CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 janvier 2019 ( 1 )

Affaire C‑516/17

Spiegel Online GmbH

contre

Volker Beck

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Droit d’auteur et droits voisins – Droits exclusifs de reproduction et de communication au public – Flexibilité lors de la mise en œuvre dans le droit national – Exception liée à l’objectif de rendre compte d’événements d’actualité – Possibilité raisonnable de requérir une autorisation avant la publication – Références accessibles par un hyperlien mis à disposition à côté du texte – Œuvre publiée sous sa forme particulière avec l’autorisation de l’auteur »

Introduction

1.

On ne saurait surestimer le rôle joué, dans une société démocratique, par la liberté d’expression en général et la liberté des médias en particulier. Le libre échange d’idées et le contrôle du pouvoir par la société, mécanismes dans lesquels les médias sont des intermédiaires indispensables, constituent la pierre angulaire d’une telle société.

2.

La liberté d’expression a été reconnue comme un droit fondamental dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, avec son article 11. Les auteurs de cette déclaration étaient cependant conscients de ce que l’exercice d’une liberté par les uns est susceptible de limiter celle des autres. Ils ont donc introduit, avec l’article 4, le principe selon lequel « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». En ce qui concerne le point de savoir à qui il revient d’établir les règles d’arbitrage entre ces libertés, cet article précise, à la seconde phrase, que « [c]es bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

3.

Ces principes simples et naturels sont toujours d’actualité. La loi, expression de la volonté générale ( 2 ), a vocation à mettre en balance les différents droits fondamentaux, pour le plus grand bénéfice de tous. Il n’en va pas autrement dans le domaine du droit d’auteur, comme l’illustre parfaitement la présente affaire.

Le cadre juridique

Le droit international

4.

L’article 9, paragraphe 1, de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après la « convention de Berne »), consacre le droit des auteurs d’autoriser toute reproduction de leurs œuvres. L’article 9, paragraphe 2, l’article 10, paragraphe 1, et l’article 10 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne disposent respectivement :

« Est réservée aux législations des pays de l’Union [constituée par les États signataires de la convention de Berne] la faculté de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

[...]

Sont licites les citations tirées d’une œuvre, déjà rendue licitement accessible au public, à condition qu’elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but à atteindre, y compris les citations d’articles de journaux et recueils périodiques sous forme de revues de presse.

[...]

Il est également réservé aux législations des pays de l’Union de régler les conditions dans lesquelles, à l’occasion de comptes rendus des événements d’actualité par le moyen de la photographie ou de la cinématographie, ou par voie de radiodiffusion ou de transmission par fil au public, les œuvres littéraires ou artistiques vues ou entendues au cours de l’événement peuvent, dans la mesure justifiée par le but d’information à atteindre, être reproduites et rendues accessibles au public. »

5.

L’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur ( 3 ) dispose que « [l]es parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et à l’annexe de la [c]onvention de Berne ». Selon la déclaration commune concernant l’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, « [l]e droit de reproduction énoncé à l’article 9 de la [c]onvention de Berne et les exceptions dont il peut être assorti s’appliquent pleinement dans l’environnement numérique, en particulier à l’utilisation des œuvres sous forme numérique. Il est entendu que le stockage d’une œuvre protégée sous forme numérique sur un support électronique constitue une reproduction au sens de l’article 9 de la [c]onvention de Berne» ( 4 ).

Le droit de l’Union

6.

L’article 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 5 ) dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a)

pour les auteurs, de leurs œuvres ;

[...] »

7.

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

8.

L’article 5, paragraphe 3, sous c) et d), de ladite directive dispose :

« Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants :

[...]

c)

lorsqu’il s’agit de la reproduction par la presse, de la communication au public ou de la mise à disposition d’articles publiés sur des thèmes d’actualité à caractère économique, politique ou religieux ou d’œuvres radiodiffusées ou d’autres objets protégés présentant le même caractère, dans les cas où cette utilisation n’est pas expressément réservée et pour autant que la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée, ou lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres ou d’autres objets protégés afin de rendre compte d’événements d’actualité, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi et sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur ;

d)

lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ;

[...] »

9.

Enfin, aux termes de l’article 5, paragraphe 5, de cette même directive :

« Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

Le droit allemand

10.

La directive 2001/29 a été transposée en droit allemand dans le Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (ci-après l’« UrhG »). L’article 50 de l’UrhG dispose :

« Pour rendre compte d’événements d’actualité par la radiodiffusion ou des moyens techniques similaires, dans des journaux, des périodiques et d’autres publications ou sur tout autre support, qui relatent principalement les événements du jour, ainsi que dans un film, il est licite de reproduire, de distribuer et de communiquer au public, dans la mesure justifiée par le but à atteindre, les œuvres qui peuvent être vues et entendues au cours des événements rapportés. »

11.

En vertu de l’article 51 de l’UrhG :

« La reproduction, la distribution et la communication au public, à des fins de citation, d’une œuvre déjà publiée sont licites dans la mesure où l’ampleur de l’utilisation est justifiée par le but spécifique à atteindre. Il est notamment licite :

1.   d’intégrer des œuvres individuelles, après leur publication, dans un ouvrage scientifique autonome en vue d’expliciter son contenu ;

2.   de citer des passages d’une œuvre, après sa publication, dans une œuvre littéraire autonome ;

3.   de citer, dans une œuvre musicale autonome, des passages ponctuels d’une œuvre musicale déjà publiée. »

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

12.

M. Volker Beck, requérant en première instance et défendeur en Revision dans la procédure au principal (ci-après le « défendeur »), était un élu parlementaire au Bundestag (chambre basse du Parlement fédéral, Allemagne) entre 1994 et 2017. Il est l’auteur d’un article portant sur des questions sensibles et controversées afférant à la politique pénale. Cet article a fait l’objet d’une publication, en 1988, dans le cadre d’un recueil de textes. Lors de cette publication, l’éditeur a modifié le titre du manuscrit et une phrase de celui-ci a été raccourcie. Le défendeur s’en est plaint auprès de l’éditeur et a exigé de lui, sans succès, qu’il l’indique par une mention de l’éditeur lors de la publication du recueil. Depuis au moins l’année 1993, le défendeur a totalement pris ses distances avec le contenu de cet article.

13.

En 2013, le manuscrit de l’article en cause a été découvert dans des archives et a été présenté au défendeur, alors candidat aux élections législatives qui devaient se tenir quelques jours plus tard. Le défendeur a mis le document à la disposition de différentes rédactions de journaux à titre de preuve du fait que son manuscrit avait été modifié dans l’article publié dans le recueil. Il n’a pas consenti, en revanche, à la publication des textes par les médias. Il a néanmoins lui-même publié les deux versions de l’article sur son propre site Internet, en faisant figurer, sur chaque page, la mention suivante : « Je prends mes distances par rapport à cet article. Volker Beck. » Sur les pages de l’article publié dans le recueil figurait en outre la mention suivante : « [La publication de] ce texte n’a pas fait l’objet d’une autorisation et il a été altéré par une rédaction libre de sous-titre et de parties du texte par l’éditeur. »

14.

Spiegel Online GmbH, partie défenderesse en première instance et requérante en Revision dans la procédure au principal (ci-après la « requérante »), exploite le portail d’informations Spiegel Online sur Internet. Le 20 septembre 2013, elle a publié un article dans lequel elle a affirmé que le défendeur avait trompé le public pendant des années, en raison du fait que le contenu essentiel figurant dans son manuscrit n’avait pas été altéré dans l’édition de 1988. Outre cet article de la requérante, les versions originales du manuscrit et de l’article du défendeur publié dans le recueil étaient disponibles pour le téléchargement, par le biais de liens hypertextes.

15.

Le défendeur a contesté la mise à disposition des textes complets de son article sur le site Internet de la requérante, qu’il considère comme constitutive d’une atteinte à son droit d’auteur. Le Landgericht (tribunal régional, Allemagne) a fait droit aux conclusions du défendeur. La requérante a ensuite été déboutée de son appel. Elle a donc formé un pourvoi en Revision devant la juridiction de renvoi.

16.

Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les dispositions du droit de l’Union relatives aux exceptions ou limitations [au droit d’auteur] laissent-elles des marges d’appréciation pour leur transposition en droit national conformément à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29 ?

2)

De quelle manière convient-il de tenir compte des droits fondamentaux consacrés dans la charte des droit fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la « Charte »] dans la détermination de la portée des exceptions ou des limitations, prévues à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29, au droit exclusif des auteurs à la reproduction [article 2, sous a), de la directive 2001/29] et à la communication au public, y compris la mise à la disposition du public (article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29), de leurs œuvres ?

3)

Les droits fondamentaux à la liberté d’information (article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de la [Charte]) ou à la liberté de la presse (article 11, paragraphe 2, de la [Charte]) peuvent-ils justifier des exceptions ou des limitations au droit exclusif des auteurs à la reproduction [article 2, sous a), de la directive 2001/29] et à la communication au public, y compris la mise à la disposition du public (article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29), de leurs œuvres en dehors des exceptions ou des limitations prévues à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29 ?

4)

Doit-on considérer que la mise à la disposition du public d’œuvres protégées au titre du droit d’auteur sur le portail Internet d’une entreprise de presse ne constitue pas d’emblée un compte rendu d’événements d’actualité dispensé d’autorisation conformément à l’article 5, paragraphe 3, sous c), deuxième cas de figure, de la directive 2001/29, dès lors que l’entreprise de presse avait la possibilité de solliciter l’accord de l’auteur avant la mise à disposition du public et que l’on pouvait raisonnablement l’exiger d’elle ?

5)

Une publication à des fins de citations conformément à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 fait-elle défaut si le texte des œuvres citées ou des parties de celui-ci ne sont pas insérés dans le nouveau texte de manière indissociable, par exemple, par des retraits typographiques ou des notes de bas de page, mais sont mis à la disposition du public sur Internet, au moyen de liens hypertextes, en tant que fichiers PDF consultables de manière autonome à côté du nouveau texte ?

6)

Pour déterminer le moment à partir duquel une œuvre a déjà été mise de manière licite à la disposition du public au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, convient-il de se baser sur le point de savoir si cette œuvre, telle qu’elle se présente de manière concrète, a déjà été publiée auparavant avec l’accord de l’auteur ? »

17.

La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 25 août 2017. Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal, les gouvernements français, portugais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties, à l’exception du gouvernement portugais, ont été représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 3 juillet 2018.

Analyse

18.

La juridiction de renvoi a posé six questions préjudicielles tenant tant à l’interprétation des dispositions de la directive 2001/29 que, plus généralement, à la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la transposition et l’application de ces dispositions et à leur articulation avec les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et des médias. Dans les présentes conclusions, j’analyserai ces différentes questions, en modifiant cependant l’ordre dans lequel elles ont été posées par la juridiction de renvoi. J’examinerai tout d’abord l’interprétation des dispositions du droit dérivé, puis les questions plus générales relatives aux droits fondamentaux.

Sur la première question préjudicielle

19.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à déterminer la marge de manœuvre dont disposent les États membres en transposant dans leur droit interne les dispositions du droit de l’Union relatives aux exceptions et limitations au droit d’auteur.

20.

Cette question est similaire à la cinquième question préjudicielle posée par la même juridiction dans l’affaire Pelham e.a. ( 6 ). Dans mes conclusions dans cette affaire, je propose de répondre que les États membres, tout en restant libres dans le choix des moyens, se trouvent dans l’obligation de garantir dans leur droit interne la protection des droits exclusifs énoncés aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29, ces droits ne pouvant être restreints que dans le cadre de l’application des exceptions et des limitations prévues de manière exhaustive à l’article 5 de cette directive. Par souci de brièveté, je me limiterai donc ici à renvoyer aux développements consacrés à cette question dans le cadre desdites conclusions ( 7 ).

21.

Je voudrais toutefois ajouter les remarques suivantes en ce qui concerne les arguments avancés par la requérante dans ses observations présentées dans la présente affaire.

22.

Premièrement, la requérante soutient que la marge d’appréciation des États membres dans la mise en œuvre du droit d’auteur de l’Union découle de l’article 167, paragraphe 4, TFUE. Aux termes de cette disposition, l’Union européenne « tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures ». La requérante fait valoir que, le droit d’auteur relevant de la réglementation de la culture, les États membres doivent disposer d’une large marge d’appréciation dans son application afin que soit prise en compte la diversité de leurs cultures.

23.

Cependant, l’article 167 TFUE est une disposition à valeur générale d’orientation, qui régit l’action des institutions de l’Union dans les domaines ayant trait à la culture. Cet article est même expressément mentionné, au considérant 12 de la directive 2001/29 ( 8 ), par le législateur de l’Union qui en tire d’ailleurs des conséquences, me semble-t-il, opposées à celles de la requérante, à savoir qu’il est nécessaire d’accorder une protection suffisante aux œuvres protégées par le droit d’auteur. Toutefois, à supposer même que la publication d’articles concernant la vie politique relève de la notion de « culture » au sens de l’article 167 TFUE, cette disposition ne saurait être interprétée comme permettant aux États membres de déroger aux obligations inconditionnelles qui résultent des dispositions du droit dérivé de l’Union. Toute autre interprétation reviendrait à nier la compétence de l’Union pour harmoniser le droit des États membres dans quelque domaine que ce soit ayant un lien avec la culture, comme le droit d’auteur, les services audiovisuels, le marché des œuvres d’art, etc. Il en va de même en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel l’importance accordée en droit allemand à la liberté d’expression et des médias constituerait une spécificité culturelle de cet État membre.

24.

S’il existe donc une marge d’appréciation des États membres en ce qui concerne la mise en œuvre de la directive 2001/29, celle-ci est limitée par les obligations qui découlent des dispositions impératives de cette directive.

25.

Deuxièmement, la requérante soutient que l’action du défendeur dans la procédure au principal avait pour objectif de protéger non pas ses droits d’auteur patrimoniaux, mais ses droits moraux, voire ses droits personnels. À cet égard, il suffit de constater que cette procédure a pour objet les actes de reproduction et de communication au public de l’œuvre dont le défendeur est l’auteur, effectués par la requérante, lesquels relèvent incontestablement de la directive 2001/29. En ce qui concerne les similitudes entre la présente affaire et l’affaire Funke Medien NRW ( 9 ), je traiterai de ce point ci-après, dans la partie consacrée à l’articulation entre le droit d’auteur et les droits fondamentaux ( 10 ).

26.

Dès lors, les arguments de la requérante n’affectent pas mes constatations relatives à la marge d’appréciation des États membres dans la mise en œuvre de la directive 2001/29.

Sur la quatrième question préjudicielle

27.

Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’exception de compte rendu d’événements d’actualité, contenue à l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29, peut être, en droit interne, limitée aux cas dans lesquels il ne pouvait pas être raisonnablement exigé de l’utilisateur d’une œuvre qu’il sollicite l’autorisation de l’auteur de celle-ci. En effet, selon les informations figurant dans la demande de décision préjudicielle, une telle limitation de l’exception résulte, en droit allemand, de la jurisprudence de la juridiction de renvoi.

28.

Il ne me semble pas que cette limitation de l’exception puisse poser problème du point de vue de sa conformité avec la disposition susvisée de la directive 2001/29. En effet, la ratio legis de cette exception découle du fait qu’il est parfois extrêmement difficile, voire impossible, de rendre compte d’événements d’actualité sans reproduire et communiquer au public une œuvre protégée par le droit d’auteur. C’est le cas, notamment, dans deux types de situations. La première situation est celle où l’œuvre en question peut faire elle-même l’objet de l’événement, par exemple quand celui-ci consiste en l’ouverture d’une exposition d’œuvres d’art ou en un concert. Le compte rendu d’un tel événement et, donc, l’information fournie au public relativement à cet événement, seraient fortement appauvris s’il n’était pas possible de communiquer à tout le moins des extraits des œuvres étant au centre de l’événement relaté. La seconde situation est celle dans laquelle l’œuvre peut être vue ou entendue de manière fortuite lors de l’événement. L’exemple souvent donné est celui de la musique accompagnant une cérémonie officielle. Dans de telles situations, il est donc justifié d’accorder à l’auteur du compte rendu le droit de reproduire et de communiquer librement l’œuvre car, s’agissant d’un événement d’actualité, il ne serait pas raisonnable d’exiger de lui, ne serait-ce qu’en raison d’un manque de temps, qu’il sollicite l’autorisation de l’auteur de l’œuvre en question. Qui plus est, ce dernier pourrait très bien, dans l’exercice de son droit exclusif, refuser d’accorder son autorisation, ce qui remettrait en cause le droit du public d’être informé à propos de l’événement en question.

29.

Cependant, comme l’exige explicitement l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29, l’exception de compte rendu s’applique « dans la mesure justifiée par le but de l’information poursuivi ». Cette limitation concerne, à mon sens, non seulement l’étendue de la reproduction et de la communication autorisée, mais également les situations dans lesquelles l’exception trouve à s’appliquer, à savoir celles où il ne pouvait pas être raisonnablement exigé de l’auteur du compte rendu qu’il sollicite l’autorisation de l’auteur de l’œuvre reproduite et communiquée dans le cadre dudit compte rendu. Par conséquent, selon moi, une limitation de l’exception en question telle que prévue en droit allemand non seulement n’est pas contraire à la disposition pertinente de la directive 2001/29, mais est inhérente à la nature et à l’objectif de cette exception.

30.

En revanche, la raison pour laquelle cette exception ne trouve pas, à mon avis, à s’appliquer dans des cas comme celui de la présente espèce réside ailleurs.

31.

L’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29 reprend le contenu de l’article 10 bis de la convention de Berne ( 11 ). La seconde partie de l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29 reprend le contenu de l’article 10 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne ( 12 ). Elle doit donc être interprétée en accord avec cette disposition de la convention de Berne, l’Union européenne ayant l’obligation de se conformer à cette convention, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le juger ( 13 ).

32.

Or, l’article 10 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne est formulé de manière bien plus précise que la disposition analysée de la directive 2001/29.

33.

En effet, la disposition conventionnelle vise uniquement les cas des comptes rendus d’actualité communiqués par voie sonore et visuelle (photographie, radio, télévision, cinématographie). Il est alors permis de reproduire, dans la mesure justifiée par les besoins de l’information, les œuvres vues ou entendues lors des événements faisant l’objet de ces comptes rendus ( 14 ).

34.

Contrairement à ce qu’avance la juridiction de renvoi, je suis d’avis que cette exception, interprétée à la lumière de la convention de Berne, ne saurait trouver à s’appliquer dans une situation telle que celle de l’affaire au principal. Selon cette juridiction, l’événement en cause dans le litige au principal consiste en la confrontation du défendeur avec son manuscrit retrouvé dans les archives ainsi qu’en sa réaction à ce fait. Ce manuscrit aurait donc été rendu visible lors de cet événement par la publication qui en a été faite tant par la requérante que par le défendeur lui-même sur son site Internet. Je ne partage pas cette analyse.

35.

Le compte rendu dont il s’agit en l’espèce est présenté sous forme d’un texte écrit, c’est-à-dire un système de transcription de la langue sous forme de symboles graphiques. Si la perception d’un texte se fait, le plus souvent, par voie visuelle, elle nécessite un processus mental de décodage de ces symboles pour percevoir l’information qui est ainsi transmise. Dès lors, contrairement à l’information purement visuelle, il ne suffit pas de voir le texte : il faut le lire.

36.

Il en va de même en ce qui concerne l’œuvre reproduite dans le cadre de ce compte rendu, en l’occurrence l’article du défendeur. Le but de la reproduction et de la communication de cet article par la requérante n’était pas simplement d’illustrer les propos de son compte rendu, mais de démontrer que les deux versions de l’article en cause, le manuscrit et celle publiée dans le recueil, étaient en substance identiques et que, dès lors, les propos du défendeur n’avaient pas été dénaturés dans la version publiée dans le recueil. Aux fins d’une telle démonstration, il ne suffisait pas que le lecteur du compte rendu voie l’article : il fallait qu’il le lise, dans les deux versions, faute de quoi l’objectif de la reproduction ( 15 ) n’aurait pas été atteint. Il ne suffit donc pas que l’œuvre utilisée soit vue ou entendue au cours de l’événement d’actualité faisant l’objet du compte rendu en cause. Une analyse supplémentaire par le lecteur dudit compte rendu était en l’espèce nécessaire. Or, une telle analyse supplémentaire dépasse le cadre de l’exception de compte rendu d’actualité prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29, interprété à la lumière de l’article 10 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne.

37.

Je propose donc de répondre à la quatrième question préjudicielle que l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que l’utilisation d’une œuvre littéraire dans le cadre d’un compte rendu d’actualité ne relève pas de l’exception prévue à cet article lorsque le but poursuivi par cette utilisation nécessite la lecture de la totalité ou d’une partie de cette œuvre.

38.

Je dois d’emblée souligner que cette interprétation n’affecte pas le droit pour le public de recevoir l’information contenue dans le compte rendu en question. En effet, si une telle utilisation ne s’analyse pas comme une utilisation licite au titre de la disposition susmentionnée, elle peut s’analyser comme une citation, pour laquelle une exception au droit exclusif de l’auteur est prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29. Cette considération nous amène aux cinquième et sixième questions préjudicielles.

Sur la cinquième question préjudicielle

39.

Par sa cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’une mise à disposition du public d’une œuvre protégée par le droit d’auteur sur Internet, en tant que fichier PDF lié par un lien hypertexte à un article de presse, mais consultable de manière autonome, relève de l’exception de citation prévue à cette disposition.

40.

En effet, dans le cas d’espèce, l’article du défendeur n’a pas été inséré de manière indissociable dans l’article publié par la requérante sur son site Internet, mais a été mis à disposition sur ledit site en tant que fichier autonome, la liaison avec l’article de la requérante étant assurée par des liens hypertextes. Cette manière peu conventionnelle de citer est à l’origine des doutes de la juridiction de renvoi.

41.

L’exception de citation est une des exceptions les plus classiques au droit d’auteur ( 16 ). Elle a longtemps été considérée comme s’appliquant uniquement aux œuvres littéraires ( 17 ). Dans ce type d’œuvres, les citations sont traditionnellement signalées par des moyens typographiques : guillemets, italiques, caractères différents du texte principal, notes de bas de page, etc.

42.

À l’heure actuelle, il ne semble pas exclu que la citation puisse concerner d’autres catégories d’œuvres, notamment musicales et cinématographiques, mais également des œuvres d’arts plastiques ( 18 ). Dans ces cas, les méthodes d’incorporation des citations dans l’œuvre citante et de leur identification doivent naturellement être adaptées.

43.

Il en va de même, à mon avis, en ce qui concerne l’incorporation des citations dans des œuvres littéraires. Les technologies modernes, notamment Internet, permettent de lier de différentes manières les textes entre eux, par exemple, par le biais des liens hypertextes. Bien entendu, un lien étroit entre la citation et l’œuvre citante doit être maintenu. Les architectures des pages Internet pouvant fortement varier, une analyse au cas par cas serait probablement nécessaire. Par exemple, la technique dite de framing permet d’insérer un contenu de manière à ce que l’utilisateur de la page Internet ait l’impression que ce contenu se trouve directement sur cette page, bien que, techniquement, il s’agisse d’un lien hypertexte. Il ne me semble cependant pas qu’il faille exclure d’emblée les citations faites à l’aide des liens hypertextes ( 19 ).

44.

Je pense, en revanche, que le problème dans la présente affaire résulte de la manière concrète dont la requérante a procédé à la reproduction et à la mise à disposition de l’article du défendeur. Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, cet article a été publié sur le site Internet de la requérante dans son intégralité, sous forme de fichiers PDF consultables et téléchargeables indépendamment du texte principal qui décrivait l’événement en question. Les liens hypertextes vers ces fichiers figuraient non seulement sur la page où se trouvait ledit texte principal, mais également sur la page Internet principale de la requérante. Or il me semble qu’une telle mise à disposition (et la reproduction qui l’a nécessairement précédée) dépasse les limites de ce qui est permis dans le cadre de l’exception de citation.

45.

En ce qui concerne la possibilité de citer une œuvre entière, la doctrine semble partagée ( 20 ). Le libellé de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 ne précise pas l’ampleur autorisée en ce qui concerne une citation. La Cour semble avoir admis la citation intégrale d’une œuvre photographique ( 21 ), même si elle décrit la citation comme une « reproduction d’extraits » d’une œuvre ( 22 ). Dans la convention de Berne, la formulation limitative originelle « courtes citations» ( 23 ) a été abandonnée et remplacée par l’exigence générale que les citations soient utilisées « dans la mesure justifiée par le but à atteindre ». Une formulation similaire a été retenue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29. Il semblerait donc en principe permis, si le but poursuivi le justifie, de citer une œuvre dans son intégralité.

46.

Le point sur lequel la doctrine est, en revanche, unanime est que la citation ne doit pas entrer en concurrence avec l’œuvre originale, en dispensant l’utilisateur de se référer à celle-ci ( 24 ). En effet, une telle citation, en se substituant à l’œuvre originale, permettrait de contourner les prérogatives exclusives de l’auteur sur son œuvre, en les vidant de tout contenu. L’auteur de l’œuvre ainsi citée serait donc privé de l’essentiel des droits qu’il détient en cette qualité, ces droits pouvant en revanche être exercés à sa place par l’auteur de l’œuvre citante par le biais de celle-ci.

47.

À mon avis, c’est précisément le cas dans la situation où une œuvre littéraire, genre dans lequel l’élément essentiel pour la perception de l’œuvre est non pas sa forme mais son contenu, est mise à la disposition du public sur un site Internet, sous forme de fichier accessible et téléchargeable de manière autonome. Formellement, un tel fichier peut être présenté comme une citation et être lié avec le texte de l’auteur de la citation, par exemple par un lien hypertexte. Néanmoins, ledit fichier est de facto exploité indépendamment de ce texte et peut être utilisé de manière autonome par les utilisateurs du site Internet de l’auteur de la citation, en leur donnant un accès non autorisé à l’œuvre originale et, ce faisant, en les dispensant de recourir à celle-ci.

48.

Je suis donc d’avis que l’exception de citation est susceptible de justifier des utilisations d’œuvres d’autrui de différentes ampleurs et par le biais de différents modes techniques. Cependant, le jeu combiné de l’ampleur de l’utilisation et des moyens techniques utilisés peut conduire à la transgression des limites de cette exception. Notamment, l’exception de citation ne saurait couvrir des situations dans lesquelles une œuvre est, sans autorisation de l’auteur, mise à la disposition du public sur un site Internet, dans son intégralité, en tant que fichier accessible et téléchargeable de manière autonome.

49.

Contrairement à ce qu’a indiqué la juridiction de renvoi dans la demande de décision préjudicielle, je pense que ce qui est en cause ici, est non pas l’appréciation du risque réel d’une exploitation autonome de l’œuvre citée, mais la définition de la notion même de citation ( 25 ). Or, à tout le moins dans le cas d’œuvres littéraires, toute mise à disposition sur Internet, sous forme de fichier autonome, de l’œuvre dans son intégralité dispense le lecteur de recourir à l’œuvre originale et dépasse donc les limites de cette exception, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le risque réel de son exploitation subséquente.

50.

Admettre une citation pouvant se substituer à l’œuvre originale serait également contraire aux exigences du « triple test », contenu tant à l’article 9, paragraphe 2, de la convention de Berne ( 26 ) qu’à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, selon lequel les exceptions au droit d’auteur ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni aux intérêts légitimes de l’auteur, ces conditions étant cumulatives. Or, une citation qui dispense l’utilisateur de recourir à l’œuvre originale, en se substituant à celle-ci, porte nécessairement atteinte à son exploitation normale.

51.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation de la requérante selon laquelle le défendeur n’envisageait pas une exploitation économique de l’article en cause, son opposition à la communication de celui-ci au public étant motivée uniquement par le souci de protéger ses intérêts personnels. En effet, cette conclusion concerne non pas uniquement l’application de l’exception de citation dans l’affaire au principal, mais également les limites normatives de cette exception en droit de l’Union. Or ces limites sont indépendantes du point de savoir si, dans un cas concret, l’auteur exploite son œuvre ou envisage son exploitation. Il suffit, en effet, que l’utilisation dans le cadre de l’exception porte potentiellement atteinte à cette exploitation pour que l’interprétation en cause de l’exception soit contraire au triple test, tel que prévu à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29.

52.

Par conséquent, je propose de répondre à la cinquième question préjudicielle que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que l’exception de citation prévue à cette disposition ne couvre pas les situations dans lesquelles une œuvre est, sans autorisation de l’auteur, mise à la disposition du public sur un site Internet, dans son intégralité, en tant que fichier accessible et téléchargeable de manière autonome, dispensant l’utilisateur de recourir à l’œuvre originale.

Sur la sixième question préjudicielle

53.

Par sa sixième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, comment doit être interprétée, dans les conditions du cas d’espèce, la condition contenue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 selon laquelle la citation ne concerne qu’une œuvre déjà licitement mise à la disposition du public.

54.

Étant donné que ma proposition de réponse à la cinquième question préjudicielle conduit à exclure l’application de cette exception au cas d’espèce, la sixième question revêt un caractère hypothétique. Je formulerai cependant quelques remarques à son sujet, pour le cas où la Cour ne partagerait pas mon analyse relative à la cinquième question préjudicielle.

55.

L’exigence que la citation concerne uniquement les œuvres déjà licitement mises à la disposition du public est traditionnellement admise en matière de droit d’auteur et se retrouve notamment à l’article 10, paragraphe 1, de la convention de Berne. L’objectif de cette exigence est de protéger les droits moraux de l’auteur, notamment le droit de divulgation, en vertu duquel c’est l’auteur qui décide de la première communication publique ou mise à la disposition du public de son œuvre. Cette première mise à la disposition du public peut se faire avec l’accord de l’auteur ou en vertu d’une licence légale. La Cour semble également avoir tacitement admis la divulgation dans le cadre d’une exception, à savoir celle prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 ( 27 ). Cette solution ne me paraît pas aller de soi, car les exceptions prévues à l’article 5, paragraphes 1 à 3, de la directive 2001/29 dérogent uniquement aux droits patrimoniaux des auteurs et ne devraient pas, en principe, porter atteinte à leurs droits moraux. En tout état de cause, cette première mise à la disposition du public ne saurait bien évidemment résulter de la citation elle-même.

56.

En ce qui concerne l’article du défendeur en cause au principal, il résulte des informations contenues dans la demande de décision préjudicielle que celui-ci a été publié dans une version dans le recueil paru en 1988, puis, dans les deux versions sur le site Internet du défendeur après la découverte du manuscrit dans les archives. Il semblerait donc que, au moment de sa publication sur le site Internet de la requérante, cet article avait déjà été licitement mis à la disposition du public, ce qu’il appartiendrait à la juridiction de renvoi de vérifier.

57.

Le seul problème pourrait découler du fait que la publication dans le recueil aurait prétendument dénaturé la pensée du défendeur, tandis que la publication sur son propre site Internet a été complétée par une prise de distance de celui-ci par rapport à son article, cette prise de distance n’ayant pas été reproduite par la requérante. Il pourrait donc s’agir ici d’une atteinte aux droits moraux du défendeur, notamment à son droit au respect de l’œuvre. Cependant, les droits moraux n’étant pas couverts par les dispositions de la directive 2001/29, l’appréciation sur ce point relève pleinement des juridictions nationales et du droit interne des États membres.

58.

Dans le cas où la Cour ne partagerait pas ma proposition de réponse à la cinquième question préjudicielle, je proposerai de répondre à la sixième question préjudicielle que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que l’œuvre faisant objet de la citation doit avoir été déjà mise à la disposition du public avec l’accord de l’auteur ou en vertu d’une licence légale, ce qu’il appartient aux juridictions nationales de vérifier.

Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

59.

Il résulte des réponses que je propose de donner aux quatrième et cinquième questions préjudicielles que l’utilisation d’une œuvre telle que celle que la requérante a faite de l’article du défendeur en cause au principal n’est pas couverte par les exceptions aux droits exclusifs de l’auteur envisagées par la juridiction de renvoi, à savoir celles prévues à l’article 5, paragraphe 3, sous c) et d), de la directive 2001/29. La juridiction de renvoi souhaite cependant également savoir si cette utilisation pourrait être justifiée par des considérations tenant au respect des droits fondamentaux de la requérante, notamment sa liberté d’expression, garantie en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de la Charte, et la liberté des médias, mentionnée au paragraphe 2 de cet article. C’est le sujet des deuxième et troisième questions préjudicielles, que je propose d’analyser conjointement.

60.

Par ses deuxième et troisième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande en substance si la liberté d’expression et la liberté des médias constituent une limitation ou justifient une exception ou une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la communication au public de son œuvre dans le cas d’une publication de celle-ci par un organe de presse dans le cadre d’un débat tenant à des questions d’intérêt général.

61.

Ces questions sont identiques aux deuxième et troisième questions préjudicielles posées par la même juridiction de renvoi dans l’affaire Funke Medien NRW ( 28 ) et sont également, en substance, similaires à la sixième question préjudicielle posée par cette même juridiction dans l’affaire Pelham e.a ( 29 ).

62.

Dans mes conclusions dans l’affaire Pelham e.a., j’ai proposé de répondre, en substance, que, le droit d’auteur contenant déjà des limites et exceptions destinées à concilier les droits exclusifs des auteurs avec les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression, il y a lieu, normalement, de respecter les choix effectués par le législateur à cet égard. En effet, ces choix découlent d’une pondération des droits fondamentaux des utilisateurs des œuvres avec les droits des auteurs et autres ayants droit qui sont également protégés en tant que droit fondamental, à savoir le droit de propriété, consacré à l’article 17 de la Charte, qui mentionne expressément la propriété intellectuelle à son paragraphe 2. Cette pondération relève de la marge d’appréciation du législateur, le juge ne devant intervenir qu’exceptionnellement, en cas de violation du contenu essentiel d’un droit fondamental ( 30 ).

63.

J’ajouterai que l’idée, suggérée dans la troisième question préjudicielle, de compléter, par voie judiciaire, le droit d’auteur de l’Union par des exceptions non prévues à l’article 5 de la directive 2001/29 et motivées par des considérations tenant à la liberté d’expression risquerait, selon moi, de remettre en cause l’efficacité de ce droit et de l’harmonisation qu’il vise. En effet, une telle faculté reviendrait à introduire dans le droit de l’Union une sorte de « clause de fair use », car pratiquement chaque utilisation d’œuvres attentatoire au droit d’auteur peut se prévaloir, d’une façon ou d’une autre, de la liberté d’expression ( 31 ). Ainsi, la protection effectivement accordée aux droits des auteurs dépendrait de la sensibilité des juges de chaque État membre à la liberté d’expression, en transformant tout effort d’harmonisation en un vœu pieux ( 32 ).

64.

Ce raisonnement est à mon avis pleinement applicable au cas d’espèce.

65.

J’ai déjà souligné, dans l’introduction des présentes conclusions, l’importance de la liberté d’expression et de la liberté des médias dans une société démocratique, j’en ferai donc ici l’économie. Ces libertés, comme tous les droits fondamentaux, ne sont cependant pas absolues ni illimitées, comme cela ressort clairement de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que de l’article 10, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), qui prévoient des limitations aux droits fondamentaux et les conditions d’application de ces limitations. Le droit d’auteur peut constituer une de ces limitations légitimes de la liberté d’expression ( 33 ) et cette liberté n’a pas la primauté, en principe, sur le droit d’auteur, en dehors des limitations et exceptions que le droit d’auteur prévoit lui-même.

66.

Ainsi, il convient de répondre à l’argument soulevé par la requérante, selon lequel il est décisif, pour la liberté d’expression et des médias, de savoir qui contrôle l’information, que lorsque l’information en cause consiste en une œuvre protégée par le droit d’auteur, c’est l’auteur qui en contrôle la divulgation et la circulation, sous réserve des limitations et exceptions ci-dessus mentionnées.

67.

Il est vrai que la situation dans le litige au principal constitue un cas spécifique en ce que l’auteur de l’œuvre en question est un homme politique, l’œuvre elle-même exprime ses opinions sur un sujet d’intérêt général et la communication litigieuse de cette œuvre au public par la requérante a eu lieu dans le cadre du débat précédant les élections législatives. On pourrait alors se poser la question de savoir si le cas d’espèce ne constitue pas une situation analogue à celle de l’affaire Funke Medien NRW ( 34 ), dans laquelle j’ai proposé de considérer que les droits d’auteur de l’État allemand ne justifiaient pas l’atteinte à la liberté d’expression qui en résultait.

68.

Cependant, je suis d’avis que les circonstances de la présente affaire ne sauraient conduire à l’adoption d’une solution analogue.

69.

Premièrement, la spécificité de l’affaire Funke Medien NRW ( 35 ) tient au fait que l’œuvre en question consiste en des rapports militaires périodiques confidentiels à caractère purement factuel ( 36 ) et que l’État allemand, titulaire des droits d’auteur de ces rapports, a décidé de substituer la protection de ces documents en tant qu’informations confidentielles par la protection découlant du droit d’auteur. S’agissant d’un État, celui-ci ne saurait se prévaloir, afin d’appuyer son droit d’auteur, d’un droit fondamental, les droits fondamentaux ne bénéficiant qu’aux particuliers.

70.

Dans la présente affaire, le caractère d’œuvre, au sens du droit d’auteur, de l’article en question n’est pas remis en cause et le titulaire des droits d’auteur est une personne physique. Or, une telle personne, contrairement à un État, ne dispose pas d’instruments tels que la possibilité de classifier un document comme confidentiel, en restreignant ainsi l’accès légal à celui-ci. Pour une personne physique, le principal moyen, sinon le seul, de protéger sa création intellectuelle est le droit d’auteur. En outre, cet auteur, en tant que personne physique, bénéficie du droit fondamental de propriété ainsi que d’autres droits fondamentaux, protégés au même titre que la liberté d’expression des utilisateurs potentiels de son œuvre. La limitation de cette liberté d’expression, qui résulte des prérogatives exclusives de l’auteur en question, est donc légitime en ce sens qu’elle découle de la protection d’un autre droit fondamental. Il y a donc lieu de procéder à une pondération de ces différents droits fondamentaux, pondération qui, en principe, a été faite par le législateur dans le cadre des dispositions régissant le droit d’auteur.

71.

Deuxièmement, il est vrai que le défendeur, exerçant une fonction élective, est soumis à des exigences particulièrement strictes en ce qui concerne le contrôle de son activité publique, notamment le contrôle exercé par les médias. Dans certaines circonstances, ce contrôle pourrait éventuellement justifier la communication au public de l’article du défendeur sans son autorisation, par exemple si celui-ci essayait d’en dissimuler le contenu ( 37 ).

72.

Cependant, en l’espèce, le défendeur a agi en toute transparence en publiant lui-même, sur son site Internet, les deux versions de son article et en permettant ainsi à chacun de se faire une opinion sur l’importance des écarts qui existaient entre ces deux versions. Par ailleurs, cette publication sur le site Internet du défendeur a facilité la tâche de la requérante, qui aurait été en mesure d’atteindre son objectif d’information par des moyens moins attentatoires au droit d’auteur, notamment en citant les passages pertinents des deux versions de l’article du défendeur ou en créant un lien hypertexte vers le site Internet de celui-ci.

73.

En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la prise de distance du défendeur par rapport à son article, par le biais d’une mention apposée sur les deux textes publiés sur son site Internet, empêchait la perception objective du lecteur, il suffit d’observer qu’il est loisible à l’auteur de se distancier de son œuvre. Je ne pense pas que cette prise de distance, qui ne constitue qu’une information complémentaire, ait empêché le lecteur d’analyser objectivement les deux versions de l’article en question. Si le lecteur est suffisamment avisé pour comparer les deux versions du texte, il est également capable d’apprécier la sincérité d’une telle prise de distance.

74.

Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument de la requérante selon lequel un lien hypertexte vers le site Internet du défendeur ne serait pas suffisant en raison du fait qu’un tel lien est nécessairement dépendant du contenu de la page cible. La requérante étant par ailleurs en possession de l’article du défendeur, il lui aurait été tout à fait possible de réagir dans le cas où celui-ci aurait supprimé l’article en question de son site. La situation du point de vue de la liberté d’expression serait alors différente. Ce n’était cependant pas le cas.

75.

Enfin, troisièmement, ma conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel le défendeur, en invoquant ses droits de reproduction et de communication au public de son article, avait en réalité pour objectif non pas de défendre ses prérogatives patrimoniales d’auteur, mais de protéger ses droits personnels, y compris ceux qui ne découlent pas de sa qualité d’auteur dudit article. Or ces droits personnels n’entreraient pas dans le champ d’application de la directive 2001/29 ni dans celui du droit de l’Union en général.

76.

Dans la mesure où la requérante entend se prévaloir d’une exception aux droits d’auteur, il est à noter, d’une part, que la jouissance desdits droits n’est pas conditionnée par une exploitation effective de l’œuvre par son auteur. Le droit d’auteur, et notamment les droits patrimoniaux, garantit à l’auteur non seulement l’exploitation non entravée de son œuvre, mais également la protection contre l’exploitation de celle-ci par des tiers, si cette exploitation n’est pas autorisée par l’auteur. Or, en mettant l’article du défendeur à la disposition du public sur son site Internet, la requérante a effectué un acte d’exploitation de cet article au sens du droit d’auteur.

77.

Par ailleurs, les droits moraux d’auteur, même s’ils restent en dehors du champ de l’harmonisation réalisée par la directive 2001/29 ( 38 ), doivent être pris en compte dans l’interprétation des dispositions de cette directive lorsque l’application de ces dispositions peut porter atteinte auxdits droits. La directive 2001/29 n’effectue qu’une harmonisation partielle du droit d’auteur. Cela signifie qu’elle ne s’applique ni hors contexte ni, ce qui résulte de la nature même d’une directive, directement. Ses dispositions doivent être transposées dans le droit interne des États membres, où elles interagissent avec d’autres dispositions de ce droit, notamment celles qui régissent les droits moraux de l’auteur. Ainsi, l’interprétation d’une exception à un droit patrimonial de l’auteur ne saurait faire abstraction de ses droits moraux en admettant une utilisation libre de l’œuvre du seul fait que l’auteur en question n’envisage aucune exploitation économique de cette œuvre mais cherche uniquement à protéger ses droits moraux.

78.

Ensuite, si l’argument de la requérante doit être compris en ce sens que, en l’absence d’exploitation économique de l’œuvre, le droit d’auteur du défendeur, qui est l’émanation de son droit de propriété protégé en vertu de l’article 17 de la Charte, ne justifie pas la limitation de la liberté d’expression qui en résulte, j’observe que la situation dans la présente affaire n’est pas similaire à celle de l’affaire Funke Medien NRW, dans laquelle j’ai proposé un raisonnement analogue ( 39 ), et ce pour les raisons développées aux points 69 et 70 des présentes conclusions.

79.

En outre, dans la mise en balance des droits fondamentaux des parties au litige au principal, il y a lieu de prendre en compte non seulement le droit de propriété du défendeur, mais également ses autres droits fondamentaux pouvant éventuellement entrer en jeu. L’événement qui est à l’origine du litige au principal est la confrontation du défendeur avec les convictions qu’il avait exprimées par le passé dans l’œuvre en cause. Par son recours, le défendeur a cherché à préserver son monopole en ce qui concerne la communication de cette œuvre au public afin de pouvoir assortir cette communication de la mention selon laquelle il se distanciait des convictions exprimées dans cette œuvre. Or la Charte, à son article 10, consacre la liberté de pensée qui, selon le libellé exprès de cette disposition, « implique la liberté de changer [...] de conviction» ( 40 ). Je ne vois pas de raison de ne pas accorder ce droit aux hommes politiques. Comment donc le défendeur pourrait-il effectivement exercer sa liberté de changer de conviction si l’article contenant ses convictions antérieures pouvait être librement publié sous son nom et sans la mention de prise de distance, suggérant ainsi au public qu’il s’agit de ses convictions actuelles ?

80.

Le défendeur est donc bien fondé à protéger ses droits découlant de la Charte ( 41 ) par les instruments juridiques à sa disposition, en l’occurrence le droit d’auteur. S’il le fait dans les limites de la loi, il n’y a aucun abus et la limitation qui en découle pour la liberté d’expression de la requérante ne saurait être jugée injustifiée.

81.

Je propose donc de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles que la liberté d’expression et des médias ne constitue pas une limitation et ne justifie pas une exception ni une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la communication au public de son œuvre en dehors des limitations et exceptions prévues à l’article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2001/29. Il en est ainsi également dans la situation où l’auteur de l’œuvre en question exerce une fonction publique et où cette œuvre révèle ses convictions concernant des questions d’intérêt général, dans la mesure où ladite œuvre se trouve déjà à la disposition du public.

Conclusion

82.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de donner les réponses suivantes aux questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) :

1)

Les États membres se trouvent dans l’obligation de garantir dans leur droit interne la protection des droits exclusifs énoncés aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ces droits ne pouvant être restreints que dans le cadre de l’application des exceptions et limitations prévues de manière exhaustive à l’article 5 de cette directive. Les États membres restent, en revanche, libres en ce qui concerne le choix des moyens qu’ils jugent opportun de mettre en œuvre afin de se conformer à cette obligation.

2)

L’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que l’utilisation d’une œuvre littéraire dans le cadre d’un compte rendu d’actualité ne relève pas de l’exception prévue à cet article lorsque le but poursuivi par cette utilisation nécessite la lecture de la totalité ou d’une partie de cette œuvre.

3)

L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que l’exception de citation prévue à cette disposition ne couvre pas les situations dans lesquelles une œuvre est, sans autorisation de l’auteur, mise à la disposition du public sur un site Internet, dans son intégralité, en tant que fichier accessible et téléchargeable de manière autonome, dispensant l’utilisateur de recourir à l’œuvre originale.

4)

La liberté d’expression et des médias, consacrée à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne constitue pas une limitation et ne justifie pas une exception ni une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la communication au public de son œuvre en dehors des limitations et exceptions prévues à l’article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2001/29. Il en est ainsi également dans la situation où l’auteur de l’œuvre en question exerce une fonction publique et où cette œuvre révèle ses convictions concernant des questions d’intérêt général, dans la mesure où ladite œuvre se trouve déjà à la disposition du public.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Cela est également un apport de la déclaration de 1789, article 6.

( 3 ) Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996 et entré en vigueur le 6 mars 2002 (ci-après le « traité de l’OMPI sur le droit d’auteur »), dont l’Union européenne est partie en vertu de la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, relative à l’approbation, au nom de la Communauté européenne, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes (JO 2000, L 89, p. 6).

( 4 ) Déclaration de la conférence diplomatique ayant adopté le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, annexée à ce traité (article 25 dudit traité).

( 5 ) JO 2001, L 167, p. 10.

( 6 ) C-476/17, actuellement pendante devant la Cour.

( 7 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Pelham (C‑476/17, [réf. à ajouter], points 71 à 79).

( 8 ) Plus précisément la disposition qui l’a précédé, c’est-à-dire l’article 151 CE.

( 9 ) C‑469/17, actuellement pendante devant la Cour.

( 10 ) Voir, en particulier, points 69 et 70 des présentes conclusions.

( 11 ) Il résulte implicitement de l’exposé des motifs de la proposition de la directive 2001/29 présentée par la Commission le 21 janvier 1998 [COM(97) 628 final] que telle était la volonté du législateur. Dans cet exposé, il est observé, notamment, que la convention de Berne garantit aux auteurs le droit de reproduction ; que, selon la déclaration commune à l’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, ce droit s’applique pleinement dans l’environnement numérique, et que les exceptions et limitations audit droit de reproduction doivent être compatibles avec le standard de protection établi par cette convention (voir exposé des motifs de la proposition de la Commission, p. 14 et 15). Voir également considérant 44, première phrase, de la directive 2001/29.

( 12 ) La première partie de l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29 reprend l’article 10 bis, paragraphe 1, de la convention de Berne, qui concerne la reproduction des articles d’actualité et des émissions de même nature. Cette exception n’est pas en cause dans la présente affaire.

( 13 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 13 novembre 2018, Levola Hengelo (C‑310/17, EU:C:2018:899, point 38).

( 14 ) Cette précision, selon laquelle il doit s’agir d’œuvres vues ou entendues lors de l’événement, se retrouve également à l’article 50 de l’UrhG, qui introduit l’exception des comptes rendus d’actualité en droit allemand.

( 15 ) C’est-à-dire le but de l’information poursuivi, pour reprendre les termes de l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/29 et de l’article 10 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne.

( 16 ) Déjà en 1812, Charles Nodier observait dans Questions de littérature légale que « de tous les emprunts qu’on peut faire à un auteur, il n’y en a certainement point de plus excusable que la citation [...] ». (Je cite d’après : Pollaud-Dulian, F., Le Droit d’auteur, Economica, Paris, 2014, p. 852).

( 17 ) L’article 10 de la convention de Berne, dans sa version résultant de l’acte de Bruxelles de 1948, disposait : « Dans tous les pays de l’Union sont licites les courtes citations d’articles de journaux et recueils périodiques, même sous forme de revues de presse. »

( 18 ) La Cour semble l’avoir tacitement admis en ce qui concerne les œuvres photographiques (voir arrêt du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, points 122 et 123).

( 19 ) Bien entendu, je parle ici de liens vers des contenus mis à disposition par la personne se prévalant de l’exception de citation. Les liens vers des pages Internet d’autrui sur lesquelles des objets protégés par le droit d’auteur sont licitement mis à disposition ne constituent pas des actes de reproduction ni de communication au public et ne nécessitent donc pas de dérogation aux droits exclusifs (voir arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a., C‑466/12, EU:C:2014:76, dispositif).

( 20 ) Voir, comme exemples parmi d’autres : Barta, J., Markiewicz, R., Prawo autorskie, Wolters Kluwer, Varsovie, 2016, p. 236 et 237 ; Pollaud-Dulian, F., Le Droit d’auteur, Economica, Paris, 2014, p. 855 ; ainsi que Stanisławska-Kloc, S., « Zasady wykorzystywania cudzych utworów : prawo autorskie i dobre obyczaje (etyka cytatu) », Diametros, no 19/2009, p. 160 à 184, et en particulier p. 168.

( 21 ) Arrêt du 1er décembre 2011, Painer (C‑145/10, EU:C:2011:798, points 122 et 123). Voir également les conclusions de l’avocat général Trstenjak dans cette affaire (C‑145/10, EU:C:2011:239, point 212).

( 22 ) Arrêt du 1er décembre 2011, Painer (C‑145/10, EU:C:2011:798, point 135).

( 23 ) Voir note de bas de page 17 des présentes conclusions.

( 24 ) Voir, notamment, Barta, J., Markiewicz, R., Prawo autorskie, Wolters Kluwer, Varsovie, 2016, p. 239 ; Pollaud-Dulian, F., Le Droit d’auteur, Economica, Paris, 2014, p. 851 ; Preussner-Zamorska, J., Marcinkowska, J., dans Barta, J. (éd.), Prawo autorskie, C.H.Beck, Varsovie, 2013, p. 565 ; ainsi que Vivant, M., Bruguière, J.-M., Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz, Paris, 2016, p. 572.

( 25 ) Cette notion devant être interprétée en tant que notion autonome du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2014, Deckmyn et VrijheidsfondsC‑201/13, EU:C:2014:2132, points 14 à 17).

( 26 ) Et repris à l’article 10 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur.

( 27 ) Utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement des procédures administratives, parlementaires ou judiciaires. Voir arrêt du 1er décembre 2011, Painer (C‑145/10, EU:C:2011:798, points 143 et 144).

( 28 ) C‑469/17, actuellement pendante devant la Cour.

( 29 ) C‑476/17, actuellement pendante devant la Cour. Il est vrai que cette affaire concerne la liberté des arts, consacrée à l’article 13 de la Charte. Cette liberté n’est cependant qu’une incarnation de la liberté d’expression.

( 30 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Pelham ([réf. à ajouter], points 90 à 99).

( 31 ) Selon la Cour européenne des droits de l’homme, relève de la liberté d’expression, par exemple, le partage de fichiers dans le cadre de réseaux peer-to-peer (voir Cour EDH, 19 février 2013, Neij et Sunde Kolmisoppi c. Suède, CE:ECHR:2013:0219DEC004039712).

( 32 ) L’expression est de A. Lucas dans Lucas, A., Ginsburg, J.C., « Droit d’auteur, liberté d’expression et libre accès à l’information (étude comparée de droit américain et européen) », Revue internationale du droit d’auteur, vol. 249 (2016), p. 4 à 153, à la p. 25.

( 33 ) Voir Cour EDH, 10 janvier 2013, Ashby Donald e.a. c. France (CE:ECHR:2013:0110JUD003676908, § 36).

( 34 ) C‑469/17, actuellement pendante devant la Cour.

( 35 ) C‑469/17, actuellement pendante devant la Cour.

( 36 ) Dont il n’a pas été établi qu’ils bénéficiaient de la protection par le droit d’auteur (voir mes conclusions dans l’affaire Funke Medien NRW, C‑469/17, EU:C:2018:870, point 20).

( 37 ) Il est souvent donné pour exemple d’une situation où les besoins du débat public doivent prévaloir sur le droit d’auteur la décision du Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye, Pays-Bas), du 4 septembre 2003, dans l’affaire concernant la publication des documents de l’Église de scientologie (NL:GHSGR:2003:AI5638) (voir observations sur cet arrêt de Vivant, M., Propriétés intellectuelles, no 12, p. 834).

( 38 ) Voir considérant 19 de la directive 2001/29.

( 39 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Funke Medien NRW (C‑469/17, EU:C:2018:870, points 58 à 61).

( 40 ) Le même droit se retrouve à l’article 9, paragraphe 1, de la CEDH, dont le libellé est en substance identique à celui de l’article 10, paragraphe 1, de la Charte.

( 41 ) Je laisse ici de côté le débat sur le point de savoir si l’annonce publique du changement des convictions reste encore dans le champ d’application de l’article 10 de la Charte, ou bien entre dans celui de son article 11.