ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 novembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique – Directive 2000/43/CE – Article 3, paragraphe 1, sous g) – Champ d’application – Notion d’“éducation” – Attribution par une fondation privée de bourses destinées à encourager des projets de recherche ou d’études à l’étranger – Article 2, paragraphe 2, sous b) – Discrimination indirecte – Attribution de ces bourses conditionnée à l’obtention préalable en Allemagne du premier examen d’État de droit (Erste Juristische Staatsprüfung) »

Dans l’affaire C‑457/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décision du 1er juin 2017, parvenue à la Cour le 31 juillet 2017, dans la procédure

Heiko Jonny Maniero

contre

Studienstiftung des deutschen Volkes eV,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur), E. Regan, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 mai 2018,

considérant les observations présentées :

pour M. Maniero, par Mes S. Mennemeyer, P. Rädler et U. Baumann, Rechtsanwälte,

pour Studienstiftung des deutschen Volkes eV, par Me E. Waclawik, Rechtsanwalt, ainsi que par M. G. Thüsing, professeur de droit,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, M. Hellmann et E. Lankenau, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous b), et de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO 2000, L 180, p. 22).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Heiko Jonny Maniero à la Studienstiftung des deutschen Volkes eV (Fondation académique du peuple allemand, ci-après la « Fondation ») au sujet d’une action en cessation et d’interdiction de la discrimination prétendument subie par M. Maniero en raison de son âge ou de son origine.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes des considérants 12 et 16 de la directive 2000/43 :

« (12)

Pour assurer le développement de sociétés démocratiques et tolérantes permettant la participation de tous les individus quelle que soit leur race ou leur origine ethnique, une action spécifique dans le domaine de la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doit aller au-delà de l’accès aux activités salariées et non salariées et s’étendre à des domaines tels que l’éducation, la protection sociale, y compris la sécurité sociale et les soins de santé, les avantages sociaux, l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services.

[...]

(16)

Il importe de protéger toutes les personnes physiques contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. [...] »

4

L’article 2 de cette directive, intitulé « Concept de discrimination », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement”, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique.

2.   Aux fins du paragraphe 1 :

[...]

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires. »

5

L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », énonce, à son paragraphe 1 :

« Dans les limites des compétences conférées à [l’Union européenne], la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

[...]

g)

l’éducation ;

[...] »

Le droit allemand

6

La directive 2000/43 a été transposée dans l’ordre juridique allemand par l’Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (loi générale sur l’égalité de traitement), du 14 août 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1897, ci-après l’« AGG »).

7

Aux termes de l’article 1er de l’AGG, intitulé « Objectif de la loi » :

« La présente loi a pour objectif d’empêcher ou d’éliminer toute discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, le sexe, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’identité sexuelle. »

8

L’article 2 de l’AGG, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« En vertu de la présente loi, les discriminations fondées sur l’un des motifs indiqués à l’article 1er sont illicites en ce qui concerne :

[...]

7)

l’éducation ».

9

L’article 3 de l’AGG, intitulé « Définitions », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Une discrimination directe se produit lorsque, pour l’une des raisons visées à l’article 1er, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se trouvant dans une situation comparable ne l’est, ne l’a été ou ne le serait. [...]

2.   Une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner, pour l’une des raisons visées à l’article 1er, un désavantage particulier pour certaines personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires. »

10

L’article 19 de l’AGG, intitulé « Interdiction de discrimination dans les rapports de droit civil », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Par ailleurs, tout désavantage fondé sur la race ou l’origine ethnique est illicite également lors de la création, de l’exécution ou de la cessation des autres rapports juridiques de droit civil au sens de l’article 2, paragraphe 1, points 5 à 8. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

M. Maniero est un ressortissant italien né en Allemagne et qui y a son domicile. Au cours de l’année 2013, il a obtenu à l’université Haybusak d’Erevan (Arménie) le titre universitaire de Bachelor of Laws.

12

La Fondation est une association enregistrée en Allemagne dont l’objet est de promouvoir, notamment par l’octroi de bourses, l’éducation universitaire de jeunes qui, eu égard à l’importance de leurs talents scientifiques ou artistiques ainsi que de leur personnalité, sont susceptibles de rendre des services particuliers dans l’intérêt général.

13

Par courriel du 11 décembre 2013, M. Maniero a interrogé la Fondation sur les conditions requises pour obtenir une bourse dans le cadre d’un programme de la Fondation dénommé « Bucerius Jura » (ci-après le « programme Bucerius Jura »), qui vise à encourager des projets de recherche ou d’études juridiques à l’étranger.

14

Par courriel du 17 janvier 2014, la Fondation a informé M. Maniero que l’obtention d’une bourse supposait d’avoir passé avec succès le premier examen d’État en droit (Erste Juristische Staatsprüfung).

15

Par un courriel du même jour, le requérant a répondu à la Fondation que le titre universitaire qu’il avait obtenu en Arménie à l’issue de cinq années d’études était comparable au deuxième examen d’État en droit (Zweite Juristische Staatsprüfung), puisqu’il habilitait son titulaire à exercer, dans ce pays tiers, la fonction de juge et la profession d’avocat. Il ajoutait que la condition requise pour obtenir la bourse dans le cadre du programme Bucerius Jura était susceptible de violer le principe général d’égalité de traitement, puisqu’elle constituait une discrimination fondée sur l’origine ethnique ou sociale.

16

M. Maniero n’a pas présenté, dans le délai prévu à cet effet, sa candidature pour l’obtention d’une bourse dans le cadre dudit programme. Lors d’un échange ultérieur de correspondances avec la Fondation, M. Maniero a fait valoir que l’attitude négative de cette dernière l’avait dissuadé de présenter sa candidature.

17

M. Maniero a introduit contre la Fondation un recours aux fins de cessation et d’interdiction de la discrimination à raison de son âge ou de son origine, de paiement de la somme de 18734,60 euros et de constatation de l’obligation de payer des dommages et intérêts supplémentaires au titre des frais de voyage.

18

Les juridictions allemandes de première instance et d’appel n’ayant pas accueilli le recours, M. Maniero a introduit un pourvoi en Revision auprès du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).

19

La juridiction de renvoi considère que la solution du litige dépend, en premier lieu, du point de savoir si l’attribution, par une association enregistrée, de bourses destinées à encourager des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève de la notion d’« éducation », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43. À cet égard, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) relève que la proposition de la Commission européenne à l’origine de cette directive faisait référence à « l’éducation, y compris les allocations et bourses d’études, dans le plein respect de la responsabilité des États membres en ce qui concerne le contenu de l’enseignement et l’organisation des systèmes d’éducation ainsi que leur diversité culturelle et linguistique ». Elle s’interroge ainsi sur les raisons pour lesquelles seul le terme « éducation » a été finalement retenu.

20

En deuxième lieu, en cas de réponse affirmative à la première question, cette juridiction estime que la solution du litige dépend en outre du point de savoir si, dans le cadre de l’attribution de ces bourses, la condition tenant à l’obtention du premier examen d’État en droit institue une discrimination indirecte, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43, à l’encontre d’un citoyen de l’Union ayant obtenu un diplôme comparable en dehors de l’Union, lorsque le choix du lieu d’obtention du diplôme est dépourvu de tout rapport avec l’origine ethnique de l’intéressé et que celui-ci, domicilié en Allemagne et ayant une maîtrise courante de la langue allemande, aurait eu la possibilité de suivre des études de droit en Allemagne et d’y passer le premier examen d’État en droit.

21

Certes, ainsi que le prétend M. Maniero, une telle condition aurait pour effet de désavantager les personnes d’origine ethnique étrangère disposant d’un diplôme équivalent acquis à l’étranger, dans le cas où celles-ci n’auraient pas pu étudier en Allemagne, à tout le moins pas avec facilité.

22

Toutefois, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) nourrit des doutes quant à la question de savoir si M. Maniero appartient à un tel groupe désavantagé. En effet, selon cette juridiction, d’une part, il maîtrise parfaitement l’allemand, réside en Allemagne et pouvait donc étudier sans difficulté dans cet État membre. En outre, son choix d’obtenir un diplôme en Arménie aurait été sans rapport avec son origine ethnique.

23

D’autre part, cette juridiction relève que, ainsi qu’il résulte du point 60 de l’arrêt du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:480), la notion de « discrimination fondée sur l’origine ethnique », visée à l’article 1er et à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/43, a vocation à s’appliquer indifféremment, selon que la mesure concernée touche les personnes qui ont une certaine origine ethnique ou celles qui, sans posséder ladite origine, subissent, conjointement avec les premières, le désavantage particulier résultant de cette mesure.

24

En troisième lieu, dans l’affirmative, se poserait alors, selon cette juridiction, la question de savoir si l’objectif de politique éducative poursuivi par le programme Bucerius Jura, non rattaché à des critères discriminatoires, constitue une justification objective, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43.

25

Selon la teneur de l’appel à candidatures, le programme Bucerius Jura viserait, par le soutien qu’il apporte à des projets de recherche ou d’études à l’étranger, à aider des diplômés particulièrement qualifiés ayant étudié le droit en Allemagne à acquérir une connaissance des systèmes juridiques étrangers, une expérience à l’étranger et des connaissances linguistiques. Or, cet objectif ne se rattachant à aucun critère discriminatoire, la juridiction de renvoi estime que la pratique de la Fondation ne constituerait pas une discrimination indirecte.

26

C’est dans ces circonstances que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’attribution par une association enregistrée de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève-t-elle de la notion d’“éducation” au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive [2000/43] ?

2)

Dans l’hypothèse où il conviendrait de répondre par l’affirmative à la première question :

Dans le cadre de l’attribution des bourses évoquées dans la première question préjudicielle, la condition de participation tenant au premier examen d’État en droit obtenu en Allemagne constitue-t-elle une discrimination indirecte d’un candidat au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive [2000/43] lorsque le candidat qui est un citoyen de l’Union a, certes, obtenu un diplôme comparable dans un État ne faisant pas partie de l’Union européenne, sans que le choix de ce lieu de diplôme n’ait de rapport avec l’origine ethnique du candidat, mais que celui-ci avait, en raison de son domicile en Allemagne et de sa maîtrise courante de la langue allemande, tout comme un national, la possibilité de passer, après des études de droit en Allemagne, le premier examen d’État en droit ?

À cet égard, cela fait-il une différence que ce programme de bourses, sans se rattacher à des critères discriminatoires, poursuit l’objectif d’aider, en soutenant un projet de recherche ou d’études à l’étranger, les diplômés ayant suivi des études de droit en Allemagne à acquérir la connaissance de systèmes juridiques étrangers, une expérience à l’étranger et des connaissances linguistiques ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

27

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43 doit être interprété en ce sens que l’attribution par une fondation privée de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève de la notion d’« éducation », au sens de cette disposition.

28

À titre liminaire, il importe de relever, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, que le programme Bucerius Jura a pour objet essentiel de favoriser l’accès à des projets de recherche ou d’études juridiques universitaires à l’étranger, au moyen de l’attribution aux participants de prestations financières comportant une bourse complète mensuelle de 1000 euros ou, si les études se font en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, de 1500 euros, une allocation unique de départ de 500 euros, le remboursement des frais de voyage ainsi qu’une allocation au titre des droits d’inscription à hauteur maximale de 12500 euros, les droits d’inscription étant intégralement pris en charge jusqu’à concurrence de 5000 euros et, au-delà, à hauteur de 50 %.

29

Partant, il y a lieu de vérifier si la notion d’« éducation », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43, inclut l’accès à l’éducation et, dans l’affirmative, si des bourses, telles que celles accordées dans le cadre du programme Bucerius Jura, sont susceptibles de relever de cette notion.

30

À cet égard, il convient de rappeler que, en l’absence de toute définition, dans la directive 2000/43, de la notion d’« éducation », la détermination de la signification et de la portée de ce terme doit être établie, selon une jurisprudence constante de la Cour, conformément au sens habituel de celui-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2014, Deckmyn et Vrijheidsfonds, C‑201/13, EU:C:2014:2132, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

31

Tout d’abord, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 22 et 23 de ses conclusions, le terme « éducation » s’entend, au sens habituel dans le langage courant, comme visant les actes ou les processus par lesquels sont transmis ou acquis, notamment, des informations, connaissances, compréhensions, attitudes, valeurs, aptitudes, compétences ou comportements.

32

Or, s’il ne fait pas de doute que relèvent de la notion d’« éducation », au sens habituel dans le langage courant, les recherches et les études juridiques universitaires auxquels le programme Bucerius Jura vise à favoriser l’accès, force est de constater que cette notion ne comprend pas, par elle-même, de prime abord, l’accès à l’éducation ni l’octroi de prestations financières telles que celles en cause au principal.

33

Ensuite, en ce qui concerne le contexte réglementaire dans lequel est utilisée la notion d’« éducation », il importe de relever que celle-ci figure à l’article 3 de la directive 2000/43. Or, cet article est relatif au champ d’application matériel de cette directive dont l’objet est, conformément à son article 1er, d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

34

Enfin, s’agissant des objectifs poursuivis par cette directive, le considérant 16 de celle-ci énonce qu’il importe de protéger toutes les personnes physiques contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique.

35

En ce qui concerne spécifiquement le champ d’application matériel de la directive 2000/43, il ressort du considérant 12 de celle-ci que, pour assurer le développement de sociétés démocratiques et tolérantes permettant la participation de tous les individus quelle que soit leur race ou leur origine ethnique, une action spécifique dans le domaine de la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doit notamment s’étendre à des domaines tels que ceux énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive (arrêts du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn, C‑391/09, EU:C:2011:291, point 41, ainsi que du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 40).

36

Partant, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, eu égard à l’objet de la directive 2000/43 et à la nature des droits qu’elle vise à protéger ainsi qu’au fait que cette directive n’est que l’expression, dans le domaine considéré, du principe d’égalité qui est l’un des principes généraux du droit de l’Union, reconnu à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le champ d’application de ladite directive ne peut être défini de manière restrictive (arrêts du 12 mai 2011Runevič-Vardyn et Wardyn, C‑391/09, EU:C:2011:291, point 43, ainsi que du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 42).

37

Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 32 et 34 de ses conclusions, une interprétation téléologique de la notion d’« éducation », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43, exige, premièrement, que l’accès à l’éducation soit considéré comme étant l’un des aspects essentiels de cette notion, dès lors qu’il ne saurait y avoir éducation sans possibilité d’accéder à celle-ci et que, partant, l’objectif de cette directive, qui est de lutter contre la discrimination dans le domaine de l’éducation, ne pourrait être atteint si la discrimination était autorisée au stade de l’accès à l’éducation.

38

Deuxièmement, les coûts liés à la participation à un projet de recherche ou à un programme éducatif doivent être considérés comme relevant des composantes de l’accès à l’éducation ainsi incluses dans la notion d’« éducation » dans la mesure où la disponibilité des ressources financières nécessaires à une telle participation est susceptible de conditionner l’accès audit projet ou programme.

39

Partant, il convient de considérer que des prestations financières sous forme de bourses relèvent de la notion d’« éducation », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43, lorsqu’il existe un lien suffisamment étroit entre ces prestations financières et la participation à un projet de recherche ou à un programme éducatif spécifique relevant lui-même de cette notion. Tel est le cas, notamment, lorsque ces prestations financières sont liées à la participation des candidats potentiels à un tel projet de recherche ou d’études, qu’elles ont pour objectif de lever tout ou partie des obstacles financiers potentiels à cette participation et qu’elles sont aptes à atteindre cet objectif.

40

Or, sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi, tel semble être le cas des bourses en cause au principal, dans la mesure où celles-ci semblent être de nature à lever tout ou partie des obstacles financiers potentiels à la participation à des projets de recherches ou à des programmes d’études juridiques universitaires à l’étranger, en contribuant à permettre aux candidats concernés de faire face aux coûts de voyage et de vie plus élevés résultant du déplacement à l’étranger ainsi qu’aux droits d’inscription liés auxdits projets de recherche ou programmes éducatifs.

41

Contrairement à ce que font valoir la Fondation et le gouvernement allemand, ces constatations ne sont infirmées ni par des considérations tirées de la genèse de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43 ni par l’économie de cette disposition.

42

En effet, d’une part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 43 de ses conclusions, la genèse de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43 ne fait pas apparaître de manière univoque que la suppression, au cours de la procédure législative, des termes « y compris les allocations et bourses d’études, dans le plein respect de la responsabilité des États membres en ce qui concerne le contenu de l’enseignement et l’organisation des systèmes d’éducation ainsi que leur diversité culturelle et linguistique », qui figuraient dans la proposition initiale de la Commission à l’origine de cette directive, aurait été motivée par la volonté du législateur de l’Union de restreindre le champ d’application de cette disposition.

43

D’autre part, comme l’a relevé Mme l’avocat général aux points 44 et 45 de ses conclusions, ni la circonstance que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/43 précise la portée de la plupart des notions qui y sont énumérées par des éléments complémentaires ni le fait que la formation professionnelle est expressément visée à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de cette directive n’imposent une interprétation restrictive de la notion d’« éducation », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de ladite directive, qui irait à l’encontre des objectifs de cette dernière, tels que rappelés aux points 34 à 36 du présent arrêt.

44

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43 doit être interprété en ce sens que l’attribution par une fondation privée de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève de la notion d’« éducation », au sens de cette disposition, lorsqu’il existe un lien suffisamment étroit entre les prestations financières attribuées et la participation à ces projets de recherche ou d’études relevant eux-mêmes de cette même notion d’« éducation ». Tel est le cas, notamment, lorsque ces prestations financières sont liées à la participation des candidats potentiels à un tel projet de recherche ou d’études, qu’elles ont pour objectif de lever tout ou partie des obstacles financiers potentiels à cette participation et qu’elles sont aptes à atteindre cet objectif.

Sur la seconde question

45

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43 doit être interprété en ce sens que le fait pour une fondation privée établie dans un État membre de réserver l’attribution de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études juridiques à l’étranger aux candidats ayant réussi, dans cet État membre, un examen de droit, tel que celui en cause au principal, constitue une discrimination indirecte en raison de la race ou de l’origine ethnique, au sens de cette disposition.

46

Aux termes de cet article, une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée, par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.

47

La notion de « désavantage particulier », au sens de cette disposition, doit être comprise comme signifiant que ce sont particulièrement les personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée qui, du fait de la disposition, du critère ou de la pratique en cause, se trouvent désavantagées (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 100, et du 6 avril 2017, Jyske Finans, C‑668/15, EU:C:2017:278, point 27).

48

Une telle notion ne s’applique donc que si la mesure prétendument discriminatoire a pour effet de désavantager une origine ethnique en particulier. En outre, l’existence d’un traitement défavorable ne saurait être constatée de manière générale et abstraite, mais doit l’être de manière spécifique et concrète, au regard du traitement favorable en cause (arrêt du 6 avril 2017, Jyske Finans, C‑668/15, EU:C:2017:278, points 31 et 32).

49

En l’occurrence, il est constant que le groupe favorisé par la Fondation en ce qui concerne l’attribution des bourses en cause au principal comprend les personnes satisfaisant à la condition d’avoir passé avec succès le premier examen d’État en droit, alors que le groupe défavorisé se compose de l’ensemble des personnes ne remplissant pas cette condition.

50

Or, force est de constater que, à l’instar des circonstances prévalant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 avril 2017, Jyske Finans (C‑668/15, EU:C:2017:278), aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne permet de considérer que les personnes appartenant à une ethnie donnée seraient davantage affectées par ladite condition tenant à l’obtention du premier examen d’État en droit que celles appartenant à d’autres ethnies.

51

Partant, la constatation d’une discrimination indirecte en raison d’une telle condition apparaît, en tout état de cause, exclue.

52

Il s’ensuit qu’il convient de répondre à la seconde question que l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43 doit être interprété en ce sens que le fait pour une fondation privée établie dans un État membre de réserver l’attribution de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études juridiques à l’étranger aux candidats ayant réussi, dans cet État membre, un examen de droit, tel que celui en cause au principal, ne constitue pas une discrimination indirecte en raison de la race ou de l’origine ethnique, au sens de cette disposition.

Sur les dépens

53

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, doit être interprété en ce sens que l’attribution par une fondation privée de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève de la notion d’« éducation », au sens de cette disposition, lorsqu’il existe un lien suffisamment étroit entre les prestations financières attribuées et la participation à ces projets de recherche ou d’études relevant eux-mêmes de cette même notion d’« éducation ». Tel est le cas, notamment, lorsque ces prestations financières sont liées à la participation des candidats potentiels à un tel projet de recherche ou d’études, qu’elles ont pour objectif de lever tout ou partie des obstacles financiers potentiels à cette participation et qu’elles sont aptes à atteindre cet objectif.

 

2)

L’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43 doit être interprété en ce sens que le fait pour une fondation privée établie dans un État membre de réserver l’attribution de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études juridiques à l’étranger aux candidats ayant réussi, dans cet État membre, un examen de droit, tel que celui en cause au principal, ne constitue pas une discrimination indirecte en raison de la race ou de l’origine ethnique, au sens de cette disposition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.