ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 novembre 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Recevabilité – Représentation d’une partie devant la Cour – Mandat délivré à l’avocat – Retrait du mandat par le liquidateur de la société requérante – Poursuite de l’instance par l’organe de direction de la société requérante – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif – Règlement (UE) no 1024/2013 – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne – Recevabilité – Affectation directe des actionnaires de la société dont l’agrément a été retiré »

Dans les affaires jointes C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P,

ayant pour objet trois pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 24 novembre 2017, (C‑663/17 P), le 27 novembre 2017 (C‑665/17 P) et le 28 novembre 2017 (C‑669/17 P),

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mmes E. Koupepidou et C. Hernández Saseta, en qualité d’agents, assistées de Me B. Schneider, Rechtsanwalt, et de Me M. Petite, avocat,

partie requérante,

soutenue par :

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė ainsi que par MM. V. Di Bucci et K.-Ph. Wojcik, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant :

Trasta Komercbanka AS, établie à Riga (Lettonie),

Ivan Fursin, demeurant à Kiev (Ukraine),

Igors Buimisters, demeurant à Jurmala (Lettonie),

C & R Invest SIA, établie à Riga,

Figon Co. Ltd, établie à Nicosie (Chypre),

GCK Holding Netherlands BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

Rikam Holding SA, établie à Luxembourg (Luxembourg),

représentés par Mes M. Kirchner, L. Feddern et O. H. Behrends, Rechtsanwälte,

parties requérantes en première instance (C‑663/17 P),

et

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė ainsi que par MM. V. Di Bucci et K.-Ph. Wojcik, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Trasta Komercbanka AS, établie à Riga,

Ivan Fursin, demeurant à Kiev,

Igors Buimisters, demeurant à Jurmala,

C & R Invest SIA, établie à Riga,

Figon Co. Ltd, établie à Nicosie,

GCK Holding Netherlands BV, établie à Amsterdam,

Rikam Holding SA, établie à Luxembourg,

représentés par Mes M. Kirchner, L. Feddern et O. H. Behrends, Rechtsanwälte,

parties requérantes en première instance,

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mmes E. Koupepidou et C. Hernández Saseta, en qualité d’agents, assistées de Me B. Schneider, Rechtsanwalt, et de Me M. Petite, avocat,

partie défenderesse en première instance (C‑665/17 P),

et

Trasta Komercbanka AS, établie à Riga,

Ivan Fursin, demeurant à Kiev,

Igors Buimisters, demeurant à Jurmala,

C & R Invest SIA, établie à Riga,

Figon Co. Ltd, établie à Nicosie,

GCK Holding Netherlands BV, établie à Amsterdam,

Rikam Holding SA, établie à Luxembourg,

représentés par Mes M. Kirchner, L. Feddern et O. H. Behrends, Rechtsanwälte,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mmes E. Koupepidou et C. Hernández Saseta, en qualité d’agents, assistées de Me B. Schneider, Rechtsanwalt, et Me M. Petite, avocat,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par :

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė ainsi que par MM. V. Di Bucci et K.-Ph. Wojcik, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi (C‑669/17 P),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras (rapporteur), M. Safjan et S. Rodin, présidents de chambre, MM. L. Bay Larsen, T. von Danwitz, Mme C. Toader, MM. C. Vajda, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 février 2019,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 11 avril 2019,

rend le présent

Arrêt

1

Par leurs pourvois, la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne ainsi que Trasta Komercbanka AS, MM. Ivan Fursin et Igors Buimisters, C & R Invest SIA, Figon Co. Ltd, GCK Holding Netherlands BV et Rikam Holding SA demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 12 septembre 2017, Fursin e.a./BCE (T‑247/16, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2017:623), par laquelle celui-ci a, d’une part, jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours de Trasta Komercbanka tendant à l’annulation de la décision ECB/SSM/2016 – 529900WIP0INFDAWTJ81/1 WOANCA-2016-0005 de la Banque centrale européenne (BCE), du 3 mars 2016, portant retrait de l’agrément accordé à Trasta Komercbanka (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, rejeté l’exception d’irrecevabilité de la BCE en tant qu’elle concernait le recours formé par plusieurs actionnaires de Trasta Komercbanka, à savoir MM. Fursin et Buimisters, C & R Invest, Figon Co., GCK Holding Netherlands ainsi que Rikam Holding, tendant à l’annulation de cette décision.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2

Aux termes de l’article 2, point 1, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), un « État membre participant » est, aux fins de ce règlement, « un État membre dont la monnaie est l’euro ou un État membre dont la monnaie n’est pas l’euro mais qui a établi une coopération rapprochée au sens de l’article 7 » de celui-ci. En vertu de l’article 2, point 9, dudit règlement, le « mécanisme de surveillance unique » (MSU) est entendu comme étant « le système de surveillance financière composé de la BCE et des autorités compétentes nationales des États membres participants, tel qu’il est décrit à l’article 6 » du même règlement.

3

L’article 4 du règlement no 1024/2013, intitulé « Missions confiées à la BCE », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Dans le cadre de l’article 6, la BCE est, conformément au paragraphe 3 du présent article, seule compétente pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, les missions suivantes à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants :

a)

agréer les établissements de crédit et retirer les agréments des établissements de crédit, sous réserve de l’article 14 ;

[...] »

4

L’article 6 de ce règlement, intitulé « Coopération au sein du MSU », dispose, à son paragraphe 1 :

« La BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre d’un mécanisme de surveillance unique composé d’elle-même et des autorités compétentes nationales. La BCE est chargée de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du MSU. »

5

Aux termes de l’article 14, paragraphe 5, dudit règlement :

« Sous réserve du paragraphe 6, la BCE peut retirer l’agrément de sa propre initiative dans les cas prévus par le droit applicable de l’Union, après consultation de l’autorité compétente nationale de l’État membre participant où l’établissement de crédit est établi, ou sur proposition de cette autorité compétente nationale. Ces consultations visent, en particulier, à garantir qu’avant de décider de retirer un agrément, la BCE donne suffisamment de temps aux autorités nationales pour leur permettre d’arrêter les mesures correctrices nécessaires, y compris d’éventuelles mesures de résolution, et qu’elle tient compte de celles-ci.

Lorsque l’autorité compétente nationale qui a proposé l’agrément [...] estime que l’agrément doit être retiré en vertu du droit national, elle soumet une proposition en ce sens à la BCE. Dans ce cas, la BCE arrête une décision sur la proposition de retrait en tenant pleinement compte des motifs justifiant le retrait avancés par l’autorité compétente nationale. »

6

L’article 24 du règlement no 1024/2013, intitulé « Commission administrative de réexamen », prévoit :

« 1.   La BCE met en place une commission administrative de réexamen chargée de procéder, à la suite d’une demande présentée conformément au paragraphe 5, à un réexamen administratif interne des décisions prises par la BCE dans l’exercice des compétences que lui confère le présent règlement. Ce réexamen administratif interne porte sur la conformité formelle et matérielle desdites décisions au présent règlement.

[...]

5.   Toute personne physique ou morale peut, dans les cas visés au paragraphe 1, demander le réexamen d’une décision prise par la BCE en vertu du présent règlement, dont elle est le destinataire ou qui la concerne directement et individuellement. Une demande de réexamen portant sur une décision du conseil des gouverneurs visée au paragraphe 7 n’est pas recevable.

[...]

7.   Après avoir statué sur la recevabilité de la demande de réexamen, la commission administrative de réexamen émet un avis dans un délai raisonnable par rapport à l’urgence de l’affaire et au plus tard dans les deux mois à compter de la réception de la demande, et renvoie le dossier au conseil de surveillance en vue de l’élaboration d’un nouveau projet de décision. Le conseil de surveillance tient compte de l’avis de la commission administrative de réexamen et soumet rapidement un nouveau projet de décision au conseil des gouverneurs. Le nouveau projet de décision abroge la décision initiale, la remplace par une décision dont le contenu est identique, ou la remplace par une décision modifiée. Le nouveau projet de décision est réputé adopté à moins que le conseil des gouverneurs ne s’y oppose dans un délai maximal de dix jours ouvrables.

[...] »

Le droit letton

La loi sur les établissements de crédit

7

L’article 129 de la Kredītiestāžu likums (loi sur les établissements de crédit) (Latvijas Vēstnesis, 1995, no 163) prévoit :

« (1)   Si [...] la Finanšu un kapitāla tirgus komisija [(Commission des marchés financiers et des capitaux, Lettonie)] annule une licence (autorisation) délivrée aux fins de l’exploitation d’un établissement de crédit, la Commission des marchés financiers et des capitaux nomme un mandataire et présente au tribunal une demande de liquidation de cet établissement de crédit ainsi qu’une demande de nomination d’un liquidateur, en proposant un candidat à cette fonction.

(2)   Après l’annulation de la licence, l’assemblée des actionnaires de l’établissement de crédit n’est plus habilitée à adopter une décision de liquidation volontaire ou de nomination d’un liquidateur.

[...] »

8

L’article 133, paragraphe 4, de cette loi énonce :

« Les dispositions du chapitre XI de la présente loi, à l’exception des articles 160 et 166, ainsi que les droits, devoirs et pouvoirs conférés à l’administrateur par les articles 172 et 172.1 de la présente loi, s’appliquent au liquidateur de l’établissement de crédit nommé par le tribunal. »

9

Sous le chapitre XI de ladite loi, l’article 161, paragraphe 1, de celle-ci dispose :

« À la suite de la déclaration d’insolvabilité d’un établissement de crédit, l’administrateur assume tous les devoirs, droits et pouvoirs des organes d’administration et de leurs dirigeants qui sont prévus par la loi et par les statuts de l’établissement de crédit. »

Le code de procédure civile

10

L’article 377, paragraphe 2, du Civilprocesa likums (code de procédure civile) énonce :

« Lors de l’adoption d’un jugement concernant la liquidation d’un établissement de crédit, le tribunal nomme un liquidateur pour l’établissement de crédit. Le tribunal nomme en tant que liquidateur de l’établissement de crédit une personne proposée par la Commission des marchés financiers et des capitaux. »

11

Aux termes de l’article 387, paragraphe 2, de ce code :

« Un administrateur ou un liquidateur peut, sur demande de la Commission des marchés financiers et des capitaux, être révoqué par le tribunal. La demande doit être accompagnée de la décision de la Commission des marchés financiers et des capitaux, exprimant la défiance à l’égard de l’administrateur ou du liquidateur sur le fondement de l’une des circonstances suivantes : [...] »

Le code de commerce

12

Aux termes de l’article 322 du Komerclikums (code de commerce) :

« (1)   Le liquidateur dispose de tous les droits et assume tous les devoirs du directoire et du conseil de surveillance qui ne sont pas contraires à l’objectif de la liquidation.

(2)   Le liquidateur recouvre les créances, y compris les montants dus à la société en raison de parts sociales impayées, vend les actifs de la société et désintéresse les créanciers.

(3)   Le liquidateur ne peut conclure que les transactions nécessaires à la liquidation de la société.

[...] »

Les antécédents du litige

13

Les antécédents du litige figurent aux points 1 à 7 de l’ordonnance attaquée et peuvent être résumés de la manière suivante.

14

Trasta Komercbanka est un établissement de crédit letton fournissant des services financiers en vertu d’une autorisation qui lui a été accordée par la Commission des marchés financiers et des capitaux (ci-après la « CMFC ») au mois de septembre 1991.

15

M. Buimisters ainsi que les sociétés C & R Invest, Figon Co., GCK Holding Netherlands et Rikam Holding sont des actionnaires directs de Trasta Komercbanka. M. Fursin, qui détient le capital de ces sociétés, est un actionnaire indirect de Trasta Komercbanka.

16

Après avoir reçu, le 5 février 2016, une proposition de la CMFC de retirer l’agrément de Trasta Komercbanka et avoir recueilli les observations de cette dernière, la BCE a, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 14, paragraphe 5, du règlement no 1024/2013, adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a retiré ledit agrément.

17

Le 14 mars 2016, à la demande de la CMFC, la Rīgas pilsētas Vidzemes priekšpilsētas tiesa (tribunal de la ville de Riga, arrondissement suburbain de Vidzeme, Lettonie) a adopté une décision ordonnant l’ouverture d’une procédure de liquidation de Trasta Komercbanka et a désigné un liquidateur. Cette juridiction a également rejeté la requête de cet établissement de crédit tendant au maintien des pouvoirs de représentation de son organe de direction en ce qui concerne l’introduction d’une demande de réexamen auprès de la BCE et l’introduction d’un recours contre la décision litigieuse devant la Cour de justice de l’Union européenne. Ce jugement n’est pas susceptible d’appel.

18

Le 17 mars 2016, un avis d’ouverture de la procédure de liquidation de Trasta Komercbanka et de remplacement de la direction de cet établissement de crédit par le liquidateur a été publié au Latvijas Vēstnesis. Le même jour, ce liquidateur a adopté une décision de révocation de tous les mandats qui avaient été émis par Trasta Komercbanka. Le 21 mars 2016, un notaire a fait publier, au Latvijas Vēstnesis, un avis de révocation de tous les mandats adoptés avant le 17 mars 2016.

19

Il ressort du point 7 de l’ordonnance attaquée que, le 3 avril 2016, Trasta Komercbanka a saisi la commission administrative de réexamen, prévue à l’article 24 du règlement no 1024/2013, d’une demande de réexamen de la décision litigieuse. Cette commission a rejeté cette demande le 30 mai 2016, en considérant que les allégations de violations procédurales et matérielles par la décision litigieuse, avancées dans la demande de réexamen de Trasta Komercbanka, n’étaient pas fondées et que cette décision était suffisamment motivée et proportionnée. Ladite commission a néanmoins recommandé à l’organe de direction de la BCE de clarifier certains éléments.

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

20

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, Trasta Komercbanka et ses actionnaires visés au point 15 du présent arrêt (ci-après les « actionnaires de Trasta Komercbanka ») ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

21

Faisant suite à la décision de la commission administrative de réexamen visée au point 19 du présent arrêt, la BCE, par décision ECB/SSM/2016 – 5299WIP0INFDAWTJ81/2 WOANCA-2016-0005 du 11 juillet 2016, a, à compter de cette date, abrogé la décision litigieuse et remplacé cette décision en confirmant le retrait de l’agrément de Trasta Komercbanka. Cette dernière et ses actionnaires ont également introduit, devant le Tribunal, un recours tendant à l’annulation de la décision du 11 juillet 2016. Cette affaire, qui porte le numéro T‑698/16, est encore pendante devant le Tribunal.

22

Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 septembre 2016, la BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité du recours contre la décision litigieuse.

23

Par le point 1 du dispositif de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours de Trasta Komercbanka. Par le point 2 de ce dispositif, il a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE en tant qu’elle concernait le recours des autres parties requérantes.

24

En premier lieu, le Tribunal, après avoir recherché, aux points 17 à 22 de ladite ordonnance, si Trasta Komercbanka et ses actionnaires disposaient d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse en dépit de l’abrogation de cette dernière, a estimé, au point 23 de la même ordonnance, que ceux-ci avaient « démontré à suffisance de droit qu’ils conservaient un intérêt à agir contre la décision [litigieuse], malgré [ladite] abrogation ».

25

En deuxième lieu, le Tribunal a examiné, aux points 24 à 51 de l’ordonnance attaquée, la régularité du mandat de l’avocat qui avait introduit le recours au nom de Trasta Komercbanka.

26

Il a rappelé qu’il lui appartenait d’apprécier, compte tenu de la décision, prise par le liquidateur le 17 mars 2016, de révoquer l’ensemble des mandats adoptés par Trasta Komercbanka avant le 17 mars 2016, si, en vertu du droit letton applicable, le liquidateur avait le pouvoir de révoquer le mandat accordé à cet avocat et s’il l’avait effectivement révoqué.

27

Après avoir relevé, au point 32 de l’ordonnance attaquée, que ce mandat avait été délivré avant l’ouverture de la procédure de liquidation et qu’il n’était pas contesté que, « à cette date, il s’agissait bien d’un mandat délivré par une personne habilitée au sens du règlement de procédure », le Tribunal a considéré que le liquidateur disposait, en vertu du droit letton, du pouvoir de révoquer ledit mandat, rejetant, respectivement aux points 35 et 36 de l’ordonnance attaquée, les arguments de Trasta Komercbanka tirés d’un conflit d’intérêts dans le chef du liquidateur et de l’incapacité de ce dernier à introduire un recours au nom de celle-ci, ainsi que de la violation du droit de l’Union et, en particulier, du droit à une protection juridictionnelle effective.

28

Au point 46 de cette ordonnance, le Tribunal a indiqué que l’avocat ayant introduit le recours au nom de Trasta Komercbanka avait produit une lettre de révocation de son mandat, signée par le liquidateur et datée du 31 mars 2016, que cet avocat aurait reçue par courriel le 28 octobre 2016. Au regard de cet élément, le Tribunal a considéré, aux points 47 et 48 de ladite ordonnance, que ledit avocat ne saurait prétendre que la révocation de son mandat n’était pas effective à partir de cette dernière date et que, par conséquent, il ne disposait plus d’un mandat régulièrement établi au nom de Trasta Komercbanka.

29

Au point 49 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a estimé que, en tant que condition de recevabilité, le respect de l’obligation de représentation qui pèse sur les personnes morales devait perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer. Ayant constaté que Trasta Komercbanka n’était plus représentée devant lui par un avocat valablement mandaté à cet effet, il a considéré, au point 50 de cette ordonnance, qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours formé par cette société.

30

En troisième lieu, le Tribunal a examiné, aux points 52 à 72 de l’ordonnance attaquée, si les actionnaires de Trasta Komercbanka disposaient d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse et avaient qualité pour ce faire.

31

Le Tribunal, ayant tout d’abord estimé que ces requérants, en raison du transfert des pouvoirs des organes de direction de Trasta Komercbanka au liquidateur, étaient privés de la possibilité concrète d’exercer leurs droits d’associés pour défendre les intérêts de cette société, a jugé, au point 58 de cette ordonnance, qu’ils avaient établi à suffisance de droit leur intérêt à agir.

32

Ensuite, le Tribunal, après avoir constaté que les actionnaires de Trasta Komercbanka n’étaient pas destinataires de la décision litigieuse, a néanmoins estimé que ceux-ci formaient un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables à la date de l’adoption de la décision litigieuse et que cette décision les affectait en leur qualité particulière d’actionnaires de Trasta Komercbanka, dont l’agrément avait été retiré. Il a dès lors considéré, au point 63 de ladite ordonnance, que les requérants actionnaires directs de Trasta Komercbanka étaient affectés individuellement par la décision litigieuse.

33

Enfin, le Tribunal a également estimé, au point 69 de l’ordonnance attaquée, que ces requérants étaient directement concernés par la décision litigieuse, l’intensité des effets de cette décision affectant la consistance et l’étendue de leurs droits. Aux points 66 et 67 de cette ordonnance, le Tribunal a ainsi souligné que cette décision avait pour effet d’empêcher Trasta Komercbanka de réaliser son objet social et d’avoir une activité économique et, par voie de conséquence, privait les actionnaires de celle-ci de l’exercice effectif de leur droit de percevoir des dividendes et de leurs droits de vote et de participation à la gestion de cette société.

34

Par ailleurs, au point 70 de ladite ordonnance, le Tribunal a considéré que, dès lors que la recevabilité du recours en ce qui concerne les actionnaires directs de Trasta Komercbanka avait été établie, il n’y avait pas lieu d’examiner la qualité pour agir de M. Fursin, actionnaire indirect de Trasta Komercbanka.

35

Partant, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE en tant qu’elle concernait les actionnaires de Trasta Komercbanka.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

36

Par son pourvoi dans l’affaire C‑663/17 P, la BCE demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée en tant qu’elle déclare que les actionnaires de Trasta Komercbanka, requérants devant le Tribunal, avaient intérêt à agir et qualité pour agir devant lui ;

de statuer définitivement sur le fond et de rejeter le recours de ces actionnaires comme étant irrecevable, et

de condamner Trasta Komercbanka et ses actionnaires aux dépens.

37

Par son pourvoi dans l’affaire C‑665/17 P, la Commission demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée en tant qu’elle rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée en ce qui concerne le recours formé par les actionnaires de Trasta Komercbanka ;

de rejeter le recours formé par ces actionnaires comme irrecevable, et

de condamner Trasta Komercbanka et ses actionnaires aux dépens.

38

Par leur pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P, Trasta Komercbanka et ses actionnaires demandent à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée en tant qu’elle prononce un non-lieu à statuer sur le recours en annulation formé par Trasta Komercbanka ;

de déclarer que le recours en annulation de Trasta Komercbanka n’est pas sans objet ;

de déclarer le recours en annulation recevable ;

de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur les conclusions à fin d’annulation, et

de condamner la BCE aux dépens, y compris ceux liés à la procédure de pourvoi.

39

Dans leurs mémoires en réponse dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P, Trasta Komercbanka et ses actionnaires demandent à la Cour :

de rejeter les pourvois dans ces affaires ;

de déclarer recevable leur recours en annulation et de déclarer qu’il n’est pas devenu sans objet, et

de condamner, respectivement, la BCE et la Commission aux dépens.

40

Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C‑665/17 P, la BCE réitère les conclusions présentées dans son pourvoi, telles qu’elles figurent au point 36 du présent arrêt.

41

Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C‑669/17 P, la BCE demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Trasta Komercbanka et ses actionnaires aux dépens.

42

Par décision du président de la Cour du 13 mars 2018, les affaires C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

43

Par décision du président de la Cour du 25 avril 2018, la Commission a été admise, à sa demande, à intervenir au soutien des conclusions de la BCE dans les affaires C‑663/17 P et C‑669/17 P pour présenter ses observations lors de l’audience de plaidoiries.

Sur les pourvois

Observations liminaires

44

Il convient de constater que tant le pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P, que les autres pièces de procédure introduites au nom de Trasta Komercbanka et de ses actionnaires dans les affaires C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P ont été signés par Me O. H. Behrends. Celui-ci, qui a également représenté Trasta Komercbanka et ses actionnaires lors de l’audience devant la Cour, s’est fondé, aux fins de justifier de sa qualité de représentant de Trasta Komercbanka, sur le mandat de représentation qui lui avait été délivré par le président du comité de direction de cette société le 10 février 2016.

45

Le Tribunal a considéré, aux points 46 et 47 de l’ordonnance attaquée, que ce mandat avait été révoqué par une lettre du liquidateur, en date du 31 mars 2016, envoyée à l’avocat concerné par courriel le 28 octobre 2016. Trasta Komercbanka et ses actionnaires font valoir que cette révocation n’a pas produit d’effets et que Me Behrends est toujours habilité à représenter Trasta Komercbanka devant le Tribunal ainsi que devant la Cour.

46

Il s’ensuit que la question de la recevabilité du pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P, en tant qu’il a été introduit par Trasta Komercbanka, ainsi que du caractère régulier de la représentation de celle-ci dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P est indissociablement liée à l’objet du pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P, qu’il convient, par conséquent, d’examiner en premier lieu.

Sur le pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P

Argumentation des parties

47

Trasta Komercbanka et ses actionnaires contestent tant les motifs figurant aux points 46 à 48 de l’ordonnance attaquée, selon lesquels le mandat délivré à leur avocat par la direction de Trasta Komercbanka avait été valablement révoqué par le liquidateur de cette dernière société, que la conséquence qui en a été tirée par le Tribunal au point 50 de cette ordonnance, selon laquelle il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours introduit par Trasta Komercbanka.

48

S’agissant de la régularité de la révocation du mandat, ils font valoir que le fait de considérer que la défense des intérêts de Trasta Komercbanka dans toute procédure visant à remettre en cause la décision litigieuse n’appartient qu’au liquidateur, à savoir à une personne chargée de la mise en œuvre de la liquidation de cette société et proposée par une autorité qui est elle-même à l’origine de l’adoption par la BCE de la décision litigieuse, serait incompatible avec le droit à une protection juridictionnelle effective. Partant, le Tribunal aurait méconnu non seulement l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), mais également le droit letton. En effet, le liquidateur se trouverait en situation de conflit d’intérêts, dès lors que la poursuite de la liquidation de Trasta Komercbanka s’opposerait par nature au maintien de l’agrément de celle-ci recherché par le recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Or, le Tribunal aurait omis de tenir compte du principe général de la nullité des actes juridiques impliquant un conflit d’intérêts manifeste.

49

La BCE, rejointe en substance par la Commission dans ses observations présentées lors de l’audience, expose que le Tribunal a, à juste titre, jugé que la défense des intérêts de Trasta Komercbanka était assurée par le liquidateur. Selon la BCE, le droit letton régit la détermination des personnes compétentes pour agir au nom de Trasta Komercbanka.

50

Par ailleurs, la BCE, tout en reconnaissant que le mandat confié à l’avocat ayant introduit le recours au nom de Trasta Komercbanka, délivré par la direction de cette dernière, était valide à la date à laquelle il a été établi, souligne que, après la signature de ce mandat, la juridiction lettone compétente a ordonné la liquidation de Trasta Komercbanka et a nommé un liquidateur qui, conformément au droit letton, disposait de la compétence nécessaire pour révoquer ce mandat.

51

La BCE fait valoir que l’argument de Trasta Komercbanka et de ses actionnaires, tiré de la méconnaissance de l’article 47 de la Charte, doit être rejeté, dès lors que Trasta Komercbanka n’a pas été privée du droit de former un recours juridictionnel effectif contre la décision litigieuse, le liquidateur disposant du droit d’introduire un tel recours en son nom, s’il l’estimait opportun. L’argument selon lequel ce liquidateur aurait été désigné par la CMFC ne saurait davantage prospérer, dès lors qu’il aurait été désigné par la juridiction lettone compétente et non pas par ladite commission ou par la BCE. Selon la BCE, le liquidateur a tant un intérêt qu’une obligation à former un recours contre la décision litigieuse, dès lors que la valeur des actifs récupérables de Trasta Komercbanka peut augmenter s’il obtient gain de cause.

Appréciation de la Cour

52

À titre liminaire, il y a lieu de relever que le pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P, en tant qu’il a été introduit par l’actionnaire indirect et les actionnaires directs de Trasta Komercbanka, à savoir M. Fursin ainsi que M. Buimisters, C & R Invest, Figon Co., GCK Holding Netherlands et Rikam Holding, doit être rejeté comme irrecevable.

53

En effet, ainsi qu’il est relevé au point 35 du présent arrêt, par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé que le recours introduit par ces parties était recevable et a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE à leur égard. Il s’ensuit que lesdites parties n’ont pas, partiellement ou totalement, succombé en leurs conclusions, au sens de l’article 56, deuxième alinéa, première phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, partant, ne sont pas recevables à former un pourvoi contre l’ordonnance attaquée.

54

S’agissant du même pourvoi, en tant qu’introduit par Trasta Komercbanka, il importe de rappeler que l’Union européenne est une Union de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment avec le traité FUE et les principes généraux du droit, ledit traité ayant établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23 ; du 29 juin 2010, E et F, C‑550/09, EU:C:2010:382, point 44, ainsi que du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 35). Dès lors, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 109 et jurisprudence citée).

55

À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère aussi l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce principe a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Il est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 35, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 49].

56

La protection juridictionnelle effective d’une personne morale telle que Trasta Komercbanka, dont l’agrément a été retiré par une décision d’une institution de l’Union telle que la BCE, adoptée sur le fondement d’un acte de l’Union tel que le règlement no 1024/2013, est assurée par le droit dont dispose cette personne, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, d’introduire devant le juge de l’Union un recours en annulation contre ladite décision.

57

Pour qu’un tel recours soit recevable, il est nécessaire de démontrer que la personne concernée a réellement pris la décision d’introduire le recours et que les avocats qui prétendent la représenter ont effectivement été mandatés à cette fin (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 113 et jurisprudence citée). C’est précisément en vue de s’assurer que tel est bien le cas que l’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal requiert des avocats, lorsque la partie qu’ils représentent est une personne morale de droit privé, de déposer au greffe du Tribunal un mandat délivré par ladite partie, le défaut de production dudit mandat pouvant entraîner, conformément au paragraphe 4 de cet article, l’irrecevabilité formelle de la requête.

58

S’agissant d’un établissement de crédit constitué sous la forme d’une personne morale régie par le droit d’un État membre, tel que Trasta Komercbanka, c’est, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, conformément à ce droit qu’il y a lieu de déterminer les organes de cette personne morale habilités à prendre les décisions visées au point précédent.

59

Toutefois, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, l’autonomie dont bénéficient les États membres à cet égard est limitée par l’obligation à laquelle ils sont tenus, en particulier, de garantir le respect du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré par l’article 47 de la Charte (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 65 et jurisprudence citée).

60

Or, il serait porté atteinte au droit d’une personne morale, telle que Trasta Komercbanka, à un recours juridictionnel effectif devant les juridictions de l’Union si, en application du droit de l’État membre concerné, un liquidateur compétent pour prendre de telles décisions était désigné sur proposition d’une autorité nationale qui a participé à l’adoption de l’acte faisant grief à la personne morale concernée et ayant conduit à sa mise en liquidation. En effet, eu égard au lien de confiance qu’implique une telle procédure de désignation entre cette autorité et le liquidateur désigné ainsi qu’au fait qu’un liquidateur a pour mission de procéder à la liquidation définitive de la personne morale mise en liquidation, le risque existe que ce liquidateur évite toute remise en cause, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, d’un acte que ladite autorité a elle-même adopté ou qui a été adopté avec son concours et qui a conduit à la mise en liquidation de la personne morale concernée.

61

Il en va d’autant plus ainsi lorsque le liquidateur de la personne morale concernée est susceptible d’être relevé de ses fonctions par cette même autorité ou sur proposition de celle-ci en cas d’annulation, à la suite d’un recours dont l’introduction ou le maintien dépend de sa propre décision, d’un acte de l’Union adopté avec le concours de ladite autorité et qui a conduit à sa mise en liquidation.

62

Comme l’a relevé en substance Mme l’avocate générale aux points 75 à 77 de ses conclusions, des situations telles que celles décrites aux points 60 et 61 du présent arrêt, dès lors qu’elles impliquent un conflit d’intérêts, sont susceptibles de porter atteinte au droit de la personne morale concernée à un recours effectif (voir, en ce sens, Cour EDH, 24 novembre 2005, Capital Bank AD c. Bulgarie, CE:ECHR:2005:1124JUD004942999, § 117 et 118).

63

En l’espèce, il ressort du point 32 de l’ordonnance attaquée que le mandat produit par l’avocat qui a introduit le recours devant le Tribunal au nom de Trasta Komercbanka a été délivré par une personne qui, à la date de délivrance du mandat, était habilitée à cette fin.

64

Toutefois, ainsi qu’il est relevé aux points 5 et 34 de cette ordonnance, la juridiction compétente lettone a ordonné la liquidation de Trasta Komercbanka après la délivrance de ce mandat, le 14 mars 2016, à la demande de la CMFC et en application des dispositions du droit letton qui prévoient la liquidation d’un établissement de crédit dont l’agrément a été retiré. Conformément aux mêmes dispositions, cette juridiction a désigné le liquidateur proposé par la CMFC. Ladite juridiction a, en outre, rejeté la demande de Trasta Komercbanka visant au maintien des pouvoirs de représentation de son ancien organe de direction en ce qui concernait, notamment, l’introduction d’un recours contre la décision litigieuse devant le juge de l’Union.

65

Il ressort, par ailleurs, des points 6 et 46 de ladite ordonnance que, à la suite de sa nomination, le liquidateur de Trasta Komercbanka a révoqué l’ensemble des mandats émis par cette société, y compris celui de l’avocat qui avait introduit le recours au nom de Trasta Komercbanka devant le Tribunal, révocation dont ce dernier a eu connaissance au plus tard le 28 octobre 2016, date à partir de laquelle la révocation doit être considérée comme effective.

66

Le Tribunal a, dès lors, considéré, aux points 48 à 50 de l’ordonnance attaquée, que cet avocat ne disposait plus de mandat régulièrement établi par cette société, au sens de l’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours de celle-ci.

67

Le Tribunal a écarté, à cette fin, au point 35 de cette ordonnance, l’argument de Trasta Komercbanka, tiré d’un conflit d’intérêts du liquidateur, en estimant que, dans la mesure où la juridiction lettone compétente avait rejeté la demande de Trasta Komercbanka visant au maintien des pouvoirs de représentation de son organe de direction, cet argument n’était pas susceptible de remettre en cause l’existence, en vertu du droit letton, du pouvoir du liquidateur de Trasta Komercbanka de révoquer le mandat délivré antérieurement à l’avocat de celle-ci.

68

Au point 36 de ladite ordonnance, le Tribunal a ajouté que, « en tout état de cause [...] l’application du droit letton n’abouti[ssait] pas[...] à la violation du droit de l’Union et, en particulier, du droit à une protection juridictionnelle effective », dès lors que cette application conduisait non pas à priver d’un recours les banques dont l’agrément avait été retiré, mais à confier la responsabilité de ce recours à un liquidateur.

69

Les motifs avancés par le Tribunal aux points 35 et 36 de l’ordonnance attaquée sont entachés d’une erreur de droit.

70

En effet, ainsi qu’il ressort du point 60 du présent arrêt, le fait, mentionné au point 35 de l’ordonnance attaquée, que le liquidateur disposait, en vertu du droit letton, du pouvoir de révoquer le mandat délivré à l’avocat de Trasta Komercbanka aux fins de l’introduction d’un recours devant le juge de l’Union contre la décision litigieuse ne suffit pas pour justifier la reconnaissance d’une telle révocation par le juge de l’Union, si celle-ci porte atteinte, notamment pour les motifs indiqués aux points 61 et 62 du présent arrêt, au droit de Trasta Komercbanka, consacré à l’article 47 de la Charte, à une protection juridictionnelle effective.

71

Dès lors que la mise en liquidation de Trasta Komercbanka est, conformément aux dispositions lettones applicables, une conséquence du retrait de son agrément opéré par la décision litigieuse, l’annulation de celle-ci consécutive au recours de Trasta Komercbanka peut conduire au retrait de la décision ordonnant la liquidation de celle-ci et, par voie de conséquence, à celui de la décision de nomination du liquidateur.

72

Or, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 322 du code de commerce, la mission confiée au liquidateur d’une personne morale telle que Trasta Komercbanka n’est pas la même que celle confiée habituellement au dirigeant d’une telle personne, dès lors que le liquidateur a pour seul objectif de recouvrer les créances, de vendre les actifs et de désintéresser les créanciers en vue de réaliser la cessation totale de l’activité de cette personne.

73

De surcroît, le Tribunal a omis de tenir compte de la circonstance, invoquée devant lui par Trasta Komercbanka, que le liquidateur avait, conformément à l’article 377, paragraphe 2, du code de procédure civile, été nommé sur proposition de la CMFC et que, en vertu de l’article 387, paragraphe 2, de ce code, la CMFC pouvait demander la révocation de ce liquidateur si ce dernier n’avait plus sa confiance.

74

Or, si la CMFC n’est ni l’auteur de la décision litigieuse ni la partie défenderesse devant le Tribunal, la BCE revêtant ces deux qualités, il n’en reste pas moins que la CMFC a participé à l’adoption de la décision litigieuse, qui a été adoptée sur sa proposition. Compte tenu de la mission qui lui est confiée en application du droit letton, le liquidateur se trouve dans une situation de conflit d’intérêts en raison du fait que la contestation, devant les juridictions de l’Union, du retrait de l’agrément de la personne morale qu’il représente pourrait l’amener, contrairement à cette mission, à priver de tout fondement juridique la procédure de liquidation de cette personne.

75

Conformément à ce qui a été relevé aux points 60 à 62 du présent arrêt, il résulte de l’existence de tels liens entre la CMFC et le liquidateur et du rôle joué par celle-ci dans l’adoption de la décision litigieuse que la responsabilité d’une éventuelle révocation du mandat délivré à l’avocat de Trasta Komercbanka aux fins d’introduire un recours devant le juge de l’Union contre cette décision ne peut être confiée audit liquidateur sans porter atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective, au sens de l’article 47 de la Charte, de Trasta Komercbanka.

76

Ce constat est en outre conforté par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière a en effet considéré, dans sa décision du 9 septembre 2004, Capital Bank AD c. Bulgarie (CE:ECHR:2004:0909DEC004942999), portant sur un établissement bancaire représenté par des liquidateurs, qu’il convenait de reconnaître à l’ancienne direction de cet établissement le droit d’introduire devant elle une requête individuelle au sens de l’article 34 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, lorsque ces liquidateurs se trouvent dans une situation de conflits d’intérêts qui rend théorique et illusoire l’exercice de ce droit par l’établissement qu’ils ont la charge de représenter.

77

Cette appréciation n’est pas remise en cause par la considération exposée par le Tribunal au point 36 de l’ordonnance attaquée. Si, certes, le transfert à un liquidateur, en vertu du droit letton, de la responsabilité de décider de l’introduction ou du maintien d’un recours contre une décision de retrait d’agrément telle que la décision litigieuse n’implique pas, par principe, une violation du droit à une protection juridictionnelle effective, il en va autrement si la personne à laquelle cette responsabilité est transférée se trouve, en ce qui concerne la décision d’introduire ou de maintenir un tel recours, en situation de conflit d’intérêts.

78

Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant jugé, aux points 35 et 36 de l’ordonnance attaquée, que l’application du droit letton n’aboutissait pas, contrairement aux arguments avancés par Trasta Komercbanka pour justifier le maintien du pouvoir de représentation de ses anciens organes de direction, à une violation du droit de cette société à une protection juridictionnelle effective et en en ayant déduit, aux points 47 et 48 de cette ordonnance, que l’avocat qui avait introduit le recours devant lui au nom de Trasta Komercbanka ne disposait plus d’un mandat régulièrement établi, au nom de cette société, par une personne qualifiée à cet effet, dès lors que le mandat qui lui avait été initialement délivré avait été révoqué par le liquidateur de celle-ci. En effet, au regard des considérations exposées aux points 70 à 76 du présent arrêt, le Tribunal ne pouvait tenir compte de cette révocation, dès lors qu’elle violait le droit de Trasta Komercbanka à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte.

79

Partant, il y a lieu de juger le pourvoi de Trasta Komercbanka dans l’affaire C‑669/17 P à la fois recevable et fondé et d’annuler l’ordonnance attaquée en tant que le Tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur le recours formé par Trasta Komercbanka.

Sur le recours de Trasta Komercbanka devant le Tribunal

80

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

81

En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la recevabilité du recours de Trasta Komercbanka.

82

Pour les motifs exposés aux points 54 à 61 à et 70 à 76 du présent arrêt, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE, en tant qu’elle vise le recours de Trasta Komercbanka, comme étant non fondée.

83

En revanche, la Cour considère qu’elle n’est pas en mesure de statuer elle-même sur le fond du recours formé par Trasta Komercbanka. Il convient, par conséquent, de renvoyer la présente affaire au Tribunal à cette fin.

Sur les pourvois dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P

Sur la recevabilité du pourvoi dans l’affaire C‑663/17 P

84

Trasta Komercbanka et ses actionnaires font valoir que les conclusions du pourvoi introduit par la BCE dans l’affaire C‑663/17 P tendent non pas à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de l’ordonnance attaquée, comme l’exige l’article 169 du règlement de procédure de la Cour, mais à l’annulation de certains points des motifs de cette ordonnance. Selon Trasta Komercbanka et ses actionnaires, de telles conclusions ne sauraient être admises, pas plus que celles tendant à ce que la Cour statue définitivement sur le fond de l’affaire, dès lors que, à ce jour, le Tribunal ne s’est prononcé que sur la recevabilité du recours porté devant lui.

85

Cette argumentation ne saurait être accueillie.

86

D’une part, le premier chef de conclusions du pourvoi de la BCE vise, de manière expresse, l’annulation du point 2 du dispositif de l’ordonnance attaquée. D’autre part, par le deuxième chef des conclusions de ce pourvoi, la BCE demande à la Cour, en substance et ainsi que le lui permet l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, de faire droit aux conclusions qu’elle a présentées en première instance, lesquelles tendent au rejet du recours des actionnaires de Trasta Komercbanka comme étant irrecevable.

87

Partant, le pourvoi introduit par la BCE dans l’affaire C‑663/17 P est recevable.

Sur le fond des pourvois dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P

88

À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑663/17 P, la BCE invoque, en substance, trois moyens. Le premier moyen est tiré de l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal lors de la reconnaissance de l’existence d’un intérêt à agir des actionnaires de Trasta Komercbanka contre la décision litigieuse. Par le deuxième moyen, la BCE soutient que le Tribunal a considéré à tort que ces actionnaires étaient individuellement concernés par la décision litigieuse, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Le troisième moyen porte sur l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise en estimant que lesdits actionnaires étaient directement concernés par cette décision, au sens de cette disposition.

89

À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑665/17 P, la Commission avance deux moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 263 TFUE, en ce que le Tribunal aurait reconnu, à tort, l’existence d’un intérêt à agir des actionnaires de Trasta Komercbanka. Le second moyen est tiré de la violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et comporte deux branches, relatives à l’erreur de droit commise par le Tribunal lorsqu’il a estimé que les actionnaires étaient, d’une part, individuellement et, d’autre part, directement concernés par cette décision.

90

Il y a lieu d’examiner, d’abord, de manière conjointe, le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑663/17 P et la seconde branche du second moyen du pourvoi dans l’affaire C‑665/17 P.

 Argumentation des parties

91

La BCE et la Commission font valoir que les actionnaires de Trasta Komercbanka ne sont pas directement concernés par la décision litigieuse, laquelle ne porte pas atteinte à la substance de leurs droits. Seule Trasta Komercbanka, dont l’agrément en tant qu’établissement de crédit a été retiré, pourrait être considérée comme étant directement concernée par cette décision. Celle-ci ne produirait ainsi d’effets juridiques de manière directe qu’à l’égard de Trasta Komercbanka. Les actionnaires de cette dernière ne seraient pas eux-mêmes titulaires d’un agrément bancaire et, partant, ne pourraient pas prétendre avoir été personnellement affectés par le retrait d’un tel agrément. En décidant, dans l’ordonnance attaquée, que les actionnaires de Trasta Komercbanka étaient directement concernés par ladite décision, en raison de l’intensité des effets de celle-ci sur leur situation, le Tribunal aurait appliqué de manière erronée sa propre jurisprudence.

92

La BCE et la Commission soutiennent qu’il y a lieu de distinguer entre l’intérêt économique de la société et l’intérêt des actionnaires de celle-ci, ces derniers ne possédant pas de droits sur les actifs de l’entreprise. Le retrait de l’agrément de Trasta Komercbanka aurait certes une incidence économique sur ses actionnaires, mais n’affecterait pas leur situation juridique. Aux fins de déterminer si ces actionnaires sont directement concernés par la décision de retrait, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il n’y aurait pas lieu de tenir compte de cette incidence économique, quelle que fût son importance. Un critère tiré de l’évaluation qualitative des effets d’un acte serait contraire au libellé et aux objectifs de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

93

En outre, la décision litigieuse n’aurait produit aucun effet juridique sur le droit des actionnaires de Trasta Komercbanka de percevoir des dividendes.

94

Par ailleurs, il serait erroné d’affirmer que le retrait de l’agrément bancaire de Trasta Komercbanka empêche celle-ci de réaliser son objet social et d’avoir une activité économique. Ce retrait ne ferait pas obstacle à l’exercice d’une activité économique différente par Trasta Komercbanka, le cas échéant après modification de ses statuts.

95

La BCE et la Commission font valoir que la décision litigieuse n’a pas non plus eu d’incidence sur la structure de Trasta Komercbanka ou sur son administration interne. Celles-ci auraient peut-être été affectées par la décision d’ordonner la liquidation de Trasta Komercbanka, mais cette décision a été prise sur le fondement du droit letton et non pas du droit de l’Union, lequel n’impose pas la liquidation d’un établissement de crédit dont l’agrément a été retiré. Or, le Tribunal aurait omis, à cet égard, d’opérer une distinction entre la décision litigieuse et la décision ordonnant la liquidation de Trasta Komercbanka.

96

Trasta Komercbanka et ses actionnaires estiment quant à eux que la situation desdits actionnaires n’est pas comparable à celle des actionnaires minoritaires d’une société commerciale. Les actionnaires de Trasta Komercbanka seraient détenteurs de la grande majorité des actions de cette société. Par ailleurs, le Tribunal aurait déjà admis qu’un actionnaire majoritaire est recevable à contester une décision dont la société dont il détient les actions est le destinataire, sur le seul fondement de l’effet économique produit par cette décision sur ledit actionnaire.

97

L’interprétation selon laquelle seuls les effets juridiques et non pas les effets économiques d’un acte devraient être pris en compte, aux fins de déterminer si une personne est directement et individuellement concernée par cet acte, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ne trouverait aucun appui dans la jurisprudence. Au contraire, en matière d’aides d’État ainsi qu’en matière de concentrations, les juridictions de l’Union auraient reconnu la qualité pour agir de personnes, concurrentes du destinataire d’un acte, sur le seul fondement des conséquences économiques de cet acte sur ces personnes.

98

En outre, la décision litigieuse affecterait les actionnaires de Trasta Komercbanka de manière directe et individuelle, dès lors qu’elle les priverait de la possibilité de décider de l’établissement d’une succursale de Trasta Komercbanka dans un autre État membre, sur la base de son agrément bancaire letton. Elle les priverait également, conformément au droit letton, de la possibilité de décider de la liquidation volontaire de leur société et de désigner eux-mêmes le liquidateur. De plus, les actionnaires de Trasta Komercbanka seraient nominativement identifiés dans la décision litigieuse et auraient été acceptés en tant qu’interlocuteurs au cours de la procédure ayant conduit à celle-ci, au même titre que les personnes habilitées à représenter légalement Trasta Komercbanka.

99

Trasta Komercbanka et ses actionnaires ajoutent que les conséquences de l’application du droit national doivent être prises en considération, aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir d’un requérant, conformément à l’article 263 TFUE. Ils soulignent, à cet égard, que, conformément au droit letton, la liquidation de Trasta Komercbanka est une conséquence automatique du retrait de son agrément et que ni la CMFC ni la juridiction lettone qui a ordonné cette liquidation ne disposaient d’une marge d’appréciation en la matière.

100

En tout état de cause, l’exigence selon laquelle les actionnaires d’une société devraient faire valoir un intérêt distinct à l’annulation d’un acte dont est destinataire la société dont ils détiennent des actions ne s’appliquerait pas dans un cas, tel que celui de l’espèce, où les actionnaires de la société concernée, quoique détenteurs de la majorité des actions, seraient dans l’impossibilité d’exercer leurs droits pour contraindre la société à former un recours.

101

Enfin, Trasta Komercbanka et ses actionnaires affirment que la qualité pour agir des actionnaires de Trasta Komercbanka est indépendante de l’issue du pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P.

– Appréciation de la Cour

102

Il convient de rappeler que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

103

Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, également rappelée par le Tribunal au point 64 de l’ordonnance attaquée, que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, notamment, arrêts du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C‑15/06 P, EU:C:2007:183, point 31 ; du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 66, ainsi que du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42).

104

À cet égard, il convient de relever que la décision litigieuse a retiré l’agrément de Trasta Komercbanka en tant qu’établissement de crédit et, par conséquent, a produit de manière directe des effets sur la situation juridique de cette société, laquelle, une fois la décision arrêtée, n’était plus autorisée à poursuivre son activité d’établissement de crédit. Cette autorisation avait été délivrée à Trasta Komercbanka elle-même et non pas, à titre personnel, à ses actionnaires.

105

Le Tribunal a, néanmoins, considéré, sur le fondement des motifs figurant aux points 66 à 68 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse concernait également, de manière directe, les actionnaires de Trasta Komercbanka.

106

En substance, ainsi qu’il ressort du point 67 de cette ordonnance, le Tribunal a fondé cette appréciation sur l’« intensité » des effets de la décision litigieuse, laquelle affecterait « nécessairement la consistance et l’étendue » des droits des actionnaires de Trasta Komercbanka. D’une part, le droit des actionnaires de percevoir des dividendes d’une société « qui n’est plus autorisée à exercer son activité » deviendrait « nécessairement illusoire ». D’autre part, dans la mesure où la décision litigieuse aurait pour effet « d’interdire à Trasta Komercbanka de réaliser son objet social », l’exercice, par les actionnaires, de leurs droits de vote ou du droit de participer à la gestion de cette société deviendrait « essentiellement formel ».

107

Ces motifs sont entachés d’erreurs de droit.

108

D’une part, en privilégiant un critère erroné, tiré de l’« intensité » des effets de la décision litigieuse, le Tribunal n’a pas procédé, ainsi qu’il lui incombait, à la détermination du caractère éventuellement direct des effets de cette décision sur la situation juridique des actionnaires de Trasta Komercbanka.

109

D’autre part, comme le relèvent à juste titre la BCE et la Commission, le Tribunal a, à tort, pris en considération les effets non pas juridiques, mais économiques de la décision litigieuse sur la situation des actionnaires de Trasta Komercbanka (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2019, Conseil/Growth Energy et Renewable Fuels Association, C‑465/16 P, EU:C:2019:155, point 81 et jurisprudence citée).

110

Or, le droit des actionnaires de percevoir des dividendes et de participer à la gestion de Trasta Komercbanka, en tant que société constituée conformément au droit letton, n’a pas été affecté par la décision litigieuse.

111

Certes, à la suite du retrait de son agrément, Trasta Komercbanka n’est plus en mesure de poursuivre son activité d’établissement de crédit et, par conséquent, sa capacité à distribuer des dividendes à ses actionnaires est sujette à caution. Toutefois, l’effet négatif de ce retrait revêt un caractère économique, le droit des actionnaires à percevoir des dividendes, tout comme leur droit de participer à la gestion de cette société, le cas échéant en modifiant son objet social, n’ayant en rien été affecté par la décision litigieuse.

112

Les considérations qui précèdent ne sont pas remises en cause par l’argumentation de Trasta Komercbanka et de ses actionnaires, résumée au point 97 du présent arrêt et tirée de la jurisprudence des juridictions de l’Union en matière d’aides d’État ainsi qu’en matière de concentrations. Ainsi, le fait de reconnaître que certains concurrents des destinataires d’un acte de l’Union relatif à ces domaines peuvent être directement affectés par cet acte est justifié non pas par les effets purement économiques de l’acte en question sur leur situation, mais par le fait que ledit acte affecte la situation juridique de ces concurrents, en particulier leur droit, résultant des dispositions du traité FUE, à ne pas subir une concurrence faussée (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 43).

113

S’agissant de la liquidation de Trasta Komercbanka consécutive à l’adoption de la décision litigieuse, il est vrai qu’une telle circonstance a affecté de manière directe le droit des actionnaires de Trasta Komercbanka à participer à la gestion de cette société, ladite gestion ayant été confiée, par la décision ordonnant la liquidation, à un liquidateur.

114

Toutefois, la liquidation de Trasta Komercbanka ne constitue pas la mise en œuvre « purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union » de la décision litigieuse, au sens de la jurisprudence citée au point 103 du présent arrêt. En effet, la réglementation de l’Union ne prévoit pas la mise en liquidation d’un établissement de crédit dont l’agrément a été retiré. La décision de liquidation a été prise par une juridiction lettone, sur la base du droit letton, à savoir « d’autres règles intermédiaires », au sens de cette même jurisprudence.

115

Il s’ensuit que le Tribunal a considéré de manière erronée que les actionnaires de Trasta Komercbanka étaient directement concernés, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par la décision litigieuse.

116

Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑663/17 P et la seconde branche du second moyen du pourvoi dans l’affaire C‑665/17 P et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, d’annuler l’ordonnance attaquée en tant qu’elle rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE concernant le recours formé par les actionnaires de Trasta Komercbanka.

Sur le recours des actionnaires de Trasta Komercbanka devant le Tribunal

117

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

118

En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la recevabilité du recours formé par les actionnaires de Trasta Komercbanka.

119

Pour les motifs exposés aux points 108 à 114 du présent arrêt, il convient de considérer que les actionnaires de Trasta Komercbanka ne sont pas directement concernés par la décision litigieuse. Par voie de conséquence, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité de la BCE en tant qu’elle vise le recours de ces actionnaires et, partant, de rejeter ce recours comme étant irrecevable.

Sur les dépens

120

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

121

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

122

La BCE et la Commission ayant conclu à la condamnation de Trasta Komercbanka et de ses actionnaires et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la BCE et la Commission au titre de ces pourvois. Par ailleurs, les actionnaires de Trasta Komercbanka ayant succombé en leurs moyens dans le recours devant le Tribunal, il y a lieu, conformément aux conclusions de la BCE, de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la BCE au titre de la procédure de première instance afférente audit recours, en tant que formé par ces actionnaires.

123

En outre, aux termes de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, les institutions de l’Union qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens.

124

La Commission, partie intervenante dans l’affaire C‑663/17 P, supportera ses propres dépens exposés dans cette affaire.

125

Enfin, il y a lieu de réserver les dépens dans l’affaire C‑669/17 P, l’affaire étant renvoyée devant le Tribunal.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P est rejeté comme irrecevable, en tant qu’il a été formé par MM. Ivan Fursin et Igors Buimisters ainsi que par C & R Invest SIA, Figon Co. Ltd, GCK Holding Netherlands BV et Rikam Holding SA.

 

2)

L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 12 septembre 2017, Fursin e.a./BCE (T‑247/16, non publiée, EU:T:2017:623), est annulée.

 

3)

L’exception d’irrecevabilité de la Banque centrale européenne est rejetée, en tant qu’elle concerne le recours introduit par Trasta Komercbanka AS tendant à l’annulation de la décision ECB/SSM/2016 – 529900WIP0INFDAWTJ81/1 WOANCA-2016-0005 de la Banque centrale européenne, du 3 mars 2016, portant retrait de l’agrément accordé à Trasta Komercbanka.

 

4)

Le recours introduit par MM. Ivan Fursin et Igors Buimisters ainsi que par C & R Invest SIA, Figon Co. Ltd, GCK Holding Netherlands BV et Rikam Holding SA, tendant à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne, du 3 mars 2016, est rejeté.

 

5)

L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour statuer sur le recours introduit par Trasta Komercbanka AS, tendant à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne, du 3 mars 2016.

 

6)

Trasta Komercbanka AS, MM. Ivan Fursin et Igors Buimisters, C & R Invest SIA, Figon Co. Ltd, GCK Holding Netherlands BV ainsi que Rikam Holding SA sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Banque centrale européenne et par la Commission européenne au titre, respectivement, des pourvois dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P.

 

7)

La Commission européenne supporte ses propres dépens dans l’affaire C‑663/17 P.

 

8)

MM. Ivan Fursin et Igors Buimisters, C & R Invest SIA, Figon Co. Ltd, GCK Holding Netherlands BV ainsi que Rikam Holding SA sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Banque centrale européenne au titre de la procédure de première instance afférente au recours formé par ces actionnaires.

 

9)

Les dépens dans l’affaire C‑669/17 P sont réservés.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.