ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

11 avril 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) versée en amont – Article 199, paragraphe 1, sous a) – Autoliquidation – Versement indu de la taxe par le bénéficiaire de services aux prestataires sur la base d’une facture établie de manière erronée selon les règles de la taxation ordinaire – Décision de l’autorité fiscale constatant une dette fiscale à charge du bénéficiaire de services et rejetant une demande de déduction – Absence d’examen par l’autorité fiscale de la possibilité du remboursement de la taxe »

Dans l’affaire C‑691/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 29 novembre 2017, parvenue à la Cour le 11 décembre 2017, dans la procédure

PORR Építési Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, MM. E. Juhász et M. Ilešič, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 janvier 2019,

considérant les observations présentées :

pour PORR Építési Kft., par Mes É. Radnai et G. Hajdu, ügyvédek,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes K. Talabér-Ritz et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive 2006/112 »), ainsi que des principes de proportionnalité, de neutralité fiscale et d’effectivité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant PORR Építési Kft. (ci-après « PORR ») au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’un redressement fiscal imposé à la première en raison de la non-application des dispositions nationales relatives au système d’autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 167 de la directive 2006/112 dispose :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

4

L’article 168 de cette directive prévoit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

5

L’article 178 de ladite directive énonce :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

[...]

f)

lorsqu’il est tenu d’acquitter la taxe en tant que preneur ou acquéreur en cas d’application des articles 194 à 197 et de l’article 199, remplir les formalités qui sont établies par chaque État membre. »

6

Aux termes de l’article 199, paragraphe 1, de cette même directive :

« Les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est l’assujetti destinataire des opérations suivantes :

a)

les travaux de construction, y compris les travaux de réparation, de nettoyage, d’entretien, de transformation et de démolition effectués en relation avec des biens immeubles, ainsi que la délivrance de travaux immobiliers considérée comme étant une livraison de biens en vertu de l’article 14, paragraphe 3 ;

[...] »

7

L’article 226 de la directive 2006/112 prévoit :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[...]

11 bis)   lorsque l’acquéreur ou le preneur est redevable de la TVA, la mention “Autoliquidation” ;

[...] »

8

L’article 226 de la directive 2006/112/CE, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2010/45, était ainsi libellé :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[...]

11

en cas d’exonération ou lorsque l’acquéreur ou le preneur est redevable de la taxe, la référence à la disposition applicable de la présente directive ou à la disposition nationale correspondante ou à toute autre mention indiquant que la livraison de biens ou la prestation de services bénéficie d’une exonération ou de l’autoliquidation ;

[...] »

Le droit hongrois

9

L’article 70, paragraphe 1, de l’általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi no CXXVII de 2007 relative à la taxe sur la valeur ajoutée), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après la « loi relative à la TVA »), dispose :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services, la base d’imposition comprend :

[...]

b)

les frais accessoires que le fournisseur du bien ou le prestataire du service a répercutés sur l’acquéreur du bien ou sur le bénéficiaire des services, notamment : frais de commission ou autre type d’intermédiation, d’emballage, de transport et d’assurance ;

[...] »

10

L’article 119, paragraphe 1, de cette loi est rédigé comme suit :

« À moins que la loi n’en dispose autrement, le droit à déduction de la taxe prend naissance lorsqu’il faut établir la taxe due correspondant à la taxe calculée en amont (article 120) [...] »

11

L’article 120 de ladite loi dispose :

« Dans la mesure où les biens ou les services sont utilisés, ou autrement exploités, par l’assujetti – et en cette qualité – en vue d’effectuer des livraisons de biens ou des prestations de services taxées, celui-ci a le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable :

a)

la taxe qui lui est facturée par tout autre assujetti – en ce compris toute personne ou entité soumise à l’impôt simplifié sur les sociétés – à l’occasion de l’acquisition des biens ou de l’utilisation des services ;

b)

la taxe qui est calculée par tout autre assujetti en tant que taxe due à l’occasion de l’acquisition des biens – y compris à l’intérieur de la Communauté – ou de l’utilisation des services ;

[...] »

12

L’article 127 de la loi relative à la TVA est libellé comme suit :

« 1.   L’exercice du droit à déduction est subordonné à la condition de fond que l’assujetti dispose personnellement :

a)

dans le cas visé à l’article 120, sous a), d’une facture à son nom établissant la réalisation de l’opération ;

b)

dans les cas visés à l’article 120, sous b) :

ba)

dans le cas de livraisons intracommunautaires, d’une facture à son nom établissant la réalisation de l’opération, ou

bb)

dans tout autre cas qui ne relève pas du sous-point ba), également d’une facture à son nom établissant la réalisation de l’opération, ou si au moment de l’établissement de la taxe à acquitter, la facture n’est pas à la disposition de l’assujetti, de tous les documents nécessaires à la détermination chiffrée de la taxe à acquitter ;

[...]

4.   Le montant de la taxe en amont déductible ne peut dépasser celui qui figure en tant que taxe dans tout document visé au paragraphe 1 ou qui peut être calculé en tant que taxe sur la base d’un tel document.

[...] »

13

Aux termes de l’article 169 de la loi relative à la TVA :

« La facture comprend obligatoirement les mentions suivantes :

[...]

j)

le montant de la taxe répercutée, sauf disposition contraire de la loi ;

k)

en cas d’exonération de la taxe et dans le cas où c’est l’acquéreur des biens ou le bénéficiaire du service qui est redevable de la taxe, une référence à une règle de droit ou un autre renvoi clair au fait que la vente des biens ou la prestation du service

ka)

est exonérée de la taxe, ou

kb)

est assujettie à la taxe chez l’acquéreur du bien ou le bénéficiaire du service ;

[...] »

14

L’article 142, paragraphe 1, de cette loi énonce :

« La taxe est à acquitter par l’acquéreur du bien ou le bénéficiaire des services :

[...]

b)

en cas de travaux de construction ou de montage et autres travaux de montage susceptibles d’être qualifiés de prestations de services en vue de la construction, l’agrandissement, la transformation et toute autre modification de biens immobiliers, en ce compris la démolition complète de l’immeuble, à condition que la construction, l’agrandissement, la transformation et toute autre modification desdits biens immobiliers soient soumises à autorisation de bâtir – circonstance que le bénéficiaire du service devra communiquer préalablement et par écrit au prestataire de services ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15

Le Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adózók Adóigazgatósága (direction des impôts pour les grands contribuables de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) a procédé à un contrôle a posteriori des déclarations de PORR portant sur les impôts et les aides budgétaires au titre des années 2010 et 2011.

16

Par décision du 13 mars 2015, cette autorité fiscale a enjoint PORR à payer les sommes de 88644000 forints hongrois (HUF) (environ 275000 euros) représentant la TVA non payée, de 26593000 HUF (environ 82200 euros) à titre d’amende fiscale, de 13908000 HUF (environ 43000 euros) d’indemnités de retard et de 500000 HUF (environ 1550 euros) à titre d’amende pour manquement.

17

À la suite d’un recours administratif introduit par PORR contre la décision du 13 mars 2015, l’administration fiscale a, le 31 juillet 2015, confirmé ladite décision en ce qui concerne les redressements relatifs à la TVA.

18

Il ressort en effet de la demande décision préjudicielle que, dans le cadre de la construction d’une autoroute, PORR avait accepté, de la part d’au moins trois fournisseurs, des factures établies sous le régime de la taxation ordinaire et sur lesquelles la TVA était indiquée. PORR avait payé ces factures, déduit les montants de TVA indiqués, puis demandé leur remboursement. Or, l’administration fiscale a considéré que les opérations économiques figurant sur les factures en cause se rapportaient à une activité principale de construction et que, conformément aux règles nationales applicables, elles auraient dû être soumises au régime de l’autoliquidation de la TVA. Les émetteurs des factures auraient donc dû établir les factures sans y inscrire la TVA ou auraient dû y indiquer qu’elles étaient soumises au régime de l’autoliquidation.

19

L’administration fiscale a donc conclu que PORR pouvait bénéficier du droit à déduction des montants de TVA indiqués sur ces factures seulement en vertu de l’article 120, sous b), de la loi relative à la TVA, et non en vertu de l’article 120, sous a), de cette loi. Elle a indiqué qu’il n’y avait pas eu double imposition et que l’erreur de facturation commise ne libérait pas PORR des sanctions prononcées. Elle a également souligné que les émetteurs des factures en cause au principal pourraient être invités à rectifier ces factures.

20

PORR a introduit devant le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) un recours contre la décision de l’administration fiscale. Dans le cadre de son recours, elle fait valoir, à titre principal, que l’administration fiscale s’est livrée à une qualification erronée des faits en considérant que les factures en cause au principal relevaient de la taxation par autoliquidation.

21

À titre subsidiaire, PORR soutient que, à supposer que ces factures relevaient effectivement de la taxation par autoliquidation, l’administration fiscale ne l’aurait pas moins privée du droit à déduction de la TVA. Cette société souligne que l’administration fiscale n’a pas contesté l’existence des opérations réalisées avec les sociétés ayant émis les factures, et ajoute que ces sociétés ont vraisemblablement satisfait à leur obligation de payer la TVA perçue, c’est-à-dire ont versé la TVA au budget national.

22

PORR fait ainsi observer que l’administration fiscale a manqué à son obligation de vérifier si les émetteurs des factures en cause au principal s’étaient acquittés de la TVA et s’il leur était encore possible de rectifier ces factures. Cette administration n’aurait a fortiori pas pris en compte la circonstance qu’une telle rectification était probablement exclue, l’autorévision étant en effet interdite en cas de contrôle portant sur des déclarations passées. Par conséquent, la possibilité d’exercer le droit à déduction serait définitivement éteinte pour cette société.

23

En défense, l’administration fiscale fait valoir qu’elle a accordé à PORR le droit à déduction de la TVA versée en amont concernant les factures émises en vertu du régime de l’autoliquidation, ce qui exclurait le risque de double imposition.

24

Le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) fait référence à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, si le remboursement de la TVA versée par erreur aux autorités fiscales devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du vendeur, le principe d’effectivité exige que l’acquéreur des biens en question puisse diriger sa demande de remboursement directement auprès des autorités fiscales. Ainsi, les États membres devraient prévoir les instruments et les modalités procédurales nécessaires pour permettre audit acquéreur de récupérer la taxe indûment facturée afin de respecter le principe d’effectivité.

25

Selon la juridiction de renvoi, l’administration fiscale aurait dû vérifier si les émetteurs des factures pouvaient rembourser à la requérante au principal les montants de TVA payés à tort et s’ils étaient en droit de récupérer ces montants auprès de cette administration. En effet, compte tenu du fait que la procédure de contrôle fiscal avait débuté, ce qui empêchait le recours à toute autorévision, l’administration fiscale aurait dû procéder à la régularisation de la situation. Aussi la juridiction s’interroge-t-elle sur la question de savoir sur la base de quelle procédure, à savoir une procédure juridictionnelle administrative ou une nouvelle procédure devant l’administration fiscale, la requérante au principal doit être en mesure d’obtenir le montant de la TVA indûment versée.

26

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter les dispositions de la directive [2006/112] et, plus particulièrement, les principes de proportionnalité, de neutralité fiscale et d’effectivité, en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique en vertu de laquelle l’autorité fiscale d’un État membre a, hors le cas d’une fraude fiscale, rejeté, au moment de statuer, le droit à déduction susceptible d’être exercé sur la base d’une facture où la TVA était établie selon la taxation ordinaire, étant entendu que l’opération en cause appelait l’établissement d’une facture au titre de la taxation par autoliquidation mais que l’autorité fiscale n’a pas, avant de rejeter le droit à déduction, examiné

si l’émetteur de la facture pouvait rembourser au destinataire de celle-ci le montant de la TVA indûment payée et

si l’émetteur de la facture pouvait légalement (selon le droit interne de l’État membre) rectifier la facture dans le cadre d’une autorévision et récupérer sur cette base auprès de l’autorité fiscale la taxe indûment versée par lui ?

2)

Faut-il interpréter les dispositions de la directive [2006/112] et, plus particulièrement, les principes de proportionnalité, de neutralité fiscale et d’effectivité, en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique en vertu de laquelle l’autorité fiscale d’un État membre a rejeté, au moment de statuer, le droit à déduction susceptible d’être exercé sur la base d’une facture où la TVA était établie selon la taxation ordinaire, étant entendu que l’opération en cause appelait l’établissement d’une facture au titre de la taxation par autoliquidation, mais que l’autorité fiscale n’a pas, au moment de statuer, décidé le remboursement au destinataire de la facture de la taxe indûment payée en dépit du fait que l’émetteur de la facture a, par ailleurs, versé la taxe facturée au budget national ? »

Sur les questions préjudicielles

27

Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2006/112 ainsi que les principes de proportionnalité, de neutralité fiscale et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique de l’autorité fiscale selon laquelle, en l’absence de soupçons de fraude, cette autorité refuse à une entreprise le droit à déduction de la TVA que cette entreprise, en tant que preneur de services, a indûment payée au fournisseur de ces services sur la base d’une facture que ce dernier a établie en suivant les règles relatives au régime ordinaire de TVA, alors que l’opération pertinente relevait du mécanisme de l’autoliquidation, sans que l’autorité fiscale,

avant de rejeter le droit à déduction, examine si l’émetteur de cette facture erronée pouvait rembourser au destinataire de celle-ci le montant de la TVA indûment payée et pouvait rectifier ladite facture dans le cadre d’une procédure d’autorévision, conformément à la réglementation nationale applicable, afin de récupérer la taxe qu’il a indûment versée au Trésor public, ou

décide de rembourser elle-même au destinataire de cette même facture la taxe qu’il a indûment payée à l’émetteur de celle-ci et que ce dernier a, par la suite, indûment versée au Trésor public.

28

À titre liminaire, il y a lieu de relever que la décision de renvoi ne contient aucun élément permettant à la Cour d’apprécier l’utilité, aux fins de la réponse à donner aux questions posées, d’interpréter le principe de proportionnalité. Dès lors, la réponse à ces questions sera limitée à l’interprétation des dispositions pertinentes de la directive 2006/112 ainsi que des principes de neutralité fiscale et d’effectivité.

29

En premier lieu, il convient de vérifier s’il est conforme à ces dispositions et à ces principes que le droit à déduction de la TVA soit refusé à un preneur de services placé dans une situation telle que celle de PORR.

30

Il importe à cet égard de rappeler que, en application du régime de l’autoliquidation, aucun paiement de la TVA n’a lieu entre le fournisseur et le preneur de services, ce dernier étant redevable, pour les opérations effectuées, de la TVA en amont, tout en pouvant, en principe, déduire cette même taxe de telle sorte qu’aucun montant n’est dû à l’administration fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 41 et jurisprudence citée).

31

Il y a également lieu de souligner que le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité (arrêts du 15 juillet 2010, Pannon Gép Centrum, C‑368/09, EU:C:2010:441, point 37, et du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 42).

32

Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 22 février 2001, Abbey National, C‑408/98, EU:C:2001:110, point 24, et du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 43).

33

Il convient, en outre, de rappeler que, s’agissant des modalités d’exercice du droit à déduction de la TVA dans une procédure d’autoliquidation relevant de l’article 199, paragraphe 1, de la directive 2006/112, un assujetti, qui est redevable, en tant que preneur d’un service, de la TVA afférente à celui-ci, n’est pas obligé de détenir une facture établie selon les conditions formelles de cette directive, afin de pouvoir exercer son droit à déduction, et doit uniquement remplir les formalités établies par l’État membre concerné dans l’exercice de l’option qui lui est ouverte à l’article 178, sous f), de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 44 et jurisprudence citée).

34

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les factures en cause au principal ne comportaient pas les mentions obligatoires exigées à l’article 169, paragraphe 1, sous k), de la loi relative à la TVA et que PORR a erronément versé le montant de la TVA, figurant à tort dans ces factures, aux émetteurs de celles-ci, alors que, en application du régime de l’autoliquidation, elle aurait dû, en tant que bénéficiaire des services, s’acquitter directement de la TVA auprès des autorités fiscales, conformément à l’article 142, paragraphe 1, sous b), de cette loi, par lequel la Hongrie a mis en œuvre l’option prévue à l’article 199, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112.

35

Ainsi, au-delà du fait que lesdites factures ne répondaient pas aux prescriptions formelles prévues par la législation nationale ayant transposé cette directive, une exigence de fond de ce régime faisait défaut, à savoir le versement de la TVA auprès des autorités fiscales par l’assujetti qui demande la déduction. Une telle situation a empêché l’autorité fiscale compétente de contrôler l’application du régime de l’autoliquidation et a entraîné un risque de pertes de recettes fiscales pour l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, points 45 et 46).

36

Par ailleurs, la TVA acquittée par PORR auprès des fournisseurs de services, émetteurs des factures, n’était pas due, alors que l’exercice du droit à déduction est limité aux seules taxes dues, c’est-à-dire aux taxes correspondant à une opération soumise à la TVA ou acquittées dans la mesure où elles étaient dues (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 47).

37

PORR n’ayant pas respecté une exigence de fond du régime de l’autoliquidation et la TVA dont elle s’est acquittée auprès des fournisseurs de services n’étant pas due, cette société ne pouvait se prévaloir d’un droit à déduction de ladite TVA.

38

Il convient, en deuxième lieu, d’examiner si, conformément à la jurisprudence de la Cour, et comme PORR le fait en substance valoir, l’autorité fiscale doit vérifier, avant de refuser le droit à déduction de la TVA qu’un assujetti a versée par erreur à des émetteurs de factures, tels que ceux en cause au principal, si ces derniers sont en mesure de rectifier ces factures et de rembourser à cet assujetti le montant de la TVA qui y est indiqué. Selon PORR, s’il était admis que l’autorité fiscale puisse refuser au destinataire des factures le droit à déduction de la TVA, sans exiger dans le même temps des émetteurs de ces factures qu’ils appliquent le régime de l’autoliquidation et rectifient ces dernières, le destinataire desdites factures serait soumis à une double imposition. En l’occurrence, PORR considère que les règles nationales applicables aux contrôles fiscaux ne permettraient pas aux émetteurs des factures de les rectifier.

39

À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence de réglementation de l’Union en matière de demandes de restitution de taxes, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État membre en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, les conditions dans lesquelles ces demandes peuvent être exercées devant respecter les principes d’équivalence et d’effectivité, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables fondées sur des dispositions de droit interne ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, points 50 et 52 ainsi que jurisprudence citée).

40

Dans ce cadre, la Cour a admis qu’un système dans lequel, d’une part, le fournisseur de services qui a versé par erreur aux autorités fiscales la TVA peut en demander le remboursement et, d’autre part, le preneur de ces services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu à l’encontre de ce fournisseur respecte les principes de neutralité et d’effectivité. En effet, un tel système permet audit preneur, qui a supporté la charge de la taxe facturée par erreur, d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées (arrêts du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken, C‑35/05, EU:C:2007:167, points 38 et 39, ainsi que du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 51).

41

En l’occurrence, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, le gouvernement hongrois a confirmé, tant dans ses observations écrites que lors de l’audience devant la Cour, que le système juridique hongrois, en particulier les modalités procédurales que celui-ci prévoit en matière de demande de restitution de taxes indûment facturées, permet, d’une part, au preneur de services, qui est le destinataire des factures par lesquelles la TVA a été facturée par erreur, d’exercer contre les fournisseurs de services qui ont émis ces factures une action de droit civil en répétition de l’indu afin de récupérer les sommes indûment payées et, d’autre part, à ces fournisseurs de services de demander à l’autorité fiscale le remboursement de la TVA qu’ils ont indûment versée.

42

Il y a lieu toutefois de relever que, si, dans une situation où la TVA a été effectivement versée au Trésor public par le fournisseur de services, le remboursement de la TVA par ce dernier au preneur de services s’avère impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité dudit fournisseur de services, le principe d’effectivité peut exiger que le preneur de services puisse diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales. Dans un tel cas, les États membres doivent prévoir les instruments et les modalités procédurales nécessaires pour permettre audit preneur de services de récupérer la taxe indûment facturée afin que soit respecté le principe d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 53).

43

Lors de l’audience devant la Cour, PORR a indiqué qu’un des fournisseurs de services ayant émis les factures en cause au principal faisait ou avait fait l’objet d’une procédure de faillite. Sous réserve des vérifications auxquelles il incombe à la juridiction de renvoi de procéder, un tel constat constitue un indice de ce qu’il pourrait être impossible ou excessivement difficile à PORR d’obtenir le remboursement de la TVA que ce fournisseur lui a indûment facturée.

44

Il convient d’ajouter que, selon les indications de la juridiction de renvoi, outre qu’il n’existe, en l’occurrence, aucun indice de fraude, les fournisseurs de services ayant émis les factures en cause au principal ont payé la TVA au Trésor public, de telle sorte que ce dernier n’a pas subi de préjudice résultant du fait que ces factures ont été émises erronément au titre de la taxation ordinaire au lieu de la taxation par autoliquidation.

45

Dans ces conditions, dans le cas où le remboursement à PORR, par les fournisseurs de services en cause au principal, de la TVA indûment facturée s’avérerait impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité de ces fournisseurs, PORR devrait pouvoir diriger sa demande de remboursement directement contre l’autorité fiscale. Une telle demande serait, cependant, distincte de la demande de déduction de la TVA, qui fait l’objet du litige au principal.

46

S’agissant, par ailleurs, de la question soulevée par la juridiction de renvoi concernant l’éventuelle existence d’une obligation pour l’autorité fiscale de vérifier que la rectification des factures concernées et la récupération par les émetteurs de ces factures de la taxe indûment versée au Trésor public sont légalement possibles, il y a lieu de rappeler que le litige au principal concerne le rejet par l’autorité fiscale d’une demande de déduction de la TVA, formulée par le destinataire desdites factures. La possibilité pour les émetteurs de telles factures de procéder à la rectification de celles-ci ou de récupérer la taxe indûment versée au Trésor public est, certes, ainsi qu’il a été exposé aux points 42 à 45 du présent arrêt, un aspect qu’il importerait de vérifier afin de déterminer si le destinataire des factures en cause doit pouvoir diriger une demande de remboursement directement contre l’autorité fiscale. En revanche, cet aspect n’est pas pertinent pour vérifier la conformité au droit de l’Union du rejet par l’autorité fiscale de la demande de déduction de la TVA, formulée par le destinataire des factures concernées, dans une situation telle que celle en cause au principal.

47

Il s’ensuit que, pour autant que le système hongrois permet à PORR de récupérer la TVA qu’elle a indûment payée aux émetteurs des factures en cause, l’autorité fiscale n’est tenue, avant de rejeter la demande de déduction de la TVA, ni de vérifier si ces émetteurs peuvent rectifier ces factures sur la base de la réglementation nationale, ni d’ordonner une telle rectification.

48

Il résulte des considérations qui précèdent que la directive 2006/112 ainsi que les principes de neutralité fiscale et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique de l’autorité fiscale selon laquelle, en l’absence de soupçons de fraude, cette autorité refuse à une entreprise le droit à déduction de la TVA que cette entreprise, en tant que preneur de services, a indûment payée au fournisseur de ces services sur la base d’une facture que ce dernier a établie en suivant les règles relatives au régime ordinaire de TVA, alors que l’opération pertinente relevait du mécanisme de l’autoliquidation, sans que l’autorité fiscale,

avant de rejeter le droit à déduction, examine si l’émetteur de cette facture erronée pouvait rembourser au destinataire de celle-ci le montant de la TVA indûment payée et pouvait rectifier ladite facture dans le cadre d’une procédure d’autorévision, conformément à la réglementation nationale applicable, afin de récupérer la taxe qu’il a indûment versée au Trésor public, ou

décide de rembourser elle-même au destinataire de cette même facture la taxe qu’il a indûment payée à l’émetteur de celle-ci et que ce dernier a, par la suite, indûment versée au Trésor public.

Ces principes exigent, toutefois, dans le cas où le remboursement, par le fournisseur de services au preneur de ceux-ci, de la TVA indûment facturée s’avérerait impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, que le preneur de services puisse diriger sa demande de remboursement directement contre l’autorité fiscale.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, ainsi que les principes de neutralité fiscale et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique de l’autorité fiscale selon laquelle, en l’absence de soupçons de fraude, cette autorité refuse à une entreprise le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée que cette entreprise, en tant que preneur de services, a indûment payée au fournisseur de ces services sur la base d’une facture que ce dernier a établie en suivant les règles relatives au régime ordinaire de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), alors que l’opération pertinente relevait du mécanisme de l’autoliquidation, sans que l’autorité fiscale,

 

avant de rejeter le droit à déduction, examine si l’émetteur de cette facture erronée pouvait rembourser au destinataire de celle-ci le montant de la TVA indûment payée et pouvait rectifier ladite facture dans le cadre d’une procédure d’autorévision, conformément à la réglementation nationale applicable, afin de récupérer la taxe qu’il a indûment versée au Trésor public, ou

 

décide de rembourser, elle-même au destinataire de cette même facture la taxe qu’il a indûment payée à l’émetteur de celle-ci et que ce dernier a, par la suite, indûment versée au Trésor public.

 

Ces principes exigent, toutefois, dans le cas où le remboursement, par le fournisseur de services au preneur de ceux-ci, de la TVA indûment facturée s’avérerait impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, que le preneur de services puisse diriger sa demande de remboursement directement contre l’autorité fiscale.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.