Affaire C‑418/18 P

Patrick Grégor Puppinck e.a.

contre

Commission européenne

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 19 décembre 2019

« Pourvoi – Droit institutionnel – Initiative citoyenne “Un de nous” – Communication de la Commission européenne présentant ses conclusions et les raisons de ne pas entreprendre les actions demandées dans l’initiative citoyenne »

  1. Citoyenneté de l’Union – Droits du citoyen – Présentation d’une initiative citoyenne – Règlement no 211/2011 – Obligation pour la Commission d’entreprendre l’action spécifique visée par une initiative citoyenne – Absence

    [Art. 11, § 4, et 17, § 1 à 3, TUE ; art. 24, 1er al., 225, 241 et 289 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, considérant 1 et art. 2, point 1, 4 et 10, § 1, c)]

    (voir points 53-55, 57, 61-63, 70, 71)

  2. Commission – Compétences – Pouvoir d’initiative législative – Exercice dans le respect des principes d’attribution des pouvoirs et d’équilibre institutionnel

    (Art. 13, § 2, et 17, § 1 et 2, TUE ; art. 289 TFUE)

    (voir points 59, 60, 64, 65)

  3. Citoyenneté de l’Union – Droits du citoyen – Présentation d’une initiative citoyenne – Règlement no 211/2011 – Examen par la Commission – Obligation de présenter séparément les conclusions juridiques, d’un côté, et politiques, de l’autre côté – Absence

    [Règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, considérant 20 et art. 10, § 1, c)]

    (voir points 77-81)

  4. Citoyenneté de l’Union – Droits du citoyen – Présentation d’une initiative citoyenne – Règlement no 211/2011 – Examen par la Commission – Communication renfermant sa décision de ne pas soumettre de proposition d’acte juridique au législateur de l’Union – Contrôle juridictionnel – Limites

    [Art. 17, § 1, TUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, art. 10, § 1, c)]

    (voir points 88-93, 95, 96)

  5. Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Communication de la Commission renfermant sa décision de ne pas présenter de proposition d’acte juridique en réponse à une initiative citoyenne européenne

    [Art. 296 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, art. 10, § 1, c)]

    (voir point 94)

Résumé

Selon la Cour, le Tribunal n’a pas commis d’erreur en confirmant la décision de la Commission de ne pas soumettre de proposition législative dans le cadre de l’initiative citoyenne européenne « Un de nous »

Dans l’arrêt Puppinck e.a./Commission (C‑418/18 P), du 19 décembre 2019, la Cour, réunie en grande chambre, a rejeté le pourvoi introduit par les organisateurs de l’initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Un de nous » à l’encontre de l’arrêt du Tribunal ( 1 ) par lequel ce dernier avait rejeté leur recours tendant à l’annulation de la communication de la Commission, du 28 mai 2014, relative à cette ICE ( 2 ).

Selon le traité sur l’Union européenne ( 3 ) et le règlement no 211/2011 ( 4 ), des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins et provenant au minimum d’un quart des États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à proposer au législateur de l’Union d’adopter un acte juridique aux fins de l’application des traités. Avant de pouvoir commencer à collecter le nombre requis de signatures, les organisateurs de l’ICE doivent la faire enregistrer auprès de la Commission, qui examine en particulier son objet et ses objectifs.

M. Patrick Grégor Puppinck et six autres personnes forment le comité des citoyens de l’initiative citoyenne européenne intitulée « Un de nous », enregistrée auprès de la Commission en 2012 ( 5 ). L’objectif de cette initiative citoyenne européenne est d’interdire et de mettre fin au financement, par l’Union, des activités qui impliquent la destruction d’embryons humains (en particulier dans les domaines de la recherche, de l’aide au développement et de la santé publique), y compris le financement direct ou indirect de l’avortement. Après son enregistrement, l’initiative citoyenne européenne « Un de nous » a rassemblé le million de signatures requis, avant d’être officiellement présentée à la Commission début 2014. Le 28 mai 2014, la Commission a indiqué dans une communication qu’elle n’entendait entreprendre aucune action à la suite de cette initiative citoyenne européenne.

Les organisateurs de l’ICE ont alors demandé l’annulation, devant le Tribunal de l’Union européenne, de la communication de la Commission, en faisant valoir, notamment, que cette institution est tenue de présenter une proposition d’acte juridique de l’Union en réponse à une ICE enregistrée. Le Tribunal a confirmé la décision de la Commission.

Sur pourvoi, la Cour a d’abord relevé que, aux termes de l’article 11, paragraphe 4, TUE, l’ICE vise à « inviter » la Commission à soumettre une proposition appropriée aux fins de l’application des traités, et non pas à obliger cette institution à entreprendre l’action ou les actions envisagées par l’ICE. Elle a ajouté qu’il ressort de différentes dispositions du règlement no 211/2011 que, lorsqu’elle reçoit une ICE, la Commission présente l’action qu’elle compte, le cas échéant, entreprendre, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre d’action, ce qui confirme que la présentation par la Commission d’une proposition d’acte de l’Union à la suite d’une ICE revêt un caractère facultatif.

La Cour a ensuite rappelé que le pouvoir d’initiative législative conféré à la Commission par les traités implique qu’il revient à cette institution de décider de présenter, ou non, une proposition d’acte législatif, hormis le cas où elle serait tenue, en vertu du droit de l’Union, de le faire. Ce pouvoir d’initiative législative de la Commission est l’une des expressions du principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique de la structure institutionnelle de l’Union. Ce principe implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres. À cet égard, la Cour a relevé que, aux termes du règlement no 211/2011, l’ICE entend conférer aux citoyens de l’Union un droit comparable à celui dont disposent, en vertu des articles 225 et 241 TFUE, le Parlement européen et le Conseil de demander à la Commission de soumettre toute proposition appropriée aux fins de la mise en œuvre des traités. Or, dès lors que le droit ainsi reconnu au Parlement européen et au Conseil ne porte pas atteinte au pouvoir d’initiative législative de la Commission, il doit en aller de même d’une ICE.

La Cour a également souligné que le fait que la Commission ne soit pas tenue d’entreprendre une action à la suite d’une ICE ne signifie pas, contrairement à ce qu’ont fait valoir les requérants, qu’une telle initiative soit privée d’effet utile. En effet, d’une part, le mécanisme de l’ICE constitue l’un des instruments de démocratie participative qui ont complété, lors de l’adoption du traité de Lisbonne, le système de démocratie représentative sur lequel est fondé le fonctionnement de l’Union, et qui ont pour objectif de favoriser la participation des citoyens au processus démocratique et de promouvoir le dialogue entre les citoyens et les institutions de l’Union. D’autre part, une ICE qui a été enregistrée conformément au règlement no 211/2011 et qui respecte l’ensemble des procédures et des conditions prévues par ce dernier déclenche une série d’obligations spécifiques pour la Commission, énumérées aux articles 10 et 11 de ce règlement. Selon la Cour, la valeur ajoutée particulière du mécanisme de l’ICE réside ainsi non pas dans la certitude de son issue, mais dans les possibilités et les opportunités qu’elle crée pour les citoyens de l’Union de déclencher un débat politique au sein des institutions de celle-ci sans devoir attendre le déclenchement d’une procédure législative.

En outre, la Cour a confirmé l’approche du Tribunal selon laquelle une communication relative à une ICE, telle que la communication litigieuse, relève de l’exercice d’un large pouvoir d’appréciation de la Commission et doit, en conséquence, faire l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, visant à vérifier, notamment, le caractère suffisant de sa motivation et l’absence d’erreurs manifestes d’appréciation.

Dans ce contexte, la Cour a, en particulier, confirmé le raisonnement suivi par le Tribunal, selon lequel la Commission, en se fondant sur une publication de l’Organisation mondiale de la santé, n’avait commis aucune erreur manifeste d’appréciation en ayant estimé que le financement par l’Union d’un ensemble de services de santé sûrs et efficaces, notamment en matière d’avortement, contribuait à la réduction du nombre d’avortements non sécurisés et, partant, du risque de mortalité et de maladies maternelles.


( 1 ) Arrêt du Tribunal du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission (T‑561/14, EU:T:2018:210).

( 2 ) Communication COM(2014) 355 final de la Commission, du 28 mai 2014, relative à l’initiative citoyenne européenne « Un de nous ».

( 3 ) Article 11, paragraphe 4, TUE.

( 4 ) Règlement (UE) no 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l’initiative citoyenne (JO 2011, L 65, p. 1, et rectificatif JO 2012, L 94, p. 49).

( 5 ) COM(2014) 355 final.