CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 12 avril 2018 ( 1 )

Affaire C‑335/17

Neli Valcheva

contre

Georgios Babanarakis

[demande de décision préjudicielle formée par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 2201/2003 – Champ d’application – Notion de “droit de visite” – Applicabilité aux grands-parents »

I. Introduction

1.

Une grand-mère souhaite exercer un droit de visite vis-à-vis de son petit-fils. Un litige ayant pour objet une telle demande relève-t-il du règlement (CE) no 2201/2003 ( 2 ) ? Telle est, sur le fond, la question que pose le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie).

2.

La présente affaire offre donc à la Cour l’opportunité de statuer, pour la première fois, sur l’application du règlement no 2201/2003 à une demande de droit de visite des grands-parents afin de savoir si la juridiction compétente pour se prononcer sur les modalités d’exercice d’un tel droit doit être déterminée sur la base dudit règlement ou sur celle des règles de droit international privé des États membres. Ce règlement reconnaît la compétence des juridictions de la résidence habituelle de l’enfant en se fondant en particulier sur le critère de la proximité. L’analyse qui suit vise donc à déterminer la juridiction compétente en matière de droit de visite sans entrer dans des considérations d’ordre matériel.

3.

Avant tout, il convient de souligner que cette affaire ne peut être analysée indépendamment d’une question fondamentale : celle de l’importance pour un enfant d’entretenir des relations personnelles avec ses grands-parents, dans la mesure où ces contacts ne sont pas contraires à son intérêt. C’est donc sous le prisme du principe de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il convient à présent d’interpréter le règlement no 2201/2003 en matière de responsabilité parentale.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La Charte

4.

Aux termes de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), intitulé « Respect de la vie privée et familiale » :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

5.

L’article 24, paragraphe 2, de la Charte indique que, « [d]ans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

2. Le règlement no 2201/2003

6.

Il ressort du considérant 2 du règlement no 2201/2003 que « [l]e Conseil européen de Tampere a approuvé le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires comme pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire, et a identifié le droit de visite comme une priorité ».

7.

Conformément au considérant 5 de ce règlement, « [e]n vue de garantir l’égalité de tous enfants, le présent règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale ».

8.

Le considérant 12 dudit règlement énonce que « [l]es règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale ».

9.

En ce qui concerne le champ d’application du règlement no 2201/2003, l’article 1er de ce règlement dispose :

« 1.   Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :

а)

au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux ;

b)

à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2.   Les matières visées au paragraphe 1, point b, concernent notamment :

а)

le droit de garde et le droit de visite ;

[...] »

10.

Quant aux définitions, l’article 2 de ce règlement prévoit à ses points 1, 7, 8, 9 et 10 :

« 1)   “juridiction” toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d’application du présent règlement en vertu de l’article 1er ;

[...]

7)   “responsabilité parentale” l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite ;

8)   “titulaire de la responsabilité parentale” toute personne exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant ;

9)   “droit de garde” les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence ;

10)   “droit de visite” notamment le droit d’emmener l’enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle ; ».

11.

Pour ce qui est de la compétence générale, l’article 8 dudit règlement est libellé comme suit :

« 1.   Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2.   Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12. »

B.   Le droit bulgare

12.

En ce qui concerne le droit de visite des membres de la famille, l’article 128 du Semeen kodets (code de la famille) dispose :

« 1.   Le grand-père et la grand-mère peuvent demander au Rayonen sad (tribunal d’arrondissement, Bulgarie) du domicile actuel de l’enfant, de prendre des mesures concernant leur droit de visite, lorsque cela est dans l’intérêt de l’enfant. L’enfant dispose du même droit.

2.   Le tribunal applique en conséquence l’article 59, paragraphes 8 et 9.

3.   Si le parent auquel le juge a accordé un droit de visite est temporairement incapable de l’exercer pour cause d’absence ou de maladie, ce droit peut être exercé par la grand-mère et le grand-père de l’enfant. »

13.

La Zakon za litsata i semeystvoto (loi sur les personnes et la famille) (DV no 182, du 9 août 1949, dans sa version modifiée parue au DV no 120, du 29 décembre 2002) prévoit, à son article 4 :

« Les personnes de plus de 14 ans et de moins de 18 ans sont des adolescents mineurs.

Ceux-ci accomplissent des actes juridiques avec l’accord de leurs parents ou de leurs tuteurs, mais peuvent effectuer eux-mêmes de petites opérations courantes pour satisfaire leurs propres besoins et disposer de ce qu’ils ont acquis par leur travail. »

III. Les faits à l’origine du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

14.

Mme Neli Valcheva est la mère de Mme Mariana Koleva et la grand-mère de Christos Babanarakis, né le 8 avril 2002 du mariage de Mme Koleva avec M. Georgios Babanarakis. Ce mariage a été dissous par une juridiction grecque qui a attribué la garde de Christos Babanarakis à son père. Le juge grec a établi les modalités d’exercice du droit de visite entre la mère et l’enfant, comprenant des contacts par internet et par téléphone, ainsi que des rencontres personnelles, en Grèce, pendant quelques heures, une fois par mois.

15.

Après avoir fait valoir qu’il lui était impossible de maintenir un contact de qualité avec son petit-fils et qu’elle avait sollicité le soutien des autorités grecques sans succès, Mme Valcheva a demandé au Rayonen sad (tribunal d’arrondissement), sur le fondement de l’article 128 du code de la famille, d’établir les modalités d’exercice du droit de visite entre elle et son petit-fils mineur. Elle a demandé qu’il lui soit accordé de le voir régulièrement un week-end chaque mois, ainsi que de le recevoir chez elle pendant deux ou trois semaines pendant ses vacances, deux fois par an.

16.

Le Rayonen sad (tribunal d’arrondissement) a conclu qu’il n’était pas compétent pour examiner la demande de Mme Valcheva. L’Okrazhen sad de Burgas (tribunal régional de Burgas, Bulgarie) a confirmé en appel le résultat de la décision de première instance en se fondant sur le règlement no 2201/2003. Il a jugé que ce règlement s’appliquait à des affaires concernant le droit de visite de l’enfant par un cercle familial élargi comprenant les grands-parents et que, en vertu de l’article 8 de ce règlement, la compétence revenait aux juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle au moment où elles sont saisies, à savoir les juridictions grecques.

17.

Mme Valcheva a formé un pourvoi en cassation devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation). Cette juridiction indique qu’elle tend à partager la position de la juridiction d’appel, mais ajoute qu’il lui est essentiel de savoir si le règlement no 2201/2003 s’applique au droit de visite des grands-parents afin de déterminer la juridiction compétente.

18.

C’est dans ces conditions que le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a, par jugement du 29 mai 2017 parvenu au greffe de la Cour le 6 juin 2017, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

« La notion de “droit de visite” utilisée à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et à l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003 doit-elle être interprétée dans le sens qu’elle s’applique non seulement à la visite de l’enfant par ses parents, mais également à la visite par d’autres membres de la famille, et notamment par le grand-père et la grand-mère ? »

19.

La demande de décision préjudicielle a été notifiée aux parties intéressées le 6 juillet 2017. Une seconde notification de cette demande a été envoyée à la partie défenderesse au principal le 15 septembre 2017. Les parties intéressées se sont vu accorder, pour le dépôt d’observations écrites, un délai expirant entre le 18 septembre et le 4 décembre 2017. La juridiction de renvoi et ces parties ont, lors de cette notification, été informées de la décision de la Cour d’accorder à la présente demande de décision préjudicielle un traitement prioritaire conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour.

20.

Des observations écrites ont été présentées par la République tchèque et la Commission européenne. Aucun des intéressés n’en ayant fait la demande, la Cour a décidé de statuer sans audience de plaidoiries.

IV. Analyse

21.

Dans la situation en cause au principal, Mme Valcheva, de nationalité bulgare, est la grand-mère maternelle d’un enfant mineur né le 8 avril 2002 ( 3 ). Depuis la dissolution du mariage de ses parents, l’enfant réside habituellement en Grèce avec son père, de nationalité grecque. Sa grand-mère souhaite obtenir un droit de visite concernant son petit-fils.

22.

Cependant, dans la mesure où, selon les indications de la juridiction de renvoi, la garde de l’enfant a été attribuée à son père, tandis que la mère dispose uniquement d’un droit de visite, la question se pose de savoir si un grand-parent qui souhaite entretenir une relation personnelle avec son petit-fils peut se prévaloir des règles de compétence du règlement no 2201/2003 pour demander un droit de visite.

A.   Considérations générales

23.

Il me semble utile, avant d’aborder l’examen de la question préjudicielle, d’énoncer un certain nombre de considérations générales qui permettront de définir le cadre dans lequel s’insère le règlement no 2201/2003. Ces considérations concernent l’incidence de l’intégration européenne sur les compétences de l’Union dans le domaine du droit international privé, le contexte socio-économique de ce règlement et la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant.

1. L’intégration européenne et le droit international privé

24.

Près de 20 ans se sont écoulés depuis la publication du rapport explicatif concernant la convention de Bruxelles du 28 mai 1998 ( 4 ). Ce rapport soulignait, à juste titre, la nécessité d’aborder les problèmes qui se posent en droit de la famille sous l’angle de l’intégration européenne. En effet, dans les années 90, la question de la « communautarisation » du droit privé figurait en bonne place dans les programmes académiques, les projets de recherches et les conférences universitaires ( 5 ). Les cours dispensés à l’Académie de droit international de La Haye ( 6 ) se sont particulièrement intéressés aux résultats de ces débats et de cette réflexion concernant l’incidence des règles « communautaires » sur le droit international privé et les conséquences de l’intégration européenne sur le développement de celui-ci.

25.

Il en ressortait, notamment, que l’évolution de l’Union et de ses objectifs avait eu une incidence réelle sur ses propres compétences dans le domaine du droit international privé. En effet, le rôle du droit international privé européen, très limité dans un premier temps eu égard à l’objectif initial de création d’un marché commun, a bénéficié de l’introduction d’un deuxième objectif, à savoir la citoyenneté européenne, qui a permis à l’Union de dépasser les limites d’une simple intégration économique pour s’orienter vers l’Europe des citoyens ( 7 ). De plus, après le traité d’Amsterdam, un troisième objectif a contribué à l’avancement du projet européen : la consécration d’un espace de liberté, de sécurité et de justice qui garantit la libre circulation des personnes en encadrant la mobilité croissante des citoyens et en donnant un contenu à cette citoyenneté européenne ( 8 ), en particulier, avec le droit d’accès à la justice ( 9 ). S’agissant de ce droit, crucial pour la mise en œuvre d’autres droits procéduraux et fondamentaux, il me semble à l’évidence essentiel, afin que le processus d’intégration européenne ait une certaine réalité pour les citoyens de l’Union, que « des résultats rapides et tangibles » puissent être accomplis dans des domaines tels que la reconnaissance et l’exécution des décisions ( 10 ).

26.

Tel est donc le contexte dans lequel se situent, de façon générale, les règles de droit international privé européen et, plus particulièrement, les règles concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution en matière de responsabilité parentale du règlement no 2201/2003.

2. L’évolution de la société et le règlement no 2201/2003

27.

Je voudrais également évoquer les répercussions des transformations qui ont touché la société ces dernières décennies sur le champ d’application de la législation de l’Union en matière de responsabilité parentale. Cela permettra de mieux définir le contexte du règlement no 2201/2003 aux fins de l’analyse de la question posée par la juridiction de renvoi.

28.

S’agissant, en premier lieu, des transformations de la société au sein de l’Union (et, en général, de la société occidentale), il convient d’observer, d’une part, que les mutations économiques liées à la mondialisation ont provoqué des changements profonds dans les relations de travail, avec pour conséquence, notamment, un phénomène de dissociation entre le lieu de résidence habituelle et le lieu de travail. Résider dans un État membre et travailler dans un autre État membre est devenu courant pour une partie des citoyens de l’Union. La situation est toutefois plus complexe dans le cas des citoyens résidant dans un État membre et détachés dans un pays tiers pour le compte d’une société établie dans un autre État membre. Ces changements influent également de façon significative sur la vie familiale des citoyens de l’Union.

29.

D’autre part, sur le plan socioculturel, des transformations tout aussi profondes affectent les modes de vie des citoyens. Le phénomène des familles dont les membres (parents et enfants) ont une double nationalité ou des nationalités différentes (lequel est étroitement lié à la libre circulation des personnes et, plus généralement, à la mondialisation), la diversité des formes d’union et de vie commune, outre le mariage, notamment le pacte civil de solidarité (Pacs), les nouvelles formes de structures familiales, notamment les familles monoparentales, recomposées ou homoparentales, et les nouvelles formes de parentalité à l’égard d’enfants nés d’une union antérieure, nés par procréation médicalement assistée ou adoptés, n’en sont que quelques exemples. La diversification des structures familiales est donc une réalité de la société contemporaine. Certains de ces phénomènes ne sont pas vraiment nouveaux mais, depuis les années 60, les transformations se sont intensifiées et développées de manière exponentielle. Ces mutations économiques et socioculturelles dont les effets multiples sur la vie des citoyens s’imposent à un rythme soutenu impliquent dans certains cas de reconsidérer les postulats qui sous-tendent les systèmes juridiques et le contenu de leurs normes, et imposent une adaptation du droit, et en particulier du droit de l’Union (y compris le droit international privé européen).

30.

En second lieu, s’agissant plus précisément des répercussions de l’évolution de la société sur le règlement no 2201/2003, force est de constater que, en ce qui concerne les litiges relatifs aux enfants, la portée de ce règlement s’est considérablement étendue par rapport à la convention de Bruxelles de 1998 ( 11 ) et au règlement no 1347/2000 ( 12 ). En effet, tandis que le règlement no 1347/2000 visait uniquement les procédures civiles relatives à la responsabilité parentale à l’égard des enfants communs des époux à l’occasion des procédures relatives à la dissolution (divorce et annulation) du lien matrimonial ou à la séparation de corps ( 13 ), le règlement no 2201/2003 s’étend désormais, quelle que soit la nature de la juridiction, à « l’ensemble des litiges » relatifs à la responsabilité parentale. En effet, en vue de garantir l’égalité de « tous les enfants » sans distinction, ce dernier s’applique à la situation des enfants issus d’une relation antérieure et des enfants naturels, que la responsabilité parentale soit exercée par les parents ou par un tiers, en tenant compte également des familles recomposées.

31.

Toutefois, malgré les efforts du législateur de l’Union pour adapter la législation en matière de responsabilité parentale aux évolutions de la société, celles-ci suivent un rythme beaucoup plus rapide que le processus d’adaptation législative et il est évident que certaines « zones d’ombre » subsistent, pour lesquelles la législation n’apporte pas de réponse explicite. L’affaire au principal constitue une illustration de ces zones d’ombre créées par les évolutions de la société s’agissant notamment des relations personnelles de l’enfant avec d’autres personnes auxquelles il est attaché par des liens « familiaux » de droit ou de fait (tel que l’ex-conjoint de l’un des parents, les frères et sœurs de l’enfant, les grands-parents ou le partenaire d’un parent titulaire de la responsabilité parentale). Ces zones d’ombre peuvent susciter des incertitudes, parfois paradoxales, quant à l’existence d’un droit de visite des personnes autres que les parents, en l’occurrence des grands-parents.

32.

S’agissant précisément des grands-parents, cette incertitude n’est-elle pas déconcertante si l’on songe que, en principe et sous réserve de l’intérêt supérieur de l’enfant, la relation personnelle entre les grands-parents et leurs petits-enfants demeure, en particulier dans une société en constante évolution, une source essentielle de stabilité pour les enfants et un facteur important du lien intergénérationnel qui contribuent sans aucun doute à la construction de leur propre identité ?

3. Le principe de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant

33.

Je ne saurais terminer cette partie consacrée aux considérations générales sans évoquer le principe le plus important du règlement no 2201/2003 : la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant.

34.

Ce principe est l’un des principes imprégnant l’ordre juridique de l’Union ( 14 ). À cet égard, non seulement tous les États membres ont ratifié la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant ( 15 ), mais la Cour a, en outre, déjà eu l’occasion de rappeler que cette convention lie chacun des États membres et que ce texte figure au nombre des instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme dont elle tient compte pour l’application des principes généraux du droit de l’Union ( 16 ). D’autre part, l’article 3, paragraphe 3, TUE dispose que l’« Union établit un marché intérieur » puis stipule que l’Union « promeut la justice [...], la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant » ( 17 ).

35.

S’agissant du règlement no 2201/2003, celui-ci est fondé sur le principe de primauté de l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits. En effet, son considérant 33 prévoit que ce règlement veille notamment à assurer le respect des droits fondamentaux de l’enfant tels qu’énoncés à l’article 24 de la Charte. Cet article reconnaît les enfants comme des détenteurs de droits, indépendants et autonomes, en faisant de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale pour les autorités publiques et les institutions privées ( 18 ). À cet égard, il convient de mentionner également l’article 7 de la Charte sur le respect de la vie privée et familiale.

36.

En ce qui concerne, plus précisément, les règles de compétence établies par le règlement no 2201/2003 en matière de responsabilité parentale, celles-ci sont conçues en fonction dudit principe et, en particulier, du critère de proximité. Ce sont donc les juridictions du lieu de résidence habituelle de l’enfant qui sont les mieux placées pour régler toute question concernant la responsabilité parentale et, en conséquence, le droit de visite ( 19 ). En outre, dans l’intérêt de l’enfant, le règlement no 2201/2003 permet à la juridiction compétente, à titre exceptionnel et dans certaines conditions, de renvoyer l’affaire à la juridiction d’un autre État membre si celle-ci est mieux placée pour connaître de l’affaire ( 20 ).

37.

Enfin, la Cour a considéré la primauté de l’intérêt de l’enfant comme le prisme à travers lequel doivent être lues les dispositions du droit de l’Union ( 21 ). Dans sa jurisprudence, elle fait référence à l’intérêt des enfants à poursuivre leur vie familiale, protégée également par le droit fondamental au respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 22 ).

38.

Il ne fait par conséquent aucun doute que le principe de la primauté de l’intérêt de l’enfant doit guider toute interprétation téléologique des dispositions du règlement no 2201/2003 concernant, comme c’est le cas en l’espèce, une demande de droit de visite des grands-parents. J’y reviendrai plus tard.

B.   La question préjudicielle

39.

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « droit de visite » visée à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et à l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’étend au droit de visite des grands-parents concernant leurs petits-enfants.

40.

Or, bien que la notion de « droit de visite » soit évoquée explicitement à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et à l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003, ces dispositions ne précisent pas expressément si ce droit recouvre ou non le droit de visite d’autres personnes que les parents.

41.

Il est donc nécessaire, aux fins de l’interprétation de ces dispositions, de tenir compte non seulement de leur libellé mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par le règlement no 2201/2003.

42.

Il convient de relever d’emblée que, en ce qui concerne la notion de responsabilité parentale et la finalité du règlement no 2201/2003, le gouvernement tchèque et la Commission ont défendu dans leurs observations écrites, en se fondant notamment sur le libellé de ce règlement, le point de vue selon lequel ledit règlement s’applique au droit de visite des grands-parents. La juridiction de renvoi semble partager cet avis dans la décision de renvoi ( 23 ).

1. La lettre et l’économie des dispositions du règlement no 2201/2003

43.

S’agissant de la responsabilité parentale, l’article 1er du règlement no 2201/2003 précise qu’il s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières relatives « à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de [celle-ci] ». Pour pouvoir déterminer de manière adéquate le champ d’application du règlement no 2201/2003 ( 24 ), il était important pour le législateur de l’Union de préciser la notion de responsabilité parentale. Cette notion n’était en effet définie ni par la convention de Bruxelles de 1998 ( 25 ) ni par le règlement no 1347/2000. Le législateur a donc opté pour une définition uniforme de la notion de responsabilité parentale ( 26 ). Cette notion est définie à l’article 2, point 7, du règlement no 2201/2003 comme « l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant ». Par conséquent, tant les personnes physiques que les personnes morales peuvent être titulaires de la responsabilité parentale ( 27 ). De plus, la notion de responsabilité parentale comprend « notamment » le droit de garde et le droit de visite, ce qui signifie que celle-ci peut être fractionnée en ces deux éléments ( 28 ). De ce fait, au sens du règlement no 2201/2003, tant les titulaires du droit de garde que les titulaires du droit de visite désignés par le droit national peuvent être qualifiés comme étant titulaires de la responsabilité parentale qui englobe notamment ces deux droits ( 29 ).

44.

S’agissant du droit de visite, aux termes de l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003, celui-ci est défini comme « notamment le droit d’emmener l’enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle ». Cette définition n’indique ainsi qu’une seule partie du contenu du droit de visite, sans faire référence aux personnes susceptibles d’en être titulaires ( 30 ).

45.

L’article 2, point 8, du règlement no 2201/2003 définit quant à lui le titulaire de la responsabilité parentale comme « toute personne exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant » ( 31 ).

46.

Il ressort selon moi de la lecture de l’article 2, points 7, 8 et 10, du règlement no 2201/2003 que le législateur de l’Union a volontairement utilisé des définitions larges afin de couvrir une pluralité d’hypothèses. Cette intention ressort de l’emploi de formulations générales telles que « l’ensemble des droits et obligations » ou « toute personne » ainsi que de l’adverbe « notamment ». En particulier, l’emploi de cet adverbe dans la définition de la notion de droit de visite de l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003 témoigne, à mon avis, de la volonté du législateur de l’Union d’opter pour une définition étendue de ce droit.

47.

Par conséquent, si la notion de responsabilité parentale, eu égard à l’article 2, points 7 et 8, du règlement no 2201/2003, couvre toute personne physique ou morale ayant un droit de visite – ce dernier étant également défini de manière large à l’article 2, point 10, de ce règlement –, il me semble clair que tant la responsabilité parentale (en tant que notion globale) que le droit de visite (en tant qu’élément de cette notion globale) peuvent appartenir à toute personne physique ou morale aux fins de ce règlement ( 32 ).

48.

Certes, il ressort de la définition de la notion de responsabilité parentale figurant au point 7 dudit article que le droit de visite n’est qu’un élément de la responsabilité parentale ( 33 ). En particulier, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal où la responsabilité parentale est, selon le droit national, exercée conjointement par les parents, seul un parent (le père, en l’espèce) a la garde de l’enfant tandis que l’autre parent (la mère, en l’espèce) dispose normalement d’un droit de visite. Dans ce contexte, si un tiers demande un droit de visite, la question qui se pose est celle de savoir, aux fins de la détermination de la compétence judiciaire, si le règlement no 2201/2003 couvre également un droit de visite distinct de celui qui a été attribué par le droit national à l’un des deux parents (la mère, en l’espèce) et si, par conséquent, l’exercice de ce droit peut être également demandé par des tiers, tels que les grands-parents.

49.

Pour répondre à cette question, il convient de rappeler qu’il ressort de la lettre et de l’économie des dispositions du règlement no 2201/2003 que la volonté du législateur de l’Union était de couvrir le plus grand nombre de modalités permettant à l’enfant d’entretenir des relations personnelles non seulement avec ses parents mais également avec d’autres membres de la famille ou des personnes proches ( 34 ). Selon moi, rien dans les définitions examinées ni dans leur contexte ne s’oppose en principe à ce qu’une grand-mère puisse se prévaloir des règles de compétence du règlement pour demander un droit de visite.

50.

Il convient de vérifier si cette interprétation est également confortée par la finalité des dispositions du règlement no 2201/2003.

2. La lecture téléologique des dispositions du règlement no 2201/2003

51.

L’interprétation prenant en compte la finalité du règlement no 2201/2003 confirme, elle aussi, l’application de ce règlement au droit de visite des grands-parents.

52.

Je rappelle, tout d’abord, que l’un des objectifs du règlement no 2201/2003 est de favoriser la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Cela ressort du considérant 2 de ce règlement qui souligne que cette reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires est « la pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire » ( 35 ). Pour cette raison, la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un État membre « devraient reposer sur le principe de la confiance mutuelle et les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire », ainsi que l’énonce le considérant 21 du règlement no 2201/2003. De plus, il ressort du considérant 2 de ce règlement que le droit de visite est une priorité du législateur de l’Union.

53.

S’agissant, ensuite, de garantir l’égalité de tous les enfants, le considérant 5 du règlement no 2201/2003 énonce que ce règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale ( 36 ). À cet égard, ainsi qu’il ressort de l’examen de son article 2, points 7, 8 et 10, le règlement no 2201/2003 retient une notion étendue des titulaires de la responsabilité parentale qui englobe non seulement toute personne physique exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant mais également les tiers ou les personnes morales, telles que des autorités de protection de l’enfant.

54.

Enfin, je rappelle, ainsi qu’il ressort des points 35 à 37 des présentes conclusions, que les règles issues du règlement no 2201/2003 en matière de responsabilité parentale, et notamment ses règles de compétence, sont conçues – et, en conséquence, doivent être interprétées – en fonction non pas de l’intérêt du demandeur mais de l’intérêt supérieur de l’enfant, et en particulier en fonction du critère de proximité ( 37 ). Ainsi, l’interprétation téléologique du règlement no 2201/2003 doit être faite à la lumière de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, en tant que principe directeur consacré tant par ses considérants que par ses dispositions ( 38 ).

55.

Compte tenu de ce qui précède, quelles conclusions pouvons-nous tirer de l’examen des objectifs du règlement no 2201/2003 ?

56.

La réponse me paraît désormais évidente. Certes, il n’existe pas de dispositions particulières applicables à la situation, telle que celle de l’affaire au principal, d’un grand-parent qui demande un droit de visite concernant son petit-fils. Il n’y a pas pour autant, à mon sens, de vide juridique. En effet, il ressort clairement des objectifs du règlement no 2201/2003 que rien ne justifie que le droit de visite soit exclu du champ d’application de ce règlement lorsque le demandeur du droit de visite est une personne autre que les parents, ayant des liens familiaux de droit ou de fait avec l’enfant, comme c’est le cas en l’espèce. Par ailleurs, l’attribution d’un droit de visite à une personne autre que les parents pourrait empiéter sur les droits et les devoirs de ces derniers (en l’espèce, en ce qui concerne le droit de garde du père et le droit de visite de la mère). Il conviendrait donc, afin d’éviter des mesures conflictuelles et dans l’intérêt supérieur de l’enfant, que la même juridiction, celle de la résidence habituelle de l’enfant, statue sur les droits de visite ( 39 ).

57.

Dans cet ordre d’idées, je suis d’accord avec l’argument de la Commission selon lequel, si les demandes de droit de visite de personnes autres que les parents doivent être exclues du champ d’application du règlement no 2201/2003, la compétence judiciaire pour ces demandes sera déterminée par des règles nationales non harmonisées. Le risque d’exposition de l’enfant à un litige devant une juridiction avec laquelle il n’a pas de lien étroit et le risque de procédures parallèles ainsi que de décisions inconciliables augmenteraient, ce qui serait contraire à la finalité du règlement no 2201/2003, qui vise à établir des règles de compétence uniformes respectant le principe de proximité dans les procédures judiciaires.

58.

Il résulte donc des points 43 à 57 des présentes conclusions qu’une interprétation des dispositions du règlement no 2201/2003 selon laquelle ce règlement porte sur la demande d’un droit de visite par un grand-parent n’irait pas à l’encontre de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union dans le cadre de ce règlement.

59.

Comme je vais l’expliquer ci-après, cette interprétation est confortée par l’historique du règlement no 2201/2003.

3. La lecture historique des dispositions du règlement no 2201/2003

60.

Avant de proposer une réponse à la question posée par la juridiction de renvoi, il me semble approprié d’examiner non seulement le cadre historique du règlement no 2201/2003 mais également la législation antérieure à ce règlement.

a) Les travaux préparatoires du règlement no 2201/2003

61.

S’agissant, en premier lieu, des travaux préparatoires, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort des points 30 et 43 des présentes conclusions, que le champ d’application du règlement no 1347/2000, le texte ayant précédé le règlement no 2201/2003, était limité, s’agissant de la responsabilité parentale, aux seuls litiges concernant les parents. Cette limitation s’appliquait également aux procédures relatives au droit de visite (droit de visite de l’un des parents).

62.

En 2000, compte tenu du nombre important de conflits familiaux concernant l’impossibilité d’un des parents de faire exécuter son droit de visite dans un autre État membre, la République française avait présenté une initiative en vue de l’adoption d’un règlement du Conseil relatif à l’exécution mutuelle des décisions concernant le droit de visite des enfants ( 40 ). À l’examen de cette initiative, le Conseil de l’Union avait conclu que celle-ci ne pouvait se poursuivre que parallèlement aux travaux sur l’extension du champ d’application du règlement no 1347/2000. Cela assurait l’égalité de traitement de tous les enfants, pour tenir compte de réalités sociales telles que la diversification des structures familiales ( 41 ).

63.

En 2001, pendant la phase d’élaboration de la proposition de la Commission concernant un règlement relatif à la responsabilité parentale, cette institution a publié un document de travail dont il ressortait, de toute évidence, qu’elle entendait retenir une acception du droit de visite bien plus large que celle du règlement no 1347/2000 ( 42 ). Dans ce document de travail, la Commission indiquait qu’« [a]lors que le règlement [no 1347/2000] laisse le soin au droit national de régir cette question, il a été proposé que le nouveau texte aille plus loin en ce qui concerne l’exercice du droit de visite, en exigeant par exemple que tout ancien membre de la famille de l’enfant, tel que l’ex-conjoint de l’un des parents, ait un droit de visite ou celui de demander à jouir de ce droit » ( 43 ). La Commission estimait également dans ledit document que certains États membres pourraient formuler des questions de fond relatives à la désignation des bénéficiaires du droit de visite en tant que conditions dont le respect conditionnerait la reconnaissance de la décision dans les autres États membres. Par ailleurs, elle relevait dans le même document que l’inclusion de telles questions faisait courir un réel danger de dérive vers la révision au fond des décisions par l’État membre requis, au détriment de l’objectif même de la reconnaissance mutuelle. La Commission était dès lors parvenue à la conclusion selon laquelle une extension du mécanisme du nouvel instrument juridique à toutes les décisions sur la responsabilité parentale, « quels que soient leur contenu, les enfants concernés ou les personnes pouvant exercer le droit de garde ou le droit de visite », permettrait de mieux remplir le mandat du Conseil relatif à ce nouvel instrument et de mettre en œuvre la première étape du programme de mesures sur la reconnaissance mutuelle dont l’objectif était de supprimer l’exequatur ( 44 ).

64.

Dans ses observations écrites, la Commission souligne que le document de travail fait également référence au projet de convention européenne sur les relations personnelles concernant les enfants ( 45 ). Elle précise que ce projet reconnaît le droit pour les enfants d’entretenir des relations personnelles non seulement avec leurs parents mais également avec d’autres personnes ayant des liens de famille avec eux, comme c’est le cas des grands-parents ( 46 ).

65.

À mon sens, il résulte clairement des points 61 à 63 des présentes conclusions que les travaux préparatoires afférents au règlement no 2201/2003 confirment la volonté du législateur de l’Union d’élargir le champ d’application du règlement no 1347/2000, qui était limité aux litiges relatifs aux parents. Cette volonté est corroborée par le fait que ces travaux envisageaient clairement toutes les décisions relatives à la responsabilité parentale et, par conséquent, au droit de visite, indépendamment des personnes pouvant l’exercer et sans exclure les grands-parents.

b) La convention de La Haye de 1996

66.

Il convient de noter que les dispositions du règlement no 2201/2003 concernant la compétence en matière de responsabilité parentale ont dans une large mesure pris pour modèle la convention de La Haye du 19 octobre 1996 ( 47 ). Le règlement no 2201/2003 s’est inspiré du principe d’une compétence unique ( 48 ), à savoir celle des autorités de l’État de la résidence habituelle de l’enfant, consacré par cette convention ( 49 ).

67.

L’article 3 de la convention de La Haye de 1996 définit les mesures entrant dans son champ d’application. Ces mesures comprennent en particulier celles portant sur la responsabilité parentale et celles relatives au droit de visite ( 50 ). Le règlement no 2201/2003, à son article 2, point 7, reprend pour l’essentiel la définition de la responsabilité parentale qui ressort de la convention de La Haye de 1996 mais cette définition ( 51 ), contrairement à la définition de la notion de responsabilité parentale du règlement no 2201/2003, ne mentionne pas expressément le droit de visite. Ce silence permet en principe de considérer que, dans le cadre de cette convention, le titulaire du droit de visite n’est pas forcément titulaire de la responsabilité parentale ( 52 ).

68.

La définition du droit de visite figurant à l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003 a quant à elle été rédigée de manière identique à celle figurant dans la convention de La Haye de 1996 ( 53 ). Toutefois, le rapport Lagarde est muet sur la question de savoir si les demandes de droit de visite présentées par des personnes autres que les parents, notamment les grands-parents, relèvent du champ d’application de la convention de La Haye de 1996.

69.

Les instructions ultérieures adoptées par les États membres de la conférence de La Haye de droit international privé indiquent cependant que l’importance, pour l’enfant, du maintien de relations personnelles avec d’autres personnes auxquelles le relient des liens de famille est largement reconnue et précisent que « [n]i la convention de La Haye de 1980 ni la convention de La Haye de 1996 ne limitent les droits de visite à ceux existant entre parents et enfants » ( 54 ).

70.

Compte tenu de tous ces éléments, et en particulier de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant comme principe directeur de toute interprétation des dispositions du règlement no 2201/2003 en matière de responsabilité parentale, je suis convaincu que ce règlement s’applique également à une demande de droit de visite des grands-parents.

4. Autres instruments internationaux concernant les relations personnelles avec des enfants

71.

L’interprétation large du droit de visite n’est pas propre au règlement no 2201/2003. En effet, d’autres instruments internationaux concernant les relations personnelles avec des enfants retiennent une notion élargie du droit de visite.

72.

À cet égard, je note, en premier lieu, que la convention sur les relations personnelles concernant les enfants dispose, à son article 5, paragraphe 1, que, « [s]ous réserve de l’intérêt supérieur de l’enfant, des relations personnelles peuvent être instituées entre l’enfant et des personnes autres que ses parents ayant avec lui des liens de famille » ( 55 ). Pour sa part, l’article 2, sous d), de cette convention définit les « liens de famille » comme « les relations étroites comme celles existant entre un enfant et ses grands-parents ou ses frères et sœurs, qui découlent du droit ou d’une relation de famille de fait ».

73.

À cet égard, le rapport explicatif de ladite convention précise, tout d’abord, que la détermination des personnes, outre ses parents, avec lesquelles l’enfant peut entretenir des relations personnelles, dans la mesure où cela n’est pas contraire à son intérêt supérieur, est « d’une importance capitale » ( 56 ). Il souligne, ensuite, que dans certains États membres, les législations ont eu tendance à élargir le cercle des personnes qui se voient accorder ou qui peuvent solliciter des relations personnelles avec un enfant. Il rappelle que, tandis que « ces lois accordent aux grands-parents le droit d’entretenir des relations personnelles avec l’enfant, d’autres ne leur attribuent que le droit de demander à entretenir ces relations personnelles » ( 57 ). Enfin, ce rapport constate que la jurisprudence relative à la CEDH a reconnu que la protection de l’article 8 de la CEDH s’étend au maintien des relations personnelles entre un grand-parent et ses petits-enfants ( 58 ).

74.

Il convient donc, en second lieu, de rappeler que l’article 8 de la CEDH reconnaît que « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». Comme cela a été indiqué au point précédent, la Cour EDH a jugé que « les liens entre les grands-parents et les petits-fils relèvent de liens familiaux au sens de l’article 8 de la Convention » ( 59 ). Notamment, dans une affaire concernant la suspension de la responsabilité parentale des parents, cette Cour a jugé qu’« il n’est pas contesté que les questions relatives aux relations entre la [grand-mère] et ses petits-enfants sont couvertes par l’article 8 de la Convention ». Cette Cour a rappelé par ailleurs que « la “vie familiale” au sens de l’article 8 englobe pour le moins les rapports entre proches parents, lesquels peuvent y jouer un rôle considérable, par exemple entre grands-parents et petits-enfants. Le “respect” de la vie familiale ainsi entendue implique, pour l’État, l’obligation d’agir de manière à permettre le développement normal de ces rapports » ( 60 ).

75.

À mon sens, il résulte clairement des points 43 à 74 des présentes conclusions que l’analyse textuelle, téléologique, systématique et historique des dispositions du règlement no 2201/2003 corrobore l’idée que la règle de compétences de l’article 8 de ce règlement s’applique également à une demande d’exercice d’un droit de visite d’autres personnes que les parents, notamment d’autres membres de la famille de droit ou de fait.

76.

Dès lors, je considère qu’il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que la notion de « droit de visite » visée à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et à l’article 2, point 10, du règlement no 2201/2003 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’étend au droit de visite des grands-parents vis-à-vis de leurs petits-enfants.

C.   En guise d’épilogue

77.

Comme je viens de l’exposer dans les développements qui précèdent, il résulte non seulement de la lettre, des objectifs et de l’économie mais également de la genèse du règlement no 2201/2003 que ce règlement s’étend à une demande concernant le droit de visite des grands-parents.

78.

Il ressort également de mon analyse que le règlement no 2201/2003 n’exclut pas de la notion de droit de visite d’autres personnes que les parents mais qui ont de liens de famille de droit ou de fait avec l’enfant (notamment, sœurs ou frères, ou ex-conjoint ou ex-partenaire d’un parent). En effet, compte tenu des constantes mutations de notre société et de l’existence de nouvelles formes de structures familiales, les possibilités, s’agissant des personnes concernées par l’exercice du droit de visite au sens du règlement no 2201/2003, pourraient être nombreuses ( 61 ). Le cas de l’ex-partenaire du parent titulaire de la responsabilité parentale et, partant, des parents de cet ex-partenaire – considérés par l’enfant comme des grands-parents –, ou encore le cas d’une tante ou d’un oncle chargés, en l’absence temporaire d’un ou des deux parents, de s’occuper de l’enfant, n’en sont que quelques illustrations auxquelles la Cour pourrait éventuellement être confrontée dans le cadre de l’interprétation dudit règlement ( 62 ).

79.

Il est vrai que le règlement no 2201/2003 concerne uniquement les règles de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière, notamment, de responsabilité parentale. Par conséquent, à ce stade du développement du droit de l’Union, la question de savoir à quelles personnes un droit de visite sera – ou non – accordé relève du droit national. C’est pourquoi il est d’autant plus important d’avoir une règle de compétence unique et uniforme, à savoir celle des autorités de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant, afin d’assurer la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans les différents États membres.

V. Conclusion

80.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) comme suit :

La notion de « droit de visite », visée à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et à l’article 2, point 10, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’étend au droit de visite des grands-parents vis-à-vis de leurs petits-enfants.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).

( 3 ) La juridiction de renvoi précise que le droit bulgare opère une distinction entre les « mineurs » de moins de 14 ans (« maloletni ») et les « mineurs » entre 14 et 18 ans (« nepalnoletni », littéralement « non-majeurs », qui jouissent d’une capacité d’exercice limitée). Il convient de préciser, à cet égard, que le règlement no 2201/2003 s’applique à tous les « enfants » sans distinction et qu’aucune limite d’âge n’a été fixée. Selon la doctrine, « [f]ace à ce silence, et en l’absence de définition communautaire autonome de la notion “d’enfant”, il faudra se reporter aux droits nationaux pour savoir jusqu’à quel âge on est en présence d’un enfant », voir Corneloup, S., « Les règles de compétence relatives à la responsabilité parentale », Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, actes du colloque organisé les 7 et 8 avril 2005 par le Centre de droit de la famille de l’université Lyon III, Dalloz, 2005, p. 69 à 84.

( 4 ) Acte du Conseil du 28 mai 1998 établissant, sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale (JO 1998, C 221, p. 1, ci-après la « convention de Bruxelles de 1998 »). Rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale élaboré par Mme Alegría Borrás professeur de droit international privé à l’université de Barcelone (JO 1998, C 221, p. 27, ci-après le « rapport Borrás »).

( 5 ) Voir, notamment, von Hoffman, B. (éd.), European Private International Law, Nijmegen, 1998, p. 13 à 37 ; Kohler, Ch., « Interrogations sur les sources du droit international privé européen après le Traité d’Amsterdam », Revue critique de droit international privé, 1999, no 1, p. 1.

( 6 ) Voir, notamment, Struycken, A. V. M., « Les conséquences de l’intégration européenne sur le développement du droit international privé », Recueil des cours, tome 232, 1992, p. 256 à 383 ; Fallon, M., « Les conflits de lois et de juridictions dans un espace économique intégré. L’expérience de la Communauté européenne », Recueil des cours, tome 253, 1995, p. 9 à 290, et Borrás, A., « Le droit international privé communautaire : réalités, problèmes et perspectives d’avenir », Recueil des cours, tome 317, 2005, p. 313 à 516.

( 7 ) Voir, en ce sens, Borrás, A., op. cit., p. 333 à 369. Voir, également, rapport Borrás, p. 28 : « L’intégration européenne a été, à l’origine, un processus essentiellement économique et les instruments juridiques mis en place visaient donc à servir ce type d’intégration. De profonds changements sont toutefois intervenus au cours des dernières années et, à l’heure actuelle, l’intégration, au-delà de sa composante économique, affecte progressivement et de plus en plus profondément la vie des citoyens européens. »

( 8 ) Le considérant 1 du règlement no 2201/2003 rappelle cet objectif de l’Union comme suit : « La Communauté européenne s’est donné pour objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes. »

( 9 ) S’agissant de l’accès des enfants à la justice, et notamment du droit d’entretenir des contacts avec les deux parents dans les affaires transfrontalières, la directive sur l’accès à la justice est particulièrement importante. Directive 2003/8/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (JO 2003, L 026, p. 41).

( 10 ) Voir, en ce sens, Borrás, A., op. cit., p. 369. Voir, également, Lagarde, P., « En guise de synthèse », Quelle architecture pour un code européen de droit international privé, Fallon, M., Lagarde, P., et Poillot-Peruzzetto, S. (dir.), Peter Lang, 2011, p. 365 à 388, p. 366 : « [d]u point de vue du droit international privé, cela veut dire que le code envisagé ne devra plus se limiter à des règles garantissant dans le domaine économique l’exercice des quatre grandes libertés du traité fondateur. Il devra assurer au citoyen européen, non seulement la libre circulation dans l’Union pour les besoins de son activité économique, mais également, lorsqu’il se déplace dans l’Union, quel que soit le motif de ce déplacement, toute garantie de sécurité et de justice. »

( 11 ) Cette convention n’est jamais entrée en vigueur car elle a été remplacée par le règlement (CE) no 1347/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (JO 2000, L 160, p. 19) à la suite de la « communautarisation » de la coopération judiciaire en matière civile opérée par le déplacement du chapitre pertinent de l’ancien troisième pilier vers le premier pilier (troisième partie, titre IV du traité CE) avec l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam le 1er mai 1999.

( 12 ) Dès l’adoption du règlement no 1347/2000, son champ d’application a été considéré comme étant très limité. Sur les aspects positifs et négatifs de ce règlement, voir Borrás, A., « Le règlement no 1347/2000 sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs », Petites affiches, 2002, no 248, p. 12. La « succession chaotique et rapprochée de textes dans le seul domaine de la désunion et de la responsabilité parentale » s’explique, notamment, par l’existence d’une diversité des traditions nationales plus marquées et plus sensibles que dans le domaine patrimonial, voir Ancel, B., et Muir Watt, H., « L’intérêt supérieur de l’enfant dans le concert des juridictions : le règlement Bruxelles II bis », Revue critique de droit international privé, 2005, no 94 (4), p. 569 à 586.

( 13 ) En d’autres termes, le règlement no 1347/2000 ne s’appliquait pas aux enfants nés en dehors du mariage en crise ni à la protection des enfants du couple en dehors d’une crise matrimoniale. Borrás, A., p. 12. Sur le règlement no 1347/2000, voir, en particulier, Gaudemet-Tallon, H., « Le règlement no 1347/2000 [...] », Journal de droit international, 2001, p. 381.

( 14 ) Pour un aperçu de l’acquis de l’Union en ce qui concerne les droits de l’enfant, voir Commission européenne, DG Justice, EU Acquis and Policy Documents on the Rights of the Child, décembre 2015, p. 1 à 83. Voir, également, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Chavez-Vilchez e.a. (C‑133/15, EU:C:2016:659, point 42).

( 15 ) Convention conclue à New York le 20 novembre 1989. Son article 3, paragraphe 1, prévoit que « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

( 16 ) Voir arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, point 37 et jurisprudence citée).

( 17 ) La protection des droits de l’enfant est également un aspect important de la politique extérieure de l’Union. Voir article 3, paragraphe 5, TUE.

( 18 ) L’article 24 de la Charte énonce trois principes fondamentaux des droits de l’enfant : le droit d’exprimer leur opinion librement, en fonction de leur âge et de leur maturité (article 24, paragraphe 1), le droit de voir leur intérêt supérieur constituer une considération primordiale dans tous les actes qui les concernent (article 24, paragraphe 2) et le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec leurs deux parents, sauf si cela est contraire à leur intérêt (article 24, paragraphe 3).

( 19 ) Voir considérant 12 et article 8 du règlement no 2201/2003.

( 20 ) Voir considérant 13 et article 15 du règlement no 2201/2003. Il convient de relever, également, qu’une attention particulière est accordée par ce règlement à l’audition de l’enfant. Voir, à cet égard, considérant 19, article 41, paragraphe 2, sous c), et article 42, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2201/2003.

( 21 ) S’agissant du règlement no 2201/2003, voir, notamment, arrêts du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, points 48 et 51), et du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, points 61 et 64). Voir, également, prise de position de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:377, point 20). Voir, également, arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, points 66, 81 et 85) et conclusions de l’avocat général Szpunar dans les affaires Rendón Marín et CS (C‑165/14 et C‑304/14, EU:C:2016:75, point 174).

( 22 ) Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

( 23 ) En effet, la juridiction de renvoi expose, au point 5.3 de la décision de renvoi, que « même si cette conclusion ne ressort pas directement de la lettre du règlement [...] elle peut être déduite de l’économie générale, du contenu et de l’objectif du règlement ».

( 24 ) Voir point 30 des présentes conclusions.

( 25 ) S’agissant de la notion de responsabilité parentale dans la convention de Bruxelles de 1998, le rapport Borrás indiquait que cette notion « [devrait] être précisée par le droit interne de l’État membre dans lequel la question de la responsabilité est examinée ». Ainsi, dans cette convention, les droits et les obligations des parents étaient définis par le droit national.

( 26 ) À la différence de la convention de Bruxelles de 1998, pour l’application du règlement no 2201/2003, une interprétation autonome de la responsabilité parentale était nécessaire, ce qui a été finalement confirmé par la définition de cette notion que ce règlement prévoit à l’article 2, point 7. Voir, en ce sens, Pintens, W., in Magnus, U., et Mankowski, P. (éds.), Brussels II bis Regulation, European Commentaries on Private International Law, Sellier European Law Publishers, 2016, article 1, point 59, et article 2, point 19.

( 27 ) Tout autre est la question de la désignation du titulaire de la responsabilité parentale. Le règlement no 2201/2003 n’établit pas quelle personne doit être titulaire de la responsabilité parentale mais renvoie aux États membres en ce qui concerne la désignation du titulaire, notamment, du droit de garde et du droit de visite. Voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, points 40 à 43).

( 28 ) Le droit de garde est défini à l’article 2, point 9, du règlement no 2201/2003 comme « les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence ». Sur cette notion, voir arrêt du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, points 40 à 43).

( 29 ) Voir, à cet égard, Francq, S., « La responsabilité parentale en droit international privé. Entrée en vigueur du règlement Bruxelles II bis et du code de droit international privé », Revue trimestrielle de droit familial, 2005, numéro 3, p. 691 à 711. Voir, également, Pintens, W., loc. cit., article 2, point 23. Ces auteurs considèrent d’ailleurs qu’un grand-parent titulaire d’un droit de visite concernant son petit-fils est également titulaire de la responsabilité parentale au sens du règlement no 2201/2003. Toutefois, il convient de noter que dans certains droits nationaux seuls les parents sont titulaires de la responsabilité parentale tandis que les tiers n’ont que des pouvoirs limités, même si un droit de visite leur a été accordé.

( 30 ) Dans le règlement no 2201/2003, cette définition est uniquement limitée ratione temporis (« une période limitée »), aucune limitation ratione personae ne ressort de cette définition.

( 31 ) Cette définition précise que d’autres personnes que les parents peuvent être également titulaires de la responsabilité parentale. Ce terme inclut non seulement les titulaires ayant acquis la responsabilité parentale comme conséquence de la filiation, de la tutelle et de la curatelle et les institutions analogues, mais également des titulaires ayant acquis la responsabilité parentale en tant que partenaires d’un parent titulaire de la responsabilité parentale. Voir Pintens, W., 2016, loc. cit., article 2, point 22.

( 32 ) À cet égard, voir Pintens, W., op. cit., p. 88 : « Since the Brussels II bis Regulation has a broader scope – third persons can be holders of parental responsibility – there is no reason to exclude rights of access from the scope of the Regulation when the holder is a third person. »

( 33 ) Voir point 43 des présentes conclusions.

( 34 ) Comme c’est le cas notamment du partenaire d’un parent titulaire de la responsabilité parentale. En effet, un enfant peut avoir établi une relation personnelle très proche, forte et stable avec le partenaire de sa mère ou de son père. Voir point 45 des présentes conclusions et note de bas de page 31.

( 35 ) Voir, également, considérant 23 du règlement no 2201/2003 ; conclusions du Conseil européen de Tampere du 15 et 16 octobre 1999, point 34, disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm, et document de travail de la Commission « Reconnaissance mutuelle des décisions en matière de responsabilité parentale », COM(2001) 166 final, p. 3.

( 36 ) Si le règlement no 2201/2003 s’étend à toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, il doit inclure également toutes les décisions concernant le droit de visite non seulement des parents mais également des tiers, comme « notamment les grands-parents ». Voir, en ce sens, Pintens, W., loc. cit., article 1, point 70.

( 37 ) Voir considérant 12 du règlement no 2201/2003.

( 38 ) Voir points 73 et 74 des présentes conclusions.

( 39 ) Cela s’impose d’autant plus que les règles de conflit de lois qui désignent la loi applicable aux questions de la responsabilité parentale ne sont pas harmonisées. Dès lors, si les juridictions de différents États membres statuaient sur la responsabilité parentale de plusieurs personnes (les parents et les grands-parents), elles appliqueraient les règles de conflit de lois nationales. Or, ces règles peuvent être caractérisées par de profondes différences. Les décisions portant sur la responsabilité parentale exercée par plusieurs personnes seraient alors rendues par des juridictions différentes et en vertu de lois substantiellement différentes, même si ces décisions concernaient, en substance, un seul enfant. Au contraire, l’adoption d’une approche large des notions désignant le champ d’application du règlement no 2201/2003 permet une certaine harmonisation des décisions, à tout le moins en ce qui concerne les lois applicables, et évite les complications découlant du défaut de règles de conflit harmonisées.

( 40 ) JO 2000, C 234, p. 7. Voir, également, considérant 4 du règlement no 2201/2003. Cette initiative ne concernait que l’exercice du droit de visite par l’un des parents.

( 41 ) Voir point 29 des présentes conclusions et COM(2001) 166 final, p. 1 et 2.

( 42 ) COM(2001) 166 final, p. 1.

( 43 ) Ibid., p. 20.

( 44 ) Ibid., p. 5 et 20. Voir, également, Conseil (Justice, Affaires intérieures et Protection civile) des 30 novembre et 1er décembre 2000, p. 4 et 5, « Programme de mesures sur la mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions en matière civile et commerciale » (JO 2001, C 12, p. 1).

( 45 ) COM(2001) 166 final, p. 15, note 33. Sur cette convention, voir point 72 des présentes conclusions.

( 46 ) Le document de travail de la Commission mentionne également la définition de la notion de « liens de famille » dudit projet de convention. Voir COM(2001) 166 final, p. 15, note 33.

( 47 ) Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (ci-après la « convention de La Haye de 1996), disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.hcch.net/fr/instruments/conventions/full-text/?cid=70.

( 48 ) Aux termes de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 2201/2003, son paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12.

( 49 ) Articles 8 et suiv. Voir, également, points 6, 9 et 34 des présentes conclusions. Sur la nécessité de donner une interprétation uniforme aux notions identiques de la convention de La Haye de 1996 et du règlement no 2201/2003, voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire A (C‑523/07, EU:C:2009:39, points 24 à 26).

( 50 ) L’article 3, sous a) et b), de cette convention dispose que « [l]es mesures prévues à l’article premier peuvent porter notamment sur : l’attribution, l’exercice et le retrait total ou partiel de la responsabilité parentale, ainsi que la délégation de celle-ci ; [...] le droit de visite, comprenant le droit d’emmener l’enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle. »

( 51 ) Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de cette convention, « [...] l’expression “responsabilité parentale” comprend l’autorité parentale ou tout autre rapport d’autorité analogue déterminant les droits, les pouvoirs et les obligations des parents, d’un tuteur ou autre représentant légal à l’égard de la personne ou des biens de l’enfant ». Voir rapport explicatif de Paul Lagarde sur la convention de La Haye de 1996, disponible à l’adresse Internet suivante : https://assets.hcch.net/upload/expl34.pdf.

( 52 ) Selon le rapport de Paul Lagarde, loc. cit., p. 542 : « La définition [de la responsabilité parentale] est large. [...] Cette responsabilité est exercée normalement par les parents, mais elle peut l’être en tout ou en partie par des tiers, dans les conditions fixées par les législations nationales, en cas de décès, d’incapacité, d’inaptitude ou d’indignité des parents, ou en cas d’abandon de l’enfant par ses parents. »

( 53 ) Sur les relations du règlement no 2201/2003 avec la convention de La Haye de 1996, voir article 61 de ce règlement.

( 54 ) Contacts transfrontières relatifs aux enfants. Principes généraux et Guide de bonnes pratiques, Conférence de La Haye de droit international privé, Family Law, 2008, p. 5, et note de bas de page 38. D’ailleurs, il y a lieu de noter que l’on trouve des références au droit de visite des grands-parents dans les exemples 5B et 8A figurant dans le Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants, 2014, p. 64, 65 et 86, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.hcch.net/fr/instruments/conventions/publications1/?dtid=3&cid=70.

( 55 ) Convention sur les relations personnelles concernant les enfants, Conseil de l’Europe, Série des traités européens, no 192, Strasbourg, 15 mai 2003. Cette convention a été ratifiée uniquement, pour ce qui est des États membres, par la République tchèque, la République de Croatie, la République de Malte, et la Roumanie. Cependant, elle reste importante en ce qu’elle codifie à titre principal la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») interprétant le droit au respect de la vie familiale consacré à l’article 8 de la CEDH, laquelle est obligatoire dans tous les États membres.

( 56 ) Rapport explicatif de la Convention sur les relations personnelles concernant les enfants, Conseil de l’Europe, Série de traités européens, no 192, Strasbourg, 15 mai 2003, points 9 et 34. Ce rapport mentionne également la convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, Conseil de l’Europe, Série des traités européens, no 105, Luxembourg, 20 mai 1980, qui fait référence à la « personne » invoquant le droit de visite.

( 57 ) Rapport explicatif de la Convention sur les relations personnelles concernant les enfants, op. cit., points 9 et 47. Sur la législation comparée en matière de responsabilité parentale, voir Granet, F., « L’exercice de l’autorité parentale dans les législations européennes », La documentation française, 2002.

( 58 ) Rapport explicatif de la Convention sur les relations personnelles concernant les enfants, op. cit., point 9.

( 59 ) Dans une affaire concernant la suspension du droit de visite de grands-parents en raison de poursuites pénales à l’encontre de leur fils, père de l’enfant, voir Cour EDH, 20 janvier 2015, Manuello et Nevi c. Italie, CE:ECHR:2015:0120JUD000010710, § 53, et jurisprudence citée.

( 60 ) Cour EDH, 13 juillet 2000, Scozzari et Giunta c. Italie, CE:ECHR:2000:0713JUD003922198, § 221, ainsi que Cour EDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, CE:ECHR:1979:0613JUD000683374, § 45.

( 61 ) Voir point 29 des présentes conclusions.

( 62 ) Voir points 31, 32, 49, 64, 69 et 75 des présentes conclusions.