CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 5 décembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑450/17 P

Landeskreditbank Baden-Württemberg - Förderbank

contre

Banque centrale européenne (BCE)

« Pourvoi – Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Règlement (UE) no 1024/2013 – Article 6, paragraphe 4 – Règlement (UE) no 468/2014 – Article 70, paragraphe 1 – Mécanisme de surveillance unique (MSU) – Compétences de la Banque centrale européenne (BCE) – Exercice décentralisé par les autorités nationales – Classement d’un établissement comme entité importante – Surveillance directe par la BCE – Exception – Existence de circonstances particulières – Caractère inapproprié du classement d’une entité soumise à la surveillance prudentielle comme importante »

1. 

La faillite de la principale banque d’investissement américaine, Lehman Brothers, en septembre 2008, est généralement considérée comme marquant le début d’une crise bancaire et fiscale majeure qui allait s’étendre à presque toutes les économies avancées. Cette crise – qui a nécessité des recapitalisations bancaires et des nationalisations dans plusieurs États membres – a été si grave et si prolongée que l’on peut affirmer qu’elle a mis en péril la stabilité fiscale de plusieurs pays de la zone euro, voire, parfois, la survie de la monnaie européenne elle‑même.

2. 

Cette crise a, par conséquent, laissé une empreinte durable. Depuis lors, les autorités législatives et réglementaires se sont efforcées de faire face à l’énormité de cette crise bancaire et de comprendre comment ce qui avait semblé être un système de réglementation parfaitement adéquat s’est finalement révélé être inefficace lorsqu’il a été mis à l’épreuve en ces jours sombres de 2008 et des années qui ont suivi. L’une des leçons que le législateur de l’Union en a tirées a été que les pratiques bancaires parallèles et l’incapacité à saisir la nature du risque systémique qui est potentiellement lié aux principaux établissements bancaires étaient au cœur des défaillances réglementaires mises au jour par la crise de 2008.

3. 

Tous ces éléments constituent, à de nombreux égards, le cadre du présent pourvoi formé par la Landeskreditbank Baden-Württemberg – Förderbank (ci‑après la « requérante ») aux fins de l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 mai 2017, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE (T‑122/15, EU:T:2017:337) (ci-après l’« arrêt attaqué »). Par cet arrêt, le Tribunal a rejeté son recours en annulation de la décision ECB/SSM/15/1 de la Banque centrale européenne (BCE) du 5 janvier 2015. Cette décision de la BCE avait elle‑même été prise en application de l’article 6, paragraphe 4, et de l’article 24, paragraphe 7, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63, ci-après le « règlement de base »). L’effet net de cette décision était que la BCE a refusé de considérer que la requérante était une entité moins importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, de ce règlement (ci-après la « décision attaquée »).

4. 

Le fait que la requérante ait été qualifiée d’entité importante s’est traduit par la surveillance prudentielle directe de cette entité par la BCE et non par les autorités allemandes compétentes. La requérante soutient qu’elle devrait être qualifiée d’entité moins importante en raison de l’existence de « circonstances particulières » au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 70 du règlement (UE) no 468/2014 de la Banque centrale européenne, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (JO 2014, L 141, p. 1, ci‑après le « règlement-cadre MSU »). Avant d’examiner cet argument, il convient cependant de rappeler tout d’abord les dispositions législatives pertinentes.

I. Le cadre juridique

A. Le règlement de base

5.

L’article 1er, premier alinéa, du règlement de base prévoit que « [l]e présent règlement confie à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit afin de contribuer à la sécurité et à la solidité des établissements de crédit et à la stabilité du système financier au sein de l’Union et dans chaque État membre, en tenant pleinement compte de l’unité et de l’intégrité du marché intérieur et en remplissant à cet égard un devoir de diligence, un traitement égal étant réservé aux établissements de crédit pour éviter les arbitrages réglementaires ».

6.

L’article 2 du règlement de base, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[…]

9.

“mécanisme de surveillance unique” (MSU), le système de surveillance financière composé de la BCE et des autorités compétentes nationales des États membres participants, tel qu’il est décrit à l’article 6 du présent règlement. »

7.

L’article 4 du règlement de base, intitulé « Missions confiées à la BCE », dispose, à son paragraphe 1, que « [d]ans le cadre de l’article 6, la BCE est, conformément au paragraphe 3 du présent article, seule compétente pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, les [neuf missions énumérées] à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants ».

8.

L’article 6 du règlement de base, intitulé « Coopération au sein du MSU », dispose :

« 1.   La BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre d’un mécanisme de surveillance unique composé d’elle-même et des autorités compétentes nationales. La BCE est chargée de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du MSU.

[…]

4.   En ce qui concerne les missions définies à l’article 4, à l’exception du paragraphe 1, points a) et c), la BCE et les autorités compétentes nationales sont dotées des compétences fixées respectivement aux paragraphes 5 et 6 du présent article, dans le cadre et sous réserve des procédures visées au paragraphe 7 du présent article, pour la surveillance des établissements de crédit, des compagnies financières holdings, des compagnies financières holdings mixtes ou des succursales, établies dans les États membres participants, d’établissements de crédit établis dans des États membres non participants :

qui sont moins importants sur base consolidée, au plus haut niveau de consolidation sur le territoire des États membres participants, ou à titre individuel dans le cas spécifique des succursales, établies dans les États membres participants, d’établissements de crédit établis dans des États membres non participants. Cette importance est appréciée sur la base des critères suivants :

i)

la taille ;

ii)

l’importance pour l’économie de l’Union ou d’un État membre participant ;

iii)

l’importance des activités transfrontalières de l’établissement.

En ce qui concerne le premier alinéa ci-dessus, un établissement de crédit, une compagnie financière holding ou une compagnie financière holding mixte n’est pas considéré comme moins important, sauf si des circonstances particulières, à préciser dans la méthodologie, justifient de le considérer comme tel, si l’une quelconque des conditions suivantes est remplie :

i)

la valeur totale de ses actifs est supérieure à 30 milliards d’euros ;

ii)

le ratio entre ses actifs totaux et le PIB de l’État membre participant d’établissement est supérieur à 20 %, à moins que la valeur totale de ses actifs soit inférieure à 5 milliards d’euros ;

iii)

à la suite d’une notification de son autorité compétente nationale estimant que l’établissement présente un intérêt important pour l’économie nationale, la BCE arrête une décision confirmant cette importance après avoir procédé à une évaluation exhaustive comprenant une étude du bilan de l’établissement de crédit concerné.

La BCE peut également, de sa propre initiative, considérer qu’un établissement présente un intérêt important s’il a établi des filiales bancaires dans plus d’un État membre participant et si ses actifs ou passifs transfrontaliers représentent une partie importante de ses actifs ou passifs totaux, sous réserve des conditions fixées dans la méthodologie.

Les établissements pour lesquels une aide financière publique a été directement demandée ou reçue du [Fonds européen de stabilité financière (FESF)] ou du [mécanisme européen de stabilité (MES)] ne sont pas considérés comme moins importants.

Nonobstant les alinéas précédents, la BCE s’acquitte des missions que lui confie le présent règlement en ce qui concerne les trois établissements de crédit les plus importants dans chacun des États membres participants, sauf si des circonstances particulières justifient qu’il en soit autrement.

5.   En ce qui concerne les établissements de crédit visés au paragraphe 4, et dans le cadre visé au paragraphe 7 :

a)

la BCE communique aux autorités compétentes nationales des règlements, des orientations ou des instructions générales précisant les modalités selon lesquelles lesdites autorités compétentes nationales doivent accomplir les missions définies à l’article 4, à l’exclusion du paragraphe 1, points a) et c), et arrêter des décisions en matière de surveillance ;

Ces instructions peuvent se référer aux pouvoirs spécifiques visés à l’article 16, paragraphe 2, pour des groupes ou des catégories d’établissements de crédit aux fins d’assurer la cohérence des résultats de la surveillance au sein du MSU ;

b)

si cela s’avère nécessaire pour assurer une application cohérente de normes élevées de surveillance, la BCE peut, à tout moment, de sa propre initiative après consultation des autorités compétentes nationales, ou à la demande d’une autorité compétente nationale, décider d’exercer elle-même directement toutes les compétences pertinentes à l’égard d’un ou de plusieurs établissements de crédit visés au paragraphe 4, y compris dans le cas où une aide financière publique a été demandée ou reçue indirectement du FESF ou du MES ;

c)

la BCE supervise le fonctionnement du système sur la base des compétences et des procédures prévues au présent article, et notamment à son paragraphe 7, point c) ;

d)

la BCE peut exercer à tout moment les pouvoirs visés aux articles 10 à 13 ;

e)

la BCE peut également demander, de façon ponctuelle ou continue, aux autorités compétentes nationales des informations sur l’accomplissement des missions relevant du présent article.

6.   Sans préjudice du paragraphe 5 du présent article, les autorités compétentes nationales s’acquittent et sont chargées des missions visées à l’article 4, paragraphe 1, points b), d) à g), et i), et elles sont habilitées à adopter toutes les décisions pertinentes en matière de surveillance à l’égard des établissements de crédit visés au paragraphe 4, premier alinéa, du présent article dans le cadre et sous réserve des procédures visées au paragraphe 7 du présent article.

[…]

7.   En consultation avec les autorités compétentes nationales, et sur la base d’une proposition du conseil de surveillance, la BCE adopte et rend public un cadre visant à organiser les modalités pratiques de la mise en œuvre du présent article. […]

[…] »

B. Le règlement-cadre MSU

9.

L’article 1er du règlement-cadre MSU, intitulé « Objet et objectif », dispose :

« 1.   Le présent règlement fixe les règles applicables à l’ensemble des aspects suivants :

a)

le cadre prévu à l’article 6, paragraphe 7, du règlement [de base], à savoir un cadre organisant les modalités pratiques de la mise en œuvre de l’article 6 du règlement [de base] concernant la coopération dans le cadre du MSU, afin d’inclure :

i)

la méthodologie spécifique d’évaluation et d’examen permettant de déterminer si une entité soumise à la surveillance prudentielle est classée comme importante ou moins importante conformément aux critères énoncés dans l’article 6, paragraphe 4, du règlement [de base], et les modalités résultant de cette évaluation ;

[…] »

10.

L’article 70 du règlement-cadre MSU, intitulé « Circonstances particulières conduisant au classement d’une entité importante soumise à la surveillance prudentielle comme moins importante », dispose :

« 1.   On entend par circonstances particulières telles que mentionnées à l’article 6, paragraphe 4, deuxième et cinquième alinéas, du règlement [de base] (ci-après “circonstances particulières”), des circonstances de faits spécifiques qui rendent inapproprié le classement comme important d’une entité soumise à la surveillance prudentielle au regard des objectifs et des principes du règlement [de base] et, notamment, de la nécessité de garantir l’application cohérente de normes de surveillance prudentielle de niveau élevé.

2.   L’expression “circonstances particulières” fait l’objet d’une interprétation stricte. »

11.

L’article 71 du règlement-cadre MSU, intitulé « Détermination de l’existence de circonstances particulières », dispose, à son paragraphe 1 :

« L’existence de circonstances particulières justifiant le classement comme moins importante d’une entité soumise à la surveillance prudentielle qu’il y aurait lieu de considérer comme importante doit être déterminée cas par cas et spécifiquement pour l’entité soumise à la surveillance prudentielle concernée ou le groupe soumis à la surveillance prudentielle concerné et non pour des catégories d’entités soumises à la surveillance prudentielle. »

II. Les antécédents du litige et la décision attaquée

12.

La requérante est la banque d’investissement et de développement (Förderbank) du Land de Bade-Wurtemberg (Allemagne). Créée par l’article 1er, paragraphe 1, de la loi sur la banque régionale de crédit du Land de Bade-Wurtemberg, elle est une personne morale de droit public, dont le Land de Bade-Wurtemberg est l’unique détenteur des parts.

13.

Le 25 juin 2014, la BCE a informé la requérante, en substance, que son importance impliquait qu’elle relève de sa seule surveillance plutôt que de la surveillance partagée du MSU, en application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base, et l’a invitée à présenter ses observations.

14.

Le 10 juillet 2014, la requérante a contesté cette analyse en faisant valoir, notamment, l’existence de circonstances particulières au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et des articles 70 et 71 du règlement-cadre MSU.

15.

Le 1er septembre 2014, la BCE a adopté une décision qualifiant la requérante d’entité importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base.

16.

Le 6 octobre 2014, la requérante a demandé le réexamen de cette décision au titre de l’article 24, paragraphes 1, 5 et 6, du règlement de base, lu conjointement avec l’article 7 de la décision de la BCE du 14 avril 2014 concernant la mise en place d’une commission administrative de réexamen et ses règles de fonctionnement (2014/360/UE) (JO 2014, L 175, p. 47). Une audition s’est déroulée le 23 octobre 2014 devant la commission administrative de réexamen.

17.

Le 20 novembre 2014, la commission administrative de réexamen a rendu un avis concluant à la légalité de la décision de la BCE.

18.

Le 5 janvier 2015, la BCE a adopté la décision attaquée, laquelle a abrogé et remplacé la décision du 1er septembre 2014, tout en maintenant la qualification d’entité importante attribuée à la requérante.

19.

Dans la décision attaquée, la BCE a relevé que la valeur des actifs de la requérante dépassait les 30 milliards d’euros et a rejeté les arguments que cette dernière tirait de l’existence, en ce qui la concernait, de « circonstances particulières », au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base, justifiant qu’elle continue à relever de la surveillance prudentielle directe des autorités allemandes.

20.

La BCE a mis l’accent, en substance, sur les considérations suivantes :

la qualification d’entité importante attribuée à la requérante n’était pas en contradiction avec les objectifs du règlement de base ;

le profil de risque d’une entité n’était pas une question pertinente au stade de sa qualification ;

à supposer même qu’elle estime que des circonstances particulières existaient dans le cas de la requérante, elle devrait également vérifier si de telles circonstances justifiaient de reclasser la requérante en entité moins importante ;

en application de l’article 70, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU, la notion de circonstances particulières devait faire l’objet d’une interprétation restrictive et, partant, ce n’était que lorsque la surveillance directe de la BCE était inappropriée qu’une entité pouvait être reclassée d’« importante » en « moins importante » ;

la prise en compte du principe de proportionnalité à des fins d’interprétation ne saurait lui imposer de vérifier si l’application des critères de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base à une entité revêtait un caractère proportionné et l’examen du caractère « inapproprié » de la qualification d’importante attribuée à une entité n’équivalait pas à un tel examen de la proportionnalité ;

le caractère adéquat des cadres de surveillance nationaux et leur capacité à appliquer des normes de surveillance élevées ne permettaient pas de conclure au caractère inapproprié de l’exercice d’une surveillance prudentielle directe par la BCE, dès lors que le règlement de base ne conditionnait pas celle-ci à la démonstration du caractère inadéquat des cadres de surveillance nationaux ou des normes nationales de surveillance.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

21.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mars 2015, la requérante a demandé l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de son recours, la requérante a invoqué cinq moyens tirés, le premier, d’une violation de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 70 du règlement-cadre MSU dans le choix des critères appliqués par la BCE, le deuxième, de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation des faits, le troisième, d’une violation de l’obligation de motivation, le quatrième, d’un détournement de pouvoir commis du fait d’une absence d’exercice par la BCE de son pouvoir d’appréciation et, le cinquième, d’une violation de l’obligation de la BCE de prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce.

22.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par la requérante.

IV. Les conclusions des parties devant la Cour

23.

La requérante conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

annuler l’arrêt attaqué ;

annuler la décision attaquée, en ordonnant le maintien des effets s’attachant au remplacement de la décision de la BCE du 1er septembre 2014 ;

à titre subsidiaire, annuler l’arrêt attaqué et renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

condamner la BCE aux dépens.

24.

La BCE et la Commission concluent pour leur part à ce qu’il plaise à la Cour :

rejeter le pourvoi et

condamner la requérante aux dépens.

V. Le pourvoi

25.

À l’appui de son pourvoi, la requérante avance trois moyens tirés, premièrement, de la violation du droit de l’Union dans l’interprétation et l’application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 70 du règlement-cadre MSU, deuxièmement, de la dénaturation de la décision attaquée et de l’appréciation erronée des exigences de motivation et, troisièmement, d’erreurs de procédure commises par le Tribunal en introduisant dans son arrêt des éléments qui ne relevaient pas de l’objet de la procédure.

A. Le premier moyen du pourvoi, tiré de la violation du droit de l’Union dans l’interprétation et l’application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 70 du règlement-cadre MSU

26.

Le premier moyen du pourvoi est divisé en trois branches.

1.   L’interprétation erronée de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base et de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU

27.

Au titre de la première branche, la requérante soutient que le Tribunal a interprété de manière erronée l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base et l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU.

28.

La requérante s’appuie sur trois arguments.

a)   L’interprétation textuelle erronée

29.

En premier lieu, la requérante considère que c’est à tort que le Tribunal a conclu que des « circonstances particulières» ( 2 ) conduisant au classement d’une entité comme moins importante n’existent que si une surveillance prudentielle directe de cette entité par les autorités nationales est plus adaptée pour réaliser les objectifs du règlement de base qu’une surveillance prudentielle directe par la BCE. Selon la requérante, l’interprétation littérale du terme « inapproprié » par le Tribunal ( 3 ) reposait uniquement sur la jurisprudence de la Cour relative au principe de proportionnalité, selon laquelle le point de savoir si un acte de l’Union est approprié dépend de son aptitude à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause ( 4 ). La requérante a affirmé que le Tribunal se fondait ainsi sur une terminologie provenant d’un contexte totalement différent et non sur le sens habituel du terme.

30.

La requérante a affirmé en outre que le Tribunal a supposé à tort que seule la version linguistique anglaise du règlement-cadre MSU (et, partant, le terme « inappropriate ») était déterminante, violant par là le principe selon lequel toutes les versions linguistiques font également foi. La requérante soutient que les expressions « geeignet », « aptes », « idóneos », « idonei » et « geschikt » utilisées respectivement dans les versions linguistiques allemande, française, espagnole, italienne et néerlandaise de l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. ( 5 ), ne correspondent pas aux termes « unangemessen », « inapproprié », « inadecuada », « inappropriata » et « niet passend » employés à l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU.

31.

Selon la requérante, les expressions « inapproprié » et « circonstances particulières » sont des notions juridiques indéterminées. L’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et l’article 70, paragraphe 1, du règlement‑cadre MSU doivent, dès lors, être interprétés eu égard à leur finalité et à leur économie, en conformité avec le droit de rang supérieur.

32.

La BCE et la Commission soutiennent qu’il convient de rejeter cet argument. En ce qui me concerne, je ne peux que souscrire à ce point de vue.

33.

Il importe de relever d’emblée que la requérante ne conteste pas la validité de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base ou de l’article 70 du règlement‑cadre MSU. En revanche, ce qui est en cause dans le cadre de la présente procédure – et de la procédure antérieure devant le Tribunal –, c’est l’interprétation exacte de ces dispositions. De plus, étant donné que les actifs de la requérante sont supérieurs à 30 milliards d’euros ( 6 ), il en découle, par application de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base, qu’elle ne devrait pas être considérée « comme moins important[e], sauf si des circonstances particulières […] justifient de » la considérer comme telle. Il y a lieu de constater en outre que la requérante ne conteste pas l’appréciation de la BCE selon laquelle ses actifs sont bien supérieurs au seuil législatif applicable.

34.

À mon sens, il ressort de l’expression « sauf si des circonstances particulières […] justifient de », figurant à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base, que la qualification d’entité moins importante attribuée à une entité qui remplit l’un quelconque des critères détaillés indiqués dans cette disposition est une exception à la règle normale en vertu de laquelle la surveillance prudentielle directe d’une telle entité qui remplit par ailleurs ces critères doit être exercée par la BCE. Aux termes de l’article 70, paragraphe 1, du règlement‑cadre MSU, de telles « circonstances particulières » s’entendent des circonstances qui rendent « inapproprié » le classement d’une entité comme importante au regard des objectifs et des principes du règlement de base et, notamment, de la nécessité de garantir l’application cohérente de normes de surveillance prudentielle de niveau élevé ainsi que, selon moi, de la nécessité de se prémunir contre les risques systémiques potentiels cachés qui sont liés aux grands établissements bancaires ayant un actif immobilisé important. Cela est souligné par le fait que l’article 70, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU dispose que l’expression « circonstances particulières » figurant à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Il en résulte à l’évidence que le classement comme moins important d’une entité qui remplit l’un quelconque des critères pertinents est de nature tout à fait exceptionnelle et déroge à la norme. Tout cela signifie également que lorsque l’un des critères indiqués à l’article 6, paragraphe 4, est rempli, toute entité bancaire, telle que la requérante, qui entend démontrer l’existence de « circonstances particulières » au sens de cette disposition ne peut le faire par de simples affirmations, mais doit l’établir d’une manière particulièrement convaincante.

35.

Je considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a constaté, au point 44 de l’arrêt attaqué, que le libellé de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU met en avant le caractère approprié ou non d’une surveillance directe par la BCE d’une entité qui ne devrait en principe pas être qualifiée d’importante ( 7 ) et, partant, soumise à la surveillance directe de la BCE. Comme le Tribunal le relève à juste titre, aucune mention n’est faite, à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base ou à l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU, d’un examen de la nécessité d’une surveillance directe de l’entité par la BCE ou du fait qu’une surveillance directe par les autorités nationales serait autant à même d’atteindre les objectifs du règlement de base qu’une surveillance exercée par la seule BCE ( 8 ).

36.

À cet égard, le régime législatif est clair. Le postulat de départ est que toute entité bancaire qui remplit l’un des critères détaillés indiqués à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base est considérée par le législateur de l’Union comme « importante » ou réputée telle, si bien qu’une surveillance directe par la BCE est nécessaire. Dans le cas d’une entité telle que la requérante, dès lors que ses actifs sont supérieurs au seuil de 30 milliards d’euros, le législateur de l’Union présume qu’une surveillance directe par la BCE est nécessaire, sauf si l’existence de circonstances particulières réfutant cette présomption au sens de l’article 70, paragraphe 1, du règlement‑cadre MSU est établie de manière convaincante.

37.

Quelles sont, alors, les circonstances particulières invoquées par la requérante à l’appui de son allégation selon laquelle elle doit être considérée comme relevant de l’exception prévue à l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base ? Les principaux arguments avancés dans ce contexte sont liés à la législation régissant son modèle d’entreprise et la nature de ses opérations de clientèle. La requérante soutient en particulier que ces objectifs législatifs définissent sa finalité essentielle qui réside dans le financement de missions spécifiques de service public et obligent le Land de Bade-Wurtemberg à lui fournir les ressources nécessaires pour qu’elle puisse s’acquitter de ces missions. Elle affirme en outre que son modèle d’entreprise présente un profil de risque peu élevé et que, étant donné qu’elle est presque intégralement située sur le territoire d’un seul État membre, la simplicité même de sa structure garantit une gestion des risques saine, voire une absence d’importance systémique en tant qu’établissement de crédit dans l’ensemble du système bancaire allemand.

38.

À mon avis, même à supposer que ces arguments soient factuellement exacts, ils seraient, pour l’essentiel, dépourvus de pertinence pour les présentes questions. Il ne ressort aucunement du règlement de base ou du règlement-cadre MSU que la structure juridique de l’entité bancaire, la législation régissant l’exercice de ses fonctions bancaires ou son modèle d’entreprise ou, d’ailleurs, la nature du risque qu’elle représente pour la stabilité bancaire soient pertinentes aux fins de sa qualification d’importante au sens du règlement de base. Il peut être utile de rappeler à cet égard que l’article 1er, troisième alinéa, du règlement de base oblige la BCE à tenir « pleinement compte de la diversité des établissements de crédit, de leur taille et de leur modèle d’entreprise », si bien que le cadre législatif prévoit que la BCE exercera un contrôle prudentiel sur des établissements de crédit ayant des modèles d’entreprise différents. L’une des autres leçons que le législateur de l’Union a tirées de la crise financière de 2008 était que nombre des suppositions faciles qui avaient été faites auparavant en ce qui concerne la nature du risque financier ou l’absence d’importance systémique d’établissements de crédit particuliers se sont finalement avérées erronées lorsqu’elles ont été effectivement vérifiées. C’est, après tout, la raison pour laquelle le règlement de base part de l’hypothèse qu’un établissement de crédit ayant des actifs aussi importants devrait être soumis à la surveillance de la BCE, que cet établissement représente – ou non – un risque systémique réel pour la stabilité financière. Il en découle, par conséquent, qu’une absence perçue de risque systémique n’implique pas en elle-même qu’il est inapproprié de qualifier l’établissement de crédit en question d’entité importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base.

39.

Le fait que le Tribunal se fonde ( 9 ) sur la formulation du point 67 de l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400), pour interpréter le terme « inapproprié » ne saurait, à mon sens, être considéré comme juridiquement erroné en droit. Si le point 67 de l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400), concerne incontestablement le principe de proportionnalité, le Tribunal n’a cité ce point que pour illustrer, au point 46 de l’arrêt attaqué, le fait que l’examen du caractère approprié ou non d’un acte est distinct de l’examen du point de savoir s’il ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire.

40.

Qui plus est, les arguments de la requérante en ce qui concerne les différentes versions linguistiques de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU et le point 67 de l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400), ne sont, je le crains, pas convaincants. Je considère que, conformément à leur sens ordinaire, les termes « geeignet », « aptes », « idóneos », « idonei » et « geschikt » utilisés respectivement dans les versions linguistiques allemande, française, espagnole, italienne et néerlandaise de l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 67), sont les antonymes des termes « unangemessen », « inapproprié », « inadecuada », « inappropriata » et « niet passend » employés à l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU. Il ressort, dès lors, du libellé explicite de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU que la surveillance d’une entité par une autorité nationale compétente est uniquement permise lorsque la surveillance directe par la BCE serait inadaptée, inadéquate ou « inappropriée » compte tenu des objectifs du règlement de base. Il en serait ainsi, par exemple, dans le cas où la surveillance prudentielle ne serait pas exercée de manière adéquate par la BCE.

b)   Le principe de proportionnalité

41.

En deuxième lieu, la requérante considère que le Tribunal n’a pas interprété l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base et l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU en conformité avec le principe de proportionnalité qui est applicable en matière de compétences en vertu de l’article 5, paragraphe 4, TUE.

42.

La requérante soutient que le Tribunal a considéré à tort que le principe de proportionnalité applicable en matière de compétences n’est pas pertinent aux fins de l’interprétation de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU ( 10 ) au motif que « les autorités nationales […] agissent dans le cadre de la mise en œuvre décentralisée d’une compétence exclusive de l’Union et non dans l’exercice d’une compétence nationale» ( 11 ). La requérante considère que le principe de proportionnalité visé à l’article 5, paragraphe 4, TUE s’applique également aux compétences exclusives de l’Union et doit par conséquent être respecté par la BCE lorsqu’elle agit en tant qu’autorité de surveillance européenne et, en particulier, lorsqu’elle qualifie une entité d’importante ou de moins importante.

43.

La requérante considère qu’il résulte d’une analyse globale des articles 4 et 6 du règlement de base que la BCE jouit d’une compétence exclusive en ce qui concerne la surveillance des entités importantes, tandis que les autorités nationales conservent leurs compétences préexistantes en ce qui concerne les entités moins importantes. Les considérants 15, 28 ( 12 ) et 37 à 40 ( 13 ) du règlement de base n’étayent pas la constatation contraire du Tribunal.

44.

La requérante fait également valoir que, étant donné que la base juridique du règlement de base est l’article 127, paragraphe 6, TFUE, le Conseil ne peut pas, contrairement à ce que le Tribunal affirme aux points 63 et 72 de l’arrêt attaqué, conférer des pouvoirs aux autorités compétentes nationales. Elle poursuit en soutenant que, conformément à l’article 5, paragraphe 4, TUE, la surveillance par la BCE n’est pas nécessaire lorsque les autorités compétentes nationales sont en mesure de réaliser les objectifs du règlement de base. L’on est en présence de « circonstances particulières » au sens de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base – selon elle – lorsqu’en raison des circonstances spécifiques et factuelles du cas d’espèce, une surveillance prudentielle directe par les autorités compétentes nationales est au moins aussi à même de permettre la réalisation des objectifs dudit règlement que ne l’est la surveillance directe par la BCE. Dans ce cas, une requalification d’une entité importante en entité moins importante s’impose.

45.

La BCE et la Commission soutiennent qu’il convient de rejeter cet argument. Je partage ce point de vue.

46.

Il importe de relever d’emblée que la requérante ne prétend pas qu’une disposition du règlement de base ou du règlement-cadre MSU enfreint le principe de proportionnalité rappelé à l’article 5, paragraphe 4, TUE ( 14 ).

47.

La requérante considère, au contraire, que, étant donné que les articles 4 et 6 du règlement de base ne confèrent à la BCE une compétence exclusive qu’en ce qui concerne la surveillance des entités importantes, tandis que les autorités nationales demeurent en principe compétentes pour ce qui est des entités moins importantes, la BCE doit respecter le principe de proportionnalité lorsqu’elle examine le point de savoir s’il convient de requalifier une entité en entité moins importante en raison de l’existence de « circonstances particulières ». La BCE doit ainsi vérifier, au cas par cas, si la surveillance prudentielle d’une entité donnée pourrait tout aussi bien être réalisée par les autorités compétentes nationales, de sorte qu’il convient d’attribuer à l’entité la qualification d’entité moins importante.

48.

Il résulte de ce qui précède qu’il est nécessaire d’examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit dans son appréciation de la répartition des compétences entre la BCE et les autorités nationales compétentes en vertu des articles 4 et 6 du règlement de base pour ce qui est des entités moins importantes, avant d’examiner l’application du principe de proportionnalité par cette juridiction.

1) La répartition des compétences

49.

Le Tribunal a jugé, au point 63 de l’arrêt attaqué, qu’« a été déléguée par le Conseil à la BCE une compétence exclusive s’agissant des missions envisagées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base et que l’article 6 de ce même règlement a pour seul objet de permettre la mise en œuvre décentralisée dans le cadre du MSU [ ( 15 )] de cette compétence par les autorités nationales, sous le contrôle de la BCE, à l’égard des entités moins importantes et s’agissant des missions envisagées à l’article 4, paragraphe 1, sous b) et d) à i), du règlement de base, tout en conférant à la BCE la compétence exclusive pour déterminer le contenu de la notion de “circonstances particulières” au sens de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, de ce même règlement, laquelle a été mise en œuvre par l’adoption des articles 70 et 71 du règlement-cadre MSU ».

50.

Pour ma part, je souscris entièrement à l’analyse du Tribunal. L’article 4, paragraphe 1, du règlement de base investit la BCE de la compétence exclusive d’exercer les neuf missions indiquées à l’égard de « tous » les établissements de crédit établis dans les États membres participants ( 16 ) dans le cadre de l’article 6 de ce règlement. Il y a lieu de rappeler que l’article 4 du règlement de base n’établit pas de distinction, à cet égard, entre les entités importantes et les entités moins importantes. Toutefois, l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base prévoit, pour ce qui est des entités moins importantes, que la BCE est dotée de certaines compétences ( 17 ) en ce qui concerne les missions définies à l’article 4, paragraphe 1, sous b), d) à g) et i), tandis que les autorités nationales sont dotées d’autres compétences relatives à ces missions. La BCE est chargée, à titre exclusif, des missions énumérées à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et c), du règlement de base en ce qui concerne les entités moins importantes.

51.

L’article 6, paragraphe 5, sous a), du règlement de base prévoit que la BCE communique aux autorités compétentes nationales des règlements, des orientations ou des instructions générales relatives aux modalités d’exercice des missions visées à l’article 4 ( 18 ). La BCE peut, pour assurer l’application de normes élevées de surveillance, décider d’exercer toutes les compétences pertinentes à l’égard d’une ou de plusieurs entités moins importantes ( 19 ). En outre, la BCE est habilitée à superviser le fonctionnement du système ( 20 ), elle peut exercer à tout moment les pouvoirs d’enquête visés aux articles 10 à 13 du règlement de base ( 21 ) et elle peut demander aux autorités compétentes nationales des informations sur l’accomplissement de leurs missions ( 22 ).

52.

En revanche, les autorités compétentes nationales doivent s’acquitter et sont chargées des missions visées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base, à l’exclusion de celles qui sont visées à l’article 4, sous a) et c), et elles peuvent adopter toutes les décisions pertinentes en matière de surveillance à l’égard des entités moins importantes, conformément au cadre adopté par la BCE, en « consultation avec les autorités compétentes nationales », en application de l’article 6, paragraphe 7, du règlement de base ( 23 ). Sur la base de ce cadre, la BCE a adopté le règlement-cadre MSU, y compris les articles 70 et 71 de celui-ci, fixant les règles applicables à l’établissement de l’existence de « circonstances particulières» ( 24 ).

53.

Eu égard à l’ampleur considérable des compétences conférées à la BCE pour ce qui est des entités moins importantes et au rôle manifestement secondaire et accessoire qui est joué par les autorités compétentes nationales à cet égard en vertu du règlement de base, je ne saurais souscrire à la thèse de la requérante selon laquelle ces autorités conservent leurs compétences préexistantes à l’égard de ces entités. La BCE exerce en effet la surveillance prudentielle exclusive des entités moins importantes pour ce qui est des neuf missions indiquées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base et elle est assistée ( 25 ) dans le cadre de cet exercice pour ce qui est des missions indiquées à l’article 4, paragraphe 1, sous b), d) à g) et i), du règlement de base.

54.

De plus, en ce qui concerne la thèse de la requérante qui porte sur la base juridique du règlement de base, je ne saurais souscrire à son analyse de l’arrêt attaqué, étant donné que le Tribunal n’a pas constaté, aux points 63 et 72 dudit arrêt, que des pouvoirs avaient été conférés aux autorités compétentes nationales. Ces points mentionnent spécifiquement la compétence exclusive de la BCE/de l’Union. En tout état de cause, étant donné que le règlement de base prévoit que la BCE, et non les États membres, exerce la surveillance prudentielle exclusive des entités moins importantes pour ce qui est des neuf missions indiquées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base, l’argument de la requérante portant sur la base juridique du règlement de base, qui a été résumé au point 44 des présentes conclusions, ne saurait prospérer et doit être rejeté.

2) L’application du principe de proportionnalité

55.

Contrairement aux allégations de la requérante qui sont visées au point 42 des présentes conclusions, le Tribunal n’a pas constaté que le principe de proportionnalité n’était pas pertinent aux fins de l’interprétation de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 70, paragraphe 1, du règlement‑cadre MSU. En effet, le Tribunal a examiné cette question de manière approfondie aux points 66 à 85 de l’arrêt attaqué et il a renvoyé à la jurisprudence de la Cour sur ce principe aux points 66 à 68 de cet arrêt.

56.

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 4, TUE que le principe de proportionnalité s’applique au contenu et à la forme de toute action de l’Union, y compris, comme le soutient la requérante, les mesures prises par l’Union lorsqu’elle agit dans le cadre de sa compétence exclusive.

57.

À mon sens, le principe de proportionnalité ne saurait modifier la répartition des compétences entre les États membres et l’Union, laquelle est régie par le principe d’attribution, conformément à l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE. Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, TUE, « le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union ». L’article 5, paragraphe 2, TUE prévoit que « [e]n vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres ». Le principe de proportionnalité ne saurait dès lors être invoqué pour confier une compétence de l’Union aux États membres ou vice versa. Toutefois, les « principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice [des compétences de l’Union]» ( 26 ).

58.

Lorsqu’elle interprète les notions de « circonstances particulières » au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base et de « inapproprié » au sens de l’article 70, paragraphe 1, du règlement‑cadre MSU au regard du principe de proportionnalité, la BCE ne peut pas classer comme non importante une entité qu’il y aurait lieu de considérer comme importante, sauf si cette mesure est, notamment, apte à réaliser les objectifs légitimes du règlement de base et ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs.

59.

Par conséquent, il ne suffit pas d’établir que les autorités compétentes nationales peuvent réaliser les objectifs du règlement de base ( 27 ), comme le soutient la requérante, étant donné que cela répond uniquement à l’exigence du caractère approprié de la mesure dans le cadre du contrôle de la proportionnalité. Il faut, au contraire, également établir le fait que la surveillance par les autorités compétentes nationales est mieux à même d’atteindre les objectifs du règlement de base ( 28 ) – ce qui garantit que le classement comme non importante d’une entité qu’il y aurait lieu de considérer comme importante ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs.

60.

Non seulement toute tentative de classer comme non importante une entité qu’il y aurait lieu de considérer comme importante par application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base, au motif que les objectifs de ce règlement pourraient tout aussi bien être atteints au moyen de la surveillance directe par les autorités compétentes nationales va à l’encontre de la répartition des compétences entre les États membres et la BCE qui est établie dans cette disposition, mais elle ne respecte pas le principe de proportionnalité.

61.

En tout état de cause, je considère que l’argument tiré de la proportionnalité qui a été avancé par la requérante dans le cadre du présent pourvoi revient, en substance, à contester indirectement la validité de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base. Comme je l’ai déjà relevé, le régime législatif est clair en ce sens que les entités bancaires qui remplissent l’une des conditions énumérées à cet alinéa sont a priori réputées être importantes, sauf si des circonstances particulières sont manifestement établies. Cela est souligné par les dispositions de l’article 70, paragraphe 2, du règlement‑cadre MSU, qui énonce que l’expression « circonstances particulières » est d’interprétation stricte.

62.

Si l’application potentielle du principe de proportionnalité ne saurait, bien entendu, être exclue le cas échéant, ce principe ne peut néanmoins pas être mis en œuvre d’une façon qui compromettrait en fait l’effet utile du régime législatif instauré par le législateur de l’Union. Or, c’est ce que la requérante a effectivement tenté de faire dans le cadre du présent pourvoi.

63.

Dans ce contexte, je ne peux qu’être frappé par le fait que la requérante n’a avancé aucun argument fondé sur l’existence de circonstances particulières au sens de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base. L’argument relatif à la proportionnalité semble au contraire être tiré du fait que, puisqu’il est possible – voire souhaitable – que la requérante soit contrôlée directement par les autorités de surveillance nationales, il incombe à la BCE d’établir que le contraire était d’une certaine manière nécessaire. Toutefois, il s’agit là d’un argument qui est en contradiction totale avec le contexte clair du régime législatif et, comme je viens de l’indiquer, qui revient en substance à contester indirectement la validité de celui-ci.

64.

Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, je considère que l’argument tiré de la proportionnalité qui a été avancé par la requérante est dénué de fondement.

c)   La violation du principe d’interprétation ut res magis valeat quam pereat et l’obligation de ne pas exiger une probatio diabolica

65.

En troisième lieu, la requérante soutient que le Tribunal a enfreint le principe d’interprétation ut res magis valeat quam pereat et l’obligation de ne pas exiger une probatio diabolica. L’argument avancé ici revient, en fait, à affirmer que la preuve de l’exception visée à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base ne devrait pas être rendue excessivement difficile.

66.

La requérante considère que la notion de « circonstances particulières » figurant à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base ne peut pas être interprétée de manière à ce que la présomption selon laquelle les entités qui remplissent les critères énumérés par cette disposition doivent être qualifiées d’entités importantes ne puisse jamais être renversée. Si les critères relatifs à l’existence de « circonstances particulières » sont d’« interprétation stricte », conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU, elle soutient que ces critères doivent néanmoins pouvoir être appliqués. Selon la requérante, le Tribunal a méconnu cela aux points 46 et 80 de l’arrêt attaqué, si bien qu’il est quasiment impossible à la requérante d’établir l’existence de telles circonstances particulières.

67.

La requérante soutient que le Tribunal commet une erreur de droit au point 80 de l’arrêt attaqué lorsqu’il affirme qu’« une surveillance prudentielle directe par les autorités nationales [doit être] mieux à même d’atteindre les objectifs et les principes du règlement de base » et que ce point doit être prouvé par les entités importantes. Selon la requérante, ni le règlement de base ni le règlement-cadre MSU n’établissent une telle hiérarchie entre une surveillance qui est « mieux à même » de réaliser les objectifs du règlement de base et une surveillance qui est « moins à même » de le faire. Le critère du Tribunal selon lequel la surveillance par les autorités nationales est « mieux à même » est, selon le pourvoi, inapproprié et prive les entités importantes de toute possibilité réaliste d’apporter effectivement la preuve exigée par le Tribunal, étant donné que ces entités devraient établir des faits en rapport avec la manière de travailler des différentes autorités de surveillance, faits qui ne relèvent pas de la sphère de compétence de ces entités. La règle des « circonstances particulières », qui découle de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base et de l’article 70 du règlement-cadre MSU, vise à éviter des incohérences résultant d’une application schématique du critère de la taille dans un cas particulier, ce qui se traduirait par des compétences excessives attribuées à la BCE.

68.

Dans leur mémoire en réponse, la BCE et la Commission considèrent qu’il est possible de démontrer l’existence de « circonstances particulières » au sens de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base. Elles ont mentionné un certain nombre d’exemples de décisions adoptées par la BCE à cet égard.

69.

Dans son mémoire en réplique, la requérante soutient que les décisions de la BCE qui ont été mentionnées par la BCE et par la Commission n’appliquaient pas le critère adopté par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Selon la requérante, ces décisions de la BCE prouvent, au contraire, que la BCE adopte ses décisions de manière arbitraire et opportuniste.

70.

Je considère qu’il y a lieu de rejeter cette allégation de la requérante. À titre préliminaire, je relèverai que la Cour statuant en sa qualité de juge du pourvoi n’est pas en mesure d’apprécier si les exemples de décisions de la BCE qui ont été cités par la BCE et par la Commission corroborent ou non leur affirmation selon laquelle l’application de l’interprétation que le Tribunal fait de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base n’exige pas une probatio diabolica. Il s’agit d’une question de fait qui ne relève pas de la compétence de la Cour statuant sur pourvoi.

71.

Comme je l’ai déjà indiqué, il ressort de l’article 70, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU que l’expression « circonstances particulières » figurant à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, le classement d’une entité importante comme entité moins importante en raison de l’existence de circonstances particulières, conformément à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base, doit être considéré comme de nature exceptionnelle.

72.

Il n’est peut-être pas nécessaire de tenter de définir de manière exhaustive ce qui constitue des « circonstances particulières » aux fins du présent pourvoi. Toutefois, étant donné l’objectif réglementaire des deux règlements – lequel vise, après tout, à garantir l’application cohérente de normes élevées de surveillance prudentielle au moyen de l’application des mêmes règles matérielles relatives à la surveillance prudentielle de cette entité, que celle-ci soit effectuée au niveau national ou au niveau de la BCE –, l’exception prévue à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base semble concerner principalement les circonstances spéciales et inhabituelles dans lesquelles la qualification d’importante attribuée à une entité constituerait en pratique un obstacle à l’application cohérente de ces normes élevées de surveillance prudentielle.

73.

La requérante rétorque à cela qu’il est en réalité impossible de prouver que la surveillance prudentielle directe par les autorités compétentes nationales est mieux à même d’atteindre les objectifs du règlement de base, car cela suppose une connaissance de la manière de travailler des différentes autorités de surveillance.

74.

Je considère, pour ma part, que cet argument n’est absolument pas convaincant. Certes, il est plus facile de satisfaire au critère préconisé par la requérante qu’au critère établi par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Les deux critères requièrent cependant une connaissance approfondie de la manière de travailler de la BCE et d’une autorité compétente nationale donnée. Eu égard au fait que la manière de travailler de la BCE et des autorités compétentes nationales est connue du public, je ne vois pas pourquoi il serait impossible de démontrer, dans un cas donné, que la surveillance prudentielle directe par les autorités compétentes nationales est mieux à même d’atteindre les objectifs du règlement de base. En outre, la requérante est une entité dotée d’abondantes ressources et, selon toute vraisemblance, d’une parfaite connaissance des pratiques et de la réglementation bancaires. S’il y avait effectivement des « circonstances particulières » qui pourraient justifier la non-application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base, de sorte que la surveillance directe repasserait de la BCE aux autorités compétentes nationales, il est à supposer que la requérante n’hésiterait pas à mettre en avant ces considérations particulières. Or, elle est restée étrangement silencieuse sur ce point précis, préférant avancer ce qu’il y a lieu de considérer, eu égard aux faits du présent pourvoi, comme des arguments tout à fait théoriques relatifs au principe de proportionnalité et à son interaction avec les dispositions de l’article 6, paragraphe 4, du règlement de base.

2.   L’erreur manifeste d’appréciation des faits

75.

Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen du pourvoi, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 101 à 112 de l’arrêt attaqué en ce qu’il n’a pas examiné les circonstances spécifiques invoquées par la requérante et en ce qu’il n’a pas vérifié si, dans le cas de la requérante, il existait des « circonstances particulières » au sens de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base. Le Tribunal n’a pas procédé à cette vérification et s’est borné à constater, au point 108 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait pas fait valoir qu’une surveillance nationale serait mieux à même d’atteindre les objectifs du règlement de base que ne le serait une surveillance par la BCE.

76.

La BCE et la Commission soutiennent qu’il convient de rejeter cet argument. Je souscris à ce point de vue.

77.

Il y a lieu de préciser que, comme je l’ai déjà relevé, la requérante ne conteste pas le fait que, dans sa requête en première instance, les faits qu’elle a avancés au soutien de son argumentation selon laquelle il convenait de la reclasser dans la catégorie des entités moins importantes visaient uniquement à démontrer qu’une surveillance directe par la BCE n’était pas nécessaire ( 29 ).

78.

J’estime que si le Tribunal avait examiné d’office les faits avancés par la requérante afin de vérifier si une surveillance directe par les autorités compétentes nationales serait mieux à même d’atteindre les objectifs du règlement de base, il aurait enfreint l’interdiction de statuer ultra petita ( 30 ). Cette question, qui n’avait pas été soulevée par la requérante dans le cadre de son recours en première instance, ne relève pas de l’exception relative aux moyens d’ordre public que le Tribunal peut soulever d’office.

79.

La requérante remet également en cause l’appréciation en vertu de laquelle le Tribunal a rejeté, aux points 109 à 111 de l’arrêt attaqué, son allégation selon laquelle, en raison de la diversité des cadres juridiques et des autorités de contrôle, les autorités nationales sont mieux à même de collaborer entre elles qu’avec la BCE aux fins d’assurer une application cohérente de normes de surveillance prudentielle, au motif que la requérante n’avait produit aucun élément démontrant que la collaboration entre les autorités allemandes concernées était plus aisée qu’avec la BCE.

80.

Il ressort du point 109 de l’arrêt attaqué que c’est seulement dans sa réplique en première instance que la requérante a apporté certains éléments tendant à démontrer que l’autorité compétente nationale serait mieux à même d’atteindre les objectifs du règlement de base. Indépendamment de la question de savoir si le Tribunal aurait ou non dû examiner ces éléments au motif qu’ils constituaient, selon la BCE et la Commission, un moyen nouveau qui était dès lors irrecevable, je considère que la requérante n’a en fait pas soutenu que l’appréciation du Tribunal au point 111 de l’arrêt attaqué est erronée. Dans le cadre du présent pourvoi, la requérante soutient uniquement qu’elle ignorait qu’elle devait produire de tels éléments et, en tout état de cause, que cela ferait peser sur elle la charge d’une preuve impossible.

81.

Étant donné que la requérante a formulé elle-même cette allégation, il lui appartenait d’apporter des éléments de preuve à l’appui de celle-ci. De plus, compte tenu de ma réponse dans la section précédente ( 31 ), je ne suis pas convaincu par l’allégation de la requérante selon laquelle elle ne peut pas produire d’éléments relatifs aux cadres juridiques nationaux ou à la manière de travailler des autorités nationales et de la BCE, questions qui relèvent toutes du domaine public. Si la surveillance de la présente requérante au niveau de la BCE était effectivement susceptible de porter atteinte à l’application de normes bancaires réglementaires appropriées de niveau élevé, il suffit, à nouveau, d’indiquer que la requérante dispose assurément de l’expertise et des ressources nécessaires pour lui permettre d’étayer cette thèse. Encore une fois, je ne peux m’empêcher de constater qu’elle ne l’a pas fait, préférant invoquer, à cette fin, des arguments essentiellement abstraits reposant sur la proportionnalité.

3.   Le refus erroné de reconnaître que la BCE n’a pas exercé son pouvoir d’appréciation et a enfreint son obligation d’examiner l’affaire

82.

Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen du pourvoi, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a constaté que la BCE n’avait pas violé son obligation de faire usage de son pouvoir d’appréciation étant donné que « l’argumentation présentée par la requérante au cours de la procédure administrative visait exclusivement à démontrer que les objectifs du règlement de base pouvaient être atteints par une surveillance directe de la requérante par les autorités nationales ». Le Tribunal a constaté à tort, aux points 140 et suivants de l’arrêt attaqué, qu’il ne saurait « être fait grief à la BCE de ne pas avoir exercé son pouvoir d’appréciation en rejetant d’emblée une argumentation dépourvue de pertinence ».

83.

La requérante considère que c’est également à tort que le Tribunal constate, au point 149 de l’arrêt attaqué, que « les circonstances qu’il est reproché à la BCE de ne pas avoir prises en considération étaient dépourvues de pertinence au regard du libellé de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU », de sorte qu’il ne saurait « être utilement reproché à la BCE de ne pas avoir pris en compte de telles circonstances à l’occasion de l’application de cette disposition ».

84.

La requérante soutient que les faits présentés n’étaient pas dénués de pertinence pour l’examen de la BCE et l’exercice de son pouvoir d’appréciation, étant donné que la requérante les avait invoqués à l’appui du critère juridique correct qui devait être appliqué conformément à l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU. En tout état de cause, la BCE, pas plus que le Tribunal, ne peut se contenter de rejeter l’argumentation d’une partie comme « dénuée de pertinence » pour la seule raison que, de son point de vue, ladite argumentation est fondée sur un critère juridique erroné. Au contraire, la BCE doit examiner tous les faits pertinents et exercer pleinement son pouvoir d’appréciation. Dans la décision attaquée, la BCE ne satisfait pas à cette exigence.

85.

La BCE et la Commission soutiennent qu’il convient de rejeter cet argument. Je souscris à ce point de vue.

86.

Étant donné que le critère juridique qu’il convient d’appliquer aux « circonstances particulières » au sens de l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base et à « inapproprié » au sens de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU est le point de savoir si la sauvegarde des objectifs du règlement de base pourrait être mieux assurée par une surveillance directe par les autorités compétentes nationales, je considère que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté, aux points 140 et 149 de l’arrêt attaqué, que les arguments ou éléments tendant à satisfaire à un critère juridique différent, à savoir le fait que la surveillance par les autorités allemandes concernées serait suffisante pour atteindre ces objectifs, sont dénués de pertinence. Le Tribunal a, dès lors, constaté à bon droit que la BCE n’avait pas commis de détournement de pouvoir en ce qu’elle n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’application de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU et qu’elle n’avait pas omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes.

87.

J’ajouterai que si le Tribunal ou, du reste, la BCE, s’étaient fondés sur des éléments qui démontraient simplement qu’une surveillance par les autorités compétentes allemandes serait suffisante pour atteindre les objectifs du règlement de base, mais qui n’allaient pas au-delà et n’établissaient pas que la sauvegarde des objectifs de ce règlement pourrait être mieux assurée par une surveillance directe par les autorités compétentes nationales, ils n’auraient pas commis d’erreur de droit.

B. Le deuxième moyen du pourvoi, tiré de la dénaturation de la décision attaquée et de l’appréciation erronée des exigences de motivation

88.

Le deuxième moyen du pourvoi est divisé en deux branches.

1.   Le Tribunal a dénaturé la motivation de la décision attaquée.

89.

La requérante soutient que, aux points 31 et 34 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé la motivation de la décision attaquée et a ainsi commis une erreur de droit ( 32 ).

90.

La requérante considère, en premier lieu, que le Tribunal a inversé, au point 31 de l’arrêt attaqué, l’ordre de phrases figurant dans la décision attaquée et, en second lieu, qu’il a lié cette décision à l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014 ( 33 ) alors qu’un tel lien ne résultait pas de la décision elle-même. La requérante insiste sur le fait que la décision attaquée dit simplement que le classement de l’entité surveillée comme importante n’est pas en contradiction avec les objectifs du règlement de base. La décision attaquée ne dit pas que c’est pour cette raison que la surveillance de la requérante n’est pas « appropriée » au sens de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU. Le Tribunal a constaté que la commission administrative de réexamen avait souligné que la requérante devait établir l’existence de circonstances indiquant que la surveillance directe par l’autorité compétente nationale serait mieux à même de garantir la réalisation des objectifs du règlement de base. La requérante considère cependant que ce prétendu lien entre les critères fixés dans l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014 et la décision attaquée n’existe pas. La décision attaquée ne fait pas référence au passage cité de cet avis, ni à aucun autre passage de ce dernier. À l’inverse, l’avis en question ne mentionne pas le critère de la « contradiction » avec les objectifs du règlement de base, auquel la décision attaquée fait référence.

91.

La requérante soutient que le Tribunal, après avoir renvoyé à sa reproduction erronée de la décision attaquée au point 31 de l’arrêt attaqué, a examiné, au point 34 de cet arrêt, le contenu de la décision attaquée et, en particulier, l’opinion de la BCE en ce qui concerne le critère d’appréciation à appliquer. La requérante relève que, selon le Tribunal, il ressort de la décision attaquée, interprétée à la lumière de l’avis susmentionné, que la BCE considère que l’application de l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU peut uniquement aboutir à un classement en tant qu’entité moins importante lorsqu’une surveillance directe par les autorités compétentes allemandes est mieux à même de garantir les objectifs du règlement de base qu’une surveillance par la BCE ( 34 ). La requérante soutient que la décision attaquée ne mentionne pas une seule fois ce critère.

92.

La BCE et la Commission soutiennent qu’il convient de rejeter cet argument. Je souscris à ce point de vue.

93.

Outre l’obligation de motivation de sa décision qui incombe à la BCE en vertu de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement de base et de l’article 33, paragraphes 1 et 2, du règlement‑cadre MSU, l’article 296 TFUE énonce clairement que les actes juridiques ( 35 ) sont motivés.

94.

Selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. La motivation exigée à l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Cependant, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard ( 36 ).

95.

Je précise, à titre liminaire, que la simple affirmation de la requérante selon laquelle l’ordre de phrases de la décision attaquée a été inversé par le Tribunal ne démontre pas à elle seule que le sens de cette décision a été dénaturé.

96.

Je considère, en outre, que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en ce qu’il a constaté que l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014 ( 37 ) est lié à la décision attaquée et relève ainsi du contexte dans lequel cette décision s’inscrit ( 38 ).

97.

La requérante elle-même affirme non seulement que l’avis en question était « joint » à la décision attaquée et mentionné par celle-ci dans le cadre du contexte historique dans lequel la décision a été adoptée, mais aussi que, conformément à l’article 24, paragraphe 9, du règlement de base ( 39 ) et à l’article 18 de la décision de la Banque centrale européenne du 14 avril 2014 concernant la mise en place d’une commission administrative de réexamen et ses règles de fonctionnement ( 40 ), la BCE est tenue de joindre ( 41 ) l’avis rendu par la commission administrative de réexamen à toute nouvelle décision.

98.

Je considère qu’il ressort à l’évidence de l’article 24, paragraphes 7 ( 42 ) et 9, du règlement de base que l’avis de la commission administrative de réexamen, le nouveau projet de décision soumis par le conseil de surveillance et la décision adoptée par le conseil des gouverneurs en application de cet article sont intrinsèquement liés. Il en est ainsi en dépit du fait que l’avis n’est contraignant ni vis-à-vis du conseil de surveillance prudentielle ni vis-à-vis du conseil des gouverneurs de la BCE ( 43 ).

99.

Étant donné que le conseil de surveillance a l’obligation, en vertu de l’article 24, paragraphe 7, du règlement de base, de tenir compte de l’avis de la commission administrative de réexamen et de soumettre rapidement un nouveau projet de décision au conseil des gouverneurs et que la décision attaquée parvient à la même conclusion que l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014, le Tribunal a constaté à juste titre que cet avis peut être pris en compte afin d’apprécier le caractère suffisamment motivé de la décision attaquée ( 44 ).

100.

La première branche du deuxième moyen doit donc être rejetée comme non fondée.

2.   Le Tribunal a omis de constater que la décision attaquée n’était pas suffisamment motivée

101.

Dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que, étant donné que le Tribunal a dénaturé la motivation de la décision attaquée et qu’il a substitué sa propre motivation à celle de la BCE, il n’a pas tenu compte du fait que la BCE n’avait pas respecté son obligation de motivation. Selon la requérante, la motivation de la décision attaquée est illogique et contradictoire.

102.

Étant donné que cette branche du deuxième moyen repose sur l’absence de lien entre la décision attaquée et l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014 et que ce dernier ne s’inscrit pas dans le contexte dans lequel la décision attaquée a été adoptée, je considère qu’il convient également de la rejeter comme étant inopérante.

103.

Dans un souci d’exhaustivité, je me propose cependant d’examiner un certain nombre d’arguments avancés par la requérante.

104.

La requérante considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a méconnu le fait que la décision attaquée n’indique pas les motifs juridiques sur lesquels elle est fondée, étant donné que la BCE se contente de juxtaposer différents critères juridiques dans la décision attaquée. Dès lors, la décision attaquée ne fait pas clairement apparaître les faits que la BCE a voulu prendre en considération pour décider si le classement d’une entité comme importante est inapproprié ou non.

105.

La requérante relève que le Tribunal a constaté, au point 133 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas de contradiction « entre, d’un côté, la mention figurant dans l’avis de la commission administrative de réexamen du fait que l’existence de “circonstances particulières” implique que les objectifs du règlement de base, et, notamment, la nécessité de garantir l’application cohérente de normes de surveillance prudentielle de niveau élevé, doivent être mieux assurés par la surveillance directe des autorités nationales et, de l’autre, la référence figurant dans la décision attaquée au fait que la surveillance directe de la requérante par la BCE devrait être contraire aux objectifs du règlement de base pour que l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU trouve à s’appliquer ».

106.

Je considère moi aussi qu’il n’y a pas de contradiction entre ces deux affirmations et que, étant donné le lien qui existe entre les documents en question, le premier sert uniquement à clarifier le second compte tenu du cadre juridique pertinent. L’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base exige la présence de « circonstances particulières » pour reclasser une entité importante en entité moins importante, de sorte que la surveillance prudentielle directe sera exercée par les autorités compétentes nationales et non par la BCE. Conformément à l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU, on entend notamment par « circonstances particulières » des circonstances qui rendent inapproprié le classement comme important d’une entité soumise à la surveillance prudentielle au regard des objectifs et des principes du règlement de base. L’accent qui a été mis sur les objectifs du règlement de base, tant dans l’avis que dans la décision attaquée, est donc parfaitement conforme au cadre juridique en question et n’est pas en contradiction avec celui-ci. La requérante critique en réalité l’obligation, visée dans la décision attaquée ainsi que dans l’avis de la commission administrative de réexamen ( 45 ) et confirmée par le Tribunal ( 46 ), consistant à démontrer que la surveillance directe par les autorités compétentes nationales constitue le meilleur moyen d’assurer l’application cohérente de normes élevées de surveillance prudentielle. Il s’agit là d’une question de fond et non d’une question de motivation ( 47 ).

107.

La requérante considère également que le Tribunal a méconnu le fait que la BCE n’a pas examiné, dans la décision attaquée, l’argumentation qu’elle avait avancée au cours de la procédure administrative. Le Tribunal a constaté, au point 130 de l’arrêt attaqué, que la BCE n’était pas obligée de fournir une motivation détaillée réfutant l’argumentation de la requérante, étant donné que celle-ci était « manifestement dépourvue de pertinence » au regard de l’interprétation privilégiée par la BCE. La requérante a soutenu devant le Tribunal et continue à soutenir devant la Cour qu’elle ne peut déduire ni de la décision attaquée ni de l’avis de la commission administrative de réexamen les raisons pour lesquelles son argumentation était prétendument « dénuée de pertinence ».

108.

Je considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en ce qu’il a constaté, au point 130 de l’arrêt attaqué, que la requérante pouvait aisément déduire de la décision attaquée et de l’avis de la commission administrative de réexamen les raisons pour lesquelles son argumentation, qui revenait de toute évidence, selon moi, à préconiser un critère des « circonstances particulières » tout à fait différent de celui qui a été retenu dans la décision attaquée et dans l’avis, était « manifestement dépourvue de pertinence ».

109.

La deuxième branche du deuxième moyen doit donc être rejetée comme étant inopérante et, en tout état de cause, non fondée.

C. Le troisième moyen du pourvoi, tiré d’erreurs procédurales commises par le Tribunal en introduisant dans son arrêt des éléments qui ne relevaient pas de l’objet de la procédure

110.

La requérante considère que l’arrêt attaqué viole son droit d’être entendue et le principe du contradictoire, qui sont des principes fondamentaux du droit de l’Union. Selon la requérante, le Tribunal a fondé les motifs de l’arrêt attaqué sur deux aspects décisifs qui n’étaient pas visés par la procédure, à savoir l’obligation de prouver que la surveillance par l’autorité compétente allemande était plus adaptée que la surveillance par la BCE et la preuve d’une collaboration entre cette autorité et le ministère des Finances du Land.

111.

La requérante relève que le Tribunal a considéré, au point 46 de l’arrêt attaqué, qu’il découle nécessairement de la référence à des « circonstances particulières » qu’est « seulement envisagée l’hypothèse selon laquelle l’exercice d’une surveillance prudentielle directe par la BCE, impliquée par la qualification d’une entité d’“importante”, serait moins à même d’atteindre les objectifs du règlement de base que l’exercice d’une surveillance prudentielle directe de cette entité par les autorités nationales ». Le Tribunal a fondé son arrêt sur le fait que la requérante n’avait pas fait valoir qu’une surveillance directe par les autorités compétentes allemandes serait mieux à même de réaliser les objectifs du règlement de base qu’une surveillance directe par la BCE ( 48 ). Étant donné que ce critère n’a été mentionné au cours de la procédure ni par la BCE ni par le Tribunal et qu’il ne figure pas dans les dispositions applicables, le Tribunal a violé le droit de la requérante d’être entendue et le principe du contradictoire. Le Tribunal a ainsi rendu une « décision surprise ».

112.

La requérante soutient également que le Tribunal a considéré que ses arguments de fond étaient dénués de pertinence, étant donné qu’elle n’avait pas fait valoir qu’une surveillance directe par l’autorité compétente allemande serait mieux à même de réaliser les objectifs du règlement de base.

113.

Au cours de la procédure, la requérante a fait valoir, en ce qui concerne l’objectif de l’application cohérente de normes élevées de surveillance prudentielle, qu’elle relevait non seulement de différents instruments législatifs nationaux et de l’Union, mais également de différentes autorités de surveillance nationales. Le Tribunal a cependant rejeté cet argument au motif qu’il « suffit, à cet égard, d’observer que la requérante ne met en exergue l’existence d’aucun arrangement ou collaboration entre les autorités du Land de Bade-Wurtemberg et les autorités allemandes susceptible de rendre leur coopération plus aisée qu’avec la BCE» ( 49 ). La requérante considère que le fait que la preuve d’un tel arrangement ou d’une autre forme de « collaboration » entre l’autorité allemande compétente, la Deutsche Bundesbank et le Land soit nécessaire pour prouver que la surveillance directe par l’autorité allemande compétente est mieux à même de réaliser l’objectif d’une application cohérente de normes élevées de surveillance prudentielle n’avait pas été mentionné auparavant, que ce soit par la BCE ou par le Tribunal, au cours de la procédure.

114.

La BCE et la Commission soutiennent qu’il convient de rejeter ce moyen. Je souscris à ce point de vue.

115.

Aux points 45 et 46 de sa requête devant le Tribunal, la requérante a fait valoir que le critère des « circonstances particulières » qui est décrit dans l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014, à savoir que les « objectifs du règlement [de base], et, notamment, le respect de normes de surveillance de niveau élevé, seront mieux réalisés si l’entité qui remplit les critères d’importance est classée comme moins importante et reste donc soumise à la surveillance directe de l’autorité compétente nationale », était erroné dans la mesure où il ne résultait ni du règlement de base ni du règlement‑cadre MSU ( 50 ). La BCE a répondu en détail à cet argument dans son mémoire en défense devant le Tribunal, en particulier aux points 26 et 50 de celui-ci ( 51 ).

116.

Il apparaît dès lors, à la seule lecture de la requête et du mémoire en défense susmentionnés, que le critère des « circonstances particulières » qui a été retenu par le Tribunal a été abondamment débattu devant lui par les parties, de sorte que le droit de la requérante à être entendue et le principe du contradictoire ont été respectés.

117.

Le fait que le Tribunal a constaté, au point 88 de l’arrêt attaqué, que la requérante avait uniquement fait valoir, dans ses lettres du 10 juillet 2014 ( 52 ) et du 6 octobre 2014 ( 53 ), qu’une surveillance prudentielle par la BCE n’était pas nécessaire aux fins de garantir l’application cohérente de normes de surveillance élevées, sans invoquer le fait qu’une surveillance nationale serait mieux à même d’atteindre ces objectifs ne démontre pas que le critère des « circonstances particulières » qui a été retenu par le Tribunal n’a pas été débattu devant lui par les parties ( 54 ) et est clairement contredit par la lecture des écritures des parties devant le Tribunal, comme cela a été démontré aux points 115 et 116 des présentes conclusions.

118.

En ce qui concerne l’argument de la requérante qui porte sur le point 111 de l’arrêt attaqué ( 55 ), je considère qu’il ne saurait prospérer. Au point 111 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a simplement rejeté comme non étayé l’argument, invoqué par la requérante dans son mémoire en réplique devant le Tribunal, selon lequel une surveillance prudentielle par les autorités compétentes allemandes serait mieux à même d’atteindre l’objectif des normes de surveillance prudentielle de niveau élevé qui est visé à l’article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU.

119.

Le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

120.

Aucun des moyens invoqués par la requérante à l’appui de son pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, je considère qu’il convient de rejeter celui-ci dans son intégralité.

VI. Les dépens

121.

Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

122.

La BCE et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens et cette dernière ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la BCE et par la Commission.

VII. Conclusion

123.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

rejeter le pourvoi ;

condamner la Landeskreditbank Baden-Württemberg – Förderbank à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Banque centrale européenne et par la Commission européenne.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Voir article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base.

( 3 ) Voir article 70, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU et point 46 de l’arrêt attaqué.

( 4 ) Voir arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 67).

( 5 ) Arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 67).

( 6 ) Il semble ressortir du dossier transmis à la Cour que la valeur totale des actifs de la requérante à la date pertinente était de 70682 milliards d’euros.

( 7 ) Conformément aux critères détaillés énoncés à l’article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement de base.

( 8 ) Voir points 44 et 46 de l’arrêt attaqué.

( 9 ) Voir point 45 de l’arrêt attaqué.

( 10 ) Voir points 66 à 72 de l’arrêt attaqué.

( 11 ) Voir point 72 de l’arrêt attaqué.

( 12 ) Voir points 56 et suivants de l’arrêt attaqué.

( 13 ) Voir point 58 de l’arrêt attaqué.

( 14 ) Voir, par exemple, points 61 à 72 de l’arrêt du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil (C‑176/09, EU:C:2011:290). Dans cette affaire, le Grand-Duché de Luxembourg avait fait valoir qu’une disposition d’une directive violait le principe de proportionnalité étant donné que le critère définissant le champ d’application de cette directive était dépourvu de pertinence au regard des objectifs de celle-ci.

( 15 ) Aux termes de l’article 2, point 9, du règlement de base, on entend par « mécanisme de surveillance unique » (MSU), le système de surveillance financière composé de la BCE et des autorités compétentes nationales des États membres participants, tel qu’il est décrit à l’article 6 de ce règlement.

( 16 ) Il apparaît également, à la lecture du considérant 15 du règlement de base, qu’il était prévu de confier certaines missions spécifiques de surveillance à la BCE. En outre, conformément au considérant 28 du règlement de base, « [l]es missions de surveillance qui ne sont pas confiées à la BCE devraient rester du ressort des autorités nationales ». Les exemples, fournis dans ce considérant, de missions qui devraient rester du ressort des autorités nationales ne coïncident pas avec les missions confiées à la BCE en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base. Voir point 57 de l’arrêt attaqué. Contrairement aux allégations de la requérante, le Tribunal n’a jugé à aucun moment que la liste des missions de surveillance qui devraient rester du ressort des autorités nationales était exhaustive. De fait, l’emploi du terme « inclure » dans ce considérant indique que la liste des missions est exemplative.

( 17 ) Énumérées à l’article 6, paragraphe 5, du règlement de base.

( 18 ) À l’exclusion des missions visées à l’article 4, sous a) et c), du règlement de base.

( 19 ) Article 6, paragraphe 5, sous b), du règlement de base.

( 20 ) Article 6, paragraphe 5, sous c), du règlement de base.

( 21 ) Article 6, paragraphe 5, sous d), du règlement de base.

( 22 ) Article 6, paragraphe 5, sous e), du règlement de base.

( 23 ) Article 6, paragraphe 6, du règlement de base. Toutefois, les autorités compétentes nationales doivent informer la BCE des mesures prises en vertu de l’article 6, paragraphe 6, du règlement de base et coordonner étroitement ces mesures avec la BCE. En outre, elles doivent faire régulièrement rapport à la BCE sur l’accomplissement de leurs missions.

( 24 ) Article 6, paragraphe 7, du règlement de base.

( 25 ) Voir considérant 37 du règlement de base.

( 26 ) Mise en italique par mes soins.

( 27 ) Voir point 74 de l’arrêt attaqué.

( 28 ) Voir points 40, 75 et 80 de l’arrêt attaqué.

( 29 ) Voir point 104 de l’arrêt attaqué.

( 30 ) Il découle des règles régissant la procédure devant les juridictions de l’Union, notamment de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 76 et de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, que le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita [voir, par exemple, arrêt du 3 mai 2018, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a. (C‑376/16 P, EU:C:2018:299, point 33)].

( 31 ) Voir, en particulier, point 74 des présentes conclusions.

( 32 ) Voir arrêt du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (C‑164/98 P, EU:C:2000:48, points 44 à 49).

( 33 ) Voir point 17 des présentes conclusions.

( 34 ) Voir point 128 de l’arrêt attaqué.

( 35 ) Les actes législatifs et administratifs doivent donc être motivés. Voir également l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au droit à une bonne administration et à l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

( 36 ) Voir arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba (C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 49, 50, 53 et 54).

( 37 ) Il ressort clairement de l’article 24, paragraphe 1, du règlement de base que la commission administrative de réexamen est un organe interne de la BCE. L’argument de la requérante selon lequel l’avis de la commission administrative de réexamen et la décision attaquée ne peuvent pas être liés aux fins d’apprécier le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée, étant donné que les deux documents ont été rédigés par des auteurs différents, ne saurait prospérer, eu égard au fait que les deux documents émanent de la même institution et relèvent de la procédure décrite à l’article 24 du règlement de base.

( 38 ) En vertu de l’article 24, paragraphe 1, du règlement de base, la commission administrative de réexamen procède, à la suite d’une demande présentée conformément à l’article 24, paragraphe 5, à un réexamen administratif interne des décisions adoptées par la BCE dans l’exercice des compétences que lui confère ce règlement.

( 39 ) Cette disposition énonce que « [l]’avis émis par la commission administrative de réexamen, le nouveau projet de décision soumis par le conseil de surveillance et la décision adoptée par le conseil des gouverneurs en application du présent article sont motivés et notifiés aux parties ».

( 40 ) Aux termes de cette disposition, « [l]’avis de la commission administrative, le nouveau projet de décision présenté par le conseil de surveillance prudentielle et la nouvelle décision adoptée par le conseil des gouverneurs sont notifiés aux parties par le secrétaire du conseil des gouverneurs, ainsi que les raisons ayant motivé la décision ».

( 41 ) Ce terme n’est pas employé par les textes juridiques eux-mêmes.

( 42 ) Conformément à l’article 24, paragraphe 7, du règlement de base, « [a]près avoir statué sur la recevabilité de la demande de réexamen, la commission administrative de réexamen émet un avis dans un délai raisonnable par rapport à l’urgence de l’affaire et au plus tard dans les deux mois à compter de la réception de la demande, et renvoie le dossier au conseil de surveillance en vue de l’élaboration d’un nouveau projet de décision. Le conseil de surveillance tient compte de l’avis de la commission administrative de réexamen et soumet rapidement un nouveau projet de décision au conseil des gouverneurs. Le nouveau projet de décision abroge la décision initiale, la remplace par une décision dont le contenu est identique, ou la remplace par une décision modifiée. Le nouveau projet de décision est réputé adopté à moins que le conseil des gouverneurs ne s’y oppose dans un délai maximal de dix jours ouvrables » (mise en italique par mes soins).

( 43 ) Voir article 16, paragraphe 5, de la décision de la Banque centrale européenne du 14 avril 2014 concernant la mise en place d’une commission administrative de réexamen et ses règles de fonctionnement.

( 44 ) Voir point 127 de l’arrêt attaqué.

( 45 ) Voir points 31, 32 et 128 de l’arrêt attaqué.

( 46 ) Voir point 81 de l’arrêt attaqué.

( 47 ) Arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67).

( 48 ) Voir point 88 de l’arrêt attaqué.

( 49 ) Voir point 111 de l’arrêt attaqué.

( 50 ) Voir également points 8 et 9 du mémoire en réplique de la requérante devant le Tribunal.

( 51 ) Mise en italique par mes soins. Voir également points 4, 10 et 76 du mémoire en duplique de la BCE devant le Tribunal.

( 52 ) Voir point 14 des présentes conclusions.

( 53 ) Voir point 16 des présentes conclusions.

( 54 ) Il était d’ailleurs spécifiquement mentionné au point 6.7 de l’avis rendu par la commission administrative de réexamen le 20 novembre 2014.

( 55 ) Voir point 113 des présentes conclusions.