CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. EVGENI TANCHEV
présentées le 19 décembre 2019 ( 1 )
Affaire C‑511/17
Györgyné Lintner
contre
UniCredit Bank Hungary Zrt.
[demande de décision préjudicielle formée par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie)]
« Renvoi préjudicielle – Protection des consommateurs – Clauses abusives – Directive 93/13/CEE – Article 4, paragraphe 1 – Clauses contractuelles à prendre en compte dans l’appréciation du caractère abusif – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Portée de l’examen d’office par le juge national du caractère abusif des clauses figurant dans les contrats conclus avec les consommateurs »
I. Introduction
1. |
La présente affaire a pour objet une demande de décision préjudicielle formée par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) concernant l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 2 ). Elle fait partie d’une série d’affaires dont la Cour a été saisie, relatives à la législation hongroise en matière de contrats de prêt à la consommation libellés en devise étrangère ( 3 ). |
2. |
Or, cette affaire soulève des questions fondamentales concernant l’obligation du juge national d’examiner d’office les clauses abusives des contrats conclus avec les consommateurs conformément à la jurisprudence de la Cour interprétant la directive 93/13. Ces questions visent notamment, en premier lieu, le point de savoir si l’examen d’office par la juridiction nationale des clauses abusives doit s’étendre à toutes les clauses du contrat, même si les clauses ne sont pas liées à l’objet du litige, et, en second lieu, celui de savoir dans quelle mesure un juge national peut être appelé à prendre d’office des mesures d’instruction afin d’obtenir les éléments de droit et de fait nécessaires pour mener cet examen. |
3. |
La présente affaire offre donc à la Cour une précieuse occasion de développer et préciser sa jurisprudence relative à la directive 93/13, notamment en ce qui concerne la portée de l’obligation incombant au juge national de prendre d’office des mesures d’instruction à la suite de l’arrêt marquant du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659). |
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. |
L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose : « Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. » |
5. |
L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose : « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes clauses, s’il peut subsister sans les clauses abusives. » |
6. |
L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit également : « Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. » |
B. Le droit hongrois
7. |
L’article 3, paragraphe 2, de la Polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi no III de 1952 relative au code de procédure civile, ci‑après le « code de procédure civile »), tel qu’il s’appliquait à l’époque des faits, dispose : « Le juge – en l’absence d’une disposition légale contraire – est lié par les conclusions et les arguments juridiques présentés par les parties. Le juge ne prend pas en considération les conclusions et arguments soumis par les parties en fonction de leur dénomination formelle, mais en fonction de leur contenu. » |
8. |
Selon l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile : « Relèvent de la compétence des juridictions départementales [...] les recours qui visent à établir l’invalidité de clauses contractuelles abusives. » |
9. |
L’article 73/A, paragraphe 1, sous b), du code de procédure civile dispose : « La représentation par un avocat est obligatoire : [...] dans les affaires ressortissant de la compétence d’une juridiction départementale en tant que juridiction de première instance, et ce à tous les stades de la procédure, et dans le cadre également d’un appel [...] » |
10. |
L’article 213, paragraphe 1, du code de procédure civile dispose : « La décision contenue dans le jugement doit porter sur toutes les demandes formulées dans le cadre de l’affaire, ou dans le cadre des affaires jointes en vertu de l’article 149. » |
11. |
L’article 215 du code de procédure civile dispose : « La décision ne peut s’étendre au-delà des demandes formulées dans le cadre du recours et en défense. Cette règle s’applique également en ce qui concerne les prétentions accessoires aux demandes principales (intérêts, frais, etc.). » |
III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles
12. |
Selon la décision de renvoi, le 13 décembre 2007, Mme Györgyné Lintner, qui agit en tant que consommateur, a conclu avec l’établissement financier UniCredit Bank Hungary Zrt. un contrat de prêt libellé en francs suisses, mais accordé et remboursable en forints hongrois, et garanti par une hypothèque (ci‑après le « contrat ») ( 4 ). |
13. |
Considérant que le contrat contenait certaines clauses qui pouvaient être considérées abusives, le 18 juillet 2012, Mme Lintner a formé un recours contre UniCredit Bank Hungary devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale). Dans son recours, Mme Lintner a demandé à la juridiction de renvoi de déclarer invalides les clauses 7.2.2, 7.3 et 7.4 du contrat, donnant à UniCredit Bank Hungary le droit d’apporter des modifications unilatérales au contrat, et de déclarer que ces clauses n’étaient pas contraignantes à son égard à compter de la date à laquelle le contrat a été conclu. Au soutien de son recours, elle a invoqué, notamment, la directive 93/13. |
14. |
Par arrêt du 29 août 2013, la juridiction de renvoi a rejeté ce recours. Mme Lintner a interjeté appel de cet arrêt. |
15. |
Par ordonnance du 1er avril 2014, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) a annulé cet arrêt et enjoint à la juridiction de renvoi de rouvrir la procédure et rendre une nouvelle décision. |
16. |
Ainsi qu’il est indiqué dans la décision de renvoi, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a déclaré, notamment, dans cette ordonnance que l’application efficace de la directive 93/13 n’est possible que si le juge national examine d’office la totalité du contrat litigieux et, s’il constate, à cette occasion, que certaines conditions sont abusives, il interroge la consommatrice sur le point de savoir si elle souhaite invoquer également le caractère abusif d’autres clauses. À cet égard, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) s’est référée aux clauses 1, 2, 4, 10.4 et 11.2 du contrat, à la clause 1.8 des conditions générales dont les stipulations font partie du contrat, ainsi qu’aux clauses III.13.4, III.18.1, paragraphes 1, 4, et 5, et III.18.2, sous j), des conditions générales applicables aux contrats avec les particuliers. Elle a enjoint à la juridiction de renvoi de demander à Mme Lintner d’indiquer si elle souhaitait invoquer le caractère abusif de ces clauses ou d’autres clauses du contrat, et si elle se reconnaissait liée par le contrat une fois écartées les clauses en question. |
17. |
Il ressort du dossier présenté à la Cour que, par un mémoire complétant la requête initiale du 5 juillet 2014, le représentant de Mme Lintner a demandé à la juridiction de renvoi de déclarer l’ensemble des clauses identifiées dans l’ordonnance du 1er avril 2014 invalides, en plus des clauses visées dans la requête initiale. |
18. |
Par ordonnance du 26 octobre 2015, la juridiction de renvoi a invité Mme Lintner à présenter une demande tendant à ce que les effets juridiques d’une invalidité du contrat s’appliquent conformément à la législation nationale concernant les contrats de prêt libellés en devise étrangère qui avait été adoptée en 2014. Cette législation inclut notamment les lois DH1 ( 5 ) et DH2 ( 6 ), qui contiennent des dispositions régissant la détermination du caractère abusif et les conséquences à en tirer à l’égard des clauses contenues dans ces contrats relatives au pouvoir d’apporter des modifications unilatérales au contrat en faveur du prêteur (ci‑après la « faculté de modification unilatérale ») et la différence entre les cours d’achat et de vente de la devise concernée (le « risque de change ») ( 7 ). |
19. |
Selon la décision de renvoi, l’invitation n’ayant pas eu de suite, la juridiction de renvoi a clos la procédure par une ordonnance du 7 décembre 2015. Mme Lintner a interjeté appel de cette ordonnance. |
20. |
Par ordonnance du 29 mars 2016, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a confirmé l’ordonnance de la juridiction de renvoi du 7 décembre 2015 en ce qui concerne la nature abusive des clauses du contrat relatives à la faculté unilatérale de modification de celui‑ci et à l’écart entre taux de change, ainsi que le prévoient les lois DH1 et DH2. Cependant, cette juridiction a annulé cette ordonnance pour le surplus, et enjoint à la juridiction de renvoi de rouvrir la procédure et de rendre une nouvelle décision. Elle a considéré que, bien que les clauses mentionnées dans les lois DH1 et DH2 ne pouvaient plus faire l’objet d’une décision juridictionnelle ( 8 ), Mme Lintner avait maintenu ses conclusions demandant la constatation du caractère abusif des clauses identifiées dans son ordonnance du 1er avril 2014. Elle a donc décidé que la juridiction de renvoi devait, dans le cadre de la réouverture de la procédure, statuer sur le fond des autres allégations de Mme Lintner. |
21. |
Sur ce fondement, la juridiction de renvoi a indiqué dans la décision de renvoi qu’elle est appelée à examiner d’office les clauses contractuelles que Mme Lintner, en tant que requérante dans la procédure au principal agissant par l’intermédiaire de son représentant, n’avait pas contestées en première instance, et que cette dernière n’avait pas non plus indiqué de faits dans les moyens de son recours dont il pourrait être déduit qu’elle avait également demandé de déclarer que les clauses identifiées par la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) dans son ordonnance du 1er avril 2014 étaient abusives. |
22. |
Eu égard à la jurisprudence de la Cour ( 9 ), la juridiction de renvoi n’a pas considéré qu’il était évident de déterminer, dans le cadre d’une interprétation correcte de la directive 93/13, dans quelle mesure une juridiction nationale est tenue d’examiner d’office si chaque clause du contrat est abusive, et dans quelle mesure cette juridiction est tenue à cet examen par les demandes du requérant, eu égard au fait que, selon le droit hongrois, les affaires telles que celle au principal, où une déclaration d’invalidité de clauses contractuelles abusives est demandée, ne peuvent être soumises que par un avocat. |
23. |
C’est dans ces conditions que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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IV. La procédure devant la Cour
24. |
Dans la décision de renvoi, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a observé que le Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a présenté une demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑51/17, OTP Bank et OTP Faktoring, dont la cinquième question est pertinente aux fins des questions posées dans la présente affaire. La juridiction de renvoi a de ce fait demandé à la Cour de joindre les deux affaires. |
25. |
Par décision du président de la Cour, la présente affaire a été suspendue jusqu’à ce que la Cour rende l’arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750). |
26. |
Cet arrêt ayant été porté à l’attention de la juridiction de renvoi, la Cour a demandé à cette dernière si elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle. La juridiction de renvoi a répondu par l’affirmative le 16 octobre 2018. |
27. |
Des observations écrites ont été présentées à la Cour par UniCredit Bank Hungary, le gouvernement hongrois et la Commission européenne. Ces derniers ont également pris part à l’audience qui eut lieu le 19 septembre 2019. |
V. Résumé des observations des parties
28. |
UniCredit Bank Hungary soutient qu’il conviendrait de répondre aux trois questions posées, analysées ensemble, que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 n’imposent pas aux juridictions nationales d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles qui n’ont pas été contestées par le consommateur et qui sont sans rapport avec les clauses visées par le recours. À l’instar la réponse de la Cour à la cinquième question posée dans l’affaire OTP Bank et OTP Faktoring ( 10 ), un juge national ne doit examiner d’office les clauses abusives que s’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et si la clause concernée est pertinente aux fins de statuer sur le recours et présente un rapport matériel et logique avec cette dernière. Dans la mesure où, sur le fondement du dossier, la juridiction relève une possibilité d’abus non couverte par les conclusions du recours, mais ayant un rapport avec celles‑ci, cette juridiction doit s’assurer que la clause abusive ne lie pas le consommateur, mais l’examen d’office ne devrait pas s’étendre à l’ensemble du contrat en l’absence d’une demande en ce sens ni consister à rechercher des clauses susceptibles d’être qualifiées d’abusives. |
29. |
Selon UniCredit Bank Hungary, cette position est conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité, puisque le juge national n’est pas habilité sur le fondement du droit national à examiner d’office des clauses qui ne sont pas nécessaires pour statuer sur le recours, et le consommateur n’est pas empêché de faire valoir le caractère abusif d’une clause non examinée dans le litige en cause dans le cadre d’une procédure ultérieure ( 11 ). En outre, la Cour ne s’est jamais prononcée en faveur d’une obligation de procéder à un examen d’office illimité ( 12 ), et comme cette partie l’a souligné à l’audience, une obligation d’examiner d’office toutes les clauses contractuelles rendrait incertain l’objet du litige et signifierait que la décision de la Cour acquiert l’autorité de la chose jugée pour l’ensemble du contrat, de sorte qu’une autre juridiction ne pourrait pas s’y soustraire ou examiner le contrat. |
30. |
Le gouvernement hongrois propose de répondre par la négative à la première question préjudicielle. Une juridiction nationale n’est pas tenue d’examiner séparément chacune des clauses contractuelles sur le point de savoir si elle peut être considérée abusive. Parmi les clauses dont le caractère abusif n’a pas été invoqué par les parties, une juridiction doit examiner d’office celles dont le caractère abusif peut être clairement établi, en fait, sur la base des éléments de preuve disponibles. Cette approche tient compte à la fois du principe dispositif et du principe de la protection des intérêts du consommateur, garantit une solution conforme à ces deux principes et respecte également la jurisprudence de l’Union, aux termes de laquelle l’examen d’office d’une clause abusive est subordonné à la condition de disposer des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. |
31. |
Le gouvernement hongrois fait valoir que, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour ( 13 ), le point de savoir si le consommateur est représenté par un avocat ne fait pas de différence à l’égard de l’examen d’office. En outre, si l’examen des preuves effectué sur la base des offres de preuves des parties, compte tenu de la requête et du mémoire en défense, aboutit clairement à la constatation qu’une clause contractuelle non invoquée par les parties est abusive, la juridiction doit constater d’office le caractère abusif de cette clause, mais si la juridiction ne dispose pas des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, la juridiction n’est pas tenue de constater d’office le caractère abusif puisqu’il lui est impossible d’administrer des preuves d’office. Ainsi que ce gouvernement l’a indiqué à l’audience, la jurisprudence de la Cour relative à l’obligation du juge national de prendre d’office des mesures d’instruction est liée au champ d’application de la directive 93/13 et, lorsqu’il existe des indications qu’une clause pourrait être abusive mais que la juridiction a besoin d’autres éléments de preuve pour se forger une opinion sur la question, le droit hongrois prévoit que la juridiction informe les parties de cette possibilité et le consommateur peut alors étendre ses demandes et verser les pièces utiles au dossier. |
32. |
Au soutien de sa position, le gouvernement hongrois se réfère à certains avis de la Kúria (Cour suprême) ( 14 ) qui indiquent notamment que dans la mesure où une juridiction doit relever d’office le caractère abusif d’une clause, elle doit permettre aux parties de présenter des observations sur ce point afin d’éviter des « jugements surprise », auxquels les parties ne s’attendaient pas. Le gouvernement hongrois attire également l’attention sur l’avis du groupe de la Cour suprême de Hongrie chargé de l’analyse de la jurisprudence relative aux clauses abusives dans les contrats de crédit ( 15 ) qui a considéré, notamment, que dans les litiges visant à faire constater la nullité de clauses contractuelles abusives, la juridiction ne doit vérifier, en vertu du droit de l’Union, que les clauses contractuelles non invoquées par le consommateur qui sont indispensables à l’interprétation des dispositions nécessaires à l’appréciation de la requête ou du mémoire en défense ou celles qui en influencent l’application et que, dans le cadre de la détermination du caractère abusif des clauses contractuelles, la juridiction ne peut pas statuer au-delà des faits établis sur la base des offres de preuves des parties et de faits publics ou notoires. |
33. |
Le gouvernement hongrois fait valoir qu’il conviendrait de répondre à la deuxième question qu’il découle de la directive 93/13 et de la jurisprudence de la Cour qu’il y a lieu d’examiner aussi toutes les autres stipulations du contrat aux fins d’apprécier si la clause sur laquelle le recours est fondé est abusive et que, lors de cet examen, il peut arriver que le juge national relève d’office le caractère abusif de certaines clauses du contrat non invoquées par le consommateur. Toutefois, le juge national ne doit relever d’office le caractère abusif que dans le cas des clauses pour lesquelles il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. |
34. |
Dans le même ordre d’idées, le gouvernement hongrois estime qu’il convient de répondre par l’affirmative à la troisième question, étant entendu que si, lors de l’examen effectué dans les limites de la demande, le juge national constate, sur la base des éléments de droit et de fait disponibles, qu’une clause contractuelle est clairement et manifestement abusive, il doit la prendre en compte d’office même lorsque les parties ne l’ont pas invoquée. |
35. |
La Commission soutient que la Cour doit répondre aux trois questions, considérées ensemble, que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’il incombe au juge appelé à statuer sur le caractère abusif de clauses de contrats conclus avec des consommateurs, lors de son appréciation desdites clauses, de tenir compte des circonstances du contrat et de toutes ses autres clauses, et de statuer en prenant ces éléments en considération pour établir le caractère abusif de la clause contractuelle ou s’assurer que le contrat peut subsister sans la clause abusive. L’obligation pour le juge national de prendre en compte d’office le caractère abusif des clauses contractuelles relevant du champ d’application de la directive 93/13 ne va pas jusqu’à l’obliger à examiner individuellement le caractère abusif de chacune des clauses du contrat si le consommateur ne le souhaite pas, à condition que le consommateur ne perde pas son droit, sur la base du droit procédural national, en particulier en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée, de contester dans une autre procédure les clauses non invoquées dans l’affaire au principal. |
36. |
La Commission soutient, en référence à la jurisprudence de la Cour ( 16 ) que, tandis que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 n’imposent pas au juge national d’examiner individuellement chacune des clauses lorsqu’il procède à une appréciation globale du contrat, si le juge national rencontre, au cours de cette appréciation, d’autres clauses susceptibles d’être considérées abusives, il doit l’indiquer aux parties et inviter le consommateur à modifier ses conclusions, de manière à garantir l’effet utile de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13. La demande du requérant constitue la limite de l’examen d’office opéré par le juge national en vertu de la directive 93/13 et la circonstance que le consommateur est représenté par un avocat n’est pas importante à l’égard du niveau de protection garanti par cette directive. Comme la Commission l’a indiqué à l’audience, le juge national doit examiner d’office toutes les clauses suspectées d’être abusives lorsque des éléments de droit et de fait sont disponibles, et le juge national est également tenu, à la suite de la jurisprudence de la Cour ( 17 ), de prendre d’office des mesures d’instruction, donc se tourner vers les parties, pour que soient transmis les documents utiles afin que le juge puisse se forger un avis et conclure ou non au caractère abusif d’une clause donnée. |
VI. Analyse
37. |
Mon analyse est divisée en deux parties. Tout d’abord, dans la section A, j’examinerai la première question, car celle‑ci concerne la portée de l’obligation du juge national d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles au titre de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13. Puis, dans la section B, j’analyserai les deuxième et troisième questions ensemble, car elles ont trait également à l’appréciation par le juge national du caractère abusif d’une clause au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13. |
A. Sur la première question préjudicielle
38. |
Par la première question, la juridiction de renvoi souhaite essentiellement savoir si le juge national est tenu, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’examiner d’office le caractère abusif de toutes les clauses du contrat, même si elles ne sont pas nécessaires pour se prononcer sur les conclusions des parties au litige, eu égard aux principes du droit de la procédure civile selon lesquels l’objet du litige est délimité par les parties [principe dispositif] et le juge national ne peut pas aller au-delà de cet objet (ne pas statuer ultra petita), conformément aux règles relatives à la représentation en justice prévues par le droit hongrois (voir points 7 à 11 des présentes conclusions). |
39. |
Je suis parvenu à la conclusion que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles qui sont liées à l’objet du litige et qui ont un lien avec les éléments de droit et de fait du dossier. |
40. |
En vue de répondre à la question, je traiterai d’abord la portée de l’obligation incombant au juge national d’opérer un examen d’office des clauses abusives. J’examinerai ensuite l’étendue de l’obligation incombant au juge national d’ordonner des mesures d’instruction d’office. J’en viendrai enfin la pertinence éventuelle de la question de savoir si le consommateur est ou non représenté en justice. |
1. Portée de l’examen d’office des clauses abusives
41. |
Il convient de relever à titre liminaire que la première question posée dans la présente affaire n’a pas encore été traitée par la jurisprudence de la Cour. En effet, comme UniCredit Bank Hungary l’a indiqué dans ses observations, il ne faisait jusqu’à présent généralement aucun doute, selon la jurisprudence de la Cour relative à l’examen d’office par le juge national des clauses abusives en vertu de la directive 93/13, que les clauses contractuelles formaient le fondement des prétentions des parties ou faisaient l’objet du litige devant la juridiction de renvoi ( 18 ). |
42. |
De même, la Cour a traité une question différente dans son arrêt OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750). Par sa cinquième question ( 19 ), la juridiction de renvoi a demandé si, compte tenu du principe dispositif, elle n’est pas empêchée d’examiner d’office le caractère abusif de clauses qui n’étaient pas invoquées par le consommateur au soutien de sa demande en sa qualité de requérant. Dans son arrêt ( 20 ), la Cour a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’il appartient au juge national de relever d’office, en lieu et place du consommateur en sa qualité de partie requérante, le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Par conséquent, même si l’arrêt OTP Bank et OTP Faktoring est important pour la présente affaire, celui‑ci n’a pas traité le point de savoir dans quelle mesure l’examen d’office par le juge national des clauses abusives couvre toutes les clauses du contrat. |
43. |
D’une manière générale, le principe dispositif est un principe directeur en matière de procédure civile dans tous les États membres revêtant une importance particulière pour les actions des consommateurs devant les juridictions nationales ( 21 ). En vertu de ce principe, il appartient aux parties d’engager les procédures ou d’y mettre fin et de déterminer leur objet et, en conséquence, la juridiction ne peut pas aller au-delà de cet objet (statuer ultra petita) ( 22 ). |
44. |
Dans ce contexte, il peut être considéré que la jurisprudence de la Cour relative à l’examen d’office par le juge national des clauses abusives au titre de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 affecte l’application du principe dispositif, en ce sens que le juge national est tenu de jouer un rôle actif en relevant d’office le caractère abusif de clauses figurant dans les contrats conclus avec les consommateurs, même si cette action aboutirait à ce que, en vertu du droit procédural national, la juridiction aille au-delà de la limite du litige définie par les parties ( 23 ). |
45. |
L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs ( 24 ), tandis que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, les États membres veillent à ce que des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 25 ). Alors que ces dispositions ont donné lieu à une jurisprudence abondante ( 26 ), je souligne les principes applicables tirés de cette jurisprudence qui sont les plus pertinents pour mon analyse de la présente affaire. |
46. |
La Cour a jugé, en partant de son arrêt de principe Océano Grupo Editorial et Salvat Editores ( 27 ), que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles‑ci ( 28 ). Afin d’assurer la protection visée par ladite directive, la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat ( 29 ). |
47. |
C’est à la lumière de ces considérations que la Cour a déclaré que, dans l’exercice des fonctions incombant au juge national en vertu de la directive 93/13, le juge est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel ( 30 ). Cette obligation incombant au juge national a été considérée nécessaire pour assurer au consommateur une protection effective, eu égard notamment au risque non négligeable que celui‑ci soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer ( 31 ). |
48. |
En particulier, dans ce cadre, la reconnaissance claire par la Cour depuis son arrêt Pannon GSM ( 32 ) de l’obligation – par opposition à la faculté –du juge national d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles au titre de la directive 93/13 a été assortie de la condition que le juge national dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ( 33 ). Une juridiction nationale n’est pas en mesure de procéder à l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle au titre de cette directive tant que celle‑ci ne dispose pas de l’ensemble de ces éléments ( 34 ). |
49. |
En l’espèce, sur le fondement de la jurisprudence qui précède et notamment de la condition selon laquelle le juge national doit disposer des éléments de droit et de fait nécessaires pour entreprendre un examen d’office, je considère que la portée de l’obligation du juge national d’examiner d’office les clauses abusives au titre de la directive 93/13 ne s’étend qu’aux clauses contractuelles qui sont liées à l’objet du litige et ont un lien avec les éléments de droit ou de fait du dossier. |
50. |
L’approche que je propose peut être considérée comme respectant le principe dispositif, car elle ne va pas au-delà de la portée du litige tel qu’il est déterminé par les parties. Ainsi qu’un commentateur l’a considéré, « [m]ême si le principe dispositif [selon lequel la délimitation de la portée du litige appartient aux parties] est tempéré afin de s’adapter au déséquilibre sous‑jacent des pouvoirs des parties, les procédures en matière de consommation ne deviennent pas inquisitoriales. L’exigence de respecter le champ d’application factuel du litige constitue la “ligne de démarcation” que les juridictions ne sauraient franchir » ( 35 ). |
51. |
Au contraire, ainsi qu’il est indiqué dans l’ensemble des observations des parties dans la présente affaire, une approche obligeant la juridiction nationale à mener un examen d’office illimité relatif au caractère abusif des clauses contractuelles au titre de la directive 93/13 semble aller à l’encontre des principes fondamentaux du droit de la procédure civile des États membres, y compris le principe dispositif et le principe selon lequel la juridiction ne peut pas statuer ultra petita. |
52. |
En même temps, l’approche proposée garantit le système de protection sous-tendant la directive 93/13 et le rôle actif joué par la juridiction nationale pour relever d’office le caractère abusif de clauses qui n’ont pas été contestées par le consommateur selon la jurisprudence de la Cour mentionnée aux points 46 et 47 des présentes conclusions ( 36 ). |
53. |
L’approche proposée semble également conforme à la jurisprudence et à la pratique de certains États membres ( 37 ). Par exemple, en France, les juridictions ont l’obligation d’annuler les clauses abusives dans les affaires de consommation où le caractère abusif ressort des éléments du litige ( 38 ). Aux Pays‑Bas, le Hoge Raad (Cour Suprême) a considéré dans son arrêt Heesakkers/Voets ( 39 ) que si la juridiction possède des informations de droit et de fait nécessaires permettant de suspecter qu’un contrat relève du champ d’application de la directive 93/13 et contient une clause qui est abusive au sens ci‑dessus, elle doit examiner cette question, même si la requête ou le mémoire en défense n’est pas fondé sur des moyens tendant à un tel examen. En Espagne, des arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême) indiquent que le juge national est obligé de contrôler d’office le caractère abusif des clauses contractuelles dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires ( 40 ). En outre, compte tenu des observations du gouvernement hongrois (voir points 31 et 32 des présentes conclusions), il semble que, en Hongrie, un examen d’office par la juridiction nationale s’applique aux clauses dont le caractère abusif peut être établi sur la base du dossier. |
2. Mesures d’instruction d’office
54. |
En référence aux observations du gouvernement hongrois et de la Commission (voir points 31 et 36 des présentes conclusions), il est nécessaire d’examiner si, dans les cas où le juge national dispose d’indications ou de suspicions selon lesquelles des clauses contractuelles qui sont liées à l’objet du litige et ont un lien avec les éléments de droit et de fait du dossier pourraient être abusives, la directive 93/13 exige que le juge national soit en mesure de prendre d’office des mesures d’instruction pour le vérifier. |
55. |
Je considère que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 exigent que le juge national soit en mesure de prendre d’office des mesures d’instruction pour compléter le dossier, telles qu’une demande de précisions ou d’éléments de preuve documentaires de la part des parties, en ordonnant la communication des éléments de droit et de fait nécessaires pour effectuer un examen d’office de la question de savoir si une clause contractuelle est abusive. Les raisons en sont les suivantes. |
56. |
Dans l’arrêt VB Pénzügyi Lízing ( 41 ), la Cour a été saisie à titre préjudiciel par une juridiction hongroise, notamment sur le point de savoir si, dans une situation où la juridiction nationale entreprend d’examiner si une clause contractuelle conférant une compétence territoriale exclusive est éventuellement abusive, cette juridiction doit mener, d’office, une enquête en vue d’établir les éléments de droit et de fait nécessaires pour apprécier si la clause est abusive, lorsque les règles procédurales nationales ne le permettent qu’à la demande d’une des parties. |
57. |
Dans son arrêt ( 42 ), la Cour a déclaré que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause. En divisant l’examen en deux stades, la Cour a souligné que, à un premier stade, la juridiction doit, « dans tous les cas et quelles que soient les règles de droit interne », déterminer si la clause litigieuse relève du champ d’application de cette directive, et dans l’affirmative, à un second stade, la juridiction est tenue d’apprécier, au besoin d’office, cette clause au regard des exigences prévues par cette directive en matière de caractère abusif. |
58. |
La Cour a confirmé son arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659), dans des affaires ultérieures, s’agissant parfois d’une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive ( 43 ), ou à l’égard de clauses formulées de manière plus générale prévoyant que la juridiction est tenue de prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative, d’apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause ( 44 ). |
59. |
Même en ce cas, cette ligne jurisprudentielle découlant de l’arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659), semble avoir laissé certaines questions ouvertes, notamment celle relative au point de savoir si l’obligation pour le juge national de prendre d’office des mesures d’instruction est limitée au champ d’application de la directive 93/13 ( 45 ) ou peut également s’appliquer à l’appréciation du caractère abusif, ainsi qu’à l’étendue possible de ces mesures d’instruction. |
60. |
En se plaçant d’un point de vue comparatif, il semble que les droits de la procédure civile des États membres confèrent généralement aux juridictions les pouvoirs d’enjoindre aux parties de fournir des éléments de preuve supplémentaires et de leur poser des questions en vue d’une clarification, tandis que les États membres adoptent des approches divergentes concernant ce qu’il est possible de désigner comme des « mesures d’instruction » réelles – par exemple, si les juridictions rassemblent des éléments de preuve de leur propre initiative au moyen d’une audition d’office de témoins, en enjoignant d’office la production d’éléments de preuve par des tiers, l’audition d’office d’experts, ou des visites d’office –, ce qui va au-delà d’une simple présentation de questions, ou demande la production de documents supplémentaires par les parties ( 46 ). |
61. |
Sur ce fondement, il peut être considéré que les mesures d’instruction prises d’office par le juge national pour compléter le dossier, comme celle consistant à demander des précisions ou éléments de preuve documentaires aux parties au litige afin de déterminer si une clause contractuelle est abusive, constituent un moyen approprié de veiller au système de protection des consommateurs dans le cadre de la directive 93/13, afin que le juge national soit en mesure de mener d’office son examen des clauses abusives sur le fondement des dispositions de cette directive. |
62. |
Le fait que la Cour ait souligné la nécessité d’éléments de preuve suffisants afin de s’appuyer sur la directive 93/13 dans sa jurisprudence peut être perçu comme corroborant la position selon laquelle le juge national doit disposer des éléments de droit et de fait suffisants pour justifier un examen d’office, le cas échéant en étant en mesure de prendre d’office des mesures d’instruction à cette fin. |
63. |
Par exemple, dans l’arrêt Profi Credit Polska ( 47 ), la Cour a déclaré que dans les circonstances spécifiques de cette affaire, où une juridiction nationale examine une demande en vertu d’un contrat de crédit à la consommation pour lequel elle éprouve des doutes sérieux quant au caractère abusif de stipulations convenues entre les parties et ne dispose pas des éléments de droit et de fait nécessaires, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 obligent la juridiction à examiner d’office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cet égard, exigent que la juridiction soit en mesure de demander la production de documents, de telle sorte que ladite juridiction soit en mesure de s’assurer du respect des droits que les consommateurs tirent de cette directive. La Cour a souligné qu’une telle demande ne contrevient pas au principe dispositif, dès lors qu’elle fait partie des règles de procédure relatives à l’administration de la preuve. |
64. |
En revanche, il convient de relever qu’aucun argument n’a été présenté à la Cour selon lequel l’obligation incombant à la juridiction nationale de prendre des « mesures d’instruction » d’office plus étendues, telles que celles mentionnées au point 60 des présentes conclusions, serait nécessaire pour garantir le système de protection des consommateurs au titre de la directive 93/13 dans les circonstances spécifiques de la présente affaire. Cette question demeure en principe du pouvoir d’appréciation de la juridiction nationale fondé sur le droit procédural national pertinent, sous réserve de sa conformité avec le droit de l’Union ( 48 ). |
3. Représentation en justice
65. |
Enfin, je considère que la question de la représentation en justice n’a pas la moindre incidence s’agissant de l’appréciation de la portée de l’examen d’office par le juge national des clauses abusives au titre de la directive 93/13 dans les circonstances de la présente affaire. |
66. |
Je reconnais que, d’un point de vue comparatif, même dans les États membres qui adhèrent strictement au principe dispositif, la mesure dans laquelle le juge national intervient activement et/ou se saisit d’office de questions est fondée sur des circonstances diverses, y compris le fait que la partie soit représentée ou non, et que, dans certains États membres, on peut s’attendre à ce que la juridiction soit plus active lorsque la partie la plus faible n’est pas représentée par un avocat, en vue de réduire l’inégalité entre les parties ( 49 ). |
67. |
Cela dit, comme l’a indiqué le gouvernement hongrois, le système de protection accordé par la directive 93/13 et l’obligation du juge national d’opérer un examen d’office des clauses abusives découlant de la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle est exposée aux points 46 et 47 des présentes conclusions, est fondée sur le déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel au moment de la conclusion du contrat, et non au moment de l’exercice des droits découlant du contrat. |
68. |
Partant, ainsi que la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Rampion et Godard ( 50 ), concernant l’interprétation de la législation de l’Union relative aux crédits à la consommation ( 51 ), le fait qu’une affaire soit engagée par un consommateur et que le consommateur soit représenté dans cette procédure par un avocat ne justifie pas une conclusion différente à l’égard de la nécessité de permettre à la juridiction d’agir d’office, puisque la question de l’examen d’office doit être résolue indépendamment des circonstances spécifiques de l’affaire. Ce raisonnement est applicable à l’appréciation de l’examen d’office par la juridiction nationale des clauses abusives au titre de la directive 93/13, en considérant notamment la manière selon laquelle la Cour a appliqué les considérations tirées de sa jurisprudence relative à la directive 93/13 aux circonstances de cette affaire ( 52 ). |
69. |
Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 imposent au juge national d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles qui sont liées à l’objet du litige et qui ont un lien avec les éléments de droit et de fait du dossier. Ces dispositions exigent également que le juge national soit en mesure de prendre d’office des mesures d’instruction pour compléter le dossier afin d’obtenir les éléments de droit et de fait nécessaires pour effectuer cet examen. |
B. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles
70. |
Par les deuxième et troisième questions, analysées ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance des indications pour déterminer si, dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative à la première question, le juge national est tenu, au titre de l’article 4, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’examiner le caractère abusif de l’ensemble des autres clauses contractuelles lors de l’examen du caractère abusif d’une clause contractuelle spécifique. |
71. |
Je suis parvenu à la conclusion qu’il conviendrait de répondre à ces questions que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national n’est pas tenu d’examiner d’office l’ensemble des autres clauses contractuelles de manière autonome quant au caractère abusif lorsqu’il procède à une appréciation générale du contrat aux fins d’examiner le caractère abusif d’une clause contractuelle spécifique. Les motifs me permettant de conclure ainsi sont les suivants. |
72. |
Il convient de garder à l’esprit que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 indique dans sa partie pertinente que « le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend » ( 53 ). Cette disposition fait partie du cadre d’appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles prévu par la directive 93/13 ( 54 ). |
73. |
Ainsi que la Cour l’a déclaré dans son arrêt Banif Plus Bank ( 55 ), en faisant référence à cette disposition, la juridiction nationale doit, afin de déterminer si une clause contractuelle sur laquelle est fondée la demande dont elle est saisie peut être abusive, tenir compte de toutes les autres clauses du contrat, et donc ne pas limiter son examen aux clauses sur lesquelles est fondée la demande dont elle est saisie. |
74. |
Cette considération implique une appréciation globale des clauses du contrat ( 56 ). En effet, comme l’avocat général Saugmandsgaard Øe l’a souligné, « en ce qui concerne l’appréciation du caractère abusif, une clause contractuelle ne peut pas être isolée de son contexte. Cette appréciation est, par conséquent, non pas absolue, mais plutôt relative, dans la mesure où elle dépend des faits particuliers entourant la conclusion du contrat, dont l’effet cumulatif de toutes les clauses du contrat » ( 57 ). |
75. |
Par conséquent, le juge national est tenu de tenir compte, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, de l’ensemble des autres clauses du contrat lors de l’examen du caractère abusif d’une clause spécifique. Or, cela ne signifie pas que le juge national est tenu d’examiner d’office ces autres clauses de manière autonome, quant au caractère abusif, dans le cadre de cette appréciation sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive. |
76. |
Néanmoins, comme l’ont indiqué le gouvernement hongrois et la Commission, lorsqu’elle entreprend cette appréciation générale, la juridiction nationale peut être confrontée à des clauses contractuelles qui peuvent être considérées abusives et qu’elle est tenue d’examiner d’office lorsqu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet conformément à la jurisprudence de la Cour (voir point 48 des présentes conclusions). Si le fait pour un juge national de prendre en compte les autres clauses du contrat aux fins d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle spécifique ne devrait pas être assimilé à un examen d’office, ce fait peut encourager l’examen de certaines de ces clauses si le juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. |
77. |
Compte tenu de ce qui précède, je considère que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national n’est pas obligé d’examiner d’office l’ensemble des autres clauses contractuelles de manière autonome pour en vérifier le caractère abusif lorsqu’il procède à une appréciation globale du contrat aux fins d’examiner le caractère abusif d’une clause contractuelle spécifique. |
VII. Conclusion
78. |
Je propose que la Cour réponde aux questions dont elle a été saisie par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) comme suit :
|
( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) JO 1993, L 95, p. 29.
( 3 ) Voir, notamment, arrêts du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367) ; du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750), et du 14 mars 2019, Dunai (C‑118/17, EU:C:2019:207) ; voir également les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:9) ; de l’avocat général Tanchev dans l’affaire OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:303), et de l’avocat général Wahl dans l’affaire Dunai (C‑118/17, EU:C:2018:921).
( 4 ) Il conviendrait de relever que les définitions du « consommateur » et du « professionnel » figurent, respectivement, à l’article 2, sous b) et c), de la directive 93/13. Sous réserve de vérification par la juridiction nationale, il peut être présumé d’après la décision de renvoi que la situation dans la procédure au principal relève du champ d’application de la directive 93/13.
( 5 ) A Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. Évi XXXVIII. törvény [loi no XXXVIII de 2014, relative au règlement de certaines questions liées à la décision rendue par la Kúria (Cour suprême, Hongrie) dans l’intérêt de l’uniformité du droit à propos des contrats de prêt conclus par les établissements financiers avec les consommateurs, ci‑après la « loi DH1 »].
( 6 ) A Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. évi XXXVIII. törvényben rögzített elszámolás szabályairól és egyes egyéb rendelkezésekről szóló 2014. évi XL. törvény [loi no XL de 2014 relative aux règles applicables au décompte prévu dans la loi no XXXVIII de 2014, relative au règlement de certaines questions liées à la décision rendue par la Kúria (Cour suprême) dans l’intérêt de l’uniformité du droit à propos des contrats de prêt conclus par les établissements financiers avec les consommateurs, ainsi qu’à différentes autres dispositions, ci‑après la « loi DH2 »].
( 7 ) Voir, à cet égard, les arrêts du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367) ; du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750), et du 14 mars 2019, Dunai (C‑118/17, EU:C:2019:207).
( 8 ) Bien que cela n’ait pas été précisé dans la décision de renvoi, on peut supposer que, comme l’a indiqué le gouvernement hongrois dans ses observations, la loi DH1 a qualifié d’abusive ex lege les clauses relatives à la faculté d’apporter des modifications unilatérales et à la différence des taux de change, en sorte qu’une appréciation juridictionnelle de ces clauses n’était plus nécessaire. Voir note 7 des présentes conclusions.
( 9 ) La juridiction de renvoi se réfère aux arrêts du 4 juin 2009, Pannon (C‑243/08, EU:C:2009:350), et du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88).
( 10 ) UniCredit Bank Hungary se réfère à l’arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:303, points 90 et 91).
( 11 ) UniCredit Bank Hungary renvoie à l’arrêt du 26 janvier 2017, Bank Primus (C‑421/14, EU:C:2016:69, point 52).
( 12 ) UniCredit Bank Hungary renvoie notamment aux arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659) ; du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349) ; du 21 févier 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88), et du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340).
( 13 ) Le gouvernement hongrois se réfère notamment aux arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350) ; du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88), et du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340).
( 14 ) Le gouvernement hongrois vise l’avis 1/2005 (VI. 15.) PK et l’avis 2/2010 (VI. 28.) PK de la Kúria (Cour suprême).
( 15 ) « Azérvénytelenség jogkövetkezményeinek alkalmazhatósága kölcsönszerződéseknél » (L’applicabilité des conséquences juridiques d’une nullité dans le cas des contrats de crédit), 2015, accessible à https://kuria-birosag.hu/sites/default/files/joggyak/osszefoglalo_velemeny_i.pdf.
( 16 ) La Commission se réfère notamment aux arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350) ; du 14 mars 2013, Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164), et du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová (C‑377/14, EU:C:2016:283).
( 17 ) La Commission vise les arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659), et du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88).
( 18 ) Voir, par exemple, arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659, notamment points 49, 52 et 56) ; du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340, notamment points 15 à 17, 21 et 23), et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, point 30).
( 19 ) Voir arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, points 33 et 34).
( 20 ) Voir arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, points 84 à 91).
( 21 ) Voir, à cet égard, rapport préparé par un consortium d’universités européennes dirigé par l’Institut Max Planck Luxembourg sur le droit procédural commandé par la Commission, « An evaluation study of national procedural laws and practices in terms of their impact on the free circulation of judges and on the equivalence and effectiveness of the procedural protection of consumers under EU consumer law » (Une étude d’évaluation des droits et des pratiques procéduraux nationaux pour ce qui est de leur impact sur la libre circulation des juges et sur l’équivalence et l’effectivité de la protection procédurale des consommateurs en vertu du droit de la consommation de l’Union), JUST/2014/RCON/PR/CIVI/0082, Strand 2, Procedural Protection for Consumers, juin 2017 (ci‑après l’« étude d’évaluation »), points 289 à 295. Il peut être utile de relever que ce principe peut être exprimé dans diverses versions linguistiques comme, par exemple, en néerlandais (« lijdelijkheidsbeginsel ») ; français (« principe dispositif ») ; allemand (« Dispositionsgrundsatz ») ; hongrois (« rendelkezési elv ») ; et espagnol (« principio dispositivo »).
( 22 ) Voir, par exemple, arrêt du 7 août 2018, Hochtief (C‑300/17, EU:C:2018:635, point 52 et jurisprudence citée) ; conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Vedial/OHMI (C‑106/03 P, EU:C:2004:457, points 28 à 30), de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Duarte Hueros (C‑32/12, EU:C:2013:128, point 32) et de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:406, points 84 et 85), en relevant que le principe de ne ultra petita est un corollaire du principe dispositif.
( 23 ) Voir, par exemple, Anthi Beka, The Active Role of Courts in Consumer Litigation : Applying EU Law of the National Courts’ Own Motion (Intersentia 2018) (Le rôle actif des juridictions dans le contentieux de la consommation : application d’office du droit de l’Union par les juridictions nationales), p. 123 à 125 et les citations qui y figurent. Comme la Cour l’a reconnu dans son arrêt du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 40), à l’égard de l’application d’office du droit de l’Union par les juridictions nationales, l’approche de la Cour dans le domaine du droit de l’Union de la protection du consommateur et notamment de la directive 93/13 diffère de celle prise dans le sens de la jurisprudence découlant de l’arrêt du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen (C‑430/93 et C‑431/93, EU:C:1995:441). Pour une discussion détaillée, voir, par exemple, Beka, cité ci‑dessus, chapitre 2 ; Arthur Hartkamp e.a. (éd.), Cases, Materials and Text on European Law and Private Law (Hart 2017), chapitre 7.
( 24 ) Voir, par exemple, arrêts du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60, points 41 et 42), et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, points 27 et 35). La Cour a indiqué que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 est une disposition contraignante qui doit être considérée comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public.
( 25 ) Voir, par exemple, arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 78), et du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, point 86).
( 26 ) Pour une discussion générale, voir, par exemple, communication de la Commission – Orientations relatives à l’interprétation et à l’application de la directive 93/13/CEE du Conseil concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 2019, C 323, p. 4) (ci‑après la « communication de la Commission »), section 5. Comme indiqué dans cette dernière, outre la jurisprudence reconnaissant l’examen d’office par la juridiction nationale des clauses abusives dans le cadre de la directive 93/13, il existe une jurisprudence considérable relative à son application dans le cadre des diverses règles de procédure nationales impliquant l’évaluation de leur compatibilité avec les principes que ces règles ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile pour les citoyens, et notamment les consommateurs, l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité), compte tenu du principe de protection juridictionnelle effective garanti par le droit de l’Union.
( 27 ) Voir arrêt du 27 juin 2000 (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, points 25 à 29).
( 28 ) Voir, par exemple, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia (C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 49 et la jurisprudence citée).
( 29 ) Voir, par exemple, arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, point 28 et la jurisprudence citée). À cet égard, la Cour a considéré que si la directive 93/13 impose, dans les litiges mettant en cause un professionnel et un consommateur, une intervention positive, extérieure aux parties au contrat, du juge national saisi de tels litiges, le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné. Voir, par exemple, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, point 62 et jurisprudence citée). En l’espèce, il peut exister des incohérences entre le dossier présenté à la Cour et les observations de certaines parties et, en particulier, le fait que les lois DH1 et DH2 constituaient le motif justifiant pour la juridiction de renvoi de clore la nouvelle procédure (voir points 17 à 20 des présentes conclusions) semble ne pas aller dans le sens des observations d’UniCredit Bank Hungary à l’audience, selon lesquelles Mme Lintner n’a pas répondu à l’invitation de la juridiction de renvoi d’indiquer quelles clauses elle souhaitait contester en raison de leur caractère abusif. Comme ces questions relèvent de la compétence de la juridiction de renvoi, je ne les examinerai pas davantage.
( 30 ) Voir, par exemple, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, point 87 et jurisprudence citée).
( 31 ) Voir, par exemple, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, point 88 et jurisprudence citée).
( 32 ) Arrêt du 4 juin 2009 (C‑243/08, EU:C:2009:350, points 32 et 35) ; voir également, à cet égard, arrêt du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, points 28 à 31).
( 33 ) Voir, par exemple, arrêts du 14 mars 2013, Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164, point 46), et du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340, point 28).
( 34 ) Voir, à cet égard, arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 47), et ordonnance du 28 novembre 2018, PKO Bank Polski (C‑632/17, EU:C:2018:963, point 38).
( 35 ) Beka (voir note 23 ci‑dessus), p. 77 et 192.
( 36 ) Il est utile de relever que très tôt dans le rapport de la Commission sur l’application de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs [COM(2000) 248 final], 27 avril 2000, section 4, p. 19 et 20, la Commission a indiqué : « Il va de soi qu’il s’agit du pouvoir/devoir d’apprécier ex officio le caractère abusif éventuel des clauses contractuelles qui sont pertinentes pour la résolution du litige et non de toutes les autres clauses du contrat ».
( 37 ) Voir, par exemple, Hartkamp e.a. (voir note 23 ci‑dessus), p. 433 à 461 (présentant une analyse comparative de la jurisprudence relative aux clauses abusives en Belgique, France, Hongrie, Italie, Pays‑Bas, Pologne, Espagne et au Royaume‑Uni).
( 38 ) Voir article R632-1 du code de la consommation [Omissis (texte non pertinent pour la version française des présentes conclusions)]. Cette disposition prévoit que « [l]e juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ».
( 39 ) Voir arrêt du Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) du 13 septembre 2013, 274 ECLI:NL:HR:2013:691 (traduction anglaise des présentes conclusions basée sur Hartkamp e.a. (voir note 23 ci‑dessus), p. 436 à 440, notamment p. 438). Pour développer ce point, voir, par exemple, Alain Ancery et Bart Krans, « Consumer Protection and EU-Driven Judicial Activism in the Netherlands », dans Anna Nylund et Magne Strandberg (éd.), Civil Procedure et Harmonisation of Law : The Dynamics of EU and International Treaties (Intersentia 2019) 125, notamment p. 136 et 137.
( 40 ) Voir, par exemple, arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) du 4 juin 2019, ECLI:ESTS:2019:1713 ; et du 4 juin 2019, ECLI:ESTS:2019:1942.
( 41 ) Voir arrêt du 9 novembre 2010 (C‑137/08, EU:C:2010:659, points 24, 25 et 45).
( 42 ) Voir arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659, points 49 à 56). Comparer avec les conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:401, points 109 à 115).
( 43 ) Voir, par exemple, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 44), et du 14 mars 2013, Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164, point 47). Voir également conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:74, notamment les points 32 à 46).
( 44 ) Voir, par exemple, arrêts du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88, point 24) ; du 9 juillet 2015, Bucura (C‑348/14, non publié, EU:C:2015:447, point 43), et du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska (C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 66). Voir également, par exemple, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CA Consumer Finance (C‑449/13, EU:C:2014:2213, point 31) ; de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2015:746, point 39), et de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Margarit Panicello (C‑503/15, EU:C:2016:696, point 142, note 70).
( 45 ) Voir, à cet égard, Verica Trstenjak, « Procedural Aspects of European Consumer Protection Law and the Case Law of the CJEU », European Review of Private Law/Revue européenne de droit privé 451, 2013, p. 468 à 472.
( 46 ) Voir, par exemple, étude d’évaluation (voir note 21 ci‑dessus), points 390 à 395. Ainsi qu’il est aussi indiqué aux points 396 à 399 de cette étude, la question du statut du consommateur aux fins de la portée de la directive de l’Union pertinente peut être considérée comme relevant de la compétence incombant à la juridiction de qualifier les faits de l’affaire compte tenu des règles juridiques pertinentes, en application du principe iura novit curia. Voir, à cet égard, arrêt du 4 juin 2015, Faber (C‑497/13, EU:C:2015:357, points 39 à 48).
( 47 ) Voir arrêt du 7 novembre 2019 (C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, notamment points 64, 66 à 68 et 77).
( 48 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Margarit Panicello (C‑503/15, EU:C:2016:696, points 142 à 145), relevant qu’une situation dans laquelle une juridiction disposant d’indices du caractère abusif de certaines clauses ne pourrait pas se pencher sur celles‑ci en raison de ses pouvoirs de contrôle réduits serait problématique. Or, dans cette affaire, l’avocate générale a considéré que les règles nationales en question permettaient à la juridiction de prendre en compte des preuves documentaires et étaient interprétées comme permettant des pouvoirs d’instruction plus étendus dans des cas justifiés et n’étaient donc pas exclues par la directive 93/13. La Cour n’a pas eu la possibilité de se prononcer sur la question, car elle a jugé la référence irrecevable. Voir arrêt du 16 février 2017, Margarit Panicello (C‑503/15, EU:C:2017:126).
( 49 ) Voir, à cet égard, étude d’évaluation (voir note 21 ci‑dessus), notamment points 317 à 320 et 340 à 342.
( 50 ) Arrêt du 4 octobre 2007, Rampion et Godard (C‑429/05, EU:C:2007:575, point 65), et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Rampion et Godard (C‑429/05, EU:C:2007:199, point 107). Voir également, à cet égard, arrêt du 4 juin 2015, Faber (C‑497/13, EU:C:2015:357, point 47), et conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Faber (C‑497/13, EU:C:2014:2403, point 72).
( 51 ) Directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48), telle que modifiée par la directive 98/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998 (JO 1998, L 101, p. 17). Cette directive a depuis été abrogée par la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66).
( 52 ) Voir arrêt du 4 octobre 2007, Rampion et Godard (C‑429/05, EU:C:2007:575, notamment points 60 à 63 et 69).
( 53 ) Mise en italique par mes soins.
( 54 ) Pour une discussion générale, voir, par exemple, communication de la Commission (voir note 26 ci‑dessus), section 3.
( 55 ) Voir arrêt du 21 février 2013 (C‑472/11, EU:C:2013:88, points 37 à 41). Voir également, par exemple, arrêt du 16 janvier 2014, Constructora Principado (C‑226/12, EU:C:2014:10, point 24).
( 56 ) Voir, par exemple, arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová (C‑377/14, EU:C:2016:283, point 95).
( 57 ) Conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Biuro podróży Partner (C‑119/15, EU:C:2016:387, point 44).