ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

3 octobre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Société de l’information – Libre circulation des services – Directive 2000/31/CE – Responsabilité des prestataires intermédiaires – Article 14, paragraphes 1 et 3 – Prestataire de services d’hébergement – Possibilité d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation – Article 18, paragraphe 1 – Limites personnelle, matérielle et territoriale à la portée d’une injonction – Article 15, paragraphe 1 – Absence d’obligation générale en matière de surveillance »

Dans l’affaire C‑18/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 25 octobre 2017, parvenue à la Cour le 10 janvier 2018, dans la procédure

Eva Glawischnig-Piesczek

contre

Facebook Ireland Limited,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský (rapporteur), C. G. Fernlund et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 février 2019,

considérant les observations présentées :

pour Mme Glawischnig-Piesczek, par Mes M. Windhager et W. Niklfeld, Rechtsanwälte,

pour Facebook Ireland Limited, par Mes G. Kresbach, K. Struckmann et A. Tauchen, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement autrichien, par MM. G. Hesse et G. Kunnert ainsi que par Mme A. Jurgutyte-Ruez, en qualité d’agents,

pour le gouvernement letton, par Mmes I. Kucina, E. Petrocka-Petrovska et V. Soņeca, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo, en qualité d’agents, assistés de M. T. Rendas, conseiller juridique,

pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. G. Braun, F. Wilman et S. L. Kalėda ainsi que par Mme P. Costa de Oliveira, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 juin 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Eva Glawischnig-Piesczek à Facebook Ireland Limited, dont le siège social se trouve en Irlande, au sujet de la publication, sur la page d’un utilisateur hébergée sur le site du réseau social Facebook, d’un message contenant des déclarations portant atteinte à l’honneur de Mme Glawischnig-Piesczek.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 6, 7, 9, 10, 40, 41, 45 à 48, 52, 58 et 60 de la directive 2000/31 énoncent :

« (6)

[...] La présente directive, en ne traitant que certaines questions spécifiques qui soulèvent des problèmes pour le marché intérieur, est pleinement cohérente avec la nécessité de respecter le principe de subsidiarité tel qu’énoncé à l’article 5 du traité.

(7)

Pour garantir la sécurité juridique et la confiance du consommateur, il y a lieu que la présente directive établisse un cadre général clair pour couvrir certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur.

[...]

(9)

Dans bien des cas, la libre circulation des services de la société de l’information peut refléter spécifiquement, dans la législation communautaire, un principe plus général, à savoir la liberté d’expression, consacrée par l’article 10, paragraphe 1, de la convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, [signée à Rome le 4 novembre 1950,] qui a été ratifiée par tous les États membres. Pour cette raison, les directives couvrant la fourniture de services de la société de l’information doivent assurer que cette activité peut être exercée librement en vertu de l’article précité, sous réserve uniquement des restrictions prévues au paragraphe 2 du même article et à l’article 46, paragraphe 1, du traité. La présente directive n’entend pas porter atteinte aux règles et principes fondamentaux nationaux en matière de liberté d’expression.

(10)

Conformément au principe de proportionnalité, les mesures prévues par la présente directive se limitent strictement au minimum requis pour atteindre l’objectif du bon fonctionnement du marché intérieur. Là où il est nécessaire d’intervenir au niveau communautaire, et afin de garantir un espace qui soit réellement sans frontières intérieures pour le commerce électronique, la directive doit assurer un haut niveau de protection des objectifs d’intérêt général, en particulier la protection des mineurs, de la dignité humaine, du consommateur et de la santé publique. [...]

[...]

(40)

Les divergences existantes et émergentes entre les législations et les jurisprudences des États membres dans le domaine de la responsabilité des prestataires de services agissant en qualité d’intermédiaires empêchent le bon fonctionnement du marché intérieur, en particulier en gênant le développement des services transfrontaliers et en produisant des distorsions de concurrence. Les prestataires des services ont, dans certains cas, le devoir d’agir pour éviter les activités illégales ou pour y mettre fin. La présente directive doit constituer la base adéquate pour l’élaboration de mécanismes rapides et fiables permettant de retirer les informations illicites et de rendre l’accès à celles-ci impossible. [...]

(41)

La présente directive instaure un équilibre entre les différents intérêts en jeu et établit des principes qui peuvent servir de base aux normes et aux accords adoptés par les entreprises.

[...]

(45)

Les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible.

(46)

Afin de bénéficier d’une limitation de responsabilité, le prestataire d’un service de la société de l’information consistant dans le stockage d’informations doit, dès qu’il prend effectivement connaissance ou conscience du caractère illicite des activités, agir promptement pour retirer les informations concernées ou rendre l’accès à celles-ci impossible. Il y a lieu de procéder à leur retrait ou de rendre leur accès impossible dans le respect du principe de la liberté d’expression et des procédures établies à cet effet au niveau national. La présente directive n’affecte pas la possibilité qu’ont les États membres de définir des exigences spécifiques auxquelles il doit être satisfait promptement avant de retirer des informations ou d’en rendre l’accès impossible.

(47)

L’interdiction pour les États membres d’imposer aux prestataires de services une obligation de surveillance ne vaut que pour les obligations à caractère général. Elle ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique et, notamment, elle ne fait pas obstacle aux décisions des autorités nationales prises conformément à la législation nationale.

(48)

La présente directive n’affecte en rien la possibilité qu’ont les États membres d’exiger des prestataires de services qui stockent des informations fournies par des destinataires de leurs services qu’ils agissent avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites.

[...]

(52)

L’exercice effectif des libertés du marché intérieur nécessite de garantir aux victimes un accès efficace aux règlements des litiges. Les dommages qui peuvent se produire dans le cadre des services de la société de l’information se caractérisent à la fois par leur rapidité et leur étendue géographique. En raison de cette spécificité et de la nécessité de veiller à ce que les autorités nationales ne mettent pas en cause la confiance qu’elles doivent s’accorder mutuellement, la présente directive invite les États membres à faire en sorte que les recours juridictionnels appropriés soient disponibles. Les États membres doivent évaluer la nécessité de fournir un accès aux procédures juridictionnelles par les moyens électroniques appropriés.

[...]

(58)

La présente directive ne doit pas s’appliquer aux services fournis par des prestataires établis dans un pays tiers. Compte tenu de la dimension mondiale du service électronique, il convient toutefois d’assurer la cohérence des règles communautaires avec les règles internationales. La présente directive est sans préjudice des résultats des discussions en cours sur les aspects juridiques dans les organisations internationales (entre autres, OMC, OCDE, Cnudci).

[...]

(60)

Pour permettre un développement sans entrave du commerce électronique, le cadre juridique doit être clair et simple, prévisible et cohérent avec les règles applicables au niveau international, de sorte qu’il ne porte pas atteinte à la compétitivité de l’industrie européenne et qu’il ne fasse pas obstacle à l’innovation dans ce secteur. »

4

L’article 14 de la directive 2000/31, intitulé « Hébergement », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a)

le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b)

le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

[...]

3.   Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible. »

5

Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de cette directive :

« Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. »

6

L’article 18, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que les recours juridictionnels disponibles dans le droit national portant sur les activités des services de la société de l’information permettent l’adoption rapide de mesures, y compris par voie de référé, visant à mettre un terme à toute violation alléguée et à prévenir toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés. »

Le droit autrichien

7

Conformément au paragraphe 1 de l’article 1330 de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), quiconque a subi un préjudice réel ou un manque à gagner en raison d’une atteinte portée à son honneur est fondé à en demander réparation. En vertu du paragraphe 2 de cet article, il en va de même lorsqu’une personne rapporte des faits portant atteinte à la réputation, à la situation matérielle et aux perspectives d’avenir de tiers, et dont elle connaissait ou aurait dû connaître l’inexactitude. Dans ce cas, le démenti et la publication de celui-ci peuvent être exigés.

8

Selon l’article 78, paragraphe 1, de l’Urheberrechtsgesetz (loi sur le droit d’auteur), les images représentant une personne ne doivent pas être exposées publiquement ni diffusées d’une autre manière qui les rendraient accessibles au public, si cela porte atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée ou, si celle-ci est décédée sans en avoir autorisé ou ordonné la publication, à ceux d’un parent proche.

9

En vertu de l’article 18, paragraphe 1, de l’E-Commerce-Gesetz (loi sur le commerce électronique), les prestataires de services d’hébergement n’ont pas d’obligation générale de surveiller les informations qu’ils stockent, transmettent ou rendent accessibles, ni de rechercher d’eux-mêmes des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10

Mme Glawischnig-Piesczek était députée au Nationalrat (Conseil national, Autriche), présidente du groupe parlementaire « die Grünen » (Les Verts), et porte-parole fédérale de ce parti politique.

11

Facebook Ireland exploite une plateforme mondiale de média social (ci‑après « Facebook Service ») pour les utilisateurs situés en dehors des États-Unis d’Amérique et du Canada.

12

Le 3 avril 2016, un utilisateur de Facebook Service a partagé, sur sa page personnelle, un article du magazine d’information autrichien en ligne oe24.at intitulé « Les Verts : en faveur du maintien d’un revenu minimum pour les réfugiés », ce qui a eu pour effet de générer sur cette page un « aperçu vignette » du site d’origine, comportant le titre de cet article, un bref résumé de ce dernier ainsi qu’une photographie de Mme Glawischnig-Piesczek. Cet utilisateur a en outre publié, au sujet de cet article, un commentaire rédigé dans des termes dont la juridiction de renvoi a constaté qu’ils étaient de nature à porter atteinte à l’honneur de la requérante au principal, à l’injurier et à la diffamer. Cette contribution pouvait être consultée par chaque utilisateur de Facebook Service.

13

Par une lettre du 7 juillet 2016, Mme Glawischnig-Piesczek a, notamment, demandé à Facebook Ireland d’effacer ce commentaire.

14

Facebook Ireland n’ayant pas retiré le commentaire en question, Mme Glawischnig-Piesczek a introduit un recours devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche) qui, par une ordonnance de référé du 7 décembre 2016, a enjoint à Facebook Ireland de cesser, immédiatement et jusqu’à la clôture définitive de la procédure relative à l’action en cessation, la publication et/ou la diffusion de photos de la requérante au principal, dès lors que le message d’accompagnement contenait les mêmes allégations ou des allégations de contenu équivalent à celui du commentaire mentionné au point 12 du présent arrêt.

15

Facebook Ireland a rendu l’accès au contenu initialement publié impossible en Autriche.

16

Saisi en appel, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) a confirmé l’ordonnance rendue en première instance s’agissant des allégations identiques. En revanche, il a jugé que la diffusion d’allégations de contenu équivalent ne devait cesser que s’agissant de celles qui étaient portées à la connaissance de Facebook Ireland par la requérante au principal, par des tiers ou d’une autre manière.

17

Le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) et l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) ont fondé leur décision sur l’article 78 de la loi sur le droit d’auteur et l’article 1330 du code civil, au motif, notamment, que le commentaire publié contenait des déclarations portant une atteinte excessive à l’honneur de Mme Glawischnig-Piesczek et laissait entendre, en outre, que celle-ci aurait eu un comportement délictueux, sans fournir la moindre preuve à cet égard.

18

Chacune des parties au principal a formé un recours en Revision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

19

Appelé à statuer sur la question de savoir si l’injonction de cessation, délivrée à un hébergeur qui exploite un réseau social comptant de nombreux utilisateurs, peut aussi être étendue aux déclarations textuellement identiques et/ou de contenu équivalent dont celui-ci n’a pas connaissance, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) indique que, selon sa propre jurisprudence, une telle obligation doit être considérée comme étant proportionnée lorsque l’hébergeur a déjà pris connaissance d’au moins une atteinte aux intérêts de la personne concernée causée par la contribution d’un utilisateur et que le risque de voir d’autres violations être commises est ainsi avéré.

20

Considérant, toutefois, que le litige pendant devant lui soulève des questions d’interprétation du droit de l’Union, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 15, paragraphe 1, de la [directive 2000/31] s’oppose-t-il, d’une manière générale, à ce que l’une des obligations énumérées ci-après soit imposée à un hébergeur qui n’a pas promptement retiré certaines informations illicites, à savoir non seulement retirer ces informations illicites elles-mêmes, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de [cette] directive, mais également d’autres informations identiques :

au niveau mondial ;

dans l’État membre concerné ;

du destinataire concerné du service au niveau mondial ;

du destinataire concerné du service dans l’État membre concerné ?

2)

En cas de réponse négative à la première question : en va-t-il de même concernant les informations de contenu équivalent ?

3)

En va-t-il de même concernant les informations de contenu équivalent, dès le moment où l’exploitant a connaissance de cette circonstance ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

21

Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2000/31, notamment l’article 15, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre puisse :

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est identique à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci, quel que soit l’auteur de la demande de stockage de ces informations ;

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est équivalent à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci, et

étendre les effets d’une telle injonction au niveau mondial.

22

À titre liminaire, il est constant que Facebook Ireland fournit les services d’un hébergeur au sens de l’article 14 de la directive 2000/31.

23

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 14, paragraphe 1, de cette directive vise à exonérer de sa responsabilité l’hébergeur lorsqu’il remplit l’une des deux conditions énumérées à cette disposition, à savoir ne pas avoir connaissance de l’activité ou de l’information illicites, ou agir promptement pour retirer ces informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible dès qu’il en prend connaissance.

24

Il ressort en outre de l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31, lu à la lumière du considérant 45 de celle-ci, que cette exonération est sans préjudice de la possibilité pour les juridictions ou les autorités administratives nationales d’exiger de l’hébergeur concerné qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation, y compris en supprimant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible.

25

Il s’ensuit, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 32 de ses conclusions, qu’un hébergeur peut être le destinataire d’injonctions adoptées sur le fondement du droit national d’un État membre, même s’il remplit l’une des conditions alternatives énoncées à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, c’est-à-dire même dans l’hypothèse où il n’est pas considéré comme responsable.

26

Par ailleurs, l’article 18 de la directive 2000/31, qui fait partie du chapitre III de celle-ci, intitulé « Mise en œuvre », prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres veillent à ce que les recours juridictionnels disponibles dans le droit national portant sur les activités des services de la société de l’information permettent l’adoption rapide de mesures, y compris par voie de référé, visant à mettre un terme à toute violation alléguée et à prévenir toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés.

27

En l’occurrence, ainsi qu’il découle du point 13 du présent arrêt et du libellé même des questions posées, Facebook Ireland, tout d’abord, avait connaissance de l’information illicite en cause. Ensuite, cette société n’a pas agi promptement aux fins de la retirer ou de rendre l’accès à celle-ci impossible, comme le prévoit l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Enfin, la requérante au principal a saisi une juridiction nationale pour qu’elle délivre une injonction telle que celle visée audit article 18.

28

Le considérant 52 de cette directive précise que la spécificité découlant du fait que les dommages qui peuvent se produire dans le cadre des services de la société de l’information se caractérisent à la fois par leur rapidité et leur étendue géographique ainsi que la nécessité de veiller à ce que les autorités nationales ne mettent pas en cause la confiance qu’elles doivent s’accorder mutuellement ont conduit le législateur de l’Union européenne à inviter les États membres à faire en sorte que les recours juridictionnels appropriés soient disponibles.

29

Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2000/31, les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation particulièrement important à l’égard des recours et des procédures permettant l’adoption des mesures nécessaires.

30

Au demeurant, étant donné que ces dernières mesures sont, selon plusieurs versions linguistiques de cette disposition, au nombre desquelles figurent, notamment, les versions en langues espagnole, anglaise et française, expressément appelées à mettre un terme à « toute » violation alléguée ou à prévenir « toute » nouvelle atteinte aux intérêts concernés, aucune limitation de leur portée ne saurait en principe être présumée aux fins de leur mise en œuvre. Cette interprétation n’est pas remise en cause par la circonstance que d’autres versions linguistiques de ladite disposition, notamment celle en langue allemande, prévoient que lesdites mesures visent à mettre un terme à « une violation alléguée » et à prévenir « de nouvelles atteintes aux intérêts concernés ».

31

L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 précise, quant à lui, que les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

32

C’est en tenant compte de l’ensemble desdites dispositions qu’il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

33

En premier lieu, la juridiction de renvoi pose, en substance, la question de savoir si l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre enjoigne à un hébergeur de supprimer ou de bloquer l’accès aux informations qu’il stocke et dont le contenu est identique à celui d’une information déclarée illicite précédemment.

34

À cet égard, si cet article 15, paragraphe 1, interdit aux États membres d’imposer aux hébergeurs une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, ainsi qu’il ressort du considérant 47 de ladite directive, une telle interdiction ne concerne pas les obligations de surveillance « applicables à un cas spécifique ».

35

Un tel cas spécifique peut notamment trouver son origine, comme dans l’affaire au principal, dans une information précise, stockée par l’hébergeur concerné à la demande d’un certain utilisateur de son réseau social, dont le contenu a été analysé et apprécié par une juridiction compétente de l’État membre qui, à l’issue de son appréciation, l’a déclarée illicite.

36

Étant donné qu’un réseau social facilite la transmission rapide des informations stockées par l’hébergeur entre ses différents utilisateurs, il existe un risque réel de voir une information ayant été qualifiée d’illicite être ultérieurement reproduite et partagée par un autre utilisateur de ce réseau.

37

Dans ces conditions, afin de pouvoir obtenir de l’hébergeur en cause qu’il prévienne toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés, il est légitime que la juridiction compétente puisse exiger de cet hébergeur qu’il bloque l’accès aux informations stockées, dont le contenu est identique à celui déclaré illicite antérieurement, ou qu’il retire ces informations, quel que soit l’auteur de la demande de stockage de celles-ci. Or, eu égard, en particulier, à cette identité de contenu des informations concernées, l’injonction délivrée à cet effet ne saurait être considérée comme instituant à la charge de l’hébergeur une obligation de surveiller, de manière générale, les informations qu’il stocke, ni une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

38

En deuxième lieu, la juridiction de renvoi pose, en substance, la question de savoir si l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre enjoigne à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est équivalent à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci.

39

Il ressort des indications que contient la décision de renvoi que, par les termes « informations de contenu équivalent », la juridiction de renvoi entend viser des informations véhiculant un message dont le contenu reste, en substance, inchangé et, dès lors, diverge très peu de celui ayant donné lieu au constat d’illicéité.

40

À cet égard, il convient de souligner que l’illicéité du contenu d’une information résulte non pas en soi de l’emploi de certains termes, combinés d’une certaine manière, mais du fait que le message véhiculé par ce contenu est qualifié d’illicite, s’agissant, comme en l’occurrence, de propos diffamatoires visant une personne précise.

41

Il en découle que, pour qu’une injonction visant à faire cesser un acte illicite et à en prévenir la réitération ainsi que toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés puisse effectivement atteindre ces objectifs, ladite injonction doit pouvoir s’étendre aux informations dont le contenu, tout en véhiculant en substance le même message, est formulé de manière légèrement différente, en raison des mots employés ou de leur combinaison, par rapport à l’information dont le contenu a été déclaré illicite. À défaut, en effet, et ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, les effets s’attachant à une telle injonction pourraient aisément être contournés par le stockage de messages à peine différents de ceux qui ont été déclarés illicites précédemment, ce qui pourrait conduire la personne concernée à devoir multiplier les procédures aux fins d’obtenir la cessation des agissements dont elle est victime.

42

Toutefois, il y a lieu également de rappeler, dans ce contexte, que, ainsi qu’il découle de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 et qu’il a été rappelé au point 34 du présent arrêt, une juridiction d’un État membre ne saurait, d’une part, délivrer à un hébergeur une injonction imposant à ce dernier de surveiller, de manière générale, les informations qu’il stocke ni, d’autre part, contraindre celui‑ci à rechercher activement des faits ou des circonstances sous-jacents au contenu illicite.

43

À cet égard, il convient notamment de relever que, ainsi qu’il ressort du considérant 41 de la directive 2000/31, le législateur de l’Union a, en adoptant cette dernière, souhaité instaurer un équilibre entre les différents intérêts en jeu.

44

Ainsi, l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 implique-t-il que l’objectif visé par une injonction telle que celle mentionnée à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, lu à la lumière du considérant 41 de celle-ci, consistant notamment à protéger efficacement la réputation et l’honneur d’une personne, ne puisse être poursuivi au moyen d’une obligation excessive imposée à l’hébergeur.

45

Eu égard à ce qui précède, il importe que les informations équivalentes auxquelles se réfère le point 41 du présent arrêt comportent des éléments spécifiques dûment identifiés par l’auteur de l’injonction, tels que le nom de la personne concernée par la violation constatée précédemment, les circonstances dans lesquelles cette violation a été constatée ainsi qu’un contenu équivalent à celui qui a été déclaré illicite. Des différences dans la formulation de ce contenu équivalent, par rapport au contenu déclaré illicite, ne doivent pas, en tout état de cause, être de nature à contraindre l’hébergeur concerné à procéder à une appréciation autonome dudit contenu.

46

Dans ces conditions, une obligation telle que celle décrite aux points 41 et 45 du présent arrêt, d’une part, en tant qu’elle s’étend également aux informations de contenu équivalent, paraît suffisamment efficace pour assurer une protection de la personne visée par des propos diffamatoires. D’autre part, cette protection n’est pas assurée moyennant une obligation excessive imposée à l’hébergeur, dans la mesure où la surveillance et la recherche qu’elle requiert sont limitées aux informations contenant les éléments spécifiés dans l’injonction et où leur contenu diffamatoire de nature équivalente n’oblige pas l’hébergeur à procéder à une appréciation autonome, ce dernier pouvant, ainsi, recourir à des techniques et à des moyens de recherche automatisés.

47

Ainsi, une telle injonction n’est pas, notamment, de nature à imposer à l’hébergeur une obligation de surveiller, de manière générale, les informations qu’il stocke, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

48

En troisième lieu, bien que la juridiction de renvoi ne fournisse pas d’explications à cet égard dans les motifs de sa décision de renvoi, le libellé des questions qu’elle a adressées à la Cour suggère que ses doutes portent également sur le point de savoir si l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 est de nature à s’opposer à ce que des injonctions telles que celles visées aux points 37 et 46 du présent arrêt puissent produire des effets s’étendant à l’échelle mondiale.

49

Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort, en particulier, de son article 18, paragraphe 1, la directive 2000/31 ne prévoit, à cet égard, aucune limitation, notamment territoriale, à la portée des mesures que les États membres sont en droit d’adopter conformément à cette directive.

50

Par conséquent, et eu égard également aux points 29 et 30 du présent arrêt, la directive 2000/31 ne s’oppose pas à ce que lesdites mesures d’injonction produisent des effets à l’échelle mondiale.

51

Toutefois, il ressort des considérants 58 et 60 de cette directive que, compte tenu de la dimension mondiale du service électronique, le législateur de l’Union a considéré qu’il était nécessaire d’assurer la cohérence des règles de l’Union dans ce domaine avec les règles applicables au niveau international.

52

Il est du ressort des États membres de veiller à ce que les mesures qu’ils adoptent et qui produisent des effets à l’échelle mondiale tiennent dûment compte de ces dernières règles.

53

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que la directive 2000/31, notamment l’article 15, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre puisse :

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est identique à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci, quel que soit l’auteur de la demande de stockage de ces informations ;

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est équivalent à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci, pour autant que la surveillance et la recherche des informations concernées par une telle injonction sont limitées à des informations véhiculant un message dont le contenu demeure, en substance, inchangé par rapport à celui ayant donné lieu au constat d’illicéité et comportant les éléments spécifiés dans l’injonction et que les différences dans la formulation de ce contenu équivalent par rapport à celle caractérisant l’information déclarée illicite précédemment ne sont pas de nature à contraindre l’hébergeur à procéder à une appréciation autonome de ce contenu, et

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations visées par l’injonction ou de bloquer l’accès à celles-ci au niveau mondial, dans le cadre du droit international pertinent.

Sur la troisième question

54

Eu égard à la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu d’examiner la troisième question.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), notamment l’article 15, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre puisse :

 

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est identique à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci, quel que soit l’auteur de la demande de stockage de ces informations ;

 

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu’il stocke et dont le contenu est équivalent à celui d’une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l’accès à celles-ci, pour autant que la surveillance et la recherche des informations concernées par une telle injonction sont limitées à des informations véhiculant un message dont le contenu demeure, en substance, inchangé par rapport à celui ayant donné lieu au constat d’illicéité et comportant les éléments spécifiés dans l’injonction et que les différences dans la formulation de ce contenu équivalent par rapport à celle caractérisant l’information déclarée illicite précédemment ne sont pas de nature à contraindre l’hébergeur à procéder à une appréciation autonome de ce contenu, et

 

enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations visées par l’injonction ou de bloquer l’accès à celles-ci au niveau mondial, dans le cadre du droit international pertinent.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.