CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 30 avril 2019 ( 1 )
Affaires jointes C‑708/17 et C‑725/17
« EVN Bulgaria Toplofikatsia » EAD
contre
Nikolina Stefanova Dimitrova
[demande de décision préjudicielle formée par le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad, Bulgarie)]
et
« Toplofikatsia Sofia » EAD
contre
Mitko Simeonov Dimitrov
en présence de
« Termokomplekt » OOD
[demande de décision préjudicielle formée par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie)]
« Renvoi préjudiciel – Chauffage urbain – Immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur – Protection des consommateurs – Directive 2011/83/UE – Article 27 – Fourniture non demandée –Réglementation nationale prévoyant que les copropriétaires sont tenus de contribuer aux frais de chauffage, même s’ils ne l’utilisent pas dans leur appartement – Efficacité énergétique – Directive 2006/32/CE – Article 13, paragraphe 2 – Directive 2012/27/UE – Article 10, paragraphe 1 – Facturation de l’énergie fondée sur la consommation réelle – Réglementation nationale prévoyant qu’une partie des frais de chauffage est répartie entre les copropriétaires selon le volume chauffé de leur appartement »
I. Introduction
1. |
Par deux demandes de décision préjudicielle, le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad, Bulgarie) et le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie) ont déféré à la Cour plusieurs questions portant, en substance, sur la compatibilité de la réglementation bulgare en matière de fourniture d’énergie thermique avec la directive 2011/83/UE ( 2 ) relative aux droits des consommateurs ainsi qu’avec la directive 2006/32/CE ( 3 ) relative à l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques et la directive 2012/27/UE ( 4 ) relative à l’efficacité énergétique. |
2. |
Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, la société EVN Bulgaria Toplofikatsia EAD (ci‑après « EVN ») à Mme Nikolina Stefanova Dimitrova et, d’autre part, la société Toplofikatsia Sofia EAD à M. Mitko Simeonov Dimitrov concernant le refus de ces particuliers de régler leurs factures de chauffage. Ceux‑ci contestent les factures en cause en soutenant que, si leur immeuble est alimenté par un réseau de chaleur, ils n’ont pas consenti à recevoir le chauffage urbain et ne l’utilisent pas dans leurs appartements respectifs. |
3. |
Les nombreuses questions posées par les juridictions de renvoi concernent essentiellement deux problématiques. D’une part, ces juridictions s’interrogent sur le point de savoir si la réglementation bulgare, dans la mesure où elle prévoit que les copropriétaires d’immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur sont tenus de contribuer aux frais de chauffage même si, à l’instar de Mme Dimitrova et de M. Dimitrov, ils ne l’utilisent pas dans leur appartement, impose aux particuliers dans leur situation d’accepter une fourniture non demandée de chauffage urbain, contraire à l’article 27 de la directive 2011/83. |
4. |
D’autre part, le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad) s’interroge sur la compatibilité de la réglementation en question, en ce qu’elle prévoit qu’une partie de ces frais est répartie entre les copropriétaires selon le volume chauffé de leur appartement, avec les dispositions des directives 2006/32 et 2012/27 obligeant les États membres à s’assurer, dans certaines circonstances, que la facturation de l’énergie adressée aux clients finals soit « fondée sur la consommation réelle ». |
5. |
Dans les présentes conclusions, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, à mon sens, les directives 2011/83, 2006/32 et 2012/27 ne s’opposent pas à pareille réglementation nationale. |
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. Le droit de la consommation
6. |
L’article 3 de la directive 2011/83, intitulé « Champ d’application », dispose : « 1. La présente directive s’applique, dans les conditions et dans la mesure prévues par ses dispositions, à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. Elle s’applique également aux contrats portant sur la fourniture d’eau, de gaz, d’électricité ou de chauffage urbain, y compris par des fournisseurs publics, dans la mesure où ces biens sont fournis sur une base contractuelle. [...] 5. La présente directive n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive. [...] » |
7. |
L’article 27 de cette directive, intitulé « Vente forcée », dispose : « Le consommateur est dispensé de l’obligation de verser toute contreprestation en cas de fourniture non demandée d’un bien, d’eau, de gaz, d’électricité, de chauffage urbain ou de contenu numérique, ou de prestation non demandée de services, en violation de l’article 5, paragraphe 5, et de l’annexe I, point 29, de la directive 2005/29/CE[ ( 5 )]. Dans ces cas, l’absence de réponse du consommateur dans un tel cas de fourniture ou de prestation non demandée ne vaut pas consentement. » |
8. |
L’annexe I de la directive 2005/29, intitulée « Pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances », mentionne, à son point 29, le fait d’« [e]xiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandés, ou exiger leur renvoi ou leur conservation [...] (fournitures non demandées) ». |
2. Les directives relatives à l’efficacité énergétique
9. |
La directive 2006/32 a été remplacée, avec effet au 5 juin 2014, par la directive 2012/27 ( 6 ). Néanmoins, compte tenu des périodes couvertes par les faits des affaires au principal, ces deux directives leur sont applicables. |
10. |
L’article 13 de la directive 2006/32, intitulé « Relevé et facturation explicative de la consommation d’énergie », disposait : « 1. Les États membres veillent à ce que dans la mesure où cela est techniquement possible, financièrement raisonnable et proportionné compte tenu des économies d’énergie potentielles, les clients finals dans les domaines de l’électricité, du gaz naturel, du chauffage et/ou du refroidissement urbain(s) et de la production d’eau chaude à usage domestique reçoivent à un prix concurrentiel des compteurs individuels qui mesurent avec précision leur consommation effective et qui fournissent des informations sur le moment où l’énergie a été utilisée. Lorsqu’un compteur existant est remplacé, de tels compteurs individuels à prix concurrentiel sont toujours fournis à moins que cela ne soit techniquement impossible ou non rentable compte tenu des économies d’énergie potentielles estimées à long terme. Dans le cas d’un nouveau raccordement dans un nouveau bâtiment ou lorsqu’un bâtiment fait l’objet de travaux de rénovation importants au sens de la directive 2002/91/CE[ ( 7 )], de tels compteurs individuels à prix concurrentiel doivent toujours être fournis. 2. Les États membres veillent à ce que, le cas échéant, les factures établies par les distributeurs d’énergie, les gestionnaires de réseaux de distribution et les entreprises de vente d’énergie au détail soient fondées sur la consommation réelle d’énergie et présentées de façon claire et compréhensible. [...] [...] » |
11. |
L’article 9 de la directive 2012/27, intitulé « Relevés », reprend, à son paragraphe 1, les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/32. Le paragraphe 3 de cet article 9 prévoit : « Lorsqu’un bâtiment est alimenté en chaleur et en froid ou en eau chaude par un réseau de chaleur ou par une installation centrale desservant plusieurs bâtiments, un compteur de chaleur ou d’eau chaude est installé sur l’échangeur de chaleur ou au point de livraison. Dans les immeubles comprenant plusieurs appartements et les immeubles mixtes équipés d’une installation centrale de chaleur/froid ou alimentés par un réseau de chaleur ou une installation centrale desservant plusieurs bâtiments, des compteurs individuels de consommation sont également installés d’ici au 31 décembre 2016 pour mesurer la consommation de chaleur, de froid ou d’eau chaude de chaque unité, lorsque cela est techniquement possible et rentable. Lorsqu’il n’est pas rentable ou techniquement possible d’utiliser des compteurs individuels pour mesurer la consommation de chaleur, des répartiteurs des frais de chauffage individuels sont utilisés pour mesurer la consommation de chaleur à chaque radiateur, à moins que l’État membre en question ne démontre que l’installation de tels répartiteurs n’est pas rentable. Dans ces cas, d’autres méthodes rentables permettant de mesurer la consommation de chaleur peuvent être envisagées. Lorsque des immeubles comprenant plusieurs appartements sont alimentés par un réseau de chaleur ou de froid ou lorsque de tels bâtiments sont principalement alimentés par des systèmes de chaleur ou de froid collectifs, les États membres peuvent introduire des règles transparentes concernant la répartition des frais liés à la consommation thermique ou d’eau chaude dans ces immeubles, afin d’assurer une comptabilisation transparente et exacte de la consommation individuelle. Au besoin, ces règles comportent des orientations en ce qui concerne la répartition des frais liés à la consommation de chaleur et/ou d’eau chaude comme suit :
|
12. |
L’article 10 de la directive 2012/27, intitulé « Informations relatives à la facturation », prévoit, à son paragraphe 1 : « Lorsque les clients finals ne disposent pas des compteurs intelligents visés dans les directives 2009/72/CE[ ( 8 )] et 2009/73/CE[ ( 9 )], les États membres veillent à ce que, au plus tard le 31 décembre 2014, les informations relatives à la facturation soient précises et fondées sur la consommation réelle, conformément à l’annexe VII, point 1.1, pour tous les secteurs relevant de la présente directive, y compris les distributeurs d’énergie, les gestionnaires de réseaux de distribution et les entreprises de vente d’énergie au détail, lorsque cela est techniquement possible et économiquement justifié. [...] » |
13. |
Le point 1.1 de l’annexe VII de la directive 2012/27, intitulé « Facturation fondée sur la consommation réelle », énonce : « Afin de permettre au client final de réguler sa propre consommation d’énergie, la facturation devrait être établie au moins une fois par an sur la base de la consommation réelle [...]. » |
B. Le droit bulgare
14. |
L’article 133, paragraphe 2, du zakon za energetikata (loi sur l’énergie) ( 10 ) dispose que « [l]e raccordement des installations des clients dans un immeuble en copropriété s’effectue avec le consentement écrit de propriétaires représentant au moins les deux tiers de la propriété de l’immeuble en copropriété ». |
15. |
L’article 142, paragraphe 2, de cette loi prévoit que « [l]’énergie thermique destinée au chauffage d’un immeuble en copropriété se subdivise en chaleur émise par l’installation intérieure, en énergie thermique destinée au chauffage des parties communes et en énergie thermique destinée au chauffage des biens individuels ». |
16. |
L’article 149 a, paragraphe 1, de ladite loi énonce que « [l]es clients d’énergie thermique dans un immeuble en copropriété peuvent acheter de l’énergie thermique d’un fournisseur choisi avec l’accord écrit de copropriétaires représentant au moins les deux tiers de la propriété de l’immeuble en copropriété ». |
17. |
L’article 149 b de la même loi précise le contenu du contrat écrit prévu en cas de vente d’énergie thermique par un fournisseur à des clients résidant dans un immeuble en copropriété. |
18. |
Aux termes de l’article 153, paragraphes 1, 2 et 6, de la loi sur l’énergie : « 1. Tous les propriétaires et titulaires d’un droit réel portant sur l’usage d’un bien dans un immeuble en copropriété raccordé à la sous‑station d’abonné ou à une branche autonome de celle‑ci sont des clients d’énergie thermique et sont tenus d’installer des appareils pour la répartition de la consommation d’énergie thermique, visés à l’article 140, paragraphe 1, point 2, sur les émetteurs de chaleur qui se trouvent dans leur bien et de payer les frais relatifs à la consommation d’énergie thermique dans les conditions et suivant les modalités établies par l’arrêté concerné, visé à l’article 36, paragraphe 3. 2. Lorsque les propriétaires qui représentent au moins les deux tiers de la propriété de l’immeuble en copropriété et qui sont raccordés à la sous‑station d’abonné ou à une branche autonome de celle‑ci ne souhaitent pas être des clients d’énergie thermique destinée au chauffage ou à l’eau chaude, ils sont tenus de le déclarer par écrit auprès de l’entreprise de transport d’énergie thermique et de demander la cessation de l’approvisionnement en énergie thermique destinée au chauffage ou à l’eau chaude de cette sous‑station d’abonnée ou d’une branche autonome de celle‑ci. [...] 6. Les clients résidant dans un immeuble en copropriété qui coupent l’alimentation d’énergie thermique des émetteurs de chaleur qui se trouvent dans leur bien demeurent des clients d’énergie thermique pour ce qui concerne la chaleur émise par l’installation intérieure et par les émetteurs de chaleur situés dans les parties communes du bâtiment. » |
19. |
Le naredba za toplosnabdyavaneto (arrêté sur le chauffage urbain), no 16‑334 du 6 avril 2007, prévoit les modalités et conditions techniques relatives au chauffage urbain, à la gestion opérationnelle du système de chauffage, au raccordement des producteurs et des clients au réseau de chaleur, à la distribution, à la suspension et à la suppression du raccordement au chauffage urbain. |
20. |
Il ressort de l’article 61, paragraphe 1, de cet arrêté que, pour les immeubles en copropriété, la répartition de la consommation d’énergie thermique entre les copropriétaires/clients d’énergie doit être effectuée conformément aux règles prévues par la méthodologie figurant en annexe dudit arrêté (ci‑après la « méthodologie prévue par l’arrêté sur le chauffage urbain »). |
21. |
Le point 6. 1. 3. de la méthodologie prévue par l’arrêté sur le chauffage urbain énonce que « [l]a quantité d’énergie thermique […] émise par l’installation intérieure est répartie proportionnellement au volume chauffé des biens selon le projet de construction ». |
III. Les litiges au principal et les questions préjudicielles
A. Affaire C‑708/17
22. |
Mme Dimitrova est propriétaire d’un appartement dans un immeuble en copropriété situé dans la ville de Plovdiv (Bulgarie). Cet immeuble est équipé d’une installation intérieure de chauffage et d’eau chaude ( 11 ) raccordée à un réseau de chauffage urbain ( 12 ). EVN fournit audit immeuble, par ce réseau, l’énergie thermique utilisée pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire. |
23. |
Une société tierce, chargée du relevé et de la répartition, entre les différents copropriétaires, de la consommation d’énergie thermique de l’immeuble en question, a attribué à l’appartement de Mme Dimitrova, en application de la méthodologie prévue par l’arrêté sur le chauffage urbain, une consommation d’une valeur de 266,25 leva bulgares (BGN) (environ 136 euros) pour la période allant du 1er novembre 2012 au 30 avril 2015. |
24. |
Mme Dimitrova n’ayant pas réglé cette somme, EVN a déposé, le 12 juillet 2016, une demande d’injonction de payer devant le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad), à laquelle cette juridiction a fait droit. |
25. |
Mme Dimitrova a formé opposition à cette injonction. EVN a alors introduit un recours devant la même juridiction, tendant à faire constater sa créance ainsi qu’à condamner l’intéressée au paiement d’intérêts de retard et d’intérêts légaux. Mme Dimitrova conteste, dans ce cadre, la créance en question. Celle‑ci soutient, notamment, qu’il n’existe pas de rapport d’obligation entre elle et EVN. Mme Dimitrova conteste également les factures qui lui ont été adressées, au motif qu’elles ne reflètent pas sa consommation réelle d’énergie thermique, contrairement à ce que prévoit l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32. |
26. |
Dans ces conditions, le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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B. Affaire C‑725/17
27. |
M. Dimitrov est propriétaire d’un appartement dans un immeuble en copropriété situé dans la ville de Sofia (Bulgarie). Cet immeuble est équipé d’une installation intérieure de chauffage et d’eau chaude raccordée à un réseau de chauffage urbain. Toplofikatsia Sofia fournit audit immeuble, via ce réseau, l’énergie thermique utilisée pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire. |
28. |
Toplofikatsia Sofia a attrait M. Dimitrov devant le Sofiyski Rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) afin de faire constater l’existence d’une créance correspondant à la fourniture de chaleur pour la période allant du 1er mai 2014 au 30 avril 2016 ainsi qu’aux frais de la société « Termokomplekt » OOD ayant effectué le relevé et la répartition de la consommation d’énergie thermique de l’immeuble. M. Dimitrov fait valoir, dans ce cadre, qu’il n’y pas de rapport d’obligation entre lui et Toplofikatsia Sofia, dès lors qu’ils n’ont pas signé de contrat écrit et qu’il n’utilise pas le chauffage urbain dans son appartement. |
29. |
Dans ces conditions, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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IV. La procédure devant la Cour
30. |
Les décisions de renvoi sont datées du 6 décembre 2017 (C‑708/17) et du 5 décembre 2017 (C‑725/17). Elles sont parvenues à la Cour, respectivement, le 19 et le 27 du même mois. |
31. |
Par décision du président de la Cour en date du 8 février 2018, les affaires C‑708/17 et C‑725/17 ont été jointes, compte tenu de leur connexité, aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt. |
32. |
EVN, Toplofikatsia Sofia, Mme Dimitrova, le gouvernement lituanien et la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Les mêmes parties, à l’exception du gouvernement lituanien, ont été représentées lors de l’audience de plaidoirie qui s’est tenue le 12 décembre 2018. |
V. Analyse
A. Sur la compétence de la Cour et la recevabilité des questions préjudicielles
33. |
EVN fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la troisième question préjudicielle posée par le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad) dans l’affaire C‑708/17. En effet, par cette question, cette juridiction demanderait à la Cour non pas d’interpréter le droit de l’Union, mais de constater l’existence d’une pratique commerciale déloyale, exercice qui serait du ressort des institutions nationales. |
34. |
Je ne partage pas ce point de vue. À mon sens, rien n’empêche une juridiction nationale de demander à la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, de se prononcer sur la qualification d’une situation factuelle donnée en tant que pratique commerciale déloyale, au sens de la directive 2005/29, pour autant que celle‑ci procède à la constatation et à l’appréciation des faits nécessaires. En effet, la qualification au regard du droit de l’Union de faits établis par une juridiction nationale suppose une interprétation de ce droit pour laquelle, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente ( 13 ). |
35. |
EVN conteste, par ailleurs, la recevabilité de l’ensemble des questions préjudicielles posées par le Sofiyski Rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) dans l’affaire C‑725/17. Selon cette société, cette juridiction n’a pas formulé de question sur laquelle la Cour pourrait se prononcer. Ladite juridiction n’aurait pas non plus donné d’explications quant aux raisons l’ayant conduite à s’interroger sur la portée des dispositions de droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ou sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige dont elle est saisie. |
36. |
À mes yeux, cette objection doit également être écartée. Les questions du Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) concernent, en substance, l’interprétation de la directive 2011/83. Cette juridiction a indiqué, dans sa décision de renvoi, les raisons pour lesquelles cette directive est pertinente pour le litige dont elle est saisie et a expliqué avoir des doutes quant à la compatibilité des dispositions de la loi sur l’énergie avec, notamment, l’article 27 de ladite directive. Ses questions satisfont donc aux exigences applicables en matière de recevabilité ( 14 ). |
B. Sur le fond
1. Considérations liminaires
37. |
Les présentes affaires portent, en substance, sur la répartition des frais de chauffage dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chauffage urbain ( 15 ). |
38. |
Mme Dimitrova et M. Dimitrov sont propriétaires d’appartements faisant partie de pareils immeubles. Les sociétés requérantes au principal, EVN et Toplofikatsia Sofia, sont les distributeurs d’énergie ( 16 ) fournissant à ces immeubles, par les réseaux de chaleur auxquels ils sont raccordés, l’énergie thermique utilisée pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire. Cette énergie est distribuée au sein desdits immeubles grâce à une installation intérieure de chauffage et d’eau chaude composée d’une sous‑station d’abonné ( 17 ) et d’un ensemble de conduits et d’installations de distribution, y compris des colonnes montantes traversant chaque appartement. |
39. |
La fourniture de chauffage et d’eau chaude sanitaire est réglementée, en Bulgarie, par la loi sur l’énergie et l’arrêté sur le chauffage urbain. Cette réglementation prévoit que, lorsqu’un immeuble est alimenté par un réseau de chaleur, chacun des copropriétaires dont l’appartement est raccordé à l’installation intérieure de chauffage et d’eau chaude est tenu de contribuer aux frais correspondant à l’énergie thermique fournie à cet immeuble ( 18 ). |
40. |
À cet égard, ladite réglementation énonce que ces frais sont répartis entre les copropriétaires en séparant l’énergie thermique utilisée comme eau chaude sanitaire et celle destinée au chauffage, cette dernière énergie se subdivisant elle‑même en chaleur émise par l’installation intérieure (c’est-à-dire les pertes de chaleur du réseau de distribution interne), chaleur utilisée pour le chauffage des parties communes (cages d’escalier, halls d’entrée, caves communes, etc.) et chaleur utilisée pour le chauffage des parties privatives ( 19 ). Tandis que le chauffage et l’eau chaude utilisés dans les parties privatives sont facturés en fonction de la consommation effective de chacun, la chaleur émise par l’installation intérieure et celle utilisée pour le chauffage des parties communes sont réparties entre les copropriétaires selon le volume chauffé de leur appartement tel qu’indiqué dans le projet de construction de l’immeuble ( 20 ). |
41. |
Mme Dimitrova et M. Dimitrov n’utilisent pas le chauffage et l’eau chaude sanitaires collectifs dans leur appartement et contestent le fait d’être, malgré cela, tenus de contribuer aux frais du chauffage utilisé dans l’immeuble, en particulier à ceux correspondant à la chaleur émise par l’installation intérieure ( 21 ). Ils avancent, à cet égard, que les dispositions de la loi sur l’énergie sont contraires au droit de la consommation de l’Union (section 2). |
42. |
Par ailleurs, Mme Dimitrova conteste la règle de répartition des frais relatifs à la chaleur émise par l’installation intérieure prévue par l’arrêté sur le chauffage urbain qui, fondée sur le critère du volume chauffé des appartements, ne tient pas compte de la quantité d’énergie effectivement consommée par chaque copropriétaire, contrairement aux exigences imposées par la réglementation de l’Union en matière d’efficacité énergétique (section 3). |
43. |
Je précise, pour finir, que les présentes affaires sont loin d’être isolées. La question de la contribution aux frais de chauffage urbain des copropriétaires ayant renoncé à l’utiliser dans leur appartement génère, selon les informations contenues dans les décisions de renvoi et celles fournies par les parties, un contentieux de masse devant les tribunaux bulgares. Ce contentieux trahit une véritable crise sociale liée au prix de l’énergie en Bulgarie. Une partie significative du parc immobilier bulgare consiste en des immeubles mal isolés sur le plan thermique, construits avant 1989, à une époque où le prix de l’énergie était étroitement contrôlé par l’État. Depuis lors, selon les statistiques évoquées par la Commission, ce prix a été multiplié par 25 dans cet État membre, si bien que le chauffage urbain est devenu inabordable pour de nombreux foyers. |
2. Sur la directive 2011/83 (deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑708/17 et ensemble des questions dans l’affaire C‑725/17)
44. |
Les deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑708/17 ainsi que l’ensemble des questions dans l’affaire C‑725/17 concernent, en substance, la compatibilité des dispositions de la loi sur l’énergie réglementant la fourniture d’énergie thermique dans les immeubles en copropriété avec le droit de la consommation de l’Union. Ces dispositions peuvent être résumées comme suit. |
45. |
Le raccordement de l’installation intérieure d’un immeuble en copropriété à un réseau de chaleur nécessite le consentement écrit des copropriétaires représentant au moins les deux tiers de la propriété de l’immeuble en question ( 22 ). Ce raccordement donne lieu à un contrat ( 23 ) et la fourniture d’énergie thermique à l’immeuble est soumise à des conditions générales ( 24 ). |
46. |
Lorsqu’un immeuble est raccordé à un réseau de chaleur, l’article 153, paragraphe 1, de la loi sur l’énergie prévoit que tous les propriétaires (ou titulaires d’un droit réel de type usufruit ou droit d’usage sur) des parties privatives connectées à l’installation intérieure sont des clients d’énergie thermique. En cette qualité, ils sont tenus de contribuer aux frais correspondant à l’énergie thermique utilisée dans l’immeuble, dans les conditions et suivant les modalités prévues par l’arrêté sur le chauffage urbain. Il en est ainsi également pour les propriétaires, tels Mme Dimitrova et M. Dimitrov, qui ne faisaient pas partie de la copropriété au moment où la décision de raccordement a été prise. |
47. |
Chaque copropriétaire peut faire le choix de ne pas utiliser dans son appartement l’énergie thermique ainsi fournie en éteignant ses radiateurs ( 25 ). En revanche, conformément à l’article 153, paragraphe 6, de la loi sur l’énergie, les copropriétaires qui ont renoncé au chauffage dans leur appartement demeurent tenus de s’acquitter d’une partie des frais de chauffage de l’immeuble, à savoir ceux correspondant à la chaleur émise par l’installation intérieure et à celle utilisée pour le chauffage des parties communes. Il en va ainsi jusqu’à la suppression du raccordement de l’immeuble au réseau de chaleur (impliquant la résiliation du contrat de fourniture de chauffage urbain), laquelle réclame également l’accord écrit des copropriétaires représentant au moins les deux tiers de la propriété de l’immeuble en question ( 26 ). Il est constant qu’une telle décision n’a pas été prise par les copropriétés des immeubles en cause dans les affaires au principal. |
48. |
Mme Dimitrova et M. Dimitrov, rejoints par les juridictions de renvoi, considèrent cette situation incompatible avec le droit de la consommation de l’Union, en particulier avec l’article 27 de la directive 2011/83. Ils estiment notamment que la loi sur l’énergie impose aux copropriétaires n’utilisant pas le chauffage urbain dans leur appartement une « fourniture non demandée » de ce chauffage, au sens de cette disposition. Or, ladite disposition prévoit, en la matière, un recours contractuel (remedy) : un consommateur confronté à une telle fourniture « est dispensé de l’obligation de verser toute contre-prestation ». Mme Dimitrova et M. Dimitrov ne devraient donc pas être tenus de contribuer aux frais de chauffage de leurs immeubles. |
49. |
Les critiques de Mme Dimitrova et de M. Dimitrov se concentrent sur les paragraphes 1 et 6 de l’article 153 de la loi sur l’énergie. D’une part, est en cause le fait que, conformément au premier paragraphe, l’obligation pour chaque copropriétaire de contribuer aux frais de chauffage et d’eau chaude collectifs ne fait pas suite à la conclusion d’un contrat entre celui‑ci et le distributeur, mais existe du seul fait de la détention de la propriété d’un appartement connecté à l’installation intérieure. En particulier, les propriétaires qui ne faisaient pas partie de la copropriété à l’époque où la décision de raccordement de l’immeuble au réseau de chaleur a été prise n’auraient jamais « demandé » à bénéficier du chauffage urbain. D’autre part, ils contestent le fait que le second paragraphe contraigne les copropriétaires ayant éteint ou enlevé les radiateurs de leur appartement à contribuer aux frais de chauffage de l’immeuble, alors que, en agissant de la sorte, ils auraient clairement indiqué leur volonté de renoncer au chauffage urbain. |
50. |
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu, selon moi, afin de fournir une réponse utile aux juridictions de renvoi, de regrouper et de reformuler les deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑708/17 ainsi que l’ensemble des questions dans l’affaire C‑725/17 en une question unique, consistant à savoir si la directive 2011/83 s’oppose à une réglementation nationale prévoyant que, dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur, les copropriétaires sont tenus de contribuer aux frais de chauffage de l’immeuble, bien qu’ils n’aient pas individuellement demandé la fourniture de chauffage urbain et même s’ils ne l’utilisent pas dans leur appartement. |
51. |
Il conviendrait, en principe, avant de se prononcer sur cette question, de vérifier si la directive 2011/83 est applicable dans les affaires au principal ( 27 ). À cet égard, je rappelle que, comme le prévoit son article 3, paragraphe 1, cette directive s’applique, dans les conditions et dans la mesure prévues par ses dispositions, à « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur », dont les « contrats portant sur la fourniture d’eau, de gaz, d’électricité ou de chauffage urbain, y compris par des fournisseurs publics, dans la mesure où ces biens sont fournis sur une base contractuelle ». En outre, ladite directive s’applique, conformément à son article 28, paragraphe 2, uniquement aux « contrats conclus après le 13 juin 2014 ». |
52. |
Néanmoins, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de se pencher en profondeur sur cette problématique dans la présente affaire. À cet égard, il ressort des décisions de renvoi que, en droit bulgare, la fourniture de chauffage et d’eau chaude sanitaire aux immeubles en copropriété par un réseau de chaleur donne lieu à un contrat, que la copropriété est une communauté dépourvue de la personnalité juridique ( 28 ) et que chaque copropriétaire est considéré comme le client final tenu au paiement des frais de l’énergie thermique utilisée dans l’immeuble ( 29 ). Dès lors, il est possible de procéder sur la prémisse qu’il existe bien, aux fins de la directive 2011/83, un « contrat portant sur la fourniture de chauffage urbain » liant un « professionnel » (le fournisseur/distributeur) et un « consommateur » (chaque copropriétaire), et que cette directive est applicable ratione temporis ( 30 ), sans devoir aborder en détail ces différents aspects, et ce d’autant plus que, à mes yeux, ladite directive ne s’oppose manifestement pas à une réglementation telle que l’article 153, paragraphes 1 et 6, de la loi sur l’énergie. |
53. |
À cet égard, je rappelle, en premier lieu, que, comme le précise son article 3, paragraphe 5, la directive 2011/83 « n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive» ( 31 ). |
54. |
Or, les paragraphes 1 et 6 de l’article 153 de la loi sur l’énergie concernent, précisément, la formation, la validité et les effets du contrat de fourniture d’énergie à l’égard de chaque copropriétaire et les modalités de résiliation de ce contrat ( 32 ). Ils prévoient, en substance, que chaque copropriétaire est lié au distributeur d’énergie et qu’il est tenu, à ce titre, de contribuer aux frais de chauffage (jusqu’à ce que le raccordement ait été résilié par l’accord d’une majorité qualifiée des copropriétaires). En somme, il existe, conformément à ces dispositions, tant que cette décision de mettre fin au raccordement n’a pas été prise, un contrat valide et effectif entre, d’une part, Mme Dimitrova et M. Dimitrov et, d’autre part, les distributeurs. Les dispositions de la directive 2011/83 ne sauraient remettre en cause cet état de fait, dès lors que la formation, la validité et les effets des contrats ne sont précisément pas, en principe, des questions harmonisées par cette directive ( 33 ). Celle‑ci n’impose donc pas, en principe, d’exigences de fond ou de forme pour la conclusion et la validité d’un tel contrat ou encore sa résiliation ( 34 ). |
55. |
J’admets que le simple constat du caractère limité de l’harmonisation effectuée par la directive 2011/83 ne suffit pas pour répondre à la question posée. En effet, l’article 27 de cette directive relatif aux fournitures non demandées porte, dans une certaine mesure, sur la formation des rapports contractuels ( 35 ). |
56. |
À ce sujet, je rappelle, en second lieu, que, s’agissant de la notion de « fourniture non demandée », l’article 27 de la directive 2011/83 renvoie à l’annexe I, point 29, de la directive 2005/29 ( 36 ). Ce point définit la « fourniture non demandée » comme étant le fait, pour un professionnel, notamment, d’exiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandés. Cet article 27 précise également que l’absence de réponse du consommateur en cas de fourniture non demandée ne vaut pas consentement ( 37 ). |
57. |
En droit de l’Union, les fournitures non demandées avaient initialement donné lieu à une disposition de la directive 97/7/CE concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance ( 38 ), que la directive 2011/83 a remplacé. L’idée était de lutter contre la pratique consistant, pour un professionnel, à envoyer à un consommateur un produit donné en indiquant que, si celui‑ci n’était pas réexpédié dans un délai déterminé, le professionnel considérera que son offre de vente a été acceptée et réclamera au consommateur le paiement du prix – en d’autres termes, à forcer le consentement du consommateur à l’achat. En dispensant ce dernier de toute contre‑prestation en cas de fourniture non demandée et en précisant que son silence ne vaut pas consentement, l’article 27 de la directive 2011/83 interdit qu’un contrat se forme valablement consécutivement à une telle pratique. Dans cette mesure, cette disposition harmonise le droit national des contrats ( 39 ). |
58. |
Cela étant, l’une des conditions essentielles de la qualification de fourniture non demandée, au sens de l’article 27 de la directive 2011/83, est le fait que la fourniture en cause n’a pas été préalablement et expressément sollicitée par le consommateur. En outre, cette disposition vise à empêcher un professionnel d’imposer au consommateur une relation contractuelle. |
59. |
Or, en l’occurrence, d’une part, la fourniture d’énergie décriée n’a pas été effectuée à l’initiative d’un professionnel mais conformément aux prescriptions du législateur bulgare. Aux termes de la loi sur l’énergie, le distributeur d’énergie thermique est tenue de raccorder les clients qui le demandent au réseau de chaleur ( 40 ) et d’alimenter en énergie thermique les immeubles raccordés. Je doute fort qu’une fourniture effectuée au titre d’une obligation légale puisse être qualifiée de « fourniture non demandée », au sens de l’article 27 de la directive 2011/83 ( 41 ). |
60. |
D’autre part, et en tout état de cause, la fourniture de chauffage résulte bien d’une demande expresse et préalable. Chaque copropriétaire est lié au distributeur dès lors qu’une majorité qualifiée d’entre eux a expressément consenti, par écrit, à cette fourniture. En réalité, Mme Dimitrova et M. Dimitrov contestent le fait qu’une certaine majorité des copropriétaires puisse engager l’ensemble d’entre eux (y compris les personnes devenant propriétaires par la suite) et que la même majorité soit nécessaire pour renoncer à toute fourniture d’énergie thermique dans l’immeuble. |
61. |
L’article 153, paragraphes 1 et 6, de la loi sur l’énergie, loin d’instituer une fourniture non demandée, s’inscrit dans le cadre d’une « situation de groupe » complexe, la copropriété des biens immeubles. À cet égard, je rappelle que les immeubles soumis au statut de la copropriété, tels que ceux en cause dans les affaires au principal, comportent des parties privatives faisant l’objet d’un droit de propriété exclusive et des parties communes soumises à un régime d’indivision forcée, dont chaque copropriétaire possède nécessairement une quote‑part. Les parties communes sont en principe indissociables et affectées à l’usage et à l’utilité de tous, et sont partant soumises à une administration organisée sur la base de décisions prises à une certaine majorité des copropriétaires ( 42 ). Un tel régime est indispensable pour permettre une gestion efficace de ces parties communes : une règle d’unanimité rendrait celle‑ci impraticable. |
62. |
Or, l’installation intérieure de chauffage et d’eau chaude est, précisément, une partie commune de la copropriété ( 43 ). La fourniture de chauffage et d’eau chaude sanitaire dans l’immeuble, puisqu’elle implique l’utilisation de cette installation intérieure, est un service collectivement offert aux copropriétaires et, partant, une question relevant de la copropriété dans son ensemble. La « demande » de chauffage urbain repose, logiquement, sur une décision de cette dernière ( 44 ). |
63. |
Par ailleurs, une fois cette décision prise, il est également logique que chaque copropriétaire soit tenu de contribuer aux frais correspondant aux pertes de l’installation intérieure et à la consommation de chaleur des autres parties communes de l’immeuble : en sa qualité de propriétaire indivis de ces parties, il est également « consommateur » de cette chaleur ( 45 ). Peu importe, à cet égard, qu’il entende chauffer son appartement par ses propres moyens sans recourir au chauffage collectif, qu’il n’occupe pas les lieux ou qu’il ait enlevé ses radiateurs ( 46 ). |
64. |
Il en est de même s’agissant des propriétaires entrés dans la copropriété après que la décision de raccordement de l’immeuble au chauffage urbain a été prise. Le principe selon lequel les nouveaux copropriétaires sont liés par les décisions prises par la copropriété, y compris le raccordement au chauffage urbain, tend à assurer la stabilité de la copropriété – à défaut, n’importe quelle décision de celle-ci serait remise en cause à chaque transfert de propriété dans l’immeuble. Du reste, les personnes achetant un appartement sont avisées du fait que l’immeuble en question est alimenté par un réseau de chaleur et que certaines charges sont associées aux parties communes qu’elles acquièrent avec cet appartement ( 47 ). En outre, les conditions générales applicables au chauffage urbain sont connues du public ( 48 ). |
65. |
Dans ce cadre, on ne saurait déduire de l’article 27 de la directive 2011/83, comme semblent le faire Mme Dimitrova et M. Dimitrov, qu’un consommateur doit toujours consentir individuellement à la livraison de tout bien ou la fourniture de tout service, et doit pouvoir individuellement résilier le contrat prévoyant cette livraison ou cette fourniture. Je considère que la directive 2011/83 ne s’oppose pas à ce que, dans certaines situations complexes, impliquant une forme de communauté de consommateurs et un bien ou un service qui leur est collectivement fourni, le consentement donné par certains d’entre eux engage les autres ( 49 ), y compris les nouveaux membres de cette communauté, dans les conditions prévues par le droit national des États membres. Cette directive, ou le droit de l’Union en général, ne règle simplement pas ces questions particulières. |
66. |
Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑708/17 et à l’ensemble des questions dans l’affaire C‑725/17 que la directive 2011/83 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant que, dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur, les copropriétaires sont tenus de contribuer aux frais de chauffage de l’immeuble, bien qu’ils n’aient pas individuellement demandé la fourniture de chauffage urbain et même s’ils ne l’utilisent pas dans leur appartement. |
3. Sur les directives relatives à l’efficacité énergétique (première question dans l’affaire C‑708/17)
67. |
La première question posée par le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad) dans l’affaire C‑708/17 concerne la méthode de répartition, entre les copropriétaires d’un immeuble alimenté par un réseau de chaleur, des frais correspondant à l’énergie thermique consommée dans cet immeuble. Le libellé de cette question vise la directive 2006/32. Néanmoins, dès lors que la créance contestée par Mme Dimitrova porte sur l’énergie thermique fournie entre le 1er novembre 2012 et le 30 avril 2015 ( 50 ) et que cette directive a été remplacée par la directive 2012/27 à compter du 5 juin 2014, il y a lieu d’y répondre à l’aune de ces deux directives ( 51 ). |
68. |
Ainsi qu’il a été indiqué au point 40 des présentes conclusions, la réglementation bulgare prévoit que les frais correspondant à la chaleur émise par l’installation intérieure (soit, je le rappelle, les pertes du réseau de distribution interne) sont répartis entre les copropriétaires proportionnellement au volume chauffé de leur appartement. |
69. |
Mme Dimitrova avance que cette règle de répartition n’est pas conforme aux exigences résultant de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32, remplacé par l’article 10, paragraphe 1, et l’annexe VII, point 1.1, de la directive 2012/27. |
70. |
À cet égard, l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 imposait aux États membres de veiller à ce que, le cas échéant, les factures adressées aux clients finals d’énergie soient notamment « fondées sur la consommation réelle ». L’article 10, paragraphe 1, et l’annexe VII, point 1.1, de la directive 2012/27 réitèrent cette obligation, en précisant qu’elle devait être mise en œuvre par les États membres au plus tard le 31 décembre 2014 pour tous les secteurs relevant de cette directive lorsque cela est techniquement possible et économiquement justifié ( 52 ). |
71. |
Or, selon Mme Dimitrova, la règle de répartition des frais relatifs à la chaleur émise par l’installation intérieure prévue par l’arrêté sur le chauffage urbain a pour conséquence que le montant facturé aux copropriétaires au titre de cette chaleur ne dépend pas de la quantité d’énergie thermique potentiellement ou effectivement émise (ou plutôt perdue) par l’installation intérieure dans leur appartement – et, donc, « réellement consommée » par chaque copropriétaire ( 53 ). Le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad) tend à partager cet avis. |
72. |
Cette juridiction interroge donc la Cour, en substance, sur le point de savoir si l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 et l’article 10, paragraphe 1, et l’annexe VII, point 1.1, de la directive 2012/27 s’opposent à pareille règle de répartition. Elle demande également si la réponse à cette question dépend du point de savoir s’il est techniquement possible ou non de déterminer la quantité de chaleur effectivement émise par l’installation intérieure dans chaque appartement. |
73. |
À mon sens, il y a lieu de répondre à ladite question par la négative. À cet égard, j’estime opportun de revenir sur les conditions dans lesquelles la facturation fondée sur la consommation réelle doit être mise en place et sur les techniques sur lesquelles elle repose en ce qui concerne la fourniture de chaleur dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur (en premier lieu) puis, s’agissant des situations où cette méthode de facturation est imposée, sur l’étendue de cette obligation (en second lieu). |
74. |
En premier lieu, ainsi que je l’ai rappelé, l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 imposait aux États membres de veiller à ce que « le cas échéant » la facturation de l’énergie aux clients finals soit fondée sur la consommation réelle. L’article 10, paragraphe 1, et l’annexe VII, point 1.1, de la directive 2012/27 indiquent quant à eux que cette facturation devait être mise en œuvre « lorsque cela est techniquement possible et économiquement justifié ». Ces conditions doivent, à mon sens, être lues à la lumière des dispositions relatives au relevé des consommations d’énergie, figurant à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/32 et à l’article 9 de la directive 2012/27. |
75. |
À cet égard, l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/32 et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2012/27 envisagent, en des termes quasi identiques, que des compteurs individuels permettant de mesurer la consommation effective des clients finals d’énergie soient installés par ceux-ci. Le degré d’exigence en la matière varie en fonction du type de bâtiments en cause : leur installation est imposée pour les nouveaux bâtiments ou ceux faisant l’objet de travaux de rénovation importants, tandis que, pour les bâtiments existants, cette installation est conditionnée à ce qu’elle soit techniquement possible, financièrement raisonnable et proportionnée compte tenu des économies potentielles ( 54 ). |
76. |
Le législateur de l’Union est venu clarifier ( 55 ), à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2012/27, la manière de mettre en œuvre cette mesure s’agissant de la consommation de chauffage, de refroidissement et d’eau chaude sanitaire notamment dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur. |
77. |
Cette disposition précise ainsi que, dans pareils immeubles, d’une part, un compteur de chaleur ou d’eau chaude doit être installé sur l’échangeur de chaleur ou au point de livraison ( 56 ). D’autre part, les États membres doivent veiller à ce que soient installés pour le 31 décembre 2016 au plus tard des compteurs individuels de consommation pour mesurer la consommation de chaleur, de froid ou d’eau chaude de chaque unité « lorsque cela est techniquement possible et rentable ». À défaut, des répartiteurs de frais de chauffage ( 57 ) doivent être utilisés pour mesurer la consommation de chaleur à chaque radiateur, « à moins que l’État membre en question ne démontre que l’installation de tels répartiteurs n’est pas rentable» ( 58 ). Dans ce dernier cas, d’autres méthodes rentables permettant de mesurer la consommation de chaleur peuvent être envisagées. |
78. |
Il en ressort que, en ce qui concerne le chauffage dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur, la facturation fondée sur la consommation réelle, visée à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 et à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2012/27, doit être mise en place pour les occupants disposant d’instruments permettant de déterminer cette consommation, dans les conditions prévues à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/32 et à l’article 9, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/27. Cette méthode de facturation repose sur la mesure des compteurs thermiques individuels ou, à défaut, sur les relevés des répartiteurs de frais de chauffage situés dans les parties privatives ( 59 ). |
79. |
En l’occurrence, il est constant que de tels instruments étaient installés dans les appartements de Mme Dimitrova et de M. Dimitrov ( 60 ). Ils doivent donc bénéficier d’une facture fondée sur leur consommation réelle d’énergie thermique ( 61 ). |
80. |
Cela étant, en second lieu, je suis d’avis que ni l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 ni l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2012/27 n’imposent que, lorsque cette méthode de facturation est imposée, la facture d’énergie thermique des clients finals dépende uniquement de la consommation réelle. |
81. |
En effet, contrairement, à ce qu’affirme Mme Dimitrova, ces dispositions ne posent pas un principe selon lequel chaque client final d’énergie ne devrait payer que ce qu’il a effectivement consommé. Leur libellé se borne à indiquer que la facturation doit être « fondée sur » la consommation réelle. Cette exigence doit, selon moi, être lue à la lumière des objectifs de ces directives et de la genèse de ces dispositions. |
82. |
À cet égard, je rappelle que les directives 2006/32 et 2012/27 ont pour objectif, notamment, d’améliorer l’efficacité énergétique dans l’Union, en particulier au stade des utilisations finales ( 62 ). Elles s’inscrivent dans la lignée de deux recommandations du Conseil ( 63 ) et d’une première directive ( 64 ) tendant à promouvoir le recours, en ce qui concerne la répartition des frais de chauffage, de refroidissement et d’eau chaude sanitaire dans les immeubles en copropriété équipés d’installations collectives, à des règles tenant compte de la consommation effective de chaque occupant. En effet, la corrélation établie entre la consommation individuelle effective et la facturation incite chacun à adopter des comportements énergétiquement efficients ( 65 ) afin de diminuer la première et de réduire d’autant la seconde. |
83. |
La facturation fondée sur la consommation réelle, telle qu’envisagée à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 et à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2012/27, n’est donc pas une fin en soi : cette méthode de facturation a pour objectif d’inciter les occupants d’immeubles en copropriété à adopter des comportements énergétiquement efficients, afin d’obtenir des économies d’énergie au stade de l’utilisation finale. Pareil objectif implique qu’une partie de la facture d’énergie thermique des clients finals dépende de leur consommation effective, celle correspondant à l’usage qu’ils font des radiateurs de leur appartement, c’est‑à‑dire à leur comportement individuel ( 66 ). |
84. |
En revanche, répartir l’intégralité de l’énergie thermique consommée dans un immeuble à ses différents copropriétaires selon les données fournies par les compteurs individuels ou les répartiteurs de leurs appartements irait au‑delà de ce que réclame l’objectif d’économie d’énergie poursuivi. Surtout, une telle règle de répartition serait inéquitable et de nature à compromettre la réalisation de cet objectif sur le long terme. |
85. |
En effet, d’une part, ainsi que l’ont souligné Toplofikatsia Sofia, EVN, le gouvernement lituanien et la Commission, les différents appartements dans les immeubles en copropriété ne sont pas indépendants sur le plan thermique. La chaleur circule, dans une certaine mesure, entre les cloisons des appartements adjacents, des locaux où la température est la plus importante vers ceux où la température est inférieure, de sorte que la consommation de chacun est influencée par le comportement de chauffage des autres ( 67 ). Une répartition des frais de chauffage fondée uniquement sur la consommation individuelle serait ainsi de nature à inciter certains occupants, dont les appartements sont par exemple situés en milieu d’immeuble, à éteindre leurs radiateurs pendant toute la saison de chauffage et à dépendre exclusivement de la chaleur provenant de leurs voisins, ce qui entraînerait des coûts supplémentaires pour ces derniers. |
86. |
En outre, la consommation individuelle dans les appartements dépend de leur emplacement dans l’immeuble. À cet égard, certains appartements sont susceptibles d’être naturellement plus froids et de réclamer davantage de chaleur pour atteindre une température donnée que d’autres, à volume égal, en raison de leur emplacement défavorable – par exemple, ceux situés au dernier étage, au premier étage au‑dessus d’un parking, d’un hall d’entrée ou d’un autre local non chauffé, au coin de l’immeuble, ou encore orientés plein nord. Il serait ainsi inéquitable de répartir l’énergie thermique consommée dans un immeuble en copropriété uniquement au regard de la consommation individuelle. |
87. |
D’autre part, faire dépendre l’intégralité de la facture d’énergie de la consommation individuelle risquerait de rendre plus difficile l’adoption de mesures permettant d’améliorer l’efficacité énergétique globale du bâtiment, telles que des travaux de rénovations majeurs, et d’obtenir ainsi des économies d’énergie significatives à long terme. En effet, pareilles mesures réclament, en règle générale, une décision de l’assemblée des copropriétaires. Or, la manière de répartir les frais de chauffage entre ceux-ci a un impact direct sur les incitations de chacun à prendre une telle décision et à supporter les coûts de ces travaux. Une répartition fondée uniquement, ou dans une mesure trop importante, sur la consommation individuelle incitera les occupants en situation énergétique favorable – ayant, par exemple, un appartement idéalement situé en milieu d’immeuble, bénéficiant de la chaleur provenant des appartements adjacents et subissant peu de pertes vers l’extérieur – à ne pas s’engager dans cette voie, contrairement aux propriétaires d’appartements moins performants sur le plan énergétique, lesquels risquent de se retrouver en minorité ( 68 ). |
88. |
Comme le soulignent la Commission, EVN et Toplofikatsia Sofia, il est partant usuel, dans les États membres, que la facture de chauffage dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur ou une installation collective contienne une part variable, dépendant de la consommation réelle mesurée ou des relevés des répartiteurs des parties privatives, et une part fixe, allouée à chaque copropriétaire selon des critères indépendants de ces données. Cette part fixe reflète ainsi le fait qu’une partie du chauffage utilisé dans l’immeuble ne dépend pas du comportement individuel de chacun de ses occupants. Tel est le cas non seulement des transferts de chaleur évoqués précédemment, mais également de la chaleur émise par l’installation intérieure, toile de fond des présentes affaires (ou encore de celle utilisée dans les parties communes). |
89. |
Dans ce contexte, l’article 9, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 2012/27 prévoit que, pour ces immeubles, les États membres peuvent introduire des règles transparentes concernant la répartition des frais liés à la consommation thermique ou d’eau chaude, afin d’assurer une comptabilisation transparente et exacte de la consommation individuelle. Cette disposition précise encore que, au besoin, ces règles comportent des orientations en ce qui concerne la répartition des frais liés à la consommation de chaleur et/ou d’eau chaude utilisée en tant que (a) eau chaude sanitaire, (b) chaleur rayonnée par l’installation du bâtiment et aux fins du chauffage des zones communes (lorsque les cages d’escalier et les couloirs sont équipés de radiateurs) et (c) chauffage des appartements. |
90. |
Ainsi qu’il ressort de cette disposition, l’introduction de telles règles de répartition est facultative ( 69 ). Les États membres sont ainsi libres de prévoir pareilles règles ou de laisser la décision quant au niveau de la part fixe et de la part variable à la liberté contractuelle des copropriétés, ou encore d’adopter un cadre général laissant une marge de manœuvre à ces dernières. |
91. |
En outre, quant au contenu de ces éventuelles règles, ainsi que l’ont souligné EVN, Toplofikatsia Sofia et le gouvernement lituanien, l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2012/27 laisse à chaque État membre le choix, pour autant que les règles adoptées soient « transparentes ». Les États membres disposent donc d’une large marge d’appréciation. Ainsi, la Bulgarie a retenu une répartition fondée sur une division entre la consommation dans les parties privatives, mesurée à l’aide de compteurs ou de répartiteurs, et une part fixe séparant la chaleur des parties communes et celle émise par l’installation intérieure, répartie selon le volume chauffé de chaque appartement. En revanche, la plupart des États membres ont choisi une méthode consistant à répartir entre les copropriétaires un pourcentage donné de la consommation d’ensemble de l’immeuble (par exemple, 30 %) en fonction d’un critère tel que le volume ou la surface de chaque appartement (sans distinction entre la chaleur émise dans les parties communes et celle émise par l’installation intérieure) tandis que le pourcentage restant dépend des relevés des compteurs ou répartiteurs. Ces différentes méthodes sont, selon moi, compatibles avec les directives 2006/32 et 2012/27 ( 70 ). |
92. |
Enfin, contrairement à ce que semble penser Mme Dimitrova ( 71 ), la facturation fondée sur la consommation réelle n’implique pas que les critères choisis par les États membres pour répartir la part fixe de la facture d’énergie thermique – en l’occurrence, les frais relatifs à la chaleur émise par l’installation intérieure – reflètent le plus fidèlement possible la consommation réelle. S’agissant de la partie de la facture ne dépendant pas des relevés des instruments situés dans les parties privatives, les États membres sont, à mon sens, libres de la répartir selon le critère qu’ils jugent approprié, tel que la surface utile (en m2) de chaque local ou son volume chauffé (en m3). En d’autres termes, le législateur bulgare n’avait pas à retenir un critère reflétant la chaleur effectivement émise par l’installation intérieure dans chaque appartement – à supposer même que cette donnée soit techniquement mesurable ( 72 ). |
93. |
Cela étant, la réalisation de l’objectif poursuivi par la règle de facturation fondée sur la consommation réelle, telle que prévue à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 et à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2012/27, implique, selon moi, que la part variable soit significative. Cela est, en effet, essentiel pour inciter le développement de comportements énergétiques efficients. |
94. |
En résumé, je suis d’avis que ces dispositions imposent aux États membres de veiller à ce qu’une partie de la facture dépende de la consommation réelle, et que cette partie soit suffisante pour entraîner les changements comportementaux recherchés par ces dispositions ( 73 ). |
95. |
Il ressort des considérations qui précèdent que, à mon sens, les règles prévues par la loi sur l’énergie et l’arrêté sur le chauffage urbain respectent les exigences en matière de relevé et de facturation de l’énergie prévues par les directives 2006/32 et 2012/27. D’une part, comme le soulignent EVN et Toplofikatsia Sofia, la loi sur l’énergie prévoit l’installation de compteurs d’énergie thermique au niveau de la sous‑station de chaque bâtiment et de compteurs individuels ou de répartiteurs de frais de chauffage dans chaque appartement pour le chauffage et de compteurs pour l’eau chaude sanitaire ( 74 ). Les factures comportent une part variable, correspondant à la consommation dans les parties privatives, se fondant sur la consommation réelle de chaque copropriétaire, mesurée par ces compteurs individuels ou estimée grâce aux répartiteurs, et cette part variable est, en moyenne, significative ( 75 ). D’autre part, le législateur bulgare a prévu des règles de répartition qui satisfont à l’exigence de transparence figurant à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2012/27 : elles définissent clairement la manière dont l’énergie consommée dans l’immeuble est déterminée et les critères selon lesquels les frais correspondants sont répartis entre les copropriétaires. |
96. |
Par conséquent, je suggère à la Cour de répondre à la première question dans l’affaire C‑708/17 que l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/32 ainsi que l’article 10, paragraphe 1, et l’annexe VII, point 1.1, de la directive 2012/27 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale prévoyant que, dans les immeubles en copropriété alimentés par un réseau de chaleur, une partie des frais du chauffage utilisé dans l’immeuble, correspondant à la chaleur émise par l’installation intérieure de chauffage et d’eau chaude, est répartie entre les copropriétaires selon le volume chauffé de leur appartement, indépendamment de la quantité de cette chaleur effectivement émise dans chaque appartement. |
VI. Conclusion
97. |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad, Bulgarie) dans l’affaire C‑708/17 et par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie) dans l’affaire C‑725/17 :
|
( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64).
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative à l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques et abrogeant la directive 93/76/CEE du Conseil (JO 2006, L 114, p. 64).
( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, modifiant les directives 2009/125/CE et 2010/30/UE et abrogeant les directives 2004/8/CE et 2006/32/CE (JO 2012, L 315, p. 1).
( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22).
( 6 ) Sous réserve d’exceptions sans pertinence pour les présentes affaires. Voir article 27, paragraphe 1, et article 28, paragraphe 1, de la directive 2012/27.
( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002 sur la performance énergétique des bâtiments (JO 2003, L 1, p. 65).
( 8 ) Directive du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).
( 9 ) Directive du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94).
( 10 ) DV no 107, du 9 décembre 2003.
( 11 ) Soit un ensemble de conduits et d’installations de distribution et de fourniture d’énergie thermique, y compris des colonnes montantes de chauffage traversant chaque appartement.
( 12 ) Dans les présentes conclusions, les termes « énergie thermique » et « chaleur » seront synonymes, de même que les expressions « réseau de chauffage urbain » et « réseau de chaleur ».
( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981, point 20 et jurisprudence citée). Cela étant, à mon sens, cette question doit être examinée ensemble avec celles portant sur la directive 2011/83 (voir note en bas de page 36 des présentes conclusions).
( 14 ) Exigences figurant notamment à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour.
( 15 ) Comme le prévoit le considérant 25 de la directive 2011/83, le chauffage urbain consiste en la fourniture de chaleur, entre autres sous la forme de vapeur ou d’eau chaude, à partir d’une installation centrale de production à travers un système de transmission et de distribution vers plusieurs bâtiments, aux fins de chauffage.
( 16 ) Au sens de l’article 2, point 20, de la directive 2012/27.
( 17 ) Cette sous‑station comporte l’échangeur où s’effectue le transfert d’énergie entre le réseau de chaleur et le réseau de distribution interne de l’immeuble (voir article 135, paragraphe 1, de la loi sur l’énergie). Elle correspond au point de livraison de la chaleur par les distributeurs et est équipée d’un compteur permettant de mesurer la quantité de chaleur fournie à l’immeuble. Il ressort néanmoins de la décision de renvoi dans l’affaire C‑725/17 que l’immeuble en cause dans cette affaire est un immeuble de grande hauteur, équipé de deux boucles de distribution disposant chacune d’une sous‑station d’abonné.
( 18 ) Voir article 153, paragraphe 1, de la loi sur l’énergie.
( 19 ) Voir article 140 a et article 142, paragraphe 2, de la loi sur l’énergie.
( 20 ) Voir point 6. 1. 3. de la méthodologie prévue par l’arrêté sur le chauffage urbain.
( 21 ) Il est constant que l’affaire C‑708/17 concerne uniquement la chaleur émise par l’installation intérieure. À cet égard, le représentant de Mme Dimitrova a indiqué, lors de l’audience, que l’appartement en cause est actuellement inoccupé et que les parties communes de son immeuble ne sont pas chauffées. La décision de renvoi repose également sur la prémisse selon laquelle Mme Dimitrova aurait fait enlever ses radiateurs. Son représentant a néanmoins indiqué qu’ils sont en place et utilisables. En tout état de cause, ce détail n’a, à mon sens, pas d’influence sur l’interprétation demandée. Les choses sont moins claires s’agissant de M. Dimitrov. La décision de renvoi dans l’affaire C‑725/17 indique que celui‑ci n’utilise pas le chauffage dans son appartement, mais qu’une certaine quantité de chaleur lui a été facturée à ce titre. Cette décision évoque également des frais relatifs à la chaleur émise par l’installation intérieure. Elle mentionne enfin des radiateurs installés dans les parties communes de l’immeuble, tandis que la septième question dans cette affaire repose sur la prémisse selon laquelle il n’y en a pas.
( 22 ) Article 133, paragraphe 2, de la loi sur l’énergie.
( 23 ) Articles 149 a et 149 b de la loi sur l’énergie. Ces dispositions prévoient que l’achat d’énergie thermique, décidé par les copropriétaires, donne lieu à un contrat écrit avec un fournisseur qui, selon ma compréhension, est soit le distributeur d’énergie thermique lui‑même, comme cela semble être le cas dans les affaires au principal (EVN pour Plovdiv et Toplofikatsia Sofia pour Sofia), soit une entreprise tierce ayant elle‑même conclu un contrat avec ce distributeur pour la fourniture de l’énergie achetée.
( 24 ) Article 150 de la loi sur l’énergie. Ces conditions générales sont définies par les distributeurs, sont approuvées par une commission administrative et doivent être publiées dans au moins un quotidien national et un quotidien local.
( 25 ) Voire en recourant à une solution plus radicale consistant à enlever ses radiateurs.
( 26 ) Article 153, paragraphes 2 et 3, de la loi sur l’énergie.
( 27 ) Selon ma compréhension, c’est l’objet des deuxième, troisième et huitième questions préjudicielles dans l’affaire C‑725/17.
( 28 ) Voir également, sur ce point, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:86, point 43).
( 29 ) Voir point 46 des présentes conclusions. Je relève, à cet égard, que le législateur de l’Union est venu, dans la récente directive (UE) 2018/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, modifiant la [directive 2012/27] (JO 2018, L 328, p. 210), qui n’est pas encore applicable, distinguer « clients finals » et « utilisateurs finals ». Les « utilisateurs finals » sont, conformément au nouvel article 10 bis introduit par la directive 2018/2002, notamment, les personnes physiques ou morales qui occupent un bâtiment individuel ou une unité d’un immeuble mixte ou comprenant plusieurs appartements qui est alimenté en chaleur, froid ou eau chaude sanitaire par une installation centrale, et qui n’ont pas de contrat direct ou individuel avec le fournisseur d’énergie. À l’inverse, les « clients finals » sont les personnes directement liées au fournisseur.
( 30 ) Bien que, comme le souligne le gouvernement lituanien, rien ne soit moins sûr eu égard aux périodes des faits des affaires au principal.
( 31 ) Voir également, en ce sens, considérant 14 de la directive 2011/83. De même, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2005/29 dispose que cette dernière directive s’applique sans préjudice du droit des contrats et, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats.
( 32 ) Certes, les paragraphes 1 et 6 de l’article 153 de la loi sur l’énergie ne sont pas, à proprement parler, des « dispositions générales » de droit des contrats, au sens de règles de droit commun applicables à tout type de contrats. Cette objection sous‑tend, il me semble, la première question préjudicielle dans l’affaire C‑725/17. Toutefois, aux fins de l’exclusion prévue à l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2011/83, le caractère général ou spécial de la règle n’importe pas tant que son objet : dès lors qu’une disposition nationale traite d’une question relevant par nature du droit des contrats (formation, validité, cause, objet, etc.), elle ne tombe pas, en principe, dans le champ d’application de cette directive.
( 33 ) Je rappelle, à cet égard, que dans sa proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs [COM (2008) 0614 final], la Commission avait envisagé une harmonisation complète du droit des contrats de consommation. Le législateur de l’Union a finalement procédé à une harmonisation nettement plus limitée, ciblée sur certains contrats particuliers et des questions spécifiques : introduction d’une obligation générale d’information, refonte et uniformisation des obligations d’information et du droit de rétractation en matière de contrats à distance et de contrats hors établissement, etc.
( 34 ) Cette interprétation n’est pas remise en cause par les dispositions évoquées par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) dans sa décision de renvoi. À cet égard, l’article 5, paragraphe 1, sous f), de la directive 2011/83 ne règle pas la question de la rupture du rapport contractuel, mais uniquement l’obligation pour le professionnel de fournir au consommateur l’information quant aux conditions de résiliation du contrat, prévues par le droit national. De même, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2011/83, outre le fait qu’ils s’appliquent respectivement aux contrats hors établissement et aux contrats à distance, et donc pas aux contrats de fourniture de chauffage urbain, se bornent à réglementer la forme dans laquelle cette information doit être fournie.
( 35 ) D’où la précision, figurant à l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2011/83, selon laquelle cette directive n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats « dans la mesure où » les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par ladite directive.
( 36 ) Il n’y a donc pas lieu, à mon sens, de se prononcer de manière autonome sur la directive 2005/29, comme le demande le Rayonen sad Asenovgrad (tribunal d’arrondissement d’Asenovgrad) par sa troisième question. En effet, celle‑ci est posée, il me semble, aux fins de l’application du recours (remedy) prévu à l’article 27 de la directive 2011/83.
( 37 ) L’article 27 de la directive 2011/83 a été transposé en des termes analogues à l’article 62 du zakon za zashtita na potrebitelite (loi relative à la protection des consommateurs) (DV no 99, du 9 décembre 2005).
( 38 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (JO 1997, L 144, p. 19). Il s’agissait de l’article 9 de cette directive.
( 39 ) Du reste, ainsi qu’il a été indiqué au point 48 des présentes conclusions, cet article offre au consommateur un recours (remedy) contractuel.
( 40 ) Voir article 133, paragraphe 1, de la loi sur l’énergie.
( 41 ) Certes, cela soulève la question, inédite, de savoir si l’interdiction des fournitures non demandées, telle que prévue à l’article 27 de la directive 2011/83, est opposable aux législateurs nationaux, c’est‑à‑dire de savoir si ceux-ci pourraient être tenus de ne pas placer les professionnels dans une situation où ils seraient contraints d’imposer aux consommateurs de telles fournitures. Cela étant, la présente affaire ne nécessite pas d’approfondir cette question.
( 42 ) En Bulgarie, les relations juridiques découlant de la propriété immobilière sont régies par le zakon za sobstvenostta (loi sur la propriété). Le zakon za upravlenie na etazhnata sobstvenost (loi sur l’administration des copropriétés d’appartements) définit également les droits et obligations respectifs des propriétaires, usagers et occupants dans le cadre de la gestion du bien détenu en copropriété. Son article 10 désigne l’assemblée générale et un conseil d’administration en tant qu’organes de gestion.
( 43 ) Article 140, paragraphe 3, de la loi sur l’énergie. La même règle figure dans la loi sur la propriété et dans la loi sur l’administration des copropriétés d’appartements.
( 44 ) Il en est de même pour l’ensemble des prestataires intervenant dans les parties communes. On peut ainsi songer au prestataire en charge de la réparation ou de la maintenance de l’installation intérieure, du jardinier entretenant un espace commun, etc. En la matière, il est usuel que chaque copropriétaire soit tenu d’avoir recours aux prestataires désignés par la copropriété et de payer une quote‑part des charges collectives se rapportant à de telles prestations. Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:86, point 43).
( 45 ) Je note que tant le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle, Bulgarie), par l’arrêt no 5 du 22 avril 2010 dans l’affaire constitutionnelle no 15 de 2009, que le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), dans son arrêt interprétatif no 2/2016, du 25 mai 2017, ont jugé, en s’appuyant sur des motifs similaires, qu’il n’y a pas de conflit entre l’article 153, paragraphes 1 et 6, de la loi sur l’énergie et l’article 62 de la loi relative à la protection des consommateurs interdisant les fournitures non demandées.
( 46 ) En outre, une partie de cette chaleur pénètre son appartement. Voir le point 85 des présentes conclusions.
( 47 ) Voir, en ce sens, arrêt no 5 du 22 avril 2010 du Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle).
( 48 ) Voir note en bas de page 24 des présentes conclusions. Au surplus, comme l’a indiqué la Commission lors de l’audience, il est possible pour un copropriétaire, dans certaines conditions, de demander à l’assemblée générale de reconsidérer la question du raccordement de l’immeuble au réseau de chauffage urbain et de contester en justice l’éventuelle décision de cette assemblée.
( 49 ) Sur ce point, il n’importe donc pas de savoir si c’est le groupe dans son ensemble (en l’occurrence, la copropriété) ou chacune des personnes qui le constitue (chaque copropriétaire) qui est le « consommateur » du service ou du produit demandé, au sens de la directive 2011/83.
( 50 ) De même, la créance litigieuse dans l’affaire C‑725/17 porte sur la chaleur fournie entre le 1er mai 2014 et le 30 avril 2016. Or, bien que le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) n’a pas interrogé la Cour sur l’interprétation des directives en matière d’efficacité énergétique, une réponse de sa part sur cette problématique est susceptible d’être utile pour trancher également cette affaire.
( 51 ) Voir point 9 des présentes conclusions. Selon une jurisprudence constante de la Cour, une règle nouvelle du droit de l’Union s’applique, sauf dérogation, immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne [voir, notamment, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a. (C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 53 ainsi que jurisprudence citée)]. Les directives 2006/32 et 2012/27 sont donc toutes deux applicables ratione temporis aux affaires au principal : la première pour l’énergie thermique consommée jusqu’au 5 juin 2014 ; la seconde pour celle consommée à compter de cette date.
( 52 ) L’article 10, paragraphe 1, de la directive 2012/27 précise que cette disposition ne s’applique pas aux clients finals disposant des compteurs intelligents visés dans les directives 2009/72 et 2009/73 concernant respectivement l’électricité et le gaz naturel. Cette précision ne concerne donc pas la fourniture de chaleur.
( 53 ) Mme Dimitrova soutient qu’il serait possible de donner une estimation précise de la chaleur émise par l’installation intérieure dans chaque appartement en déterminant, au cas par cas, si les colonnes de cette installation traversent effectivement l’appartement en cause et, le cas échéant, en s’attachant aux caractéristiques techniques des tuyaux traversant cet appartement, en particulier à leur isolation (de nature à empêcher tout transfert de chaleur) et à leur surface chauffante (plus la surface du tuyau est importante, compte tenu notamment de son diamètre, plus la quantité de chaleur émise est grande).
( 54 ) L’idée est de tenir compte de la configuration des bâtiments existants et d’introduire un rapport coût/efficacité. Il s’agit d’apprécier si le coût des modifications qu’il serait nécessaire d’apporter aux installations des immeubles existants, et notamment anciens, pour mettre en œuvre la mesure individuelle de la consommation est proportionné aux économies d’énergie susceptibles d’être réalisées grâce à cette mesure. Voir considérant 30 de la directive 2012/27 ainsi que Robinson, S. et Vogt, G., Guidelines on good practice in cost‑effective cost allocation and billing of individual consumption of heating, cooling and domestic hot water in multi‑apartment and multi‑purpose buildings, Support for the implementation of Articles 9‑11 of Directive 2012/27/EU on energy efficiency with respect to thermal energy supplied from collective systems, Empirica GmbH, Bonn, décembre 2016.
( 55 ) Voir considérants 32 et 33 de la directive 2012/27.
( 56 ) C’est-à-dire au niveau de la sous-station (voir note en bas de page 17 des présentes conclusions).
( 57 ) Contrairement à un compteur d’énergie thermique, un répartiteur de frais de chauffage ne mesure pas la quantité de chaleur effectivement fournie à un appartement, mais donne seulement une grandeur représentative de celle‑ci, en intégrant dans le temps la différence de température entre un point de surface du radiateur sur lequel il est fixé et la température ambiante de la pièce.
( 58 ) Ainsi que je l’ai indiqué, ces conditions de faisabilité et de rentabilité visent à tenir compte des installations existantes et du coût qu’impliquerait leur éventuelle modification. Ainsi, l’installation de compteurs individuels nécessiterait dans certains cas de remplacer l’ensemble de l’installation intérieure d’un immeuble, de tels compteurs ne pouvant notamment pas être installés dans les systèmes de distribution à colonnes verticales. Dans ces immeubles, il est permis d’installer, à la place, des répartiteurs sur chaque radiateur. Pareils répartiteurs ne peuvent toutefois pas, quant à eux, être installés dans les bâtiments où le chauffage fonctionne sans radiateur ou surface d’échange thermique sur laquelle les placer. En toute hypothèse, l’installation d’instruments permettant de déterminer la consommation individuelle n’est pas utile dans les immeubles dont les occupants ne peuvent contrôler leurs radiateurs. Voir considérants 28 et 29 de la directive 2012/27 ainsi que Robinson, S. et Vogt, G., op. cit..
( 59 ) Cela est confirmée par la nouvelle directive 2018/2002, qui a introduit dans la directive 2012/27 un article 10 bis, portant spécifiquement sur la facturation de la consommation de chaleur, de froid et d’eau chaude sanitaire, et précisant, à son paragraphe 1, que « [l]orsque des compteurs ou des répartiteurs de frais de chauffage sont installés, les États membres veillent à ce que les informations relatives à la facturation et à la consommation soient [...] fondées sur la consommation réelle ou sur les relevés des répartiteurs » (souligné par mes soins).
( 60 ) Il ressort des décisions de renvoi qu’un « compteur thermique » se trouve dans l’appartement de la première tandis que des répartiteurs sont installés dans l’appartement du second.
( 61 ) Il n’est pas nécessaire de trancher, dans la présente affaire, la question de la date exacte à laquelle la facturation fondée sur la consommation réelle est devenue obligatoire dans leurs immeubles en vertu du droit de l’Union.
( 62 ) Voir considérants 1 à 3 et 32 de la directive 2006/32 et considérants 2 et 60 de la directive 2012/27.
( 63 ) Recommandations 76/493/CEE du Conseil, du 4 mai 1976, concernant l’utilisation rationnelle de l’énergie dans les installations de chauffage des bâtiments existants (JO 1976, L 140, p. 12) et 77/712/CEE du Conseil, du 25 octobre 1977, concernant le réglage du chauffage, la production d’eau chaude sanitaire et la mesure des quantités de chaleur dans les nouveaux immeubles (JO 1977, L 295, p. 1).
( 64 ) Directive 93/76/CEE du Conseil, du 13 septembre 1993, visant à limiter les émissions de dioxyde de carbone par une amélioration de l’efficacité énergétique (Save) (JO 1993, L 237, p. 28).
( 65 ) Par exemple, ne pas ouvrir les fenêtres afin d’aérer tout en laissant les radiateurs allumés, réduire la température des pièces, notamment celles non occupées ou pendant la nuit, etc. Voir considérants 29 de la directive 2006/32 et 30 à 33 de la directive 2012/27.
( 66 ) La directive 93/76 imposait ainsi que la facturation de l’énergie soit fondée « dans une proportion appropriée » sur la base de la consommation réelle (voir onzième considérant et article 3 de cette directive).
( 67 ) Selon EVN, la donnée de facturation, prévue par la loi sur l’énergie, correspondant à la chaleur émise par l’installation intérieure, engloberait non seulement les pertes de l’installation intérieure stricto sensu, mais également, plus généralement, les transferts de chaleur au sein de l’immeuble.
( 68 ) Voir Robinson, S. et Vogt, G., op. cit., p. 31. Cela serait également contraire à l’esprit de l’article 19, paragraphe 1, sous a), de la directive 2012/27, dont il ressort que les États membres doivent envisager les mesures appropriées pour éliminer les entraves faisant obstacle à l’efficacité énergétique en ce qui concerne « le partage des incitations [...] entre les propriétaires, en vue d’éviter que ces parties ne renoncent à effectuer des investissements visant à améliorer l’efficacité, qu’elles auraient sinon effectués, parce qu’elles n’en tireraient pas elles‑mêmes tous les bénéfices ou parce qu’il n’existe pas de règles régissant la répartition entre elles des coûts et des bénéfices, y compris les règles et mesures nationales réglementant les processus de prise de décision dans le cadre de la copropriété ».
( 69 ) Je note toutefois que la récente directive 2018/2002 rend obligatoire l’adoption de règles de répartition par les États membres (voir le nouvel article 9 ter, paragraphe 3, introduit par cette directive dans la directive 2012/27).
( 70 ) La Cour a déjà jugé que la directive 2012/27 fixe, de manière générale, un cadre pour la réduction de la consommation d’énergie, tout en laissant aux États membres le choix des modalités de mise en œuvre et qu’ils disposent, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation. Voir arrêt du 7 août 2018, Saras Energía (C‑561/16, EU:C:2018:633, point 24 et jurisprudence citée). À mon sens, il en est de même, a fortiori, en ce qui concerne la directive 2006/32. Différentes méthodes de répartition des coûts de l’énergie thermique ont ainsi été choisies par les États membres en fonction de leurs préférences et caractéristiques propres. Voir Castellazzi, L., Analysis of Member States’ rules for allocating heating, cooling and hot water costs in multi‑apartment/purpose buildings supplied from collective systems – Implementation of EED Article 9(3), EUR 28630 EN, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2017.
( 71 ) Voir note en bas de page 53 des présentes conclusions.
( 72 ) Au demeurant, comme le fait valoir Toplofikatsia Sofia, le critère du volume chauffé, retenu par le législateur bulgare, reflète la diffusion de chaleur.
( 73 ) Je précise que le fait que la directive 2006/32 ne mentionnait pas expressément la possibilité d’adopter des règles de répartition, contrairement à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2012/27, ne signifie pas que l’interprétation de la première directive doit être différente de celle de la seconde directive. L’objectif des règles relatives à la facturation fondée sur la consommation réelle est le même dans les deux directives, et l’ajout par le législateur dudit article 9, paragraphe 3, ne tendait qu’à clarifier l’application de ces règles.
( 74 ) Voir article 140 de la loi sur l’énergie.
( 75 ) Voir article 145, paragraphe 1, de la loi sur l’énergie. Toplofikatsia Sofia a indiqué, lors de l’audience, qu’il ressort de l’application de ces règles que la part fixe de la facture varie, en Bulgarie, entre 30 % et 70 %, en fonction des caractéristiques de chaque bâtiment et, en particulier, de son isolation.