DOCUMENT DE TRAVAIL
ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)
11 juillet 2019 (*)
« Recours en annulation – Aides d’État – Loi portant 16e révision de la loi sur l’énergie nucléaire (Atomgesetz) – Mise en œuvre d’un arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale allemande) – Sociétés exploitant des centrales nucléaires – Arrêt d’exploitation – Compensation financière de quantités d’électricité non produites – Lettre de la Commission – Absence de nécessité de notification formelle au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T‑674/18,
Vattenfall Europe Nuclear Energy GmbH, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Mes U. Karpenstein et R. Sangi, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre de la Commission, du 4 juillet 2018, signée par le directeur général adjoint de la direction générale de la concurrence de la Commission et adressée à la République fédérale d’Allemagne,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend la présente
Ordonnance
Antécédents du litige
1 La requérante, Vattenfall Europe Nuclear Energy GmbH, est une société établie à Hambourg (Allemagne), contrôlée par la société holding Vattenfall GmbH, dont l’objet social consiste, notamment, en la participation, en tant qu’associé gérant, dans des sociétés exploitant des centrales nucléaires situées dans le Land du Schleswig-Holstein (Allemagne). La requérante détient 50 % des parts sociales de Kernkraftwerk Krümmel GmbH & Co. oHG, la société exploitant la centrale nucléaire de Krümmel, située à Geesthacht (Allemagne), les autres 50 % étant détenus par E.ON Kernkraft GmbH, devenue PreussenElektra GmbH, contrôlée par le groupe E.ON. En outre, la requérante détient 66,6 % des parts sociales de Kernkraftwerk Brunsbüttel GmbH & Co. oHG, la société exploitant la centrale nucléaire de Brunsbüttel (Allemagne), les 33,3 % restants étant détenus également par PreussenElektra. Cette dernière a, elle aussi, pour objet social, notamment, l’exploitation de centrales nucléaires en Allemagne, dont, outre celles de Krümmel et de Brunsbüttel, celles de Brokdorf, également située dans le Land du Schleswig-Holstein, de Grohnde, située dans le Land de Basse‑Saxe (Allemagne), et celle d’Isar 2, située dans le Land de Bavière (Allemagne).
2 Au titre du Gesetz zur geordneten Beendigung der Kernenergienutzung zur gewerblichen Erzeugung von Elektrizität (loi relative à l’arrêt ordonné de l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la production industrielle d’électricité), du 22 avril 2002 (BGBl. 2002 I, p. 1351, ci-après la « loi de 2002 »), le législateur fédéral allemand a modifié l’Atomgesetz [loi sur l’énergie nucléaire du 15 juillet 1985 (BGBl. 1985 I, p. 1565), ci-après l’« AtG »]. Par la loi de 2002, les centrales nucléaires de Krümmel et de Brunsbüttel se sont vu attribuer, à titre d’autorisations d’exploitation, des quantités d’électricité ou de courant résiduelles à concurrence, respectivement, de 158,22 térawattheures (TWh) et de 47,67 TWh (voir annexe 3, deuxième colonne, de l’AtG exposant les quantités d’électricité au titre de l’article 7, paragraphe 1a, de l’AtG). En vertu des contrats de société conclus entre la requérante et PreussenElektra, en tant qu’associés des sociétés exploitant les centrales nucléaires de Krümmel et de Brunsbüttel, conformément à l’article 120 du Handelsgesetzbuch (code de commerce allemand), les bénéfices sont distribués entre lesdits associés au prorata du pourcentage de leur participation.
3 À la suite du tremblement de terre qui s’est produit au Japon en mars 2011 et de ses effets sur la centrale nucléaire de Fukushima (Japon), ainsi que d’une nouvelle évaluation des risques liés à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire [voir Deutscher Bundestag (Parlement fédéral allemand), document 17/6070 du 6 juin 2011, p. 5], le législateur fédéral a adopté, le 31 juillet 2011, la Dreizehntes Gesetz zur Änderung des Atomgesetzes (loi portant 13e révision de l’AtG) (BGBl. 2011 I, p. 1704).
4 En vertu du nouvel article 7, paragraphe 1a, première phrase, de l’AtG (ci-après la « disposition litigieuse »), les autorisations d’exploitation, notamment, des centrales nucléaires de Brunsbüttel et de Krümmel expirent lorsque la quantité d’électricité qui leur a été impartie est produite et au plus tard le 6 août 2011. En revanche, les autorisations d’exploitation des centrales nucléaires de Grohnde et de Brokdorf n’expirent que le 31 décembre 2021 et celle de la centrale nucléaire d’Isar 2 le 31 décembre 2022. Par suite, plusieurs entreprises d’approvisionnement en énergie, dont la requérante, ont saisi le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) par des recours en inconstitutionnalité contre la disposition litigieuse.
5 Par arrêt du 6 décembre 2016 (affaires 1 BvR 2821/11, 321/12 et 1456/12, BVerfGE 143, 246), le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale), d’une part, a déclaré la disposition litigieuse partiellement incompatible avec le droit de propriété, tel que garanti par l’article 14, paragraphe 1, du Grundgesetz (Loi fondamentale allemande), dans la mesure où elle ne garantissait pas l’exploitation pour l’essentiel complète des quantités d’électricité imparties aux centrales nucléaires en vertu de l’annexe 3, deuxième colonne, de l’AtG et n’accordait pas de compensation appropriée à cet égard (BVerfGE 143, 246, point 1 du dispositif), et, d’autre part, a imposé au législateur fédéral d’adopter une nouvelle réglementation à cet effet jusqu’au 30 juin 2018 au plus tard tout en maintenant l’applicabilité de la disposition litigieuse jusqu’à l’adoption de cette nouvelle réglementation (point 4 du dispositif).
6 Au soutien de son arrêt, dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de la disposition litigieuse, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) a tenu compte de la situation des propriétaires des différentes centrales nucléaires en adoptant une « perspective intra-groupe » (BVerfGE 143, 246, points 310, 318 et suivants). En substance, elle a constaté l’existence d’une atteinte particulièrement grave au droit de propriété de la requérante et de la société RWE Power AG. Cette atteinte reposerait, d’une part, sur l’impossibilité pour ces sociétés de valoriser les quantités de courant résiduelles imparties par la loi de 2002, qui, en raison des dates limites pour l’exploitation des centrales nucléaires concernées, ne pouvaient plus être exploitées de manière interne au groupe et, d’autre part, sur le désavantage concurrentiel pour elles qui en résultait à l’égard des sociétés concurrentes E.ON Kernkraft et Energie Baden-Württemberg AG disposant d’une capacité de production d’électricité supérieure à ce qui était nécessaire à la valorisation de leurs quantités de courant résiduelles de 2002, sans que ce désavantage ne soit suffisamment justifié (BVerfGE 143, 246, points 310, 329 et suivants, 347 et 349).
7 S’agissant de la situation de la requérante, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) a précisé, en substance, que, notamment du fait des quantités de courant résiduelles substantielles imparties à la centrale nucléaire de Krümmel, la requérante ne sera plus en mesure de produire, selon les prévisions, 46 651 GWh ou 45 890 GWh sur les quantités de courant résiduelles imparties en 2002 qui correspondaient à la production moyenne d’une centrale nucléaire pendant environ quatre ans et demi. Il serait donc probable qu’environ 30 % des quantités de courant résiduelles initialement imparties au groupe de la requérante ne pourront plus être produites au sein dudit groupe. Selon le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale), en mettant en corrélation ce déficit de production avec les quantités de courant résiduelles dont la requérante disposait fin 2010, soit 70 273 GWh, la part des quantités d’électricité ne pouvant plus être produites s’élève même à 66 %. Ainsi, les atteintes causées par la loi portant 13e révision de l’AtG aux droits de la requérante à exploiter ses centrales nucléaires, concrétisés par les quantités de courant résiduelles imparties en 2002, seraient déjà très graves d’un point de vue quantitatif. Le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) a également relevé à cet égard que le déficit de production d’électricité lié à la centrale nucléaire de Krümmel qui était attribuable à la requérante s’élevait, au prorata de sa participation de 50 % dans la société exploitant ladite centrale, à 44 122,55 GWh (BVerfGE 143, 246, points 322, 331 et 351).
8 Pour mettre en œuvre les exigences posées par l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) du 6 décembre 2016, le ministère fédéral de l’environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire allemand a élaboré un projet de 16e révision de l’AtG visant à accorder des compensations financières, notamment, aux titulaires des autorisations d’exploitation des centrales nucléaires de Brunsbüttel et de Krümmel.
9 Par lettre du 11 mai 2018, adressée au ministère fédéral de l’environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire, la requérante a fait valoir, en substance, que, dans sa version actuelle, le projet de 16e révision de l’AtG était susceptible d’accorder une compensation financière non seulement à la requérante, mais également à PreussenElektra, ce qui donnerait lieu à une nouvelle violation du droit de propriété et du principe d’égalité au détriment de la requérante et, le cas échéant, à l’octroi d’une aide d’État à une entreprise n’ayant pas droit à une telle compensation.
10 Le 14 mai 2018, au titre de contacts de prénotification, conformément au code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d’État (JO 2009, C 136, p. 13, ci-après le « code de bonnes pratiques »), les autorités allemandes ont informé la Commission européenne du projet de 16e révision de l’AtG. Au cours de ces contacts bilatéraux, la Commission a demandé aux autorités allemandes de fournir des renseignements supplémentaires, notamment concernant l’identification des ayants-droits de la compensation financière prévue.
11 Par la lettre COMP.B3.JK/JG/kd*D*2018/082136, du 4 juillet 2018, signée par le directeur général adjoint de la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission (ci-après la « lettre litigieuse »), la Commission a indiqué aux autorités allemandes que, eu égard aux informations fournies par lesdites autorités, elle considérait que, au vu du projet de loi portant 16e révision de l’AtG, celle-ci visait exclusivement à mettre en œuvre les exigences posées par l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) du 6 décembre 2016 relatives à la compensation financière des entreprises concernées par la loi portant 13e révision de l’AtG.
12 Selon cette même lettre, les services de la Commission partent du principe que, conformément aux principes reconnus dans l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457), il n’y a pas lieu de notifier formellement, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la loi issue du projet de loi portant 16e révision de l’AtG.
13 Il y est précisé que cette appréciation des services de la Commission concerne uniquement le contenu de la règle de compensation prévue par la loi portant 16e révision de l’AtG. Aucun calcul individuel complet des compensations à verser aux différentes entreprises n’étant intervenu à ce jour, il ne serait pas encore possible d’apprécier dans quelle mesure de tels calculs individuels seront, eux aussi, en conformité avec les principes prévus par ladite loi et, partant, également exempts de notification au titre du droit des aides.
14 Enfin, il est relevé que, indépendamment de cette appréciation, en cas de plainte formelle déposée à l’avenir dans le cadre de la présente affaire, les services de la Commission sont bien entendu tenus d’effectuer un examen au titre du droit des aides.
15 Sur proposition du gouvernement fédéral [voir Deutscher Bundestag (Parlement fédéral), document 205/18 du 24 mai 2018], le législateur fédéral a adopté, le 10 juillet 2018, la Sechzehntes Gesetz zur Änderung des Atomgesetzes (loi portant 16e révision de l’AtG) (BGB1. I. 2018, 1122).
16 Aux termes du nouvel article 7f de l’AtG, sous le titre « Compensation de quantités d’électricité », introduit par l’article 1 de la loi portant 16e révision de l’AtG :
« (1) Les titulaires des autorisations d’exploitation des centrales nucléaires de Brunsbüttel, de Krümmel et de Mülheim-Kärlich [Allemagne] ont droit à une compensation financière appropriée, dans la mesure où les quantités d’électricité [qui leur étaient] initialement imparties [...] ne seront ni produites avant le 31 décembre 2022 ni transférées à une autre centrale nucléaire. Cette compensation est limitée à deux tiers des quantités visées à la première phrase pour la centrale nucléaire de Brunsbüttel et à la moitié de ces quantités pour la centrale nucléaire de Krümmel. La compensation est subordonnée au fait que l’ayant-droit prouve qu’il s’est, dès le 4 juillet 2018 et avant le 31 décembre 2022, sérieusement efforcé de procéder, dans des conditions appropriées, conformément à l’article 7, paragraphe 1b, à un transfert des quantités d’électricité ouvrant droit à compensation.
(2) Le montant de la compensation est déterminé sur la base du prix de marché de l’électricité moyen entre le 6 août 2011 et le 31 décembre 2022, duquel il convient de déduire les coûts de production d’électricité attendus au cours de cette période en tenant également compte des frais généraux. La disparition de risques d’exploitation, de risques d’investissement et de risques de commercialisation doit être dûment prise en considération dans le cadre de la détermination du montant de la compensation [...] »
17 Selon le nouvel article 7g, paragraphe 2, de l’AtG, la demande de compensation doit être introduite auprès du ministère fédéral compétent pour la sécurité nucléaire et la protection contre les radiations dans un délai d’un an à partir du 31 décembre 2022.
18 L’article 3 de la loi portant 16e révision de l’AtG dispose :
« La présente loi entre en vigueur le jour où la Commission européenne accorde l’autorisation au titre du droit des aides ou annonce de manière contraignante qu’une telle autorisation n’est pas nécessaire ; le ministère compétent pour la sécurité nucléaire et la protection contre les radiations publie la date de l’entrée en vigueur dans le Bundesgesetzblatt. »
19 Le 11 juillet 2018, le ministère fédéral de l’environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire a fait paraître la publication suivante au Bundesgesetzblatt (BGB1. 2018 I, p. 1124) :
« Conformément à l’article 3 de loi portant 16e révision de l’AtG du 10 juillet 2018 (BGBl. 2018 I, p. 1122), il est communiqué que, par lettre du 4 juillet 2018, la Commission a annoncé de manière contraignante qu’une autorisation au titre du droit des aides n’était pas nécessaire et que la loi portant 16e révision de l’AtG est, dès lors, entrée en vigueur avec effet au 4 juillet 2018. »
20 Après avoir refusé de communiquer à la requérante, à la suite de sa demande, une copie de la lettre litigieuse, au motif que le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9) ne prévoyait pas de droit d’accès au dossier, et avoir invité la requérante à confirmer si cette demande pouvait être traitée sur le fondement du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), ce que la requérante a confirmé, la Commission lui a transmis la copie de la lettre litigieuse le 9 octobre 2018.
21 Jusqu’à la date de l’introduction du présent recours, la requérante n’avait pas déposé de plainte auprès de la Commission, au sens de l’article 24 du règlement 2015/1589, contre la règle de compensation financière prévue à l’article 7f, paragraphe 1, de l’AtG, dans la mesure où cette règle est de nature à bénéficier également à PreussenElektra.
Procédure et conclusions des parties
22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 novembre 2018, la requérante a formé le présent recours.
23 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 8 février 2019, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 28 février 2019.
24 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 mars 2019, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.
25 Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la lettre litigieuse ;
– condamner la Commission aux dépens.
26 Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;
– condamner la requérante aux dépens.
27 Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.
En droit
28 En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.
29 En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.
30 Selon la Commission, le recours est manifestement irrecevable, en ce que, d’une part, il n’est pas dirigé contre un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE et, d’autre part, la requérante ne justifie pas d’un intérêt à agir.
31 Le Tribunal estime nécessaire d’apprécier en premier lieu si la lettre litigieuse constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
32 À cet égard, la requérante avance, en substance, que les autorités allemandes ont considéré la lettre litigieuse comme étant juridiquement obligatoire, d’une part, en faisant dépendre l’entrée en vigueur de la loi portant 16e révision de l’AtG du fait que la Commission « annonce de manière contraignante » que cette loi ne contient pas d’éléments d’aide d’État et n’est, partant, pas soumise à l’obligation de notification, et, d’autre part, en qualifiant la lettre litigieuse de « contraignante » dans la communication publiée dans le Bundesgesetzblatt informant de l’entrée en vigueur de ladite loi. Selon la requérante, cette approche n’a été adoptée ni sans raison ni sans contrôle, et elle s’abstient de présumer que les autorités allemandes ont publié de fausses informations dans le Bundesgesetzblatt concernant la nature juridique de la lettre litigieuse. Si ladite lettre devait néanmoins être qualifiée de non contraignante, la requérante se réserve le droit de déposer une plainte auprès de la Commission ou de saisir les juridictions nationales.
33 Il ressort d’une jurisprudence constante que sont considérées comme des « actes attaquables » au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions de l’Union, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires. Pour déterminer si un acte attaqué produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à sa substance. Ces effets doivent être appréciés en fonction de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier, ainsi que des pouvoirs de l’institution auteur (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, points 54 et 55 et jurisprudence citée, et du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C‑599/15 P, EU:C:2017:801, points 47 et 48).
34 En outre, dans le cas d’un recours en annulation formé par une personne physique ou morale, comme en l’espèce, il est nécessaire que les effets juridiques obligatoires de l’acte attaqué soient de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 37 et jurisprudence citée).
35 En l’espèce, la forme de la lettre litigieuse – à savoir, en particulier, le fait qu’elle ne prenne pas la forme d’une décision formelle au sens de l’article 4 du règlement 2015/1589 et qu’elle soit signée par le seul directeur général adjoint de la DG « Concurrence » – n’étant pas déterminante, il y a lieu de vérifier sa substance pour apprécier si elle produit des effets juridiquement contraignants à l’égard de la requérante, en tenant compte de critères objectifs, tels que son libellé, son contenu, le contexte dans lequel elle s’inscrit et l’intention de son auteur.
36 En premier lieu, s’agissant du libellé et du contenu de la lettre litigieuse, ainsi que le souligne la Commission, ses services s’y sont limités à considérer, d’une part, que la loi portant 16e révision de l’AtG visait exclusivement à mettre en œuvre les exigences posées par l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) du 6 décembre 2016 relative à la compensation financière des entreprises concernées par la loi portant 13e révision de l’AtG, et, d’autre part, qu’une telle règle de compensation ne nécessite, conformément aux principes reconnus dans l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24), pas de notification formelle en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En même temps, il ressort expressément du libellé et du contenu de la lettre litigieuse que cette appréciation ne concerne pas le « calcul individuel complet » de compensations à verser ultérieurement sur le fondement de la règle de compensation prévue à l’article 7f de l’AtG. En outre, l’absence de prise de position définitive de la Commission est confirmée par le fait qu’elle souligne explicitement que ses services seraient tenus de réaliser un examen au titre du droit des aides dans l’hypothèse de l’introduction d’une plainte formelle.
37 Il s’ensuit que ni le libellé ni le contenu de la lettre litigieuse n’indiquent que la Commission s’est prononcée de manière juridiquement contraignante sur l’absence ou sur l’éventuelle existence d’une aide d’État pouvant être octroyée à l’avenir à PreussenElektra en application de l’article 7f de l’AtG. Au contraire, dans cette lettre, elle s’est bornée à constater la conformité de la règle de compensation en tant que telle avec le principe reconnu dans l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24), selon lequel une condamnation d’une autorité nationale à verser des dommages-intérêts à des particuliers afin de réparer un préjudice qu’elle leur aurait causé ne saurait être assimilée à l’octroi d’une aide d’État qui revêt une nature juridique fondamentalement différente. Or, en l’espèce, il n’est pas contesté par les parties que la compensation prévue par l’article 7f de l’AtG, de même que celle envisagée par l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) du 6 décembre 2016, vise a priori un tel dédommagement en raison d’une violation du droit de propriété garanti par l’article 14 de la Loi fondamentale allemande.
38 À cet égard, la Commission avance, en substance, à juste titre que, conformément à l’article 7g, paragraphe 2, de l’AtG, le calcul d’une telle compensation ne peut s’effectuer que sur demande introduite, dans un délai d’un an, à partir du 31 décembre 2022. En effet, compte tenu des conditions d’octroi d’une compensation financière au titre de l’article 7f, paragraphe 1, de l’AtG, incluant la preuve par le demandeur qu’il s’est « sérieusement efforcé de procéder, dans des conditions appropriées, conformément à l’article 7, paragraphe 1b, [de l’AtG,] à un transfert des quantités d’électricité ouvrant droit à compensation » à une autre centrale nucléaire, les quantités de courant résiduelles non produites susceptibles d’être compensées seront connues seulement après la fin de l’exploitation de la dernière centrale nucléaire en Allemagne, le 31 décembre 2022.
39 En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel la lettre litigieuse s’inscrit, la Commission a rappelé, sans avoir été contredite par la requérante, que ladite lettre était intervenue dans le cadre de contacts bilatéraux informels de « prénotification » entre la Commission et les autorités allemandes, conformément aux dispositions pertinentes du code de bonnes pratiques. Or, eu égard aux considérations exposées aux points 36 et 37 ci-dessus, force est de constater que le contenu de la lettre litigieuse correspond pour l’essentiel aux critères indiqués au point 16 dudit code selon lesquels « les services de la Commission s’efforceront de fournir à l’État membre concerné une appréciation préliminaire informelle du projet à la fin de la phase de prénotification » et « [c]et avis non contraignant ne constituera pas une position officielle de la Commission, mais une indication informelle des services de la Commission [...] ».
40 En troisième lieu, s’agissant de l’intention poursuivie par les services de la Commission en ayant adopté et communiqué aux autorités allemandes la position exprimée dans la lettre litigieuse, cette intention découle clairement tant du libellé et du contenu de ladite lettre que du contexte dans lequel elle s’inscrit, à savoir celui de contacts bilatéraux informels de prénotification. En particulier, il ressort clairement de ce contexte que les services de la Commission avaient l’intention, d’une part, de limiter leur appréciation à celle de la règle de compensation prévue à l’article 7f de l’AtG en tant que telle, à l’aune de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) du 6 décembre 2016, et, d’autre part, de ne pas prendre position sur un éventuel versement ultérieur de compensations financières sur son fondement, et moins encore sur l’octroi d’une aide d’État qui serait liée à la manière dont ladite règle pourrait être mise en œuvre à l’avenir. Ce faisant, lesdits services ont souligné le caractère non définitif de leur examen à cet égard, notamment dans l’hypothèse de l’introduction d’une plainte formelle, non encore intervenue, mais qui serait de nature à engager une procédure amenant la Commission à adopter une décision au titre de l’article 4 du règlement 2015/1589 (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2017, DEI/Commission, C‑228/16 P, EU:C:2017:409, point 29 et jurisprudence citée).
41 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que, sous aucun aspect objectif pertinent, il n’est possible d’attribuer à la lettre litigieuse un caractère juridiquement contraignant à l’égard de la requérante, de sorte qu’il ne s’agit pas d’un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
42 Cette appréciation qui repose sur les critères pertinents relevant du droit de l’Union rappelés aux points 33 à 34 ci-dessus n’est remise en question ni par le fait que la loi portant 16e révision de l’AtG fait dépendre son entrée en vigueur d’une déclaration contraignante de la Commission au titre du droit des aides, ni par celui que les autorités allemandes ont qualifié cette lettre, à tort, de « juridiquement contraignante » pour constater et communiquer cette entrée en vigueur dans le Bundesgesetzblatt (voir points 18 et 19 ci-dessus). En effet, ni la législation nationale édictée à cet effet ni l’appréciation des autorités nationales n’est susceptible d’affecter la véritable nature et portée d’un acte de l’Union, y compris son caractère juridiquement contraignant ou non, sous peine de porter atteinte à l’autonomie et à l’interprétation du droit de l’Union qui relève de la compétence exclusive du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest, C‑219/17, EU:C:2018:1023, point 44 et jurisprudence citée).
43 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Commission et de rejeter le recours comme irrecevable, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si la requérante justifie d’un intérêt à agir.
Sur les dépens
44 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
45 En vertu de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, dès lors qu’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il soit statué sur la demande d’intervention, la République fédérale d’Allemagne, la requérante et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne.
3) Vattenfall Europe Nuclear Energy GmbH est condamnée à supporter ses propres dépens et ceux exposés par la Commission européenne.
4) La République fédérale d’Allemagne, Vattenfall Europe Nuclear Energy et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.
Fait à Luxembourg, le 11 juillet 2019.
Le greffier |
Le président |
E. Coulon |
S. Frimodt Nielsen |
* Langue de procédure : l’allemand.