrix non pas en raison d’un paiement inversé, mais du fait que Niche avait décidé de se retirer de l’accord du 26 mars 2001, privant ainsi Matrix de toute voie d’accès au marché du périndopril.
101 Deuxièmement, les requérantes soutiennent que, en affirmant que Matrix, en l’absence d’un paiement inversé, n’aurait pas accepté la clause de non-commercialisation, le Tribunal aurait considéré que Matrix était prête à prendre le risque de produire un principe actif contrefaisant les brevets de Servier. Toutefois, une telle considération purement hypothétique ne serait étayée par aucune preuve. Au contraire, Matrix aurait fourni des efforts considérables pour développer une version non contrefaisante de ce principe actif.
102 Troisièmement, les requérantes dénoncent les critères utilisés par le Tribunal pour déterminer quels sont les coûts inhérents à un règlement amiable de litige en matière de brevets qui peuvent donner lieu à un paiement inversé. En particulier, il serait fallacieux d’exclure de ces coûts inhérents les frais de recherche et de développement ainsi que les stocks de principes actifs, comme l’a fait le Tribunal au point 216 de l’arrêt attaqué.
103 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
104 Il convient de rappeler que, pour relever de l’interdiction de principe énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser sensiblement le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par effet, chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 62 et 63].
105 Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 159).
106 En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 17).
107 Cette distinction tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 35).
108 Il est vrai, ainsi que l’ont fait valoir les requérantes, que la notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citée).
109 À cet égard, s’agissant du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause, il y a lieu de prendre en considération la nature des produits ou des services concernés ainsi que les conditions réelles qui caractérisent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchés en question. En revanche, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 166).
110 Quant aux buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l’égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).
111 Ainsi, l’appréciation du degré de nocivité économique d’un accord sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de l’accord litigieux, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].
112 Dans ce contexte, il convient également de rappeler qu’un fabricant de médicaments génériques peut, après avoir évalué ses chances d’obtenir gain de cause dans la procédure juridictionnelle qui l’oppose au fabricant du médicament princeps concerné, décider de renoncer à entrer sur le marché en cause et de conclure avec ce dernier un accord de règlement amiable de cette procédure. Un tel accord ne saurait être considéré, dans tous les cas, comme une restriction par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel accord est assorti de transferts de valeur par le fabricant de médicaments princeps au profit d’un fabricant de médicaments génériques ne constitue pas un motif suffisant pour le qualifier de restriction par objet, ces transferts de valeur pouvant s’avérer justifiés. Tel peut être le cas lorsque le fabricant de médicaments génériques perçoit du fabricant de médicaments princeps des sommes correspondant effectivement à la compensation de frais ou de désagréments liés au litige qui les oppose ou correspondant à une rémunération pour la fourniture effective de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 86].
113 Par conséquent, dès lors qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 92].
114 En effet, le règlement amiable d’un tel litige implique que le fabricant de médicaments génériques reconnaisse la validité du brevet en cause, car il renonce à la contester. Il s’ensuit que, au titre d’un paiement dit « inversé », par le fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, seule la prise en charge de tels frais ou la rémunération de tels biens ou services fournis peut être considérée comme étant cohérente par rapport à une telle reconnaissance et, partant, comme étant susceptible d’être justifiée à l’égard de la concurrence.
115 Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifié de manière intégrale par une telle nécessité, il importe de vérifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de déterminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].
116 Par la première branche de leur deuxième moyen, les requérantes critiquent le Tribunal pour avoir considéré que l’accord Matrix pouvait être qualifié de restriction de la concurrence par objet, alors que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation de cet accord n’excédaient pas la portée des brevets de Servier.
117 Certes, un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet peut être conclu, dans un but légitime et en toute légalité, sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité dudit brevet, en l’absence de toute autre circonstance constitutive d’une infraction à l’article 101 TFUE. Un tel accord peut même inclure des clauses de non-contestation et de non-commercialisation dont la portée se limite à celle du brevet en cause, comme le Tribunal l’a, en substance, souligné au point 191 de l’arrêt attaqué. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la suite du raisonnement du Tribunal, et plus particulièrement des points 192 à 202 de cet arrêt, la qualification d’un tel accord de restriction de la concurrence par objet dépend également d’autres caractéristiques de cet accord et des circonstances dans lesquelles il a été conclu, permettant, le cas échéant, de considérer que ledit accord présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.
118 Or, ainsi que le Tribunal l’a jugé, en substance, aux points 192 et 193 de l’arrêt attaqué, la présence de clauses de non-contestation et de non-commercialisation dont la portée se limite à celle du brevet du fabricant de médicaments princeps est susceptible de donner lieu à la qualification de restriction de la concurrence par objet lorsqu’il apparaît que la soumission du fabricant de médicaments génériques à ces clauses n’est pas fondée sur la reconnaissance par celui-ci de la validité de ce brevet mais sur le versement d’un paiement en sa faveur. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 112 à 115 du présent arrêt, le critère permettant de vérifier si un accord tel que l’accord Matrix constitue une restriction de la concurrence par objet consiste à vérifier si les transferts de valeur dits « inversés » du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques constituent la véritable contrepartie de la renonciation, par ce dernier, à entrer sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].
119 La première branche du deuxième moyen doit, dès lors, être rejetée.
120 Dans le cadre de la deuxième branche de leur deuxième moyen, les requérantes avancent, en substance, deux griefs. Par le premier, elles font valoir que le Tribunal ne pouvait pas s’appuyer sur le contexte économique et juridique d’un accord afin de le qualifier de restriction de la concurrence par objet, alors même que l’objectif et le contenu de cet accord ne révèleraient pas en eux-mêmes un objet anticoncurrentiel.
121 Toutefois, il ressort de la jurisprudence visée aux points 108 à 111 du présent arrêt que la qualification de restriction de la concurrence par objet doit reposer non seulement sur une analyse détaillée de l’accord litigieux, mais également de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. C’est pourquoi il convient d’examiner son contenu, sa genèse, ainsi que son contexte juridique et économique, en particulier les caractéristiques spécifiques du marché dans lequel se produiront concrètement ses effets. Ainsi, le fait que les termes d’un accord destiné à mettre en œuvre une pratique collusoire ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, déterminant pour la question de savoir si, au vu du contexte dans lequel il s’inscrit, cet accord restreint la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 23 à 25, ainsi que du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 26). Il s’ensuit que le premier grief est dénué de tout fondement en droit.
122 Par leur second grief, les requérantes soutiennent que l’existence d’un paiement inversé ne devrait pas, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, suffire à justifier la qualification de restriction de la concurrence par objet.
123 Toutefois, il résulte des points 192 à 202 de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas jugé que la seule présence d’un paiement inversé de la part du fabricant de médicaments princeps en faveur d’un fabricant de médicaments génériques suffisait à qualifier un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets de restriction de la concurrence par objet. Le Tribunal a expressément exclu une telle possibilité, notamment au point 208 de cet arrêt. Il a considéré, à ces points 192 à 202, que la présence, dans un tel accord, de clauses de non-contestation et de non-commercialisation, associée à un paiement inversé, peut relever de cette qualification, si ce paiement n’est pas justifié par une autre contrepartie que celle consistant, dans l’engagement par le fabricant de médicaments génériques, à renoncer à concurrencer le fabricant de médicaments princeps titulaire du ou des brevets en cause. Ce faisant, le Tribunal a statué conformément à la jurisprudence visée aux points 112 à 115 du présent arrêt.
124 Dans la mesure où les requérantes invoquent la nécessité d’établir qu’un accord est suffisamment nocif pour le qualifier de restriction de la concurrence par objet, il suffit de relever qu’un arrangement commercial tel que celui en cause en l’espèce n’est pas légitime d’un point de vue concurrentiel précisément parce qu’un paiement inversé tel que celui qui a été versé par Servier à Matrix ne peut s’expliquer, conformément aux constatations factuelles réalisées par le Tribunal à cet égard, que par l’intérêt commercial de Servier et Matrix à ne pas se livrer une concurrence par les mérites.
125 Le second grief repose donc sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué et est dénué de fondement. Il y a lieu, dès lors, de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen.
126 Dans le cadre de la troisième branche de leur deuxième moyen, les requérantes contestent, notamment, les appréciations ayant conduit le Tribunal à considérer que c’est le paiement par Servier de la somme de 11,8 millions de GBP en faveur de Matrix qui a incité cette dernière à conclure l’accord Matrix. Toutefois, au soutien de cette argumentation, les requérantes n’invoquent aucun raisonnement juridique permettant d’identifier une dénaturation des preuves et des éléments de fait constatés par le Tribunal ou une erreur de droit commise par cette juridiction. Elles demandent, en réalité, à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves qui ont été examinées par le Tribunal aux points 210 à 223 de l’arrêt attaqué consacrés à l’examen des prétendues erreurs d’appréciation commises par la Commission lors de la qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par objet. Or, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 77 à 80 du présent arrêt, une telle demande ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi.
127 Dans le cadre de cette troisième branche, seule est recevable l’argumentation par laquelle les requérantes critiquent les critères juridiques retenus par le Tribunal pour identifier les coûts inhérents à un règlement amiable de litige en matière de brevets qui peuvent donner lieu à un paiement inversé.
128 Aux points 213 à 216 de cet arrêt, le Tribunal a considéré, en substance, que, afin de déterminer si un fabricant de médicaments génériques a été incité à accepter des clauses de non-contestation et de non-commercialisation en contrepartie d’un paiement inversé de la part d’un fabricant de médicaments princeps, il convient d’examiner si ce paiement inversé vise à compenser les coûts inhérents au règlement amiable supportés par le fabricant de médicaments génériques. Le Tribunal a précisé que ces coûts incluent, notamment, les frais supportés dans le cadre des litiges faisant l’objet de l’accord de règlement amiable, à condition que ces frais aient été établis par les parties à cet accord et qu’ils ne soient pas disproportionnés par rapport au montant des frais objectivement indispensables à la procédure contentieuse. En revanche, selon l’arrêt attaqué, les coûts inhérents au règlement amiable n’incluent ni la valeur du stock de médicaments contrefaisants ni les frais de recherche et de développement exposés pour mettre au point ces médicaments. Selon cet arrêt, ces coûts excluent également, en principe, les montants dus à titre d’indemnité, notamment de résiliation, au titre de contrats conclus par le fabricant de médicaments génériques avec des tiers.
129 Force est de constater que ces critères correspondent, en substance, à ceux issus de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 112 à 115 du présent arrêt. Sur le fondement de ces critères, le Tribunal a donc pu procéder à l’appréciation des éléments pertinents et considérer, pour les motifs exposés aux points 217 à 222 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait « clairement » des termes mêmes de l’accord Matrix que le paiement par Servier de la somme de 11,8 millions de GBP à Matrix avait constitué la contrepartie de l’acceptation, par cette dernière, des clauses de non-contestation et de non-commercialisation prévues par cet accord.
130 Plus particulièrement, dans la mesure où les requérantes font valoir qu’il serait fallacieux d’exclure des coûts inhérents au règlement à l’amiable les frais de recherche et de développement ainsi que les stocks de principes actifs, comme il ressort du point 167 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Servier e.a./Commission (C‑201/19 P), des paiements de cette nature sont la conséquence directe non pas de la volonté des fabricants de médicaments de régler à l’amiable les litiges ou les différends qui les opposent au sujet de brevets, mais de la renonciation du fabricant de médicaments génériques à entrer sur le marché du médicament concerné. Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, au point 216 de l’arrêt attaqué, en jugeant, en substance, qu’une telle prise en charge ne peut pas être considérée comme étant inhérente à un accord de règlement amiable tel que l’accord Matrix.
131 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter la troisième branche du deuxième moyen et, en conséquence, le deuxième moyen dans son ensemble.
Sur le troisième moyen, relatif à la qualification de restriction de la concurrence par effet
Argumentation des parties
132 Par leur troisième moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal, au point 239 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en rejetant comme étant inopérant le moyen de première instance dirigé contre la qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par effet.
133 Tout en concédant qu’il est superflu d’examiner les effets d’un accord qualifié de restriction de la concurrence par objet, les requérantes font valoir qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, si la décision litigieuse n’est pas intégralement annulée, les constatations de la Commission relatives aux effets anti-concurrentiels de l’accord Matrix s’imposeront aux juridictions nationales, en particulier dans le cadre d’actions en indemnité. Dans ces conditions, le Tribunal aurait dû statuer sur le moyen de première instance relatif à la qualification de restriction de la concurrence par effet. Les requérantes invoquent, à cet égard, une analogie avec ce que la Cour aurait jugé dans son arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 141 et 142).
134 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
135 Il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 105, 109 et 110 du présent arrêt, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs.
136 En l’occurrence, il découle du rejet des premier et deuxième moyens du pourvoi que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a rejeté, au point 231 de l’arrêt attaqué, le moyen de première instance tiré d’erreurs de droit et d’appréciation prétendument commises par la Commission relativement à la qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par objet.
137 Or, il est constant que l’infraction visée à l’article 2 de la décision litigieuse reposait sur la double qualification de l’accord Matrix de restriction de la concurrence par objet et par effet. Dès lors, en jugeant, aux points 236 à 240 de l’arrêt attaqué, que, quand bien même le moyen de première instance par lequel les requérantes contestaient la qualification de restriction de la concurrence par effet de l’accord Matrix aurait été fondé, ce moyen ne pouvait pas entraîner l’annulation du dispositif de ladite décision, le Tribunal s’est limité à tirer les conséquences du caractère alternatif de la condition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, tenant à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ou par effet, conformément à la jurisprudence visée aux points 104, 105, 109 et 110 du présent arrêt. Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les conséquences d’une telle appréciation à l’égard d’une juridiction nationale éventuellement saisie d’une action en réparation du préjudice subi par un tiers du fait de cette infraction, il y a lieu de constater que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en rejetant, au point 240 de l’arrêt attaqué, ledit moyen comme étant inopérant.
138 Il y a lieu, dès lors, de rejeter le troisième moyen.
Sur le quatrième moyen, relatif à l’imputation à Mylan de la responsabilité de l’infraction visée à l’article 2 de la décision litigieuse
Argumentation des parties
139 Par leur quatrième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal, en considérant que la Commission pouvait imputer à Mylan le comportement infractionnel de Matrix à compter du 8 janvier 2007, date à laquelle la participation de la première dans le capital de la seconde a été portée à 71,5 %, a commis une erreur de droit.
140 Selon les requérantes, il incombait à la Commission d’établir que Mylan avait effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement de Matrix au cours de la période infractionnelle comprise entre le 8 janvier 2007 et le 15 septembre 2008. Or, au point 359 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se serait fondé sur des indices tirés des obligations d’autorisation, de consultation, d’information et de consolidation des comptes ainsi que des postes de direction croisés entre Matrix et Mylan. Aucun de ces indices, pris individuellement ou en combinaison, ne permettrait d’établir la preuve de l’exercice d’une telle influence.
141 Ainsi, selon les requérantes, ni l’obligation pour Matrix d’obtenir l’approbation de Mylan pour ses décisions stratégiques, ni le droit pour Mylan d’être consultée et de recevoir des informations de la part de Matrix, ni l’existence de postes de direction croisés entre ces sociétés, ni la consolidation des comptes annuels de Matrix avec ceux de Mylan n’empêchaient Matrix de déterminer de manière autonome son comportement sur le marché.
142 Les requérantes soutiennent en outre que les deux facteurs supplémentaires visés au point 360 de l’arrêt attaqué, à savoir l’intervention de Mylan dans la gestion des filiales de Matrix et la conclusion de contrats entre ces deux sociétés, ne suffiraient pas à établir que Mylan avait effectivement exercé une influence déterminante sur Matrix.
143 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
144 Il importe de rappeler, conformément à la jurisprudence visée aux points 84 et 85 du présent arrêt, que, lorsqu’une entreprise, c’est-à-dire une unité économique, enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. À cet égard, pour retenir la responsabilité d’une entité juridique quelconque relevant d’une unité économique, il est nécessaire que la preuve soit apportée qu’une entité juridique au moins, appartenant à cette unité économique, a violé l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de sorte que l’entreprise constituée par ladite unité économique soit considérée comme ayant commis une infraction à cette disposition (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 42 et jurisprudence citée).
145 Il est ainsi possible d’imputer la responsabilité du comportement d’une filiale à sa société mère lorsque cette dernière n’a pas directement pris part à une infraction, notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, points 131 à 133, et du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 43 ainsi que jurisprudence citée).
146 Aux fins de l’examen du point de savoir si la société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement sur le marché de sa filiale, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à sa société mère et, ainsi, de tenir compte de la réalité économique. Par ailleurs, l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de la filiale peut être déduit d’un faisceau d’éléments concordants, même si aucun de ces éléments, pris isolément, ne suffit pour établir l’existence d’une telle influence (arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, EU:C:2017:21, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).
147 Après avoir, aux points 331 à 334 de l’arrêt attaqué, rappelé ces éléments issus de la jurisprudence de la Cour, le Tribunal a examiné les indices invoqués par la Commission dans la décision litigieuse afin d’établir que, au cours de la période comprise entre le 8 janvier 2007, date à laquelle Mylan a porté sa participation dans le capital de Matrix à 71,5 %, et la fin de l’infraction, cette dernière exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale de Matrix.
148 Aux points 346 à 358 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, premièrement, l’influence de Mylan sur les processus décisionnels de Matrix au regard des obligations d’autorisation, de consultation et d’information qui pesaient sur cette dernière à l’égard de sa société mère ; deuxièmement, les liens organisationnels entre ces deux sociétés, notamment en raison de la composition, des fonctions et des lieux de réunions du conseil d’administration de Matrix ; troisièmement, l’obligation de consolidation des comptes annuels de Mylan avec ceux de Matrix. Si le Tribunal a souligné que ce dernier élément n’était pas, à lui seul, suffisant pour conclure à l’existence d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix, il était néanmoins de nature à conforter les deux autres catégories d’indices mis en lumière par la Commission.
149 Au terme de cette analyse, le Tribunal, au point 359 de l’arrêt attaqué, a considéré, à la lumière de ces trois catégories d’indices, que la Commission avait rapporté à suffisance de droit la preuve de l’exercice effectif par Mylan d’une influence déterminante sur le comportement de Matrix.
150 Il résulte de ces éléments que, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, cette constatation n’est pas entachée d’erreurs de droit et qu’elle suffisait à justifier le rejet du moyen de première instance relatif à l’imputation à Mylan de la responsabilité du comportement de sa filiale Matrix. Dans ces conditions, le grief des requérantes dirigé contre les appréciations figurant au point 360 de l’arrêt attaqué doit être rejeté dans la mesure où ces appréciations revêtent un caractère surabondant.
151 Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter le quatrième moyen.
Sur le cinquième moyen, relatif aux amendes
Argumentation des parties
152 Par leur cinquième moyen, les requérantes font valoir que, en considérant, pour les motifs énoncés aux points 243 à 256 de l’arrêt attaqué, que l’infraction visée à l’article 2 de la décision litigieuse était suffisamment prévisible au moment de la conclusion de l’accord Matrix pour qu’une amende puisse leur être imposée, le Tribunal a méconnu le principe de légalité des délits et des peines, notamment consacré par l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, le principe de sécurité juridique, et l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, en vertu duquel « la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101] ou [102 TFUE] ».
153 À la date de conclusion de l’accord Matrix, il était, de l’avis des requérantes, imprévisible qu’un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets tel que l’accord Matrix puisse être considéré comme étant une restriction de la concurrence par objet. En effet, à cette date, il n’existait ni élément jurisprudentiel ni lignes directrices susceptibles d’indiquer les circonstances dans lesquelles une telle qualification aurait pu être retenue.
154 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
155 Selon la jurisprudence de la Cour, le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C‑266/06 P, EU:C:2008:295, point 39 et jurisprudence citée).
156 Le principe de légalité des délits et des peines ne saurait dès lors être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 41 et jurisprudence citée).
157 La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut–on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 42 et jurisprudence citée).
158 En l’occurrence, aux points 243 à 248 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé cette jurisprudence de la Cour. Aux points 249 à 255 de cet arrêt, il a, en substance, souligné que, compte tenu de la portée de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, Matrix ne pouvait ignorer que, en acceptant de se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation en contrepartie non pas de la reconnaissance de la validité des brevets de Servier, mais d’un paiement en sa faveur et en s’engageant ainsi à l’égard de Servier à renoncer à entrer sur le marché du périndopril en coopération avec Niche ou avec toute autre tierce partie, elle adoptait un comportement prohibé par cette disposition. Il convient, à cet égard, de souligner que le caractère prétendument inédit de la démarche consistant à qualifier de restrictions de la concurrence par objet les comportements à l’origine des infractions constatées n’est pas de nature à remettre en cause une telle qualification.
159 En effet, il n’est nullement requis que le même type d’accords ait déjà été sanctionné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme étant restrictifs de la concurrence par objet, et ce quand bien même ceux-ci interviendraient dans un contexte spécifique tel que celui des droits de propriété intellectuelle. Seules importent les caractéristiques propres de ces accords, dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ces accords, de leurs objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent [arrêts du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission, C‑586/16 P, EU:C:2021:241, points 85 à 87, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, points 130 et 131].
160 Il s’ensuit que les requérantes ne sont pas fondées à invoquer une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, du principe de sécurité juridique et de l’article 23 du règlement no 1/2003.
161 Dans ces conditions, le cinquième moyen doit être rejeté.
162 Aucun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi n’ayant été accueilli, ce dernier doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
163 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
164 La Commission ayant conclu à la condamnation de Mylan Laboratories et de Mylan aux dépens et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.
165 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
166 Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Mylan Laboratories Ltd et Mylan Inc. sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure : l’anglais.