CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 23 mai 2019 ( 1 )

Affaire C‑703/17

Adelheid Krah

contre

Universität Wien

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Maîtres de conférences postdoctoraux – Limitation de la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure lors du recrutement à concurrence de quatre années – Système de rémunération fondé sur l’ancienneté – Ancienneté acquise auprès du même employeur uniquement – Notion d’entrave à la libre circulation – Justification – Proportionnalité »

I. Introduction

1.

Mme Adelheid Krah (ci‑après l’« appelante ») est maître de conférences postdoctoral à l’université de Vienne (Autriche). En application de règles internes à l’université de Vienne, son expérience professionnelle antérieure n’a été prise en compte qu’à concurrence de quatre années aux fins de son classement au sein de la catégorie de personnel enseignant adéquate lors de son recrutement.

2.

L’université de Vienne (ci‑après l’« intimée ») prévoit deux manières de tenir compte de l’expérience professionnelle des maîtres de conférences postdoctoraux dans le cadre de leur rémunération. Premièrement, lors du recrutement, les périodes d’activité pertinentes accomplies auprès de l’université de Vienne ou auprès d’un autre employeur établi en Autriche ou dans un autre État membre de l’Union peuvent être prises en compte à concurrence de quatre années au maximum. Deuxièmement, après l’entrée en fonction, l’ancienneté acquise auprès de l’université de Vienne est comptabilisée. Cela permet au personnel enseignant de passer progressivement d’un échelon salarial à un autre au sein du même grade, à des intervalles réguliers de huit années.

3.

Selon l’appelante, la limitation de la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure lors du recrutement constitue une discrimination à l’encontre des travailleurs en provenance d’autres États membres. L’appelante estime que l’évolution de la rémunération en fonction de l’ancienneté a nécessairement pour effet de favoriser le personnel enseignant ayant toujours travaillé pour une même université autrichienne, c’est-à-dire principalement les ressortissants autrichiens.

4.

La présente affaire invite, une fois de plus, la Cour à examiner les limites de la jurisprudence en matière de libre circulation des travailleurs et à énoncer explicitement la logique qui la sous-tend. Une règle nationale neutre par son objet, en ce qu’elle ne prévoit aucune discrimination directe en raison de la nationalité, ainsi que par ses effets, car elle ne crée aucune discrimination indirecte, est‑elle néanmoins susceptible de constituer une entrave à la libre circulation ? L’approche fondée sur l’entrave et sur le fait de rendre moins attrayant l’exercice de la libre circulation des travailleurs crée-t-elle une troisième catégorie à part entière dans la jurisprudence, applicable indépendamment de l’existence de toute discrimination ? L’article 45 TFUE s’oppose-t-il à toute règle nationale susceptible de rendre moins attrayant l’exercice de la libre circulation par un travailleur ?

II. Cadre juridique

A.   Droit de l’Union

5.

L’article 45 TFUE dispose :

« 1.   La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.

2.   Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3.   Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique :

[…]

c)

de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux,

[…] »

6.

L’article 7, paragraphe 1, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union ( 2 ) indique ce qui suit :

« Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage. »

B.   Droit autrichien

7.

L’article 47, paragraphe 1, du Rahmenkollektivvertrag für ArbeitnehmerInnen an Universitäten [convention collective cadre applicable au personnel des universités] du 15 février 2011 (ci‑après la « convention collective »), intitulé « Classement du personnel scientifique/artistique de l’université », dispose :

« L’ensemble des membres du personnel visés à l’article 5, paragraphe 2, point 1, sont classés au sein des catégories d’emplois A à C, selon la nature des fonctions convenues dans le contrat de travail. »

8.

L’article 48 de la convention collective détaille les catégories d’emplois prévues pour le personnel scientifique et artistique de l’université. Il prévoit ce qui suit :

« Catégorie d’emplois A1 : professeurs d’universités nommés au terme d’une procédure de nomination […]

Catégorie d’emplois A2 : personnel scientifique/artistique avec lesquels un accord de formation a été conclu.

Catégorie d’emplois B : assistants à l’université, maîtres de recherche, maîtres des arts, maîtres de conférences, collaborateurs de projets (article 28) après obtention d’un diplôme de master ou d’un autre diplôme d’études supérieures pertinent pour l’emploi, lecteurs. Cette catégorie d’emplois inclut les classes salariales B1 et B2. Les assistants à l’université, maîtres de recherche, maîtres des arts, maîtres de conférences, collaborateurs de projets […] relèvent de la classe salariale B1 ; les lecteurs relèvent de la classe salariale B2.

Catégorie d’emplois C : collaborateurs étudiants et collaborateurs de projets ne relevant pas de la classe B1. »

9.

L’article 49 de la convention collective prévoit le système de rémunération applicable au personnel scientifique et artistique. Il dispose :

« 1.   La rémunération mensuelle brute pour la classe salariale A1 s’élève à 4891,10 euros. Ce montant est augmenté comme suit à condition que l’employé ait fait l’objet d’au moins une évaluation positive […] au cours de la période pertinente :

à 5372,80 euros, après 6 années d’ancienneté ;

à 5854,50 euros, après 12 années d’ancienneté ;

à 6336,20 euros, après 18 années d’ancienneté ;

et

à 6817,90 euros, après 24 années d’ancienneté.

2.   La rémunération mensuelle brute pour la classe salariale A2 s’élève à 3686,70 euros ; pour le personnel disposant d’un doctorat ou d’un Ph.D. pertinent, la rémunération mensuelle brute s’élève à 4288,80 euros. Ces montants sont portés :

(a)

à 4650,20 euros, […] après avoir rempli les conditions prévues par l’accord de formation ;

(b)

et, à condition que l’employé ait fait l’objet d’au moins une évaluation positive […] au cours de la période pertinente :

à 5131,90 euros, après 6 années d’ancienneté en qualité de professeur associé ;

à 5613,70 euros, après 12 années d’ancienneté ;

à 6095,40 euros, après 18 années d’ancienneté ;

et

à 6577,00 euros, après 24 années d’ancienneté.

3.   La rémunération mensuelle brute pour la classe salariale B1 s’élève à 2696,50 euros.

Ce montant est porté :

(a)

à 3203,30 euros, après trois années d’ancienneté. Ce délai de trois ans est réduit à concurrence des périodes pour lesquelles il est démontré qu’elles correspondent à une expérience antérieure en lien avec la fonction ;

(b)

à 3590,70 euros, après huit années d’ancienneté à l’échelon visé sous a) ou, en cas de doctorat, si ce dernier constituait une condition de la conclusion du contrat de travail (fonction de niveau postdoctoral) ;

(c)

à 3978,30 euros après huit années d’ancienneté à l’échelon visé sous b) ;

(d)

à 4186,90 euros après huit années d’ancienneté à l’échelon visé sous c). »

III. Faits, procédure au principal et questions préjudicielles

10.

L’appelante est une ressortissante allemande titulaire d’un doctorat en histoire. À partir du semestre d’hiver 2000/2001, elle a travaillé auprès de l’intimée, l’université de Vienne, en tant que professeur invité au sein de l’Institut d’histoire. Antérieurement, l’appelante a été employée par l’université de Munich (Allemagne) en tant que chargée de cours pendant une durée pertinente de cinq années.

11.

Après avoir présenté son Habilitationsschrift (thèse d’habilitation), l’appelante a reçu l’autorisation d’enseigner l’histoire médiévale en qualité de maître de conférences, par décision du décanat de la Faculté des sciences humaines et sociales de l’intimée du 12 mars 2002. L’appelante a ensuite enseigné à raison d’au moins sept heures hebdomadaires chaque semestre, dans le cadre de contrats d’enseignement à durée déterminée.

12.

À partir du 1er octobre 2010, l’appelante a été employée en tant que maître de conférences postdoctoral à raison de vingt heures par semaine, initialement pour une durée déterminée et, ensuite, pour une durée indéterminée.

13.

Par décision du rectorat du 8 novembre 2011, l’intimée a décidé de prendre en compte les périodes d’activité antérieures pour les « maîtres de conférences postdoctoraux » et les « maîtres de recherche postdoctoraux » à concurrence de quatre années en cas d’entrée en fonction à partir du 1er octobre 2011. Conformément à cette décision, l’appelante a été classée à l’échelon salarial B1, sous b), au sein de la catégorie d’emplois B.

14.

Toutefois, l’appelante soutient qu’elle peut faire valoir une expérience professionnelle antérieure pertinente de cinq années auprès de l’université de Munich et de 8,5 années auprès de l’université de Vienne, soit un total de 13,5 années. Par conséquent, l’appelante estime que 13,5 années auraient dû être prises en compte à son égard et qu’elle aurait dû être classée à un échelon salarial supérieur.

15.

L’appelante a réclamé la somme de 3385,20 euros, laquelle comprend la prétendue différence de rémunération ainsi que les intérêts, les frais et les dépens, devant l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne, Autriche) qui a rejeté la demande de l’appelante. L’appelante a ensuite fait appel de cette décision devant la juridiction de renvoi.

16.

C’est dans ce contexte factuel et juridique que l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le droit de l’Union, et notamment l’article 45 TFUE, l’article 7, paragraphe 1, du [règlement no 492/2011] et les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle selon laquelle les périodes d’activité antérieures pertinentes accomplies par un membre du personnel enseignant de l’université de Vienne sont uniquement prises en compte à concurrence d’une durée totale de trois ou quatre années, qu’il s’agisse de périodes d’activité accomplies auprès de l’université de Vienne ou auprès d’autres universités ou établissements comparables situés en Autriche ou à l’étranger ?

2)

Un système de rémunération qui ne prévoit pas la prise en compte intégrale des périodes d’activité antérieures pertinentes, tout en liant le bénéfice d’une rémunération plus élevée à l’ancienneté acquise auprès du même employeur, est-il contraire à la libre circulation des travailleurs consacrée par l’article 45, paragraphe 2, TFUE et l’article 7, paragraphe 1, du [règlement no 492/2011] ? »

17.

Des observations écrites ont été déposées par l’appelante, l’intimée, ainsi que par la Commission. Toutes les parties susmentionnées ainsi que le gouvernement autrichien ont participé à l’audience qui s’est déroulée le 23 janvier 2019.

IV. Appréciation

18.

Les présentes conclusions sont structurées comme suit. Je commencerai par formuler quelques considérations liminaires relatives au système autrichien de rémunération du personnel enseignant, concernant notamment les règles nationales et les règles de l’université de Vienne, qui prévoient la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure pour les maîtres de conférences (A). Ensuite, je suggérerai que la limitation de la prise en compte de l’expérience professionnelle pertinente à concurrence de quatre années lors du recrutement est compatible avec la libre circulation des travailleurs, dès lors que cette limitation ne crée ni de discrimination ni, selon moi, d’entrave à la libre circulation des travailleurs (B). Enfin, j’examinerai la règle selon laquelle, après l’entrée en fonction, la rémunération évolue en fonction de l’ancienneté acquise auprès de l’université de Vienne (C).

A.   Considérations liminaires

19.

La présente affaire concerne les règles applicables à la rémunération des maîtres de conférences relevant de la classe salariale B1 prévues au niveau national (à l’article 49, paragraphe 3, de la convention collective) et par l’université de Vienne (dans ses règles internes).

20.

La convention collective contient des règles relatives à l’évolution de la rémunération des maîtres de conférences. Ces règles tiennent compte de l’ancienneté. Après l’entrée en fonction, la rémunération augmente normalement à des intervalles réguliers, en fonction du temps passé au service d’une même université. En pratique, après avoir acquis une certaine ancienneté (initialement, après trois années de travail et, ensuite, tous les huit ans), les maîtres de conférences passent d’un échelon salarial à l’échelon suivant au sein de la classe salariale B1.

21.

Toutefois, ce système de rémunération n’est pas uniquement basé sur l’ancienneté/l’écoulement du temps. Les règles nationales prévoient deux exceptions qui permettent à un maître de conférences, lors de son recrutement, d’être classé à un échelon salarial plus élevé que celui auquel il pourrait normalement prétendre suivant une application mécanique des règles d’ancienneté. Premièrement, pour les personnes engagées comme maîtres de conférences sans disposer de doctorat, la (première) période de trois ans est réduite à concurrence des périodes dont il est démontré qu’elles correspondent à une expérience antérieure en lien avec la fonction. Deuxièmement, les personnes titulaires d’un doctorat engagées comme maîtres de conférences postdoctoraux ne doivent pas accomplir les premières périodes d’activité de trois ans et de huit ans et sont, par conséquent, directement classées à l’échelon salarial B1, sous b).

22.

Comme l’ont indiqué l’intimée et le gouvernement autrichien, la convention collective est le fruit d’une négociation entre partenaires sociaux. Elle définit les règles minimales devant être appliquées par les universités autrichiennes. La convention collective n’empêche pas ces universités d’adopter des règles plus favorables au niveau interne.

23.

À l’université de Vienne, ces règles internes prévoient que, lors du recrutement, l’expérience professionnelle antérieure peut être prise en compte à concurrence de quatre années au maximum en vue de déterminer la classe salariale dont relèvent initialement les maîtres de conférences postdoctoraux. Selon l’intimée, cette dernière règle constitue un traitement plus favorable accordé par l’université de Vienne par rapport aux autres universités autrichiennes qui n’appliquent que les règles prévues par la convention collective.

24.

Eu égard à ce contexte national et local, quatre remarques supplémentaires s’imposent.

25.

Premièrement, bien que la présente affaire concerne avant tout la classe salariale B1 (à savoir la catégorie professionnelle des maîtres de conférences), cette dernière ne saurait être examinée isolément. Cette classe salariale relève plus largement des règles nationales relatives à la rémunération du personnel enseignant des universités. Conformément aux articles 47, 48 et 49 de la convention collective, le personnel universitaire est réparti en différentes sous-catégories professionnelles auxquelles correspondent des classes salariales distinctes, à savoir les professeurs d’université (classe salariale A1), les collaborateurs scientifiques en voie de titularisation (classe salariale A2), les assistants, y compris les maîtres de conférences (classe salariale B1), les lecteurs (classe salariale B2) et les collaborateurs étudiants (classe salariale C). Chaque classe salariale est elle-même subdivisée en échelons salariaux auxquels correspond une certaine rémunération.

26.

Comme l’a souligné l’intimée lors de l’audience, tout le système de rémunération prévu par la convention collective a, par nature, été conçu en vue de faire progresser la carrière académique des individus de deux manières différentes, au sein de chaque grade et entre grades. L’avancement de la carrière au sein d’un même grade s’opère par une progression de type horizontal. Bien que la personne continue de relever de la même catégorie de personnel universitaire, sa rémunération augmente progressivement, notamment en raison de l’ancienneté acquise par l’écoulement du temps ( 3 ). L’avancement de la carrière entre grades constitue une progression verticale lors de laquelle une personne ne demeure pas au sein de la même catégorie de personnel universitaire, mais progresse vers une catégorie supérieure. Cette évolution dépend généralement de l’acquisition de qualifications supplémentaires, par exemple, de l’obtention de certains résultats académiques, de la réalisation de certaines recherches ou de la réussite d’un examen.

27.

Par conséquent, comme l’indique l’intimée, la logique sous-tendant ce système consiste à inciter les membres du personnel enseignant à progresser dans leur carrière. Pour ce motif, certains types de progressions de carrière dépendent nécessairement de la promotion à un grade supérieur, laquelle comprend en quelque sorte deux volets : la qualification supplémentaire requise pour ce grade, mais également, indirectement, l’écoulement du temps nécessaire pour obtenir cette qualification. Toutefois, les personnes ne progressant pas dans leurs carrières académiques de façon verticale peuvent néanmoins être promues au titre de leur ancienneté/de l’écoulement du temps, par avancement à l’échelon supérieur au sein du même grade.

28.

Deuxièmement, à l’instar du gouvernement autrichien, j’estime qu’en vue de déterminer l’existence d’une éventuelle restriction illicite à la libre circulation des travailleurs il est essentiel de distinguer entre deux règles différentes prévues par le système autrichien de rémunération des maîtres de conférences.

29.

Conformément à la première règle, en vue de déterminer l’échelon salarial initial des maîtres de conférences postdoctoraux au sein de la classe salariale B1 lors de leur recrutement, l’université de Vienne prend en compte l’expérience professionnelle antérieure pertinente à concurrence de quatre années au maximum (ci‑après, la « règle de l’expérience antérieure »). En vertu de la seconde règle, après l’entrée en fonction, pendant la durée du contrat conclu avec l’université de Vienne, l’ancienneté acquise dans l’exercice de cette fonction détermine la progression ultérieure d’un échelon salarial à un autre (ci‑après, la « règle de l’ancienneté »). On peut supposer que, pour les maîtres de conférences, cette progression est automatique et que, contrairement à ce que prévoit la règle de l’expérience antérieure, celle‑ci ne dépend pas d’une évaluation au fond des mérites respectifs des personnes en question.

30.

Certes, ces deux règles présentent des similitudes. Toutes deux impliquent la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure et ont une incidence sur la rémunération. Toutefois, les ressemblances s’arrêtent là. Afin de clairement déterminer qui est comparé avec qui, à quel moment et dans quel but, les deux règles doivent être distinguées.

31.

Les observations soumises par l’appelante et par la Commission, notamment sur la seconde question préjudicielle de la juridiction de renvoi, démontrent clairement les dangers posés par la confusion de ces deux règles. En effet, dans un tel cas, toute forme d’analyse de discrimination est exclue, dès lors qu’il devient impossible de répondre à la question de savoir précisément quelles personnes, en comparaison avec quelles autres personnes, subissent prétendument une discrimination, sans parler des éventuels motifs de justification pouvant être soulevés. La règle de l’expérience professionnelle antérieure s’applique, au moment du recrutement, à certains groupes de personnes, pour un motif déterminé. A contrario, la règle de l’ancienneté s’applique à un autre groupe de personnes et à un moment différent. Par définition, la règle de l’ancienneté ne s’applique jamais aux nouveaux membres du personnel ; sa logique est également différente.

32.

En plaçant ces deux règles distinctes sur un même plan, on exige implicitement qu’elles soient appliquées simultanément : cela signifierait que la règle de l’ancienneté devrait en réalité déjà s’appliquer au moment du recrutement. Une telle approche est certes envisageable, mais relève d’un choix politique ; toutefois, dans ce cas, il ne subsisterait qu’une seule règle et non plus deux règles distinctes (par ailleurs, il s’agirait d’une règle totalement différente de celle qui a été adoptée au niveau national).

33.

Dans le cadre de la présente analyse, il est donc essentiel de distinguer les deux règles susvisées. Par conséquent, je commencerai par examiner l’application de la règle de l’expérience antérieure lors du recrutement, dans le cadre de l’analyse de la première question, avant de me pencher sur la règle de l’ancienneté, dans le cadre de l’analyse de la seconde question.

34.

Troisièmement, en vue de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, il s’impose d’examiner la situation de l’appelante telle qu’elle s’est réellement déroulée en l’espèce. Une double clarification s’impose à cet égard.

35.

D’une part, contrairement à la convention collective qui ne prévoit aucune reconnaissance de l’expérience professionnelle antérieure pour les maîtres de conférences postdoctoraux ( 4 ), c’est la règle interne (plus favorable) à l’université de Vienne qui a été appliquée à l’appelante. Il s’ensuit que c’est cette dernière (et non les règles prévues par la convention collective) qu’il convient d’examiner dans le contexte du système général de rémunération établi par la convention collective.

36.

D’autre part, au regard des faits de l’espèce, il a été allégué que l’appelante, en tant que ressortissante allemande, a été entravée dans son droit d’accéder au marché de l’emploi autrichien en raison de l’application conjointe de la règle de l’expérience antérieure de l’université de Vienne et de la règle de l’ancienneté prévue par la convention collective. En substance, le raisonnement est le suivant : le fait que l’ancienneté acquise par les maîtres de conférences postdoctoraux exerçant leurs fonctions à l’université de Vienne soit pleinement prise en compte aux fins de la détermination de la rémunération, tandis que l’expérience antérieure des personnes ayant préalablement travaillé auprès d’un autre employeur n’est prise en compte qu’à concurrence de quatre années au maximum lors du recrutement, est de nature à dissuader les travailleurs étrangers d’accéder au marché de l’emploi autrichien.

37.

Dans le cadre d’une discussion générale relative à la nature et à la portée d’une éventuelle entrave à la libre circulation des travailleurs, les barrières à la sortie (de l’État membre d’origine) et les barrières à l’entrée (dans l’État membre d’accueil) doivent être considérées comme deux faces de la même médaille en matière de libre circulation ( 5 ). En l’espèce, il s’agit des éventuelles barrières à la sortie de l’appelante du marché de l’emploi allemand et des barrières à son entrée sur le marché de l’emploi autrichien.

38.

Il convient toutefois de clairement souligner que, contrairement à ce que soutient l’appelante, les circonstances hypothétiques dans lesquelles elle serait potentiellement empêchée de quitter à nouveau l’État membre d’accueil (l’Autriche) en raison de l’application des règles nationales en cause, ou, à plus long terme, d’accéder à nouveau au marché autrichien des emplois universitaires, après avoir passé un certain temps à l’étranger, dépassent tout simplement le cadre de la présente affaire.

39.

Enfin, quatrièmement, s’agissant du cadre juridique de l’Union dans lequel s’inscrit la présente analyse, la juridiction de renvoi a formulé la seconde question préjudicielle en se référant à l’article 45 TFUE et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 492/2011. Outre ces dispositions, la première question mentionne également les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après, la « Charte »).

40.

Selon la Cour, l’article 45 TFUE ainsi que l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un État membre autre que leur État membre d’origine. En conséquence, l’article 45 TFUE s’oppose à toute mesure nationale qui est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté fondamentale garantie par cet article ( 6 ).

41.

Il est également de jurisprudence constante que l’article 45, paragraphe 2, TFUE interdit toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 492/2011 ne constitue que l’expression particulière du principe de non‑discrimination consacré à l’article 45, paragraphe 2, TFUE dans le domaine spécifique des conditions d’emploi et de travail, et il doit, dès lors, être interprété de la même façon que ce dernier article ( 7 ).

42.

La règle de l’expérience antérieure ainsi que la règle de l’ancienneté – pour peu qu’il convienne d’en tenir compte au vu de sa pertinence limitée pour la présente affaire – relèvent manifestement du champ d’application de ces dispositions, dès lors qu’elles ont une incidence sur la rémunération des maîtres de conférences en Autriche, laquelle constitue une condition de travail. Le fait que la règle de l’ancienneté ait été établie par une convention collective ne modifie en rien cette conclusion, étant donné que la prohibition des discriminations fondées sur la nationalité s’impose non seulement à l’action des autorités publiques, mais s’étend également aux réglementations d’une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services ( 8 ).

43.

Dans les circonstances de l’espèce, aussi importantes que ces dispositions soient en général, je ne vois pas quelles considérations supplémentaires pourraient être formulées au regard des articles 20 et 21 de la Charte qui ne seraient pas déjà couvertes plus précisément et de façon plus détaillée par l’article 45 TFUE et par l’article 7 du règlement no 492/2011.

44.

Par conséquent, il n’apparaît pas nécessaire d’examiner la présente affaire spécifiquement au regard des articles 20 et 21 de la Charte ( 9 ).

B.   Sur la première question

45.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 492/2011 s’opposent à des dispositions nationales selon lesquelles les périodes d’activité antérieures pertinentes accomplies par un maître de conférences engagé par l’université de Vienne ne peuvent être prises en compte qu’à concurrence de trois ou quatre années au maximum, que ces périodes d’activité aient ou non été accomplies auprès de l’université de Vienne ou auprès d’autres universités nationales ou internationales ou établissements comparables.

46.

Par cette question, la juridiction de renvoi vise la règle de l’expérience antérieure, qui fixe une limite concernant la prise en compte des activités professionnelles antérieures aux fins de la détermination de l’échelon salarial dont relève un maître de conférences lors de son entrée en fonction auprès d’une université autrichienne. La première question est formulée de telle manière à inclure aussi bien les dispositions de la convention collective relatives aux maîtres de conférences ne disposant pas d’un doctorat que celles contenues dans les règles internes de l’université de Vienne applicables aux maîtres de conférences postdoctoraux. Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner spécifiquement les premières dispositions, étant donné qu’elles ne sont pas applicables à la situation de l’appelante.

47.

Par conséquent, j’examinerai uniquement la compatibilité avec la libre circulation des travailleurs de la règle (plus favorable) prévue par l’université selon laquelle l’expérience antérieure en lien avec la fonction ne peut être prise en compte qu’à concurrence de quatre années au maximum lors du recrutement et du classement d’un maître de conférences postdoctoral.

48.

La juridiction de renvoi relève qu’en raison de la limitation de la prise en compte de l’expérience à concurrence de quatre années la règle de l’expérience antérieure pourrait être en contradiction avec la libre circulation des travailleurs. Les travailleurs migrants pourraient être dissuadés de changer d’emploi et d’aller travailler en Autriche au motif que leurs périodes d’activité pertinentes antérieures ne seraient pas intégralement prises en compte aux fins de leur classement et donc de leur rémunération.

49.

Selon l’appelante, la limitation de la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure désavantage les travailleurs provenant d’autres États membres et dissuade également le personnel des universités autrichiennes d’exercer leur droit à la libre circulation en dehors de l’Autriche. Dans des cas extrêmes, jusqu’à vingt-quatre années d’ancienneté acquises en dehors de l’université de Vienne pourraient être perdues.

50.

Selon l’intimée, le droit de l’Union n’exige aucune reconnaissance obligatoire des périodes d’activité antérieures. La limitation de la prise en compte de l’expérience antérieure à concurrence de quatre années ne constitue pas une discrimination fondée sur la nationalité, car elle affecte les travailleurs migrants et les travailleurs nationaux de la même manière. Étant donné que plus de 50 % de tous les maîtres de conférences et environ un tiers des maîtres de conférences postdoctoraux travaillant à l’université de Vienne sont des ressortissants étrangers, la règle de l’expérience antérieure n’affecte pas l’accès des travailleurs migrants au marché de l’emploi autrichien. La prise en compte de l’expérience antérieure, bien que limitée, peut même être considérée comme une incitation à postuler auprès de l’université de Vienne, aussi bien pour les ressortissants autrichiens que les ressortissants étrangers.

51.

En tout état de cause, étant donné que les maîtres de conférences exercent principalement des activités d’enseignement, la limite de quatre années n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, à savoir assurer que les maîtres de conférences puissent exercer leurs fonctions de façon optimale. Dans le monde académique, une durée de quatre ans est généralement adéquate pour acquérir les connaissances requises à cette fin.

52.

J’estime que la règle limitant à quatre ans la prise en compte de l’expérience professionnelle pertinente antérieure acquise auprès d’un employeur, y compris auprès de l’université de Vienne, en vue du classement initial des maîtres de conférences lors de leur entrée en fonction, ne constitue pas une discrimination en raison de la nationalité (1). Une telle règle ne constitue pas non plus une restriction à la libre circulation des travailleurs (2). En tout état de cause, la règle de l’expérience antérieure prévue par l’université de Vienne est manifestement justifiée et appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi par celle‑ci (3).

1. Discrimination en raison de la nationalité

53.

Une discrimination directe implique que la règle nationale en cause prévoie des différences de traitement en raison de la nationalité telles que les ressortissants des autres États membres sont traités moins favorablement que d’autres ressortissants se trouvant dans des situations comparables ( 10 ). En l’espèce, la règle de l’expérience antérieure n’est manifestement pas directement discriminatoire. La nationalité n’est pas un motif explicite de différenciation.

54.

Toutefois, il est également de jurisprudence constante que la règle de l’égalité de traitement inscrite à l’article 45 TFUE et à l’article 7 du règlement no 492/2011 s’oppose non seulement à toute discrimination ostensible fondée sur la nationalité, mais encore à toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ( 11 ). Une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers. Pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’indirectement discriminatoire il n’est pas nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres États membres à l’exclusion des nationaux ( 12 ). Ce principe découle notamment de l’article 45, paragraphe 2, TFUE ( 13 ).

55.

Dans le cas d’espèce, il n’est pas contesté que la limitation de la prise en compte de l’expérience s’applique, sans distinction, à l’ensemble de l’expérience pertinente acquise auprès de tout employeur, que ce dernier soit établi dans un autre État membre ou en Autriche. Lors de l’audience, il a explicitement été confirmé que cette limite s’applique également à l’expérience acquise auprès de l’université de Vienne elle-même dans le cadre de l’exercice d’autres fonctions que celle de maître de conférences. Par conséquent, il apparaît que l’ensemble des candidats potentiels sont traités exactement de la même manière, qu’ils viennent d’un autre État membre, d’une autre université autrichienne, voire d’autres départements ou fonctions au sein de l’université de Vienne.

56.

Je reconnais avoir des difficultés à percevoir comment une telle règle totalement neutre pourrait être qualifiée (même) d’indirectement discriminatoire (en raison de la nationalité). Les groupes de référence concernés sont les personnes disposant d’une expérience professionnelle i) inférieure à quatre ans et ii) supérieure à quatre ans. Ce sont, en effet, les personnes relevant de la seconde catégorie qui pourraient soutenir que l’application de la règle de l’expérience antérieure les désavantage : lors de leur recrutement, une partie de leur expérience antérieure ne sera pas prise en compte aux fins de la détermination de leur niveau de rémunération.

57.

Toutefois, cette situation diffère sensiblement d’une quelconque différenciation ou incidence en raison de la nationalité. Il n’a pas été établi – et on ne saurait raisonnablement affirmer – que, par définition, les ressortissants d’autres États membres seraient davantage susceptibles de disposer d’une expérience professionnelle pertinente supérieure à quatre années lorsqu’ils postulent pour un emploi d’enseignant à l’université de Vienne.

58.

Autrement dit, de l’absence de tout objet discriminatoire (pas de motif de différenciation dissimulé) découle également l’absence manifeste de toute conséquence discriminatoire (pas d’incidences disparates manifestes).

59.

Dans la jurisprudence de la Cour, de telles conséquences ont traditionnellement été examinées au regard du critère de l’hypothèse de la probabilité : est-il plus probable que les travailleurs d’autres États membres soient davantage affectés ? Le groupe protégé risque-t-il d’être plus durement touché ? Le critère requis est un critère de probabilité rationnelle et n’impose pas de produire des données ou des statistiques précises à cet égard ( 14 ).

60.

Dans la présente affaire, aucune hypothèse crédible et aucune donnée ne permettent de soupçonner l’existence d’une discrimination indirecte. Aucune explication plausible n’a été avancée permettant de comprendre pourquoi, hypothétiquement, les travailleurs provenant d’autres États membres seraient davantage susceptibles de disposer d’une expérience professionnelle supérieure à quatre ans, lors de leur recrutement en tant que maîtres de conférences, par rapport aux travailleurs autrichiens. À nouveau, cette règle est totalement neutre pour l’ensemble des catégories de travailleurs potentielles.

61.

En ce qui concerne les données, les seules statistiques disponibles sont celles invoquées par l’intimée ( 15 ), à savoir le fait que plus de 50 % des maîtres de conférences et un tiers des maîtres de conférences postdoctoraux à l’université de Vienne n’ont pas la nationalité autrichienne. Ainsi, ces statistiques n’indiquent pas qu’une proportion particulièrement élevée de ressortissants étrangers est affectée par cette règle par rapport aux ressortissants nationaux, mais plutôt le contraire. Pour autant qu’ils soient exacts, ces chiffres démontrent qu’un nombre important de travailleurs étrangers ont accédé au marché autrichien « malgré » la limitation de la prise en compte de l’expérience antérieure prévue par l’université de Vienne.

62.

Par conséquent, la règle de l’expérience antérieure applicable lors de l’entrée en fonction ne semble être ni directement ni indirectement discriminatoire en raison de la nationalité en ce qui concerne l’accès au marché autrichien des emplois universitaires. Cette règle peut-elle malgré tout être considérée comme une restriction ou une entrave à la libre circulation des travailleurs, bien qu’elle soit totalement neutre du point de vue de la nationalité ?

2. Entrave à la libre circulation ?

a) Restriction à la libre circulation et discrimination en raison de la nationalité

63.

Il ressort de la jurisprudence que, outre les discriminations directes et indirectes, l’article 45 TFUE comprend une troisième catégorie, à savoir les restrictions non discriminatoires ( 16 ). Selon la Cour, cette disposition interdit non seulement toute discrimination, directe ou indirecte, fondée sur la nationalité, mais également les réglementations nationales qui, bien qu’applicables indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés, sont susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par ces travailleurs, y compris ceux de l’État membre auteur de la mesure, de leur libre circulation ( 17 ). Des dispositions, même indistinctement applicables, qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent des entraves à cette liberté ( 18 ).

64.

La Cour a précisé que, s’agissant de la libre circulation des travailleurs, la logique de l’entrave/de la restriction/de la dissuasion/le fait de rendre moins attrayant découle de l’article 45, paragraphe 1, TFUE. En effet, contrairement à l’article 45, paragraphe 2, TFUE qui fait référence à la notion de discrimination, l’article 45, paragraphe 1, TFUE dispose, de façon plus générale, que la « libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union ».

65.

Par conséquent, il convient de déterminer si, à défaut d’être discriminatoires en raison de la nationalité, les dispositions nationales en cause au principal constituent une entrave à la libre circulation des travailleurs, prohibée par l’article 45, paragraphe 1, TFUE ( 19 ).

66.

Toutefois, la question se pose immédiatement de savoir quelle est la relation entre la catégorie des entraves à la libre circulation et celle des discriminations en raison de la nationalité. Ces deux catégories sont-elles réellement totalement indépendantes et doivent-elles, par conséquent, être examinées distinctement ? L’approche en matière d’entrave est-elle étrangère au raisonnement développé pour les discriminations et l’examen de celles-ci ? Ou cette approche constitue-t-elle plutôt une sorte de catégorie « additionnelle » qui renforce et étend l’interdiction des discriminations indirectes, sans réellement être indépendante de celle-ci ?

67.

La présente affaire montre qu’il ne s’agit pas seulement d’un débat théorique. Si, comme nous l’avons suggéré dans la sous-section précédente des présentes conclusions, la règle de l’expérience antérieure n’est même pas indirectement discriminatoire, peut-elle malgré tout constituer une entrave à la libre circulation des travailleurs ? Peut-il y avoir une entrave en l’absence de la moindre indication d’une différence de traitement (en raison de la nationalité) ?

68.

En matière de libre circulation des travailleurs, l’examen de la jurisprudence de la Cour montre que cette dernière emploie généralement dans son raisonnement le langage propre aux restrictions principalement lorsque des règles nationales constituent des barrières à la sortie, mais également, dans une moindre mesure, lorsque sont en cause des règles infranationales susceptibles de constituer des barrières à l’entrée.

69.

Le plus souvent, on retrouve dans la première catégorie les mesures adoptées par l’État membre d’origine qui dissuadent les ressortissants de cet État membre d’exercer leur libre circulation en quittant leur État membre d’origine, en rendant, par conséquent, impossible ou excessivement difficile l’accès au marché de l’emploi d’un autre État membre. L’arrêt Bosman est éclairant à cet égard. Cette affaire concernait des règles nationales relatives au transfert de joueurs de football (applicables aux transferts de joueurs entre clubs appartenant à des associations nationales différentes au sein du même État membre) qui exigeaient que le nouveau club paie une indemnité à l’ancien club, même après l’expiration du contrat conclu entre les joueurs et l’ancien club. Bien que ces règles ne fussent aucunement discriminatoires en raison de la nationalité, la Cour a jugé qu’elles étaient susceptibles d’entraver la libre circulation des joueurs souhaitant poursuivre leur activité dans un autre État membre en les empêchant ou en les dissuadant de quitter les clubs auxquels ils appartenaient ( 20 ).

70.

Un autre exemple de barrière à la sortie (en apparence) non discriminatoire pourrait être une mesure adoptée par l’État membre d’origine qui rend plus difficile le retour d’un ressortissant de cet État membre dans celui-ci, après avoir exercé son droit à la libre circulation. Par exemple, l’affaire Köbler concernait une indemnité spéciale d’ancienneté octroyée par l’État autrichien, en tant qu’employeur, aux professeurs d’université ayant exercé cette fonction, pour une période de quinze années au minimum, auprès d’une université autrichienne, par opposition à une université d’un autre État membre. À cet égard, la Cour a jugé que ce refus absolu de reconnaître les périodes effectuées en tant que professeur d’université dans un État membre autre que la république d’Autriche entrave la libre circulation de travailleurs établis en Autriche, dans la mesure où il est de nature à dissuader ces derniers de quitter le pays pour exercer cette liberté ( 21 ).

71.

Au sein de la seconde catégorie, la Cour a également suivi une approche similaire en ce qui concerne les entraves à la libre circulation prenant la forme spécifique de mesures infranationales, qu’il s’agisse de mesures adoptées par des entités régionales ou locales d’un État membre ou de mesures contenant des règles spéciales applicables aux entités locales. Par exemple, dans l’affaire « SALK» ( 22 ), citée à plusieurs reprises par les parties, la Cour a examiné certaines règles autrichiennes en vertu desquelles, dans le cadre de la détermination de la date de référence aux fins de l’avancement, les hôpitaux publics du Land de Salzbourg devaient prendre en compte dans leur intégralité l’ensemble des périodes d’activité accomplies sans interruption au service de ce Land, en tant qu’employeur, tandis que toute autre période d’activité, accomplie auprès d’un autre employeur en Autriche ou dans un autre État membre, ne devait être prise en compte que partiellement. La Cour a examiné ces règles aussi bien sous l’angle des barrières à l’entrée (discriminatoires) que des barrières à la sortie (non discriminatoires) ( 23 ). La Cour a jugé que ces règles étaient respectivement « [susceptibles] d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux en défavorisant plus particulièrement les premiers » et « [d’]empêch[er] ou [de] dissuad[er] un travailleur ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation […] même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés» ( 24 ).

72.

Certes, il n’est pas aisé d’appliquer le raisonnement traditionnel en matière de libre circulation aux mesures infranationales. Il est plus difficile de conclure que celles-ci sont indirectement discriminatoires en raison de la nationalité ( 25 ). Leur portée géographique plus limitée les rend également désavantageuses pour les ressortissants de l’État membre d’origine qui viennent de régions différentes. Il n’en reste pas moins que, bien que le lien entre mesures infranationales et discriminations indirectes en raison de la nationalité soit relativement ténu, il reste possible de conclure à l’existence d’une discrimination suivant le raisonnement traditionnel de l’incidence probable ( 26 ) : les mesures infranationales sont susceptibles d’affecter davantage les ressortissants étrangers pour la simple raison que la majorité des résidents d’un territoire local seront probablement des ressortissants de l’État membre en cause.

73.

Par conséquent, en matière de mesures infranationales, il se peut qu’une discrimination indirecte soit moins évidente à identifier, bien qu’elle subsiste probablement dans l’ombre. L’utilisation du langage propre aux restrictions dans de tels cas ne signifie donc pas l’absence totale de discriminations en raison de la nationalité. Il subsiste une certaine différenciation indirecte liée à la nationalité, qui rend l’accès au marché de l’emploi difficile ou impossible ( 27 ). À cet égard, la Cour a déjà jugé que les restrictions à la libre circulation sont prohibées même lorsque celles-ci sont de faible portée ou d’importance mineure ( 28 ). Autrement dit, des dispositions infranationales qui ont principalement pour effet d’empêcher la mobilité interne au sein d’un État membre peuvent néanmoins rentrer dans le champ d’application des dispositions en matière de libre circulation, lorsqu’elles rendent également moins attrayante la mobilité externe (entre États membres) ( 29 ).

74.

Pour résumer, sans être systématiquement effectuée de façon explicite, une certaine analyse de comparabilité et de différenciation a tout de même lieu dans les affaires n’impliquant que des restrictions à la libre circulation des travailleurs ( 30 ). Ainsi, la jurisprudence de la Cour ne permet pas d’affirmer que le raisonnement en matière d’entraves à la libre circulation ne devrait comporter aucune considération relative aux discriminations. Dans l’ensemble des affaires examinées dans la présente section, il subsiste toujours une certaine différence de traitement. Mais que convient-il alors précisément d’examiner sous l’intitulé « entraves » ?

b) Discrimination entre « individus mobiles » et « individus non mobiles »

75.

À mon sens, la logique de l’article 45, paragraphe 1, TFUE et de la jurisprudence en matière d’entraves à la libre circulation des travailleurs reste fondée sur l’idée d’une différenciation et, par conséquent, sur la notion de discrimination. Toutefois, cette discrimination n’est ni (uniquement) fondée sur la nationalité ni (uniquement) sur le moment de la sortie d’un marché de l’emploi ou de l’entrée sur le marché d’un autre État membre, considérés isolément. La question déterminante est celle de la discrimination entre « individus mobiles » et « individus non mobiles » au sein du marché intérieur.

76.

Aucune différenciation entre individus mobiles et non mobiles n’est donc admise. Ainsi, même en l’absence de toute discrimination en raison de la nationalité, le raisonnement suivi en matière de discriminations reste applicable en vue de définir les « restrictions non discriminatoires », bien qu’il opère à un niveau différent. L’avocat général Fennelly a bien saisi ce concept, en qualifiant ce type de discrimination de « discrimination fondée sur la migration », dans laquelle les différences de traitement résultent de l’exercice même de la libre circulation ( 31 ).

77.

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union européenne ( 32 ). Dans cette logique, il semble que l’existence d’une restriction à la libre circulation des travailleurs continue de dépendre du fait qu’un groupe de personnes est désavantagé par rapport à un autre groupe. Toutefois, le motif de cette différenciation ne doit pas nécessairement être la nationalité. Tel semble être le fil conducteur de la classification développée par la jurisprudence et examinée dans la sous-section précédente des présentes conclusions.

78.

En outre, la libre circulation comporte naturellement deux volets : la sortie de l’État membre d’origine et l’entrée sur le marché de l’emploi de l’État membre d’accueil. Si un travailleur est désavantagé de l’une de ces manières en comparaison avec les groupes pertinents d’individus non mobiles au sein de cet État, il existe une entrave.

79.

Ainsi, un travailleur ne peut être empêché ou dissuadé de circuler vers un autre État membre en application de règles nationales pouvant être qualifiées de « règles de rétention de personnes » (à la sortie) ou de « règles de refoulement de personnes » (à l’entrée). Toutefois, lorsque l’existence de ces deux types de règles est examinée, il reste nécessaire d’établir une différence de traitement entre les groupes pertinents de personnes en cause : d’une part, les personnes circulant de manière transfrontalière par opposition à celles qui ne circulent pas, s’agissant des règles de sortie, et, d’autre part, les personnes ayant circulé par opposition à celles qui se trouvaient déjà sur le territoire concerné, s’agissant des règles d’entrée.

80.

En ce sens, la notion d’entrave à la libre circulation des travailleurs est loin d’englober toute règle nationale susceptible de rendre l’exercice de la libre circulation (subjectivement) moins attrayant pour un travailleur déterminé. En effet, en l’absence d’un quelconque lien avec une différence de traitement effective entre groupes de travailleurs objectifs, la libre circulation deviendrait un outil permettant de contester toute règle nationale ou infranationale (voire simplement tout contrat déterminé jugé défavorable), dans n’importe quel domaine, considérée comme préjudiciable pour un travailleur déterminé compte tenu de la situation particulière de l’espèce. Il s’ensuit que, si une personne se déplaçait vers un autre État membre pour y travailler, l’employeur situé dans cet État membre d’accueil serait systématiquement contraint d’accorder, en vertu du droit de l’Union, à ce travailleur migrant au minimum le même traitement que celui dont il bénéficiait dans le précédant État membre, vraisemblablement sans égard à ce que prévoit le droit national de cet État membre d’accueil en la matière.

81.

Une telle approche de la notion d’entrave ne saurait être considérée comme raisonnable ( 33 ). Pour établir un parallèle avec la libre circulation des biens, la jurisprudence en matière de libre circulation des personnes se retrouverait, dans un tel cas, dans une ère Dassonville ( 34 ) et nécessiterait de toute urgence son propre « moment keckien» ( 35 ).

82.

Dans ce contexte, il convient de relever que la Cour a déjà limité de deux manières le champ d’application potentiellement très large de l’article 45, paragraphe 1, TFUE dans le cadre de l’approche suivie en matière d’entraves.

83.

Premièrement, répondant partiellement à cette dernière préoccupation, la Cour a précisé que les mesures nationales qui régissent simplement une activité économique sans établir de conditions d’accès à un emploi ne peuvent généralement pas être qualifiées de restrictions au sens de l’article 45 TFUE ( 36 ). Cet article n’accorde notamment pas aux travailleurs le droit de se prévaloir, dans l’État membre d’accueil, des conditions de travail dont ils bénéficiaient dans l’État membre d’origine en vertu de la législation nationale de ce dernier État ( 37 ). En d’autres termes, la libre circulation n’implique pas nécessairement une neutralité sociale, compte tenu des disparités entre les législations nationales dans divers domaines. Par conséquent, les règles qui découlent nécessairement de choix législatifs objectifs et non discriminatoires dans des domaines qui n’ont pas été harmonisés au niveau de l’Union ne peuvent être qualifiées de restrictions (« pas de garantie de neutralité sociale ») ( 38 ).

84.

Deuxièmement, selon la Cour, la qualification d’« entrave » au sens de l’article 45 TFUE ne peut dépendre de circonstances « trop aléatoires et indirectes ». En d’autres termes, le risque qu’une législation nationale soit considérée comme susceptible de porter atteinte à la libre circulation ne peut être ni trop éloigné ni, a fortiori, hypothétique (l’« exigence de proximité ») ( 39 ).

85.

Par conséquent, pour conclure à l’existence d’une entrave à la libre circulation des travailleurs, il convient d’établir que la règle en cause i) discrimine entre (les groupes des) individus mobiles et des individus non mobiles, soit à la sortie, soit à l’entrée, et ii) affecte donc de façon significative l’accès à l’emploi dans un autre État membre, de sorte que la règle et son application ne soient pas trop éloignées pour pouvoir être prises en compte au moment où il est décidé d’exercer ou non le droit à la libre circulation.

c) L’affaire au principal

86.

Examiné au regard de cette grille d’analyse, le raisonnement de l’appelante ne peut être considéré comme établissant l’existence d’une quelconque entrave à la libre circulation en raison d’une différenciation entre individus mobiles et individus non mobiles à la sortie ou à l’entrée.

87.

L’appelante soutient que la règle de l’expérience antérieure crée une entrave à la libre circulation pour les ressortissants (nationaux ou étrangers) ayant travaillé comme maîtres de conférences (ou ayant exercé une fonction pertinente équivalente) pour de nombreuses années en dehors de l’Autriche. Selon l’appelante, la prise en compte limitée de l’expérience antérieure par l’université de Vienne constitue une barrière à l’entrée pour les ressortissants d’autres États membres. Elle constitue également une barrière à la sortie et une barrière à l’entrée (ou au retour) pour les ressortissants autrichiens.

88.

S’agissant en premier lieu du second scénario [barrières à la sortie et à l’entrée (au retour) pour les ressortissants autrichiens], il suffit de rappeler que celui-ci ne fait non seulement pas l’objet de la présente procédure ( 40 ), mais est, en outre, tout simplement trop aléatoire et indirect et, partant, trop éloigné au sens d’une entrave à la libre circulation, tel qu’exposé ci‑dessus. En effet, l’existence d’une « entrave » au sens de l’article 45, paragraphe 1, TFUE dépendrait de la réalisation d’un événement hypothétique, à savoir la décision d’un travailleur autrichien de ne pas quitter l’Autriche en vue de poursuivre une carrière académique dans un autre État membre, au motif qu’il anticipe qu’en cas de retour ultérieur en Autriche l’expérience qu’il a acquise ne serait pas intégralement prise en compte.

89.

A contrario, dans le premier scénario (barrière à l’entrée), on peut raisonnablement supposer que la prise en compte limitée de l’expérience antérieure n’est pas trop indirecte et aléatoire pour pouvoir être prise en considération par un ressortissant d’un autre État membre, tel que l’appelante, ayant travaillé pendant plusieurs années comme maître de conférences (ou dans une fonction équivalente) dans un autre État membre et souhaitant s’installer en Autriche. En effet, on peut raisonnablement supposer que les critères et les considérations relatifs au calcul de la rémunération initiale ainsi que, par définition, la rémunération ultérieure constituent des éléments importants dans une telle décision.

90.

Toutefois, selon moi, même dans ce cas, une telle règle nationale ne constitue pas une entrave à la libre circulation des travailleurs, pour une raison toute simple : elle n’opère pas de discrimination entre individus mobiles et individus non mobiles à la sortie ou à l’entrée.

91.

S’agissant de l’argument selon lequel les individus mobiles pourraient potentiellement être dissuadés de quitter leur État membre d’origine, dès le départ, en vue d’intégrer l’université de Vienne, de sorte qu’il existerait une barrière à la sortie de l’Allemagne, il convient de relever, d’une part, à nouveau, que la présente affaire ne concerne pas une telle situation, puisque, formellement, aucune règle allemande n’est ici en cause et, d’autre part, que cet argument exige un acte de foi qui n’a pas été posé en l’espèce ; en effet, à suivre celui-ci, il conviendrait de présumer que, si l’appelante postulait auprès d’une autre université en Allemagne ou dans un État membre autre que l’Autriche, ses périodes d’activité antérieures pertinentes seraient intégralement prises en compte. Toutefois, ce fait n’a pas été établi.

92.

Par ailleurs, s’agissant de l’argument fondé sur une éventuelle barrière à l’entrée sur le marché de l’emploi autrichien, il suffit de rappeler qu’il n’y a apparemment aucune discrimination, ni entre ressortissants nationaux (autrichiens) et étrangers, ni même entre individus mobiles et non mobiles. Chaque individu recruté et la prise en compte de son expérience antérieure sont soumis exactement aux mêmes conditions. Ainsi, il n’a non seulement pas été établi qu’une telle règle aurait le moindre impact supplémentaire pour les ressortissants étrangers ( 41 ), mais il n’apparaît pas non plus pourquoi celle-ci affecterait plus durement les individus mobiles provenant d’autres États membres. À l’instar de ce qui a déjà été relevé ci‑dessus, l’affirmation selon laquelle les individus mobiles seraient davantage susceptibles de disposer d’une expérience antérieure supérieure à quatre années n’est ni crédible ni étayée par de quelconques données ; il s’agit simplement d’un argument extrapolé à partir de la situation particulière de l’appelante. À cet égard, il convient de noter qu’une chose est d’attirer l’attention sur un cas individuel, une autre est de démontrer l’existence d’une différenciation structurelle susceptible de désavantager particulièrement le groupe des individus mobiles.

93.

Selon moi, l’analyse de la Cour devrait s’arrêter ici, en concluant à l’absence de toute entrave à la libre circulation des travailleurs. Toutefois, il me semble utile d’ajouter quelques observations finales en réponse aux arguments de l’appelante et de la Commission selon lesquels, en substance, le fait de ne pas prendre en compte intégralement l’expérience professionnelle pertinente est susceptible de décourager la mobilité professionnelle du personnel universitaire au sein de l’Union, en vue d’illustrer, dans le contexte de ce secteur particulier, quelques conséquences et dangers d’une approche trop large de la notion d’entrave ( 42 ).

94.

En réalité, il n’y a pas de marché de l’emploi intégré pour le personnel universitaire au sein de l’Union. Les règles applicables au personnel universitaire, y compris leurs conditions de travail (en matière de recrutement, d’avancement ou de rémunération) diffèrent tout simplement d’un État membre à un autre, voire d’une université à une autre au sein d’un même État membre.

95.

Par conséquent, dans un marché à ce point fragmenté, la mobilité peut être encouragée en permettant et en renforçant la concurrence, tout en insistant sur l’ouverture des marchés nationaux et la suppression des barrières à l’entrée indirectes prenant la forme de particularités nationales, voire nationalistes, qui n’ont actuellement aucun rapport avec les qualifications objectives requises pour occuper un certain emploi. Parfois, il arrive que des traditions initialement justifiées évoluent au fil du temps pour devenir des reliques inutiles et, ensuite, des barrières à l’entrée (in)directes.

96.

En revanche, je suis contraint d’admettre avec le gouvernement autrichien que, dans des affaires telles que le cas d’espèce, insister sur le fait que la libre circulation des travailleurs garantisse effectivement que tout changement d’employeur soit neutre ( 43 ) pourrait même avoir des conséquences opposées à celles manifestement souhaitées par la Commission : l’effet serait probablement d’entraver la libre circulation du personnel universitaire.

97.

En effet, premièrement, s’agissant de la règle spécifique en cause, une interprétation à ce point large pourrait inciter les partenaires sociaux et/ou les universités autrichiennes à ne plus prendre en compte aucune expérience professionnelle antérieure, ce qui ne serait bénéfique pour aucun travailleur.

98.

Deuxièmement, de façon plus générale, si un employeur établi dans l’État membre d’accueil ne pouvait recruter un maître de conférences provenant d’un autre État membre qu’en lui assurant exactement le même traitement et la même prise en compte de son expérience que dans son État membre d’origine, le coût de cette opération pourrait, en définitive, avoir comme effet de rendre de telles personnes « inemployables » (au regard du type d’emploi pour lequel elles postulent). Cela conduirait vraisemblablement à dresser un obstacle à la mobilité transfrontalière, mais également, tôt ou tard, à créer une barrière sociale (liée à l’âge), dès lors que les maîtres de conférences disposant d’une ancienneté plus importante pourraient voir leur capacité de circuler considérablement réduite (compte tenu de leur « prix » sur le marché).

99.

Troisièmement, d’un point de vue structurel, une autre conséquence problématique d’une telle interprétation large de la notion d’entrave serait de sanctionner les universités situées dans les États qui consentent des efforts pour élargir les possibilités de recrutement de personnel universitaire provenant d’autres États membres. Nul n’ignore sans doute que, en matière d’ouverture du marché des emplois universitaires, il existe une Europe à plusieurs vitesses : il y a des marchés des emplois universitaires ouverts, mais aussi des marchés ouverts seulement en apparence, ainsi que des marchés ne feignant même pas une quelconque ouverture (ou, à tout le moins, qui ne le font pas très habilement). Si les universités et les systèmes ouverts d’un point de vue professionnel étaient contraints, par la loi, de modifier leur politique de recrutement (par ailleurs raisonnable et neutre), afin de répondre aux besoins spécifiques et variés des employés potentiels provenant d’autres États membres, la réaction sans doute non avouée mais naturelle serait probablement de ne plus embaucher de personnes provenant d’autres États membres.

100.

En résumé, il convient peut-être de considérer qu’à la base de toute cette différenciation se trouvent des visions quelque peu opposées. D’une part, il y a, en substance, la vision de la Commission, qui souhaite que le marché européen des emplois universitaires relève d’une forme de grande « fonction publique européenne », dans laquelle les fonctionnaires auraient le droit de circuler librement. La mobilité y serait fondée sur une logique de transfert ou de détachement au sein d’un même régime de fonction publique. D’autre part, on trouve la vision du marché européen des emplois universitaires comme un marché concurrentiel dans lequel des acteurs informés font leurs propres choix concernant le lieu où ils souhaitent s’installer et les motifs qui les poussent à circuler entre plusieurs marchés nationaux nécessairement différents.

101.

Sans même examiner les autres difficultés suscitées par ces visions opposées, telles que le degré frappant de paternalisme et d’ingérence dans toute liberté contractuelle (résiduelle) qui existe dans la négociation d’un contrat, ou la question de savoir comment une telle approche pourrait ensuite être appliquée à des universités non publiques ou à d’autres employeurs privés, les difficultés liées à la transposition du premier choix politique aux réalités diverses de ces marchés ouverts, semi-ouverts ou fermés, mais néanmoins fragmentés, au moyen d’une interprétation très large de la notion d’entrave à la libre circulation, peuvent être identifiées rapidement. Pour le dire sans ambages, afin d’être couronnée de succès, toute tentative d’ingénierie sociale visant à modifier la réalité doit tout d’abord prendre cette dernière comme point de départ.

102.

Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, j’estime que la première question appelle la réponse suivante : l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 492/2011 ne s’opposent pas à une règle selon laquelle, lors de son recrutement par l’université de Vienne, les périodes d’activité antérieures pertinentes accomplies par un maître de conférences sont uniquement prises en compte à concurrence d’une durée totale de quatre années, qu’il s’agisse de périodes d’activité accomplies auprès de l’université de Vienne ou auprès d’un autre établissement universitaire situé en Autriche ou dans un autre État membre.

3. Justification éventuelle et proportionnalité

103.

Compte tenu de la réponse proposée à la première question de la juridiction de renvoi, la question de l’éventuelle justification et de la proportionnalité ne devrait pas se poser. Il n’en reste pas moins que la portée exacte de la notion d’entrave à la libre circulation des travailleurs n’est pas un modèle de clarté analytique. Par conséquent, afin d’assister pleinement la Cour, je formulerai également quelques observations finales relatives à l’éventuelle justification et à la proportionnalité ( 44 ).

104.

Conformément à une jurisprudence bien établie, des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ( 45 ).

105.

Selon l’appelante et la Commission, la limitation de la prise en compte de l’expérience antérieure à concurrence de quatre ans est disproportionnée, dès lors que, dans certains cas extrêmes, elle implique la perte de nombreuses années d’expérience antérieure acquises en tant que maître de conférences ou dans une fonction équivalente en dehors de l’université de Vienne. La Commission considère notamment que l’évaluation de l’expérience antérieure pertinente devrait être réalisée au cas par cas.

106.

Selon l’intimée et le gouvernement autrichien, le droit de l’Union n’exige aucune prise en compte de l’expérience antérieure. L’intimée a décidé de prendre en compte cette expérience à concurrence de quatre années au maximum compte tenu de la valeur ajoutée que celle-ci représente pour les maîtres de conférences dans l’exercice de leurs fonctions. Ce plafonnement à quatre ans est principalement justifié par le fait que cette durée est considérée comme utile et adéquate pour assurer la qualité de l’enseignement. Des périodes d’expérience antérieure plus importantes n’amélioreront généralement pas davantage la qualité de l’enseignement. Si les maîtres de conférences souhaitent progresser davantage dans leurs carrières à l’université, ils doivent postuler pour une autre fonction correspondant à une classe salariale plus élevée.

107.

S’agissant de l’analyse de la justification et de la proportionnalité de la règle de l’expérience antérieure applicable lors du recrutement, il convient, à mon avis, de se rallier à la thèse de l’intimée et du gouvernement autrichien.

108.

Selon la Cour, le fait de récompenser l’expérience acquise dans le domaine concerné, qui met le travailleur en mesure de mieux s’acquitter de ses prestations, constitue un but légitime de politique salariale ( 46 ). Il s’ensuit qu’il est manifestement légitime pour l’intimée d’évaluer l’expérience antérieure des maîtres de conférences postdoctoraux lors de leur recrutement en vue de déterminer leur rémunération en application d’une échelle salariale déterminée. Cet objectif spécifique paraît également conforme à celui d’assurer un haut niveau des formations universitaires, que la Cour a déjà considéré comme constituant un objectif légitime ( 47 ).

109.

Toutefois, la limitation de la prise en compte de l’expérience antérieure à concurrence de quatre années doit-elle être considérée comme proportionnée ? Selon moi, il convient de répondre par l’affirmative.

110.

Selon le raisonnement de l’intimée, la décision de prendre en compte une période de quatre années est proportionnée compte tenu de l’objectif spécifique de dispenser un enseignement de qualité, les compétences nécessaires pour un (bon) maître de conférences étant vraisemblablement acquises principalement au cours des premières années de l’exercice de la profession d’enseignant. Certes, on pourrait toujours soutenir qu’une personne pourrait déjà avoir acquis ces compétences après une année, alors qu’une autre n’en disposerait toujours pas après dix années, de sorte qu’il conviendrait de réaliser une certaine appréciation individuelle. Toutefois, à supposer qu’il convienne d’admettre une règle générale en la matière, ce qui, selon moi, est le cas, je ne vois pas en quoi le choix d’une telle période de quatre années est disproportionné.

111.

La Commission a contesté cette approche en soutenant qu’aucune limitation fixe de la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure ne pouvait être admise et qu’il convient, au contraire, de décider au cas par cas ce qui est adéquat et proportionné dans chaque situation individuelle.

112.

Je ne partage pas le raisonnement de la Commission à cet égard. Premièrement, une interprétation suivant laquelle le critère de proportionnalité interdit de facto toute règle générale et exige systématiquement une appréciation au cas par cas est non seulement exagérée mais également erronée sur le plan structurel. Aussi bien le droit national que le droit de l’Union opèrent fréquemment en transformant des expériences et des hypothèses globales en règles juridiques générales. L’appréciation de la proportionnalité de telles règles revêt alors nécessairement aussi une nature abstraite, dans la mesure où elle implique de vérifier que la règle en cause ne conduit pas, dans la majorité des cas, à des résultats erronés et non pas de démontrer qu’elle est optimale dans chaque situation individuelle ( 48 ). Deuxièmement, les règles claires ont l’avantage d’être prévisibles et permettent d’éviter autant que possible l’arbitraire. À nouveau, ces deux principes favorisent en réalité la libre circulation, étant donné qu’un individu potentiellement mobile pourra déterminer clairement au préalable les critères et les conditions qui lui seront applicables, de sorte qu’il sera en mesure de faire un choix éclairé quant à l’opportunité même de migrer.

113.

Enfin, il convient de souligner à nouveau le fait que la prise en compte de l’expérience antérieure est un choix politique discrétionnaire de l’université de Vienne, qui est déjà relativement favorable comparé aux dispositions de la convention collective ( 49 ). Comme l’a suggéré le gouvernement autrichien lors de l’audience, juger que l’article 45 TFUE s’oppose à une limitation de la prise en compte de l’expérience antérieure à concurrence de quatre années amènerait probablement les employeurs à ne plus du tout prendre en compte l’expérience antérieure, dès lors qu’ils seraient contraints soit de prendre en compte aucune expérience antérieure, soit l’ensemble de celle-ci. Selon la Cour, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser ( 50 ).

C.   Sur la seconde question

114.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un système de rémunération fondé sur l’ancienneté acquise auprès du même employeur, sans prévoir de prise en compte intégrale des périodes d’activité antérieures pertinentes accomplies auprès d’un autre employeur, est compatible avec la libre circulation des travailleurs.

115.

D’une part, cette question est liée à la première question, dès lors qu’elle fait aussi référence à la règle de l’expérience antérieure. D’autre part, elle ajoute également un niveau supplémentaire, à savoir la règle de l’ancienneté, prévue par la convention collective et en vertu de laquelle, après l’entrée en fonction dans une université autrichienne, la rémunération (des maîtres des conférences) augmente en fonction de l’ancienneté acquise auprès de cette université.

116.

L’appelante et la Commission soutiennent que l’application combinée de ces deux règles par l’université de Vienne constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité. La progression salariale dépend principalement de l’exercice ininterrompu d’un emploi auprès d’une même université autrichienne. Étant donné que seules les personnes qui travaillaient pour l’université de Vienne dès le début de leur carrière et qui ont décidé de ne pas quitter celle-ci peuvent bénéficier de la prise en compte intégrale de leurs périodes d’activité antérieures, ces travailleurs (qui sont plus susceptibles d’être des ressortissants autrichiens) sont avantagés. Dans des cas extrêmes, jusqu’à vingt-quatre années d’ancienneté pourraient être perdues lors d’un retour faisant suite à un départ de cette université, de sorte que les employés sont susceptibles d’être dissuadés de quitter celle-ci. S’ils décident de quitter l’université et d’y retourner ultérieurement, leurs périodes d’activités accomplies dans un autre État membre ne seront prises en compte qu’à concurrence de quatre années au maximum. Or il est attendu et présumé qu’au cours d’une carrière universitaire normale il y ait des échanges ou des transferts au sein du personnel.

117.

Selon l’intimée et, dans une certaine mesure, le gouvernement autrichien, le régime de progression salariale établi par la convention collective ne prévoit pas de prise en compte des périodes d’activité antérieures, mais une progression en fonction de l’ancienneté. L’appelante n’a pas fait de distinction, en matière de rémunération, entre la prise en compte des périodes d’activité antérieures et l’avancement au titre de l’ancienneté. L’argumentation de l’appelante est contraire à l’ensemble du système conventionnel autrichien, ainsi qu’au droit de la fonction publique, dès lors qu’à suivre celle-ci toute forme d’avancement à l’ancienneté deviendrait illégale.

118.

Ainsi que je l’ai déjà évoqué dans mes considérations liminaires dans les présentes conclusions ( 51 ), la manière dont les deux règles et les deux différentes questions ont été entremêlées par la juridiction de renvoi a créé une certaine confusion dans les observations des parties intéressées ainsi que lors de l’audience. Deux règles distinctes, applicables à différents groupes de personnes, à différents moments et poursuivant des objectifs distincts ont été regroupées en faisant référence à certains scénarios hypothétiques qui ne constituent pas l’objet de la présente affaire.

119.

En effet, en entremêlant ces deux règles, le raisonnement développé va bien au-delà de toute logique de discrimination ou d’entrave. Il vise plutôt à demander une reformulation complète des règles nationales : pour les ressortissants d’autres États membres, la règle de l’ancienneté, qui s’applique normalement à toutes les personnes relevant de l’institution après l’écoulement d’un certain délai, devrait être appliquée immédiatement lors du recrutement, remplaçant ainsi de facto la règle de l’expérience antérieure normalement applicable à ce moment.

120.

Dans les présentes conclusions, j’ai préféré examiner en premier lieu la règle de l’expérience antérieure applicable lors du recrutement et, seulement ultérieurement, dans le cadre de la seconde question, la règle de l’ancienneté, qui s’applique uniquement et exclusivement en fonction de l’écoulement du temps passé auprès de l’université de Vienne. Sinon, une analyse de comparabilité et de discrimination serait impossible, de même que toute discussion relative aux éventuelles justifications, les deux règles poursuivant des objectifs distincts.

121.

En effet, comme l’indiquent l’intimée et le gouvernement autrichien, contrairement à la règle de l’expérience antérieure, la règle de l’ancienneté ne vise pas à prendre en compte l’expérience antérieure pertinente dans le but ultime d’assurer la qualité de l’enseignement. Son objectif est double : permettre un certain avancement de la carrière (mobilité horizontale) pour les membres du personnel universitaire ne souhaitant pas ou ne pouvant pas être titularisés ou accéder à la fonction de professeur d’université, tout en assurant la fidélité à un seul employeur.

122.

La Cour a déjà jugé, de façon générale, que l’objectif de fidélisation à l’employeur, qui relève de la politique de l’emploi, constitue une exigence impérative d’intérêt général ( 52 ). Comme l’a souligné la Commission elle-même, l’objectif de récompenser la fidélité est susceptible de justifier des restrictions à la libre circulation : l’existence d’un sentiment d’appartenance à l’entreprise peut, en effet, être nécessaire pour assurer une activité économique durable et est susceptible, par conséquent, de favoriser la liberté d’entreprendre et la motivation des travailleurs.

123.

En outre, la plupart des systèmes de rémunération ont tendance à tenir compte de l’ancienneté d’une manière ou d’une autre. Comme l’a indiqué la juridiction de renvoi, les États membres et les partenaires sociaux au niveau national jouissent d’une large marge d’appréciation dans le choix de leurs objectifs en matière de politique sociale et de l’emploi et dans la définition des mesures susceptibles de les réaliser ( 53 ).

124.

Compte tenu de ces considérations générales et de la pertinence de l’ancienneté au sein d’une institution aux fins du calcul de la rémunération, je propose à la Cour de déclarer irrecevable la seconde question.

125.

Premièrement, selon la Cour, la perspective purement hypothétique de l’exercice de la libre circulation ne constitue pas un lien suffisant avec le droit de l’Union pour justifier l’application des dispositions du droit de l’Union ( 54 ).

126.

Dans les circonstances de l’espèce, la seconde question est hypothétique, étant donné qu’elle soulève, de façon abstraite, la problématique des maîtres de conférences qui décident de quitter une université autrichienne pour rejoindre une autre université, avant de retourner ultérieurement en Autriche. Comme l’a indiqué à juste titre l’intimée, le fait que la règle de l’ancienneté soit potentiellement susceptible de constituer une barrière à la sortie pour les ressortissants autrichiens ou, plus généralement, pour les travailleurs employés par des universités autrichiennes, est sans pertinence pour la présente affaire. L’appelante est une ressortissante allemande ayant exercé son droit à la libre circulation pour s’installer en Autriche en vue de travailler auprès de l’université de Vienne. Son éventuel départ de cette université à l’avenir en vue de travailler pour une autre université à l’étranger (ainsi que son éventuel retour, encore plus hypothétique) restent à ce jour de l’ordre de la conjecture.

127.

Deuxièmement, la seconde question posée par la juridiction de renvoi porte en substance sur l’existence d’une « libre circulation de l’expérience professionnelle antérieure » et non d’une « libre circulation de l’ancienneté », au sens strict. La question de la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure a toutefois déjà été examinée ci‑dessus de façon détaillée dans le cadre de la première question, en soulignant à plusieurs reprises les motifs pour lesquels ces deux règles ne peuvent tout simplement pas être placées sur un même plan ( 55 ).

V. Conclusion

128.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) :

L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union ne s’opposent pas à une règle selon laquelle, lors de son recrutement par l’université de Vienne, les périodes d’activité antérieures pertinentes accomplies par un maître de conférences ne peuvent être prises en compte qu’à concurrence d’une durée totale de quatre années, qu’il s’agisse de périodes d’activité accomplies auprès de l’université de Vienne ou auprès d’un autre établissement universitaire situé en Autriche ou dans un autre État membre.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) JO 2011, L 141, p. 1.

( 3 ) Il semble découler de la convention collective que ce type d’avancement de carrière est non seulement applicable aux maîtres de conférences, mais également à certaines autres catégories de personnel enseignant, telles que les professeurs d’université ; toutefois, dans ce dernier cas, la progression d’un échelon salarial à un autre dépend non seulement de l’écoulement du temps, mais également d’une évaluation (positive) de l’employé (voir article 49, paragraphe 1, de la convention collective).

( 4 ) Lors de l’audience, l’intimée a confirmé que, conformément à l’article 49, paragraphe 3, sous a), de la convention collective, l’expérience professionnelle antérieure est prise en compte, quoique seulement à concurrence de trois années au maximum, uniquement pour les maîtres de conférences ne disposant pas d’un doctorat.

( 5 ) Je reviendrai plus en détail sur ces questions aux points 78 à 85 des présentes conclusions.

( 6 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 juillet 2017, Erzberger (C‑566/15, EU:C:2017:562, point 33), et du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, point 36).

( 7 ) Voir, par exemple, arrêts du 26 octobre 2006, Commission/Italie (C‑371/04, EU:C:2006:668, point 17) ; du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799, point 23), et du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, point 16).

( 8 ) Voir, par exemple, arrêts du 6 juin 2000, Angonese (C‑281/98, EU:C:2000:296, point 31), et du 10 mars 2011, Casteels (C‑379/09, EU:C:2011:131, point 19).

( 9 ) Voir, dans un sens similaire, arrêts du 4 juillet 2013, Gardella (C‑233/12, EU:C:2013:449, points 39 et 41), et du 7 avril 2016, ONEm et M. (C‑284/15, EU:C:2016:220, points 33 et 34).

( 10 ) Voir, par exemple, arrêt du 16 septembre 2004, Commission/Autriche (C‑465/01, EU:C:2004:530, points 31 à 33).

( 11 ) Voir, par exemple, arrêts du 28 juin 2012, Erny (C‑172/11, EU:C:2012:399, point 39), et du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799, point 25).

( 12 ) Voir, par exemple, arrêts du 28 juin 2012, Erny (C‑172/11, EU:C:2012:399, point 41), et du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411, point 45).

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, points 16 à 34).

( 14 ) Voir toutefois, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, points 28 et 30).

( 15 ) Il convient de souligner que, bien que ces données ne soient pas contredites par les autres parties à la présente procédure, la Cour n’a ni demandé que ces données soient produites, ni n’a vérifié leur exactitude. J’ajouterai que, selon moi, le critère décisif reste celui de l’hypothèse rationnelle probable d’une incidence plus importante, laquelle peut être nuancée, confirmée, précisée, voire clairement rejetée, par des statistiques produites par les parties. Toutefois, des données statistiques ne sont pas, en tant que telles, systématiquement exigées pour établir une telle probabilité.

( 16 ) Voir notamment conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire Graf (C‑190/98, EU:C:1999:423).

( 17 ) Voir, par exemple, arrêts du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32), et du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49, point 18).

( 18 ) Voir, par exemple, arrêts du 7 mars 1991, Masgio (C‑10/90, EU:C:1991:107, point 23) ; du 15 décembre 1995, Bosman (C‑415/93, EU:C:1995:463, point 96) ; du 26 janvier 1999, Terhoeve (C‑18/95, EU:C:1999:22, point 39), et du 9 septembre 2003, Burbaud (C‑285/01, EU:C:2003:432, point 95).

( 19 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, points 16 et suivants, lus à la lumière des points 35 et suivants).

( 20 ) Arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (C‑415/93, EU:C:1995:463, points 97 à 100). Pour une logique similaire, voir également arrêts du 17 mars 2005, Kranemann (C‑109/04, EU:C:2005:187, point 28 à 30), et du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais (C‑325/08, EU:C:2010:143, point 35).

( 21 ) Arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 74). Pour un autre exemple, voir arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32).

( 22 ) Arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799).

( 23 ) Lorsqu’une règle nationale peut être qualifiée aussi bien de barrière à la sortie que de barrière à l’entrée, la Cour tend à considérer celle-ci comme étant discriminatoire en raison de la nationalité et comme étant une entrave à la libre circulation. Voir, par exemple, outre l’arrêt SALK, l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, points 73 et 74).

( 24 ) Arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799, points 28 à 32). Voir également arrêt du 6 juin 2000, Angonese (C‑281/98, EU:C:2000:296, points 40 à 41).

( 25 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2018:627, point 44).

( 26 ) Voir, ci‑dessus, point 59 des présentes conclusions.

( 27 ) Voir, arrêts du 6 juin 2000, Angonese (C‑281/98, EU:C:2000:296, point 39), et du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799, point 35).

( 28 ) Voir, par exemple, arrêts du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken (C‑514/12, EU:C:2013:799, point 34), et du 3 décembre 2014, De Clercq e.a. (C‑315/13, EU:C:2014:2408, point 61).

( 29 ) Voir, par analogie, s’agissant de la libre circulation des biens, arrêt du 9 septembre 2004, Carbonati Apuani (C‑72/03, EU:C:2004:506, points 22 et 23).

( 30 ) Voir, à cet égard, en dernier lieu, notamment, arrêt du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193), dans lequel la Cour a jugé que l’analyse effectuée aux points 35 à 41 portait sur l’existence d’entraves à la libre circulation et non d’une discrimination en raison de la nationalité (cette dernière analyse étant effectuée antérieurement aux points 16 à 34), tout en effectuant ensuite, au point 38, une comparaison entre la situation des travailleurs exerçant une activité sur le territoire d’un État membre autre que leur État membre d’origine (à savoir des ressortissants étrangers) et les conditions auxquelles sont soumis les travailleurs de cet État membres (à savoir les ressortissants nationaux), et en étendant, au point 39, cette interdiction des discriminations en raison de la nationalité aussi bien aux règles de sortie qu’aux règles d’entrée sur le marché.

( 31 ) Conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire Graf (C‑190/98, EU:C:1999:423, point 21).

( 32 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 juillet 2017, Erzberger (C‑566/15, EU:C:2017:562, point 33 et jurisprudence citée), et du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, point 36).

( 33 ) Je ne peux que renvoyer à nouveau à l’analyse convaincante effectuée par l’avocat général Fennelly dans ses conclusions dans l’affaire Graf (C‑190/98, EU:C:1999:423, point 31).

( 34 ) Arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, EU:C:1974:82, point 5).

( 35 ) Arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905).

( 36 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49), lu à la lumière des conclusions de l’avocat général Fennelly dans cette affaire (EU:C:1999:423, point 32) selon lesquelles « des règles nationales neutres ne sauraient être considérées comme des entraves matérielles à l’accès au marché que s’il était établi que leur effet réel sur les acteurs du marché était analogue à une exclusion du marché ».

( 37 ) Voir arrêt du 18 juillet 2017, Erzberger (C‑566/15, EU:C:2017:562, point 35).

( 38 ) Voir, par exemple, arrêts du 29 avril 2004, Weigel (C‑387/01, EU:C:2004:256, point 55), et du 18 juillet 2017, Erzberger (C‑566/15, EU:C:2017:562, point 36).

( 39 ) Voir, par exemple, arrêts du 7 mars 1990, Krantz (C‑69/88, EU:C:1990:97, point 11) et du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49, points 24 à 25). Il convient de relever que dans son récent arrêt du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, points 37 et 40), la Cour a fait référence aux deux limites.

( 40 ) Voir ci‑dessus, point 38 des présentes conclusions.

( 41 ) Voir ci‑dessus, points 56 à 62 des présentes conclusions.

( 42 ) Examinée de façon générale ci‑dessus, aux points 75 à 85 des présentes conclusions.

( 43 ) Au sens de la « neutralité sociale » examinée ci‑dessus, au point 83 des présentes conclusions.

( 44 ) Cette manière de procéder permet de souligner clairement la nature floue des notions d’entrave, d’objectif légitime et de proportionnalité, la plupart des arguments figurant sous l’une de ces rubriques étant ensuite répétés et reformulés sous l’autre, de sorte qu’il convient à nouveau d’insister sur la nécessité de clarifier la notion d’entrave. À propos de questions similaires dans le contexte de la liberté d’établissement, voir mes conclusions dans l’affaire Hornbach-Baumarkt (C‑382/16, EU:C:2017:974, notamment points 28 à 44 et 128 à 134).

( 45 ) Voir, par exemple, arrêts du 12 septembre 2013, Konstantinides (C‑475/11, EU:C:2013:542, point 50), et du 13 juillet 2016, Pöpperl (C‑187/15, EU:C:2016:550, point 29).

( 46 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 juin 2009, Hütter (C‑88/08, EU:C:2009:381, point 47 et jurisprudence citée), et du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, point 39).

( 47 ) Voir, par exemple, arrêt du 13 novembre 2003, Neri (C‑153/02, EU:C:2003:614, point 46).

( 48 ) Voir, par exemple, pour une discussion similaire relative à la proportionnalité de la limite d’âge de 65 ans (applicable de façon générale) pour certaines catégories de pilotes, laquelle pourrait également être contestée au motif que certains pilotes sont encore très en forme à l’âge de 66 ans, arrêt du 5 juillet 2017, Fries (C‑190/16, EU:C:2017:513, points 57 à 68).

( 49 ) Voir point 35 des présentes conclusions.

( 50 ) Voir, par exemple, arrêts du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C‑45/09, EU:C:2010:601, point 41), et du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, point 45).

( 51 ) Voir ci‑dessus, points 28 à 33 des présentes conclusions.

( 52 ) Arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, points 83 et 85), ou ordonnance du 10 mars 2005, Marhold (C‑178/04, non publiée, EU:C:2005:164, point 34).

( 53 ) Arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 65), et du 5 juillet 2012, Hörnfeldt (C‑141/11, EU:C:2012:421, point 32).

( 54 ) Voir, par exemple, arrêt du 29 mai 1997, Kremzow (C‑299/95, EU:C:1997:254, point 16).

( 55 ) Voir, ci‑dessus, points 28 à 33 et 118 à 120 des présentes conclusions.