ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

25 novembre 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Ententes – Marchés européens des stabilisants thermiques à base d’étain, d’huile de soja époxydée et d’esters – Fixation des prix, répartition des marchés et échange d’informations commerciales sensibles – Application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires à l’une des entités composant l’entreprise – Annulation de la décision modifiant l’amende fixée dans la décision initiale de constatation de l’infraction – Amendes – Notion d’“entreprise” – Responsabilité solidaire pour le paiement de l’amende – Principe d’égalité de traitement – Date d’exigibilité de l’amende en cas de modification »

Dans l’affaire C‑823/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 décembre 2018,

Commission européenne, représentée initialement par MM. T. Christoforou, P. Rossi et V. Bottka, puis par MM. Rossi et Bottka en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

GEA Group AG, établie à Düsseldorf (Allemagne), représentée par Mes C. Wagner et I. du Mont, Rechtsanwälte,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. A. Kumin, T. von Danwitz et P. G. Xuereb, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 février 2020,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 juin 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 octobre 2018, GEA Group/Commission (T‑640/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:700), par lequel celui-ci a annulé la décision C(2016) 3920 final de la Commission, du 29 juin 2016, modifiant la décision C(2009) 8682 final de la Commission, du 11 novembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38589 – Stabilisants thermiques) (ci‑après la « décision litigieuse »).

I. Le cadre juridique

2

L’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), dispose :

« 2.   La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

a)

elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 ou 82 [CE], ou

b)

elles contreviennent à une décision ordonnant des mesures provisoires prises au titre de l’article 8, ou

c)

elles ne respectent pas un engagement rendu obligatoire par décision en vertu de l’article 9.

Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

Lorsque l’infraction d’une association porte sur les activités de ses membres, l’amende ne peut dépasser 10 % de la somme du chiffre d’affaires total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association.

3.   Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. »

3

Aux termes de l’article 25, paragraphe 5, de ce règlement :

« La prescription court à nouveau à partir de chaque interruption. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou astreinte. Ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue conformément au paragraphe 6. »

II. Les antécédents du litige et la décision litigieuse

4

Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 23 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

5

GEA Group AG (ci-après « GEA ») est issue de la fusion, au cours de l’année 2005, de Metallgesellschaft AG (ci-après « MG ») et d’une autre société. MG était la société faitière détenant avant l’année 2000, directement ou par l’intermédiaire de filiales, Chemson Gesellschaft für Polymer-Additive mbH (ci-après « OCG ») et Polymer-Additive Produktions- und Vertriebs GmbH (ci-après « OCA »).

6

Le 17 mai 2000, MG a cédé OCG, laquelle a été renommée Aachener Chemische Werke Gesellschaft für glastechnische Produkte und Verfahren mbH (ci-après « ACW »).

7

Après la dissolution d’OCA au mois de mai 2000, les activités de cette société ont été reprises par une société dénommée, à compter du 30 août 2000, Chemson Polymer-Additive AG (ci-après « CPA »), qui, à la date du prononcé de l’arrêt attaqué, n’appartenait plus au groupe dont GEA était la société faitière.

A. La décision de 2009

8

Par sa décision C(2009) 8682 final, du 11 novembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38589 – Stabilisants thermiques) (ci-après la « décision de 2009 »), la Commission a considéré qu’un certain nombre d’entreprises avaient enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »), en participant à deux ensembles d’accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels couvrant le territoire de l’Espace économique européen et concernant, d’une part, le secteur des stabilisants thermiques à base d’étain, et, d’autre part, le secteur des stabilisants thermiques à base d’huile de soja époxydée et d’esters (ci-après le « secteur ESBO/esters »).

9

À l’article 1er, paragraphe 2, sous k), de la décision de 2009, la Commission a tenu GEA pour responsable au titre des infractions commises sur le marché du secteur ESBO/esters du 11 septembre 1991 au 17 mai 2000.

10

Sa responsabilité a été retenue pour l’intégralité de la période infractionnelle, en tant que successeur de MG, pour les infractions commises, du 11 septembre 1991 au 17 mai 2000, par OCG et, du 13 mars 1997 au 17 mai 2000, par OCA.

11

Par ailleurs, en tant que successeur d’OCG, ACW a été sanctionnée, d’une part, pour l’infraction commise par OCG durant l’intégralité de la période infractionnelle, c’est-à-dire du 11 septembre 1991 au 17 mai 2000, et, d’autre part, pour l’infraction commise par OCA du 30 septembre 1999 au 17 mai 2000, alors que les parts de cette dernière étaient détenues à 100 % par OCG.

12

En tant que successeur d’OCA, CPA a été sanctionnée, d’une part, pour l’infraction commise par OCA du 13 mars 1997 au 17 mai 2000 et, d’autre part, pour l’infraction commise par OCG du 30 septembre 1995 au 30 septembre 1999, alors que les parts de cette dernière étaient détenues à 100 % par OCA.

13

Aux termes de l’article 2 de la décision de 2009 :

« [...]

Pour l’/(les) infraction(s) sur le [secteur ESBO/esters], les amendes suivantes sont infligées :

[...]

31) [GEA], [ACW] et [CPA] sont [...] solidairement responsables pour le montant de 1913971 [euros] ;

32) [GEA] et [ACW] sont [...] solidairement responsables pour le montant de 1432229 [euros] ;

Les amendes sont à verser en euros dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision [...] »

14

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 janvier 2010, GEA a introduit un recours en annulation contre la décision de 2009.

15

Par l’arrêt du 15 juillet 2015, GEA Group/Commission (T‑45/10, non publié, EU:T:2015:507), le Tribunal a rejeté ce recours. Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

B. La décision de 2010

16

Le 15 décembre 2009, ACW a attiré l’attention de la Commission sur le fait que l’amende qui lui avait été infligée dans la décision de 2009 dépassait le plafond autorisé de 10 % de son chiffre d’affaires, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

17

Dans ces circonstances, la Commission a adopté, le 8 février 2010, la décision C(2010) 727 final, modifiant la décision de 2009 (ci-après la « décision de 2010 »).

18

Dans la décision de 2010, la Commission a considéré que l’amende à laquelle ACW avait été condamnée, solidairement avec, d’une part, GEA et CPA et, d’autre part, GEA, dépassait le plafond de 10 % de son chiffre d’affaires, de sorte qu’il y avait lieu de modifier la décision de 2009.

19

La Commission y a également précisé que le montant de l’amende imposée à GEA et à CPA demeurait inchangé, mais que celui de l’amende infligée à ACW devait être réduit et que la décision de 2010 n’avait aucune incidence sur les autres destinataires de la décision de 2009.

20

L’article 1er de la décision de 2010 a modifié l’article 2, deuxième alinéa, de la décision de 2009 comme suit :

« L’article 2, [deuxième alinéa, point] 31) est remplacé par le texte suivant :

“31.a) [GEA], [ACW] et [CPA] sont [solidairement] responsables pour le montant de 1086129 [euros] ;

31.b) [GEA] et [CPA] sont [solidairement] responsables pour le montant de 827842 [euros].”

L’article 2, [deuxième alinéa, point] 32) est remplacé par le texte suivant :

“32) [GEA] est responsable pour le montant de 1432229 [euros].” »

21

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 2010, GEA a formé un recours en annulation contre la décision de 2010 et a demandé au Tribunal, à titre subsidiaire, de réformer le montant de l’amende qui lui a été infligée.

22

Par l’arrêt du 15 juillet 2015, GEA Group/Commission (T‑189/10, EU:T:2015:504), le Tribunal a annulé, en tant qu’elle concernait GEA, la décision de 2010. Le Tribunal a jugé que la Commission avait violé les droits de la défense de cette société en adoptant cette décision sans l’avoir entendue au préalable. Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

C. La décision litigieuse

23

Le 29 juin 2016, la Commission a adopté la décision litigieuse.

24

L’article 1er de cette décision a repris à l’identique les termes, reproduits au point 20 du présent arrêt, de l’article 1er de la décision de 2010, qui modifiait l’article 2, deuxième alinéa, de la décision de 2009.

25

L’article 2 de la décision litigieuse a fixé la date d’exigibilité des amendes au 10 mai 2010.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

26

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 septembre 2016, GEA a introduit un recours visant à l’annulation de la décision litigieuse.

27

À l’appui de ce recours, GEA a invoqué cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation des règles de prescription, le deuxième, d’une violation de l’article 266 TFUE et des droits de la défense, le troisième, d’une violation de l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1/2003, le quatrième, d’une violation du principe d’égalité de traitement, et, le cinquième, comportant deux branches, d’un excès de pouvoir et d’un défaut de motivation.

28

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le quatrième moyen ainsi que la première branche du cinquième moyen et a, en estimant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres moyens du recours, annulé la décision litigieuse.

IV. Les conclusions des parties

29

La Commission demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué et

de condamner GEA aux dépens exposés tant devant le Tribunal que devant la Cour.

30

GEA demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner la Commission aux dépens.

V. Sur le pourvoi

31

À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une application erronée du principe d’égalité de traitement, de la notion d’entreprise et des règles de la responsabilité solidaire ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation et, le second, d’une violation des règles de fixation de la date d’exigibilité des amendes en matière de droit de la concurrence ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation.

A. Sur la recevabilité

1.   Argumentation des parties

32

GEA considère que le pourvoi de la Commission est irrecevable.

33

À cet égard, GEA fait valoir, en premier lieu, que la Commission n’a aucun intérêt à former le pourvoi parce que la décision de 2009 ne constitue plus une base juridique permettant de demander le paiement de l’amende.

34

En second lieu, GEA estime que la Commission n’a aucun intérêt à former le pourvoi parce que la décision litigieuse n’est pas valide. En effet, le délai de prescription pour la fixation d’une amende aurait expiré avant l’adoption de cette décision, puisque plus de dix ans, au sens de l’article 25, paragraphe 5, du règlement no 1/2003, se sont écoulés, indépendamment de la question de savoir si ce délai a été interrompu ou non.

35

La Commission rétorque qu’elle a un intérêt à former le pourvoi contre l’arrêt attaqué, dès lors que, en premier lieu, elle a succombé en ses conclusions devant le Tribunal et, en second lieu, en faisant valoir que cette institution n’a aucun intérêt à former ce pourvoi en raison d’un prétendu dépassement du délai de prescription pour l’imposition d’une amende, GEA conteste la validité de la décision litigieuse. Or, selon la Commission, un tel moyen n’était ni soulevé devant le Tribunal ni examiné par celui-ci. Il s’ensuivrait qu’il n’y a pas lieu de l’examiner.

2.   Appréciation de la Cour

36

En vertu de l’article 56, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, sauf dans les cas de litiges opposant l’Union européenne à ses agents, un pourvoi peut être formé par les États membres et les institutions de l’Union même s’ils ne sont pas intervenus au litige devant le Tribunal. Qu’elles aient été ou non parties au litige en première instance, les institutions de l’Union ne doivent donc faire preuve d’aucun intérêt pour pouvoir former un pourvoi contre une décision du Tribunal (arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 171).

37

En effet, la Commission est libre d’apprécier l’opportunité de former un pourvoi contre une décision du Tribunal et il n’appartient pas à la Cour de contrôler les choix effectués à cet égard par celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 172).

38

Dès lors, il suffit de constater que les objections de GEA tenant à un prétendu défaut d’intérêt de la part de la Commission sont dépourvues de tout fondement, de sorte qu’il y a lieu de considérer que le pourvoi est recevable.

B. Sur le fond

1.   Sur le premier moyen

39

Le premier moyen comporte deux branches. Par la première branche de ce moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur dans l’application du principe d’égalité de traitement, de la notion d’entreprise et des règles de la responsabilité solidaire, en ayant considéré qu’elle aurait pu déterminer différemment la part de l’amende au paiement de laquelle GEA et ACW demeuraient solidairement tenues. La seconde branche dudit moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu, est tirée d’une violation de l’obligation de motivation.

a)   Sur la seconde branche du premier moyen

1) Argumentation des parties

40

Par la seconde branche de son premier moyen, la Commission soutient que le constat, au point 111 de l’arrêt attaqué, selon lequel elle aurait violé le principe d’égalité de traitement repose sur une motivation contradictoire développée aux points 108 à 110 dudit arrêt et, notamment, sur la vague considération, faite au point 108 du même arrêt, que « la Commission aurait assurément pu déterminer différemment la part de l’amende au paiement de laquelle ACW et [GEA] demeuraient solidairement tenues ».

41

GEA conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

42

Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C‑519/15 P, EU:C:2016:682, point 41).

43

En l’espèce, il suffit de constater que le raisonnement exposé par le Tribunal aux points 106 à 111 de l’arrêt attaqué est de nature à permettre tant à la Commission de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal a accueilli le quatrième moyen soulevé par GEA en première instance qu’à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel.

44

En effet, il ressort de ces points, sans ambiguïté, que le Tribunal a jugé que la Commission aurait dû, dans un premier temps, définir la proportion existant entre la partie de l’amende dont ACW était solidairement responsable avec GEA et CPA ensemble et celle dont elle était solidairement responsable avec GEA seule et, dans un second temps, répartir la réduction du montant de l’amende d’ACW entre les deux rapports de solidarité en appliquant la même proportion.

45

Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter la seconde branche du premier moyen comme étant non fondée.

b)   Sur la première branche du premier moyen

1) Argumentation des parties

46

Par la première branche de son premier moyen, la Commission estime que le Tribunal a erronément considéré, au point 108 de l’arrêt attaqué, qu’elle aurait pu déterminer différemment la part de l’amende au paiement de laquelle GEA et ACW demeuraient solidairement tenues, afin de limiter la part de l’amende dont GEA pouvait être seule redevable. Selon la Commission, le Tribunal a, aux points 106 à 111 de l’arrêt attaqué, commis une erreur dans l’application du principe d’égalité de traitement, en méconnaissant la jurisprudence de la Cour sur la notion d’entreprise et sur la responsabilité solidaire ainsi que celle sur les conséquences d’une réduction d’amende accordée à une filiale au sein d’une entreprise économique unique.

47

Selon la Commission, la responsabilité solidaire ne serait qu’une manifestation de la notion d’entreprise et ne saurait en être dissociée.

48

À cet égard, cette institution fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a constaté au point 55 de l’arrêt attaqué, GEA, ACW et CPA formaient pour toute la durée de l’infraction en cause une seule et même entreprise à laquelle elle a infligé une seule amende et que, dans ce contexte, l’article 2, deuxième alinéa, points 31 et 32, de la décision de 2009, d’une part, et l’article 2, deuxième alinéa, points 31.a), 31.b) et 32, de la décision de 2009, telle que modifiée par la décision litigieuse, d’autre part, sont l’expression des différents montants maximums de l’amende dont chacune des entités juridiques composant cette entreprise pouvait être tenue pour conjointement et solidairement responsable.

49

La Commission précise que, puisque GEA, ACW et CPA formaient une seule et même entreprise, il n’y avait pas lieu d’apprécier l’égalité de traitement entre ces trois sociétés.

50

La Commission considère que, malgré le fait que les sociétés concernées faisaient partie de la même entreprise, le Tribunal a procédé, aux points 106 à 111 de l’arrêt attaqué, à une séparation artificielle entre deux groupes d’entités solidairement responsables, de sorte que cette juridiction a appliqué une théorie analogue à la théorie de la répartition interne de la responsabilité solidaire, approche qui est interdite, selon elle, conformément aux enseignements de l’arrêt du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a. (C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256).

51

Dans ces conditions, la Commission considère que rien ne justifie d’exclure l’une ou l’autre des sociétés appartenant à une seule et même entreprise de la responsabilité solidaire pour le paiement d’une quelconque partie de l’amende qui leur est infligée et que ces sociétés partagent normalement des parts communes d’une amende infligée à concurrence des limites individuelles de chacune d’elles.

52

La Commission fait valoir que le montant maximal de l’amende au paiement duquel chaque société composant l’entreprise au sens de l’article 81 CE était solidairement tenue ne correspond pas à une période spécifique de participation à l’infraction en cause.

53

Enfin, en ce qui concerne le fait que l’amende infligée à ACW a été ramenée au plafond de 10 % de son chiffre d’affaires, applicable à cette société, il ressortirait de l’arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771), que la responsabilité de GEA ne doit pas être affectée par la réduction accordée à son ancienne filiale ACW puisque, à la date de l’adoption de la décision de 2009, cette dernière société et GEA ne formaient plus une même entreprise.

54

GEA rétorque, tout d’abord, que le Tribunal a, à bon droit, considéré que la Commission a, sans aucune justification objective, violé le principe de l’égalité de traitement. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, ce principe s’appliquerait non pas seulement à des entreprises différentes, mais également dans les relations entre des sociétés faisant partie de la même entreprise.

55

Ensuite, GEA estime que la Commission a fixé non pas une seule amende, mais deux amendes distinctes pour deux groupes d’entités distincts, conjointement et solidairement responsables entre elles au sein de chaque groupe, et pour deux périodes d’infraction différentes. D’une part, l’article 2, deuxième alinéa, point 31, de la décision de 2009 se référerait à la période allant du 30 septembre 1995 au 17 mai 2000 et, d’autre part, l’article 2, deuxième alinéa, point 32, de cette décision renverrait à la période allant du 11 septembre 1991 au 29 septembre 1995. Cette répartition serait la conséquence du fait que CPA n’a pas participé à l’infraction en cause pendant cette dernière période.

56

En outre, GEA estime que le Tribunal n’a pas appliqué par analogie la théorie de la répartition interne de la responsabilité solidaire, contrairement à ce que prétend la Commission. L’arrêt attaqué concernerait non pas la responsabilité d’un point de vue interne, mais la mesure dans laquelle les sociétés du « groupe GEA » sont « extérieurement » responsables à l’égard de la Commission.

57

Enfin, en ce qui concerne les effets de l’application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires au profit d’ACW, GEA fait valoir que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771), ne saurait être interprété en ce sens qu’une ancienne société mère ne doit pas être affectée par l’application à son ancienne filiale du plafond de 10 % de son chiffre d’affaires.

2) Appréciation de la Cour

58

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré aux articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 24 septembre 2020, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission, C‑601/18 P, EU:C:2020:751, point 101 ainsi que jurisprudence citée). La Commission est tenue de respecter ce principe lorsqu’elle exerce le pouvoir, dont elle dispose en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, d’infliger une amende à des entreprises ayant commis une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union et en détermine le montant (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 63 et jurisprudence citée).

59

Cela étant, lorsque plusieurs personnes juridiques peuvent être tenues pour personnellement responsables de la participation à une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union, en raison de leur appartenance à une seule et même entreprise à laquelle cette infraction peut être reprochée, la Commission dispose, en vertu de cette disposition, du pouvoir de leur infliger solidairement une amende (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 120).

60

Toutefois, lorsqu’elle décide d’exercer ce pouvoir de sanction, la Commission ne saurait déterminer librement le rapport extérieur de solidarité et, en particulier, le montant de l’amende dont elle peut exiger le paiement intégral de chacun des codébiteurs solidaires (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 121).

61

En effet, la notion du droit de l’Union de solidarité pour le paiement de l’amende n’étant qu’une manifestation d’un effet de plein droit de la notion d’entreprise, la détermination du montant de l’amende au paiement intégral duquel chacun des codébiteurs solidaires peut être tenu par la Commission procède de l’application, dans un cas d’espèce, de cette notion d’entreprise (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 122).

62

À cet égard, le choix des auteurs des traités a été d’utiliser la notion d’entreprise pour désigner l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence, susceptible d’être sanctionné en application des articles 81 et 82 CE, et non d’autres notions telles que celles de société ou de personne morale (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 123).

63

C’est d’ailleurs cette même notion d’entreprise que le législateur de l’Union a retenue à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 pour définir l’entité à laquelle la Commission peut infliger une amende pour sanctionner une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 124).

64

Selon une jurisprudence constante, la notion d’« entreprise », au sens du droit de la concurrence de l’Union, désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Cette notion doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 125, ainsi que du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑516/15 P, EU:C:2017:314, points 47 et 48).

65

Lorsque la Commission dispose, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, de la faculté de condamner solidairement à une amende différentes personnes juridiques faisant partie d’une seule et même entreprise responsable de l’infraction, la détermination par la Commission du montant de cette amende, en ce qu’elle procède de l’application, dans un cas d’espèce, de la notion d’entreprise, laquelle est une notion du droit de l’Union, est assujettie à certaines contraintes qui imposent qu’il soit dûment tenu compte des caractéristiques de l’entreprise concernée, telle qu’elle était constituée durant la période où l’infraction a été commise (arrêt du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a., C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 51).

66

À cet égard, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, la composition de l’entreprise concernée peut prendre différentes configurations au cours de la participation de cette entreprise à une infraction. Ces variations sont susceptibles de se produire, notamment, lorsque, comme en l’espèce, l’infraction se prolonge sur une longue période.

67

Dans la mesure où de telles variations ne remettent pas en cause l’unicité de l’entreprise en tant que personne à laquelle l’infraction est imputable, elles n’affectent pas le pouvoir de la Commission, rappelé au point 59 du présent arrêt, d’infliger solidairement une amende à plusieurs personnes juridiques appartenant à une seule et même entreprise.

68

En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 1 à 3 et 6 à 8 de l’arrêt attaqué, la structure du groupe GEA, durant la période au cours de laquelle l’infraction a été commise, était la suivante. Entre l’année 1991 et le 17 mai 2000, OCG, qui, après cette dernière date, était dénommée ACW, était une filiale à 100 % de MG, qui, à son tour, est devenue GEA à partir de l’année 2005. Pendant cette même période, OCA, qui à compter du 30 août 2000, est dénommée CPA, était détenue à 100 % par MG et, pendant différentes périodes, elle était soit la filiale, soit la société mère directe d’OCG. OCA a été la société mère avec un contrôle direct à 100 % d’OCG du 30 septembre 1995 au 30 septembre 1999. Du 30 septembre 1999 au 17 mai 2000, OCG a été la société mère avec un contrôle direct à 100 % d’OCA et a exercé un contrôle direct sur cette dernière société.

69

Eu égard aux enseignements découlant de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:536), la Commission était en droit de constater dans la décision de 2009 que, compte tenu des liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent les sociétés concernées, en exerçant une influence déterminante sur ses filiales, MG, devenue GEA, faisait partie, avec OCG et OCA, devenues respectivement ACW et CPA, d’une seule entreprise, au sens du droit de la concurrence de l’Union.

70

Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission pouvait valablement considérer que GEA, ACW et CPA formaient une seule et même entreprise qui, sous ses différentes configurations successives, a commis l’infraction en cause.

71

Ainsi, il convient de constater que, en considérant, au point 55 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait, d’une part, une entreprise, au sens du droit de la concurrence de l’Union, composée de GEA, d’ACW et de CPA du 30 septembre 1995 au 17 mai 2000, et, d’autre part, une entreprise, au sens de ce droit, composée de GEA et d’ACW du 11 septembre 1991 au 29 septembre 1995, le Tribunal a établi l’existence de deux entreprises au sens du droit de la concurrence de l’Union et a donc commis une erreur de droit en méconnaissant la notion d’“entreprise”, au sens de l’article 81 CE.

72

Dans la mesure où la responsabilité solidaire n’est qu’une manifestation d’un effet de plein droit de la notion d’entreprise et que, en l’espèce, il y avait une seule et même entreprise, la Commission était en droit de déterminer, initialement à l’article 2, deuxième alinéa, points 31 et 32, de la décision de 2009, et, ensuite, à l’article 2, deuxième alinéa, points 31.a), 31.b) et 32, de la décision de 2009, telle que modifiée par la décision litigieuse, les montants maximums de l’amende dont pouvaient être tenues pour conjointement et solidairement responsables GEA, ACW et CPA pour le paiement d’une seule amende en tant qu’entités faisant partie d’une seule et même entreprise à laquelle l’infraction en cause est imputable. En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, dans une situation telle que celle en cause, la fixation de tels montants maximums ne reflète pas des périodes spécifiques de la participation des entités composant l’entreprise unique à l’infraction en cause.

73

Dans ces conditions, le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant, aux points 106 et 109 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, il y avait deux rapports de solidarité entre GEA, ACW et CPA, alors que celles-ci faisaient partie d’une seule et même entreprise, et deux amendes infligées pour deux périodes spécifiques reflétant la participation de ces trois sociétés à l’infraction en cause et a donc violé les règles de la détermination de la responsabilité solidaire telles qu’elles résultent de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

74

S’agissant du fait que, en vertu de la décision litigieuse, GEA reste seule responsable pour le montant de 1432229 euros, cette circonstance est, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, une conséquence purement automatique de la réduction appliquée à l’amende infligée à ACW.

75

À cet égard, il convient de relever que, lorsque deux personnes morales distinctes, telles qu’une société mère et sa filiale, ne constituent plus une entreprise, au sens de l’article 81 CE, à la date de l’adoption d’une décision leur infligeant une amende, elles ont le droit de se voir appliquer individuellement le plafond de 10 % du chiffre d’affaires (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 57).

76

En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 2 et 3 de l’arrêt attaqué, il est constant que, à la date de l’adoption de la décision de 2009, GEA ne constituait plus une entité économique avec ACW et CPA au sens de l’article 81 CE.

77

Cette particularité a amené la Commission à calculer séparément ledit plafond sur la base du chiffre d’affaires tel qu’il a été réalisé au cours de l’exercice social qui a précédé l’adoption de la décision litigieuse (voir, par analogie, arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 67).

78

Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 8 de l’arrêt attaqué, le montant que la Commission a initialement estimé approprié de retenir au titre de la responsabilité solidaire d’ACW en raison de sa participation à l’entente correspondait à 3346200 euros, soit exactement le même montant que celui retenu pour GEA.

79

Or, il y a lieu de considérer que le fait que, dans la décision litigieuse, la Commission a tenu, d’une part, GEA pour solidairement responsable du paiement du montant total de l’amende, qui s’élève à 3346200 euros, et, d’autre part, ACW pour solidairement responsable du paiement d’un montant de 1086129 euros résulte de l’application à ACW du plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

80

Ainsi, le fait que GEA reste seule responsable pour le montant de 1432229 euros résulte de la circonstance spécifique que, à la date de l’adoption de la décision de 2009, cette société ne constituait plus une seule entreprise avec ACW et CPA au sens de l’article 81 CE.

81

Dans ce contexte, GEA ne saurait utilement soutenir qu’une violation du principe d’égalité de traitement a été commise à son détriment. À cet égard, il suffit de relever qu’une violation de ce principe ne peut être constatée dans une situation telle que celle en cause où une société filiale, qui, à la date de l’adoption d’une décision infligeant une amende à l’entreprise unique dont elle relevait, ne fait plus partie de cette entreprise unique, a le droit de se voir appliquer individuellement le plafond de 10 % du chiffre d’affaires. Cette circonstance spécifique ne permet pas de considérer que les sociétés concernées se trouvaient dans des situations comparables (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 68).

82

En tout état de cause, une violation du principe d’égalité de traitement ne peut utilement être invoquée puisque, en l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 73 du présent arrêt, il n’y a pas deux rapports de solidarité qui reflètent des périodes spécifiques et, partant, aucune répartition de la responsabilité solidaire ne peut être effectuée.

83

Dès lors, l’article 2, deuxième alinéa, point 32, de la décision de 2009, telle que modifiée par la décision litigieuse, qui impose le montant d’amende de 1432229 euros à GEA, ne s’adresse pas à CPA non pas parce que ce point porterait sur une période infractionnelle spécifique pendant laquelle celle-ci n’a pas participé à l’infraction unique constatée par la Commission, ce qui n’est pas le cas, mais simplement parce que le montant d’amende dont CPA est redevable au titre de sa participation individuelle à cette infraction en raison de son appartenance à l’entreprise qui l’a commise est totalement couvert par les montants d’amende visés aux points 31.a) et 31.b) dudit article 2, deuxième alinéa.

84

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit, en considérant, au point 111 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’a pas respecté ses obligations en vertu du principe d’égalité de traitement.

85

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la première branche du premier moyen.

2.   Sur le second moyen

86

Le second moyen comporte deux branches. Par la première branche de ce moyen, la Commission reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur en considérant que la date d’exigibilité de l’amende en cause ne pouvait être déterminée qu’à compter de la date de réception de la notification de la décision litigieuse. La seconde branche dudit moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu, est tirée d’une violation de l’obligation de motivation.

a)   Sur la seconde branche du second moyen

1) Argumentation des parties

87

Par la seconde branche de son second moyen, la Commission reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment motivé son constat, fait au point 126 de l’arrêt attaqué, selon lequel il y a lieu de considérer que l’obligation de payer les amendes résulte uniquement de l’article 1er de la décision litigieuse et que la date d’exigibilité de ces amendes ne pouvait être déterminée qu’à compter de la date de réception de la notification de cette décision.

88

GEA rétorque que l’arrêt attaqué est suffisamment motivé.

2) Appréciation de la Cour

89

Ainsi qu’il a été rappelé au point 42 du présent arrêt, l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal lui impose de faire connaître de façon claire et non équivoque le raisonnement qu’il a suivi, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel.

90

En l’espèce, il suffit de constater que le raisonnement exposé par le Tribunal aux points 122 à 125 de l’arrêt attaqué est de nature à permettre tant à la Commission de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal a accueilli la première branche du cinquième moyen soulevé par GEA en première instance qu’à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel.

91

En effet, il ressort de ces points, en substance, que, en raison du fait que la rédaction initiale de l’article 2, deuxième alinéa, points 31 et 32, de la décision de 2009 a été remplacée par celle résultant de l’article 1er de la décision litigieuse, le Tribunal a abouti, au point 126 de l’arrêt attaqué, au constat selon lequel l’obligation de payer les amendes résulte uniquement de l’article 1er de la décision litigieuse et que la date d’exigibilité de ces amendes ne pouvait être déterminée qu’à compter de la date de réception de la notification de cette décision.

92

Partant, la seconde branche du second moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

b)   Sur la première branche du second moyen

1) Argumentation des parties

93

Par la première branche de son second moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en retenant, au point 126 de l’arrêt attaqué, que la date d’exigibilité de l’amende en l’espèce ne pouvait être déterminée qu’à compter de la date de réception de la notification de la décision litigieuse.

94

La Commission précise que l’annulation de la décision de 2010 a eu pour effet de réactiver non seulement l’article 2, deuxième alinéa, points 31 et 32, de la décision de 2009, mais aussi la date d’exigibilité initiale fixée à l’article 2, dernier alinéa, de cette décision.

95

Dans ce contexte, la Commission fait valoir qu’elle avait le droit de modifier le montant de l’amende infligée et la responsabilité solidaire sans avoir à fixer nécessairement une nouvelle date d’exigibilité de cette amende. Ainsi, la Commission considère que, même si elle a, par la décision litigieuse, modifié les parties du dispositif de la décision de 2009 qui déterminaient le montant de l’amende et la responsabilité solidaire, elle n’était pas obligée de fixer une date d’exigibilité de l’amende infligée qui soit postérieure à la date de la notification de la décision litigieuse.

96

Selon cette institution, si la Cour devait confirmer qu’elle doit fixer une date d’exigibilité des amendes qui soit postérieure à celle de la notification d’une décision modificative telle que la décision litigieuse, cela conduirait à la perte des intérêts courus sur la partie subsistante de l’amende depuis la date d’exigibilité initialement fixée, ce qui limiterait sa marge d’appréciation et réduirait l’efficacité des amendes infligées par elle.

97

Dans ces conditions, la Commission estime que, en l’espèce, afin de ne pas placer GEA dans une position plus désavantageuse par rapport à ACW et à CPA, elle avait le droit de fixer la date d’exigibilité des amendes au 10 mai 2010.

98

GEA rétorque que, s’il est vrai que la Commission a le pouvoir de déterminer la date à laquelle les amendes sont exigibles et la date à partir de laquelle les intérêts de retard commencent à courir, ce pouvoir ne s’étend pas à la fixation d’une date d’exigibilité des intérêts de retard qui soit antérieure à la date à laquelle les amendes ont été fixées. Il ne serait pas possible de justifier par l’efficacité du droit de l’Union la fixation d’une date d’exigibilité d’une amende antérieure à la notification de la décision constituant le fondement de cette amende.

99

En conséquence, selon GEA, dans la mesure où la date d’exigibilité de l’amende ne peut être fixée à une date antérieure à la notification de la décision litigieuse, les intérêts relatifs au paiement de l’amende ne peuvent commencer à courir qu’à compter de la date de notification de cette décision, conformément au principe selon lequel l’accessoire suit le principal.

2) Appréciation de la Cour

100

Les décisions de la Commission par lesquelles elle inflige des amendes pour des infractions au droit de la concurrence de l’Union déterminent, notamment, le montant des amendes en cause et les intérêts de retard ainsi que les coordonnées du compte bancaire de la Commission sur lequel les entreprises concernées doivent payer ces amendes. Ces décisions fixent aussi le délai de paiement des amendes infligées. Afin d’éviter un recouvrement forcé, le paiement doit être effectué avant l’expiration de ce délai.

101

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 299 TFUE, les décisions de la Commission qui comportent, à la charge des personnes autres que les États membres, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire.

102

Il convient également de relever que, en vertu de l’article 278 TFUE, les recours formés devant la Cour de justice de l’Union européenne contre de tels types de décisions n’ont pas d’effet suspensif.

103

Il s’ensuit que les décisions de la Commission ont force exécutoire dans les conditions fixées à l’article 299 TFUE et que les amendes qu’elles comportent sont, en principe, exigibles à l’expiration du délai fixé dans ces décisions.

104

Dans ces conditions et compte tenu de l’objectif d’assurer le respect effectif des règles du droit de la concurrence de l’Union, il convient de considérer que, en principe, le débiteur doit s’acquitter du paiement qui lui incombe avant la date d’exigibilité de ce paiement fixée par la Commission dans sa décision.

105

En l’espèce, la Commission a initialement prévu, à l’article 2, dernier alinéa, de la décision de 2009, une date d’exigibilité des amendes infligées, qui a été fixée à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de notification de cette décision, pour toutes les entreprises destinataires de ladite décision.

106

Ainsi qu’il ressort du point 124 de l’arrêt attaqué, la décision de 2010, par laquelle la Commission a décidé qu’il y avait lieu de modifier la décision de 2009 puisque, d’une part, l’amende infligée à ACW dépassait le plafond de 10 % du chiffre d’affaires et, d’autre part, le montant de l’amende pour laquelle ACW était tenue solidairement responsable avec GEA et CPA devait être réduit, a été annulée par le Tribunal dans son arrêt du 15 juillet 2015, GEA Group/Commission (T‑189/10, EU:T:2015:504), en ce qu’elle concernait GEA. Cette annulation a eu pour effet la réactivation de la rédaction initiale de l’article 2 de la décision de 2009, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 125 de l’arrêt attaqué.

107

Toutefois, ladite rédaction a été de nouveau remplacée par celle résultant de la décision litigieuse. L’article 2 de cette décision a fixé une nouvelle date d’exigibilité des amendes, à savoir le 10 mai 2010.

108

Cette date est, d’une part, antérieure à la date de réception de la notification de la décision litigieuse et, d’autre part, postérieure à la date d’exigibilité des amendes fixée dans la décision de 2009. Elle correspond à la date d’exigibilité indiquée dans une lettre de la Commission du 9 février 2010 accompagnant la décision de 2010.

109

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la Commission est investie d’un pouvoir qui comprend la faculté de déterminer la date d’exigibilité de l’amende qu’elle prononce et celle de la prise de cours des intérêts de retard, de fixer le taux de ces intérêts et d’arrêter les modalités d’exécution de sa décision en exigeant, le cas échéant, la constitution d’une garantie bancaire couvrant le montant en principal et en intérêts de l’amende infligée. En l’absence d’un tel pouvoir, l’avantage que les entreprises seraient susceptibles de tirer du paiement tardif des amendes aurait pour effet d’affaiblir les sanctions infligées par la Commission dans le cadre de la tâche qui lui est dévolue de veiller à l’application des règles du droit de la concurrence de l’Union.

110

En l’espèce, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 62 de ses conclusions, la modification apportée à l’article 2, deuxième alinéa, points 31 et 32, de la décision de 2009, d’abord par la décision de 2010, entre-temps annulée, et ensuite par la décision litigieuse, a porté uniquement sur le montant de l’amende infligée à ACW et sur la nouvelle détermination des rapports de solidarité, mais non pas sur l’imposition de l’amende en tant que telle, ni sur le montant global de celle-ci. Dès lors, il y a lieu d’observer que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 126 de l’arrêt attaqué, l’article 2 de la décision de 2009 constitue le fondement juridique de l’obligation pour GEA, ACW et CPA de payer l’amende, et non pas l’article 1er de la décision litigieuse.

111

Dans ces conditions, il convient de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 126 de l’arrêt attaqué, que le délai d’exigibilité des amendes ne pouvait être déterminé qu’à compter de la date de réception de la notification de la décision litigieuse.

112

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la première branche du second moyen.

113

Il convient, en conséquence, d’annuler l’arrêt attaqué.

Sur le renvoi de l’affaire au Tribunal

114

Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

115

À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’occurrence, la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur l’ensemble des moyens invoqués en première instance.

116

Les aspects du litige soulevés par ces moyens impliquent l’examen de questions de fait sur la base d’éléments qui, d’une part, n’ont pas été appréciés par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, celui-ci ayant estimé, au point 128 de cet arrêt, qu’un tel examen était superflu, dès lors qu’il a accueilli le quatrième moyen et la première branche du cinquième moyen soulevés par GEA, et, d’autre part, n’ont pas été débattus devant la Cour, ce dont il résulte que l’affaire n’est pas, sur ce point, en l’état d’être jugée.

117

Par conséquent, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.

Sur les dépens

118

L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 octobre 2018, GEA Group/Commission (T‑640/16, EU:T:2018:700), est annulé.

 

2)

L’affaire T‑640/16 est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

 

3)

Les dépens sont réservés.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.