CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 23 avril 2020 ( 1 )

Affaire C‑681/18

JH

Contre

KG

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale ordinario di Brescia (tribunal civil de Brescia, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2008/104/CE – Emploi intérimaire – Contrats successifs avec la même entreprise utilisatrice – Article 5, paragraphe 5 – Égalité de traitement – Contournement des dispositions de la directive »

1. 

La présente affaire donne pour la première fois l’occasion à la Cour d’interpréter l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire ( 2 ). Plus exactement, la Cour est invitée à préciser si, lorsqu’un travailleur est recruté par une entreprise de travail intérimaire et affecté comme travailleur intérimaire à la même entreprise utilisatrice par huit contrats successifs de mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée et 17 prorogations, il y a eu « attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de la directive ».

Le cadre juridique

La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

2.

L’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») ( 3 ) dispose :

« 1.   Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2.   Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. »

La directive 2008/104

3.

Aux termes de son considérant 1, la directive 2008/104 respecte les droits fondamentaux et principes qui sont reconnus notamment par la Charte et vise en particulier à assurer le plein respect de son article 31. La directive établit un cadre protecteur pour les travailleurs intérimaires qui est « non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des marchés du travail et des relations entre les partenaires sociaux » ( 4 ). Dans ce cadre, « les conditions essentielles de travail et d’emploi applicables aux travailleurs intérimaires devraient être au moins celles qui s’appliqueraient à ces travailleurs s’ils étaient recrutés par l’entreprise utilisatrice pour occuper le même poste » ( 5 ).

4.

Le considérant 15 de la directive 2008/104 expose que, « [s]’agissant des travailleurs liés à l’entreprise de travail intérimaire par un contrat à durée indéterminée et, compte tenu de la protection particulière afférente à la nature de leur contrat de travail, il convient de prévoir la possibilité de déroger aux règles applicables dans l’entreprise utilisatrice ».

5.

Le considérant 21 de la directive 2008/104 indique que « [l]es États membres devraient prévoir des procédures administrative[s] ou judiciaires pour préserver les droits des travailleurs intérimaires et devraient prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de violation des obligations découlant de la présente directive ».

6.

L’article 1er définit le champ d’application de la directive 2008/104 :

« 1.   La présente directive s’applique aux travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire et qui sont mis à la disposition d’entreprises utilisatrices afin de travailler de manière temporaire sous leur contrôle et leur direction.

2.   La présente directive est applicable aux entreprises publiques et privées qui sont des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises utilisatrices exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif.

[…] »

7.

Aux termes de son article 2, la directive 2008/104 a pour objet « d’assurer la protection des travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire en assurant le respect du principe de l’égalité de traitement, tel qu’il est énoncé à l’article 5, à l’égard des travailleurs intérimaires et en reconnaissant les entreprises de travail intérimaire comme des employeurs, tout en tenant compte de la nécessité d’établir un cadre approprié d’utilisation du travail intérimaire en vue de contribuer efficacement à la création d’emplois et au développement de formes souples de travail ».

8.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/104 définit différentes notions aux fins de l’application de la directive :

« a)

“travailleur” : toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi ;

b)

“entreprise de travail intérimaire” : toute personne physique ou morale qui, conformément au droit national, conclut des contrats de travail ou noue des relations de travail avec des travailleurs intérimaires en vue de les mettre à la disposition d’entreprises utilisatrices pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction desdites entreprises ;

c)

“travailleur intérimaire” : un travailleur ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire dans le but d’être mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice en vue d’y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de ladite entreprise ;

d)

“entreprise utilisatrice” : toute personne physique ou morale pour laquelle et sous le contrôle et la direction de laquelle un travailleur intérimaire travaille de manière temporaire ;

e)

“mission” : la période pendant laquelle le travailleur intérimaire est mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice en vue d’y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de ladite entreprise ;

f)

“conditions essentielles de travail et d’emploi” : les conditions de travail et d’emploi établies par la législation, la réglementation, les dispositions administratives, les conventions collectives et/ou toute autre disposition générale et contraignante, en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, relatives :

i)

à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux temps de pause, aux périodes de repos, au travail de nuit, aux congés, aux jours fériés ;

ii)

à la rémunération. »

9.

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104 dispose que « [l]es interdictions ou restrictions concernant le recours aux travailleurs intérimaires sont uniquement justifiées par des raisons d’intérêt général tenant, notamment, à la protection des travailleurs intérimaires, aux exigences de santé et de sécurité au travail ou à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du marché du travail, et d’empêcher les abus ».

10.

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 dispose que « [p]endant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires sont au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste. […] »

11.

Aux termes de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104, « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires, en conformité avec le droit national ou les pratiques en vigueur dans le pays, en vue d’éviter le recours abusif à l’application du présent article et, en particulier, l’attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de la présente directive. Ils informent la Commission des mesures prises ».

12.

L’article 6 de la directive 2008/104 dispose :

« 1.   Les travailleurs intérimaires sont informés des postes vacants dans l’entreprise utilisatrice dans le but de leur assurer la même possibilité qu’aux autres travailleurs de cette entreprise d’obtenir un emploi permanent. Cette information peut être fournie au moyen d’une annonce générale placée à un endroit approprié dans l’entreprise pour laquelle et sous le contrôle de laquelle ces travailleurs intérimaires travaillent.

2.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les clauses interdisant ou ayant pour effet d’empêcher la conclusion d’un contrat de travail ou d’une relation de travail entre l’entreprise utilisatrice et le travailleur intérimaire après l’expiration de sa mission soient nulles ou puissent être déclarées nulles.

[…] »

13.

Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2008/104, « [l]es États membres prévoient des mesures appropriées en cas de non respect de la présente directive par les entreprises de travail intérimaire ou les entreprises utilisatrices. En particulier, ils veillent à ce qu’il existe des procédures administratives ou judiciaires appropriées pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive ».

Le droit italien

14.

La juridiction de renvoi expose que le decreto legislativo 10 settembre 2003, n. 276 (décret législatif no 276, du 10 septembre 2003, portant mise en œuvre des délégations dans le domaine de l’emploi et du marché du travail instituées par la loi no 30, du 14 février 2003), tel que modifié par le décret‑loi no 34/2014, converti, avec modifications, par la loi no 78/2014 (ci‑après le « décret législatif no 276/2003 »), est applicable en l’espèce.

15.

La modification législative adoptée par la loi 78/2014 a supprimé dans l’article 20, paragraphe 4, du décret législatif no 276/2003 la disposition indiquant que « la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée est autorisée pour des raisons de caractère technique ou tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement, même si elles sont liées à l’activité ordinaire de l’utilisateur » et l’obligation d’énoncer ces raisons dans le contrat écrit.

16.

L’article 22, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 dispose que, en cas de mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée, la relation de travail entre le prêteur et le prestataire de travail est soumise aux dispositions du décret législatif no 368, du 6 septembre 2001, « à l’exclusion des dispositions de l’article 5, paragraphes 3 et suivants ». Le terme initial du contrat de travail peut dans tous les cas être prorogé, avec l’accord écrit du travailleur, dans les situations et pour la durée prévues par le contratto collettivo nazionale di lavoro (convention collective nationale de travail pour la catégorie des agences de mise à disposition de main-d’œuvre, conclu le 27 février 2014, ci‑après le « CCNL ») qui lie l’entreprise.

17.

L’article 27 du décret législatif no 276/2003, intitulé « Mise à disposition de main-d’œuvre irrégulière », prévoit que, lorsque la mise à disposition de main‑d’œuvre ne reste pas dans les limites et les conditions énoncées dans ce même décret législatif, le travailleur peut demander, par la voie d’une action en justice qui peut être dirigée contre la seule entreprise utilisatrice, de déclarer l’existence d’une relation de travail entre lui‑même et l’entreprise utilisatrice, avec effet à compter du début de la mise à disposition.

18.

L’article 5, paragraphes 3 à 4 bis, du decreto legislativo 6 settembre 2001, n. 368 [décret législatif no 368, du 6 septembre 2001, transposant la directive 1999/70/CE ( 6 ) concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée], dans la version applicable à l’époque, dispose :

« 3.   Lorsque le travailleur est réembauché pour une durée déterminée en application de l’article 1er, dans un délai de dix jours à compter de la date d’expiration d’un contrat dont la durée est inférieure ou égale à six mois, ou de vingt jours à compter de la date d’expiration d’un contrat dont la durée est supérieure à six mois, le deuxième contrat est réputé conclu pour une durée indéterminée.

4.   Dans le cas de deux engagements successifs à durée déterminée, c’est‑à‑dire effectués sans solution de continuité, la relation de travail est réputée à durée indéterminée à compter de la conclusion du premier contrat.

4-bis.   Sans préjudice du régime des contrats successifs tel que prévu aux paragraphes précédents et sans préjudice des différentes dispositions figurant dans des conventions collectives […], lorsque, par l’effet d’une succession de contrats à durée déterminée pour l’exercice de fonctions équivalentes, la relation de travail entre le même employeur et le même employé dépasse, globalement, la durée de trente-six mois, y compris les prorogations et les renouvellements, indépendamment des périodes d’interruption entre les contrats, la relation de travail est considérée comme étant à durée indéterminée […] »

19.

L’article 47 du CCNL dispose que les prorogations de contrat sont exclusivement régies par le CCNL. Il s’ensuit que les contrats à durée déterminée peuvent être prorogés à six reprises au titre de l’article 22, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003. Chaque contrat, prorogations comprises, ne peut pas dépasser trente-six mois.

20.

Les articles 1344 et 1421 du code civil italien frappent de nullité les contrats conclus en vue d’éluder l’application de règles impératives.

Les faits, la procédure et la question posée

21.

JH est un travailleur salarié engagé par une entreprise de travail intérimaire. Il a été affecté comme travailleur intérimaire à l’entreprise utilisatrice KG où il a été opérateur préposé aux machines et au tour à chariot du 3 mars 2014 au 30 novembre 2016, au titre de contrats successifs à durée déterminée (8 au total) et de plusieurs prorogations (17 au total).

22.

Le 21 février 2017, JH a cité KG devant le Tribunale ordinario di Brescia (tribunal civil de Brescia, Italie). Il demande en substance à la juridiction de renvoi, premièrement, de constater et de déclarer l’illicéité et/ou la nullité des contrats de travail intérimaire au titre desquels il a travaillé chez KG, deuxièmement, de déclarer l’existence d’une relation de travail à durée indéterminée entre lui‑même et KG à compter du 3 mars 2014 et, troisièmement, d’ordonner à la défenderesse de le réintégrer et de verser l’indemnité due ainsi que les cotisations de sécurité sociale et les impôts y afférents. JH a également demandé à la juridiction de renvoi d’adresser à la Cour une question préjudicielle en interprétation de la directive 2008/104 et notamment de son article 5, paragraphe 5.

23.

La juridiction de renvoi observe que la législation interne applicable à l’époque en cause (voir le point 15 des présentes conclusions), premièrement, n’imposait pas d’énoncer dans les contrats les raisons de caractère technique ou tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement, expliquant le recours au travail intérimaire, deuxièmement, ne prévoyait pas l’exigence du caractère temporaire de ces raisons et, troisièmement, ne fixe aucune limite aux missions successives du travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice. La juridiction de renvoi ajoute que le CCNL (voir le point 19 des présentes conclusions) n’est pas applicable dès lors qu’il ne régit que les relations entre le travailleur intérimaire et les entreprises de travail intérimaire mais pas les relations entre le travailleur intérimaire et les entreprises utilisatrices. La juridiction de renvoi relève que, en tout état de cause, le régime dans la version en vigueur à l’époque des faits n’impose pas d’indiquer dans le contrat les raisons du recours au travail intérimaire et n’interdit pas la conclusion, sans solution de continuité, d’un nouveau contrat au terme de la sixième prorogation du contrat précédent.

24.

La juridiction de renvoi doute de la conformité de cette législation nationale à la directive 2008/104, et tout particulièrement à son considérant 15 lu conjointement avec l’article 5, paragraphe 5, en ce qu’elle est muette quant au contrôle juridictionnel des raisons de recourir à un travail intérimaire et ne fixe pas de limite à des missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice.

25.

Dans ce contexte, le Tribunale ordinario di Brescia (tribunal civil de Brescia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104/CE doit-il être interprété dans le sens qu’il s’oppose à l’application du décret législatif no 276/2003, tel que modifié par le décret-loi no 34/2014, lequel : a) ne prévoit pas de limites aux missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice ; b) ne subordonne pas la licéité du recours à la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée à l’indication des raisons de caractère technique ou tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement dudit recours ; c) ne prévoit pas le caractère temporaire de l’exigence de production propre à l’entreprise utilisatrice comme condition de licéité du recours à cette forme de contrat de travail ? »

26.

Des observations écrites ont été présentées par JH, le gouvernement italien et la Commission européenne. Bien que JH ait sollicité une audience de plaidoiries de façon motivée, la Cour a décidé de statuer sans tenir une telle audience, conformément à l’article 76, paragraphe 2, de son règlement de procédure.

Analyse

Recevabilité

27.

Le gouvernement italien soutient que le renvoi préjudiciel est irrecevable. Premièrement, il relève que la juridiction de renvoi ne donne aucune indication sur la nature du contrat de travail (à durée déterminée ou non) entre JH et l’entreprise de travail intérimaire alors que la législation visée par la juridiction de renvoi ne s’applique qu’à des relations de travail à durée déterminée. Deuxièmement, le litige porté devant la juridiction de renvoi est un litige entre particuliers et la directive 2008/104 n’a pas d’effet direct horizontal. La réponse à la question préjudicielle n’aurait dès lors aucune incidence sur l’issue du litige que la juridiction de renvoi est appelée à trancher : le seul résultat positif possible pour JH serait d’obtenir de l’État italien une indemnisation si la transposition de la directive 2008/104 par ce dernier devait être jugée incomplète ou imparfaite.

28.

Selon une jurisprudence constante, « les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées » ( 7 ).

29.

À ce dernier titre, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui‑ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union européenne à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale. Il incombe donc à la juridiction de renvoi d’exposer les raisons précises pour lesquelles elle doute de l’interprétation à donner à certaines dispositions du droit de l’Union et en quoi elle considère nécessaire de saisir la Cour de questions préjudicielles. Il est en outre indispensable que la juridiction nationale donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis ( 8 ).

30.

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi sollicite de la Cour l’interprétation de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104. La juridiction de renvoi explique que cette interprétation est nécessaire à la solution du litige dont elle est saisie. Dans ce contexte, les arguments que le gouvernement italien tire de l’impossibilité d’appliquer directement les dispositions de la directive à un litige entre particuliers sont dénués de pertinence. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette dernière est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union, indépendamment du point de savoir si elles ont un effet direct ou non entre les parties au litige sous‑jacent ( 9 ).

31.

Je considère que l’exposé des circonstances de fait dans lesquelles s’inscrit la question préjudicielle dans la décision de renvoi est suffisant pour permettre à la Cour de donner une réponse utile à la question posée.

32.

Je conclus dès lors que la demande de décision préjudicielle est recevable.

La question préjudicielle

33.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 s’oppose à une législation nationale qui : a) ne prévoit pas de limites aux missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice ; b) ne subordonne pas la licéité du recours à la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée à l’indication des raisons de caractère technique ou tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement expliquant ce recours ; c) ne prévoit pas le caractère temporaire de l’exigence de production propre à l’entreprise utilisatrice comme condition de licéité du recours à cette forme de contrat de travail.

34.

Pour donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, je vais également considérer la question dans son contexte plus large qui est de savoir si les dispositions de la directive 2008/104 sont contournées.

35.

Cela m’impose d’examiner l’objectif et la portée de la directive 2008/104 ainsi que la finalité, l’énoncé et le contexte de son article 5, paragraphe 5.

36.

La directive 2008/104 a été adoptée sur le fondement de l’ancien article 137, paragraphes 1 et 2, CE (devenu article 153 TFUE), qui habilitait les institutions à « arrêter […] par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement » notamment aux « conditions de travail ». Elle a été adoptée pour compléter deux directives antérieures consacrées à des modalités atypiques de travail, régissant respectivement le travail à temps partiel et les relations de travail à durée déterminée ( 10 ). L’action de l’Union dans ce domaine a eu pour objectif global le développement des formes souples de travail, tout en visant à atteindre un plus grand degré d’harmonisation du droit social y afférant. Le modèle réglementaire sous-tendant cette action, fondé sur la recherche d’un équilibre entre la flexibilité et la sécurité sur le marché de travail, a été dénommé « flexicurité » ( 11 ).

37.

La directive 2008/104 met dès lors en balance l’objectif de « flexibilité » visé par les entreprises et l’objectif de « sécurité » répondant à la protection des travailleurs. Le considérant 11 indique à ce titre que la directive entend répondre non seulement aux besoins de flexibilité des entreprises mais aussi à la nécessité pour les salariés de concilier la vie privée et la vie professionnelle et contribue ainsi à la création d’emplois ainsi qu’à la participation et à l’insertion sur le marché du travail.

38.

La directive 2008/104 établit pour les travailleurs intérimaires un cadre de protection non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des marchés du travail et des relations entre les partenaires sociaux. L’article 2 dispose que la directive a pour objet d’assurer la protection des travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire en assurant le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des travailleurs intérimaires et en reconnaissant les entreprises de travail intérimaire comme des employeurs, tout en tenant compte de la nécessité d’établir un cadre approprié d’utilisation du travail intérimaire en vue de contribuer efficacement à la création d’emplois et au développement de formes souples de travail ( 12 ).

39.

La directive 2008/104 couvre donc à la fois les conditions de travail des travailleurs intérimaires et les conditions applicables au recours au travail intérimaire. Le double objectif de la directive se reflète ainsi également dans sa structure. Mises à part les dispositions introductives (champ d’application, objet et définitions), et finales, la directive 2008/104 s’articule en deux parties. L’article 4, qui clôt le chapitre I (« dispositions générales ») est consacré aux restrictions dans le recours au travail intérimaire. Le chapitre II (« conditions de travail et d’emploi »), comportant les articles 5 à 8, couvre l’égalité de traitement, l’accès à l’emploi, aux équipements collectifs et à la formation professionnelle, la représentation et l’information ( 13 ).

40.

Si ces dispositions rapprochent certes le travail intérimaire des relations de travail « ordinaires », il est clair que l’idée qui préside ( 14 ) à la directive 2008/104 est que la forme générale de relations de travail est (et, j’ajoute, doit être) le contrat de travail à durée indéterminée. La directive vise dès lors à stimuler l’accès des travailleurs intérimaires à un emploi permanent dans l’entreprise utilisatrice, objectif qui trouve un écho en particulier à son article 6, paragraphes 1 et 2 ( 15 ).

41.

La directive 2008/104 s’applique « aux travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire et qui sont mis à la disposition d’entreprises utilisatrices afin de travailler de manière temporaire sous leur contrôle et leur direction » (article 1er, paragraphe 1) et « aux entreprises publiques et privées qui sont des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises utilisatrices exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif » (article 1er, paragraphe 2). La Cour a interprété la notion de « travailleur » comme « couvrant toute personne qui effectue une prestation de travail, c’est‑à‑dire qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle‑ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération, et qui est protégée à ce titre dans l’État membre concerné, et ce quelles que soient la qualification juridique de sa relation de travail en droit national, la nature du lien juridique qui lie ces deux personnes et la forme de cette relation » et la notion d’« activité économique » en soulignant qu’« a un caractère économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » ( 16 ).

42.

Une composante importante de la directive 2008/104 est le principe de l’égalité de traitement. Ainsi, aux termes de son article 5, paragraphe 1, pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires sont au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste.

43.

La notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi » qui détermine la portée du principe de l’égalité de traitement à appliquer aux travailleurs intérimaires est définie à l’article 3, paragraphe 1, sous f). Un rapport préparé par un groupe d’experts mis en place par la Commission suggère que la Commission considère que la liste de ces conditions figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous f), i) et ii), n’est pas exhaustive ( 17 ).

44.

J’éprouve de la sympathie pour cette approche. La directive 2008/104 vise à assurer le « plein respect » (voir le considérant 1) de l’article 31 de la Charte qui évoque « des conditions de travail » en termes plus généraux. Les explications relatives à la Charte ( 18 ) indiquent que cette expression doit être entendue au sens de l’article 156 TFUE ( 19 ). Cet article énumère les « conditions de travail » comme étant un domaine dans lequel la Commission peut intervenir pour encourager la coopération entre les États membres et faciliter la coordination de leur action. Il ne définit cependant pas ce terme. Il me semble que le fait que la directive proclame un « plein respect » de l’article 31 de la Charte, lié à la finalité « protectrice » affichée par la directive, milite en faveur d’une interprétation des « conditions de travail » qui ne soit pas excessivement restrictive ( 20 ) en dépit du caractère apparemment exhaustif de l’énumération dans le texte.

45.

L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d’éviter le recours abusif à l’application de l’article 5 et, en particulier, l’attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de la directive.

46.

Cette disposition impose deux obligations distinctes aux États membres. La première est d’éviter le recours abusif à l’application de l’article 5 lui‑même. La seconde est d’éviter l’attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de la directive 2008/104 prise dans son ensemble. Je ne lis pas les termes « et, en particulier, » employés pour faire le lien entre les deux obligations en ce sens que la seconde obligation soit automatiquement et pleinement subordonnée à la première. Les deux obligations visent deux volets différents de l’emploi dans une entreprise utilisatrice. La première concerne un « recours abusif à l’application » de l’article 5 (et uniquement de cet article). La deuxième obligation est énoncée plus largement et vise à éviter l’attribution de missions successives dans le but de « contourner les dispositions de la directive » (dans son ensemble).

47.

Il s’ensuit que je ne partage pas la position que la Commission adopte dans ses observations écrites, selon laquelle l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 s’applique exclusivement à un abus du principe de l’égalité de traitement tel qu’inscrit à l’article 5, paragraphes 1 à 4 de cette directive. Cette interprétation restrictive perd de vue le fait que l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive a deux branches dont la seconde vise à éviter « l’attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de la directive ». Elle s’accommode également mal à la finalité explicite de la directive, de protéger les travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire.

48.

Il me semble donc que l’obligation que l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 impose aux États membres d’éviter des attributions successives visant à « contourner les dispositions » de cette directive doit être comprise en ce sens qu’elle porte sur toutes les dispositions de ladite directive, dans une interprétation faite au regard de l’économie et de la finalité de la directive.

49.

Cela étant posé, l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 impose-t-il aux États membres l’obligation d’éviter l’attribution de missions successives destinées à « contourner les dispositions » de cette directive, afin de garantir que le travail intérimaire avec la même entreprise utilisatrice ne devienne pas trop facilement une situation permanente dans laquelle des travailleurs intérimaires sont « piégés » ?

50.

Au risque d’énoncer une tautologie, je commencerai par rappeler que le « travailleur intérimaire » est défini à l’article 3, paragraphe 1, sous c), comme « travaillant de manière temporaire » sous le contrôle et la direction de l’entreprise à laquelle il a été affecté.

51.

L’intitulé même [en langue anglaise] de la directive 2008/104 montre clairement que les relations de travail qu’elle couvre sont (et sont par définition supposées être) temporaires. Ce terme est employé, notamment, dans les dispositions définissant le champ d’application de la directive (article 1er), son objet (article 2) ainsi que dans les définitions de ses notions clés à l’article 3, paragraphe 1, sous b), c), d) et e). Le terme temporaire signifie « d’une durée limitée seulement », « non permanent » ( 21 ). La directive indique, de surcroît, que les « contrats de travail à durée indéterminée » (c’est‑à‑dire les relations de travail permanentes) sont la forme générale de relations de travail et que les travailleurs intérimaires sont informés des postes vacants dans l’entreprise utilisatrice pour avoir la même possibilité que les autres travailleurs de cette entreprise d’obtenir un emploi permanent (voir considérant 15 et article 6, paragraphes 1 et 2) ( 22 ).

52.

J’admets avec le gouvernement italien et la Commission que la directive 2008/104 ne définit aucune mesure spécifique que les États membres doivent adopter pour éviter des missions successives du même travailleur intérimaire auprès de la même entreprise utilisatrice « dans le but de contourner » les dispositions de la directive. C’est ainsi (par exemple) que la directive 2008/104 n’oblige pas les États membres à soumettre l’attribution de missions successives à une obligation explicite d’expliquer les raisons justifiant l’adoption ou la reconduction des contrats en cause. Cependant, je n’en conclus pas que l’article 5, paragraphe 5, soit par essence incantatoire ou carrément inconsistant.

53.

L’énoncé de la première phrase de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 (« Les États membres prennent les mesures nécessaires, en conformité avec le droit national ou les pratiques en vigueur dans le pays, en vue d’éviter le recours abusif à l’application du présent article et, en particulier, l’attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de la présente directive ») est clair, précis et inconditionnel. Il fait penser sans grande peine au critère classique de l’effet direct. Dans ce contexte, « le droit national ou les pratiques en vigueur dans le pays » sont à considérer comme étant le véhicule par lequel l’État membre s’acquitte de son obligation, mais n’enlève rien à la clarté, à la précision ou au caractère inconditionnel de l’obligation en tant que telle. Il appartient aux États membres – bien entendu dans les limites tracées par la directive – de faire en sorte que la manœuvre dénoncée ne se produise pas. Dans un contexte « vertical », si le défendeur était l’État ou une émanation de l’État ( 23 ), un travailleur intérimaire serait en mesure de tirer de solides moyens de la directive elle‑même.

54.

Cela dit, j’ai pleinement conscience que, comme le montre son fondement juridique (voir le point 36 des présentes conclusions), la directive 2008/104 est une directive énonçant des exigences minimales. Ses termes et sa structure ne permettent en effet pas d’écrire des obligations pointues et spécifiques qui ne figurent pas dans le texte. Cela ne veut cependant pas dire que l’on puisse ignorer ou passer sur les obligations que la directive impose bel et bien aux États membres.

55.

Un certain nombre de précisions supplémentaires restent à donner.

56.

Premièrement, la directive 2008/104 étant une directive énonçant des exigences minimales, il est clair qu’il est loisible aux États membres d’introduire une législation spécifique de cette nature. Je relève, bien entendu, que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104 dispose qu’une législation nationale comportant des interdictions ou restrictions concernant le recours au travail intérimaire doit être justifiée par des raisons d’intérêt général tenant, notamment, à la protection des travailleurs intérimaires, aux exigences de santé et de sécurité au travail ou à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du marché du travail, et d’empêcher les abus ( 24 ). Si les missions successives du même travailleur temporaire auprès de la même entreprise utilisatrice aboutissent à une durée d’activité auprès de cette entreprise qui est (nettement) plus longue que ce qui peut être raisonnablement qualifié de « temporaire », cela constitue, à mes yeux, précisément un tel abus. Si une mesure nationale empêchant pareille situation de se produire était en effet « une restriction concernant le recours au travail intérimaire », pareille restriction serait parfaitement justifiable par les raisons d’intérêt général expressément énumérées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104 à savoir par la protection des travailleurs intérimaires et la prévention des abus.

57.

Deuxièmement, des missions successives réitérées du même travailleur intérimaire auprès de la même entreprise utilisatrice contournent le cœur même des dispositions de la directive et constituent un abus de cette forme de relation de travail. Elles nuisent également (à l’évidence) à l’équilibre réalisé par la directive entre la « flexibilité » pour les employeurs et la « sécurité » pour les travailleurs (voir les points 36 et 37 des présentes conclusions) en sapant cette dernière.

58.

Troisièmement, il me semble que, dans la mesure où aucune explication objective n’est donnée, dans telle ou telle affaire particulière, quant à la raison pour laquelle l’entreprise utilisatrice recourt à des contrats successifs comportant l’affectation d’un travailleur intérimaire, il incombe tout particulièrement à la juridiction nationale d’être vigilante. (Et à plus forte raison lorsque c’est le même travailleur intérimaire qui est affecté à l’entreprise utilisatrice par les séries de contrats en question.) Sans aller au-delà des paramètres de la directive, la juridiction nationale devrait dès lors examiner – dans le contexte du cadre réglementaire national et en tenant compte des circonstances de chaque cas – si l’une ou l’autre des dispositions de la directive est contournée par le jeu de pareilles missions successives.

59.

Il s’ensuit que lorsqu’elle vérifie le respect de l’obligation énoncée à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104, la juridiction nationale devrait garder à l’esprit non seulement le principe de l’égalité de traitement dans les « conditions essentielles de travail et d’emploi » consacré par l’article 5, paragraphe 1, mais également d’autres dispositions tel l’article 6, paragraphes 1 et 2, facilitant l’accès des travailleurs intérimaires à un emploi permanent.

60.

À ce stade, il est utile d’examiner les motifs de l’arrêt Sciotto ( 25 ), auquel JH se réfère abondamment.

61.

Mme Sciotto a été employée comme danseuse de ballet par la Fondazione Teatro dell’Opera di Roma en vertu de plusieurs contrats à durée déterminée qui ont été reconduits dans le cadre de différentes représentations artistiques programmées entre 2007 et 2011. Ses contrats de travail ne faisaient pas apparaître l’existence d’exigences techniques, d’organisation ou de production spécifiques qui auraient justifié de recourir à des contrats à durée déterminée plutôt qu’à un contrat à durée indéterminée. Elle a engagé une action en justice pour entendre constater l’illégalité des termes fixés dans ces contrats, requalifier sa relation de travail en contrat à durée indéterminée et réparer le préjudice subi.

62.

La réglementation de l’Union applicable en l’espèce était l’accord-cadre sur le travail intérimaire annexé à la directive 1999/70. La clause 5 de cet accord‑cadre a introduit des mesures spécifiques visant à prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs ( 26 ). Ainsi que la Cour l’a expressément relevé, « la clause 5, point 1, de l’accord‑cadre impose aux États membres, en vue de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption effective et contraignante de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes. Les mesures ainsi énumérées au point 1, sous a) à c), de cette clause, au nombre de trois, ont trait, respectivement, à des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail […] » ( 27 ). La Cour a rappelé que, « s’agissant de la notion de “raisons objectives”, celle‑ci doit être entendue comme visant des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et, partant, de nature à justifier dans ce contexte particulier l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Ces circonstances peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles de tels contrats ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles‑ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre » ( 28 ).

63.

C’est dans ce cadre législatif et jurisprudentiel que la Cour a décidé qu’« une disposition nationale qui se bornerait à autoriser, de manière générale et abstraite par une norme législative ou réglementaire, le recours à des contrats de travail à durée déterminée successifs ne serait pas conforme [à ces] exigences. En effet, une telle disposition, de nature purement formelle, ne permet pas de dégager des critères objectifs et transparents aux fins de vérifier si le renouvellement de tels contrats répond effectivement à un besoin véritable, est de nature à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet. Une telle disposition comporte donc un risque réel d’entraîner un recours abusif à ce type de contrats et n’est, dès lors, pas compatible avec l’objectif et l’effet utile de l’accord-cadre [sur le travail intérimaire annexé à la directive 1999/70] » ( 29 ).

64.

La Cour a décidé par ces motifs que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les règles de droit commun régissant les relations de travail et visant à sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée successifs par la requalification automatique du contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée si la relation de travail perdure au-delà d’une date précise ne sont pas applicables au secteur d’activité des fondations lyriques et symphoniques, lorsqu’il n’existe aucune autre mesure effective dans l’ordre juridique interne sanctionnant les abus constatés dans ce secteur ( 30 ).

65.

Dans ses observations écrites, JH a soutenu que l’arrêt Sciotto peut être transposé comme tel à la présente affaire.

66.

Je récuse cette idée. Il est évident que l’enseignement de l’arrêt Sciotto est tiré d’une disposition du droit de l’Union qui est d’une nature différente de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 ( 31 ). Ainsi, la clause 5 de l’accord-cadre sur le travail intérimaire annexée à la directive 1999/70 énonce des obligations spécifiques afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 énonce une obligation générale en vue d’éviter l’attribution de missions successives dans le but de contourner les dispositions de cette directive. Étant donné également que la directive 2008/104 se borne à énoncer des exigences minimales, il n’est pas possible d’écrire dans la directive 2008/104 des obligations circonstanciées et spécifiques, telle la durée totale maximale de contrats de travail successifs ou le nombre (maximal) de reconductions de ces contrats, analogues à celles expressément arrêtées dans la clause 5 de l’accord-cadre sur le travail intérimaire annexé à la directive 1999/70.

67.

Cela dit, il est bon de rappeler également les passages des motifs de l’arrêt Sciotto de nature plus générale. La Cour a ainsi souligné que, « lorsque le droit de l’Union ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient néanmoins été constatés, il incombe aux autorités nationales d’adopter des mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de [la disposition de droit de l’Union en question]. […] Lorsqu’un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union » ( 32 ). Conformément à une jurisprudence constante, « l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle‑ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 4 TUE, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles » ( 33 ). C’est dans ce cadre que la Cour a indiqué qu’« il incombe à la juridiction saisie de donner aux dispositions pertinentes de droit interne, dans toute la mesure du possible et lorsqu’une utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une interprétation et une application à même de sanctionner dûment cet abus et d’effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union » ( 34 ).

68.

Je rappelle aussi que, dans l’arrêt Pfeiffer e.a. ( 35 ), la grande chambre a donné aux juridictions nationales des indications utiles sur la bonne approche à adopter dans l’examen de l’incidence qu’une disposition d’une directive ayant effet direct a dans le contexte d’un litige entre particuliers.

69.

La Cour a indiqué en particulier que « [s]i le principe d’interprétation conforme du droit national, ainsi imposé par le droit [de l’Union], concerne au premier chef les dispositions internes introduites pour transposer la directive en cause, il ne se limite pas, toutefois, à l’exégèse de ces dispositions, mais requiert que la juridiction nationale prenne en considération l’ensemble du droit national pour apprécier dans quelle mesure celui‑ci peut recevoir une application telle qu’il n’aboutit pas à un résultat contraire à celui visé par la directive » ( 36 ). En résumé, « le principe d’interprétation conforme requiert donc que la juridiction de renvoi fasse tout ce qui relève de sa compétence, en prenant en considération l’ensemble des règles du droit national, pour garantir la pleine effectivité de la [directive en question] » ( 37 ).

70.

Appliquées mutatis mutandis à une affaire relevant de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104, ces considérations signifient que, premièrement, à l’intérieur des paramètres de la directive 2008/104, il appartient aux États membres de garantir que leur ordre juridique national contienne les mesures adéquates pour garantir la pleine efficacité du droit de l’Union afin de prévenir l’attribution de missions successives en vue de contourner le caractère temporaire des relations de travail couvertes par la directive 2008/104 et, deuxièmement, le principe d’interprétation conforme au droit de l’Union requiert que la juridiction nationale fasse tout ce qui relève de sa compétence, en prenant en considération l’ensemble des règles du droit national, pour garantir la pleine effectivité de la directive 2008/104 en sanctionnant l’abus en question et en effaçant les conséquences de la violation du droit de l’Union.

71.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je conclus que l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 ne s’oppose pas à une législation nationale qui : a) ne prévoit pas de limites aux missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice ; b) ne subordonne pas la licéité du recours à la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée à l’indication des raisons de caractère technique ou tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement dudit recours ; c) ne prévoit pas le caractère temporaire de l’exigence de production propre à l’entreprise utilisatrice comme condition de licéité du recours à cette forme de contrat de travail.

72.

Cependant, des missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice qui, cumulées, dépassent une durée qui peut être raisonnablement qualifiée de « temporaire » et qui ne procèdent pas d’un contrat de travail permanent entre le travailleur intérimaire et l’entreprise intérimaire, contournent le cœur même des dispositions de la directive 2008/104 et constituent un abus de cette forme de relation de travail. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier ces circonstances. En cas d’abus dans l’attribution de missions successives, les principes de coopération loyale et d’interprétation conforme au droit de l’Union requiert que la juridiction nationale fasse tout ce qui relève de sa compétence, en prenant en considération l’ensemble des règles du droit national, pour garantir la pleine effectivité de la directive 2008/104 en sanctionnant l’abus en question et en effaçant les conséquences de la violation du droit de l’Union.

Conclusion

73.

Je propose que la Cour réponde comme suit à la question posée par le Tribunale ordinario di Brescia (tribunal civil de Brescia, Italie) :

L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2008/104 ne s’oppose pas à une législation nationale qui : a) ne prévoit pas de limites aux missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice ; b) ne subordonne pas la licéité du recours à la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée à l’indication des raisons de caractère technique ou tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement expliquant ce recours ; c) ne prévoit pas le caractère temporaire de l’exigence de production propre à l’entreprise utilisatrice comme condition de licéité du recours à cette forme de contrat de travail.

Des missions successives du même travailleur auprès de la même entreprise utilisatrice qui, cumulées, dépassent une durée qui peut être raisonnablement qualifiée de « temporaire » et qui ne procèdent pas d’un contrat de travail permanent entre le travailleur intérimaire et l’entreprise intérimaire, contournent le cœur même des dispositions de la directive 2008/104 et constituent un abus de cette forme de relation de travail. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier ces circonstances.

En cas d’abus dans l’attribution de missions successives, les principes de coopération loyale et d’interprétation conforme au droit de l’Union requiert que la juridiction nationale fasse tout ce qui relève de sa compétence, en prenant en considération l’ensemble des règles du droit national, pour garantir la pleine effectivité de la directive 2008/104 en sanctionnant l’abus en question et en effaçant les conséquences de la violation du droit de l’Union.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 (JO 2008, L 327, p. 9).

( 3 ) JO 2007, C 303, p. 1.

( 4 ) Considérant 12.

( 5 ) Considérant 14.

( 6 ) Directive du Conseil du 28 juin 1999 (JO 1999, L 175, p. 43).

( 7 ) Arrêt du 11 avril 2013, Della Rocca, C‑290/12, EU:C:2013:235, point 29 et jurisprudence citée. La Cour peut également refuser de statuer sur une demande de décision préjudicielle pour ce dernier motif : voir arrêt du 16 février 2012, Varzim Sol, C‑25/11, EU:C:2012:94, point 29.

( 8 ) Arrêt du 2 mai 2019, Asendia Spain, C‑259/18, EU:C:2019:346, points 17 et 18 et jurisprudence citée.

( 9 ) Arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 35 et jurisprudence citée.

( 10 ) Il s’agit de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9) et de la directive 1999/70/CE, citée à la note 6 des présentes conclusions.

( 11 ) Voir considérant 9 et principes communs de flexicurité adoptés par le Conseil les 5 et 6 décembre 2007 et approuvés par le Conseil européen le 14 décembre 2007 (document du Conseil no 16201/07) ainsi que la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Vers des principes communs de flexicurité : Des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité » [COM(2007) 359 final, du 27 juin 2007]. Voir également conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire AKT, C‑533/13, EU:C:2014:2392, point 33.

( 12 ) Arrêt du 17 novembre 2016, Betriebsrat der Ruhrlandklinik, C‑216/15, EU:C:2016:883, point 35.

( 13 ) Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire AKT, C‑533/13, EU:C:2014:2392, points 30 et 35.

( 14 ) Considérant 15.

( 15 ) Voir Engel, Chris, « Regulating temporary work in the European Union : The Agency Directive », in Temporary work in the European Union and the United States, Bulletin of comparative labour relations no 82, 2013, p. 19.

( 16 ) Arrêt du 17 novembre 2016, Betriebsrat der Ruhrlandklinik, C‑216/15, EU:C:2016:883, points 43 et 44.

( 17 ) European Commission, Report – Expert Group – Transposition of Directive 2008/104/EC on temporary agency work, August 2011, p. 21.

( 18 ) JO 2007, C 303, p. 17.

( 19 ) L’article 156 TFUE dispose que, « [e]n vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151 et sans préjudice des autres dispositions des traités, la Commission encourage la coopération entre les États membres et facilite la coordination de leur action dans tous les domaines de la politique sociale relevant du présent chapitre, et notamment dans les matières relatives : à l’emploi ; au droit du travail et aux conditions de travail ; à la formation et au perfectionnement professionnels ; à la sécurité sociale ; à la protection contre les accidents et les maladies professionnels ; à l’hygiène du travail ; au droit syndical et aux négociations collectives entre employeurs et travailleurs ».

( 20 ) Voir Robin-Olivier, Sophie, « Article 31 : conditions de travail justes et équitables », in Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Picod, Fabrice, Rizcallah, Cécilia, Van Drooghenbroeck, Sébastien, Bruxelles, Bruylant, 2019, p. 789‑805.

( 21 ) Voir Oxford Dictionary of English. En langue française, le terme employé pour « temporary » dans l’intitulé de la directive, dans les dispositions exposant son champ d’application et son objet et dans les définitions de ses notions clés est « intérimaire » qui est décrit comme « travailler de manière temporaire » [à l’article 1er, paragraphe 1, et à l’article 3, paragraphe 1, sous b), c), d) et e)]. « Intérimaire » est défini par le Petit Robert de la langue française comme « temporaire » ou « transitoire » et « temporaire » comme « limité dans le temps ». En langue italienne, qui est la langue de procédure, les termes utilisés sont « interinale » et « temporaneamente ».

( 22 ) Dans des affaires relatives à la clause 5 de l’accord-cadre sur le travail intérimaire annexé à la directive 1999/70, je relève (sans donner à penser que le raisonnement puisse être transposé comme tel à la présente affaire : voir le point 66 des présentes conclusions) que la Cour a indiqué que « le renouvellement de contrats ou de relations de travail à durée déterminée pour couvrir des besoins qui revêtent, en fait, un caractère non pas provisoire mais permanent et durable n’est pas justifié au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, dans la mesure où une telle utilisation des contrats ou des relations de travail à durée déterminée va directement à l’encontre de la prémisse sur laquelle se fonde cet accord-cadre, à savoir que les contrats de travail à durée indéterminée constituent la forme générale des relations de travail, même si les contrats de travail à durée déterminée sont une caractéristique de l’emploi dans certains secteurs ou pour certaines occupations et activités » (mis en italiques par mes soins). Voir arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 76 et jurisprudence citée.

( 23 ) L’arrêt de principe de cette formule lorsqu’il y a un effet direct « vertical » est l’arrêt du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C‑188/89, EU:C:1990:313). Plus récemment, voir arrêt du 10 octobre 2017, Farrell, C‑413/15, EU:C:2017:745, ainsi que mes conclusions dans cette affaire (EU:C:2017:492).

( 24 ) Arrêt du 17 mars 2015, AKT, C‑533/13, EU:C:2015:173, points 23 et 32.

( 25 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859.

( 26 ) La clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », énonce, à son point 1 : « Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. »

( 27 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 32 (mis en italique par mes soins).

( 28 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 39.

( 29 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 40 et jurisprudence citée.

( 30 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 72 et dispositif.

( 31 ) La jurisprudence de la Cour montre aussi que la directive 1999/70 et la directive 2008/104 ont des champs d’application différents. Il en résulte que les relations de travail à durée déterminée d’un travailleur intérimaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail intérimaire ne relèvent pas du champ d’application de la directive 1999/70. Voir arrêt du 11 avril 2013, Della Rocca, C‑290/12, EU:C:2013:235, point 42.

( 32 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, points 64 et 65.

( 33 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 67 ; arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 67.

( 34 ) Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 69 (mis en italiques par moi).

( 35 ) Arrêt du 5 octobre 2004, C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 107 à 119.

( 36 ) Arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 115.

( 37 ) Arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 118. Voir également conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire AKT, C‑533/13, EU:C:2014:2392, qui concernait l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104, au point 134. Au point 135 de ces conclusions, l’avocat général Szpunar a souligné que l’absence de mesures de transposition de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104 n’empêche donc pas la juridiction nationale de renvoi de vérifier, en prenant en considération l’ensemble du droit interne, si elle peut aboutir par voie d’interprétation à une solution conforme au droit de l’Union.