ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Articles 6 et 47 ainsi que article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2012/13/UE – Article 8, paragraphe 2 – Directive 2013/48/UE – Article 12 – Directive (UE) 2016/343 – Article 3 – Réglementation nationale autorisant, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société – Droit d’être informé de ses droits – Droit d’accès à un avocat – Droit à un recours effectif – Présomption d’innocence – Personne vulnérable »

Dans l’affaire C‑467/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie), par décision du 17 juillet 2018, parvenue à la Cour le 17 juillet 2018, dans la procédure pénale contre

EP,

en présence de :

Rayonna prokuratura Lom,

KM,

HO,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský, C. G. Fernlund (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour EP, par Mes M. Ekimdzhiev, K. Boncheva et T. Ekimdzhieva, advokati,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme A. Kasalická, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. Huurnink, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme Y. G. Marinova, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juillet 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1), de l’article 12 de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1), de l’article 3 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), ainsi que de l’article 6, de l’article 21, paragraphe 1, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure judiciaire visant à ordonner l’internement psychiatrique d’EP.

Le cadre juridique

La CEDH

3

La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), dispose, à son article 5, intitulé « Droit à la liberté et à la sûreté » :

« 1.   Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

[...]

e)

s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

[...]

4.   Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

[...] »

Le droit de l’Union

La directive 2012/13

4

Les considérants 19, 22 et 26 de la directive 2012/13 sont rédigés comme suit :

« (19)

Les autorités compétentes devraient informer rapidement, oralement ou par écrit, les suspects ou les personnes poursuivies desdits droits, tels qu’ils s’appliquent en vertu du droit national, qui sont essentiels pour garantir l’équité de la procédure, comme le prévoit la présente directive. Afin de permettre l’exercice pratique et effectif de ces droits, les informations devraient être fournies rapidement au cours de la procédure et au plus tard avant le premier interrogatoire officiel du suspect ou de la personne poursuivie par la police ou par une autre autorité compétente.

[...]

(22)

En cas d’arrestation ou de détention du suspect ou de la personne poursuivie, des informations sur les droits procéduraux qui leur sont applicables devraient leur être communiquées par une déclaration de droits écrite, rédigée d’une manière facile à comprendre afin de les aider à saisir ce que recouvrent leurs droits. Une telle déclaration de droits devrait être fournie rapidement à chaque personne arrêtée quand elle est privée de liberté par l’intervention des autorités répressives dans le cadre d’une procédure pénale. [...]

[...]

(26)

Lorsqu’elles communiquent des informations à un suspect ou à une personne poursuivie conformément à la présente directive, les autorités compétentes devraient être particulièrement attentives aux personnes qui ne peuvent comprendre le contenu ou le sens des informations en raison, par exemple, de leur jeune âge ou de leur état mental ou physique. »

5

L’article 2, paragraphe 1, de cette directive délimite le champ d’application de cette dernière dans les termes suivants :

« La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

6

L’article 3 de ladite directive, intitulé « Droit d’être informé de ses droits », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent ci‑après, tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits :

a)

le droit à l’assistance d’un avocat ;

b)

le droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits et les conditions d’obtention de tels conseils ;

c)

le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, conformément à l’article 6 ;

d)

le droit à l’interprétation et à la traduction ;

e)

le droit de garder le silence.

2.   Les États membres veillent à ce que les informations fournies au titre du paragraphe 1 soient données oralement ou par écrit, dans un langage simple et accessible, en tenant compte des éventuels besoins particuliers des suspects ou des personnes poursuivies vulnérables. »

7

L’article 6 de la même directive, intitulé « Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

[...]

3.   Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation. »

8

L’article 8 de la directive 2012/13, intitulé « Vérifications et voies de recours », dispose, à son paragraphe 2 :

« Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester, conformément aux procédures nationales, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à la présente directive. »

La directive 2013/48

9

Le considérant 51 de la directive 2013/48 énonce :

« L’obligation d’accorder une attention particulière aux suspects ou aux personnes poursuivies se trouvant dans une situation de faiblesse potentielle est à la base d’une bonne administration de la justice. Le ministère public, les autorités répressives et judiciaires devraient donc faciliter l’exercice effectif par ces personnes des droits prévus dans la présente directive, par exemple en tenant compte de toute vulnérabilité éventuelle affectant leur capacité d’exercer leur droit d’accès à un avocat et d’informer un tiers dès leur privation de liberté, et en prenant les mesures appropriées pour garantir l’exercice de ces droits. »

10

L’article 2, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit :

« La présente directive s’applique aux suspects ou aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non. Elle s’applique jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir s’ils ont commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

11

L’article 12 de ladite directive, intitulé « Voies de recours », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ainsi que les personnes dont la remise est demandée dans le cadre de procédures relatives au mandat d’arrêt européen, disposent d’une voie de recours effective conformément au droit national en cas de violation des droits prévus au titre de la présente directive.

2.   Sans préjudice des règles et régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves, les États membres veillent à ce que, dans le cadre des procédures pénales, les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat, ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à l’article 3, paragraphe 6. »

12

L’article 13 de la même directive, intitulé « Personnes vulnérables », prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, lors de l’application de la présente directive, soient pris en compte les besoins spécifiques des personnes vulnérables qui sont soupçonnées ou poursuivies. »

La directive 2016/343

13

L’article 2 de la directive 2016/343, intitulé « Champ d’application », prévoit :

« La présente directive s’applique aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elle s’applique à tous les stades de la procédure pénale, à partir du moment où une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou une infraction pénale alléguée, ou est poursuivie à ce titre, jusqu’à ce que la décision finale visant à déterminer si cette personne a commis l’infraction pénale concernée soit devenue définitive. »

14

Aux termes de l’article 3 de cette directive, intitulé « Présomption d’innocence » :

« Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies soient présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été légalement établie. »

15

L’article 6 de ladite directive énonce :

« 1.   Les États membres veillent à ce que l’accusation supporte la charge de la preuve visant à établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies. Cette disposition s’entend sans préjudice de toute obligation incombant au juge ou à la juridiction compétente de rechercher des éléments de preuve tant à charge qu’à décharge, et sans préjudice du droit de la défense de présenter des éléments de preuve conformément au droit national applicable.

2.   Les États membres veillent à ce que tout doute quant à la question de la culpabilité profite au suspect ou à la personne poursuivie, y compris lorsque la juridiction apprécie si la personne concernée doit être acquittée. »

16

Conformément à l’article 14, paragraphe 1, de la même directive, le délai de transposition de celle-ci est fixé au 1er avril 2018 et, en vertu de son article 15, elle est entrée en vigueur le 31 mars 2016.

Le droit bulgare

17

Le Nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, prévoit, à ses articles 427 et suivants, une procédure spéciale permettant au juge d’ordonner, sur proposition du procureur, des mesures médicales forcées à un individu qui, en état de démence, a commis un acte dangereux pour la société.

18

L’article 427 du code de procédure pénale dispose :

« 1)   Le procureur du ministère public d’arrondissement fait une proposition visant à l’application de mesures médicales obligatoires, [...]

2)   Avant de faire la proposition, le procureur ordonne une expertise et charge l’autorité chargée de l’instruction de clarifier le comportement de la personne avant et après la commission de l’acte et d’apprécier si la personne représente un danger pour la société. »

19

Il résulte de la procédure décrite aux articles 428 à 491 de ce code que la proposition du procureur est examinée par le tribunal d’arrondissement du lieu de la résidence de la personne concernée, celui-ci statuant, après une audience, par ordonnance en formation à juge unique, susceptible d’appel.

20

Par ailleurs, les articles 155 et suivants du Zakon za zdraveto (loi sur la santé) instaurent une procédure particulière permettant d’ordonner, par voie judiciaire, le placement forcé en milieu médical d’une personne atteinte d’une maladie mentale présentant un danger pour sa santé ou celle des tiers.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

21

Le 26 août 2015, après la découverte d’un corps inanimé dans une rue de Medkovets (Bulgarie), des agents de police se sont rendus au domicile d’EP, le fils de la victime. Celui-ci a admis avoir tué sa mère. Informés par des témoins des troubles mentaux dont souffre EP, ces agents de police ont conduit ce dernier au service d’urgence d’un hôpital psychiatrique.

22

Par décision du 12 septembre 2015, le Rayonen sad Lom (tribunal d’arrondissement de Lom, Bulgarie) a ordonné le placement d’EP dans un hôpital psychiatrique pour une période de six mois. Cette décision, prise sur le fondement de la loi sur la santé, a été renouvelée sans interruption jusqu’à la date de la décision de renvoi.

23

L’expertise psychiatrique judiciaire confiée à deux psychiatres hospitaliers a conclu qu’EP souffrait de schizophrénie paranoïde.

24

Par ordonnance du 7 juillet 2016, le procureur de Montana (Bulgarie) a classé sans suite la procédure pénale, au motif qu’EP était atteint d’une maladie mentale. Estimant que ce dernier était incapable de participer à la procédure, le procureur n’a pas remis cette ordonnance à EP.

25

Le 29 décembre 2017, l’Apelativna prokuratura Sofia (parquet de Sofia, Bulgarie) a ordonné la réouverture de la procédure et envisagé la poursuite de l’internement d’EP sur le fondement de la loi sur la santé.

26

Le 1er mars 2018, la procédure pénale ouverte à l’encontre d’EP a été close par voie d’ordonnance. Le ministère public a conclu à la nécessité d’ordonner des mesures médicales forcées au motif qu’EP avait intentionnellement commis une infraction en état de trouble mental, de telle sorte que sa responsabilité pénale ne pouvait être retenue. Cette ordonnance a été remise à la fille de la victime. En l’absence de tout recours formé dans les délais, cette ordonnance est devenue définitive le 10 mars 2018.

27

Le Rayonna prokuratura Lom (ministère public de Lom, Bulgarie) a saisi la juridiction de renvoi, le Rayonen sad de Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie) d’une demande d’internement psychiatrique d’EP, sur le fondement des articles 427 et suivants du code de procédure pénale.

28

Cette juridiction doute de la conformité des dispositions nationales régissant le placement forcé de malades mentaux en milieu médical avec les droits garantis par les directives 2012/13, 2013/48 et 2016/343, ainsi que par la Charte. Ces doutes concernent principalement les articles 427 et suivants du code de procédure pénale et la procédure pénale particulière qu’ils établissent, susceptible de mener à l’internement psychiatrique d’une personne présentant un danger pour la société. Ces doutes se rapportent également aux dispositions de la loi sur la santé, en ce que la procédure qu’elles prévoient permet, elle aussi, l’internement forcé d’une personne, à titre préventif, lorsqu’il existe des raisons de croire que, compte tenu de son état de santé, celle-ci est susceptible de commettre une infraction pénale.

29

La juridiction de renvoi indique en effet qu’EP n’a jamais été interrogé au cours de l’instruction et que l’ouverture d’une procédure pénale à son égard ne lui a pas été notifiée. Comme il n’a pas fait l’objet de poursuites pénales, l’assistance d’un avocat ne lui a pas été assurée. Il n’a pu exercer aucun recours juridictionnel contre les conclusions de droit ou de fait du ministère public.

30

Par ailleurs, la juridiction de renvoi considère que, pour les procédures d’application de mesures médicales forcées au titre des articles 427 et suivants du code de procédure pénale, le droit national ne permet pas au juge de contrôler si, au cours de l’enquête initiale, l’individu considéré comme l’auteur des faits a pu disposer des garanties procédurales minimales pour l’exercice des droits de la défense. En l’occurrence, EP a invoqué la violation de son droit d’être informé de l’accusation portée contre lui, de garder le silence, ainsi que de recevoir l’assistance d’un avocat. La juridiction de renvoi s’interroge, notamment, sur la compatibilité d’une telle réglementation avec l’article 47 et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte.

31

Elle se demande en outre si la procédure dont EP fait l’objet relève du champ d’application des directives 2012/13, 2013/48 et 2016/343. Dans l’affirmative, la juridiction de renvoi estime que, si la Cour venait à considérer que la procédure pénale particulière prévue aux articles 427 et suivants du code de procédure pénale ne garantit pas un droit de recours effectif, elle pourrait alors appliquer, par analogie, la procédure pénale ordinaire.

32

C’est dans ces circonstances que le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La présente procédure d’application de mesures médicales obligatoires, qui sont une forme de contrainte publique visant des personnes qui, selon le constat du procureur, ont commis un acte constituant un danger pour la société, relève-t-elle du champ d’application de la directive [2012/13] et de la directive [2013/48] ?

2)

Le droit procédural bulgare régissant la procédure spéciale d’application de mesures médicales obligatoires selon les dispositions des articles 427 et suivants du code de procédure pénale, procédure qui ne permet pas à la juridiction de renvoyer l’affaire au procureur en lui enjoignant de remédier aux violations de formes substantielles commises au cours de la procédure précontentieuse, mais qui lui permet uniquement d’accueillir ou de rejeter la proposition d’application de mesures médicales obligatoires, offre-t-il une voie de recours effective au sens de l’article 12 de la directive 2013/48 et de l’article 8 de la directive 2012/13, lus conjointement avec l’article 47 de la Charte, qui garantit à la personne concernée la possibilité de contester devant une juridiction la violation de ses droits au cours de la procédure précontentieuse ?

3)

La directive 2012/13 et la directive 2013/48 s’appliquent-elles à des procédures pénales (précontentieuses) lorsque le droit national, à savoir le code de procédure pénale, ne connaît pas la qualité de “suspect” et que, d’un point de vue formel, au cours de la procédure précontentieuse, le procureur ne met pas en examen la personne concernée, au motif que le meurtre faisant l’objet de l’enquête a été commis par cette personne dans un état de trouble mental entraînant son irresponsabilité pénale, raison pour laquelle il clôture la procédure pénale, ce dont il n’informe pas la personne concernée, et il demande à la juridiction d’appliquer des mesures médicales obligatoires à l’encontre de ladite personne ?

4)

La personne faisant l’objet d’une proposition de traitement médical obligatoire acquiert-elle la qualité de “suspect” au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 et de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2013/48, lorsque l’agent de police qui s’est rendu initialement sur le lieu des faits a accompli les premières actions d’enquête au domicile de la victime de l’infraction pénale et de son fils, et, voyant des traces de sang sur le corps de celui-ci, l’a interrogé sur les raisons pour lesquelles il a tué sa mère et déplacé le corps sur la voie publique, questions auxquelles la personne concernée a répondu, à la suite de quoi l’officier l’a menottée ? En cas de réponse affirmative, faut-il, déjà à ce moment-là, donner à la personne concernée les informations visées au paragraphe 1, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 3 de la directive 2012/13, et, dans une telle situation, en donnant ces informations, comment faut-il tenir compte des besoins particuliers de la personne concernée au sens du paragraphe 2 du même article, dans la mesure où la police sait que la personne concernée souffre d’un trouble psychique ?

5)

Une réglementation nationale qui admet une privation de liberté de fait, résultant d’un placement obligatoire en hôpital psychiatrique en application d’une procédure prévue par la loi sur la santé (mesure coercitive préventive imposée lorsqu’il est prouvé que la personne concernée souffre d’une maladie mentale et qu’il y a un risque supposé qu’elle commette une infraction, et non dans le cas où une infraction a déjà été commise), lorsque cette procédure a été déclenchée sur le fondement de faits constitutifs de l’acte faisant l’objet d’une procédure pénale à l’encontre de la personne placée en vue d’un traitement médical, est-elle conforme à l’article 3 de la directive 2016/343 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, et, en cas d’arrestation, y a-t-il ainsi contournement du droit à un procès équitable selon les critères de l’article 5, paragraphe 4, de la [CEDH], c’est-à-dire à un procès dans le cadre duquel la juridiction a le pouvoir de vérifier tant le respect des règles procédurales que les raisons plausibles justifiant la détention, ainsi que la légitimité du but poursuivi par cette mesure, ce que la juridiction a l’obligation de faire lorsque la personne est détenue selon la procédure visée par le code de procédure pénale ?

6)

La notion de “présomption d’innocence” au sens de l’article 3 de la directive 2016/343 comprend-elle également la présomption que les personnes pénalement irresponsables pour cause de trouble mental n’ont pas commis l’acte constituant un danger pour la société dont le procureur les accuse jusqu’à preuve du contraire établie conformément à la loi procédurale (c’est-à-dire dans le cadre d’une procédure pénale et dans le respect des droits de la défense) ?

7)

Une réglementation nationale qui attribue à la juridiction du fond des pouvoirs différents en matière de vérification d’office de la légalité de la procédure précontentieuse selon :

a)

que celle-ci examine un acte d’accusation du procureur affirmant qu’une personne déterminée, qui est en possession de ses capacités mentales, a commis un meurtre (paragraphe 1, lu conjointement avec le paragraphe 4, de l’article 249 du code de procédure pénale), ou

b)

qu’elle examine une proposition du procureur affirmant que la personne concernée a commis un meurtre mais que, en raison de la déficience psychique de son auteur, cet acte ne constitue pas une infraction pénale et, par conséquent, demandant au juge d’appliquer une mesure de contrainte publique en vue d’un traitement médical,

peut-elle être considérée comme garantissant des voies de recours effectives aux personnes vulnérables, telles que requises par l’article 13, lu conjointement avec l’article 12, de la directive 2013/48 et par l’article 8, paragraphe 2, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2012/13, et les pouvoirs différents dont dispose la juridiction selon le type de procédure, qui dépend du point de savoir si la personne désignée comme l’auteur des faits est en possession de ses capacités mentales et est susceptible d’être pénalement responsable, sont-ils conformes au principe de non-discrimination consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte ? »

La procédure devant la Cour

33

La juridiction de renvoi a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

34

Le 10 août 2018, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première, troisième et quatrième questions

35

Par ses première, troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les directives 2012/13 et 2013/48 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent à une procédure judiciaire, telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal, qui autorise, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société et, si tel devait être le cas, à partir de quel moment la personne concernée doit être informée des droits qui lui sont conférés par la directive 2012/13.

36

Les directives 2012/13 et 2013/48 ont toutes deux pour objet commun de définir les règles minimales concernant certains droits des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. La directive 2012/13 vise plus particulièrement le droit d’être informé de ses droits et la directive 2013/48 se rapporte au droit d’avoir accès à un avocat, au droit d’informer un tiers de la privation de liberté, ainsi qu’au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et au droit de communiquer avec les autorités consulaires.

37

Il ressort en outre des considérants de ces directives que celles-ci s’appuient à cette fin sur les droits énoncés notamment aux articles 6, 47 et 48 de la Charte et tendent à promouvoir ces droits à l’égard des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales.

38

Les champs d’application respectifs desdites directives sont définis dans des termes presque identiques à l’article 2 de chacune de celles-ci. Il ressort, en substance, de ces dispositions que les mêmes directives s’appliquent dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées ou poursuivies pour avoir commis une infraction pénale, et ce jusqu’au terme de la procédure, laquelle « s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant la condamnation et la décision rendue sur tout appel ».

39

Il est vrai que ni la directive 2012/13 ni la directive 2013/48 ne contiennent de dispositions expresses indiquant que les procédures pénales qu’elles régissent incluent également celles susceptibles de conduire à une mesure d’internement psychiatrique, telle que celle prévue aux articles 427 et suivants du code de procédure pénale.

40

Toutefois, cette absence de dispositions expresses ne signifie pas pour autant qu’une telle procédure d’internement psychiatrique est exclue du champ d’application de ces directives au motif qu’elle ne conduit pas à la « condamnation » à une peine.

41

À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 61 et 62 de ses conclusions, la formulation de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 et celle, analogue, de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2013/48 permettent au contraire de considérer que la notion de « procédure pénale », au sens de ces directives, s’étend également à des procédures d’internement psychiatrique qui, bien que ne conduisant pas à la « condamnation » à une peine au sens strict, donnent néanmoins lieu à une mesure privative de liberté, à la condition que cette mesure soit justifiée non seulement par des raisons thérapeutiques, mais également par des motifs de sûreté, à l’égard de personnes ayant commis des faits constitutifs d’une infraction pénale, mais dont l’état mental, au moment des faits pénalement répréhensibles, justifie le fait qu’elles fassent l’objet d’une mesure d’internement psychiatrique plutôt que d’une sanction pénale, telle qu’une peine d’emprisonnement.

42

L’article 6 de la Charte, relatif au droit à la liberté et à la sûreté, garantissant des droits correspondant à ceux qui le sont par l’article 5 de la CEDH, relatif au même droit, il convient, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, de donner audit article 6 le même sens et la même portée que ceux conférés à l’article 5 de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il convient donc de tenir compte de l’article 5, paragraphe 1, de la CEDH en vue de l’interprétation de l’article 6 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2019, TC, C‑492/18 PPU, EU:C:2019:108, point 57).

43

Or, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous e), de la CEDH, « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : [...] s’il s’agit de la détention régulière [...] d’un aliéné ».

44

Cette disposition a été interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme comme imposant à l’État l’obligation positive de protéger la liberté des personnes relevant de sa juridiction. Si tel n’était pas le cas, il en résulterait une lacune assez grande dans la protection contre la détention arbitraire, ce qui ne cadrerait pas avec l’importance que revêt la liberté individuelle dans une société démocratique. L’État est donc tenu de prendre des mesures offrant une protection effective aux personnes vulnérables (Cour EDH, 17 janvier 2012, Stanev c. Bulgarie, no 36760/06, CE:ECHR:2012:0117JUD003676006, § 120).

45

Il en découle que des mesures privatives de liberté telles que les mesures de soins psychiatriques ou médicaux en cause au principal sont couvertes par l’article 5 de la CEDH et, par voie de conséquence, par l’article 6 de la Charte.

46

Il s’ensuit que, à la lumière du droit à la liberté et à la sûreté garanti par l’article 6 de la Charte, les directives 2012/13 et 2013/48 ne sauraient être interprétées de manière à exclure de leur champ d’application une procédure judiciaire permettant d’ordonner l’internement psychiatrique d’une personne qui, au terme d’une procédure pénale antérieure, a été considérée comme l’auteur de faits constitutifs d’une infraction pénale.

47

Cette interprétation se trouve confortée par la circonstance que le législateur de l’Union européenne a pris soin, à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2012/13, d’imposer aux États membres l’obligation de veiller à ce que les informations fournies au titre du droit d’être informé de ses droits « soient données oralement ou par écrit, dans un langage simple et accessible, en tenant compte des éventuels besoins particuliers des suspects ou des personnes poursuivies vulnérables ». Le considérant 26 de cette directive mentionne expressément la situation des personnes qui ne peuvent comprendre le contenu ou le sens des informations qui leurs sont communiquées par les autorités compétentes, en raison de leur état mental. Les aliénés doivent donc être considérés comme des personnes vulnérables aux fins de cette disposition, puisque, en raison de graves troubles mentaux, ces personnes risquent de ne pas comprendre les informations qui leurs sont communiquées quant à leurs droits.

48

De même, l’article 13 de la directive 2013/48 impose aux États membres, lors de l’application de cette directive, de prendre en compte « les besoins spécifiques des personnes vulnérables qui sont soupçonnées ou poursuivies ». Bien que le considérant 51 de ladite directive se réfère aux personnes « se trouvant dans une situation de faiblesse potentielle » et à leur « vulnérabilité éventuelle affectant leur capacité d’exercer leur droit d’accès à un avocat et d’informer un tiers dès leur privation de liberté », sans préciser de manière explicite que cette situation de vulnérabilité peut résulter de leur état mental, il convient néanmoins de considérer, compte tenu de la finalité de la même directive, que les aliénés relèvent également de la catégorie des personnes vulnérables visées audit article 13.

49

La directive 2012/13 s’appliquant à une procédure telle que celle visée à aux articles 427 et suivants du code de procédure pénale, la juridiction de renvoi demande en outre à partir de quel moment un suspect doit être informé de ses droits conformément à l’article 3 de celle-ci.

50

Pour pouvoir être effective, la communication des droits doit intervenir à un stade précoce de la procédure. Il résulte de l’article 2 de cette directive que celle-ci s’applique « dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre ». L’article 3 de ladite directive prévoit ainsi que les « États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant les droits procéduraux [...] de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits ».

51

Comme le rappelle le considérant 19 de la directive 2012/13, le droit d’être informé de ses droits vise à préserver l’équité de la procédure pénale et à garantir l’effectivité des droits de la défense, dès les premières étapes de cette procédure. En effet, ainsi qu’il résulte du point 24 de la proposition de directive de la Commission, du 20 juillet 2010 [COM(2010) 392 final], à l’origine de la directive 2012/13, la période qui suit immédiatement la privation de liberté présente le plus grand risque d’extraction abusive de confessions, de telle sorte qu’il « est essentiel que toute personne soupçonnée ou poursuivie soit rapidement informée de ses droits, c’est-à-dire sans délai après son arrestation et de la façon la plus efficace possible ».

52

Le considérant 19 de la directive 2012/13 souligne d’ailleurs que le droit d’être informé de ses droits doit être mis en œuvre « au plus tard avant le premier interrogatoire officiel du suspect ou de la personne poursuivie par la police ». Il ressort en outre du considérant 22 de la directive 2012/13 que, « en cas d’arrestation ou de détention du suspect ou de la personne poursuivie, des informations sur les droits procéduraux qui leurs sont applicables devraient leur être communiquées par une déclaration de droits écrite, rédigée d’une manière facile à comprendre afin de les aider à saisir ce que recouvrent leurs droits. Une telle déclaration de droit devrait être fournie rapidement à chaque personne arrêtée quand elle est privée de liberté par l’intervention des autorités répressives dans le cadre d’une procédure pénale ».

53

Il découle de ces éléments que les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale doivent être informées de leurs droits le plus rapidement possible à partir du moment où les soupçons dont elles font l’objet justifient, dans un contexte autre que l’urgence, que les autorités compétentes restreignent leur liberté au moyen de mesures de contrainte et, au plus tard, avant leur premier interrogatoire officiel par la police.

54

Compte tenu de ces éléments, il convient de répondre aux première, troisième et quatrième questions que les directives 2012/13 et 2013/48 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent à une procédure judiciaire, telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal, qui autorise, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société. La directive 2012/13 doit être interprétée en ce sens que les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale doivent être informées de leurs droits le plus rapidement possible à partir du moment où les soupçons dont elles font l’objet justifient, dans un contexte autre que l’urgence, que les autorités compétentes restreignent leur liberté au moyen de mesures de contrainte et, au plus tard, avant leur premier interrogatoire officiel par la police.

Sur les deuxième et septième questions

55

Par ses deuxième et septième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte, ainsi que par l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et par l’article 12 de la directive 2013/48, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une procédure autorisant, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société, au motif que cette réglementation ne permet pas à la juridiction compétente de vérifier que les droits procéduraux visés par ces directives ont été respectés au cours de procédures antérieures à celle dont cette juridiction est saisie, non soumises à un tel contrôle juridictionnel.

56

S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation de la directive 2012/13, il y a lieu de relever que l’article 8, paragraphe 2, de celle-ci exige que « les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester, conformément aux procédures nationales, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à la présente directive ».

57

Compte tenu de l’importance du droit à un recours effectif, protégé par l’article 47 de la Charte, et du texte clair, inconditionnel et précis de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13, cette dernière disposition s’oppose à toute mesure nationale faisant obstacle à l’exercice de voies de recours effectives en cas de violation des droits protégés par cette directive.

58

La même interprétation s’impose s’agissant, en second lieu, de l’article 12 de la directive 2013/48, selon lequel « les suspects ou les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales [...] disposent d’une voie de recours effective conformément au droit national en cas de violation des droits prévus au titre de la présente directive ».

59

Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 288 TFUE, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles (arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 38 et jurisprudence citée).

60

En vue d’exécuter cette obligation, le principe d’interprétation conforme requiert que les autorités nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 117, ainsi que du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 37 et jurisprudence citée).

61

Toutefois, ce principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation, pour le juge national, de se référer au contenu du droit de l’Union lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 40 et jurisprudence citée).

62

C’est à la juridiction nationale qu’il appartient de déterminer si elle est en mesure de procéder à une interprétation conforme au droit de l’Union de la réglementation nationale. À cet égard, il suffit de constater qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi considère que, malgré l’absence d’une voie de recours permettant, à l’occasion d’une demande d’internement psychiatrique sur le fondement des articles 427 et suivants du code de procédure pénale, de vérifier la régularité de la procédure pénale qui précède cette demande, elle pourrait appliquer par analogie la procédure pénale ordinaire afin de procéder à une telle vérification et protéger les droits de l’intéressé.

63

Il s’ensuit que l’article 47 de la Charte ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12 de la directive 2013/48 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une procédure judiciaire autorisant, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société, dans la mesure où cette réglementation ne permet pas à la juridiction compétente de vérifier que les droits procéduraux visés par ces directives ont été respectés au cours de procédures antérieures à celle dont cette juridiction est saisie, non soumises à un tel contrôle juridictionnel.

Sur la cinquième question

64

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la protection du droit à la liberté et à la sûreté, visé à l’article 6 de la Charte, d’une part, et le droit à la présomption d’innocence, tel qu’énoncé à l’article 3 de la directive 2016/343, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle prévue aux articles 155 et suivants de la loi sur la santé, en cause au principal, qui autorise l’internement psychiatrique d’une personne au motif qu’il existe un risque que, compte tenu de son état de santé, celle-ci présente un danger pour sa santé ou celle de tiers, dans la mesure où cette réglementation ne permet pas au juge saisi d’une telle demande d’internement de vérifier que cette personne a bénéficié des garanties procédurales au cours d’une procédure pénale dont elle fait parallèlement l’objet.

65

Il ressort des articles 1er et 2 de la directive 2016/343 que l’objet et le champ d’application de celle-ci sont exclusivement limités aux procédures pénales.

66

Or, en raison de sa finalité thérapeutique, une procédure d’internement psychiatrique, telle que celle prévue, en l’occurrence, par les articles 155 et suivants de la loi sur la santé, lorsqu’elle est mise en œuvre indépendamment de toute procédure pénale, y compris afin de prévenir un danger pour la santé de l’intéressé ou de tiers, ne relève donc pas des procédures pénales entrant dans le champ d’application de la directive 2016/343.

67

En outre, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer qu’une procédure d’internement psychiatrique forcé à des fins thérapeutiques, telle que celle établie par la loi sur la santé, constitue une mise en œuvre du droit de l’Union et, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, que les droits fondamentaux garantis par celle-ci doivent être respectés par l’État membre en question lors de l’application d’une telle procédure.

68

Il convient, dès lors, de répondre à la cinquième question que la directive 2016/343 et l’article 51, paragraphe 1, de la Charte doivent être interprétés en ce sens que ni cette directive ni cette disposition de la Charte ne s’appliquent à une procédure judiciaire d’internement psychiatrique à des fins thérapeutiques, telle que celle prévue aux articles 155 et suivants de la loi sur la santé, en cause au principal, au motif qu’il existe un risque que, compte tenu de son état de santé, la personne concernée présente un danger pour sa santé ou celle de tiers.

Sur la sixième question

69

Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de la présomption d’innocence, visé à l’article 3 de la directive 2016/343, doit être interprété en ce sens qu’il exige, dans le cadre d’une procédure d’internement psychiatrique, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société, telle que celle en cause au principal, que le ministère public apporte la preuve que la personne dont l’internement est sollicité est l’auteur d’actes réputés constituer un tel danger.

70

Il convient de relever que, conformément à son article 15, la directive 2016/343 est entrée en vigueur le 31 mars 2016 et que, selon l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, le délai de transposition de cette directive a expiré le 1er avril 2018. Elle est donc, d’un point de vue temporel, applicable à la procédure pendante devant la juridiction de renvoi.

71

Par ailleurs, il est certes vrai qu’une procédure telle que celle en cause au principal a pour finalité non pas de déterminer la culpabilité de l’intéressé, mais de décider de son internement psychiatrique forcé. Toutefois, cette mesure privative de liberté étant motivée non pas exclusivement par des motifs thérapeutiques, mais également par des motifs de sûreté, il convient, à l’instar de ce qui a été précédemment jugé à l’égard des directives 2012/13 et 2013/48, d’admettre qu’une telle procédure entre dans le champ d’application de la directive 2016/343 en raison de sa finalité pénale. La directive 2016/343 est donc applicable à une procédure telle que celle prévue aux articles 427 et suivants du code de procédure pénale.

72

L’article 3 de la directive 2016/343 impose aux États membres de veiller « à ce que les suspects et les personnes poursuivies soient présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été légalement établie ». Le respect de cette obligation s’impose aux autorités compétentes dans le cadre d’une procédure d’internement psychiatrique, telle que celle en cause au principal. Conformément à l’article 6 de cette directive, le ministère public supporte la charge de la preuve que les critères fixés par la loi pour autoriser l’internement psychiatrique d’une personne sont remplis.

73

Lorsque, au terme d’une procédure pénale antérieure, il a été définitivement établi que cette personne a commis, en état de démence, des faits constitutifs d’une infraction pénale, le fait que le ministère public invoque ces éléments à l’appui de sa demande d’internement psychiatrique n’est pas, en tant que tel, contraire au principe de la présomption d’innocence énoncé à l’article 3 de la directive 2016/343.

74

Toutefois, dans une situation telle que celle en cause au principal, ces considérations sont sans préjudice du contrôle, par la juridiction saisie, du respect des droits procéduraux visés par les directives 2012/13 et 2013/48, au cours de procédures antérieures non soumises à un tel contrôle juridictionnel, conformément à ce qui a été précédemment jugé au point 63 du présent arrêt.

75

Il convient, dès lors, de répondre à la sixième question que le principe de la présomption d’innocence visé à l’article 3 de la directive 2016/343 doit être interprété en ce sens qu’il exige, dans le cadre d’une procédure judiciaire d’internement psychiatrique, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société, telle que celle en cause au principal, que le ministère public apporte la preuve que la personne dont l’internement est sollicité est l’auteur d’actes réputés constituer un tel danger.

Sur les dépens

76

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

La directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, et la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent à une procédure judiciaire, telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal, qui autorise, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société. La directive 2012/13 doit être interprétée en ce sens que les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale doivent être informées de leurs droits le plus rapidement possible à partir du moment où les soupçons dont elles font l’objet justifient, dans un contexte autre que l’urgence, que les autorités compétentes restreignent leur liberté au moyen de mesures de contrainte et, au plus tard, avant leur premier interrogatoire officiel par la police.

 

2)

L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12 de la directive 2013/48 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une procédure judiciaire autorisant, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, l’internement psychiatrique de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société, si cette réglementation ne permet pas à la juridiction compétente de vérifier que les droits procéduraux visés par ces directives ont été respectés au cours de procédures antérieures à celle dont elle est saisie, non soumises à un tel contrôle juridictionnel.

 

3)

La directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, et l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce sens que ni cette directive ni cette disposition de la charte des droits fondamentaux ne s’appliquent à une procédure judiciaire d’internement psychiatrique à des fins thérapeutiques, telle que celle prévue aux articles 155 et suivants du Zakon za zdraveto (loi sur la santé), en cause au principal, au motif qu’il existe un risque que, compte tenu de son état de santé, la personne concernée présente un danger pour sa santé ou celle de tiers.

 

4)

Le principe de la présomption d’innocence visé à l’article 3 de la directive 2016/343 doit être interprété en ce sens qu’il exige, dans le cadre d’une procédure judiciaire d’internement psychiatrique, pour des motifs thérapeutiques et de sûreté, de personnes qui, en état de démence, ont commis des actes présentant un danger pour la société, telle que celle en cause au principal, que le ministère public apporte la preuve que la personne dont l’internement est sollicité est l’auteur d’actes réputés constituer un tel danger.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.