ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
14 février 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Treizième directive 86/560/CEE – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Principes d’équivalence et d’effectivité – Entreprise non établie dans l’Union européenne – Décision préalable et définitive de refus du remboursement de la TVA – Numéro d’identification à la TVA erroné »
Dans l’affaire C‑562/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), par décision du 15 septembre 2017, parvenue à la Cour le 25 septembre 2017, dans la procédure
Nestrade SA
contre
Agencia Estatal de la Administración Tributaria (AEAT),
Tribunal Económico-Administrativo Central,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. E. Juhász et C. Vajda (rapporteur), juges,
avocat général : M. Y. Bot,
greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 novembre 2018,
considérant les observations présentées :
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pour Nestrade SA, par Me E. Codes Feijoo, procurador, et Me A. Iglesias Querol, abogada, |
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pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent, |
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pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents, |
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions de la treizième directive 86/560/CEE du Conseil, du 17 novembre 1986, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis sur le territoire de la Communauté (JO 1986, L 326, p. 40, ci‑après la « treizième directive »). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Nestrade SA, une société commerciale établie en Suisse, à l’Agencia Estatal de la Administración Tributaria (AEAT) (Agence d’État de l’administration fiscale, Espagne) et au Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal administratif économique central, Espagne) au sujet d’un refus partiel de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en raison d’une décision définitive antérieure à ce refus. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La treizième directive
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Aux termes de l’article 2 de la treizième directive : « 1. Sans préjudice des articles 3 et 4, chaque État membre rembourse à tout assujetti qui n’est pas établi sur le territoire de la Communauté, dans les conditions fixées ci-après, la [TVA] ayant grevé des services qui lui sont rendus ou des biens meubles qui lui sont livrés à l’intérieur du pays par d’autres assujettis, ou ayant grevé l’importation de biens dans le pays, dans la mesure où ces biens et ces services sont utilisés pour les besoins des opérations visées à l’article 17 paragraphe 3 points a) et b) de la [sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1),] ou des prestations de services visées à l’article 1er point 1 sous b) de la présente directive. 2. Les États membres peuvent subordonner le remboursement visé au paragraphe 1 à l’octroi par les États tiers d’avantages comparables dans le domaine des taxes sur le chiffre d’affaires. 3. Les États membres peuvent exiger la désignation d’un représentant fiscal. » |
4 |
L’article 3, paragraphe 1, de cette treizième directive dispose : « Le remboursement visé à l’article 2 paragraphe 1 est accordé sur demande de l’assujetti. Les États membres déterminent les modalités d’introduction de cette demande, y compris les délais, la période sur laquelle la demande doit porter, le service compétent pour la recevoir et les montants minimaux pour lesquels le remboursement peut être demandé. Ils déterminent également les modalités du remboursement, y compris les délais. Ils imposent au requérant les obligations qui sont nécessaires pour apprécier le bien-fondé de la demande et éviter la fraude, et notamment la preuve qu’il accomplit une activité économique conformément à l’article 4 paragraphe 1 de la directive [77/388]. Le requérant doit certifier, par une déclaration écrite, qu’il n’a effectué, au cours de la période fixée, aucune opération ne répondant pas aux conditions établies à l’article 1er point 1 de la présente directive. » |
La directive 2006/112/CE
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L’article 170 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347 p. 1), telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008 (JO 2008, L 44, p. 1) (ci-après la « directive 2006/112 »), dispose : « Tout assujetti qui, au sens de l’article 1er de la [treizième directive], de l’article 2, point 1), et de l’article 3 de la directive 2008/9/CE [du Conseil, du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre (JO 2008, L 44, p. 23),] et de l’article 171 de la présente directive, n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il effectue des achats de biens et de services ou des importations de biens grevés de TVA a le droit d’obtenir le remboursement de cette taxe dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les opérations suivantes :
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6 |
L’article 171 de cette directive énonce : « 1. Le remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre dans lequel ils effectuent des achats de biens et de services ou des importations de biens grevés de taxe, mais qui sont établis dans un autre État membre, est effectué selon les modalités prévues par la directive [2008/9]. 2. Le remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis sur le territoire de la Communauté est effectué selon les modalités d’application déterminées par la [treizième directive]. Les assujettis visés à l’article 1er de la [treizième directive] et qui n’ont effectué dans l’État membre dans lequel ils effectuent les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de taxe que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles le destinataire de ces opérations a été désigné comme redevable de la taxe, conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199, sont également considérés pour l’application de ladite directive comme des assujettis qui ne sont pas établis dans la Communauté. 3. La [treizième directive] ne s’applique pas :
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Le droit espagnol
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L’article 119 bis de la Ley 37/1992 del Impuesto sobre el Valor Añadido (loi 37/1992 relative à la taxe sur la valeur ajoutée), du 28 décembre 1992, intitulé « Régime spécial applicable aux remboursements en faveur de certaines entreprises et professionnels non établis sur le territoire d’application de la [TVA] ou dans la Communauté, les îles Canaries, Ceuta ou Melilla », dans sa version applicable à la date des faits au principal, dispose : « Les entreprises et professionnels non établis sur le territoire d’application de la [TVA] ou dans la Communauté, les îles Canaries, Ceuta ou Melilla, peuvent demander le remboursement de la [TVA] qu’ils ont acquittée pour les acquisitions ou importations de biens ou de services réalisées sur ce territoire, lorsque les conditions et limitations fixées à l’article 119 de la présente loi sont respectées, sous la seule réserve des dispositions spéciales indiquées ci‑après et conformément à la procédure définie par la voie réglementaire : [...] » |
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L’article 31 du Real Decreto 1624/1992 por el que se aprueba el Reglamento del Impuesto sobre el Valor Añadido (décret royal 1624/1992 portant adoption du règlement relatif à la taxe sur la valeur ajoutée), du 29 décembre 1992, intitulé « Remboursements en faveur d’entreprises et de professionnels non établis sur le territoire d’application de la [TVA], mais établis dans la Communauté, les îles Canaries, Ceuta ou Melilla », dans sa version applicable à la date des faits au principal, dispose : « [...] 7. [...] En cas de doute concernant la validité ou l’exactitude des informations figurant dans une demande de remboursement ou dans la copie électronique des factures ou des documents d’importation auxquels elle se réfère, l’autorité chargée d’examiner la demande peut, le cas échéant, réclamer au demandeur les originaux de ces documents en déclenchant la procédure visant à obtenir des informations supplémentaires ou ultérieures, prévue à l’article 119, paragraphe 7, de la loi 37/1992. Ces originaux sont tenus à la disposition de l’administration fiscale jusqu’à l’expiration du délai de prescription de l’obligation fiscale. Le destinataire d’une demande d’informations supplémentaires ou ultérieures doit répondre à cette demande dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle il l’a reçue. 8. La décision relative à la demande de remboursement doit être adoptée et notifiée au demandeur dans les quatre mois suivant la date de sa réception par l’autorité compétente pour l’adopter. Toutefois, lorsqu’une demande d’informations supplémentaires ou ultérieures est nécessaire, la décision doit être adoptée et notifiée au demandeur dans les deux mois suivant la réception des informations demandées ou, lorsque le destinataire ne répond pas à cette demande, après l’expiration d’un délai d’un mois à compter de celle‑ci. En pareils cas, la durée de la procédure de remboursement est d’au moins six mois à compter de la réception de la demande par l’autorité compétente pour l’examiner. En tout état de cause, lorsqu’une demande d’informations supplémentaires ou ultérieures est nécessaire, le délai maximal pour statuer sur une demande de remboursement est de huit mois à compter de la réception de celle‑ci ; si aucune notification expresse d’une décision n’est reçue dans les délais prévus au présent paragraphe, la demande de remboursement est réputée rejetée. [...] 10. Le rejet total ou partiel de la demande de remboursement peut être contesté par le demandeur conformément aux dispositions du titre V de [la Ley 58/2003 General Tributaria (loi 58/2003 établissant le code général des impôts, ci‑après le “code général des impôts”), du 17 décembre 2003]. [...] » |
9 |
L’article 31 bis dudit décret royal 1624/1992 énonce : « [...] 3. Les originaux des factures et autres documents justifiant le droit au remboursement sont tenus à la disposition de l’administration fiscale jusqu’à l’expiration du délai de prescription de l’obligation fiscale. [...] 5. Les demandes de remboursement faisant l’objet du présent article sont examinées et traitées conformément aux dispositions de l’article 31, paragraphes 6 à 11, du présent règlement. » |
10 |
Aux termes de l’article 139 du code général des impôts, intitulé « Clôture de la procédure de contrôle limité » : « 1. La procédure de contrôle limité est clôturée de l’une des manières suivantes :
[...] 2. La décision administrative mettant fin à la procédure de contrôle limité doit contenir au moins les éléments suivants :
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11 |
L’article 219 du code général des impôts, intitulé « Révocation d’actes d’imposition et d’application de sanctions », dispose : « 1. L’administration fiscale peut révoquer ses actes au bénéfice des intéressés lorsqu’elle estime qu’ils sont manifestement contraires à la loi, lorsque la survenue de circonstances affectant une situation juridique particulière met en lumière le caractère inapproprié de l’acte ou lorsque, au cours de la procédure, il a été porté atteinte aux droits de la défense des intéressés. Cette révocation ne peut en aucun cas constituer une dérogation ou une exception non permise par les règles fiscales, ni contrevenir au principe d’égalité, à l’intérêt public ou à l’ordre juridique. 2. La révocation n’est possible que si le délai de prescription n’a pas expiré. [...] » |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
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Nestrade, dont le siège social et le domicile fiscal sont situés en Suisse, réalise des opérations soumises à la TVA en Espagne. |
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Le 21 septembre 2010, Nestrade a demandé à l’AEAT, en application de la procédure de remboursement des montants de TVA acquittés en amont dans le cadre de l’application de la TVA espagnole à un entrepreneur non établi sur le territoire de l’Union européenne, la restitution des montants versés à l’occasion de la livraison de biens par son fournisseur Hero España SA (ci‑après « Hero »), au cours des troisième et quatrième trimestres de l’année 2009. Nestrade a également demandé le remboursement de tous les autres montants de TVA acquittés relatifs aux exercices 2008 à 2010 à l’occasion de la livraison des biens par Hero. |
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Pour l’ensemble de ces exercices, l’AEAT a demandé à Nestrade de fournir les factures correspondant aux livraisons de biens par Hero (ci‑après les « factures correctes »), car les factures initialement produites portaient le numéro d’identification à la TVA néerlandais de Nestrade, alors que le numéro d’identification à la TVA suisse aurait dû y être indiqué. |
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Ainsi, le 23 novembre 2010, l’AEAT a demandé à Nestrade de lui fournir, dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la notification de sa demande, intervenue le 13 décembre 2010, les factures correctes pour les troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2009. Nestrade n’a pas répondu à cette demande dans le délai imparti. |
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Le 10 janvier 2011, Hero a émis les factures rectificatives pour les troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2009. |
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Le 5 avril 2011, l’AEAT a rendu une décision refusant le remboursement de la somme de 114662,59 euros réclamée pour les troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2009, au motif qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de déterminer le bien-fondé de la demande. |
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Cette décision, qui n’a pas été contestée par Nestrade, est devenue définitive le 14 mai 2011. |
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Le 5 août 2011, Nestrade a de nouveau demandé à l’AEAT le remboursement des montants de TVA acquittés en amont lors des exercices 2008 à 2010 et a, par ailleurs, également demandé le remboursement des montants de TVA acquités en amont pendant la période comprise entre le mois de janvier et le mois de mars 2011. À cette occasion, Nestrade a produit des factures rectificatives et a annulé les factures initialement émises par Hero pour chacune de ces années, y compris en ce qui concerne les troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2009. |
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Dans sa décision du 12 décembre 2011, l’AEAT a décidé, en premier lieu, d’accorder le remboursement des montants de TVA acquittés en amont au titre des exercices 2008 et 2010 ainsi qu’au titre des premier et deuxième trimestres de l’exercice 2009, pour un total de 542094,25 euros. L’AEAT a considéré que Nestrade avait répondu à ses demandes et avait produit les factures rectificatives réclamées. Elle a accordé ce remboursement après avoir vérifié que les conditions requises à cet effet étaient réunies. En second lieu, l’AEAT a décidé de refuser le remboursement des montants de TVA correspondant à deux factures émises par Hero au titre des troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2009. Ce refus était fondé sur le fait que ce dernier remboursement avait été refusé par décision du 5 avril 2011, devenue définitive le 14 mai 2011. |
21 |
Le 8 mars 2012, l’AEAT a confirmé cette décision du 12 décembre 2011. |
22 |
Nestrade a présenté une réclamation administrative contre l es décisions de l’AEAT des 12 décembre 2011 et 8 mars 2012. Cette réclamation a été rejetée par décision du Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal administratif économique central), du 22 janvier 2015. Le principal motif de rejet était l’autorité de la chose jugée administrative. |
23 |
Nestrade a introduit un recours juridictionnel contre les décisions de l’AEAT des 12 décembre 2011 et 8 mars 2012 et contre la décision du Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal administratif économique central), du 22 janvier 2015, devant la juridiction de renvoi. |
24 |
Cette dernière considère qu’il existe une certaine dissension entre, d’une part, le nécessaire respect du principe de sécurité juridique inhérent à un acte administratif définitif, tel que la décision du 5 avril 2011, et, d’autre part, la nécessité d’appliquer de manière uniforme le droit de l’Union ainsi que, notamment, les dispositions de la directive 2006/112 concernant le droit à déduction de la TVA. |
25 |
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi rappelle que la Cour, dans l’arrêt du 8 mai 2013, Petroma Transports e.a. (C‑271/12, EU:C:2013:297), a jugé que le remboursement de la TVA acquittée en amont peut être refusé si les factures rectificatives sont présentées à l’autorité fiscale après que celle-ci a rendu sa décision refusant le droit au remboursement de la TVA. Elle se demande, toutefois, si cette jurisprudence ne devrait pas rester inappliquée dans une situation telle que celle en cause au principal, qui serait caractérisée par l’absence de négligence ou de manque de collaboration avec l’AEAT de la part de Nestrade et par une atteinte aux droits de la défense de cette dernière. |
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Dans ces conditions, l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
En cas de réponse affirmative à cette question :
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Sur les questions préjudicielles
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À titre liminaire, il y a lieu de faire remarquer, premièrement, que, dans sa décision, la juridiction de renvoi se réfère aux dispositions de la directive 2006/112 relatives au droit à déduction de la TVA et à la jurisprudence de la Cour portant sur celles-ci. |
28 |
Toutefois, la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé sa demande de décision préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, point 43 et jurisprudence citée). |
29 |
Ainsi que l’ont fait observer le gouvernement espagnol et la Commission européenne, l’affaire au principal concerne une demande de remboursement de montants de la TVA soumise par une entreprise établie dans un pays tiers, à savoir en Suisse. Or, les modalités de remboursement de la TVA aux assujettis non établis sur le territoire de l’Union sont régies par la treizième directive, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci. La Cour a précisé, à cet égard, que les dispositions de la treizième directive et, en particulier, ledit article 2, paragraphe 1, doivent être considérés comme étant une lex specialis par rapport aux articles 170 et 171 de la directive 2006/112 (arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Royaume-Uni, C‑582/08, EU:C:2010:429, point 35). |
30 |
Partant, il convient d’examiner les questions posées à la lumière des dispositions de la treizième directive. |
31 |
Deuxièmement, il y a lieu de souligner que l’affaire au principal ne concerne pas l’effet temporel des rectifications d’une facture, question sur laquelle la Cour s’est déjà prononcée, s’agissant du droit à déduction de la TVA, dans l’arrêt du 15 septembre 2016, Senatex (C‑518/14, EU:C:2016:691). En revanche, elle porte sur la faculté pour les États membres de limiter dans le temps la possibilité de rectifier des factures erronées aux fins de l’exercice du droit au remboursement de la TVA. La juridiction de renvoi explique que, en droit espagnol, une telle rectification ne peut plus produire d’effet après que la décision de l’administration refusant le remboursement est devenue définitive. |
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Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la treizième directive doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un État membre limite dans le temps la possibilité de rectifier des factures erronées, par exemple par la rectification du numéro d’identification à la TVA initialement inscrit sur la facture, aux fins de l’exercice du droit au remboursement de la TVA. |
33 |
La Cour a dit pour droit que les dispositions de la sixième directive 77/388 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit à déduction de la TVA peut être refusé à des assujettis qui détiennent des factures incomplètes, même si ces dernières sont complétées par la production d’informations visant à prouver la réalité, la nature et le montant des opérations facturées après l’adoption d’une telle décision de refus (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2013, Petroma Transports e.a., C‑271/12, EU:C:2013:297, point 36). Toutefois, il convient de préciser que la sixième directive 77/388 n’interdisait pas non plus aux États membres d’accepter la rectification d’une facture incomplète après que l’administration fiscale eut adopté une décision de refus du droit à déduction ou du droit au remboursement de la TVA. |
34 |
Un tel constat s’applique également en ce qui concerne la treizième directive. En effet, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci que les États membres déterminent les modalités d’introduction d’une demande de remboursement de la TVA, y compris les délais, et qu’ils imposent les obligations qui sont nécessaires pour apprécier le bien-fondé d’une telle demande. |
35 |
Dès lors qu’elle n’est pas régie par la treizième directive, l’instauration de mesures fixant un délai dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent qui a omis de rectifier des factures erronées ou incomplètes aux fins de l’exercice du droit au remboursement de la TVA doit être régie par le droit national, pourvu, d’une part, que cette procédure s’applique de la même manière aux droits analogues en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit de l’Union (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elle ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice dudit droit (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêts du 8 mai 2008, Ecotrade, C‑95/07 et C‑96/07, EU:C:2008:267, point 46, ainsi que du 26 avril 2018, Zabrus Siret, C‑81/17, EU:C:2018:283, point 38 et jurisprudence citée). |
36 |
À cet égard, il convient de rappeler que, s’il appartient au juge national d’apprécier la compatibilité des mesures nationales avec le droit de l’Union, la Cour peut néanmoins lui fournir toute indication utile afin de résoudre le litige qui lui est soumis (arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 36). |
37 |
S’agissant, en premier lieu, du principe d’équivalence, il convient de rappeler qu’il découle de celui-ci que les personnes faisant valoir les droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ne doivent pas être défavorisées par rapport à celles faisant valoir des droits de nature purement interne (arrêt du 7 mars 2018, Santoro, C‑494/16, EU:C:2018:166, point 39). |
38 |
La juridiction de renvoi se demande si l’AEAT a violé ce principe d’équivalence dans la mesure où cette dernière n’a pas révoqué sa décision du 5 avril 2011 sur le fondement de l’article 219 du code général des impôts. À cet égard, il y a lieu de relever que rien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de constater que cet article s’applique de manière différente selon que le droit en cause est conféré par le droit de l’Union ou par le droit interne. |
39 |
En outre, contrairement à ce qu’a fait valoir Nestrade lors de l’audience, le principe d’équivalence n’est pas non plus violé par le fait que l’AEAT aurait traité de manière différente, d’une part, les demandes de remboursement des montants de TVA acquittés en amont au titre des exercices 2008 et 2010 ainsi qu’au titre des premier et deuxième trimestres de l’exercice 2009 et, d’autre part, la demande de remboursement des montants de TVA au titre des troisième et quatrième trimestres de l’exercice 2009. En effet, une telle différence de traitement, même si elle était avérée, ne démontrerait aucunement une différence de traitement entre les droits conférés par l’ordre juridique de l’Union et ceux de nature purement interne. |
40 |
S’agissant, en second lieu, du principe d’effectivité, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par le droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure ainsi que du déroulement et des particularités de celle-ci devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 7 mars 2018, Santoro, C‑494/16, EU:C:2018:166, point 43 et jurisprudence citée). |
41 |
La Cour a déjà jugé que la possibilité d’introduire une demande de remboursement des excédents de la TVA sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et à ses obligations à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (arrêt du 21 juin 2012, Elsacom, C‑294/11, EU:C:2012:382, point 29). La Cour a reconnu la compatibilité avec le droit de l’Union de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique, qui protège à la fois le contribuable et l’administration concernés. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l’action intentée (arrêt du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C‑38/16, EU:C:2017:454, point 42 et jurisprudence citée). |
42 |
En l’occurrence, l’AEAT a, le 23 novembre 2010, demandé à Nestrade de lui fournir, dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la notification de cette demande, intervenue le 13 décembre 2010, les factures correctes. |
43 |
Il y a lieu de constater qu’il ne ressort pas de la décision de renvoi que Nestrade ait averti l’AEAT du fait qu’elle n’était pas en possession des factures correctes à la date de la demande de cette administration. Il ressort, en outre, de cette décision que Nestrade n’a pas fourni ces factures à l’AEAT pendant la durée de presque trois mois qui s’est écoulée entre la date à laquelle elle les a obtenues et la date à laquelle la décision refusant le remboursement de la TVA a été adoptée. Nestrade n’a pas non plus contesté cette dernière décision avant qu’elle ne soit devenue définitive, bien que, selon la juridiction de renvoi, elle aurait pu introduire un recours contre cette décision dans des délais raisonnables. |
44 |
Dans ces conditions, il convient de constater que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il n’a pas été rendu en pratique impossible ou excessivement difficile à Nestrade d’exercer son droit au remboursement de la TVA. |
45 |
Dans ce contexte, il convient de rappeler que, si l’administration fiscale dispose des données nécessaires pour établir que l’assujetti est redevable de la TVA, elle ne saurait imposer des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice du droit à la déduction de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2010, Uszodaépítő, C‑392/09, EU:C:2010:569, point 40). |
46 |
Le même raisonnement s’impose s’agissant du droit au remboursement de la TVA. Toutefois, s’agissant de l’affaire au principal, il apparaît, ainsi que l’a fait valoir la Commission, que l’AEAT ne disposait pas des données nécessaires pour apprécier le droit au remboursement de la TVA en cause au principal sur la base des informations qui lui avaient été fournies par Nestrade dans le cadre d’autres demandes de remboursement concernant le même fournisseur, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. |
47 |
Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les dispositions de la treizième directive doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’un État membre limite dans le temps la possibilité de rectifier des factures erronées, par exemple par la rectification du numéro d’identification à la TVA initialement inscrit sur la facture, aux fins de l’exercice du droit au remboursement de la TVA, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit : |
Les dispositions de la treizième directive 86/560/CEE du Conseil, du 17 novembre 1986, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis sur le territoire de la Communauté, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’un État membre limite dans le temps la possibilité de rectifier des factures erronées, par exemple par la rectification du numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) initialement inscrit sur la facture, aux fins de l’exercice du droit au remboursement de la TVA, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.