ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

21 janvier 2021 ( *1 )

« Pourvoi – Accès aux documents des institutions de l’Union européenne – Règlement (CE) no 1049/2001 – Article 10 – Refus d’accès – Recours devant le Tribunal de l’Union européenne contre une décision du Parlement européen refusant l’accès à un document – Divulgation du document annoté par un tiers postérieurement à l’introduction du recours – Non-lieu à statuer prononcé par le Tribunal en raison de la disparition de l’intérêt à agir – Erreur de droit »

Dans l’affaire C‑761/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 décembre 2018,

Päivi Leino-Sandberg, demeurant à Helsinki (Finlande), représentée par Mes O. W. Brouwer et B. A. Verheijen, advocaten, ainsi que par Me S. Schubert, Rechtsanwalt,

partie requérante,

soutenue par :

République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

Royaume de Suède, représenté initialement par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, H. Shev, J. Lundberg et H. Eklinder, puis par Mmes C. Meyer-Seitz, H. Shev et H. Eklinder, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par Mmes C. Burgos, I. Anagnostopoulou et L. Vétillard, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász, C. Lycourgos et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juillet 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, Mme Päivi Leino-Sandberg demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 20 septembre 2018, Leino-Sandberg/Parlement (T‑421/17, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2018:628), par laquelle celui-ci a jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur son recours tendant à l’annulation de la décision du Parlement européen A(2016) 15112, du 3 avril 2017 (ci-après la « décision litigieuse »), refusant de lui accorder l’accès à la décision A(2015) 4931 du Parlement, du 8 juillet 2015, adressée à M. Emilio De Capitani.

Les antécédents du litige

2

La requérante, professeure de droit international et de droit européen à l’University of Eastern Finland (université de Finlande orientale), a présenté au Parlement, dans le cadre de deux projets de recherche relatifs à la transparence dans les trilogues, une demande d’accès à des documents de cette institution. Dans ce contexte, elle a spécifiquement demandé à avoir accès à la décision A(2015) 4931 du Parlement européen, du 8 juillet 2015, refusant d’accorder à M. De Capitani l’accès intégral aux documents LIBE-2013-0091-02 et LIBE-2013-0091-03 (ci-après la « décision A(2015) 4931 » ou le « document demandé »). Par cette décision, le Parlement a refusé, en substance, à M. De Capitani l’accès à la quatrième colonne de deux tableaux établis dans le cadre de trilogues alors en cours.

3

Ladite décision a fait l’objet d’un recours en annulation introduit par M. De Capitani, enregistré au greffe du Tribunal le 18 septembre 2015 sous le numéro d’affaire T‑540/15. Entre-temps, M. De Capitani a rendu public ce document en le mettant en ligne sur un blog (ci-après le « document litigieux »).

4

Par la décision litigieuse, le Parlement a refusé à la requérante l’accès au document demandé, au motif que, celui-ci étant contesté par son destinataire devant le Tribunal et la procédure juridictionnelle étant toujours en cours, sa divulgation porterait atteinte à la protection des procédures juridictionnelles consacrée à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

5

Par arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement (T‑540/15, EU:T:2018:167), le Tribunal a annulé la décision A(2015) 4931.

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

6

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 juillet 2017, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. La République de Finlande et le Royaume de Suède ont demandé à intervenir à la procédure au soutien des conclusions de la requérante.

7

Le 14 novembre 2017, le Tribunal, par une mesure d’organisation de la procédure adoptée au titre de l’article 89 de son règlement de procédure, a, notamment, demandé à la requérante si elle estimait avoir eu satisfaction, dès lors qu’il lui était loisible de consulter le document litigieux sur Internet. Le 27 mars 2018, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal au titre de l’article 130, paragraphe 2, de ce règlement de procédure, le Parlement a déposé une demande de non-lieu à statuer.

8

Le 20 avril 2018, la requérante a déposé au greffe du Tribunal ses observations sur la demande de non-lieu à statuer, en demandant au Tribunal de rejeter cette demande.

9

Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours de la requérante dès lors que, à la suite de la divulgation du document litigieux sur Internet, ledit recours avait perdu son objet. Le Tribunal a exclu l’application de la jurisprudence selon laquelle un requérant peut conserver un intérêt à demander l’annulation d’un acte d’une institution de l’Union pour permettre d’éviter que l’illégalité dont celui-ci est prétendument entaché ne se reproduise à l’avenir. Selon le Tribunal, le refus opposé par le Parlement était de nature ponctuelle et conjoncturelle.

Les conclusions des parties devant la Cour

10

Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée ;

de statuer définitivement sur le litige ;

de condamner le Parlement aux dépens, et

de condamner les parties intervenantes à supporter leurs propres dépens.

11

La République de Finlande demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée et

de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen.

12

Le Royaume de Suède demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée et

de statuer définitivement sur le litige.

13

Le Parlement demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

14

À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève deux moyens. Par son premier moyen, elle reproche au Tribunal d’avoir conclu que le recours était devenu sans objet et qu’il n’y avait plus lieu de statuer. Par son second moyen, la requérante fait grief au Tribunal d’avoir jugé que la publication du document litigieux par un tiers avait entraîné la perte de son intérêt à agir.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

15

Par son premier moyen, qui comporte deux griefs, la requérante fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la publication du document litigieux sur Internet par le destinataire de celui-ci avait rendu sans objet le recours en première instance.

16

La requérante soutient, d’une part, que le Tribunal a méconnu le principe découlant de l’arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), selon lequel un litige conserve son objet lorsque, malgré la publication des documents demandés, l’institution qui avait originairement refusé l’accès à ces documents ne retire pas sa décision. Or, en l’espèce, le Parlement n’aurait pas retiré la décision litigieuse.

17

D’autre part, la requérante reproche au Tribunal d’avoir appliqué un critère trop strict et incorrect en se bornant à rechercher si elle pouvait « de manière tout à fait légale » utiliser le document litigieux à la suite de la publication de celui-ci par M. De Capitani sur son blog. En effet, et alors que M. De Capitani avait lui-même indiqué que la version publiée du document demandé était « une version dans laquelle [il avait] souligné des passages et inséré des notes », la requérante souligne que sa qualité de chercheuse tenue au respect des normes universitaires de qualité, d’objectivité et d’éthique lui ferait obligation de n’utiliser que des informations obtenues de sources authentiques. Par ailleurs, il ne ressortirait pas de l’objet du règlement no 1049/2001 que ce dernier doit être interprété en ce sens que la publication d’un document par un tiers peut se substituer à l’accès public octroyé par l’institution en cause en vertu de ce règlement.

18

Les gouvernements finlandais et suédois soutiennent l’argumentation de la requérante et estiment que l’objet du recours n’a pas disparu.

19

En particulier, le gouvernement finlandais fait observer que, à sa connaissance, la Cour n’a jamais considéré que la divulgation d’un document par un tiers est pertinente aux fins d’apprécier si l’intérêt d’un requérant perdure dans une affaire relative à l’application du règlement no 1049/2001. Ce gouvernement fait valoir, en outre, que les situations en cause dans les affaires ayant donné lieu à l’ordonnance du 11 décembre 2006, Weber/Commission (T‑290/05, non publiée, EU:T:2006:381), ainsi qu’aux arrêts du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil (T‑63/10, EU:T:2012:516), et du 15 octobre 2013, European Dynamics Belgium e.a./EMA (T‑638/11, non publié, EU:T:2013:530), auxquels le Tribunal s’est référé au point 27 de l’ordonnance attaquée, se distinguent de la situation en cause en l’espèce.

20

De son côté, le Parlement conclut au rejet du premier moyen du pourvoi.

21

D’une part, le Parlement souligne que les faits sous-tendant la présente affaire et ceux qui ont donné lieu à l’arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), sont différents et que le raisonnement suivi par la Cour dans celui-ci ne saurait être transposé à celle-là. Le seul point commun entre ledit arrêt et la présente affaire serait le fait que l’institution en cause n’a pas retiré la décision litigieuse.

22

D’autre part, le Parlement fait valoir que l’argument relatif aux normes de qualité et à l’impossibilité pour un universitaire de se fier à des recherches sur Internet n’a pas été soulevé devant le Tribunal. Il s’agirait donc d’un nouveau moyen qui étend l’objet du litige et qui, par suite, doit être rejeté comme étant irrecevable.

23

Par ailleurs, le Parlement fait observer que le Tribunal n’a pas constaté que, ni même examiné si, la publication du document litigieux par M. De Capitani était valablement susceptible de se substituer à l’accès public, mais qu’il a uniquement apprécié si la requérante pouvait en faire usage de manière tout à fait légale aux fins de ses travaux universitaires.

24

De plus, s’agissant de l’affirmation du gouvernement finlandais selon laquelle la requérante ne pourrait avoir une certitude complète quant à la légitimité de la publication et de l’utilisation du document litigieux, le Parlement fait valoir que celle-ci n’a jamais exprimé de doute quant au fait que M. De Capitani, destinataire du document demandé, était bien la personne qui avait publié le document litigieux. Le Parlement estime qu’il n’y a aucun doute sur ce point.

25

Enfin, le Parlement souligne que, contrairement à ce que suggère le gouvernement finlandais, il ressort de la jurisprudence citée dans l’ordonnance attaquée que le Tribunal a défini un critère général lorsqu’il a jugé qu’un recours en annulation d’une décision refusant l’accès à des documents n’a plus d’objet dans le cas où ces documents ont été rendus accessibles par un tiers, le demandeur pouvant en effet accéder auxdits documents et en faire usage de manière aussi légale que s’il les avait obtenus à la suite d’une demande introduite en vertu du règlement no 1049/2001.

Appréciation de la Cour

26

Par son premier moyen, la requérante, soutenue par les gouvernements finlandais et suédois, fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a jugé que le recours était devenu sans objet. D’une part, dans un premier grief, elle soutient que, le Parlement n’ayant pas retiré la décision litigieuse, le recours conservait son objet. D’autre part, dans un second grief, elle soutient que le Tribunal a appliqué un critère trop strict et incorrect en se bornant à rechercher si elle pouvait de manière légale utiliser le document litigieux à la suite de la divulgation de celui-ci par un tiers sur Internet, dans une version annotée et soulignée, alors que sa qualité de chercheuse universitaire lui imposerait de n’utiliser que des informations obtenues de sources authentiques.

27

En ce qui concerne la fin de non-recevoir, exposée au point 22 du présent arrêt, tirée de ce que le second grief n’a pas été soulevé devant le Tribunal, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui. Toutefois, un argument qui n’a pas été soulevé en première instance ne constitue pas un moyen nouveau qui est irrecevable au stade du pourvoi s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre d’un moyen présenté dans la requête devant le Tribunal (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, points 113 et 114 ainsi que jurisprudence citée).

28

En l’occurrence, il y a lieu de relever que la requérante a fait valoir, en substance, au point 3 de ses observations sur la demande de non-lieu à statuer présentées devant le Tribunal, qu’un document ne saurait être considéré comme ayant fait l’objet d’une « publication » en tant que telle lorsqu’il a été divulgué sur Internet par un particulier, une telle divulgation n’étant pas comparable à l’accès accordé à celui-ci par l’institution ou à sa publication par cette institution.

29

Partant, et alors même que la requérante n’a pas expressément fait état, en première instance, de ce que sa qualité de chercheuse tenue au respect des normes universitaires de qualité et d’objectivité lui impose de n’utiliser que des informations obtenues de sources authentiques, le second grief, tiré de ce que le Tribunal a appliqué un critère trop strict et incorrect en se fondant sur le fait que la requérante pouvait légalement utiliser le document litigieux à la suite de la publication de celui-ci par un tiers, est l’ampliation de l’argumentation qu’elle a développée devant le Tribunal.

30

Dans ces conditions, le second grief du premier moyen est recevable.

31

En ce qui concerne le bien-fondé du premier moyen, il convient de relever que, au point 27 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rappelé sa jurisprudence selon laquelle « un recours en annulation d’une décision refusant l’accès à des documents n’a plus d’objet, lorsque les documents en question ont été rendus accessibles par un tiers, le demandeur pouvant accéder à ces documents et en faire usage de manière aussi légale que s’il les avait obtenus à la suite de sa demande introduite en vertu du règlement no 1049/2001 ». De plus, au point 28 de cette ordonnance, le Tribunal a constaté que cette jurisprudence s’appliquait à plus forte raison dans le cas d’espèce, « étant donné que la version intégrale du document [litigieux] [avait] été rendue accessible par le destinataire de ce document lui-même, de sorte qu’il ne [faisait] aucun doute que la requérante [pouvait] en faire usage de manière tout à fait légale aux fins de ses travaux universitaires ».

32

Il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’intérêt à agir d’un requérant doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêts du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 61 ; du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, points 84 et 85 ; du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668, point 50, ainsi que du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 24).

33

En l’occurrence, il convient de constater que, même si le document litigieux a été divulgué par un tiers, la décision litigieuse n’a pas été formellement retirée par le Parlement, de sorte que le litige, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, notamment aux points 27 et 28 de l’ordonnance attaquée, a conservé son objet (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 45 et jurisprudence citée).

34

Dès lors, afin de vérifier si le Tribunal aurait dû statuer sur le fond du recours, il convient d’examiner, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 32 du présent arrêt, si la requérante pouvait encore se prévaloir, en dépit de cette divulgation, d’un intérêt à agir, ce qui implique de déterminer si la requérante a obtenu, par ladite divulgation, pleine satisfaction au regard des objectifs qu’elle poursuivait par sa demande d’accès au document concerné (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 47).

35

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que l’intérêt à agir, qui doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, constitue une condition procédurale indépendante du droit matériel applicable au fond d’un litige, il ne peut toutefois être dissocié de ce droit, l’existence de l’intérêt à agir s’appréciant au regard de la demande matérielle qui a été formulée dans la requête introductive d’instance.

36

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté du législateur de l’Union, exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE, de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 73 et jurisprudence citée).

37

Cet objectif fondamental de l’Union est également reflété, d’une part, à l’article 15, paragraphe 1, TFUE, qui prévoit, notamment, que les institutions, les organes et les organismes de l’Union œuvrent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture, principe également réaffirmé à l’article 10, paragraphe 3, TUE et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, ainsi que, d’autre part, par la consécration du droit d’accès aux documents à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 74 et jurisprudence citée).

38

Dans cette perspective, le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 33).

39

À cet effet, l’article 2 du règlement no 1049/2001 prévoit, à son paragraphe 1, que « [t]out citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement », et ajoute, à son paragraphe 4, que, « [s]ans préjudice des articles 4 et 9 [de ce règlement], les documents sont rendus accessibles au public soit à la suite d’une demande écrite, soit directement sous forme électronique ou par l’intermédiaire d’un registre ».

40

Ainsi, ce règlement établit, d’une part, le droit, en principe, de toute personne à accéder aux documents d’une institution et, d’autre part, l’obligation, en principe, d’une institution d’octroyer l’accès à ses documents.

41

L’article 4 dudit règlement énumère limitativement les exceptions au droit d’accès aux documents des institutions sur la base desquelles ces dernières peuvent refuser l’accès à un document, et ce afin d’éviter que la divulgation de celui-ci ne porte atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article 4 (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Jurašinović/Conseil, C‑576/12 P, EU:C:2013:777, point 44 et jurisprudence citée).

42

Quant à l’article 10 du même règlement, qui porte sur les modalités d’accès aux documents à la suite d’une demande, il prévoit, à son paragraphe 1, que cet accès « s’exerce soit par consultation sur place, soit par délivrance d’une copie, y compris, le cas échéant, une copie électronique, selon la préférence du demandeur ».

43

En outre, il convient de faire observer que l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 prévoit que « l’institution peut satisfaire à son obligation d’octroyer l’accès aux documents en informant le demandeur des moyens d’obtenir le document souhaité », mais cela uniquement « [s]i un document a déjà été divulgué par l’institution concernée et est aisément accessible pour le demandeur ».

44

Ainsi, en informant le demandeur des moyens d’obtenir un document demandé, qui a déjà été divulgué par l’institution concernée, celle-ci satisfait à son obligation d’octroyer l’accès à ce document comme si elle l’avait elle-même directement communiqué au demandeur. Une telle information constitue, en effet, un prérequis essentiel pour confirmer le caractère exhaustif, l’intégrité et l’utilisation légale du document demandé.

45

En revanche, il ne saurait être considéré que l’institution concernée a satisfait à son obligation d’octroyer l’accès à un document du seul fait que ce document a été divulgué par un tiers et que le demandeur en a pris connaissance.

46

En effet, contrairement à la situation dans laquelle l’institution concernée a elle-même divulgué un document, permettant ainsi au demandeur d’en prendre connaissance et d’en faire un usage de manière légale tout en étant assuré du caractère exhaustif et de l’intégrité de ce document, un document divulgué par un tiers ne saurait être considéré comme constituant un document officiel ou comme exprimant la position officielle d’une institution en l’absence d’une approbation univoque de cette institution selon laquelle ce qui a été recueilli émane bien d’elle et exprime sa position officielle.

47

Si la position défendue par le Parlement et adoptée par le Tribunal était retenue, une institution se verrait déchargée de son obligation d’octroyer l’accès au document demandé, alors même qu’aucune des conditions lui permettant d’échapper à cette obligation, prévues dans le règlement no 1049/2001, ne serait satisfaite.

48

Dès lors, dans une situation telle que celle de l’espèce, où la requérante a obtenu uniquement accès au document litigieux divulgué par un tiers et où le Parlement continue à lui refuser l’accès au document demandé, il ne peut être considéré que la requérante a obtenu l’accès à ce dernier document, au sens du règlement no 1049/2001, ni que, partant, elle a perdu l’intérêt à demander l’annulation de la décision litigieuse du seul fait de cette divulgation. Au contraire, dans une telle situation, la requérante conserve un intérêt réel à obtenir l’accès à une version authentifiée du document demandé, au sens de l’article 10, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, garantissant que cette institution en est l’auteur et que ce document exprime la position officielle de celle-ci.

49

Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 27 et 28 de l’ordonnance attaquée, en ayant assimilé la divulgation d’un document par un tiers à la divulgation par l’institution concernée du document demandé, au sens du règlement no 1049/2001, et en ayant déduit, au point 37 de cette ordonnance, qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours de la requérante au motif que, le document ayant été divulgué par un tiers, la requérante pouvait y accéder et en faire usage de manière aussi légale que si elle l’avait obtenu à la suite de la satisfaction d’une demande introduite en vertu de ce règlement.

50

Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le premier moyen du pourvoi et d’annuler l’ordonnance attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments de ce moyen ni le second moyen du pourvoi.

Sur le recours devant le Tribunal

51

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

52

En l’espèce, le Tribunal ayant accueilli la demande de non-lieu à statuer du Parlement sans avoir examiné le recours de la requérante sur le fond, la Cour considère que le litige n’est pas en état d’être jugé. Il convient, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

Sur les dépens

53

L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 20 septembre 2018, Leino-Sandberg/Parlement (T‑421/17, non publiée, EU:T:2018:628), est annulée.

 

2)

L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

 

3)

Les dépens sont réservés.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.