CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 15 juillet 2021 ( 1 )

Affaire C‑725/19

IO

contre

Impuls Leasing România IFN SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Judecătoria Sectorului 2 Bucureşti (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Principe d’effectivité – Procédure d’exécution forcée – Législation nationale empêchant le juge saisi de l’opposition à l’exécution de vérifier le caractère abusif des clauses – Existence d’un recours distinct »

I. Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle formée par la Judecătoria Sectorului 2 Bucureşti (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, Roumanie) porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 2 ). Elle s’inscrit dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée menée sur la base d’un contrat de crédit-bail formant titre exécutoire.

2.

La principale problématique soulevée par la présente affaire est de savoir en substance si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’opposent à une législation nationale qui ne permet pas à une juridiction d’examiner, d’office ou à la demande du consommateur, dans le cadre d’une opposition à exécution, si les clauses d’un contrat de crédit-bail formant titre exécutoire ont un caractère abusif, au motif que le consommateur peut engager une action distincte dans le cadre de laquelle les contrats pourraient être vérifiés sous l’angle de l’existence de clauses abusives.

3.

La Cour est saisie de la présente affaire parallèlement à quatre autres (C‑600/19, C‑693/19, C‑831/19 et C‑869/19) dans lesquelles mes conclusions sont présentées ce jour. Ces affaires sont fondées sur des demandes de décision préjudicielle formées par des juridictions espagnoles et italiennes et portent également sur des questions similaires et potentiellement sensibles concernant la mesure dans laquelle la juridiction nationale est tenue d’examiner d’office (ex officio) le caractère abusif des clauses contractuelles, conformément à la jurisprudence de la Cour interprétant la directive 93/13, ainsi que la relation avec les systèmes procéduraux nationaux.

4.

La présente affaire offre donc à la Cour l’opportunité de développer sa jurisprudence sur le contrôle juridictionnel des clauses abusives au titre de la directive 93/13 dans le cadre de procédures accélérées de recouvrement par des créanciers de dettes de consommateurs dans les États membres.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

5.

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 énonce :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

6.

L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

B.   Le droit roumain

7.

La Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi no 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 560 du 10 novembre 2000), telle que modifiée (ci-après la « loi no 193/2000 ») a transposé en droit roumain la directive 93/13.

8.

L’article 713, paragraphe 2, du Codul de procedură civilă (ci-après le « code de procédure civile »), dans la version actuellement en vigueur à la suite de sa modification par la loi no 310/2018 ( 3 ), énonce :

« Si l’exécution forcée est mise en œuvre en vertu d’un titre exécutoire autre qu’une décision juridictionnelle, des moyens de fait ou de droit relatifs au fond du droit visé dans le titre exécutoire peuvent être invoqués à l’appui de l’opposition uniquement si la loi ne prévoit aucune voie procédurale pour l’annulation de ce titre, y compris une action de droit commun. »

9.

Avant d’être modifié par la loi no 310/2018, l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile avait le contenu suivant :

« Si l’exécution forcée est mise en œuvre en vertu d’un titre exécutoire autre qu’une décision juridictionnelle, des moyens de fait ou de droit relatifs au fond du droit visé dans le titre exécutoire peuvent être invoqués à l’appui de l’opposition uniquement si la loi ne prévoit aucune voie procédurale spécifique pour l’annulation de ce titre. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

10.

Conformément à la décision de renvoi, le 20 août 2008, Impuls Leasing România IFN SA (ci-après « Impuls Leasing »), en sa qualité de bailleur de fonds, a conclu avec IO, agissant en qualité de consommateur et d’utilisateur, un contrat de crédit-bail portant sur le droit d’utiliser un véhicule automobile pour une période de 48 mois.

11.

IO s’est ultérieurement trouvé dans l’impossibilité d’honorer ses obligations de paiement au titre du contrat. Le 19 mars 2010, IO a restitué le véhicule automobile à Impuls Leasing. Le 29 juin 2010, Impuls Leasing a vendu ce véhicule à un tiers pour la somme de 5294,12 euros.

12.

Le 15 octobre 2010, Impuls Leasing a introduit auprès d’un huissier de justice une demande d’exécution forcée à l’encontre de IO sur la base du contrat. Après que la somme de 5168,28 lei roumains (RON) (environ 1200 euros) a été recouvrée, cette procédure d’exécution forcée a pris fin en date du 16 novembre 2016, au motif, semble-t-il, que IO n’avait aucun autre bien saisissable.

13.

Le 26 mars 2019, Impuls Leasing a introduit une nouvelle demande d’exécution forcée à l’encontre de IO par l’intermédiaire d’un autre huissier de justice sur la base du contrat et a sollicité la liquidation des autres créances prétendument dues pour un montant de 137502,84 RON (environ 29000 euros).

14.

Par ordonnance du 12 avril 2019, la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) a approuvé l’exécution forcée à concurrence de cette somme, majorée des frais d’exécution.

15.

Par ordonnance du 8 mai 2019, l’huissier de justice a fixé les frais d’exécution forcée. Le même jour, il a mis en place les mesures d’exécution qui ont été communiquées à IO.

16.

Le 24 mai 2019, IO a formé auprès de la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) une opposition à l’exécution, par laquelle il demandait l’annulation des actes d’exécution forcée établis dans le cadre de ces procédures ainsi que le rétablissement de la situation antérieure à l’exécution du contrat.

17.

La juridiction de renvoi indique que le contrat sur le fondement duquel la procédure d’exécution forcée a été diligentée à l’encontre de IO contient certaines clauses qui pourraient être considérées comme étant abusives au regard de la loi no 193/2000, qui a transposé en droit roumain la directive 93/13. Elle relève en particulier que l’article 10.9.1 du contrat habilite le bailleur de fonds, en cas de retard dans le paiement de tout montant dû par l’utilisateur, à appliquer à l’encontre de celui-ci des pénalités de retard au taux de 0,35 % du montant restant dû par jour de retard, et que c’est au titre de cet article qu’Impuls Leasing réclame un montant de 116723,72 RON (environ 25000 euros), alors que la valeur totale du contrat était de 9232,07 euros. En outre, la juridiction de renvoi relève que l’article 13 du contrat régit l’étendue des dommages-intérêts qui peuvent être demandés par le bailleur de fonds en cas d’inexécution des obligations contractuelles de l’utilisateur et que, sur le fondement de cet article, Impuls Leasing vise à obtenir notamment une indemnisation pour un solde de capital d’un montant de 25155,43 RON (environ 5300 euros) et des factures impayées d’un montant de 13453,96 RON (environ 2800 euros).

18.

La juridiction de renvoi explique qu’en vertu de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, dans sa version antérieure à sa modification par la loi no 310/2018, une juridiction nationale pouvait examiner le caractère abusif des clauses contractuelles des contrats de crédit-bail dans le cadre d’une opposition à l’exécution, s’il n’existait aucune voie procédurale spécifique pour leur annulation au sens de cette disposition. En revanche, en vertu de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, dans sa version actuelle applicable au principal, telle que modifiée par la loi no 310/2018, cette compétence de la juridiction nationale d’examiner le caractère abusif des clauses contractuelles n’existe que lorsqu’il n’y a aucune voie procédurale d’annulation de ces contrats, y compris une action de droit commun. Or, selon la juridiction de renvoi, comme le consommateur dispose, en vertu de la loi no 193/2000, d’une action de droit commun dans le cadre de laquelle les contrats pourraient être vérifiés sous l’angle de l’existence de clauses abusives, il en résulte que la juridiction nationale n’a plus la possibilité d’examiner le caractère abusif des clauses contractuelles dans le cadre de l’opposition à l’exécution.

19.

La juridiction de renvoi observe que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, les mécanismes nationaux d’exécution forcée doivent ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union, conformément au principe d’effectivité. Or, une protection effective de ces droits ne peut être garantie qu’à condition que le système procédural national permette un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses figurant dans le contrat en question, dans le cadre de la procédure d’exécution forcée elle-même. C’est la raison pour laquelle la juridiction de céans doute de la compatibilité avec la directive 93/13 de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, tel que modifié par la loi no 310/2018, puisque les consommateurs sont contraints d’engager une action de droit commun sans avoir la possibilité d’exercer les droits que leur confère la directive 93/13 lorsqu’ils s’opposent à l’exécution forcée.

20.

C’est dans ces circonstances que la Judecătoria Sectorului 2 Bucureşti (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive [93/13] doit-elle être interprétée, au regard du principe d’effectivité, en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que la réglementation roumaine en vigueur relative aux conditions de recevabilité de l’opposition à l’exécution – l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, tel que modifié par la loi no 310/2018 –, qui ne confère pas à une juridiction, dans le cadre d’une opposition à exécution, la possibilité d’examiner, d’office ou à la demande du consommateur, si les clauses d’un contrat de crédit-bail formant titre exécutoire ont un caractère abusif, au motif qu’il existe une action de droit commun dans le cadre de laquelle les contrats conclus entre un “consommateur” et un “professionnel” (vendeur ou fournisseur) pourraient être vérifiés sous l’angle de l’existence de clauses abusives au sens de ladite directive ? »

21.

Impuls Leasing et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Ces parties ainsi que IO et le gouvernement roumain ont pris part à l’audience qui s’est tenue le 27 avril 2021.

IV. Synthèse des observations des parties

22.

Selon IO, la procédure d’exécution forcée constitue une procédure accélérée, non contentieuse, dans laquelle un tribunal rend, en chambre du conseil, sans avoir convoqué les parties, une ordonnance sur l’approbation de l’exécution forcée dans un délai de sept jours à compter de l’introduction du recours. IO met en exergue le fait que le seul moyen de contester l’ordonnance d’approbation de l’exécution forcée est de s’opposer à cette exécution.

23.

Impuls Leasing soutient que la question préjudicielle est irrecevable au motif qu’elle porte sur l’interprétation d’une loi de procédure nationale et allègue, à titre subsidiaire, qu’il n’y a aucune contradiction entre l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, tel que modifié par la loi no 310/2018, et la directive 93/13. Elle estime que l’accès des justiciables à une action de droit commun ne limite pas leurs droits procéduraux et que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, les juridictions ont le droit d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles à la lumière de la directive 93/13, y compris dans le cadre de la procédure d’exécution forcée et que, partant, une protection effective est accordée aux consommateurs.

24.

Le gouvernement roumain soutient que la directive 93/13 ne s’oppose pas à la législation nationale en cause. Il explique que la procédure d’exécution forcée est menée sur le fondement d’une décision juridictionnelle ou d’un titre exécutoire, ce qui englobe les contrats de crédit-bail, comme le contrat en l’espèce ( 4 ). Pour diligenter la procédure d’exécution forcée, le créancier introduit une requête auprès de l’huissier compétent qui demande à la juridiction d’adopter une ordonnance d’approbation de l’exécution forcée. Cette juridiction statue sur l’ordonnance à bref délai, à la suite d’une procédure non contentieuse, sans avoir convoqué les parties. Dans ce contexte, ladite juridiction vérifie la réunion de certaines conditions formelles et ne peut pas refuser l’exécution forcée au motif que le titre exécutoire comporte des clauses abusives.

25.

Le gouvernement roumain relève que le débiteur peut, par la voie d’une opposition à l’exécution forcée, solliciter, dans un délai de quinze jours, l’annulation de l’ordonnance approuvant l’exécution forcée. Cette ordonnance n’étant pas revêtue de la force de l’autorité de chose jugée, elle peut être remise en cause lorsque le débiteur forme une opposition et, comme le caractère abusif des clauses contractuelles ne peut pas être invoqué, y compris dans le délai de quinze jours, il n’est nullement question de prescription. En vertu de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, tel que modifié par la loi no 310/2018, un consommateur comme le débiteur ne peut pas invoquer le caractère abusif de clauses contractuelles dans une opposition à l’exécution forcée, au motif qu’il peut engager une action de droit commun, qui constitue une action distincte, imprescriptible, dans le cadre de laquelle un contrôle juridictionnel des clauses abusives peut intervenir. Le consommateur peut solliciter la suspension de l’exécution forcée dans le cadre de cette action, ce qui n’a pas été envisagé par la Cour dans son ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital ( 5 ). Le gouvernement roumain allègue que, si l’urgence est prouvée, la suspension peut être accordée rapidement et que ce sont les mêmes conditions qui doivent être remplies pour obtenir la suspension de l’exécution forcée dans le cadre de cette action et dans celui d’une opposition à l’exécution forcée. De même, le versement d’une caution dans le cadre de cette action est soumis aux mêmes modalités que dans le cadre d’une opposition à l’exécution forcée.

26.

La Commission soutient que la directive 93/13 s’oppose à la législation nationale en cause. Elle estime que l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, tel que modifié par la loi no 310/2018, crée un risque non négligeable que les consommateurs ne puissent pas bénéficier de la protection garantie par la directive 93/13. Même si l’action de droit commun n’est pas soumise à un délai, elle n’a aucun effet sur la procédure d’exécution forcée qui peut donc être menée à bien et imposée au consommateur avant que le juge n’ait statué sur l’action de droit commun tendant à écarter les clauses abusives. Bien qu’un consommateur puisse demander la suspension de l’exécution forcée dans le cadre de cette action, l’exigence, énoncée à l’article 719, paragraphe 2, du code de procédure civile, du versement d’une caution dont le montant est calculé sur la base de la valeur de l’objet du recours peut impliquer des frais élevés pour le consommateur et le dissuader d’intenter une telle action. Comme la Commission l’a allégué à l’audience, dans la présente affaire, la situation est pire que celle ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital ( 6 ). En effet, en l’espèce, la juridiction nationale n’a la possibilité d’examiner le caractère abusif des clauses contractuelles à aucun stade de la procédure d’exécution forcée et le consommateur est contraint d’engager une procédure juridictionnelle distincte, ce qui est contraire aux exigences énoncées par la jurisprudence de la Cour.

V. Analyse

27.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, interprétés au regard du principe d’effectivité, s’opposent à une législation nationale qui ne confère pas à une juridiction, dans le cadre d’une opposition à exécution, la possibilité d’examiner, d’office ou à la demande du consommateur, si les clauses du contrat formant titre exécutoire ont un caractère abusif, au motif qu’il est possible pour le consommateur de diligenter une procédure distincte dans le cadre de laquelle le contrat peut être vérifié sous l’angle de l’existence de clauses abusives.

28.

Comme le montre la décision de renvoi, cette question résulte du système procédural relatif à la procédure d’exécution forcée prévu dans le droit roumain qui, à la suite de la modification de l’article 713, paragraphe 2, du code civil de procédure par la loi no 310/2018 (voir points 8 et 9 des présentes conclusions), ne confère plus à la juridiction saisie d’une opposition à l’exécution forcée la possibilité d’examiner le caractère abusif des clauses contractuelles, au motif qu’il existe une action distincte devant être introduite par le consommateur et permettant le contrôle juridictionnel des clauses abusives au regard de la directive 93/13.

29.

En vue de répondre à la question soulevée dans la présente affaire, je répondrai tout d’abord aux arguments avancés par Impuls Leasing à propos de la recevabilité de cette question (section A). J’examinerai ensuite la jurisprudence de la Cour concernant l’examen d’office des clauses abusives par la juridiction nationale au titre de la directive 93/13 (section B), ainsi que l’application des principes développés dans cette jurisprudence aux circonstances de la présente affaire (section C).

30.

En me fondant sur cette analyse, je suis arrivé à la conclusion que la question déférée dans la présente affaire est recevable et que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à une législation nationale telle que celle en cause en l’espèce.

A.   Recevabilité

31.

Selon les arguments avancés par Impuls Leasing, la question déférée en l’espèce serait irrecevable, au motif qu’elle porte sur l’interprétation du droit national.

32.

À mon sens, il convient de rejeter ces arguments.

33.

En vertu de la jurisprudence, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Par conséquent, dès lors que la question posée par la juridiction nationale porte sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 7 ).

34.

En l’espèce, puisque la question porte sur l’interprétation de la directive 93/13, la Cour est compétente pour statuer.

35.

Par conséquent, j’estime que la question déférée dans la présente affaire est recevable.

B.   Jurisprudence pertinente de la Cour concernant l’examen d’office des clauses abusives par les juridictions nationales

36.

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 exige des États membres qu’ils prévoient que les clauses abusives ne lient pas le consommateur ( 8 ). L’article 7, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, impose aux États membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 9 ). Ces dispositions ont donné lieu à un important corpus de jurisprudence et je donnerai un aperçu des principes applicables dégagés de cette jurisprudence, concernant l’existence et l’étendue de l’obligation des juridictions nationales d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles, principes qui sont les plus pertinents pour mon analyse de la présente affaire.

1. Existence d’une obligation pour les juridictions nationales de procéder à un examen d’office

37.

Selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux clauses rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci ( 10 ). Afin d’assurer la protection voulue par la directive 93/13, la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat ( 11 ).

38.

Par conséquent, au vu de la nature et de l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ( 12 ). En effet, une telle obligation constitue un moyen propre, à la fois, à atteindre le résultat fixé à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 13 ).

2. Étendue de l’obligation du juge national de procéder à un examen d’office

39.

En vertu d’une jurisprudence également constante, la directive 93/13 oblige les États membres à prévoir un mécanisme assurant que toute clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle puisse être contrôlée afin d’apprécier son caractère éventuellement abusif ( 14 ). En outre, la Cour a mis en exergue le fait que les caractéristiques des procédures qui se déroulent dans le cadre national entre les professionnels et les consommateurs ne sauraient constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier les consommateurs en vertu des dispositions de la directive 93/13 ( 15 ).

40.

Si la Cour a encadré, à plusieurs égards et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière selon laquelle le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’harmonisation du droit de l’Union, les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, à la condition de ne pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) ( 16 ).

41.

En ce qui concerne le principe d’effectivité, il résulte de la jurisprudence de la Cour que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont au fondement du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure ( 17 ).

42.

De surcroît, la Cour a reconnu que le fait que le consommateur ne peut invoquer la protection garantie par la directive 93/13 que s’il engage une procédure juridictionnelle ne saurait être considéré, en soi, comme étant contraire au principe d’effectivité, car cette protection repose sur la prémisse selon laquelle les juridictions nationales sont préalablement saisies par l’une des parties au contrat ( 18 ). Néanmoins, à la lumière de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 et du principe d’effectivité, les moyens adéquats et efficaces visant à empêcher l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent comprendre des dispositions permettant de garantir à ces derniers une protection juridictionnelle effective, qui leur offre la possibilité d’attaquer en justice un tel contrat, y compris dans la phase de l’exécution forcée de celui-ci, et ce dans des conditions procédurales raisonnables, de sorte que l’exercice de leurs droits ne soit pas soumis à des conditions, notamment de délais ou de frais, qui réduisent l’exercice des droits garantis par la directive 93/13 ( 19 ).

43.

En particulier, la Cour a jugé qu’une protection effective des droits conférés au consommateur par la directive 93/13 ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction de payer, un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné ( 20 ). Ainsi, dans l’hypothèse où aucun contrôle d’office par le juge national de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné n’est prévu au stade de l’exécution de l’injonction de payer, une législation nationale doit être considérée comme étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13, si elle ne prévoit pas un tel contrôle au stade de la délivrance de l’injonction ou, lorsqu’un tel contrôle est prévu uniquement au stade de l’opposition contre l’injonction délivrée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la législation nationale ne prévoit pas l’obligation que lui soient communiquées toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits ( 21 ). Par conséquent, la directive 93/13 s’oppose à ce qu’une réglementation nationale permette qu’une injonction de payer soit délivrée sans que le consommateur soit en mesure de bénéficier, à aucun moment de la procédure, de la garantie qu’un contrôle de l’absence de clause abusive sera opéré par un juge ( 22 ).

44.

En outre, la Cour a mis en exergue l’importance de mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de l’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision finale du juge saisi de la procédure au fond correspondante, devant lequel le consommateur allègue le caractère abusif des clauses du contrat duquel résulte l’exécution forcée ( 23 ).

45.

Par exemple, dans l’arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank ( 24 ), la Cour a jugé que la directive 93/13, interprétée à l’aune du principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle la juridiction nationale saisie d’une demande d’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire ne dispose pas, soit à la demande du consommateur, soit d’office, de la possibilité d’examiner si les clauses contenues dans un tel acte ne revêtent pas un caractère abusif, au sens de cette directive, et, sur ce fondement, de suspendre l’exécution forcée sollicitée. En particulier, la Cour a jugé que la possibilité de demander la suspension de l’exécution forcée est subordonnée à la satisfaction de conditions procédurales très strictes ainsi qu’à la constitution d’un dépôt de garantie à la demande du créancier et que de telles exigences rendent, en pratique, quasiment impossible l’obtention d’une telle mesure de suspension, dès lors qu’il est vraisemblable qu’un débiteur en défaut de paiement ne dispose pas des ressources financières nécessaires. De plus, la Cour a souligné que le fait que le contrôle du caractère abusif des clauses peut être opéré uniquement ultérieurement et, le cas échéant, par le juge du fond saisi par le consommateur est manifestement insuffisant pour assurer la pleine effectivité de la protection des consommateurs voulue par la directive 93/13. À défaut pour le juge saisi de la demande d’exécution forcée de pouvoir suspendre celle-ci, il est vraisemblable que la saisie immobilière du bien hypothéqué sera menée à son terme avant le prononcé de la décision du juge du fond, si bien que le consommateur ne bénéficiera de ce fait que d’une protection a posteriori, sous la forme d’une réparation financière, qui revêt un caractère incomplet et insuffisant et ne constitue dès lors pas un moyen adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation d’une clause abusive au titre de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13.

46.

Il convient également de préciser que l’ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital ( 25 ), concernait une procédure d’exécution forcée en droit roumain dans une situation née avant la modification de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile par la loi no 310/2018. Dans cette ordonnance, la Cour a jugé que la directive 93/13 s’oppose à une législation nationale prévoyant un délai de quinze jours au cours duquel le consommateur peut, par la voie de l’opposition à l’exécution forcée, invoquer le caractère abusif de clauses contractuelles, et cela même si ce consommateur dispose, en application du droit national, d’une action en justice distincte dont la mise en œuvre n’est soumise à aucun délai, mais dont la solution est sans effet sur celle qui résulte de la procédure en exécution forcée. La Cour a souligné le fait que, dans l’hypothèse où la procédure d’exécution forcée aboutit avant le prononcé de la décision du juge dans le cadre de la procédure distincte, cette décision ne permettrait d’accorder audit consommateur qu’une protection a posteriori indemnitaire, qui se révélerait incomplète et insuffisante au regard de la directive 93/13, et, partant, contraire aux objectifs énoncés à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive.

47.

Il découle donc de la jurisprudence que je viens de rappeler que la directive 93/13 n’impose pas aux États membres d’adopter un système procédural particulier en vue du contrôle juridictionnel du caractère abusif d’une clause, pour autant qu’ils respectent leurs obligations au titre du droit de l’Union, y compris les principes d’équivalence et d’effectivité, et, partant, qu’ils assurent le contrôle par une juridiction nationale du caractère abusif de toute clause contractuelle, quelle que soit la procédure. Il doit y avoir un contrôle d’office par la première juridiction dans la procédure, ou par la deuxième juridiction, qu’elle soit saisie de l’exécution forcée ou du fond, et ce contrôle doit pouvoir être déclenché par le consommateur pour autant qu’il n’y ait pas de risque significatif que ce dernier ne recoure pas à la voie procédurale particulière, condamnant de la sorte la possibilité d’un contrôle juridictionnel des clauses abusives au titre de la directive 93/13.

48.

C’est à la lumière de ces principes développés dans la jurisprudence de la Cour qu’il convient d’examiner les circonstances de la présente affaire.

C.   Application des principes développés dans la jurisprudence de la Cour aux circonstances de la présente affaire

49.

Comme le montrent la décision de renvoi ainsi que les observations du gouvernement roumain et de la Commission, la procédure d’exécution forcée dans la présente affaire présente les caractéristiques suivantes.

50.

Premièrement, il est constant que, dans le cadre de la procédure d’exécution forcée, aucun contrôle du caractère abusif des clauses contractuelles n’est effectué par une juridiction nationale, d’office ou à la demande des consommateurs. Comme l’a indiqué le gouvernement roumain, la juridiction nationale qui prononce l’ordonnance approuvant l’exécution forcée ne peut pas refuser l’exécution au motif que le contrat formant titre exécutoire comporte des clauses abusives. En outre, en vertu de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, tel que modifié par la loi no 310/2018, le caractère abusif des clauses contractuelles ne peut pas être examiné par la juridiction nationale, d’office ou à la demande du consommateur dans le cadre de la procédure dans laquelle le consommateur conteste l’exécution forcée.

51.

Deuxièmement, pour que le contrat formant titre exécutoire puisse être examiné par une juridiction nationale sous l’angle de l’existence de clauses abusives, le consommateur est tenu d’engager une procédure distincte dont la mise en œuvre n’est soumise à aucun délai.

52.

Troisièmement, la suspension de l’exécution forcée est possible dans l’hypothèse où le consommateur engage une procédure distincte.

53.

Quatrièmement, la suspension de l’exécution forcée dans l’attente du prononcé d’un jugement définitif par la juridiction n’est pas accordée automatiquement. Dans cette procédure, le consommateur peut demander la suspension de l’exécution forcée, qui est soumise à la satisfaction de conditions juridiques, et en particulier à la preuve de l’urgence si la suspension est demandée rapidement, ainsi qu’au versement d’une caution qui est calculée sur la base de la valeur de l’objet du recours, conformément aux observations de la Commission qui n’ont pas été démenties par le gouvernement roumain.

54.

Puisque, en l’espèce, aucun élément ne suscite des doutes au regard du principe d’équivalence, le seul point à examiner est la conformité de la législation nationale en cause au principe d’effectivité.

55.

Je me dois de signaler d’emblée qu’il existe des raisons impérieuses de penser, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour, que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à la législation nationale en cause.

56.

En premier lieu, il convient de relever que, à aucun stade de la procédure d’exécution forcée, un contrôle du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat formant titre exécutoire n’est mené par une juridiction nationale, d’office ou à la demande du consommateur.

57.

En second lieu, il apparaît qu’il existe un risque non négligeable que les consommateurs concernés puissent être dissuadés d’engager une procédure distincte et de demander la suspension de l’exécution forcée en raison des frais que la procédure entraînerait, ou parce qu’ils ignorent ou ne comprennent pas l’étendue de leurs droits.

58.

À cet égard, il me semble qu’un consommateur est susceptible d’être dissuadé de former une demande de suspension de l’exécution forcée, car il est soumis au versement d’une caution qui est calculée sur la base de la valeur de l’objet du recours. Une telle exigence peut être considérée comme rendant, en pratique, quasiment impossible l’obtention d’une telle mesure de suspension, dès lors qu’il est vraisemblable qu’un débiteur en défaut de paiement ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour constituer la garantie requise. En effet, une telle exigence a pour conséquence qu’il sera d’autant plus probable que le consommateur sera peu enclin à solliciter la suspension de l’exécution forcée ou qu’il ne sera pas en mesure de le faire, que sera élevée la valeur de l’objet du recours formé par le créancier, qui peut être fondé sur des clauses dont il est affirmé qu’elles sont abusives – comme l’illustre la présente affaire dans laquelle la valeur de l’objet des recours formés excède largement la valeur totale du contrat, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi (voir point 17 des présentes conclusions).

59.

Dans ces circonstances, au vu de la jurisprudence de la Cour telle qu’elle a été évoquée aux points 45 et 46 des présentes conclusions, j’estime qu’il semble vraisemblable que la procédure d’exécution forcée sera menée à son terme avant que la juridiction statue dans le cadre de la procédure distincte, si bien que les consommateurs concernés ne bénéficieront de ce fait que d’une protection a posteriori qui revêt un caractère incomplet et insuffisant et ne constitue dès lors pas un moyen adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation d’une clause abusive au titre de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13. Par conséquent, je partage le point de vue de la Commission selon lequel il existe un risque réel que la déclaration par la juridiction du caractère abusif des clauses contractuelles soit tardive et inopérante, si elle intervient uniquement au moyen d’une procédure distincte.

60.

En outre, il est vrai que, comme l’a indiqué le gouvernement roumain, la Cour n’a pas envisagé la possibilité de la suspension de l’exécution forcée dans l’ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital ( 26 ), mentionnée au point 46 des présentes conclusions. Cependant, à mon sens, cela n’invalide pas pour autant le fait que, en vertu de la législation nationale en cause dans la présente affaire – qui n’était pas en cause dans cette ordonnance –, le contrôle du caractère abusif des clauses du contrat formant titre exécutoire est opéré, non pas par la juridiction nationale dans le cadre de la procédure d’exécution forcée, mais uniquement ultérieurement et, le cas échéant, par la juridiction nationale du fond, saisie dans le cadre d’une procédure distincte engagée par le consommateur, si bien qu’il peut être considéré comme étant manifestement insuffisant pour assurer la pleine effectivité de la protection du consommateur voulue par la directive 93/13.

61.

Par conséquent, il y a lieu d’admettre que la législation nationale en cause va à l’encontre du principe d’effectivité en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile l’obtention de la protection conférée aux consommateurs par la directive 93/13.

62.

Je conclus donc que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à une législation nationale telle que celle en cause au principal.

VI. Conclusion

63.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par la Judecătoria Sectorului 2 Bucureşti (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, Roumanie) :

L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés, au regard du principe d’effectivité, en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui ne confère pas à une juridiction, dans le cadre d’une opposition à exécution, la possibilité d’examiner, d’office ou à la demande du consommateur, si les clauses d’un contrat de crédit-bail formant titre exécutoire ont un caractère abusif, au motif que le consommateur peut engager une action distincte dans le cadre de laquelle les contrats pourraient être vérifiés sous l’angle de l’existence de clauses abusives au sens de cette directive.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) JO 1993, L 95, p. 29.

( 3 ) Legea nr. 310/2018 pentru modificarea și completarea Legii nr. 134/2010 privind Codul de procedură civilă, precum și pentru modificarea și completarea altor acte normative (loi no 310/2018 modifiant et complétant la loi no 134/2010 portant code de procédure civile, ainsi que d’autres actes normatifs) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1074 du 18 décembre 2018) (ci-après la « loi no 310/2018 »), entrée en vigueur le 21 décembre 2018.

( 4 ) Le gouvernement roumain indique que des réformes législatives récentes qui ne sont pas applicables ratione temporis à la procédure principale ont mis fin à la nature exécutoire des contrats de crédit-bail conclus avec un consommateur.

( 5 ) C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950.

( 6 ) C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950.

( 7 ) Voir arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH (C‑19/20, EU:C:2021:341, point 64).

( 8 ) Voir arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland (C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 57). Voir aussi vingt-et-unième considérant de la directive 93/13. Comme l’a indiqué la Cour, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive est une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers. Voir arrêt du 11 mars 2020, Lintner (C‑511/17, EU:C:2020:188, point 24).

( 9 ) Voir arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale (C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 52).

( 10 ) Voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 25), et du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia (C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 49).

( 11 ) Voir arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659, point 48), et du 11 mars 2020, Lintner (C‑511/17, EU:C:2020:188, point 25).

( 12 ) Voir arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350, points 31 et 32), ainsi que du 4 juin 2020, Kancelaria Medius (C‑495/19, EU:C:2020:431, point 37).

( 13 ) Voir arrêt du 9 juillet 2015, Bucura (C‑348/14, non publié, EU:C:2015:447, point 42).

( 14 ) Voir arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch (C‑125/18, EU:C:2020:138, point 44).

( 15 ) Voir arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová (C‑377/14, EU:C:2016:283, point 50).

( 16 ) Voir arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank (C‑407/18, EU:C:2019:537, points 45 et 46).

( 17 ) Voir arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia (C‑485/19, EU:C:2021:313, point 53).

( 18 ) Voir arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, point 63).

( 19 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank (C‑407/18, EU:C:2019:537, point 57).

( 20 ) Voir arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 44), et ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital (C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950, point 25).

( 21 ) Voir arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko (C‑448/17, EU:C:2018:745, point 46 et point 2 du dispositif), ainsi que ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital (C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950, point 26). À cet égard, la Cour a considéré que des frais de justice élevés sont en eux-mêmes de nature à dissuader un consommateur de former opposition à l’exécution forcée ou d’engager une action pour faire respecter les droits fondés sur la directive 93/13. Voir arrêts du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 68), et du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, points 98 et 99).

( 22 ) Voir arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko (C‑448/17, EU:C:2018:745, point 49), et ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital (C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950, point 28).

( 23 ) Voir arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, points 44 et 45).

( 24 ) C‑407/18, EU:C:2019:537, en particulier points 60 à 63 et 68.

( 25 ) C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950, en particulier points 29 à 34.

( 26 ) C‑75/19, non publiée, EU:C:2019:950.