CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 8 mai 2019 ( 1 )

Affaires jointes C‑105/18 à C‑113/18

Asociación Española de la Industria Eléctrica (UNESA) (C‑105/18),

Energía de Galicia (Engasa) SA (C‑106/18),

Duerocanto SL (C‑107/18),

Corporación Acciona Hidráulica (Acciona) SLU (C‑108/18),

Associació de Productors i Usuaris d’Energia Elèctrica (C‑109/18),

José Manuel Burgos Pérez,

María del Amor Guinea Bueno (C‑110/18),

Endesa Generación SA (C‑111/18),

Asociación de Empresas de Energías Renovables (APPA) (C‑112/18),

Parc del Segre SA,

Electra Irache SL,

Genhidro Generación Hidroeléctrica SL,

Hicenor SL,

Hidroeléctrica Carrascosa SL,

Hidroeléctrica del Carrión SL,

Hidroeléctrica del Pisuerga SL,

Hidroeléctrica Santa Marta SL,

Hyanor SL,

Promotora del Rec dels Quatre Pobles SA (C‑113/18)

contre

Administración General del Estado,

Parties intervenantes :

Iberdrola Generación SAU,

Hidroeléctrica del Cantábrico SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Demande de décision préjudicielle – Principe du pollueur-payeur – Recouvrement des frais des services liés à l’utilisation de l’eau – Règles communes au marché intérieur dans le domaine de l’électricité – Redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité – Redevance imposée uniquement aux producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur les frontières hydrographiques intercommunautaires – Aides d’État interdites »

I. Introduction

1.

Les présentes demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 107 et de l’article 191, paragraphe 2, TFUE ; de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau ( 2 ), et de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE ( 3 ).

2.

Les demandes de décision préjudicielle ont été introduites dans le cadre de procédures opposant, d’une part, plusieurs sociétés de production d’électricité titulaires de concessions d’exploitation hydrologique de bassins intercommunautaires, à savoir, de bassins englobant plus d’une Comunidad autónoma (Communauté autonome espagnole), et, d’autre part, l’Administración General del Estado (administration générale de l’État, Espagne), au soutien de laquelle sont intervenues les sociétés Iberdrola Generación SAU et Hidroeléctrica del Cantábrico SA. Les litiges portent sur la validité d’une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité dans les bassins hydrographiques intercommunautaires.

3.

Ces demandes de décision préjudicielle donnent à la Cour l’occasion de préciser l’implication du principe du pollueur-payeur, le champ d’application de la directive 2009/72 et l’application de l’interdiction des aides d’État en ce qui concerne la redevance due pour l’utilisation ou l’exploitation d’eaux intérieures pour la production d’énergie électrique. En outre, l’une des principales questions soulevées par ces renvois préjudiciels porte sur le fait de savoir si les dispositions de non-discrimination prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 peuvent être déclarées applicables à une mesure fiscale de cette nature adoptée par le Royaume d’Espagne en 2012. Cependant, avant d’examiner l’une ou l’autre de ces questions, il est nécessaire d’exposer préalablement les dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne et du droit national.

A.   Le droit de l’Union

1. La directive 2000/60

4.

L’article 9 de la directive 2000/60, intitulé « Récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources, eu égard à l’analyse économique effectuée conformément à l’annexe III et conformément, en particulier, au principe du pollueur-payeur.

Les États membres veillent, d’ici à 2010, à ce que :

la politique de tarification de l’eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace et contribue ainsi à la réalisation des objectifs environnementaux de la présente directive,

les différents secteurs économiques, décomposés en distinguant au moins le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole, contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l’eau, sur la base de l’analyse économique réalisée conformément à l’annexe III et compte tenu du principe du pollueur-payeur.

Ce faisant, les États membres peuvent tenir compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de la récupération ainsi que des conditions géographiques et climatiques de la région ou des régions concernées. »

2. La directive 2009/72

5.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 dispose :

« Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises. »

B.   La réglementation espagnole

1. La Constitution espagnole

6.

L’article 149 de la Constitution espagnole relatif aux domaines relevant de la compétence exclusive de l’État dispose :

« 1.   L’État jouit d’une compétence exclusive dans les matières suivantes :

[…]

14. les finances générales et la dette de l’État ;

[…]

22. la législation, l’aménagement et la concession des ressources et installations hydrauliques lorsque les eaux traversent plus d’une Communauté autonome et l’autorisation de procéder à des installations électriques lorsque leur utilisation concerne une autre Communauté ou lorsque le transport d’énergie dépasse les limites de son territoire ; […] »

2. Le décret royal 125/2007

7.

Le Real Decreto 125/2007 por el que se fija el ámbito territorial de las demarcaciones hidrográficas ( 4 ) (décret royal 125/2007 fixant l’espace territorial des districts hydrographiques), du 2 février 2007, définit le bassin hydrographique comme le territoire composé d’un ou de plusieurs bassins fluviaux avoisinants ainsi que les eaux de transition, eaux souterraines et eaux côtières associées à ceux-ci. En fonction de la localisation géographique du bassin, il existe en Espagne deux types de bassins hydrographiques, à savoir, d’une part, les bassins intercommunautaires, pour les bassins hydrographiques qui s’étendent sur plus d’une Communauté autonome et, d’autre part, les bassins intracommunautaires, dont le territoire ne s’étend pas en dehors d’une Communauté autonome.

3. La loi 15/2012

8.

Le préambule de la Ley 15/2012 de medidas fiscales para la sostenibilidad energética ( 5 ) (loi 15/2012 sur les mesures fiscales en vue d’une utilisation durable de l’énergie), du 27 décembre 2012, dispose :

« I.

La présente loi vise à harmoniser notre système fiscal avec une utilisation [de l’énergie] plus efficace et respectueuse de l’environnement et de la durabilité, qui sont les valeurs inspirant cette réforme de la fiscalité, ledit système s’inscrivant ainsi dans le prolongement des principes de base régissant la politique fiscale, énergétique et, naturellement, environnementale de l’Union européenne.

Dans la société actuelle, l’influence toujours plus importante de la production et de la consommation d’énergie sur la durabilité environnementale réclame un cadre normatif et réglementaire garantissant à tous les agents le bon fonctionnement du modèle énergétique et qui, en outre, contribue à préserver notre riche patrimoine environnemental.

La présente loi est essentiellement fondée sur l’article 45 de la Constitution, qui institue la protection de notre environnement comme l’un des principes directeurs des politiques sociales et économiques. Par conséquent, l’un des axes de cette réforme fiscale est l’internalisation des coûts environnementaux découlant de la production d’énergie électrique […] La présente loi doit ainsi servir de stimulant afin d’améliorer nos niveaux d’efficacité énergétique, tout en permettant d’assurer une meilleure gestion des ressources naturelles et de continuer à progresser dans le nouveau modèle de développement durable, tant du point de vue économique et social qu’environnemental.

[…]

À cette fin, la présente loi instaure trois nouveaux impôts : l’impôt sur la valeur de la production d’énergie électrique, l’impôt sur la production de combustible nucléaire usé et sur les déchets radioactifs résultant de la génération d’énergie électrique nucléaire, et l’impôt sur le stockage de combustible nucléaire usé et de déchets radioactifs dans des installations centralisées. [Elle] crée une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique. [Elle] modifie les taux d’imposition établis pour le gaz naturel et le charbon, en supprimant, en outre, les exemptions prévues pour les produits énergétiques utilisés dans la production d’énergie électrique et dans la cogénération d’électricité et de chaleur utile.

[…]

V.

Enfin, le titre IV de la présente loi modifie le texte de refonte de la loi sur les eaux approuvé par le Real Decreto Legislativo 1/2001 [por el que se aprueba el texto refundido de la Ley de Aguas (décret royal 1/2001 portant adoption du texte consolidé de la loi sur les eaux), du 20 juillet 2001 (BOE no 176, du 24 juillet 2001, p. 14276)].

Ce titre réglemente notamment le régime économique et financier de l’utilisation du domaine public hydrique. Il dispose ainsi que, en vertu du principe de récupération des coûts, les administrations publiques compétentes établissent, en tenant compte des projections économiques à long terme, les mécanismes opportuns pour répercuter sur les différents utilisateurs finals les coûts des services liés à la gestion de l’eau, en ce compris les coûts environnementaux et les coûts de la ressource.

[…]

Plus spécifiquement, l’article 112 du texte de refonte de la loi sur les eaux dispose que la redevance sur l’utilisation s’applique uniquement à l’occupation, l’utilisation et l’exploitation du domaine public hydrique défini à l’article 2, sous b) et c), de cette loi, c’est-à-dire à l’utilisation des cours d’eau naturels, permanents ou non, et du lit majeur des lacs, des lagunes et des barrages de surface sur les cours d’eau publics. L’utilisation des eaux intérieures visée à l’article 2, sous a), du texte de refonte de la loi sur les eaux reste ainsi en dehors du champ d’application de cette redevance.

Cette réalité, qui constitue une anomalie par rapport au régime général des biens du domaine public, perdure pour des raisons historiques, bien qu’elle soit à présent dénuée de rationalité économique, à tout le moins en ce qui concerne une utilisation purement industrielle dans le cadre d’un régime de marché tel que celui de la production d’énergie électrique.

Actuellement, la qualité générale des eaux intérieures espagnoles impose de les protéger afin de sauvegarder une des ressources naturelles nécessaires à la société. Les politiques de protection du domaine public hydrique doivent être renforcées à cet égard. À cette fin, il devient nécessaire d’obtenir des ressources qui doivent être fournies par ceux tirant un bénéfice de l’utilisation privative de l’eau ou de son exploitation spécifique pour la production d’énergie électrique.

L’objet de cette modification est, par conséquent, d’établir une nouvelle redevance sur les biens du domaine public décrits à l’article 2, sous a), du texte de refonte de la loi sur les eaux, c’est-à-dire sur l’utilisation privative ou l’exploitation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique. »

9.

L’article 29 de la loi 15/2012 introduit notamment un nouvel article 112 bis dans le décret royal 1/2001 ( 6 ).

10.

La loi 15/2012 contient également plusieurs articles intitulés « dispositions supplémentaires » qui disposent :

« Première disposition additionnelle. Événements donnant lieu à l’assujettissement à la redevance prévue par la présente loi et imposés par les Communautés autonomes.

1. Dans la mesure où les redevances établies par la présente loi sont prélevées sur des événements imposés par les Communautés autonomes et qu’il en résulte une diminution de leurs revenus, les dispositions de l’article 6, paragraphe 2 de la Ley Orgánica 8/1980, de 22 de septiembre, de Financiación de las Comunidades Autónomas (loi organique 8/1980, du 22 septembre 1980, relative au financement des Communautés autonomes) sont applicables.

2. Les dispositions de la section précédente ne sont applicables qu’aux redevances spécifiques aux Communautés autonomes établies dans une loi approuvée avant le 28 septembre 2012.

Seconde deuxième disposition additionnelle. Coûts du système électrique.

Chaque année, les lois de finances générales de l’État affectent au financement des coûts du système électrique prévus à l’article 16 de la Ley del Sector Eléctrico [loi relative au secteur de l’électricité] un montant équivalent à la somme de :

a) l’estimation des montants annuellement perçus au titre des prélèvements et redevances inclus dans la présente loi ;

b) l’estimation de la recette générée par la vente aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, pour un maximum de 500 millions d’euros. »

4. Le décret royal 1/2001

11.

L’article 2 du décret royal 1/2001, intitulé « Définition du domaine public hydrique », dispose :

« À l’exception de ce qui est expressément établi dans la présente loi, le domaine public hydrique est constitué par :

a)

les eaux intérieures, eaux de surface et eaux souterraines renouvelables, quel que soit le moment du renouvellement ;

b)

les cours d’eau naturels, continus ou discontinus ;

c)

les lits des lacs et des lagunes et ceux des réservoirs de surface dans les cours d’eau publics.

[…] »

12.

Aux termes de l’article 112 du décret royal 1/2001, tel que modifié par la loi fiscale sur l’énergie, intitulé « Redevance d’utilisation des biens du domaine public hydrique » :

« 1.   L’occupation, l’utilisation et le développement des biens du domaine public hydrique visés à l’article 2, alinéas b) et c), de la présente loi, qui nécessitent une concession ou une autorisation administrative, donnent naissance en faveur de l’organisme de [gestion du] bassin compétent à une taxe dite redevance d’utilisation des biens du domaine public hydrique, destinée à la protection et à la valorisation du domaine précité. Les titulaires de concessions hydriques sont exonérés du paiement de la redevance pour l’occupation ou l’utilisation des terres du domaine public nécessaires à l’exploitation de la concession.

[…]

4.   La base imposable pour la redevance est déterminée par l’organisme de [gestion du] bassin selon les hypothèses suivantes :

a)

en cas d’occupation d’un terrain faisant partie du domaine public hydrique, par la valeur du terrain occupé, en prenant comme référence la valeur marchande des terrains attenants ;

b)

dans le cas de l’utilisation du domaine public hydrique, par la valeur de cette utilisation ou le bénéfice qui en est tiré ;

c)

dans le cas de l’utilisation de biens du domaine public hydrique, par la valeur des matériaux consommés ou de l’utilité obtenue par cette utilisation.

[…] »

13.

L’article 112 bis du décret royal 1/2001, intitulé « Redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique », tel qu’introduit par la loi 15/2012, dispose, conformément à l’article 112 du décret royal 1/2001, intitulé « Redevance pour l’utilisation de biens du domaine public hydrique » :

« 1.   L’utilisation et l’exploitation des biens du domaine public visés à l’article 2, sous a), de la présente loi, pour la production nette d’énergie électrique, sont soumises à une taxe dénommée redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, destinée à la protection et à l’amélioration du domaine public hydrique.

2.   Le fait générateur est l’autorisation initiale et le maintien annuel de la concession hydroélectrique, la redevance étant exigible à concurrence du montant et dans les délais fixés dans les conditions de cette concession ou de cette autorisation.

3.   Sont assujettis à la redevance les concessionnaires ou, le cas échéant, ceux qui se substituent à eux.

4.   L’organisme public chargé de la gestion des eaux dans les districts hydrographiques [ci-après l’“organisme de gestion”] détermine la base imposable, qui correspond à la valeur économique de l’énergie hydroélectrique nette, mesurée à l’entrée du réseau électrique, produite par le concessionnaire lors de chaque exercice annuel d’imposition grâce à l’utilisation et à l’exploitation du domaine public hydrique.

5.   Le taux annuel de la redevance s’élève à 22 % de la valeur de la base imposable et son montant brut correspond au produit de ce taux et de ladite base imposable.

[…]

8.   La gestion et la perception de la redevance incombent à l’organisme de gestion compétent ou à l’administration fiscale de l’État espagnol, en application d’un accord conclu avec ledit organisme.

[…] »

5. Le décret royal 198/2015

14.

Le préambule du Real Decreto 198/2015 por el que se desarrolla el artículo 112 bis del texto refundido de la Ley de Aguas y se regula el canon por utilización de las aguas continentales para la producción de energía eléctrica en las demarcaciones intercomunitarias ( 7 ) (décret royal 198/2015 mettant en œuvre l’article 112 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux et réglementant la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique dans les districts hydrographiques intercommunautaires), du 23 mars 2015, disposait :

« Ce décret royal est pris en application des deuxième et troisième dispositions finales de la loi 15/2012, du 27 décembre [2012]. D’une part, la deuxième disposition finale établit l’article 149.1.22.a de la Constitution espagnole comme base juridique des pouvoirs exercés, qui attribue à l’État des pouvoirs en matière de législation, de réglementation et de concession des ressources hydriques et des utilisations lorsqu’elles traversent plusieurs Communautés autonomes. D’autre part, la troisième disposition finale permet au gouvernement, dans le cadre de ses compétences, d’édicter les dispositions réglementaires nécessaires au développement et à l’application de cette loi […] »

15.

L’article 1 du décret royal 198/2015, intitulé « Redevance pour l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité et champ d’application », dispose :

« L’utilisation et l’exploitation des biens du domaine public hydrique visées à l’article 2, sous a), du texte révisé de la loi sur les eaux pour produire de l’électricité, mesurée à l’entrée du réseau électrique, seront soumises à une taxe appelée redevance d’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité, visant à protéger et à améliorer les ressources en eau publiques.

Cette redevance ne s’applique que dans les bassins intercommunautaires. »

16.

L’article 12 du décret royal 198/2015, intitulé « Attribution de la redevance perçue », énonce :

« 1.   Le montant perçu au titre de la redevance est versé à l’organisme de gestion conformément aux dispositions de l’article 112 bis, paragraphe 8, de la loi sur les eaux, adoptée par le [décret royal 1/2001]. À cette fin, les dispositions des articles 59, sous d) ; 63, paragraphe 3, et 67 du Decreto Real 927/1988 [décret royal 927/1988], du 29 juillet [1988], qui adopte les règlements de l’administration publique de l’eau, doivent être prises en compte.

[…]

3.   Une fraction de 2 % du montant net perçu au titre de la redevance est considérée comme une recette de l’organisme de gestion.

4.   Une fraction de 98 % du montant net perçu au titre de la redevance est versée au trésor public. Conformément aux dispositions de l’article 14, les budgets généraux de l’État affectent à des actions de protection et d’amélioration du domaine public hydrique un montant au moins égal à cette somme. À cette fin, les projets d’investissement permettant de garantir la protection et l’amélioration du domaine public hydrique sont déterminés annuellement dans les lois de finances générales.

[…] »

17.

Aux termes de l’article 13 de cette loi, intitulé « Garantie de protection du domaine public » :

« Conformément au principe de récupération des coûts consacré à l’article 111 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux, afin d’assurer la réalisation des objectifs en matière d’environnement établis dans la directive [2000/60] et prévus aux articles 98 et suivants du texte de refonte de la loi sur les eaux, les budgets généraux de l’État destinent à des mesures de protection et d’amélioration du domaine public hydraulique et des masses d’eaux affectées par les installations hydroélectriques un montant au moins égal à celui qui est visé à l’article 12, paragraphe 4, supra, conformément à ce que détermine l’article 14. »

II. Les faits

18.

Les requérants dans la procédure au principal ont introduit un recours administratif devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) pour demander l’annulation du décret royal 198/2015, appliquant l’article 112 bis du texte consolidé de la loi sur les eaux. Dans leur recours, les requérants contestent la validité de l’article 29 de la loi 15/2012, qui introduit l’article 112 bis dans le décret royal 1/2001.

III. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

19.

La juridiction de renvoi doute de la compatibilité de ces dispositions législatives avec, en premier lieu, le principe du pollueur-payeur consacré par l’article 191, paragraphe 2, TFUE, tel que formalisé par la directive 2000/60 ; en deuxième lieu, avec le principe de non-discrimination consacré par l’article 3 de la directive 2009/72 et, en troisième lieu, avec l’interdiction des aides d’État prévue à l’article 107 TFUE ( 8 ).

20.

En ce qui concerne la conformité de cette redevance avec le principe du pollueur-payeur, la juridiction de renvoi indique que, en dépit du fait que le préambule de la loi sur la taxation de l’énergie justifie cette redevance par des motifs environnementaux, à savoir, la protection et l’amélioration des ressources hydriques publiques, la structure même de cette redevance semble indiquer qu’elle poursuit en réalité un objectif purement économique qui est de couvrir le déficit financier du réseau d’électricité. En outre, il semble que, selon la juridiction de renvoi, cet objectif soit poursuivi de manière incohérente et contradictoire. Premièrement, cette redevance est fondée sur la valeur de l’énergie produite, qui est calculée sur la base du revenu généré par l’énergie injectée dans le réseau électrique et non pas conformément à la quantité d’eau utilisée. Deuxièmement, le taux de cette redevance s’élève à 22 %, alors que le taux pour l’occupation, l’utilisation et l’exploitation des autres cours d’eau naturels n’est que de 5 %. Troisièmement, 98 % des montants perçus sont versés au budget général de l’État espagnol, et constitueraient par conséquent des revenus complémentaires pour le système électrique. Si le texte du décret royal 198/2015 précise que le budget général de l’État consacre une somme équivalente à au moins 98 % des recettes tirées de cette redevance à des mesures destinées à protéger et améliorer les ressources publiques hydriques, la juridiction de renvoi déclare que cette attribution n’a pas été respectée dans le budget général de l’État pour 2016, qui a affecté toutes les recettes tirées de cette redevance au financement du déficit du système électrique. Ainsi, contrairement aux conditions établies à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60, la redevance ne tiendrait pas compte du principe de récupération des coûts des services hydriques.

21.

En ce qui concerne la compatibilité de la redevance avec le principe de non-discrimination consacré par l’article 3 de la directive 2009/72, la juridiction de renvoi souligne que la redevance pour l’utilisation des eaux intérieures ne s’applique qu’aux producteurs d’énergie hydroélectrique, à l’exclusion des producteurs d’électricité utilisant une technologie différente. En outre, elle n’est imposée qu’aux producteurs qui bénéficient de concessions administratives dans des bassins hydrographiques intercommunautaires et non dans des bassins hydrographiques intracommunautaires.

22.

En ce qui concerne les aides d’État, la juridiction de renvoi souligne que, en raison du caractère asymétrique de cette redevance, les différences de traitement imposées par cette redevance pourraient constituer une aide d’État en faveur de ceux qui n’y sont pas assujettis.

23.

Dans ce contexte, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé, dans les affaires C‑105/18 à C‑108/18 et C‑110/18 à C‑113/18, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)

Le principe environnemental du pollueur-payeur, consacré par l’article 191, paragraphe 2, TFUE, et l’article 9, paragraphe 1, de la directive [2000/60], qui consacre le principe de récupération du coût des services liés à l’eau ainsi que la compensation économique adéquate des utilisations de l’eau, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la création d’une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, telle que celle contestée au principal, qui n’incite pas à un usage efficace de l’eau, n’établit pas de mécanismes pour la conservation et la protection du domaine public hydrique, dont le taux est totalement découplé de la capacité à causer un dommage au domaine public hydrique, et qui se focalise uniquement et exclusivement sur la capacité des producteurs à générer des recettes ?

2)

Une taxe telle que la redevance hydrique en cause au principal, qui concerne exclusivement, d’une part, les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins intercommunautaires mais non les producteurs titulaires de concessions sur des bassins intracommunautaires, et, d’autre part, les producteurs utilisant la technologie hydroélectrique mais non ceux produisant de l’énergie grâce à d’autres technologies, est-elle conforme au principe de non-discrimination entre opérateurs établi à l’article 3, paragraphe 1, de la directive [2009/72] ?

3)

L’article 107, paragraphe 1, TFUE, doit-il être interprété en ce sens que l’imposition d’une redevance hydrique, telle que celle contestée au principal, au préjudice des producteurs d’énergie hydroélectrique opérant dans des bassins intercommunautaires constitue une aide d’État prohibée, dès lors qu’elle introduit un régime fiscal asymétrique dans le domaine d’une même technologie en fonction de la localisation de la centrale et qu’elle n’est pas imposée aux producteurs d’énergie provenant d’autres sources ? »

24.

Dans l’affaire C‑109/18, les deux premières questions préjudicielles sont, en substance, identiques aux deux premières questions dans les affaires visées au paragraphe précédent. Toutefois, la troisième question est formulée comme suit :

« 3)

L’article 107, paragraphe 1, TFUE, doit-il être interprété en ce sens que le non-assujettissement à la redevance hydrique des productions hydroélectriques opérant dans des démarcations hydrographiques intracommunautaires et des autres utilisations [entraînant une consommation] des eaux constitue une aide d’État prohibée, ladite redevance ne s’appliquant qu’à l’utilisation d’eau pour la production d’énergie électrique ? »

25.

L’Asociación Española de la Industria Eléctrica (UNESA), la Corporación Acciona Hidráulica (Acciona) SLU, l’Associació de Productors i Usuaris d’Energia Elèctrica, Endesa Generación SA, l’Asociación de Empresas de Energías Renovables (APPA), Iberdrola Generación SAU, les gouvernements espagnol et allemand ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans cette affaire. En outre, à l’exception du gouvernement allemand, toutes ces parties ont présenté des arguments oraux lors de l’audience du 28 février 2018.

IV. Analyse

A.   Sur la première question préjudicielle : le principe du pollueur-payeur

26.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si le principe environnemental du pollueur-payeur, prévu à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60, qui pose le principe de la récupération des coûts des services liés à l’eau et d’une compensation économique adéquate des utilisations de l’eau, doit être interprété comme s’opposant à la perception d’une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour produire de l’énergie, telle que la redevance en cause dans la procédure.

27.

Avant d’examiner si l’un de ces deux articles interdit une telle redevance, il est nécessaire de déterminer si l’un d’entre eux peut être invoqué devant une juridiction nationale.

28.

En ce qui concerne l’article 191, paragraphe 2, TFUE, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, dès lors que cette disposition, qui établit le principe du pollueur-payeur, concerne des actions au niveau de l’Union, elle ne saurait être invoquée en tant que telle par des particuliers aux fins d’exclure l’application d’une réglementation nationale ( 9 ).

29.

Certes, les particuliers peuvent invoquer une disposition qui donne effet à ce principe dans un domaine particulier, à condition que cette disposition puisse à son tour être considérée comme directement applicable ( 10 ). Toutefois, bien que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 concrétise le principe du pollueur-payeur dans le domaine de la gestion de l’eau, cette disposition ne peut être directement invoquée devant une juridiction nationale car, pour les raisons que je vais exposer brièvement, je ne considère pas que cette disposition soit directement effective. En effet, si l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 exige, en toutes circonstances, que les États membres tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources, conformément notamment au principe du pollueur-payeur ( 11 ), cette obligation n’a pas pour effet de leur accorder une protection ou un droit spécifique.

30.

Cela est confirmé par le libellé même de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60, qui est dépourvu des qualités de clarté, de précision et d’absence de caractère conditionnel nécessaires pour qu’une doctrine d’effet direct puisse entrer en jeu. L’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/60 se contente donc d’indiquer que les États membres « tiennent compte » du principe du recouvrement des coûts des services liés à l’eau, sans préciser les modalités de ce recouvrement.

31.

Il est vrai que la deuxième partie de l’article impose aux États membres des obligations spécifiques pour atteindre certains objectifs d’ici 2010. Là encore, cependant, le langage utilisé dans ce contexte (« Les États membres veillent, d’ici à 2010, à ce que […] la politique de tarification de l’eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace ») ne présente pas la précision nécessaire aux fins de la doctrine de l’effet direct ( 12 ). On pourrait se demander comment une juridiction nationale pourrait se référer aux principes juridiques conventionnels dans une affaire introduite par un demandeur individuel au sujet d’une taxe particulière pour déterminer si des incitations « adéquates » pour que les utilisateurs utilisent « efficacement » les ressources hydriques ont été mises en place par un État membre.

32.

Le respect de l’obligation prévue à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 ne peut être évalué qu’en tenant compte de toutes les règles régissant la formation des prix de l’eau. En effet, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 n’indique pas que chaque taxe ou redevance sur l’eau doit être payée proportionnellement à l’utilisation de l’eau, mais que les États membres doivent veiller à ce que leurs politiques de tarification de l’eau prévoient en général des incitations adéquates. Or, afin d’évaluer si un État membre s’est conformé à cet article, il convient de considérer toutes les taxes ou redevances supportées par les usagers de l’eau et non pas seulement celle qui est en jeu dans une situation particulière.

33.

En conséquence, je propose de répondre à la première question en disant que ni l’article 191, paragraphe 2, TFUE ni l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 n’ont d’effet direct et que, par conséquent, aucune de ces dispositions ne peut être invoquée devant une juridiction nationale par un particulier pour contester une redevance particulière sur l’utilisation des eaux intérieures à des fins de production énergétique.

B.   Sur la deuxième question préjudicielle : la question de la non-discrimination

34.

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si une redevance, telle que celle en cause au principal, qui affecte les entreprises titulaires d’une concession pour l’utilisation d’un bassin intercommunautaire à des fins de production d’électricité, mais qui n’affecte pas les opérateurs titulaires d’une concession sur des bassins intracommunautaires, ni les producteurs d’électricité utilisant d’autres technologies, est compatible avec le principe de non-discrimination entre opérateurs établi à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72.

35.

Comme je l’ai expliqué dans les conclusions rendues dans les affaires jointes C‑80/18 à C‑83/18 UNESA e.a./Administración General del Estado, également présentées ce matin, je pense que nonobstant le caractère général du texte, le champ d’application de la directive 2009/72 est limité à la production, au transport, à la distribution et à la fourniture d’électricité. Cela découle du fait, d’une part, que la notion de « production », telle qu’elle résulte des articles 7 et 8 de la directive 2009/72, doit être comprise comme visant uniquement la construction de nouvelles installations de production d’électricité et, d’autre part, que la directive a été adoptée sur la seule base de l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE), dont le deuxième paragraphe prévoit que cet article ne peut pas être utilisé pour adopter des mesures fiscales de l’Union.

36.

La question de l’harmonisation fiscale revêt en outre une importance considérable. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, le principe général de non-discrimination (au sens particulier de ce terme en droit de l’Union) ne s’applique que dans le champ d’application du droit de l’Union ( 13 ). Dès lors, si la directive doit être comprise comme rendant ce principe applicable aux taxes imposées sur le marché de l’électricité, il convient de la considérer comme une mesure d’harmonisation.

37.

À cet égard, il convient d’observer que, étant donné que l’Union n’est pas compétente pour adopter une telle mesure fiscale en vertu de l’article 114 TFUE, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 devait s’appliquer à une mesure fiscale nationale, cet article serait, par définition, illégal. Il est donc nécessaire de donner à la disposition une interprétation plus restrictive que la généralité de son libellé ne le laisserait peut-être supposer. Cette directive doit donc être considérée comme n’ayant pas pour effet de rendre le principe de l’Union de non-discrimination applicable aux mesures fiscales nationales. Toute autre conclusion aurait exigé, à mon avis, que la directive 2009/72 soit fondée sur l’article 115 TFUE et aurait donc dû être adoptée à l’unanimité par le Conseil.

38.

Dans ces circonstances, je me vois dans l’obligation de conclure que la mesure fiscale nationale ne relève pas du champ d’application de la directive 2009/72.

1. À titre subsidiaire, la question de la discrimination

39.

Toutefois, dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas cette interprétation et conclurait que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 est en fait applicable aux taxes, je propose d’examiner à titre subsidiaire si cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une redevance telle que celle en cause dans l’affaire au principal. Le reste des présentes conclusions part donc de l’hypothèse –contraire à ma position en l’espèce – que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 s’applique effectivement à ce type de mesures fiscales.

40.

À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre des demandes de décision préjudicielle, la Cour n’est compétente ni pour appliquer les traités ou un acte de l’Union à une affaire spécifique, ni pour statuer sur la validité ou l’interprétation d’une disposition du droit national, comme elle pourrait le faire en vertu de l’article 258 TFUE. Il appartient en dernier ressort au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits en cause au principal et pour interpréter la législation nationale, de se prononcer sur la validité de la mesure nationale litigieuse. Toutefois, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour, qui est appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations qui lui ont été soumises, susceptibles de permettre à la juridiction de renvoi de statuer ( 14 ).

41.

Comme la Cour l’a déjà jugé à propos d’une directive antérieure concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ( 15 ), les dispositions se référant au principe de non-discrimination dans cette directive « sont des expressions particulières du principe général d’égalité» ( 16 ). Par conséquent, en principe, la jurisprudence de la Cour relative au principe général d’égalité devrait être considérée comme pertinente aux fins de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72.

42.

Selon une jurisprudence constante, le principe de l’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié ( 17 ).

a) Les situations qu’il faut considérer comme étant comparables

43.

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les facteurs qui distinguent les différentes situations, tout comme la comparabilité des situations, doivent être déterminés et appréciés au regard du droit de l’Union, et, en principe, à la lumière notamment de l’objet et du but de la réglementation nationale qui institue la distinction en cause ( 18 ).

44.

Toutefois, dans une situation où ce n’est pas le principe général d’égalité de traitement qui est en cause, mais une disposition donnant corps à ce principe, la question de la comparabilité de deux situations ne doit pas être appréciée à la lumière de l’objectif poursuivi par cette disposition, mais par rapport à la matière visée par la législation nationale en cause et aux effets matériels de cette législation.

45.

À mon avis, la réponse à cette question dépend de la manière dont le principe d’égalité de traitement est mentionné dans la disposition qui donne corps à ce principe. Si cette dernière prévoit expressément que deux catégories de personnes doivent être traitées de manière identique, les juridictions nationales doivent considérer que leur situation est comparable ( 19 ). En revanche, si le droit de l’Union se borne à indiquer que les États membres ne doivent pas discriminer une certaine catégorie de personnes, ces États membres sont tenus non pas de traiter toutes les personnes comme étant dans une même situation, mais de veiller, dans l’exercice de leur compétence législative, à ne créer aucune distinction arbitraire et à maintenir l’essence de l’égalité de traitement ( 20 ).

46.

En l’espèce, étant donné que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ne dispose pas que tous les producteurs d’électricité doivent être traités de la même manière, mais que « les États membres […] s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises », la comparabilité des situations doit être déterminée en fonction de l’objet et du but de la législation nationale.

47.

Le préambule de la loi 15/2012 mentionne que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité poursuit deux objectifs, à savoir :

étendre le champ d’application d’une redevance existante prévue à l’article 112 du texte de refonte de la loi sur les eaux, qui est due pour l’utilisation et l’exploitation de certaines parties du domaine public hydrique, étant donné que l’utilisation des eaux intérieures n’était pas auparavant soumise à cette redevance ;

renforcer la protection des eaux du domaine public en tirant des recettes de ceux qui tirent profit de leur usage privé ou de leur usage spécial et répercuter « sur les différents utilisateurs finals les coûts des services liés à la gestion de l’eau, en ce compris les coûts environnementaux et les coûts de la ressource ».

48.

En ce qui concerne ce premier objectif, étant donné que la base imposable et le taux de la redevance prévus à l’article 112 du texte de refonte de la loi sur les eaux sont différents de ceux visés à l’article 112 bis de ce texte, le premier objectif visé dans le préambule de cette loi ne peut évidemment pas être considéré comme un objectif effectivement poursuivi par cet article. En conséquence, cet objectif ne devrait pas être pris en compte pour déterminer la comparabilité des situations en cause.

49.

En ce qui concerne le deuxième objectif, à la lumière de l’objectif précédent, tous les usagers des eaux du domaine public doivent être considérés comme se trouvant dans la même situation. En effet, bien que le préambule de la loi 15/2012 précise que le champ d’application de la redevance est limité à la production d’électricité, l’objectif particulier poursuivi par cette redevance, à savoir le renforcement de la protection des eaux du domaine public au moyen de la répercussion sur l’utilisateur final du coût des services liés à la gestion des eaux, concerne en réalité tous les usagers des eaux intérieures.

50.

La juridiction de renvoi fait part de doutes sérieux quant à la réalité de cet objectif législatif déclaré. Elle suggère que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité pourrait avoir pour but exclusif d’augmenter le volume des recettes du système financier du secteur de l’électricité afin de compenser le déficit tarifaire résultant de la différence entre les recettes que les entreprises espagnoles d’électricité reçoivent des consommateurs et les coûts de fourniture de l’électricité reconnus par la réglementation nationale, différence dont le remboursement est garanti par l’État espagnol. La position de la juridiction de renvoi s’appuie sur les raisons suivantes :

le taux de la redevance est de 22 % de la valeur générée, alors que le taux pour l’occupation, l’utilisation et l’exploitation des autres cours d’eau naturels n’est que de 5 % ;

la redevance en cause a pour assiette la valeur de l’électricité produite et non la quantité d’eau utilisée ;

bien que le décret royal 198/2015 précise que le budget général de l’État affecte un montant au moins égal à 98 % des recettes obtenues par cette redevance à des mesures de protection et d’amélioration des ressources publiques en eau, cette affectation n’a pas été respectée dans le budget 2016, dans lequel toutes les recettes générées par cette redevance étaient affectées à la compensation du déficit du réseau électrique.

51.

Les requérantes ont également exprimé des préoccupations quant à la nature réelle de cet objectif étant donné que l’application de cette redevance a pour effet de taxer deux fois plus l’hydroélectricité que d’autres sources d’électricité, y compris les sources considérées comme polluant davantage.

52.

Il ne semble guère y avoir de doute que l’objectif premier de cette redevance est d’augmenter le volume des recettes publiques générées par le secteur de l’électricité. On peut, cependant, admettre que la production d’hydroélectricité pose des problèmes particuliers en ce qui concerne l’utilisation des ressources nationales, problèmes qui peuvent justifier un traitement quelque peu différent du secteur à des fins fiscales.

53.

Après tout, l’objectif plus spécifique de la redevance sur les eaux intérieures n’est pas de protéger l’environnement en général, mais de renforcer la protection des eaux du domaine public et de répercuter le coût des services liés à la gestion des eaux sur les différents utilisateurs finals ( 21 ). Dès lors, le fait que le taux de cette redevance soit plus élevé que celui applicable à l’utilisation des autres cours d’eau naturels n’est pas nécessairement contraire à l’objectif poursuivi par la législation nationale, à savoir la répercussion sur les consommateurs du coût des services liés à l’eau, puisque tous les utilisateurs de l’eau n’ont pas tous la même incidence sur les cours d’eau ( 22 ).

54.

En ce qui concerne la deuxième circonstance invoquée par la juridiction de renvoi, bien que le choix de ce fondement particulier pour la redevance puisse paraître inhabituel, il convient de rappeler que la production d’électricité au moyen de technologies hydroélectriques implique une certaine relation entre l’eau utilisée et la quantité d’électricité produite. En effet, cette quantité est déterminée par le débit de l’eau et la hauteur des turbines de la centrale par rapport à la surface de l’eau résultant du barrage ( 23 ). Par conséquent, le fait qu’une redevance ait pour assiette la quantité d’électricité produite – et non pas l’eau consommée – ne semble pas, en tant que tel, être contraire à l’objectif de répercussion sur les utilisateurs finals des coûts des services de gestion de l’eau.

55.

En ce qui concerne la troisième circonstance mentionnée par la juridiction de renvoi, à savoir l’affirmation selon laquelle 98 % des recettes obtenues par la redevance sur les eaux intérieures n’ont pas été affectées à la protection et à l’amélioration des ressources en eau du domaine public dans le budget 2016 ( 24 ), il est vrai que les objectifs poursuivis par la redevance pour renforcer la protection des eaux publiques et répercuter sur les différents utilisateurs finals les coûts des services de gestion des eaux impliquent qu’au moins une partie des sommes collectées, correspondant aux coûts de l’utilisation de l’eau, soit consacrée à la maintenance et à l’amélioration des installations ( 25 ).

56.

Toutefois, le fait que les recettes générées par la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures ne soient pas allouées de cette manière en 2016 ne suffit pas en soi à démontrer que la redevance ne poursuit pas cet objectif. En effet, même si de telles circonstances étaient établies, tant que cette situation reste limitée à une année particulière, il n’est pas possible de déterminer si l’objectif affiché est ou non factice, ou si le problème se limite au budget 2016.

57.

En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel l’hydroélectricité est soumise à des taxes finales sensiblement plus élevées que l’électricité produite par d’autres méthodes, y compris celles généralement considérées comme davantage polluantes pour l’environnement, il est vrai que cette circonstance, si elle est exacte, met en cause la politique espagnole de protection de l’environnement. Toutefois, il convient de rappeler, une fois encore, que l’objectif poursuivi par la redevance en cause n’est pas de protéger l’environnement en général, mais de renforcer la protection des eaux du domaine public et de répercuter le coût des services liés à la gestion des eaux sur les différents utilisateurs finals. Le fait que le taux de la redevance soit plus élevé pour l’hydroélectricité que pour l’électricité produite par d’autres méthodes n’est pas contraire à cet objectif.

58.

Il s’ensuit qu’il ne ressort pas clairement des arguments avancés par la juridiction de renvoi et par les requérantes que le deuxième objectif mentionné dans le préambule de la loi n’est pas un objectif législatif réel. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’objectif de la loi en cause au principal est réellement lié à l’objectif de renforcer la protection des eaux du domaine public et de répercuter sur les différents utilisateurs finals le coût des services liés à la gestion des eaux.

b) L’existence d’une différence de traitement

59.

Si l’on s’en tient à l’objectif fixé par la législation nationale, pour déterminer s’il y a une différence de traitement, tous les utilisateurs des eaux intérieures doivent être considérés comme se trouvant dans la même situation. En introduisant une redevance qui couvre uniquement l’utilisation des eaux pour la production d’électricité, cette législation crée donc une différence de traitement entre les producteurs d’hydroélectricité et les autres utilisateurs des eaux intérieures.

60.

Si les doutes exprimés par la juridiction de renvoi au sujet des objectifs poursuivis par la législation nationale devaient être confirmés, cette législation introduirait également une différence de traitement, mais celle-ci ne serait pas entre les personnes qui utilisent l’eau pour produire de l’électricité et celles qui l’utilisent à d’autres fins, mais entre les producteurs d’hydroélectricité et les autres producteurs d’électricité. En effet, si l’objectif de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures est d’augmenter le volume des recettes du système financier du secteur de l’électricité, tous les producteurs d’énergie devraient alors être considérés comme se trouvant dans une situation comparable, puisque le déficit est dû à la différence entre les recettes que les entreprises espagnoles d’électricité reçoivent des consommateurs et les coûts de fourniture de l’électricité reconnus par les réglementations nationales.

c) Justification

61.

Lorsqu’il existe une différence de traitement entre deux situations par ailleurs comparables, le principe de l’égalité de traitement n’est pas violé lorsque cette différence est dûment justifiée ( 26 ). Tel est le cas, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsque la différence de traitement est justifiée par une raison objective, lorsque la différence de traitement est proportionnée à cette raison et si cette raison est prise en compte par le législateur national de manière cohérente ( 27 ).

62.

En l’espèce, la juridiction nationale et les parties invoquent trois justifications possibles, à savoir :

la protection des ressources naturelles ;

la nécessité d’assurer un niveau de taxation équivalent entre les producteurs, étant donné que les autres catégories de producteurs d’électricité sont soumises à d’autres taxes ; et

la répartition des compétences entre l’État et les Communautés autonomes en Espagne.

63.

En ce qui concerne la protection des ressources naturelles, étant donné que l’impact de la production d’énergie hydroélectrique sur les eaux intérieures implique l’utilisation de ressources environnementales publiques que le Royaume d’Espagne souhaite conserver, un tel objectif pourrait justifier une différence de traitement entre les producteurs d’énergie hydroélectrique et les autres utilisateurs des eaux du domaine public ( 28 ), à condition que cette différence soit effectivement liée et proportionnelle aux effets spécifiques que ces techniques ont sur l’environnement et que cette raison soit prise en compte d’une manière cohérente. Même s’il s’agit là d’éléments qu’il appartient essentiellement à la juridiction de renvoi de vérifier et d’apprécier, je ne vois cependant pas comment un tel objectif pourrait justifier un traitement différent des producteurs d’hydroélectricité selon que la concession qu’ils détiennent porte sur un bassin intracommunautaire ou sur un bassin intercommunautaire au sein des différentes Communautés autonomes régionales espagnoles. Il s’ensuit donc que cette explication particulière ne saurait justifier la différence de traitement décrite précédemment.

64.

Le même raisonnement s’applique à la nécessité d’assurer un niveau de taxation globalement comparable entre les producteurs d’électricité. En effet, bien que cet objectif puisse être considéré comme légitime, sa poursuite ne pourrait être considérée comme cohérente et proportionnée que si le montant de la taxe déjà supportée par chaque producteur d’électricité est pris en considération, directement ou indirectement, pour déterminer la redevance due en vertu de l’article 112 bis, ce qui ne semble pas le cas. En effet, il ne semble pas que le calcul de la redevance due en vertu de l’article 112 bis soit, d’une manière ou d’une autre, lié au montant des taxes déjà payées par les producteurs d’électricité, bien qu’il appartienne à nouveau à la juridiction de renvoi d’apprécier et de vérifier cette question.

65.

Au cours de l’audience, le gouvernement espagnol a fait valoir que cette différence s’expliquerait par la différence de débit entre les cours d’eau selon qu’ils traversent ou non plus d’une Communauté autonome. Je ne peux m’empêcher de penser, cependant, qu’une telle explication n’est pas très convaincante. En outre, le débit d’un cours d’eau dépend de facteurs autres que sa longueur, or, aucune disposition du préambule du décret royal 198/2015, à l’origine de cette distinction, ne fait référence à cette justification.

66.

Enfin, en ce qui concerne la répartition des compétences entre l’État et les Communautés autonomes en Espagne, si un tel objectif doit être considéré comme constituant une raison objective, les parties dans l’affaire au principal sont en désaccord sur le point de savoir si la Constitution espagnole réserve effectivement à chaque Communauté autonome la compétence d’adopter une taxe ou de décider du montant de la redevance à payer pour l’utilisation des bassins intracommunautaires ( 29 ). Les requérantes font valoir que l’État a une compétence générale en matière fiscale en vertu de l’article 149, paragraphe 2, point 14, de la Constitution, tandis que le gouvernement espagnol fait valoir que l’on peut déduire de la lecture a contrario de l’article 149, paragraphe 1, point 22, de la Constitution que l’État n’est pas compétent pour établir une taxe ou une redevance ( 30 ) pour l’utilisation privée des eaux intérieures entrant dans le territoire d’une seule Communauté autonome.

67.

À cet égard, je constate, en premier lieu, qu’il ne saurait logiquement être déduit du caractère exclusif de la compétence de l’État pour organiser et accorder des concessions portant uniquement sur un bassin intercommunautaire que cet État n’est pas compétent pour taxer l’électricité produite à partir des bassins intracommunautaires, étant donné qu’une telle compétence pourrait s’exercer conjointement. En second lieu, il semble, à la lecture de la « première disposition additionnelle » figurant dans la loi 15/2012, qu’initialement le législateur national ait considéré qu’il avait compétence pour empiéter sur les compétences fiscales des Communautés autonomes.

68.

Il convient toutefois de rappeler que, lorsque la Cour est invitée à statuer à titre préjudiciel, sa mission est de fournir à la juridiction nationale des orientations sur la portée des règles de droit de l’Union afin de lui permettre d’appliquer correctement ces règles aux faits dont elle est saisie, et qu’il n’appartient pas à la Cour d’appliquer elle-même ces règles a fortiori, car la Cour ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard ( 31 ). Il appartient donc à la juridiction de renvoi de dire si la Constitution espagnole doit ou non être interprétée en ce sens que cet État n’était pas habilité à appliquer la redevance en cause aux bassins intracommunautaires.

69.

Dans l’hypothèse où les doutes exprimés par la juridiction de renvoi au sujet de la sincérité de l’objectif poursuivi par la législation nationale seraient fondés, bien que la production d’hydroélectricité présente des enjeux différents de ceux des autres formes de production d’électricité en raison de l’utilisation des ressources naturelles qu’elle implique, cela n’enlèverait rien au fait qu’un tel traitement fiscal manifestement inégal des différents types de producteurs d’électricité est susceptible de contrevenir aux principes d’égalité et de non‑discrimination. Il n’y aurait donc aucun doute que cette différence de traitement fiscal des producteurs d’électricité devrait, par conséquent, être objectivement justifiée. Cela serait d’autant plus nécessaire étant donné la différence de traitement fiscal étonnamment élevée entre les producteurs d’énergie hydroélectrique et les autres producteurs d’électricité ( 32 ).

70.

Dès lors, pour résumer, étant donné que j’estime que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ne s’applique pas aux mesures fiscales nationales, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question en ce sens que le principe de non-discrimination entre opérateurs prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ne s’applique pas à une redevance, telle que celle en cause au principal, qui affecte des entreprises titulaires d’une concession pour l’utilisation d’un bassin intercommunautaire aux fins d’une production d’électricité, mais ne concerne pas les entreprises titulaires de concessions sur des bassins intracommunautaires aux fins de production d’électricité, ou les producteurs d’électricité qui utilisent d’autres technologies.

71.

Dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas mon avis sur le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72, je répondrais, à titre subsidiaire, à la question en disant que cette disposition doit être interprétée comme ne s’opposant pas, en principe, à une législation nationale telle que la mesure fiscale en cause au principal, à condition toutefois que la différence de traitement fiscal entre les producteurs d’électricité puisse être objectivement justifiée de la manière décrite ci-dessus. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’objectif invoqué par la loi dans le litige au principal s’appuie réellement sur des préoccupations justifiées et découlant de l’utilisation de ressources publiques et, en particulier, si le traitement fiscal remarquablement différent des différents types de producteurs d’électricité est susceptible d’une justification objective.

C.   Sur la troisième question préjudicielle : les aides d’État

72.

Dans sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que le non‑assujettissement des entreprises titulaires d’une concession sur des bassins intracommunautaires pour la production d’énergie électrique à une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures constitue une aide d’État interdite.

73.

Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une mesure nationale soit qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, toutes les conditions suivantes doivent être remplies :

il doit y avoir une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ;

l’intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres ;

l’intervention doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ;

l’intervention doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire ( 33 ).

1. Les trois premières conditions : une intervention au moyen de ressources de l’État susceptible d’affecter les échanges entre États membres et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence

74.

Compte tenu de la nature des mesures fiscales espagnoles, il est clair que ces conditions peuvent être considérées comme remplies, pour les raisons suivantes :

75.

Premièrement, la Cour a déjà jugé qu’une mesure par laquelle une autorité publique accorde à certaines entreprises un traitement fiscal spécifique qui, bien que n’impliquant pas le transfert de ressources d’État, les place dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables, constitue une intervention de l’État défendeur ( 34 ).

76.

Deuxièmement, une mesure est susceptible d’affecter le commerce entre États membres dès lors que ce commerce, même hypothétique, existe dans l’activité économique concernée. En particulier, la Cour a déjà indiqué que, lorsque l’aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces dernières doivent être considérées comme affectées par cette aide. Il n’est donc pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires participent elles-mêmes aux échanges intracommunautaires. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à une entreprise, l’activité intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, de sorte que les possibilités pour les entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre s’en trouvent diminuées ( 35 ). En pratique, cela signifie donc que, sauf circonstances particulières, ce n’est que lorsque les marchés nationaux ne sont pas ouverts à la concurrence et que les bénéficiaires agissent exclusivement dans ce cadre que l’on peut considérer qu’une mesure n’affecte pas les échanges intracommunautaires ( 36 ).

77.

Troisièmement, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, en principe, les mesures destinées à libérer une entreprise de coûts qu’elle devrait normalement supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent les conditions de la concurrence ( 37 ). Cette condition n’exige pas d’établir que les aides en cause ont un effet réel sur les échanges entre États membres et que la concurrence est effectivement faussée, mais seulement d’examiner si ces aides sont susceptibles d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence. En conséquence, les mesures nationales destinées à libérer une entreprise des dépenses qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités habituelles lui assurent un soutien financier artificiel qui, en principe, fausse la concurrence dans les secteurs dans lesquels elle est accordée ( 38 ).

78.

En l’espèce, la mesure en cause, qui consiste à ne pas taxer l’électricité produite par d’autres moyens qu’en utilisant l’eau provenant d’un bassin intercommunautaire, constitue un traitement fiscal spécifique qui place les producteurs de l’électricité ainsi produite dans une situation financière plus favorable. Cette situation est susceptible d’affecter les échanges entre États membres dans la mesure où le marché de l’électricité est ouvert à la concurrence ; en outre, elle libère ces producteurs d’une charge fiscale qu’ils devraient autrement supporter. Les trois premières conditions doivent donc être considérées comme remplies.

2. La quatrième condition : l’existence d’un avantage sélectif

79.

Selon la jurisprudence de la Cour, des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 107 TFUE ( 39 ). Par conséquent, pour déterminer qu’une taxe confère un avantage sélectif, il convient de procéder à un test en trois temps. Ce test a récemment été réaffirmé par la Cour dans l’affaire A-Brauerei, dans les termes suivants ( 40 ) :

dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné doit être identifié ;

dans un deuxième temps, il est nécessaire d’établir que la mesure fiscale en cause constitue une dérogation ou s’écarte de ce régime ordinaire dans la mesure où elle établit une distinction entre des opérateurs qui, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime fiscal ordinaire, se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable ( 41 ) ;

dans un troisième temps, il convient d’examiner si cette différence est justifiée.

a) Détermination du cadre de référence

80.

En ce qui concerne la délimitation matérielle du cadre de référence, la Cour a jugé, au point 37 de l’arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024), que celle-ci doit être déterminée non pas en fonction de l’objectif poursuivi par la mesure en cause, mais en fonction du domaine visé par la taxe à laquelle la mesure en cause constitue une dérogation ( 42 ). En outre, il y a lieu de considérer toutes les règles relatives à ce domaine, et non pas seulement la taxe à laquelle la mesure en cause déroge ( 43 ).

81.

En l’espèce, bien que la taxe sur l’utilisation des eaux intérieures ait pour objectif de renforcer la protection des eaux du domaine public et d’imposer le coût des services de gestion de l’eau aux consommateurs finals, cela n’ôte rien à la circonstance que le domaine de l’aide d’État potentielle est constitué par l’ensemble des règles fiscales sur l’électricité ( 44 ). C’est en effet la quantité d’électricité produite qui constitue la base imposable et c’est sur le marché de la production d’électricité que l’influence de la redevance se fera sentir sur la concurrence ( 45 ). En conséquence, d’un point de vue matériel, l’ensemble des dispositions fiscales nationales relatives à la production d’électricité constituent le cadre de référence.

82.

En ce qui concerne la délimitation territoriale du cadre de référence, la Cour a jugé dans l’affaire ANGED que, « aux fins d’apprécier la sélectivité d’une mesure[, ce cadre] ne doit pas nécessairement être déterminé dans les limites du territoire de l’État membre concerné, mais peut être celui du territoire dans le cadre duquel une autorité régionale ou locale exerce la compétence qu’elle tient de la Constitution ou de la loi. Tel est le cas lorsque cette entité dispose d’un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au gouvernement central d’un État membre pour que, par les mesures qu’elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l’environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises» ( 46 ).

83.

Pour ma part, cependant, je considère que la répartition nationale des compétences n’est pertinente que pour déterminer le cadre de référence dans le cas où la mesure susceptible de constituer une aide publique a été adoptée par une collectivité régionale ou locale et non, comme dans le cas présent, lorsque cette mesure a été effectivement adoptée par l’État, mais que ce dernier se cache, pour ainsi dire, derrière ses règles de répartition des compétences afin de justifier une limitation du champ territorial de l’application de cette mesure. Dans une telle situation, la répartition des compétences doit être examinée comme une justification, mais non comme un élément de définition de la délimitation territoriale du cadre de référence.

84.

En l’espèce, étant donné que la mesure qui, selon la juridiction nationale, pourrait constituer une aide d’État est la non-imposition par l’État espagnol de la redevance à l’hydroélectricité produite autrement que par l’utilisation des eaux d’un bassin intercommunautaire, l’ensemble du territoire du Royaume d’Espagne constitue le cadre de référence territorial.

85.

Il s’ensuit donc que le cadre de référence est constitué, du point de vue matériel, par l’ensemble des règles relatives à la taxation de l’électricité et, du point de vue territorial, par l’ensemble du territoire espagnol.

b) Examen de l’existence d’une dérogation sélective au regard de l’objectif du cadre de référence

86.

L’élément suivant du test consiste à examiner si une taxe est de nature à favoriser « certaines entreprises ou la production de certains biens » par rapport à d’autres entreprises actives sur le même marché, en fonction de l’objectif poursuivi par le cadre de référence ( 47 ). Ce critère n’est pas toujours le plus facile à appliquer, car la grande majorité des impôts n’ont pas d’autre objectif que la reconstitution du budget de l’État.

87.

Il ressort clairement d’un examen de la jurisprudence récente que ce n’est toutefois que lorsque le cadre de référence poursuit un objectif spécifique que la Cour utilise ce dernier pour déterminer l’existence d’une exonération sélective ou d’un traitement fiscal différencié similaire, ou encore d’une dérogation au droit fiscal général ( 48 ). Lorsque les mesures fiscales ne poursuivent pas d’autre objectif que le financement du budget de l’État, la Cour, bien qu’utilisant parfois le terme « objectif », détermine ce cadre par référence à son objet ( 49 ).

88.

Par conséquent, je crois que la deuxième étape du critère consiste simplement à déduire l’existence d’une exemption ou d’une dérogation sélective du fait que la mesure fiscale en cause ne couvre qu’une partie des biens ou des services qui relèvent du champ d’application du régime fiscal de référence.

89.

Dans l’affaire au principal, il est tout à fait évident que, au regard des taxes applicables à la production d’électricité, la législation nationale établit une distinction entre l’énergie hydroélectrique produite via l’utilisation d’un bassin intercommunautaire et l’électricité produite par d’autres moyens ou via l’utilisation d’un bassin intracommunautaire.

90.

Or, il se trouve que la juridiction de renvoi n’a fourni aucune information sur les taxes qui régissent la production d’électricité par ces autres moyens ou via l’utilisation d’un bassin intracommunautaire, notamment sur les taxes appliquées en Espagne par les Communautés autonomes régionales, alors que, comme précédemment expliqué, pour apprécier si une exonération fiscale particulière est sélective, il convient d’examiner globalement l’ensemble des règles fiscales applicables. Comme la Cour l’a jugé dans l’affaire Portugal/Commission ( 50 ), « [l]e taux d’imposition normal est le taux en vigueur dans la zone géographique constituant le cadre de référence ». Dans l’arrêt A-Brauerei, la Cour a jugé de la même manière que « qualifier une mesure fiscale nationale de “sélective”, suppose [de démontrer] que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun» ( 51 ).

91.

Dans ces conditions et en l’absence de ces informations critiques permettant de procéder à une évaluation globale, la Cour n’est tout simplement pas en mesure d’apprécier elle-même si les producteurs utilisant d’autres techniques ou l’eau d’un bassin intracommunautaire sont avantagés par rapport à ceux utilisant l’eau d’un bassin intercommunautaire. Bien qu’il semble implicite dans l’ordonnance de renvoi que les producteurs d’électricité utilisant l’eau de bassins intracommunautaires bénéficient effectivement d’un avantage fiscal significatif par rapport aux producteurs utilisant l’eau de bassins intercommunautaires, il appartiendra en définitive à la juridiction nationale d’apprécier et de vérifier ce point.

92.

En outre, je ne suis pas entièrement convaincu que la notion d’aide d’État puisse s’appliquer à une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal. En effet, dans cette situation, le prétendu avantage est détenu par tous les producteurs d’électricité à l’exception de ceux soumis aux taxes, ce qui signifie qu’il est constitué par le cadre de référence lui-même. En d’autres termes, ce qui est sélectif dans de telles circonstances n’est pas l’avantage, mais le désavantage ( 52 ).

93.

Si, toutefois, la Cour devait considérer que la notion d’aide d’État peut s’appliquer dans une telle situation, il conviendrait de tenir compte, ainsi qu’il ressort de la première disposition additionnelle de la loi 15/2012, de ce que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures était, dans un premier temps, destinée à s’appliquer à tous les bassins, tant intercommunautaires qu’intracommunautaires. Il semble que ce n’est qu’avec l’adoption de l’article 1er du décret royal 198/2015 que l’application de cette taxe a été limitée aux bassins intercommunautaires.

94.

Si tel est le cas, l’article 1er peut être considéré comme une mesure accordant une dérogation au cadre de référence constitué par la loi 15/2012 instaurant, à l’article 112 bis du décret royal 1/2001, une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures. Cette dérogation doit être considérée comme sélective au sens de l’arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024), puisque son application est soumise à certaines conditions. Il est donc nécessaire d’examiner les éventuelles justifications qui pourraient être adoptées à l’égard de cette mesure fiscale.

95.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent ( 53 ).

96.

À cet égard, toujours selon la jurisprudence, une distinction doit être établie entre les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de ces objectifs. Partant, en substance, seul l’objectif inhérent au système fiscal lui-même pourrait justifier une mesure fiscale sélective ( 54 ).

97.

En l’espèce, les parties n’ont cependant présenté aucun élément de preuve permettant d’établir que la nature ou la structure générale des règles relatives à la taxation de l’électricité en tant que telle exige que les bassins intracommunautaires et extracommunautaires soient traités différemment.

3. Justifications éventuelles à l’adoption d’une aide d’État

98.

Il convient de souligner que la jurisprudence mentionnée précédemment concerne la justification du caractère sélectif d’une mesure fiscale. L’absence de justification à cet égard est donc sans préjudice de la possibilité pour les États membres de justifier l’adoption de cette mesure après qu’il a été établi que les quatre conditions mentionnées à l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE pour qualifier celle-ci d’aide d’État sont réunies. En effet, il ressort clairement du libellé même des paragraphes 2 et 3 de l’article 107 TFUE que certaines aides adoptées par les États membres peuvent, sous certaines conditions, être justifiées.

99.

Parmi les justifications déjà acceptées par la Cour figure la protection de l’environnement ( 55 ). Il est vrai qu’un tel objectif ne peut justifier la différence de traitement entre des producteurs d’hydroélectricité selon qu’ils détiennent une concession sur un bassin intracommunautaire ou sur un bassin intercommunautaire.

100.

Toutefois, une telle différence pourrait être justifiée par la répartition des compétences qui prévaut en Espagne entre l’État et les Communautés autonomes de cet État membre ( 56 ). En effet, cette répartition des compétences bénéficie de la protection conférée par l’article 4, paragraphe 2, TUE, selon lequel l’Union doit respecter les identités nationales des États membres, inhérentes à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale ( 57 ).

101.

Il est vrai, bien sûr, que la structure constitutionnelle interne d’un État membre ne peut généralement pas être invoquée pour justifier une aide qui constituerait autrement une violation du droit de l’Union. Mais, comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire Portugal/Commission ( 58 ), « il ne saurait […] être déduit » du fait que certains avantages fiscaux sont limités à une partie du territoire d’un État qu’une telle mesure « est sélective, au sens de l’article [107, paragraphe 1, TFUE] au seul motif qu’elle ne s’applique que dans une zone géographique limitée d’un État membre ».

102.

Si l’on peut considérer que ce raisonnement suggère que la fiscalité régionale et les aides d’État constituent un cas particulier – presque sui generis dans l’ensemble du corpus juridique de l’Union –, il convient de noter que, si le droit de l’Union était différent, cela signifierait que les États membres ne pourraient plus conférer une compétence fiscale exclusive aux entités régionales et aux collectivités locales. Cela signifierait également que toute mesure fiscale ne couvrant qu’une partie d’un territoire en raison de la structure interne d’un État membre constituerait ipso facto une forme d’aide d’État en faveur des personnes et des établissements situés dans cette région, par rapport aux personnes et aux établissements situés ailleurs dans l’État membre en question.

103.

Dès lors, si la juridiction de renvoi conclut que la Constitution nationale ne permet pas à l’État d’adopter des mesures fiscales ou d’exiger le paiement d’une redevance en contrepartie de l’exploitation d’un bassin intracommunautaire (que ce soit comme compétence exclusive ou comme compétence subsidiaire ou complémentaire), cela pourrait justifier que les producteurs d’électricité détenant une concession sur un bassin intracommunautaire ne soient pas soumis à ladite taxe et, partant, que l’article 1er du décret royal 198/2015 ne constitue pas une aide d’État.

104.

Dans le cas contraire, et sauf à ce que l’existence d’une autre justification prévue à l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE ne soit établie, l’article 1er du décret royal 198/2015 devrait être considéré comme constituant une aide d’État, étant donné qu’il exonère les producteurs d’électricité titulaires d’une concession sur un bassin intracommunautaire de payer la redevance pour l’utilisation des eaux intérieures.

105.

Par conséquent, je propose de répondre à la troisième question en ce sens que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la non‑applicabilité aux entreprises titulaires de concessions sur des bassins intracommunautaires de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’électricité constitue une aide d’État interdite, à moins qu’il n’apparaisse que l’État membre concerné n’est compétent ni pour les questions fiscales ni pour décider du montant des redevances dues en contrepartie de l’octroi de concessions sur ces bassins intracommunautaires.

Conclusion

106.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) dans le sens suivant :

1)

Ni l’article 191, paragraphe 2, TFUE, ni l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, n’ont un effet direct et, par conséquent, ne peuvent être invoqués devant une juridiction nationale par un particulier pour contester une redevance particulière imposée sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique.

2)

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une redevance telle que celle en cause dans la procédure au principal, qui affecte les entreprises titulaires de concessions pour l’utilisation des eaux d’un bassin intercommunautaire pour la production d’énergie électrique, mais non les producteurs titulaires de concessions sur des bassins intracommunautaires pour la production d’énergie électrique, ni ceux produisant l’énergie électrique grâce à d’autres technologies.

À titre subsidiaire, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que les mesures fiscales en cause au principal, dans la mesure où cette réglementation vise à renforcer la protection des eaux publiques en tirant des recettes des personnes qui bénéficient de leur usage privé ou spécial et à répercuter sur les différents utilisateurs finals les coûts des services liés à la gestion des eaux, en ce compris les coûts environnementaux et les coûts de la ressource, lorsque la Constitution nationale doit être interprétée en ce sens que cet État membre ne pouvait étendre la portée d’application de cette mesure aux bassins intracommunautaires. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’objectif de la loi en cause dans le litige au principal est réellement lié à ces objectifs.

3)

L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la non-applicabilité de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures aux entreprises titulaires de concessions sur des bassins intracommunautaires pour la production d’énergie électrique constitue une aide d’État interdite, à moins qu’il n’apparaisse que l’État membre concerné n’est compétent ni pour les questions fiscales ni pour décider du montant des redevances dues en contrepartie de l’octroi de concessions sur ces bassins intracommunautaires.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) JO 2000, L 327, p. 1.

( 3 ) JO 2009, L 211, p. 55.

( 4 ) BOE no 30, du 3 février 2007, p. 5118.

( 5 ) BOE no 312, du 28 décembre 2012, p. 88081.

( 6 ) Note sans objet pour la version française des présentes conclusions.

( 7 ) BOE no 72, du 25 mars 2015, p. 25674.

( 8 ) La juridiction de renvoi indique que, si l’article 29 de la loi 15/2012 devait être considéré comme contraire au droit de l’Union, cela conduirait à l’annulation du décret royal 198/2015, qui applique la redevance litigieuse.

( 9 ) Arrêts du 9 mars 2010, ERG e.a. (C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, points 38 et 39), et du 4 mars 2015, Fipa Group e.a. (C‑534/13, EU:C:2015:140, point 40).

( 10 ) Voir, en ce sens, arrêt 4 mars 2015, Fipa Group e.a. (C‑534/13, EU:C:2015:140, point 42).

( 11 ) Voir, à cet égard, arrêt du 7 décembre 2016, Vodoopskrba i odvodnja (C‑686/15, EU:C:2016:927, points 20 et 21).

( 12 ) Voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2018, Klohn (C‑167/17, EU:C:2018:833, point 29).

( 13 ) Voir, à cet égard, arrêt du 11 juillet 2006, Chacón Navas (C‑13/05, EU:C:2006:456, point 56).

( 14 ) Arrêt du 6 décembre 2018, Montag (C‑480/17, EU:C:2018:987, point 34).

( 15 ) Directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO 2003, L 176, p. 37).

( 16 ) Voir arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 79).

( 17 ) Arrêt du 7 mars 2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174, point 41).

( 18 ) Arrêt du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43, point 42). Voir également arrêts du 1er octobre 2015, O (C‑432/14, EU:C:2015:643, point 32), et du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite) (C‑451/16, EU:C:2018:492, point 42).

( 19 ) À cet égard, voir arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos (C‑677/16, EU:C:2018:393, point 50).

( 20 ) À cet égard, voir arrêt du 6 octobre 2015, Finanzamt Linz (C‑66/14, EU:C:2015:661, points 26 et 31).

( 21 ) Quant au fait que la redevance ne s’applique qu’aux seuls producteurs d’électricité hydraulique, il ressort clairement du libellé du préambule de la loi 15/2012 que l’objectif poursuivi par cette redevance n’est pas de réussir, à elle seule, à répercuter sur les différents utilisateurs finals les coûts des services liés à la gestion des eaux. Il suffit donc que cette redevance contribue à cette répercussion.

( 22 ) À cet égard, je voudrais également souligner que, contrairement aux autres producteurs d’électricité qui achètent leurs matières premières (pétrole, charbon, gaz, uranium) au secteur privé, les producteurs d’électricité hydrique dépendent d’un bien public pour produire leur électricité. Le montant payé pour l’utilisation de ce bien public doit donc être considéré, d’une part, comme une taxe et, d’autre part, comme une redevance pour l’utilisation de ce bien public, étant donné que, conformément à l’article 107 TFUE, les États membres ne peuvent fausser la concurrence en mettant gratuitement des ressources publiques à la disposition de certains producteurs.

( 23 ) Source : http://www.waterencyclopedia.com/Ge-Hy/Hydroelectric-Power.html#ixzz5g4zOuRDg

( 24 ) Cela ne contredit pas la deuxième disposition additionnelle de la loi 15/2012. En effet, cette dernière ne prévoit pas que le montant perçu par le biais de la redevance doit être utilisé pour compenser le déficit du réseau électrique, mais elle prévoit qu’un montant équivalent à ces sommes sera utilisé dans le budget à cette fin.

( 25 ) En effet, si certains coûts d’exploitation de l’eau, en particulier ceux liés à l’évacuation des eaux du bassin, ont déjà été supportés par l’État membre concerné, d’autres (par exemple, ceux liés à l’entretien de l’installation ou à l’érosion du littoral) le seront tout au long de l’exploitation du bassin.

( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 47).

( 27 ) Voir, à cet égard, arrêt du 22 mai 2014, Glatzel (C‑356/12, EU:C:2014:350, point 43).

( 28 ) En outre, un tel objectif ne pourrait être considéré comme poursuivi par le législateur national de manière cohérente et systématique que si chaque catégorie d’usagers de l’eau du domaine public était taxée selon des règles qui tiennent compte de l’usage qu’ils font de l’eau.

( 29 ) En effet, l’exonération prévue à l’article 1er du décret royal 198/2015 s’applique à toutes les Communautés, quel que soit leur statut.

( 30 ) La compétence d’adopter une taxe et celle d’établir une redevance n’ayant pas nécessairement été conférées à la même autorité, il convient d’examiner les deux.

( 31 ) Voir, notamment, arrêt du 21 juin 2007, Omni Metal Service (C‑259/05, EU:C:2007:363, point 15).

( 32 ) La question de savoir si une telle différence de traitement fiscal peut être objectivement justifiée compte tenu de la marge d’appréciation nécessairement accordée aux États membres dans ce type d’affaire et des considérations particulières liées à la consommation de ressources naturelles relève en définitive de la compétence de la juridiction nationale.

( 33 ) Voir, à cet égard, arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53), et du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 19).

( 34 ) Voir, à cet égard, arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia (C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 48). De fait, dans cette situation, en décidant d’exclure certaines personnes du champ d’application d’une taxe qu’elles auraient dû payer compte tenu de l’objectif poursuivi, l’État concerné peut être regardé comme ayant renoncé à une ressource fiscale.

( 35 ) À cet égard, voir arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9, points 66 à 68).

( 36 ) À cet égard, voir arrêt du 26 octobre 2016, Orange/Commission (C‑211/15 P, EU:C:2016:798, points 64 à 66).

( 37 ) À cet égard, voir arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C‑128/16 P, EU:C:2018:591, point 34).

( 38 ) À cet égard, voir arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, EU:C:2000:467, point 30), et du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission (C‑288/96, EU:C:2000:537, points 77 et 78). Dès lors, le fait que seulement 7,2 % des bassins utilisés pour produire de l’électricité puissent être qualifiés de bassins intracommunautaires n’exclut pas que la non-taxabilité de l’électricité produite autrement qu’en utilisant un bassin intercommunautaire ne soit pas susceptible d’affecter les échanges entre États membres ou de fausser la concurrence.

( 39 ) Arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 73 et 74).

( 40 ) À cet égard, voir arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, points 36 et 38).

( 41 ) Voir, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑234/16 et C‑235/16, EU:C:2018:281, point 32).

( 42 ) Il serait contraire à la jurisprudence constante, selon laquelle les causes et objectifs de l’intervention publique ne sont en principe pas pertinents pour déterminer si une mesure constitue une aide, de maintenir comme critère de détermination l’objectif poursuivi par la mesure en cause. Voir, à cet égard, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71, point 13). En outre, une telle approche réduirait l’interdiction des aides d’État à un contrôle de cohérence des exemptions accordées, comme c’est le cas en vertu du principe de non-discrimination, alors que l’article 107 TFUE prévoit que le contrôle des aides d’État vise à empêcher que les aides d’État ne faussent la concurrence. Toutefois, une fois une mesure qualifiée d’aide, les objectifs poursuivis par cette mesure peuvent être pertinents pour apprécier si cette aide d’État peut être justifiée.

( 43 ) Arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 93).

( 44 ) Voir avis du Conseil d’État espagnol no 928/2014 approuvé le 9 octobre 2014 et portant sur le décret royal 198/2015, qui souligne que ce décret « aura des effets sur le marché de l’électricité ».

( 45 ) La question peut toutefois se poser de savoir si le cadre de référence est constitué uniquement par les taxes régissant la production d’hydroélectricité ou par l’ensemble des taxes sur la production d’électricité. Toutefois, étant donné que la production d’hydroélectricité ne constitue pas un marché distinct, je considère que le cadre de référence comprend nécessairement toutes les taxes relatives à la production d’électricité.

( 46 ) Arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 29 et jurisprudence citée).

( 47 ) Voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57).

( 48 ) Voir, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 40).

( 49 ) Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 39). Dans cette affaire, la Cour a estimé que l’objectif du cadre de référence était d’« imposer tout changement du titulaire des droits (Rechtsträgerwechsel) afférents à un immeuble ou, en d’autres termes, [de] taxer tout transfert du droit de propriété afférent à un immeuble d’une personne physique ou morale à une autre personne physique ou morale, au sens du droit civil », alors que cet élément constitue en réalité le moyen par lequel l’objectif poursuivi par cette réglementation devait être atteint, à savoir accroître la ressource de l’État allemand.

( 50 ) Arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56).

( 51 ) Arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36).

( 52 ) En effet, selon la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un avantage sélectif doit être appréciée par rapport au groupe de référence. Voir point 90 des présentes conclusions.

( 53 ) Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 44 et jurisprudence citée).

( 54 ) Voir, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 31).

( 55 ) Voir, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, points 49 et 50).

( 56 ) À cet égard, voir arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 60), et du 11 septembre 2008, UGT-Rioja e.a. (C‑428/06 à C‑434/06, EU:C:2008:488, point 141).

( 57 ) Arrêt du 21 décembre 2016, Remondis (C‑51/15, EU:C:2016:985, point 40).

( 58 ) Arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 60).