CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 12 avril 2018 ( 1 )

Affaire C‑4/17 P

République tchèque

contre

Commission européenne

« Pourvoi – FEAGA – Exclusion de certaines dépenses du financement de l’Union européenne – Dépenses effectuées par la République tchèque – Protection de vignobles contre les animaux et les oiseaux – Sécurité juridique – Protection de la confiance légitime – Droit d’être entendu »

I. Introduction

1.

Les parties à ce pourvoi ne facilitent pas le travail de la Cour. L’attitude de la Commission européenne en amont du litige ne saurait, même avec la meilleure volonté du monde, être considérée comme relevant encore de la bonne administration. La République tchèque, quant à elle, n’a cependant pas non plus cherché à éliminer suffisamment tôt les doutes et les désaccords, mais elle s’efforce, aujourd’hui encore, à tirer parti des erreurs de la Commission. Ce faisant, cet État membre a failli ne pas faire valoir les arguments qui, en définitive, aboutissent effectivement à son succès.

2.

Sur le fond, il s’agit de déterminer si la protection des vignobles contre les animaux et les oiseaux constitue une forme de restructuration ou de reconversion des vignobles, notamment une amélioration des techniques de gestion des vignobles. Dans ce contexte se pose la question de savoir si la Commission doit s’opposer à une telle mesure lors de la première soumission d’un programme d’aide, lorsqu’elle estime que cette mesure ne doit pas être admise.

3.

L’affaire se situe dans le contexte de la promotion de la viticulture par l’Union européenne conformément au règlement (CE) no 479/2008 ( 2 ). Cette réglementation prévoyait que les États membres ne pouvaient soutenir que certaines mesures, définies de manière exhaustive, et que les mesures de soutien projetées devaient être présentées dans un programme d’aide. Ils soumettaient ces programmes à la Commission, qui disposait d’un délai de trois mois pour formuler des objections.

II. Cadre juridique

4.

Le cadre juridique se caractérise par une certaine complexité, ainsi que par des modifications constantes des dispositions pertinentes.

A.   Les régimes d’aide

5.

L’article 5 du règlement no 479/2008 porte sur la soumission, à la Commission, de programmes d’aide à la viticulture :

« 1.   Chaque État membre producteur visé à l’annexe II soumet à la Commission, pour la première fois au plus tard le 30 juin 2008, un projet de programme d’aide sur cinq ans contenant des mesures conformes aux dispositions du présent chapitre.

[…]

2.   Les programmes d’aide deviennent applicables trois mois après la date de leur soumission à la Commission.

Si, toutefois, le programme d’aide soumis ne répond pas aux conditions établies au présent chapitre, la Commission en informe l’État membre concerné. Dans ce cas, l’État membre soumet à la Commission une version révisée de son programme d’aide. Ce programme d’aide révisé devient applicable deux mois après la date de sa notification, sauf s’il subsiste une incompatibilité, auquel cas le présent alinéa s’applique.

3.   […] »

6.

L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 479/2008 mentionnait, au point c), la « restructuration et reconversion des vignobles, conformément à l’article 11 » parmi les mesures admissibles. L’article 11 définissait ces mesures comme suit :

« 1.   L’objectif des mesures en matière de restructuration et de reconversion des vignobles est d’accroître la compétitivité des viticulteurs.

2.   […]

3.   L’aide à la restructuration et à la reconversion des vignobles ne peut porter que sur une ou plusieurs des actions suivantes :

a)

la reconversion variétale, y compris par surgreffage ;

b)

la réimplantation de vignobles ;

c)

l’amélioration des techniques de gestion des vignobles.

Le remplacement normal des vignobles parvenus au terme de leur cycle de vie naturel est exclu de l’aide.

4.   […] »

7.

L’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1493/1999 ( 3 ), applicable précédemment, contenait encore les dispositions suivantes relatives à l’objectif de mesures en vue de la restructuration et de la reconversion, mais qui n’apparaissent plus dans le règlement no 479/2008 :

« Le régime a pour objectif d’adapter la production à la demande du marché. »

8.

Par le biais du règlement d’exécution (UE) no 202/2013 ( 4 ), la Commission a introduit les dispositions suivantes à l’article 6 du règlement (CE) no 555/2008 ( 5 ) :

« Les opérations suivantes ne sont pas admissibles :

[…]

b)

la protection contre les dommages causés par [l]e gibier, les oiseaux ou la grêle ;

[…] »

9.

Aux termes de l’article 114 du règlement no 479/2008, la mesure de soutien litigieuse constituait une intervention destinée à la régulation des marchés agricoles visée à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 1290/2005 ( 6 ). La disposition citée en dernier lieu portait sur certaines dépenses du Fonds européen agricole de garantie (ci-après : le « FEAGA ») et correspond aux dispositions actuelles de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1306/2013 ( 7 ).

B.   Les règles en matière de contrôle

10.

Conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 (anciennement article 31 du règlement no 1290/2005), la Commission peut exclure certaines dépenses du financement a posteriori :

« Lorsqu’elle considère que des dépenses relevant du champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5 n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union […], la Commission adopte des actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union. […] »

11.

L’article 11 du règlement (CE) no 885/2006 ( 8 ) règle la procédure devant être mise en œuvre avant l’intervention d’une décision de la Commission relative à l’exclusion de certains montants :

« 1.   Si, à la suite d’une enquête, la Commission considère que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément à la réglementation communautaire, elle communique ses constatations à l’État membre concerné et lui indique les mesures correctives qui s’imposent afin d’assurer à l’avenir le respect de ladite réglementation.

La communication fait référence au présent article. L’État membre répond dans un délai de deux mois à compter de la réception de la communication et la Commission peut modifier sa position en conséquence. Dans des cas justifiés, la Commission peut accorder une prorogation du délai de réponse.

À l’expiration du délai de réponse, la Commission convoque une réunion bilatérale et les deux parties s’efforcent de parvenir à un accord sur les mesures à prendre ainsi que sur l’évaluation de la gravité de l’infraction et du préjudice financier causé à la Communauté.

2.   Dans les deux mois suivant la réception du procès-verbal de la réunion bilatérale visée au paragraphe 1, troisième alinéa, l’État membre communique les informations éventuellement demandées au cours de la réunion ainsi que toute information complémentaire qu’il juge utile au traitement du dossier.

Dans des cas justifiés et sur demande motivée de l’État membre, la Commission peut accorder une prolongation de la période visée au premier alinéa. La demande en est adressée à la Commission avant le terme de ladite période.

Au terme de la période visée au premier alinéa, la Commission communique officiellement à l’État membre les conclusions auxquelles elle est parvenue sur la base des informations reçues dans le cadre de la procédure d’apurement de conformité. Cette communication présente l’évaluation des dépenses que la Commission envisage d’exclure du financement communautaire en vertu de l’article 31 du règlement (CE) no 1290/2005 et fait référence à l’article 16, paragraphe 1, du présent règlement.

3.   L’État membre informe la Commission des mesures correctives qu’il a prises en vue d’assurer le respect de la réglementation communautaire, en précisant la date de leur mise en œuvre effective.

Après avoir examiné tout rapport éventuellement établi par l’organe de conciliation conformément au chapitre 3 du présent règlement, la Commission adopte, le cas échéant, une ou plusieurs décisions au titre de l’article 31 du règlement (CE) no 1290/2005, visant à exclure du financement communautaire les dépenses concernées par le non-respect de la réglementation communautaire jusqu’à la mise en œuvre effective par l’État membre des mesures correctives.

[…] »

12.

Les articles 12 à 16 du règlement no 885/2006 prévoient des dispositions relatives à une procédure de conciliation, dans le cadre de laquelle l’État membre concerné et la Commission doivent trouver une solution à l’amiable.

13.

Le règlement no 885/2006 a été, avec effet au 1er janvier 2015, remplacé par le règlement d’exécution (UE) no 908/2014 ( 9 ), qui contient des dispositions similaires.

III. Historique du litige

14.

Selon l’arrêt du Tribunal du 20 octobre 2016, République tchèque/Commission (T‑141/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:621, points 1-17), l’historique du litige est, en résumé, le suivant.

15.

Le 9 juillet 2008, la République tchèque a soumis à la Commission un projet de programme d’aide pour les exercices 2009 à 2014, en application de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 479/2008. Parmi les mesures du projet de programme figurait une mesure relative à la protection contre les dommages causés à des vignes par les animaux et les oiseaux, qui était censée être mise en œuvre soit par des moyens mécaniques, à savoir la clôture des vignobles ou divers systèmes d’éloignement, soit par des moyens actifs impliquant la présence d’hommes chassant les animaux ou les oiseaux.

16.

Dans une lettre du 8 octobre 2008, la Commission a formulé des griefs contre le projet susmentionné, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008. Toutefois les griefs de la Commission ne visaient pas la mesure de protection litigieuse. La République tchèque a révisé le projet de programme en tenant compte des griefs de la Commission et lui a transmis un nouveau projet le 12 février 2009. Le second projet contenait à nouveau, dans sa forme non modifiée par rapport au projet initial, la mesure de protection litigieuse. La Commission n’a plus soulevé de griefs contre le second projet dans le délai de deux mois, c’est-à-dire avant le 12 avril 2009.

17.

À l’occasion d’une enquête d’audit menée sous la référence VT/VI/2009/101/CZ, visant à vérifier la compatibilité des mesures adoptées par la République tchèque dans le cadre de la restructuration et de la reconversion des vignobles avec les conditions d’octroi des aides en la matière et portant sur la campagne viticole 2007/2008, la Commission a, en date du 20 février 2009, adressé à la République tchèque une communication au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 885/2006. Cette communication se lit en partie comme suit :

« Ce résultat met néanmoins en lumière le fait que les travaux de restructuration se sont essentiellement limités à une protection du vignoble existant contre les animaux sans aucune autre intervention. Cette approche soulève un problème de conformité au regard de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1493/1999, lequel stipule que le régime a pour objectif d’adapter la production à la demande du marché. Si la restructuration en République tchèque s’est limitée à la seule protection contre les animaux du vignoble existant, prima facie, la dépense n’est pas éligible car elle est sans rapport avec les exigences réglementaires requises. »

18.

Dans la même lettre, la Commission indiquait que les autorités tchèques devaient « mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires de façon à remédier aux carences et aux non-conformités ».

19.

Par lettre du 22 septembre 2009, la Commission a notifié son intention de mener une autre enquête d’audit sous la référence VT/VI/2009/004/CZ. Cette enquête devait porter sur les mesures relatives à la restructuration et à la reconversion des vignobles en République tchèque au cours de la campagne viticole 2008/2009.

20.

Dans une communication du 22 mars 2010 effectuée en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 885/2006, la Commission a, dans le cadre de l’enquête portant la référence VT/VI/2009/004/CZ, notamment relevé ce qui suit :

« Lors du contrôle sur place, l’équipe d’audit a eu des doutes quant à la question de savoir si la protection active et passive contre les oiseaux et les animaux sauvages constitu[ait] une activité admissible dans le cadre de la restructuration et de la reconversion. »

21.

Par ailleurs, la Commission a, dans le même document, indiqué à l’adresse de la République tchèque que « [l]a protection active et passive contre les oiseaux et les animaux sauvages ne saurait être considérée comme une nouvelle mesure grâce à laquelle la gestion des vignobles s’améliorait de façon que la production s’adapte à la demande du marché ». Finalement, la communication rappelle que « [l]e règlement (CE) no 1493/99 indique clairement que l’objectif [des opérations de restructuration] est “d’adapter la production à la demande du marché”. »

22.

En date du 31 janvier 2011, la Commission a transmis à la République tchèque le procès-verbal d’une réunion bilatérale qui s’était tenue au titre de l’article 11, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 885/2006 et qui avait eu lieu entre les représentants de la République tchèque et ceux de ses propres services le 13 décembre 2010 au sujet des deux enquêtes susmentionnées.

23.

Dans le procès-verbal, la Commission a considéré que les dépenses effectuées en République tchèque au titre de la mesure de protection litigieuse constituaient des opérations non admissibles et a demandé à la République tchèque le montant exact des dépenses déclarées pour les exercices 2008 à 2010. Dans ce procès-verbal également, la Commission a fait référence à l’objectif des mesures de restructuration et de reconversion des vignobles conformément au règlement no 1493/1999, à savoir l’adaptation de la production à la demande du marché.

24.

De plus, le renvoi aux deux enquêtes précitées a, depuis le 31 janvier 2011, été repris au début de toute la correspondance de la Commission.

25.

Le 3 décembre 2012, la Commission a adressé à la République tchèque une communication au titre de l’article 11, paragraphe 2, troisième alinéa, et de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 885/2006. Dans cette communication, la Commission a réitéré et précisé son opinion selon laquelle les modes de protection active et passive des vignobles prévus par la République tchèque n’étaient pas couverts par la notion de restructuration et de reconversion visée à l’article 11 du règlement no 1493/1999 et à l’article 11 du règlement no 479/2008. À cet égard, la Commission a proposé une correction financière de 52347157,43 couronnes tchèques (CZK) (environ 2081315 euros) et de 11984289,94 euros pour les exercices 2007 à 2010, en soumettant les exercices 2007 et 2008 à l’application du règlement no 1493/1999 et les autres exercices à l’application du règlement no 479/2008.

26.

À la suite d’une demande du 17 janvier 2013 présentée par la République tchèque, l’organe de conciliation a organisé une réunion le 19 juin 2013 et rendu le 2 juillet 2013 un rapport final relatif à la procédure de conciliation portant la référence 13/CZ/552. Dans ce rapport, l’organe de conciliation a invité la Commission à ne pas proposer de correction financière pour les dépenses effectuées au titre du programme d’aide dans son ensemble pour la période 2009 à 2014 et à reconsidérer sa décision d’imposer la correction financière proposée.

27.

Par lettre du 22 avril 2014, la Commission a transmis à la République tchèque un avis final après la présentation du rapport de l’organe de conciliation. Dans cet avis, la Commission a répété que, selon elle, la mesure de protection litigieuse ne saurait être considérée comme admissible dans le cadre du programme de restructuration et de reconversion des vignobles.

28.

S’agissant des exercices 2007 à 2009, la Commission a relevé que l’absence de griefs de sa part contre le projet de programme d’aide à l’égard de la mesure de protection litigieuse avait permis à la République tchèque de croire légitimement que les aides en faveur de cette mesure étaient des opérations admissibles. Selon la Commission, la République tchèque ne pouvait cependant nourrir aucune confiance légitime à cet égard après avoir reçu sa lettre du 22 mars 2010. Pour cette raison, la Commission a estimé qu’une correction financière était justifiée pour toutes les dépenses à l’égard desquelles un engagement avait été pris après le 22 mars 2010. Ensuite, elle a proposé une correction financière pour les exercices 2010 à 2012 pour un montant total de 2123199,04 euros.

29.

Finalement, la Commission a adopté la décision d’exécution (UE) 2015/103, du 16 janvier 2015, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ( 10 ) (ci-après la « décision litigieuse »), sur la base de l’article 52 du règlement no 1306/2013.

30.

Dans la décision litigieuse, la Commission a écarté les dépenses effectuées par la République tchèque au titre du FEAGA en faveur de la mesure de protection litigieuse dans le cadre du programme de restructuration et de reconversion des vignobles pour 2010 à 2012, pour un montant total de 2123199,04 euros.

31.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours formé par la République tchèque contre la décision litigieuse.

IV. Conclusions des parties

32.

Par requête du 4 janvier 2017, la République tchèque a formé le présent pourvoi contre cet arrêt et elle a conclu à ce qu’il plaise à la Cour :

1)

annuler l’arrêt attaqué ;

2)

annuler la décision litigieuse dans la mesure où elle écarte les dépenses effectuées par la République tchèque pour un montant total de 2123199,04 euros ; et

3)

condamner la Commission européenne aux dépens.

33.

La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour,

1)

rejeter le pourvoi et

2)

condamner la requérante aux dépens.

34.

Les parties ont participé à la procédure écrite ainsi qu’à l’audience du 1er mars 2018.

V. Appréciation juridique

35.

La République tchèque soulève trois moyens. Son premier moyen est tiré d’une violation, par l’arrêt attaqué, de l’article 11 du règlement no 479/2008, son deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008 ainsi que des principes de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime, et par son troisième moyen la République tchèque fait grief de l’appréciation d’erreurs de procédure au cours de la procédure administrative.

A.   Sur la recevabilité et l’interprétation du premier moyen

36.

Par son premier moyen, la République tchèque s’oppose aux considérations développées par le Tribunal aux points 83 à 90, dans lesquels il constate que les mesures litigieuses sont incompatibles avec l’article 11 du règlement no 479/2008. Vu de manière isolée, ce moyen pourrait sembler irrecevable, étant donné qu’il ne se rapporte pas à l’appréciation, par le Tribunal, d’un moyen en ce sens.

37.

En effet, dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale donnée par les premiers juges. Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal à l’encontre de la mesure attaquée reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal ( 11 ).

38.

Contrairement aux affirmations de la République tchèque, la recevabilité de ce moyen ne résulte pas non plus de l’arrêt rendu dans les affaires C‑231/11 P à C‑233/11 P ( 12 ). En effet, dans ces affaires-ci, le moyen qui était nouveau par rapport à ceux invoqués en première instance était dirigé contre des considérations développées par le Tribunal lors de l’examen, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, d’une sanction en matière de droit de la concurrence. C’est donc le Tribunal qui avait déjà élargi l’objet du litige, de sorte que le moyen en question était recevable dans le cadre du pourvoi.

39.

Or, la République tchèque a effectivement, dans le cadre d’un grief tiré de la violation du principe de sécurité juridique, fait valoir devant le Tribunal que les mesures litigieuses étaient conformes aux conditions d’admissibilité prévues à l’article 11 du règlement no 479/2008 ( 13 ).

40.

Le Tribunal a donc procédé aux considérations critiquées concernant l’article 11 du règlement no 479/2008 et il s’est fondé sur ces considérations lors de sa décision.

41.

Il est vrai que, devant le Tribunal, la République tchèque a également affirmé qu’elle n’examinerait pas la question de la compatibilité de la mesure litigieuse avec l’article 11 du règlement no 479/2008, mais cette déclaration s’explique par le contexte, à savoir par le fait qu’elle invoquait essentiellement une violation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement. Dans le même paragraphe, la République tchèque souligne en effet également la compatibilité de la mesure avec l’article 11 ( 14 ).

42.

Par conséquent, la République tchèque a le droit de contester ces points de l’arrêt attaqué dans le cadre du pourvoi.

43.

Cela ne signifie cependant pas que la République tchèque peut, en faisant valoir ce moyen dans le cadre du pourvoi, directement attaquer la constatation de la Commission, selon laquelle les mesures d’aide litigieuses sont incompatibles avec l’article 11 du règlement no 479/2008 et sur laquelle la décision litigieuse est fondée. En effet, on serait alors en présence d’un nouveau moyen par rapport au recours en première instance, invoqué contre cette décision. Dans le cadre du pourvoi, on ne saurait cependant faire valoir des moyens contre la décision litigieuse, seuls des moyens contre l’arrêt attaqué sont admis.

44.

Cette critique à l’égard de l’arrêt du Tribunal ne peut, au contraire, intervenir qu’à l’égard de l’appréciation juridique faite par le Tribunal. Le Tribunal a procédé aux considérations critiquées concernant l’article 11 du règlement no 479/2008 dans le cadre du premier moyen invoqué devant lui et qui, tout comme le deuxième moyen dans le cadre de la présente procédure, avait pour objet une violation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008 ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

45.

Il est par conséquent utile de considérer les deux premiers moyens de la République tchèque de manière conjointe et d’examiner le premier moyen en même temps que la deuxième partie du deuxième moyen.

B.   Sur le premier et deuxième moyen

46.

Par son deuxième moyen, la République tchèque fait grief d’une violation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008 (voir sous 1), ainsi que des principes de sécurité juridique (voir sous 2) et de protection de la confiance légitime (voir sous 3). L’argumentation relative à l’article 11 doit, quant à elle, être rattachée à la deuxième partie de ce moyen, qui a pour objet le principe de sécurité juridique.

1. Sur la première partie du deuxième moyen – article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008

47.

La République tchèque invoque le fait que, après la soumission du programme d’aide conformément à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008, la Commission n’a pas soulevé d’objection contre les mesures d’aide litigieuses. Elle considère que la Commission a donc autorisé ces mesures et qu’elle ne peut plus les rejeter a posteriori.

48.

Le Tribunal examine cette argumentation aux points 29 à 67 de l’arrêt attaqué. Il constate que l’exclusion de l’aide est fondée sur l’article 52 du règlement no 1306/2013 et que l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008 ne s’oppose pas à cette décision. Selon le Tribunal, la circonstance que la Commission n’a, au départ, pas soulevé d’objection ne saurait être interprétée dans le sens d’une autorisation de la mesure ni fonder une présomption irréfragable de conformité des mesures d’aide.

49.

On ne constate, en définitive, pas d’erreur de droit à ce niveau.

50.

La République tchèque fait, en résumé, valoir que la compétence de la Commission d’exclure, en vertu de l’article 52 du règlement no 1306/2013 a posteriori des mesures du financement de l’Union n’est pas applicable à des mesures qui sont soumises à un contrôle préalable, tel que prévu à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008.

51.

Comme le Tribunal le montre aux points 31 à 46 de l’arrêt attaqué, cette analyse ne résulte en aucune manière du libellé des dispositions applicables. En effet, d’une part, l’article 5, paragraphe 2, ou les autres dispositions du règlement no 479/2008 n’excluent pas le contrôle a posteriori et, d’autre part, la compétence résultant de l’article 52 du règlement no 1306/2013 n’est en aucune manière restreinte s’agissant de mesures ayant fait l’objet d’un contrôle préalable.

52.

Il est vrai que, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008, les programmes d’aide deviennent applicables si la Commission ne soulève pas d’objection dans les délais. Contrairement au point de vue de la République tchèque, cela ne signifie cependant pas qu’il serait exclu de contrôler a posteriori que les mesures relèvent des objectifs poursuivis par la réglementation en matière d’aides.

53.

En vertu de l’article 114 du règlement no 479/2008, la mesure d’aide litigieuse constitue, au contraire, une intervention destinée à la régulation des marchés agricoles visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1290/2005. Cette dernière disposition a pour objet certaines dépenses du FEAGA et, au moment de l’adoption de la décision litigieuse par la Commission, cette disposition se trouvait à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013. Lorsque de telles dépenses n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union, la Commission adopte, conformément à l’article 52 du règlement no 1306/2013, des actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union.

54.

Le contexte global de ces règles va lui aussi dans le sens de l’interprétation adoptée par le Tribunal. Selon une jurisprudence constante, les fonds agricoles européens ne financent que les interventions effectuées conformément aux dispositions de l’Union dans le cadre de l’organisation commune des marchés agricoles ( 15 ). De plus, la Commission souligne avec raison que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 479/2008, les programmes d’aide doivent être compatibles avec la législation de l’Union.

55.

Par conséquent, il serait totalement impossible à la Commission de « légaliser » unilatéralement des dépenses qui sont incompatibles avec les règles communes en matière d’aides de l’Union, anciennement adoptées par le Conseil et aujourd’hui même adoptées de manière conjointe par le Conseil et par le Parlement. Comme la Commission le démontre de manière pertinente, le Tribunal a, par conséquent, déjà accepté l’exclusion du financement de l’Union s’agissant de mesures que la Commission avait expressément autorisées au préalable ( 16 ). Cela doit être d’autant plus vrai pour des mesures d’aide qui étaient certes soumises à un contrôle préalable de la Commission, mais qui devenaient applicables après l’absence d’objections de la part de la Commission.

56.

Dans ce contexte, il convient également de tenir compte des problèmes pratiques d’un contrôle préalable, limité à trois ou même à deux mois lors du deuxième passage, portant sur des programmes d’aide qui sont, du moins potentiellement, très volumineux et complexes. Il est vrai que la République tchèque fait valoir que le programme tchèque n’avait qu’un volume très réduit et qu’il présentait l’aide litigieuse de manière claire, mais il convient de supposer que d’autres programmes d’aide sont nettement plus volumineux et plus complexes. Si des mesures d’aide contraires aux règles se trouvent « cachées » dans de tels programmes, la circonstance que la Commission a omis de les découvrir immédiatement ne saurait avoir pour conséquence que les moyens des fonds agricoles doivent être utilisés de manière contraire aux règles applicables en matière d’aides.

57.

La République tchèque pose certes la question légitime de la fonction du contrôle préalable si, par la suite, la Commission peut néanmoins exclure du financement des mesures qu’elle n’avait pas critiquées à l’origine. La réponse est cependant évidente : un tel contrôle préalable réduit au moins le risque de soutenir des mesures qui ne correspondent pas aux conditions d’admissibilité. De plus, il peut, conformément à l’analyse qui va suivre ( 17 ), dans certaines circonstances, fonder une protection résultant de la confiance légitime.

58.

Du fait du contrôle préalable, la Commission engage en outre sa responsabilité pour ce qui concerne la compatibilité de mesures d’aide avec les conditions d’admissibilité. Du moins du point de vue théorique, on pourrait imaginer que la Commission soit soumise à une obligation d’indemnisation en cas de défauts graves au niveau du contrôle préalable.

59.

Il convient par conséquent de rejeter la première partie du deuxième moyen, car le fait que la Commission omette de soulever des objections contre les mesures d’aide au préalable conformément à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008, ne s’oppose pas à une exclusion a posteriori de ces mesures conformément à l’article 52 du règlement no 1306/2013.

2. Sur la deuxième partie du deuxième moyen conjointement avec le premier moyen – Sécurité juridique

60.

Dans la deuxième partie du deuxième moyen, la République tchèque fait grief d’une violation du principe de sécurité juridique.

61.

Dans la mesure où, par le biais de ce moyen, elle fait à nouveau valoir que le fait que la Commission omette de soulever des objections lors du contrôle préalable entraîne une autorisation, juridiquement contraignante, des mesures litigieuses, ne pouvant pas être remise en cause a posteriori, il convient de renvoyer aux considérations développées ci-dessus concernant la première partie du deuxième moyen : le contrôle préalable ne produit précisément pas d’effet de ce type.

62.

L’absence de caractère contraignant des communications de la Commission n’y change rien. En effet, ce n’est pas la première lettre de la Commission qui exclut la mesure du financement, mais la décision litigieuse. Les doutes et les objections que la Commission a communiqués au préalable ne sont que des avertissements indiquant qu’une telle décision risque d’intervenir. On ne saurait y voir une violation du principe de la sécurité juridique. Il s’agit au contraire – en principe – d’une transposition du principe de coopération loyale avec l’État membre (article 4, paragraphe 3, TUE).

63.

Tout comme dans le cas du premier moyen, la République tchèque fait cependant également valoir dans la deuxième partie du deuxième moyen que les mesures litigieuses étaient conformes aux règles en matière d’aides.

64.

Prise conjointement avec le principe de la sécurité juridique, cette argumentation est un peu surprenante, étant donné que ce principe est en général utilisé à titre d’argument pour le maintien d’une position juridique, mais non en tant qu’argument autonome contre une décision comme la décision litigieuse. En définitive, il s’agit cependant également ici du maintien d’une position, à savoir celle concernant la possibilité de soutenir les mesures litigieuses.

65.

Le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose, notamment en cas de risque de conséquences financières ( 18 ). La Commission ne peut dès lors pas se fonder, lors d’une correction au moment de l’apurement des comptes FEAGA, sur une interprétation qui, s’écartant du sens habituel des mots employés, ne s’impose pas ( 19 ). Cependant, elle peut encore moins déclarer qu’une mesure est incompatible avec les conditions d’admission, si elle est effectivement conforme à ces conditions. Il est en effet évident que l’on entend par sécurité juridique également le fait de pouvoir compter sur le respect du droit.

66.

Il apparaît donc que la décision litigieuse est conforme au principe de sécurité juridique si les mesures exclues étaient contraires aux conditions d’admission. Elle ne serait cependant compatible ni avec sa base juridique ni avec le principe de sécurité juridique si les mesures étaient effectivement compatibles avec les règles applicables en matière d’aides.

67.

Il s’agit là, en quelque sorte, de l’autre face des principes qui s’opposent à la position de la République tchèque s’agissant des effets du silence de la Commission dans le cadre du contrôle préalable conformément à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008. L’existence de la possibilité, pour la Commission, de procéder, malgré ce silence, à la correction a en effet pour but d’imposer le respect des règles en matière d’aides.

68.

Au point 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le libellé de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1493/1999 et de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 479/2008 ne couvre pas, à l’évidence, les mesures tendant à la protection des vignobles contre les dommages causés par les animaux ou par les oiseaux, telles que la mesure de protection litigieuse.

69.

Contrairement au point de vue de la Commission, cette constatation n’est pas un obiter dictum, mais un argument fondamental du Tribunal. Si cette constatation faisait défaut, la République tchèque pourrait faire valoir un défaut de motivation en raison de l’absence de réponse, de la part du Tribunal, à un argument déterminant.

70.

La constatation du Tribunal est cependant entachée d’une erreur de droit.

71.

En effet, la République tchèque lui oppose avec raison que de telles mesures de protection peuvent, du moins du point de vue de leur libellé, correspondre à une amélioration des techniques de gestion des vignobles au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous c), du règlement concerné. Effectivement, dans l’hypothèse où de telles mesures de protection faisaient défaut, leur introduction améliore sans aucun doute les techniques de gestion des vignobles.

72.

L’application des termes génériques « restructuration et reconversion des vignobles » aux mesures en question n’y change rien. On pourrait certes les comprendre en ce sens que des modifications doivent être apportées aux vignobles au niveau d’éléments de construction, mais, d’une part, les mesures de protection contre les dommages causés par les animaux et les oiseaux peuvent consister dans des éléments de construction et, d’autre part, la catégorie de l’amélioration des techniques de gestion des vignes au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous c), favorise plus particulièrement une interprétation large qui inclut également des modifications au niveau de la méthode, tant que celles-ci ont pour objet l’exploitation de vignobles.

73.

On peut tout au plus fonder une exclusion de ces mesures de protection des aides de l’Union sur l’objectif du type d’aides en cause.

74.

Sur ce point, le Tribunal constate au point 89 de l’arrêt attaqué qu’il n’apparaît pas clairement en quoi la mesure litigieuse pourrait servir effectivement à adapter la production à la demande du marché, voire, le cas échéant, à assurer un accroissement de la compétitivité des viticulteurs.

75.

Alors que cette constatation est compréhensible pour ce qui concerne l’adaptation à la demande du marché, même si, dans la présente espèce, il n’est pas nécessaire de trancher sur ce point, cette constatation n’est pas convaincante pour ce qui concerne la compétitivité.

76.

En effet, une réduction des dommages causés par les animaux et les oiseaux améliore, comme la République tchèque l’indique à juste titre, la compétitivité des viticulteurs.

77.

L’adaptation à la demande du marché correspondait à l’objectif de l’aide au titre de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 1493/1999 qui était applicable à l’aide litigieuse. En revanche, l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 479/2008, en cause en l’espèce, formulait l’objectif de manière plus générale. En vertu de ce texte, il convenait en effet de soutenir le renforcement de la compétitivité.

78.

Contrairement à ce qu’affirme la Commission, il ne résulte pas non plus des considérants du règlement no 479/2008 que, au niveau du contenu, le nouveau régime devait correspondre à celui qui existait précédemment. Au contraire, le considérant 5 fait état d’une modification fondamentale, qui est notamment destinée à entraîner un renforcement de la compétitivité des producteurs de vin. En revanche, il n’est pas question d’une adaptation à la demande du marché dans le contexte de mesures de restructuration et de reconversion.

79.

La Commission estime cependant également que les mesures de restructuration et de reconversion de vignobles ne doivent pas viser le maintien des structures de production existantes, mais qu’elles doivent rechercher une évolution au niveau qualitatif.

80.

Cette argumentation est certes convaincante, mais elle ne démontre pas pourquoi des mesures visant la réduction des dommages causés par les animaux et les oiseaux ne pourraient pas y contribuer. Dans ce contexte, la Commission souligne certes le fait que cela fait longtemps que l’on utilise des épouvantails et des mesures similaires, mais cela n’exclut pas l’éventualité que les aides tchèques cherchaient à obtenir des améliorations par rapport aux pratiques existantes. D’ailleurs, cet argument est soutenu par la constatation, non contestée, de la République tchèque, selon laquelle la quantité de production a presque été multipliée par trois depuis l’introduction de l’aide, ce qui tend à indiquer des méthodes de production améliorées.

81.

En revanche, la Commission a, notamment lors de l’adoption de la décision litigieuse, mais également lors de la procédure devant le Tribunal, omis de démontrer que les mesures spécifiques soutenues favorisaient uniquement la poursuite de pratiques existantes.

82.

De même, l’indication de la Commission selon laquelle l’article 14 du règlement no 479/2008 permet de soutenir des assurances contre les dommages causés par des animaux et des oiseaux n’aboutit pas à un autre résultat – bien au contraire. Cela montre en effet que le législateur était en principe prêt à lutter contre la survenance de tels dommages. C’est pourquoi il n’y a, a priori, pas de raison d’exclure les mesures d’aide litigieuses de l’article 11.

83.

Il convient donc de faire droit à la deuxième partie du deuxième moyen et d’annuler l’arrêt attaqué.

3. Sur la troisième partie du deuxième moyen – Protection de la confiance légitime

84.

Du fait de la constatation précitée, il n’est plus nécessaire d’examiner la troisième partie du deuxième moyen. Nous procéderons cependant, à titre subsidiaire, à son analyse pour le cas où la Cour ne suivrait pas notre point de vue, c’est-à-dire pour le cas où il conviendrait de supposer que les mesures ne pouvaient pas bénéficier d’une aide.

85.

C’est cette argumentation que la République tchèque oppose aux considérations développées par le Tribunal aux points 96 à 100 de l’arrêt attaqué pour ce qui concerne la protection de la confiance légitime.

86.

À cet égard, le Tribunal souligne au point 96 que la Commission n’a pas fourni d’assurances précises à la République tchèque. En vertu du point 97, de telles assurances sont mêmes exclues, au motif que le silence au cours du contrôle préalable n’équivaut pas à une décision de la Commission relative à la compatibilité avec les conditions devant être remplies pour bénéficier d’une aide.

87.

Ces déclarations du Tribunal se fondent sur la jurisprudence constante selon laquelle le principe de protection de la confiance légitime peut être invoqué par toute personne qui aurait nourri des attentes fondées en raison d’assurances précises données par l’administration ( 20 ).

88.

Examinée de plus près au regard de l’article 11, l’absence d’objections de la Commission au cours de la procédure prévue à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 479/2008 se rapproche cependant fortement d’une telle assurance.

89.

Même dans l’hypothèse où la Cour ne suivrait pas notre interprétation de l’article 11 du règlement no 479/2008, il n’est du moins pas absurde, au vu de cette disposition, de supposer que les mesures d’aide litigieuses sont conformes aux conditions d’admission aux aides. C’est ce que confirme le règlement d’exécution no 202/2013, dans la mesure où la Commission a apparemment estimé nécessaire d’y indiquer, pour la première fois de manière expresse, que les opérations visant la protection contre des dommages causés par le gibier, les oiseaux ou la grêle n’étaient pas admissibles.

90.

Dans le contexte de ces circonstances particulières, l’absence d’objections dans le cadre d’un contrôle préalable doit, à titre exceptionnel, non seulement être considérée comme constituant un silence s’agissant de la question de la compatibilité, mais comme une approbation des mesures de soutien.

91.

Cette interprétation est également soutenue par la déclaration, non contestée, faite par la République tchèque, selon laquelle le programme d’aide ne comportait que huit pages et que la mesure litigieuse y était clairement indiquée. Il apparaît donc que la Commission avait manifestement l’occasion de soulever des objections suffisamment tôt et d’éviter le présent litige à toutes les parties concernées.

92.

Les autres déclarations faites par la Commission jusqu’au 3 décembre 2012 sont extrêmement ambiguës et permettent du moins de supposer que les mesures litigieuses étaient quand même conformes aux dispositions applicables en matière d’aides.

93.

Premièrement, la communication du 20 février 2009 montre que la Commission doutait déjà de la compatibilité des mesures d’aide litigieuses avec les règles applicables en matière d’aides lorsque le programme d’aides a été soumis à son contrôle pour la deuxième fois. Malgré cela, elle n’a pas soulevé d’objection. On pouvait donc supposer que les doutes avaient été dissipés après l’expiration du délai, ou bien qu’ils ne se rapportaient qu’aux périodes de soutien passées.

94.

Il convient en effet de noter que, deuxièmement, la communication précitée, la communication du 22 mars 2010 et le procès-verbal du 31 janvier 2011 se fondent exclusivement sur le règlement no 1493/1999, en vigueur précédemment. Comme il a été démontré plus haut dans les présentes conclusions ( 21 ), cette réglementation se distingue cependant fondamentalement du règlement no 479/2008 s’agissant de l’objectif de l’aide.

95.

Ce n’est que dans la communication du 3 décembre 2012 que la Commission invoque également, pour la première fois, le règlement no 479/2008. À cette date, l’aide litigieuse avait cependant déjà été accordée, étant donné que la Commission a seulement exclu du financement les aides accordées au cours des années 2010 à 2012.

96.

Malgré ces manquements graves de la Commission sur le plan de la communication, nous sommes cependant d’avis que, au plus tard depuis la communication du 20 février 2009, l’éventuelle confiance de la République tchèque dans la possibilité de soutenir les mesures litigieuses ne méritait plus protection.

97.

Il peut certes y avoir des cas où l’existence de déclarations contradictoires faites par la Commission dans le cadre d’une situation juridique ambiguë peut fonder une confiance légitime. Cependant, lorsqu’un État membre utilise des aides accordées par l’Union, il est soumis à des obligations accrues en matière de prudence. C’est pourquoi même des doutes minimes relatifs à la possibilité que soient soutenues certaines mesures exigent des demandes de renseignements auprès de la Commission. De tels doutes existaient au plus tard depuis la communication de la Commission du 20 février 2009.

98.

L’argumentation présentée par la République tchèque concernant l’absence de caractère contraignant de la communication précitée n’y change rien. En effet, le caractère contraignant ne détermine pas l’existence d’une confiance légitime devant être protégée. Au contraire, la protection en question est exclue dès qu’il y a des informations fondant des doutes.

99.

Il apparaît donc que, dans l’hypothèse où la Cour examinerait la troisième partie du deuxième moyen, il conviendrait de la rejeter.

C.   Sur le troisième moyen – La procédure qui a précédé la décision litigieuse

100.

Par le troisième moyen que nous n’examinons qu’à titre subsidiaire, la République tchèque s’oppose aux constatations du Tribunal relatives au second moyen en première instance. Dans ce moyen, il est, en définitive, question du fait que la Commission a certes effectué des contrôles concernant les campagnes viticoles 2007/2008 et 2008/2009 et que la République tchèque a été entendue concernant les résultats de ces contrôles, mais que la décision litigieuse réduit néanmoins les dépenses reconnues pour les années 2010 à 2012. La République tchèque estime qu’elle n’a pas pu se prononcer de manière suffisante sur cette circonstance.

101.

Aux points 110 à 114 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé sur le fait que la Cour a déjà jugé que, lorsque des irrégularités justifiant l’application d’une correction financière persistent après la date de la communication écrite des résultats des vérifications, la Commission est en droit et a même l’obligation de tenir compte de cette situation lorsqu’elle détermine la période sur laquelle doit porter la correction financière en cause ( 22 ).

102.

Dans sa motivation, le Tribunal n’est certes pas avare de paroles, mais il omet de souligner l’élément déterminant : lorsque la Commission étend une correction en raison de la poursuite de mesures non susceptibles de soutien au-delà de la période visée par un contrôle, l’État membre a en principe déjà disposé, dans le cadre du contrôle, de suffisamment d’occasions pour se prononcer sur la question de savoir si la mesure est conforme aux conditions d’admission.

103.

La République tchèque fait certes valoir de manière pertinente que, au niveau de la réduction du financement, la décision litigieuse ne va pas seulement au-delà de la période visée par le contrôle, mais qu’elle porte, de plus, non pas sur les années contrôlées, mais sur une période postérieure, tout à fait différente. Elle en déduit cependant à tort que la Commission a reconnu la légalité des mesures d’aide mises en œuvre au cours des années précédentes, de sorte que les auditions effectuées ne seraient plus suffisantes.

104.

Il résulte, au contraire, de la lettre du 22 avril 2014 que, pour ce qui concerne la période antérieure, la Commission avait effectivement supposé l’existence d’une confiance légitime de la République tchèque qui méritait protection. La Commission maintenait cependant son point de vue, selon lequel les mesures d’aide n’étaient pas conformes aux règles applicables en matière d’aides.

105.

Il convient par conséquent de rejeter l’argument de la République tchèque.

106.

La République tchèque reproche par ailleurs au Tribunal d’ignorer le fait que, entre-temps, la base juridique de l’aide a changé. Cependant, cette base juridique a été mentionnée dans la communication du 3 décembre 2012. Par la suite, la procédure de conciliation a fourni suffisamment d’occasions à la République tchèque pour se prononcer sur l’analyse de la Commission.

107.

De plus, la République tchèque fait valoir que c’est par la communication du 22 avril 2014 intervenue à la suite du rapport de l’organe de conciliation qu’elle a, pour la première fois, appris que la Commission reconnaît certes, dans son principe, que sa confiance dans la légalité des mesures d’aide est légitime et mérite protection, mais que cette légitimité n’existait plus du fait de la communication du 22 mars 2010. La République tchèque fait valoir qu’elle n’a pas pu se prononcer sur cet argument.

108.

Cette argumentation n’est pas non plus de nature à convaincre. Ainsi qu’il résulte notamment du rapport de l’organe de conciliation ( 23 ), la République tchèque avait déjà invoqué la protection de la confiance légitime avant la lettre du 22 avril 2014 et elle devait donc examiner la question de savoir quelles communications de la Commission pouvaient ébranler une telle confiance légitime. Elle aurait donc déjà pu se prononcer plus tôt sur ces questions à l’égard de la Commission. En tout cas, après cette communication de la Commission, la République tchèque disposait cependant encore d’au moins plusieurs mois pour réagir à la lettre avant que la Commission n’adopte finalement la décision litigieuse.

109.

De plus, la République tchèque est favorisée par cette première reconnaissance de l’existence d’une confiance légitime méritant protection. La Commission avait l’intention, précédemment, d’exclure des montants beaucoup plus élevés de l’aide. Cependant, une faveur qui est fondée sur l’argumentation de celui qui a été favorisé n’exige normalement pas de nouvelle audition.

110.

Au point 115 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a en outre constaté que l’extension de la correction financière n’exige pas l’application des dispositions procédurales prévues à l’article 11, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 885/2006.

111.

À cet égard, il convient de signaler que les règles de procédure du règlement no 885/2006, invoquées par la République tchèque, n’étaient plus applicables au moment de l’adoption de la décision litigieuse, à savoir le 16 janvier 2015. La Commission les avait déjà abrogées avec effet à compter du 31 décembre 2014 ( 24 ). Au moment en cause, on pouvait trouver des dispositions équivalentes à l’article 34 du règlement d’exécution no 908/2014.

112.

Ces dispositions, tout comme l’article 11 du règlement no 885/2006, n’exigent cependant absolument pas de manière contraignante que la Commission fonde les réductions du financement sur des enquêtes. Or, ce sont uniquement de telles enquêtes qui présupposent les procédures de consultation dont l’absence est critiquée par la République tchèque.

113.

Dans l’hypothèse où la Cour examinerait le troisième moyen, il conviendrait donc qu’elle le rejette dans son intégralité.

VI. Sur le recours devant le Tribunal

114.

Aux termes de l’article 61, paragraphe 1, du statut de la Cour, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

115.

Dans la présente espèce, l’affaire est prête à être jugée. En effet, en vertu des motifs exposés ci-dessus aux points 63 à 83, il convient de faire droit à la requête et d’annuler la décision litigieuse.

VII. Dépens

116.

Selon l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour statue sur les dépens lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, qui, en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, est applicable au pourvoi, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

117.

Comme la République tchèque a obtenu gain de cause et qu’elle a conclu dans le sens précité, il convient de condamner la Commission aux dépens.

VIII. Conclusion

118.

Nous proposons par conséquent à la Cour de décider comme suit :

1)

L’arrêt du 20 octobre 2016, République tchèque/Commission (T‑141/15, EU:T:2016:621), est annulé.

2)

La décision d’exécution (UE) 2015/103 de la Commission, du 16 janvier 2015, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) est annulée, dans la mesure où elle exclut du financement les dépenses de la République tchèque pour un montant total de 2123199,04 euros.

3)

La Commission européenne est condamnée aux dépens.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Règlement du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole, modifiant les règlements (CE) no 1493/1999, (CE) no 1782/2003, (CE) no 1290/2005 et (CE) no 3/2008, et abrogeant les règlements (CEE) no 2392/86 et (CE) no 1493/1999 (JO 2008, L 148, p. 1).

( 3 ) Règlement du Conseil du 17 mai 1999 portant organisation commune du marché vitivinicole (JO 1999, L 179, p. 1).

( 4 ) Règlement d’exécution de la Commission du 8 mars 2013 modifiant le règlement (CE) no 555/2008 en ce qui concerne la soumission des programmes d’aide dans le secteur vitivinicole et les échanges avec les pays tiers (JO 2013, L 67, p. 10).

( 5 ) Règlement de la Commission du 27 juin 2008 fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 479/2008 du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole, en ce qui concerne les programmes d’aide, les échanges avec les pays tiers, le potentiel de production et les contrôles dans le secteur vitivinicole (JO 2008, L 170, p. 1).

( 6 ) Règlement du Conseil du 21 juin 2005 relatif au financement de la politique agricole commune (JO 2005, L 209, p. 1).

( 7 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549).

( 8 ) Règlement de la Commission du 21 juin 2006 portant modalités d’application du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil en ce qui concerne l’agrément des organismes payeurs et autres entités ainsi que l’apurement des comptes du FEAGA et du Feader (JO 2006, L 171, p. 90), dans la version du règlement d’exécution (UE) no 375/2012 de la Commission du 2 mai 2012 modifiant le règlement (CE) no 885/2006 (JO 2012, L 118, p. 4).

( 9 ) Règlement d’exécution de la Commission du 6 août 2014 portant modalités d’application du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les règles relatives aux contrôles, les garanties et la transparence (JO 2014, L 255, p. 59).

( 10 ) JO 2015, L 16, p. 33.

( 11 ) Arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C‑136/92 P, EU:C:1994:211, point 59) ; du 1er février 2007, Sison/Conseil (C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 95), et du 16 novembre 2017, Ludwig-Bölkow-Systemtechnik/Commission (C‑250/16 P, EU:C:2017:871, point 29). Voir également article 170, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement de procédure.

( 12 ) Arrêt du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a. (C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 102).

( 13 ) Point 63 de la requête.

( 14 ) Point 10 du mémoire en réplique devant le Tribunal.

( 15 ) Arrêts du 7 février 1979, Pays-Bas/Commission (11/76, EU:C:1979:28, point 8) ; du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (C‑48/91, EU:C:1993:871, point 14) ; du 6 mars 2001, Pays-Bas/Commission (C‑278/98, EU:C:2001:124, point 38) ; du 24 février 2005, Grèce/Commission (C‑300/02, EU:C:2005:103, point 32), et du 6 novembre 2014, Pays-Bas/Commission (C‑610/13 P, non publié, EU:C:2014:2349, point 59).

( 16 ) Arrêts du 30 septembre 2009, Pays-Bas/Commission (T‑55/07, EU:T:2009:371, point 97), et du 25 février 2015, Pologne/Commission (T‑257/13, EU:T:2015:111, point 53), ce dernier ayant été confirmé de manière implicite par l’arrêt du 7 juillet 2016, Pologne/Commission (C‑210/15 P, non publié, EU:C:2016:529, point 43). Voir également l’affaire pendante C‑120/17, Ministru kabinets (JO 2017, C 168, p. 23).

( 17 ) Voir points 84 et suivants des présentes conclusions.

( 18 ) Arrêts du 15 décembre 1987, Danemark/Commission (348/85, EU:C:1987:552, point 19), et du 21 juin 2007, ROM-projecten (C‑158/06, EU:C:2007:370, points 25 et 26).

( 19 ) Arrêts du 27 janvier 1988, Danemark/Commission (349/85, EU:C:1988:34, point 16) ; ainsi que du 1er octobre 1998, Royaume-Uni/Commission (C‑209/96, EU:C:1998:448, point 35) ; France/Commission (C‑232/96, EU:C:1998:449, point 37) ; Danemark/Commission (C‑233/96, EU:C:1998:450, point 38) ; Irlande/Commission (C‑238/96, EU:C:1998:451, point 81), et Italie/Commission (C‑242/96, EU:C:1998:452, point 29).

( 20 ) Voir, par exemple, arrêts du 16 décembre 1987, Delauche/Commission (111/86, EU:C:1987:562, point 24) ; du 18 juillet 2007, AER/Karatzoglou (C‑213/06 P, EU:C:2007:453, point 33), et du 9 novembre 2017, LS Customs Services (C‑46/16, EU:C:2017:839, point 35).

( 21 ) Points 74 à 77.

( 22 ) Arrêt du 9 janvier 2003, Grèce/Commission (C‑157/00, EU:C:2003:5, point 45).

( 23 ) Annexe A.11 à la requête devant le Tribunal.

( 24 ) Article 44, point c), du règlement délégué (UE) no 907/2014 de la Commission du 11 mars 2014 complétant le règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les garanties et l’utilisation de l’euro (JO 2014, L 255, p. 18).