CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 27 juin 2019 ( 1 )

Affaire C‑379/18

Deutsche Lufthansa AG

contre

Land de Berlin

Parties intervenantes

Berliner Flughafen Gesellschaft mbH,

Vertreter des Bundesinteresses beim Bundesverwaltungsgericht

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Transport aérien – Redevances aéroportuaires – Protection des droits des usagers d’aéroport – Possibilité de convenir de redevances différentes de celles approuvées par l’autorité de supervision indépendante – Voies de recours – Compétence de la juridiction civile – Compatibilité avec la directive 2009/12/CE »

1. 

La directive 2009/12/CE ( 2 ) prévoit que les entités gestionnaires d’aéroport perçoivent des « usagers » (étant entendus, par-là, les personnes qui transportent, en avion, des passagers, des envois postaux ou du fret) ( 3 ) des redevances en contrepartie de l’utilisation des installations et des services fournis par lesdites entités.

2. 

Les questions de la juridiction de renvoi portent, en bref, sur l’approbation desdites redevances aéroportuaires que ce soit par l’autorité de supervision indépendante (ci-après l’« autorité de supervision ») ou par l’entité gestionnaire de l’aéroport. Elle souhaite savoir, en outre, comment, et devant qui, l’usager peut les attaquer.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union.

3.

L’article 2 (« Définitions ») de la directive 2009/12 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)

“aéroport” : tout terrain spécifiquement aménagé pour l’atterrissage, le décollage et les manœuvres d’aéronefs, y compris les installations annexes que ces opérations peuvent impliquer pour les besoins du trafic et le service des aéronefs, y compris les installations nécessaires pour assister les services commerciaux de transport aérien ;

2)

“entité gestionnaire d’aéroport” : l’entité qui, conjointement ou non avec d’autres activités, tient de la législation nationale, de la réglementation ou de contrats la mission d’administration et de gestion des infrastructures de l’aéroport ou du réseau aéroportuaire, ainsi que de coordination et de contrôle des activités des différents opérateurs présents dans les aéroports ou le réseau aéroportuaire concernés ;

3)

“usager d’aéroport” : toute personne physique ou morale transportant par voie aérienne des passagers, du courrier et/ou du fret, à destination ou au départ de l’aéroport concerné ;

4)

“redevance aéroportuaire” : un prélèvement effectué au profit de l’entité gestionnaire d’aéroport à la charge des usagers d’aéroport en contrepartie de l’utilisation des installations et des services qui sont fournis exclusivement par l’entité gestionnaire d’aéroport et qui sont liés à l’atterrissage, au décollage, au balisage et au stationnement des aéronefs, ainsi qu’à la prise en charge des passagers et du fret ;

[...] ».

4.

L’article 3 (« Non-discrimination ») de cette directive dispose :

« Les États membres veillent à ce que les redevances aéroportuaires n’entraînent pas de discrimination entre les usagers d’aéroport, conformément au droit communautaire. Cela n’empêche pas la modulation des redevances aéroportuaires pour des motifs d’intérêt public et d’intérêt général, y compris d’ordre environnemental. Les critères utilisés pour une telle modulation doivent être pertinents, objectifs et transparents. »

5.

L’article 5 (« Systèmes communs de redevances ») de ladite directive prévoit :

« Après avoir informé la Commission et en se conformant au droit communautaire, les États membres peuvent autoriser une entité gestionnaire d’aéroport à appliquer un système commun et transparent de redevances dans les aéroports desservant la même ville ou agglomération urbaine, pour autant que chaque aéroport remplisse toutes les conditions en matière de transparence prévues à l’article 7. »

6.

L’article 6 (« Consultation et recours ») de cette même directive dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce qu’une procédure obligatoire de consultation régulière des usagers d’aéroport ou des représentants ou associations des usagers d’aéroport par l’entité gestionnaire d’aéroport soit mise en place en ce qui concerne l’application du système de redevances aéroportuaires, le niveau des redevances aéroportuaires et, s’il y a lieu, la qualité du service fourni. Cette consultation a lieu au moins une fois par an, sauf s’il en a été convenu autrement lors de la précédente consultation. Lorsqu’il existe un accord pluriannuel entre l’entité gestionnaire d’aéroport et les usagers d’aéroport, les consultations se déroulent conformément audit accord. Les États membres conservent le droit d’imposer des consultations plus fréquentes.

2.   Les États membres veillent à ce que, dans la mesure du possible, les modifications apportées au système ou au niveau des redevances aéroportuaires fassent l’objet d’un accord entre l’entité gestionnaire d’aéroport et les usagers d’aéroport. À cet effet, l’entité gestionnaire d’aéroport soumet toute proposition visant à modifier le système ou le niveau des redevances aéroportuaires aux usagers d’aéroport, avec un exposé des motifs justifiant les modifications proposées, au plus tard quatre mois avant leur entrée en vigueur, sauf en cas de circonstances exceptionnelles qui doivent être dûment exposées aux usagers d’aéroport. L’entité gestionnaire d’aéroport organise des consultations sur les modifications proposées avec les usagers d’aéroport et tient compte de leur avis avant de prendre une décision. L’entité gestionnaire d’aéroport publie normalement sa décision ou sa recommandation au plus tard deux mois avant son entrée en vigueur. Dans l’hypothèse où aucun accord n’est conclu entre l’entité gestionnaire d’aéroport et les usagers d’aéroport sur les modifications proposées, l’entité gestionnaire d’aéroport justifie sa décision par rapport aux arguments des usagers d’aéroport.

3.   Les États membres veillent à ce que, en cas de désaccord sur une décision relative aux redevances aéroportuaires prise par l’entité gestionnaire d’aéroport, chaque partie puisse demander l’intervention de l’autorité de supervision indépendante visée à l’article 11, qui examine les motifs justifiant la modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires.

4.   Une modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires décidée par l’entité gestionnaire d’aéroport ne prend effet, si elle est soumise à l’autorité de supervision indépendante, qu’après examen de la question par ladite autorité. L’autorité de supervision indépendante prend, au plus tard quatre semaines après avoir été saisie de la question, une décision provisoire sur l’entrée en vigueur de la modification des redevances aéroportuaires, à moins que la décision définitive ne puisse être prise dans le même délai.

5.   Un État membre peut décider de ne pas appliquer les paragraphes 3 et 4, en ce qui concerne des modifications du niveau ou de la structure des redevances aéroportuaires, aux aéroports pour lesquels :

a)

il existe, dans le droit national, une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l’autorité de supervision indépendante ; [...] ».

7.

Conformément à l’article 7 (« Transparence ») de la directive 2009/12 :

« 1.   Les États membres veillent à ce que l’entité gestionnaire d’aéroport fournisse, chaque fois que doivent être tenues les consultations visées à l’article 6, paragraphe 1, à chaque usager d’aéroport, ou aux représentants ou associations des usagers d’aéroport, des informations sur les éléments servant de base à la détermination du système ou du niveau de toutes les redevances perçues par elle dans chaque aéroport. Ces informations comprennent au minimum :

a)

une liste des différents services et infrastructures fournis en contrepartie de la redevance aéroportuaire perçue ;

b)

la méthodologie utilisée pour fixer les redevances aéroportuaires ;

c)

la structure d’ensemble des coûts liés aux installations et aux services auxquels les redevances aéroportuaires se rapportent ;

d)

les recettes des différentes redevances et le coût total des services couverts par celles-ci ;

e)

tout financement par les pouvoirs publics des installations et services auxquels se rapportent les redevances aéroportuaires ;

f)

les prévisions concernant la situation de l’aéroport en matière de redevances, l’évolution du trafic ainsi que les investissements proposés ;

g)

l’utilisation réelle de l’infrastructure et de l’équipement aéroportuaires au cours d’une période donnée ; et

h)

le résultat attendu de tout investissement majeur proposé quant à ses effets sur la capacité aéroportuaire.

[...] »

8.

L’article 11 (« Autorité de supervision indépendante ») de cette directive dispose :

« 1.   Les États membres désignent ou mettent en place une autorité indépendante qui constitue leur autorité de supervision indépendante nationale et qui est chargée de veiller à la bonne application des mesures prises pour se conformer à la présente directive et d’assumer, au minimum, les tâches assignées au titre de l’article 6. Cette autorité peut être la même que l’entité à laquelle l’État membre a confié l’application des mesures de régulation supplémentaires visées à l’article 1er, paragraphe 5, y compris l’approbation du système de redevances et/ou du niveau des redevances aéroportuaires, à condition qu’elle réponde aux exigences mentionnées au paragraphe 3 du présent article.

[...]

7.   Lorsqu’elle examine la justification d’une modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires conformément à l’article 6, l’autorité de supervision indépendante a accès aux informations nécessaires émanant des parties concernées et est tenue de consulter ces parties pour prendre sa décision. Sans préjudice de l’article 6, paragraphe 4, elle prend une décision définitive dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, au plus tard quatre mois après avoir été saisie de la question. Ce délai peut être prolongé de deux mois dans des cas exceptionnels et dûment justifiés. Les décisions de l’autorité de supervision indépendante sont contraignantes, sans préjudice d’un examen parlementaire ou d’un contrôle juridictionnel, conformément aux dispositions applicables dans les États membres.

[...] »

B.   Le droit allemand

1. La loi sur l’organisation des juridictions administratives

9.

En vertu de l’article 42, paragraphe 2, de la Verwaltungsgerichtsordnung (loi sur l’organisation des juridictions administratives) (ci-après la « VwGO »), sous réserve que la loi en dispose autrement, le recours devant la juridiction administrative n’est recevable que si le requérant fait valoir qu’il est lésé dans ses droits par un acte administratif, ou par le refus ou l’abstention de prendre un tel acte.

2. La loi relative aux transports aériens

10.

L’article 19 ter, paragraphe 1, du Luftverkehrsgesetz (loi relative aux transports aériens) (ci-après le « LuftVG »), régit le système des redevances aéroportuaires. L’entité gestionnaire d’aéroport soumet le barème de redevances à l’approbation de l’autorité compétente en matière de délivrance des licences, qui l’approuve s’il respecte certaines exigences ( 4 ).

11.

L’article 19 ter, paragraphe 3, de cette loi, prévoit la procédure pour l’autorisation du barème des redevances :

« –

Au plus tard six mois avant son entrée en vigueur, l’exploitant de l’aéroport soumet aux usagers d’aéroport le projet de barème de redevances, ou toute modification de celui-ci, avec une motivation.

La demande d’autorisation doit être introduite au plus tard cinq mois avant l’entrée en vigueur du barème de redevances prévu, auprès de l’autorité compétente en matière de délivrance des licences. Elle doit être motivée et les objections des usagers doivent être prises en considération.

L’autorisation doit être accordée, dès lors que le niveau des redevances est raisonnable au regard des coûts d’exploitation prévisibles et qu’il apparaît que celles-ci tendent à assurer des prestations efficaces. Il est possible de ne pas procéder à cet examen lorsque l’entité gestionnaire d’aéroport a conclu un accord avec les usagers d’aéroport portant sur le barème de redevances. »

3. Le code civil

12.

En vertu de l’article 315 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil) (ci-après le « BGB »), relatif aux contrats :

« Si la prestation doit être déterminée par l’une des parties contractantes, il y a lieu d’admettre, dans le doute, que cette détermination doit être faite ex æquo et bono.

La détermination s’effectue moyennant une déclaration adressée à l’autre partie.

Lorsque la prestation est ainsi déterminée, elle ne lie l’autre partie que si elle est conforme à l’équité. Si elle ne l’est pas, elle est fixée par jugement. »

II. La procédure devant la Cour

13.

L’ordonnance de renvoi a été déposée au greffe de la Cour le 8 juin 2018.

14.

Deutsche Lufthansa AG, Berliner Flughafen Gesellschaft mbH, le Land de Berlin, les gouvernements allemand et polonais, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. À l’exception du gouvernement polonais, l’ensemble de ces parties ont assisté à l’audience qui s’est tenue le 11 avril 2019.

III. Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

A.   Antécédents

15.

Le 25 juin 2014, l’entreprise gestionnaire de l’aéroport de Berlin-Tegel (la Berliner Flughafen Gesellschaft mbH) a soumis au Land de Berlin, dont relève l’autorité de supervision, une proposition de redevances aéroportuaires pour autorisation.

16.

Le 13 octobre 2014, l’autorité de supervision a accordé l’autorisation demandée, conformément à l’article 19 ter de la loi relative aux transports aériens.

17.

Deutsche Lufthansa a demandé l’annulation de l’autorisation par un recours formé devant l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg, Allemagne).

18.

Par un arrêt du 22 juin 2016, ladite juridiction a rejeté le recours au motif que Deutsche Lufthansa n’avait pas d’intérêt à agir (conformément à l’article 42, paragraphe 2, de la VwGO), du moment que l’autorisation ne pouvait pas porter atteinte à ses droits.

19.

Deutsche Lufthansa a dès lors formé un recours en « Revision » devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), lequel a saisi la Cour des deux questions préjudicielles suivantes.

« 1)

Une disposition nationale qui prévoit que le système de redevances aéroportuaires décidé par l’entité gestionnaire d’aéroport doit être présenté pour approbation à l’autorité de supervision indépendante, sans interdire à l’entité gestionnaire d’aéroport et à l’usager d’aéroport d’établir d’autres redevances que celles approuvées par l’autorité de supervision, est-elle compatible avec la directive [2009/12] et, notamment, avec son article 3, son article 6, paragraphes 3 à 5, et son article 11, paragraphes 1 et 7 ?

2)

Une interprétation du droit national en vertu de laquelle un usager d’aéroport ne peut pas attaquer l’approbation du barème de redevances aéroportuaires par l’autorité de supervision indépendante, mais peut former un recours contre l’entité gestionnaire d’aéroport, et faire valoir, à cette occasion, que la redevance fixée dans le barème de redevances aéroportuaires n’est pas conforme à l’équité est-elle compatible avec ladite directive ? »

20.

La juridiction de renvoi affirme que l’autorisation ne serait pas juridiquement contraignante aux fins de la fixation des redevances, conformément à sa propre jurisprudence ( 5 ). L’article 19 ter de la LuftVG créerait une relation de droit public seulement entre l’autorité de supervision et l’entité gestionnaire d’aéroport en tant que destinataire de l’autorisation. Du moment que l’entité gestionnaire et les usagers d’aéroport sont liés par une relation de droit privé, la rémunération convenue entre les parties déploierait ses effets même en l’absence d’autorisation.

21.

Selon elle, en vertu de la jurisprudence civile, le contrôle du montant des redevances incombe aux juridictions civiles, lesquelles opèrent un contrôle d’équité conformément à l’article 315 du BGB.

22.

Malgré cela, il y aurait lieu de reconnaître la compétence de la juridiction administrative (et donc l’intérêt à agir de la partie demanderesse) pour connaître du recours direct dirigé contre l’autorisation, dans les cas suivants :

Si l’on considérait que l’autorisation impose des conditions générales contractuelles que les parties ne peuvent pas modifier, de sorte que celles-ci ne pourraient pas convenir de redevances différentes de celles indiquées par l’autorité de supervision.

Si l’article 19 ter de la LuftVG accordait aux usagers d’aéroport une protection individuelle, de sorte à leur conférer un intérêt direct prééminent par rapport à celui dont bénéficie la généralité du public.

23.

La juridiction de renvoi ajoute que, eu égard à l’arrêt rendu dans l’affaire CTL Logistics ( 6 ), il y aurait lieu de se demander si la voie de l’article 315 du BGB est propre à satisfaire les exigences de la directive 2009/12. Si la voie civile était à exclure pour la protection des droits des usagers d’aéroport, ces derniers n’auraient pas d’autre alternative pour défendre leurs intérêts, ce qui serait contraire au principe de la protection juridictionnelle effective consacré par la Loi fondamentale allemande.

24.

Le juge de renvoi indique, comme solution, une interprétation de l’article 19 ter de la LuftVG conforme à la Constitution, qui entraînerait la reconnaissance de l’intérêt à agir des usagers au sens de l’article 42, paragraphe 2, de la VwGO.

B.   Observations liminaires

25.

Il ressort des informations du dossier que, en Allemagne, les redevances aéroportuaires sont autorisées par l’autorité de supervision. L’usager peut uniquement attaquer cette autorisation indirectement, par la voie d’une demande devant la juridiction civile, de sorte que, en cas de succès de celui-ci, il est le seul à en tirer bénéfice. En revanche, l’entité gestionnaire peut l’attaquer directement devant le juge administratif.

26.

Dans ce contexte, les doutes de la juridiction de renvoi portent sur la possibilité que la juridiction administrative soit compétente pour connaître d’un recours formé par un usager (un transporteur aérien) directement contre le système de redevances approuvé par l’autorité de supervision. Ce serait le cas si les parties ne pouvaient pas négocier des tarifs distincts de ceux établis par ladite autorité et si la défense juridictionnelle des droits des usagers confiée aux juges civils était considérée comme incompatible avec la directive 2009/12.

27.

La Cour ne peut se pencher sur l’interprétation des normes internes ni établir quels organes juridictionnels nationaux disposent de l’une ou l’autre compétence ou encore comment l’intérêt à agir des demandeurs est encadré dans les procédures civiles ou administratives respectives. En revanche, elle peut fournir les clés d’interprétation du droit de l’Union qui permettront au juge de renvoi de tirer les conséquences nécessaires.

28.

Avant d’aborder l’analyse des deux questions préjudicielles, il me semble opportun d’examiner si la directive 2009/12 accorde aux usagers d’aéroport un intérêt à agir à l’encontre de la fixation des redevances.

C.   L’intérêt à agir des usagers pour attaquer les redevances aéroportuaires

29.

Au cours des travaux préparatoires de la directive 2009/12 sur les taxes aéroportuaires, la Commission a inscrit sa proposition dans le cadre « d’une initiative plus générale centrée sur les aéroports [visant] à améliorer les activités aéroportuaires et à optimaliser l’utilisation de capacités disponibles en quantité limitée» ( 7 ). Elle a souligné, concrètement, l’importance des redevances pour l’efficacité de l’activité des transporteurs aériens ( 8 ).

30.

La compétitivité des transporteurs aériens de l’Union occupe dès lors une place centrale dans le schéma des redevances aéroportuaires ( 9 ).

31.

La Commission disposait, entre autres des options suivantes :

Attribuer aux États membres la compétence pour régler la question.

Prévoir une intervention maximale, c’est-à-dire un système de régulation applicable dans toute l’Union de manière uniforme, en vertu duquel les redevances aéroportuaires seraient déterminées et perçues suivant une méthode de calcul unique.

Établir, en tant que solution intermédiaire, un cadre général comportant des principes communs et dans lequel les régulateurs nationaux disposeraient d’une plus grande latitude pour adapter la directive 2009/12 aux circonstances nationales ( 10 ).

32.

C’est la troisième option, exprimée dans le deuxième considérant de directive 2009/12 ( 11 ), qui a été retenue. Il s’ensuit que, pour ce qui concerne les redevances, la relation entre les entités gestionnaires d’aéroport et les usagers doit respecter des principes de base définis dans le corps de cette directive.

33.

Concrètement, ces principes sont ceux de non-discrimination, de transparence et de participation des intéressés à la procédure.

34.

Pour ce qui est de la non-discrimination, l’article 3 de la directive 2009/12 proscrit le fait que les redevances puissent entraîner des « discrimination entre les usagers d’aéroport ». Il s’agit d’une règle visant à garantir des conditions de concurrence équitables entre les transporteurs aériens qui utilisent l’aéroport, en empêchant que certains soient favorisés au détriment d’autres et, partant, qu’ils puissent devancer leurs concurrents en offrant des services plus attractifs sur le marché ( 12 ).

35.

Quant à la participation des usagers à la procédure de fixation des redevances, l’article 6 de la directive 2009/12 impose que des consultations régulières soient tenues entre ceux-ci et les entités gestionnaires – une fois par an au minimum – (paragraphe 1), ainsi qu’avant toute modification du système de redevances aéroportuaires ou de leur niveau (paragraphe 2) ( 13 ).

36.

La décision finale qui est adoptée peut suivre deux modalités, prévues à l’article 6 de la directive 2009/12, selon que :

L’entité gestionnaire d’aéroport est compétente pour autoriser les redevances (paragraphe 2). Dans ce cas, sa décision est susceptible de recours, avec effet suspensif, devant l’autorité de supervision.

L’autorité de supervision est compétente pour déterminer ou approuver « les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal » [paragraphe 5, sous a)]. Dans ce cas, la procédure de consultation dudit article 6, paragraphes 1 et 2 ( 14 ) précédera la proposition qui, en Allemagne, sera soumise par le gestionnaire d’aéroport à l’autorité indépendante.

37.

Enfin, la directive 2009/12 proclame la transparence, en son article 7. Bien que cette disposition ne fasse référence qu’aux consultations visées à son article 6, paragraphe 1, le principe de transparence s’applique également à la procédure de modification du système ou du niveau des redevances visée au paragraphe 2 dudit article 6. C’est pourquoi il est exigé que l’entité gestionnaire d’aéroport soumette aux usagers la proposition de révision « avec un exposé des motifs justifiant les modifications proposées ».

38.

La directive 2009/12 , tout en proclamant la soumission des redevances aux principes que je viens d’énumérer, fait référence, en son article 6, aux recours des usagers d’aéroport contre les décisions de l’entité gestionnaire qui, selon eux, ne respectent pas ces principes.

39.

Les recours en question sont le corollaire des droits reconnus aux usagers. Si cette directive proclame qu’il y a lieu de leur garantir une participation éclairée à la procédure de décision (au point que, si l’entité gestionnaire s’écarte de leurs affirmations, elle est tenue de rendre une décision motivée), elle leur confère, en même temps, un droit qui doit être respecté. Le législateur de l’Union a souhaité que l’avis des usagers constitue un élément incontournable en vue de l’adoption de la décision finale.

40.

Il en va de même des principes de transparence et de non-discrimination : leur violation peut être invoquée par les usagers, et, le cas échéant, entraîner l’annulation de la décision d’approbation des redevances. Si cette dernière, par exemple, viole l’égalité entre les transporteurs aériens, il ne fait aucun doute que la partie lésée par cette discrimination doit pouvoir disposer d’une voie de recours.

41.

Cet éventuel recours peut être dirigé, en outre, contre d’autres éléments du système de redevances établi. La relation économique entre le gestionnaire d’aéroport et les usagers doit être fondée sur l’équilibre entre les redevances et les coûts pour le financement desquels elles sont perçues ( 15 ). L’usager doit dès lors disposer d’un mécanisme de recours contre les redevances dont le montant ne respecterait pas cet équilibre, c’est-à-dire qui se traduirait par une charge clairement disproportionnée par rapport aux coûts du service ou à l’utilisation des installations.

42.

L’article 6 de la directive 2009/12 prévoit que les recours contre les décisions de l’entité gestionnaire, lorsque celle-ci est compétente pour l’approbation des redevances, doivent être introduits devant l’autorité de supervision. La disposition en cause ne prévoit pas, toutefois, que la décision de ladite autorité statuant sur de tels recours puisse à son tour être attaquée en justice.

43.

Il faut aller jusqu’à l’article 11, paragraphe 7, in fine, de la directive 2009/12 pour trouver une référence au contrôle juridictionnel des actes émanant de l’autorité de supervision. Conformément à cette disposition, les décisions de ladite autorité « sont contraignantes, sans préjudice d’un examen parlementaire ou d’un contrôle juridictionnel, conformément aux dispositions applicables dans les États membres ».

44.

La rédaction de la dernière phrase de l’article 11, paragraphe 7, de cette directive, fait apparaître, à tout le moins, deux problèmes :

Le premier, c’est que le paragraphe 7 concerne, en principe, certains actes spécifiques de l’autorité de supervision, mais pas tous ( 16 ). Concrètement, il se limite aux actes adoptés à la suite de l’examen de « la justification d’une modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires ».

Le second, c’est que la lettre de la disposition en cause semblerait permettre que les États membres soumettent les décision de l’autorité de supervision seulement au contrôle parlementaire et non à celui juridictionnel ( 17 ).

45.

Je pense que ces problèmes peuvent être résolus, à un niveau supérieur, en renvoyant aux dispositions du droit primaire de l’Union. D’une manière générale, l’article 19, paragraphe 1, in fine, TUE impose aux États membres d’établir « les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Dans un sens analogue, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que « toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal ».

46.

Du moment que la directive 2009/12 reconnaît aux usagers d’aéroport tant un intérêt à agir que des droits subjectifs, l’application des deux dispositions susmentionnées de rang supérieur impose aux États membres de mettre en place des moyens procéduraux qui garantissent la protection juridictionnelle effective desdits usagers, dans ce contexte spécifique.

47.

Le doute soulevé par la juridiction de renvoi porte, précisément, sur la question de savoir si le mécanisme prévu par le droit allemand est suffisant pour assurer la protection juridictionnelle effective des droits et des intérêts que la directive 2009/12 reconnaît aux usagers d’aéroport.

D.   Sur la possibilité que l’entité gestionnaire d’aéroport et les usagers conviennent de redevances différentes de celles approuvées par l’autorité de supervision (première question préjudicielle)

48.

Comme exposé plus haut, en vertu du système allemand, l’entité gestionnaire d’aéroport présente une proposition et l’autorité de supervision approuve les redevances aéroportuaires.

49.

Le législateur allemand a ainsi opté pour l’alternative offerte à l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2009/12. Conformément à cette option, il est tenu de reconnaître aux décisions de l’autorité de supervision des effets contraignants, cette conséquence étant ce qui justifie et confère un effet utile à la structure organisationnelle de la directive.

50.

Cela n’aurait pas beaucoup de sens que de proclamer, à l’article 5 de cette directive, un « système commun et transparent de redevances » pour les aéroports d’une « même ville ou agglomération urbaine », si l’on permettait des accords particuliers qui éluderaient son application à l’égard d’un ou de plusieurs usagers.

51.

De tels accords particuliers affecteraient, d’une part, le caractère commun du système de redevances et, d’autre part, du point de vue de la transparence, ils introduiraient des facteurs de distorsion insurmontables.

52.

En effet, les usagers doivent disposer d’informations sur « les éléments servant de base à la détermination du système ou du niveau de toutes les redevances perçues par [l’entité gestionnaire d’aéroport] dans chaque aéroport » (article 7, paragraphe 1, de ladite directive) ( 18 ). Font partie de ces éléments, notamment, ceux relatifs au rapport coûts/redevances. Cela ne servirait à rien de fournir des informations, par exemple, sur les recettes des différentes redevances et sur le coût des services couverts par celles-ci [article 7, paragraphe 1, sous d)] si, après l’approbation du système de redevances, on pouvait faire abstraction de ce paramètre.

53.

Même dans les cas de « différenciation des services » prévus à l’article 10 de la directive 2009/12, celle-ci renvoie à des catégories générales, sans admettre que soient visés certains usagers particuliers. En vertu de cette disposition, l’entité gestionnaire peut offrir des services personnalisés, auquel cas le niveau des redevances pourra varier « en fonction de la qualité et du champ [des] services et de leurs coûts ou de toute autre justification objective et transparente ». Cependant, lesdites « redevances aéroportuaires différenciées » font partie précisément du système général approuvé (en Allemagne) par l’autorité de supervision, qui prédétermine son contenu, sans que ses éléments ne soient susceptibles d’être négociés à titre particulier.

54.

Lors de l’audience, il a été question de la possibilité que l’entité gestionnaire d’aéroport et les usagers conviennent des redevances lorsque l’autorité de supervision a approuvé le niveau maximal de ces dernières [article 6, paragraphe 5, sous a), in fine, de la directive 2009/12]. Il s’agirait alors de savoir si, dans ce cas, il y aurait lieu de procéder à une négociation individuelle ou bien si cette dernière devrait être commune à tous les usagers d’aéroport ( 19 ).

55.

Les arguments exposés ci-dessus plaident en faveur d’une réponse affirmative, puisque : i) le niveau maximal établi est respecté, ii) la négociation est, en tout état de cause, collective, iii) n’importe quel transporteur aérien peut bénéficier de la même redevance reconnue à un ou à plusieurs autres, en dessous du niveau maximal approuvé, et iv) les accords conclus par l’entité gestionnaire d’aéroport avec les usagers sont soumis au contrôle a posteriori de l’autorité de supervision. C’est seulement de cette façon que seront sauvegardés les principes qui ont inspiré la directive 2009/12, et notamment celui de non-discrimination ( 20 ).

E.   Sur le système allemand de protection juridictionnelle et sa compatibilité avec la directive 2009/12 (deuxième question préjudicielle)

56.

Les lignes essentielles du système allemand, telles qu’elles résultent de l’ordonnance de renvoi, peuvent être résumées de la façon suivante ( 21 ) :

La relation contractuelle entre les usagers et l’entité gestionnaire d’aéroport est régie par les règles du droit civil.

Les litiges entre ces deux parties concernant les redevances doivent être portés devant une juridiction civile. Celle-ci statuera « en équité », en recherchant un équilibre entre les intérêts économiques objectifs de chacun des contractants, en fonction de l’objet du contrat et de l’importance de la prestation pour laquelle le prix demandé (redevance) doit représenter une « contrepartie raisonnable ».

L’entité gestionnaire d’aéroport dispose d’une marge d’appréciation pour déterminer la « contrepartie raisonnable ». Le juge civil s’efforce de parvenir à l’équité contractuelle : s’il estime que les redevances sont trop élevées, il peut établir leur montant équitable avec effet ex tunc.

La décision du juge civil ne déploie ses effets qu’inter partes ( 22 ).

57.

Faute d’harmonisation des mécanismes nationaux de protection des droits des usagers d’aéroport, chaque État membre est compétent pour les établir conformément au principe d’autonomie procédurale, tempéré par les principes d’équivalence et d’effectivité.

58.

À première vue, donc, le système de protection juridictionnelle mis en place par le législateur allemand pourrait être considéré comme licite, si l’article 315 du BGB offrait un cadre procédural approprié pour la défense des droits de l’usager, tant dans ses aspects procéduraux (information, consultation et participation) que matériels (non‑discrimination et adéquation entre redevances et coûts).

59.

Je crois, cependant, que tel n’est pas le cas.

60.

Il ressort de la description résumée ci-dessus que le système mis en place par le droit allemand pour attaquer les redevances aéroportuaires coïncide avec celui qui a été apprécié dans l’arrêt CTL Logistics, qui soulevait des problèmes analogues à l’égard des redevances ferroviaires allemandes. Le parallélisme entre ces deux systèmes impose de prendre ce précédent comme référence, compte tenu de ce que, dans ladite affaire, il était également question de l’application de l’article 315 du BGB aux fins de la résolution des litiges correspondants.

61.

L’extrapolation de la jurisprudence de l’arrêt CTL Logistics au présent litige a été réfutée en faisant valoir que le régime de l’usage des infrastructures ferroviaires et la structure des redevances y afférentes ne sont pas assimilables à ceux des aéroports.

62.

Il est certain qu’il existe des différences de régime entre le secteur ferroviaire et celui aéronautique. Tandis que, dans le premier, la directive 2012/34/UE ( 23 ) comprend tant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire (et des installations de service) entre les entreprises ferroviaires que leur tarification, la règlementation dans le secteur aéronautique semble davantage éparse. Toutefois, si l’on observe l’essence des deux réglementations, les similitudes prévalent sur les différences en ce qui concerne les redevances.

63.

Dans un cas comme dans l’autre, les installations (ferroviaires ou aéroportuaires) ont des capacités limitées qui doivent être mises à la disposition des usagers de manière non-discriminatoire. La distinction est maintenue, dans les deux secteurs, entre, d’une part, les infrastructures et les services que le gestionnaire (gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire ou entité gestionnaire d’aéroport) doit mettre à la disposition de l’usager (entreprise ferroviaire ou transporteur aérien), et, d’autre part, les services qui peuvent être fournis par un tiers (exploitant d’installation de service ferroviaire ou agent d’assistance en escale).

64.

Le parallélisme entre le régime des redevances ferroviaires et celui des redevances aéroportuaires est incontestable au regard du principe de non-discrimination ( 24 ). Le corollaire de l’égalité de traitement obligatoire à l’égard des entreprises utilisatrices est constitué par la nécessité que les décisions sur les redevances affectent de manière égale tous les intéressés. La garantie du caractère unitaire des critères de fixation des redevances impose qu’il y ait une autorité de supervision qui ait le dernier mot.

65.

Le même parallélisme touche également les fonctions de ladite autorité de supervision. Dans le secteur ferroviaire, ses compétences sont analogues à celles déjà décrites au regard des redevances aéroportuaires. Concrètement, les articles 55 à 58 de la directive 2012/34 portent sur l’organisme de contrôle devant lequel les entreprises qui fournissent les services peuvent attaquer (article 56) le système des redevances ou le montant ou la structure de ces dernières.

66.

J’estime dès lors que la comparaison entre le régime juridique de l’espace ferroviaire et celui aéroportuaire, en ce qui concerne les redevances, fait apparaître un taux de coïncidence tel qu’il permet d’appliquer aux redevances aéroportuaires l’arrêt CTL Logistics.

67.

Cette prémisse étant posée, j’estime que la réponse donnée par la Cour dans l’arrêt CTL Logistics est transposable à la présente affaire. Le raisonnement suivi dans ledit arrêt se déploie en sept motifs successifs (points 69 à 102), dont quatre appellent une analyse spécifique de ma part.

68.

En premier lieu, la Cour a déclaré que « l’appréciation en équité dans chaque cas particulier s’oppose au principe de non-discrimination consacré à l’article 4, paragraphe 5, et au considérant 11 de la directive 2001/14 ». La cour a ajouté, à l’appui de cette affirmation, qu’« en insistant exclusivement sur la rationalité économique du contrat individuel, l’application de l’article 315 du BGB méconnaît le fait que seule une détermination des redevances fondées sur des critères uniformes peut garantir que la politique en matière de redevances soit appliquée de la même manière à toutes les entreprises ferroviaires ( 25 ) ».

69.

Ainsi, cette même logique entraîne que, au regard des redevances aéroportuaires, le mécanisme de résolution devant les juridictions civiles, suivant des critères d’équité et déployant ses effets seulement inter partes, n’est pas conforme au système commun et au principe de non-discrimination proclamé à l’article 3 de la directive 2009/12.

70.

En deuxième lieu, « diverses décisions de juridictions civiles indépendantes, le cas échéant non harmonisées par la jurisprudence des juridictions supérieures, se substitueraient à l’unicité du contrôle effectué par l’organisme compétent, sous réserve, le cas échéant, du contrôle ultérieur réalisé par les juridictions appelées à trancher les recours dirigés contre les décisions de cet organisme, en l’espèce par les tribunaux administratifs [...]. Il en résulte une juxtaposition de deux voies décisionnelles non coordonnées, cela en contradiction manifeste avec l’objectif poursuivi à l’article 30 de la directive 2001/14» ( 26 ).

71.

Il en va de même dans le secteur aéroportuaire. Le caractère unitaire des critères suivis par l’autorité de supervision, lorsqu’elle approuve directement le système des redevances en tant que tel ou lorsqu’elle contrôle, dans le cadre des recours, celui approuvé par l’entité gestionnaire, est compromis dans un système qui ne permet pas le recours direct des usagers contre les actes de ladite autorité, ce recours étant remplacé par une action civile individuelle déployant ses effets seulement inter partes ( 27 ).

72.

En troisième lieu, dans le système dualiste de recours contre les redevances ferroviaires, l’autorité de supervision n’était pas tenue de conformer le système de redevances à la décision de la juridiction civile au titre de l’article 315 du BGB, du moment qu’« aucune obligation de cette nature ne résulte des dispositions de la directive 2001/14 relatives à l’organisme de contrôle» ( 28 ).

73.

Il en va de même des redevances aéroportuaires. L’affirmation que l’autorité de supervision « devrait se borner à réagir aux décisions individuelles déjà rendues par les juridictions civiles sur le fondement de l’article 315 du BGB» ( 29 ) est, dans ce secteur également, contraire à la fonction de l’autorité de supervision.

74.

En quatrième lieu, la Cour a souligné que, dans le secteur ferroviaire, en cas d’application du mécanisme de double compétence juridictionnelle, « le caractère contraignant, pour toutes les parties concernées, des décisions prises par l’organisme de contrôle, ainsi qu’il résulte de l’article 30, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la directive 2001/14, ne serait pas respecté. [...] Il serait contraire à ce principe que les jugements rendus par les juridictions civiles, le cas échéant sur la base des critères fixés par la réglementation relative au calcul des redevances, produisent un effet limité aux seules parties aux litiges portés devant ces juridictions» ( 30 ).

75.

Encore une fois, cet argument peut s’appliquer aux litiges que les usagers peuvent instaurer en ce qui concerne les redevances aéroportuaires, étant donné l’absence d’efficacité erga omnes des décisions des juridictions civiles qui les tranchent.

76.

Le propre des juridictions civiles, selon l’article 315 du BGB, c’est d’introduire une modulation en équité sur les aspects synallagmatiques de la relation contractuelle. En ce sens, elles pourraient même apprécier la proportionnalité entre les coûts du service fourni et le prix (redevance).

77.

Cependant, il est logique de penser que d’autres aspects cruciaux de la procédure qui a donné lieu à l’approbation de la redevance, comme les questions relatives à la formation de la volonté de l’organisme décideur ou aux éventuels vices de forme qui ont pu influencer le contenu de la décision administrative, ne feraient pas l’objet du contrôle de la juridiction civile ( 31 ).

78.

Dans ce contexte, les usagers – dont les juridictions administratives allemandes réfutent l’intérêt à agir pour attaquer, devant elles, les décisions de l’autorité de supervision – ne pourraient saisir aucune juridiction du contrôle de ces éléments à caractère éminemment administratif et déterminants pour l’approbation des redevances.

79.

De même, il n’apparaît pas que les effets de l’arrêt civil rendu dans un litige individuel puissent être étendus à d’autres usagers. Il semblerait que la seule voie que ces derniers pourraient envisager soit celle d’introduire de nouvelles actions devant les juridictions civiles. L’efficacité de la directive dépendrait ainsi de la décision individuelle d’introduire des demandes ultérieures, soumises à des contingences incontrôlables, ce qui ne garantit pas la préservation d’un système commun de redevances, basé sur la non-discrimination, la transparence et la participation des usagers.

80.

Il ressort de ce qui précède que les usagers doivent pouvoir bénéficier d’une voie de recours juridictionnel qui leur permette d’attaquer sans restriction la décision adoptée par l’autorité de supervision.

81.

Lors de l’audience, certaines des parties ont fait valoir que si l’on admettait la possibilité que les usagers puissent attaquer devant les juridictions administratives les décisions de l’autorité de supervision, cela pourrait paralyser le recouvrement des redevances aéroportuaires, eu égard aux règles procédurales qui gouvernent la suspension des actes attaqués.

82.

Cette objection ne saurait prospérer. D’une part, il incomberait au législateur national d’instaurer, dans ce secteur comme dans d’autres, les règles de procédure qui éviteraient une paralysie généralisée du recouvrement des redevances. D’autre part, comme certaines de ces parties l’ont reconnu lors de l’audience, l’autorité de supervision est habilitée, selon les dispositions nationales en vigueur, à imposer dans tous les cas le paiement des redevances, même lorsque ses décisions sont attaquées en justice, dès lors que des motifs d’intérêt général le justifient.

IV. Conclusion

83.

Eu égard aux arguments exposés ci-dessus, je propose à la Cour de répondre au Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) de la manière suivante :

1)

La directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2009, sur les redevances aéroportuaires, s’oppose à ce que l’entité gestionnaire d’aéroport et les usagers d’aéroport puissent convenir de redevances aéroportuaires qui s’écartent de celles approuvées par l’autorité de supervision indépendante.

2)

La directive 2009/12 s’oppose à l’application d’une réglementation nationale, comme celle en cause dans la présente affaire, qui, selon l’interprétation jurisprudentielle prédominante, attribue aux juridictions de l’ordre civil la compétence pour statuer au cas par cas, en équité, sur les demandes des usagers relatives aux redevances aéroportuaires approuvées par l’autorité de supervision indépendante, tout en interdisant aux usagers d’aéroport d’attaquer directement les décisions de ladite autorité.


( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2009, sur les redevances aéroportuaires (JO 2009, L 70, p. 11).

( 3 ) J’emploierai le terme « usager » dans ce sens, en excluant ainsi les voyageurs qui utilisent les installations et les services aéroportuaires (et sur lesquels les transporteurs répercutent, ensuite, le montant de la redevance).

( 4 ) Les redevances doivent être déterminées sur la base de critères appropriés, objectifs, transparents et non discriminatoires ; les services et les infrastructures soumis à redevance doivent être clairement définis ; les redevances doivent être calculées en fonction des coûts et fixées à l’avance ; tous les usagers d’un aéroport civil ou d’un aérodrome doivent avoir de la même manière accès aux services et aux infrastructures ; des redevances de niveaux différents ne peuvent pas être imposées sans raison objective.

( 5 ) Elle renvoie, à cet effet, à son arrêt du 8 juillet 1977, rendu en ce qui concerne l’article 43 de l’ancien règlement relatif aux licences d’exploitation en matière de navigation aérienne.

( 6 ) Arrêt du 9 novembre 2017, CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2017:834, ci-après l’« arrêt CTL Logistics »).

( 7 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires (présentée par la Commission) SEC(2006) 1688 ; SEC(2006) 1689. COM(2006) 820 final.

( 8 )

( 9 ) Le gouvernement allemand est conscient de cela lorsqu’il reconnaît, dans ses observations (point 54), l’importance du niveau des redevances pour les aéroports et pour les transporteurs aériens, en tant que facteur de choix, par ces derniers, de leurs destinations.

( 10 ) Document d’analyse d’impact de la Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires (présentée par la Commission). SEC(2006) 1688, point 6.2.2. [http://www.europarl.europa.eu/registre/docs_autres_institutions/commission_europeenne/sec/2006/1688/COM_SEC(2006)1688_EN.pdf]

( 11 )

( 12 ) Au cours des travaux préparatoires, cette règle a été complétée pour signaler que le principe de non-discrimination n’empêchait pas l’instauration de modulations de redevances pour des motifs d’intérêt général objectifs et transparents [Résolution législative du Parlement européen, du 15 janvier 2008, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires (COM(2006) 0820 – C6-0056/2007 – 2007/0013(COD)]. L’article 3 de la directive 2009/12 se réfère à ces modulations qui doivent s’effectuer sur la base de critères « pertinents, objectifs et transparents ». Dans un sens analogue, cette directive permet de différencier le montant des redevances en présence d’infrastructures ou d’un niveau de service différents. Cependant, ces derniers ne sauraient être offerts de manière discriminatoire (considérant 15 et article 10 de ladite directive). L’accès doit être décidé en fonction de critères objectifs « à élaborer par l’entité gestionnaire d’aéroport »

( 13 ) Dans l’hypothèse où aucun accord n’est conclu, l’entité gestionnaire d’aéroport justifie sa décision par rapport aux arguments des usagers.

( 14 ) Les consultations ne se résolvent pas aux dispositions de l’article 6 : en vertu de l’article 11, paragraphe 7, « lorsqu’elle examine la justification d’une modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires conformément à l’article 6, l’autorité de supervision indépendante a accès aux informations nécessaires émanant des parties concernées et est tenue de consulter ces parties pour prendre sa décision ». Ainsi, que ce soit dans le cadre d’un recours contre la décision de l’entité gestionnaire d’aéroport ou dans celui de sa propre procédure décisionnelle, l’autorité de supervision devra tenir compte de l’opinion des usagers d’aéroport.

( 15 ) Voir, entre autres, les considérants 1(« dont ils recouvrent généralement le coût au moyen des redevances aéroportuaires ») et 10 (« une redevance aéroportuaire est un prélèvement conçu et appliqué dans le but spécifique de recouvrer les coûts de la fourniture d’installations et de services à l’aviation civile ») de la directive 2009/12. Le considérant 15 est particulièrement expressif à cet égard : « Les entités gestionnaires d’aéroports devraient être en mesure d’appliquer des redevances aéroportuaires correspondant aux infrastructures et/ou au niveau de service fournis, alors que les transporteurs aériens ont un intérêt légitime à demander aux entités gestionnaires d’aéroports des services correspondant au rapport qualité-prix ».

( 16 ) La proposition de directive visait tous les actes de l’autorité de supervision.

( 17 ) Ce second problème ne se pose pas en Allemagne, où il a été institué un régime de contrôle juridictionnel des décisions de l’autorité de supervision. La difficulté est alors de savoir, comme le souligne la juridiction de renvoi, si les voies pour exercer ledit contrôle sont conformes à la directive 2009/12. Lors de l’audience, la Commission a reconnu que le contrôle parlementaire ne constituait pas une alternative au contrôle juridictionnel, ce dernier devant toujours être disponible pour les usagers.

( 18 ) L’article 6, paragraphe 2, de cette même directive, renvoie, en ce qui concerne les modifications, aux « motifs justifiant les modifications proposées ».

( 19 ) Je ne pense pas que cette question soit pertinente aux fins de la décision dans la présente affaire, puisque, d’après l’ordonnance de renvoi, l’autorité de supervision a approuvé la proposition de l’entité gestionnaire d’aéroport, de sorte qu’il ne serait pas question, ici, d’une fixation d’un niveau maximal. Lors de l’audience, il a été souligné que le barème des redevances se compose d’éléments distincts dont chacun possède une valeur économique et dont la somme aboutit au résultat final. Les redevances aéroportuaires d’un niveau inférieur à celui maximal doivent forcément respecter ces paramètres.

( 20 ) C’est ce que semble admettre naturellement le gouvernement allemand lorsque, dans ses observations écrites, (point 35), il indique qu’il est possible de s’écarter du barème des redevances, à condition de respecter le niveau maximal qu’il a fixé et de tenir compte des principes de transparence, d’objectivité et de non-discrimination.

( 21 ) Points 22 et 38, essentiellement.

( 22 ) Cela ne préjuge pas de la possibilité, pour les autres usagers ayant pris connaissance de la décision du juge civil, de former à leur tour un recours en vue de bénéficier de la même solution.

( 23 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32). Abrogation de la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO 2001, L 75, p. 29).

( 24 ) En ce qui concerne les redevances aéroportuaires, la directive 2009/12 précise cela en son article 3. Par rapport aux redevances ferroviaires, la directive 2012/34 souligne, en son article 29, paragraphe 3, que « [l]e gestionnaire de l’infrastructure s’assure que le système de tarification est appliqué de telle manière que les différentes entreprises ferroviaires effectuant des prestations de service de nature équivalente sur une partie similaire du marché soient soumises à des redevances équivalentes et non discriminatoires ».

( 25 ) Arrêt CTL Logistics, points 70 et 74.

( 26 ) Arrêt CTL Logistics, point 87. La situation de fond est décrite plus clairement dans les conclusions présentées par l’avocat général Mengozzi dans l’affaire CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2016:901), points 1 et 9.

( 27 ) D’après l’ordonnance de renvoi, il semblerait que la relation de droit administratif n’existe qu’entre l’autorité de supervision et l’entité gestionnaire d’aéroport, de sorte que seule cette dernière a la possibilité de saisir la justice administrative.

( 28 ) Arrêt CTL Logistics, point 91.

( 29 ) Arrêt CTL Logistics, point 92.

( 30 ) Arrêt CTL Logistics, point 94.

( 31 ) Comme cela a été souligné lors de l’audience, la voie de l’article 315 du BGB se borne à apprécier le caractère équitable des prestations entre les parties, sans se pencher sur l’analyse de l’autorisation qui approuve le système de redevances.