ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

5 juillet 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 46, paragraphes 6 et 8 – Demande de protection internationale manifestement infondée – Droit à un recours effectif – Autorisation de rester sur le territoire d’un État membre – Directive 2008/115/CE – Articles 2, 3 et 15 – Séjour irrégulier – Placement en rétention »

Dans l’affaire C‑269/18 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 19 avril 2018, parvenue à la Cour le 19 avril 2018, dans la procédure

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

contre

C,

et

J,

S

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.-C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et E. Regan, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 19 avril 2018, parvenue à la Cour le 19 avril 2018, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 15 mai 2018 de la première chambre de faire droit à ladite demande,

rend la présente

Ordonnance

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), ainsi que de l’article 46, paragraphe 6, sous a), et de l’article 46, paragraphe 8, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de trois litiges opposant, pour le premier, le Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice, Pays–Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») à C, et pour les deuxième et troisième, J et S au secrétaire d’État au sujet de la légalité de mesures de rétention adoptées contre C, J et S après que leurs demandes de protection internationale ont été rejetées comme manifestement infondées, au sens de l’article 32, paragraphe 2, et de l’article 46, paragraphe 6, sous a), de la directive 2013/32.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2008/115

3

Les considérants 9 et 12 de la directive 2008/115 énoncent :

« (9)

Conformément à la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres [(JO 2005, L 326, p. 13)], le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur.

[...]

(12)

Il convient de régler la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. [...] »

4

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115 dispose :

« La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. »

5

L’article 3 de cette directive est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2)

“séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du code frontières Schengen, ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

3)

“retour” : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

son pays d’origine, ou

un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

4)

“décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

[...] »

6

L’article 6 de ladite directive, intitulé « Décision de retour », énonce :

« 1.   Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

[...]

4.   À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour.

[...]

6.   La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour et/ou une décision d’éloignement et/ou d’interdiction d’entrée dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national. »

7

L’article 13, paragraphes 1 et 2, de la même directive dispose :

« 1.   Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.

2.   L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. »

8

L’article 15 de la directive 2008/115 prévoit :

« 1.   À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :

a)

il existe un risque de fuite, ou

b)

le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

[...]

5.   La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6.   Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison :

a)

du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou

b)

des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires. »

La directive 2013/32

9

L’article 1er de la directive 2013/32 dispose :

« La présente directive a pour objet d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)]. »

10

L’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32 est ainsi libellé :

« Les États membres peuvent décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, d’accélérer une procédure d’examen et/ou de mener cette procédure à la frontière ou dans les zones de transit conformément à l’article 43 lorsque :

a)

le demandeur n’a soulevé, en soumettant sa demande et en exposant les faits, que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ; ou

b)

le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de la présente directive ; ou

c)

le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable ; ou

d)

il est probable que, de mauvaise foi, le demandeur a procédé à la destruction ou s’est défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité ; ou

e)

le demandeur a fait des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles qui contredisent des informations suffisamment vérifiées du pays d’origine, ce qui rend sa demande visiblement peu convaincante quant à sa qualité de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ; ou

f)

le demandeur a présenté une demande ultérieure de protection internationale qui n’est pas irrecevable conformément à l’article 40, paragraphe 5 ; ou

g)

le demandeur ne présente une demande qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son éloignement ; ou

h)

le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de l’État membre et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités ou n’a pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée ; ou

i)

le demandeur refuse de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales conformément au règlement (UE) no 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) no 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice [(JO 2013, L 180, p. 1)] ; ou

j)

il existe de sérieuses raisons de considérer que le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre, ou le demandeur a fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public au regard du droit national. »

11

L’article 32 de la directive 2013/32 prévoit :

« 1.   Sans préjudice de l’article 27, les États membres ne peuvent considérer une demande comme infondée que si l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en vertu de la directive [2011/95].

2.   En cas de demande infondée correspondant à l’une des situations, quelle qu’elle soit, énumérées à l’article 31, paragraphe 8, les États membres peuvent également considérer une demande comme manifestement infondée, si elle est définie comme telle dans la législation nationale. »

12

Aux termes de l’article 46 de la directive 2013/32 :

« [...]

5.   Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours.

6.   En cas de décision :

a)

considérant une demande comme manifestement infondée conformément à l’article 32, paragraphe 2, ou infondée après examen conformément à l’article 31, paragraphe 8, à l’exception des cas où les décisions sont fondées sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, point h) ;

[...]

une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre et lorsque, dans ces cas, le droit de rester dans l’État membre dans l’attente de l’issue du recours n’est pas prévu par le droit national.

[...]

8.   Les États membres autorisent le demandeur à rester sur leur territoire dans l’attente de l’issue de la procédure visant à décider si le demandeur peut rester sur le territoire, visée aux paragraphes 6 et 7.

[...] »

Le droit néerlandais

13

L’article 8 de la Vreemdelingenwet 2000 (loi de 2000 sur les étrangers) prévoit :

« Le demandeur est seulement en séjour régulier aux Pays-Bas :

[...]

h.

dans l’attente d’une décision sur la déclaration d’opposition ou l’appel, si la présente loi, une disposition adoptée en vertu de celle-ci ou une décision de justice prévoit qu’il n’y a pas lieu d’expulser le demandeur tant qu’il n’aura pas été statué sur la demande ;

[...] »

14

L’article 59, paragraphe 1, de cette loi est libellé ainsi :

« 1.   Si l’intérêt de l’ordre public ou de la sécurité nationale l’exigent, le secrétaire d’État peut placer en rétention, en vue de son expulsion, le demandeur qui :

a.

n’est pas en séjour régulier ;

b.

est en séjour régulier au titre de l’article 8, sous f), g) et h), sans être un demandeur au sens des articles 59a et 59b ;

[...] »

15

Selon l’article 59, paragraphe 5, de la loi de 2000 sur les étrangers, la rétention ne dépasse pas six mois sans préjudice du paragraphe 4.

16

L’article 59, paragraphe 6, de la loi de 2000 sur les étrangers prévoit que, par dérogation au paragraphe 5 et sans préjudice du paragraphe 4 de cet article, la rétention au titre du paragraphe 1 de ce même article peut être prorogée de douze mois supplémentaires au maximum si, en dépit de tous les efforts raisonnables, l’expulsion requerra éventuellement plus de temps en raison du manque de coopération de l’étranger à son expulsion ou de l’absence des documents requis à cet effet attendus de pays tiers.

17

L’article 59b de cette loi dispose :

« 1.   Le demandeur en séjour régulier au titre de l’article 8, sous f), g) ou h), pour autant qu’il s’agisse d’une demande de délivrance d’un permis de séjour au sens de l’article 28, peut être placé en rétention par le secrétaire d’État, si :

a.

la rétention est nécessaire pour établir l’identité ou la nationalité du demandeur ;

b.

la rétention est nécessaire pour recueillir des données nécessaires à l’appréciation d’une demande de permis de séjour temporaire au sens de l’article 28, en particulier s’il y a risque de soustraction.

c.

le demandeur :

est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive retour ;

a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, et

qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ; ou

d.

le demandeur constitue une menace pour la sécurité nationale ou pour l’ordre public au sens de l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive [2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96)].

[...] »

18

L’article 82 de la même loi prévoit :

« 1.   L’effet d’une décision relative à un permis de séjour est suspendu jusqu’à l’expiration du délai de recours ou, si un recours est formé, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur celui-ci.

2.   Le paragraphe 1 ne s’applique pas si :

[...]

c.

la demande est rejetée comme étant manifestement infondée conformément à l’article 30b, exception faite de l’article 30b, paragraphe 1, sous h) ;

[...]

6.   Des règles plus détaillées peuvent être établies par ou en vertu d’une mesure générale d’administration en ce qui concerne le droit de séjourner ou non aux Pays-Bas dans l’attente d’une décision sur la demande de mesures provisoires. »

19

Aux termes de l’article 7.3 du Vreemdelingenbesluit 2000 (arrêté de 2000 sur les étrangers) :

« 1.   Si une demande de mesures provisoires est introduite afin d’éviter que l’expulsion n’intervienne avant qu’il ne soit statué sur le recours formé contre une décision adoptée dans le cadre d’une demande de permis de séjour au sens de l’article 28 de la [loi de 2000 sur les étrangers], le demandeur est autorisé à séjourner dans le pays dans l’attente de la décision sur cette demande.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20

Le litige au principal concerne trois ressortissants de pays tiers, à savoir C, J et S, dont les demandes de protection internationale ont été rejetées par le secrétaire d’État comme étant manifestement infondées au sens de l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2013/32 et qui, ensuite, ont été placés en rétention en vue de préparer leur retour, en application de l’article 59, paragraphe 1, sous a), de la loi de 2000 sur les étrangers, qui transpose l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

21

Il ressort du dossier à la disposition de la Cour que le recours formé contre une décision rejetant comme manifestement infondée une demande de protection internationale introduite par un ressortissant de pays tiers n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, celui-ci peut s’adresser au juge afin d’être autorisé à demeurer sur le territoire néerlandais dans l’attente de l’issue du recours au fond et il peut rester sur ce territoire en attendant qu’il soit statué sur cette demande de mesures provisoires.

22

La demande de protection internationale introduite par C le 23 novembre 2011 a été rejetée le 11 avril 2017. C a été placé en rétention le 13 avril suivant. Le premier juge ayant constaté que cette mesure de rétention reposait sur une base légale incorrecte, le secrétaire d’État a interjeté appel devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas).

23

Le 31 juillet 2017, le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Zwolle (tribunal de La Haye, siégeant à Zwolle, Pays-Bas) a rejeté la demande de mesures provisoires introduite par C, qui a été éloigné le 15 août 2017.

24

La demande de protection internationale introduite par J le 13 septembre 2017 a été rejetée le 24 octobre 2017. Le même jour, J a été placé en rétention. La légalité de cette mesure ayant été confirmée en première instance, J a interjeté appel devant le Raad van State (Conseil d’État).

25

Le 29 mars 2018, le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Rotterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Rotterdam, Pays-Bas) a accueilli le recours de J contre le maintien du placement en rétention. Cette juridiction a relevé à cet égard que, le 12 mars 2018, J se trouvait en rétention depuis six mois ininterrompus et que le secrétaire d’État n’avait pas procédé à une mise en balance des intérêts pour maintenir la rétention.

26

La demande de protection internationale introduite par S le 17 juin 2017 a été rejetée le 6 novembre 2017. Le 6 décembre 2017, S a été placé en rétention. Le premier juge ayant confirmé la légalité de cette mesure, S a interjeté appel devant le Raad van State (Conseil d’État).

27

En réponse à une demande d’éclaircissements adressée à la juridiction de renvoi en application de l’article 101 du règlement de procédure de la Cour, cette juridiction a informé la Cour que, par décision du 14 décembre 2017, le juge des référés du rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas) avait rejeté la demande de mesures provisoires formée par S. Par conséquent, il « n’y avait pas lieu de rapporter [son] placement en rétention ».

28

Le Raad van State (Conseil d’État) relève que C, J et S ont été placés en rétention sur la base de l’article 59, paragraphe 1, sous a), de la loi de 2000 sur les étrangers, qui transpose l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/115, et que, pour que cette base juridique ait pu être valablement appliquée, il était nécessaire que les intéressés se trouvent en séjour irrégulier, au sens de l’article 3 de la directive 2008/115.

29

En outre, la juridiction de renvoi fait observer que, en vertu du droit néerlandais, la personne qui forme un recours contre une décision rejetant sa demande de protection internationale comme manifestement infondée se trouve en séjour irrégulier, dès lors que, en vertu de l’article 82, paragraphe 2, sous c), de la loi de 2000 sur les étrangers, qui transpose l’article 46, paragraphe 6, sous a), de la directive 2013/32, un recours contre une telle décision n’a pas d’effet suspensif automatique.

30

Certes, en vertu de l’article 7.3, paragraphe 1, de l’arrêté de 2000 sur les étrangers, qui transpose l’article 46, paragraphe 8, de la directive 2013/32, un ressortissant de pays tiers dont la demande de protection internationale a été rejetée comme manifestement infondée peut demander des mesures provisoires destinées à lui permettre de demeurer sur le territoire. Dans ce cas, le droit néerlandais l’autorise à rester sur le territoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur cette demande. Toutefois, son séjour ne peut être considéré comme régulier qu’après la décision du juge des référés accueillant la demande de mesures provisoires.

31

Selon la juridiction de renvoi, il n’est pas exclu que ces dispositions nationales ainsi interprétées soient contraires au droit de l’Union, notamment à l’article 46, paragraphes 6 et 8, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 46, paragraphe 5, de cette directive. En effet, au point 55 de ses conclusions dans l’affaire Gnandi (C‑181/16, EU:C:2017:467), présentées le 15 juin 2017, M. l’avocat général Mengozzi a considéré qu’il résultait des points 44 à 49 de l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), qu’« un ressortissant de pays tiers demandeur d’asile ne saurait être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre où il a introduit sa demande de protection internationale aussi longtemps qu’un droit de demeurer sur ce territoire – en l’attente de l’issue de la procédure portant sur cette demande – lui est reconnu, que ce soit par le droit de l’Union ou par le droit national ».

32

Ainsi, afin de déterminer si, dans les affaires portées devant lui, les mesures de rétention ont été adoptées légalement, il convient, selon le Raad van State (Conseil d’État), de déterminer si une autorisation de rester accordée par un État membre conformément à l’article 46, paragraphe 8, de la directive 2013/32 s’oppose à ce que le séjour de l’intéressé soit considéré comme irrégulier tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande de mesures provisoires.

33

Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Dans le cas où une autorité responsable de la détermination a rejeté une demande de protection internationale comme étant manifestement infondée au sens de l’article 46, paragraphe 6, sous a), de la directive [2013/32] et que, en vertu du droit national, le recours juridictionnel contre cette décision de rejet n’a pas d’effet suspensif automatique, faut-il interpréter l’article 46, paragraphe 8, de cette directive en ce sens que le simple fait d’introduire une demande de mesures provisoires a pour conséquence que le demandeur ne séjourne plus de manière irrégulière sur le territoire de l’État membre considéré, au sens de l’article 3 de la directive [2008/115] et relève, pour cette raison, du champ d’application de la directive [2013/33] ?

2)

Est-il important, pour la réponse à la première question, que le droit national – compte tenu du principe de non refoulement – dispose que le demandeur ne sera pas éloigné avant qu’une juridiction, sur requête, n’ait décidé que l’issue du recours contre la décision refusant la protection internationale ne peut pas être attendue ? »

Sur la procédure d’urgence

34

La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure.

35

À l’appui de sa demande, cette juridiction fait valoir que S est actuellement placé en rétention. Elle observe, à cet égard, que s’il était répondu à la première question préjudicielle que, à la suite de l’introduction de sa demande de mesures provisoires, S se trouvait en séjour régulier sur le territoire néerlandais, la mesure de rétention, prévue à l’article 59, paragraphe 1, sous a), de la loi de 2000 sur les étrangers, aurait été adoptée à tort.

36

À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que la présente demande de décision préjudicielle, qui porte sur l’interprétation des directives 2008/115 et 2013/32, soulève des questions qui relèvent de la troisième partie, titre V, du traité FUE. Elle est donc susceptible d’être soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 de son règlement de procédure.

37

En second lieu, il importe de constater que, à la date d’examen de la demande visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence, S était en rétention et que la solution du litige au principal est susceptible d’avoir pour effet qu’il soit mis fin immédiatement à la privation de liberté dont il fait l’objet.

38

En revanche, C ayant été éloigné du territoire néerlandais et J ayant cessé d’être retenu, la procédure préjudicielle d’urgence ne se justifie pas dans leurs cas.

39

Compte tenu de ce qui précède et, au vu de la situation de S, la première chambre de la Cour a décidé, le 15 mai 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

Sur les questions préjudicielles

40

En vertu de l’article 99 du règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

41

Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

42

La juridiction de renvoi, partant du principe que ne peut être placée en rétention qu’une personne qui se trouve en séjour irrégulier sur le territoire national, s’interroge sur le point de savoir si la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’un ressortissant de pays tiers qui a formé un recours contre la décision par laquelle sa demande de protection internationale a été rejetée comme étant manifestement infondée doit être regardé comme séjournant régulièrement sur le territoire, dès lors que, en vertu de l’article 46, paragraphe 8, de la directive 2013/32, il doit être autorisé à rester sur ce territoire jusqu’à l’issue de la procédure par laquelle il doit être décidé s’il est ou non admis à y rester en attendant l’issue de son recours au fond. Dans l’affirmative, la directive 2008/115 s’opposerait alors à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui considère une telle personne comme étant en séjour irrégulier et permet en conséquence son placement en rétention.

43

Par ses questions préjudicielles, cette juridiction demande, dès lors, en substance, si les directives 2008/115 et 2013/32 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un ressortissant de pays tiers dont la demande de protection internationale a été rejetée en premier ressort par l’autorité administrative compétente comme manifestement infondée soit placé en rétention, en vue de son éloignement, lorsque, conformément à l’article 46, paragraphes 6 et 8, de la directive 2013/32, il est légalement autorisé à rester sur le territoire national jusqu’à ce qu’il soit statué sur son recours concernant le droit à rester sur ce territoire dans l’attente de l’issue du recours formé contre la décision ayant rejeté sa demande de protection internationale.

44

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115, celle‑ci s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. Conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, les États membres prennent, en principe, une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 37).

45

Il résulte de la définition du « séjour irrégulier », figurant à l’article 3, point 2, de cette directive, que tout ressortissant d’un pays tiers qui est présent sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans celui-ci se trouve, de ce seul fait, en séjour irrégulier (arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 39).

46

Il est vrai que la Cour a jugé, aux points 47 et 49 de l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), qu’une autorisation de rester sur le territoire aux fins de l’exercice effectif d’un recours contre le rejet de la demande de protection internationale fait obstacle à l’application de la directive 2008/115 au ressortissant d’un pays tiers qui a introduit cette demande jusqu’à l’issue du recours contre le rejet de celle-ci (arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 43).

47

Il ne saurait toutefois être inféré de cet arrêt qu’une telle autorisation de rester interdirait de considérer que, dès le rejet de la demande de protection internationale, et sous réserve de l’existence d’un droit ou d’un titre de séjour, le séjour de l’intéressé devient irrégulier, au sens de la directive 2008/115. Au contraire, à moins que lui ait été accordé un droit ou un titre de séjour tel que visé à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, le ressortissant d’un pays tiers se trouve en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115, dès le rejet de sa demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable, et ce indépendamment de l’existence d’une autorisation de rester dans l’attente de l’issue du recours contre ce rejet (arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, points 44 et 59).

48

Ainsi, dès le rejet de la demande de protection internationale ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif, une décision de retour peut, en principe, être adoptée à l’encontre de l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 59).

49

Cela étant, il importe de souligner que les États membres sont tenus de faire en sorte que toute décision de retour respecte les garanties procédurales énoncées au chapitre III de la directive 2008/115 ainsi que les autres dispositions pertinentes du droit de l’Union et du droit national. Une telle obligation est explicitement prévue à l’article 6, paragraphe 6, de cette directive dans le cas où la décision de retour est adoptée en même temps qu’intervient le rejet de la demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable. Elle doit également s’appliquer dans une situation où la décision de retour a été prise immédiatement après le rejet de la demande de protection internationale, dans un acte de nature administrative distinct et par une autorité différente (arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 60).

50

Dans ce contexte, il appartient aux États membres d’assurer la pleine efficacité du recours contre la décision rejetant la demande de protection internationale, ce qui exige, notamment, la suspension de tous les effets de la décision de retour pendant le délai d’introduction de ce recours et, si un tel recours est introduit, jusqu’à l’issue de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 61).

51

À cet égard, le droit à un recours juridictionnel effectif implique que l’ensemble des effets juridiques de la décision de retour soient suspendus, ce qui a, en particulier, pour conséquence que l’intéressé ne peut pas être placé en rétention à des fins d’éloignement en application de l’article 15 de la directive 2008/115 tant qu’il est autorisé à rester sur le territoire de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 62).

52

Il en va également ainsi pour un ressortissant d’un pays tiers dont la demande de protection internationale a été rejetée comme étant manifestement infondée, conformément à l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2013/32.

53

Il est vrai qu’il découle de l’article 46, paragraphes 5 et 6, de la directive 2013/32 que, dans ce cas, l’intéressé ne bénéficie pas de plein droit du droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours. Toutefois, conformément aux exigences de l’article 46, paragraphe 6, dernier alinéa, de cette directive, celui–ci doit pouvoir saisir une juridiction qui décidera s’il peut rester sur ce territoire jusqu’à ce que son recours soit jugé au fond. L’article 46, paragraphe 8, de la même directive prévoit que, dans l’attente de l’issue de cette procédure visant à décider si l’intéressé peut rester, l’État membre concerné doit lui accorder l’autorisation de rester sur son territoire.

54

Il résulte de tout ce qui précède qu’un ressortissant d’un pays tiers dont la demande de protection internationale a été rejetée comme étant manifestement infondée ne peut être placé en rétention en application de l’article 15 de la directive 2008/115 pendant le délai d’introduction du recours contre la décision de rejet. Si un tel recours est introduit, l’intéressé ne peut non plus faire l’objet d’une mesure de rétention sur le fondement de cet article tant que celui-ci est autorisé à rester sur le territoire de l’État membre concerné, conformément à l’article 46, paragraphe 8, de la directive 2013/32.

55

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre aux questions posées que les directives 2008/115 et 2013/32 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un ressortissant de pays tiers dont la demande de protection internationale a été rejetée en premier ressort par l’autorité administrative compétente comme manifestement infondée soit placé en rétention en vue de son éloignement, lorsque, conformément à l’article 46, paragraphes 6 et 8, de la directive 2013/32, il est légalement autorisé à rester sur le territoire national jusqu’à ce qu’il soit statué sur son recours concernant le droit à rester sur ce territoire dans l’attente de l’issue du recours formé contre la décision ayant rejeté sa demande de protection internationale.

Sur les dépens

56

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un ressortissant de pays tiers dont la demande de protection internationale a été rejetée en premier ressort par l’autorité administrative compétente comme manifestement infondée soit placé en rétention en vue de son éloignement, lorsque, conformément à l’article 46, paragraphes 6 et 8, de la directive 2013/32, il est légalement autorisé à rester sur le territoire national jusqu’à ce qu’il soit statué sur son recours concernant le droit à rester sur ce territoire dans l’attente de l’issue du recours formé contre la décision ayant rejeté sa demande de protection internationale.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.