DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)
22 mars 2018 (*)
« Médicaments à usage humain – Validation d’une demande de désignation en tant que médicament orphelin – Bénéfice notable – Décision de l'EMA refusant de valider la demande de désignation comme médicament orphelin – Article 3, paragraphe 1, sous b), et article 5, paragraphes 1, 2 et 4 du règlement (CE) no 141/2000 »
Dans l’affaire T‑80/16,
Shire Pharmaceuticals Ireland Ltd, établie à Dublin (Irlande), représentée par MM. D. Anderson, QC, M. Birdling, barrister, G. Castle et Mme S. Cowlishaw, solicitors,
partie requérante,
contre
Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par M. T. Jabłoński, Mmes N. Rampal Olmedo et M. Tovar Gomis, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Commission européenne, représentée par Mme K. Petersen et M. A. Sipos, en qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de l'EMA du 15 décembre 2015 refusant de valider la demande soumise par Shire Pharmaceuticals Ireland afin d’obtenir la désignation de l'Idursulfase–IT comme médicament orphelin,
LE TRIBUNAL (septième chambre),
composé de Mme V. Tomljenović, président, MM. E. Bieliūnas et A. Kornezov (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 11 décembre 2001, la Commission européenne a adopté une décision par laquelle l'« iduronate-2-sulfatase », appelé aussi communément « idursulfase », a été désigné comme médicament orphelin pour le traitement de la maladie mucopolysaccharidose de type II (syndrome de Hunter) (ci-après la « maladie de Hunter » ou la « MPS II ») et a été inscrit au registre des médicaments orphelins de l’Union européenne conformément au règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1) (ci-après la « décision de désignation de 2001 »).
2 Le 8 janvier 2007, la Commission a délivré à la société Shire Human Genetic Therapies AB une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») du médicament Elaprase, contenant la substance active idursulfase, pour le traitement de la maladie de Hunter. L'Elaprase est administré sous une forme concentrée dans une solution à diluer pour injection intraveineuse.
3 Les sociétés du groupe Shire (ci-après, prises ensemble, « Shire »), dont font partie Shire Human Genetic Therapies et la requérante, Shire Pharmaceuticals Ireland Ltd, ont entamé parallèlement le développement d’un autre médicament contenant la même substance active, l’idursulfase et permettant d’acheminer celle-ci directement dans le liquide cérébro-spinal par la voie d’une injection intrathécale (ci-après l'« Idursulfase–IT ») en raison d’un besoin clinique non satisfait concernant le traitement d’une partie des patients souffrant de la maladie de Hunter, à savoir ceux atteints d’une forme sévère de celle-ci présentant des troubles cognitifs. Shire a communiqué à plusieurs reprises son intention de déposer une demande de désignation de ce médicament en tant que médicament orphelin à l’Agence européenne des médicaments (EMA).
4 Par lettres des 21 janvier et 17 mars 2010, Shire a demandé une assistance à l'EMA aux fins de l’élaboration de protocoles pour le développement de l'Idursulfase–IT, comme cela a été suggéré par l'EMA dans un courrier électronique du 12 février 2009. L’assistance demandée a été accordée le 20 mai 2010.
5 Le 26 août 2013, la requérante a déposé auprès de l'EMA une demande de désignation de l'Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin pour le traitement des « troubles cognitifs chez les patients atteints de la maladie de Hunter » (ci-après la « demande de 2013 »). La requérante a fondé cette demande sur la prémisse que les troubles cognitifs pouvant se présenter avec la maladie de Hunter constituaient une affection médicale distincte de la maladie de Hunter.
6 Le 28 octobre 2013, l'EMA a communiqué à la requérante son refus de valider la demande de 2013, au motif que les troubles cognitifs pouvant se présenter avec la maladie de Hunter, pour le traitement de laquelle une AMM du médicament Elaprase avait déjà été délivrée, ne constituaient pas une affection médicale distincte, mais une forme sévère de celle-ci (ci-après la « décision de 2013 »). La décision de 2013 n’a pas été contestée par la requérante.
7 Le 17 septembre 2015, une réunion a eu lieu en présence des représentants de l'EMA et de Shire au sujet de l’intention de ce dernier de déposer une nouvelle demande pour la désignation de l'Idursulfase–IT comme médicament orphelin, fondée cette fois-ci sur la prémisse qu’il s’agissait d’un nouveau médicament qui procurerait un bénéfice notable pour le traitement de la maladie de Hunter par rapport aux traitements existants, y compris par rapport à l'Elaprase, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000. Lors de cette réunion, l'EMA a indiqué que, dans la mesure où l'Idursulfase–IT contenait la même substance active que celle ayant fait l’objet de la décision de désignation de 2001, à savoir l'idursulfase, elle ne serait pas en mesure de valider une telle demande.
8 Le 25 novembre 2015, la requérante a, néanmoins, déposé une demande de désignation de l'Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin en relevant que ce nouveau médicament procurerait un bénéfice notable aux personnes atteintes de la maladie de Hunter au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000 (ci-après la « demande de 2015 »).
9 Par lettre du 15 décembre 2015, l'EMA a refusé de valider la demande de 2015 (ci-après la « décision attaquée ») en considérant que celle-ci n’était pas conforme à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, aux motifs suivants :
– la substance active idursulfase a reçu la désignation de médicament orphelin pour le traitement de la maladie de Hunter en 2001 et une AMM en tant que médicament orphelin pour l’Elaprase a été délivrée en janvier 2007 pour le traitement de patients souffrant de la maladie de Hunter ;
– la décision de désignation de 2001 se réfère en termes généraux à l’idursulfase sans pour autant spécifier une forme particulière d’administration et, dès lors, le produit faisant l’objet de la demande, à savoir l'Idursulfase–IT, serait couvert par cette désignation et pourrait seulement bénéficier des mesures d’incitation en découlant ;
– selon la section C, point 1, de la communication de la Commission relative au règlement no 141/2000 (JO 2003, C 178, p. 2, ci-après la « communication de 2003 »), « dans les cas où l’indication thérapeutique approuvée par la procédure d’AMM constitue un sous-ensemble de la condition orpheline désignée, le titulaire de l’AMM bénéficiera de l’exclusivité commerciale pour ce produit, pour cette indication. Si le même promoteur sollicite ultérieurement une AMM portant sur un deuxième sous-ensemble de la condition orpheline désignée, le produit ne bénéficiera pas d’une période supplémentaire d’exclusivité commerciale pour cette deuxième indication autorisée, autrement dit, la deuxième indication autorisée sera couverte par l’exclusivité commerciale accordée lors de l’autorisation initiale » ;
– en mai 2010, Shire a reçu une assistance de la part de l'EMA pour le développement d’une forme intrathécale de l'idursulfase dans le cadre de la décision de désignation de 2001.
Procédure et conclusions des parties
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 février 2016, la requérante a introduit le présent recours.
11 Le 20 mai 2016, l'EMA a déposé son mémoire en défense au greffe du Tribunal.
12 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 mai 2016, la Commission a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de l’EMA. Par décision du 24 juin 2016, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis cette intervention. L’intervenante a déposé son mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.
13 Le 7 juillet 2016, la requérante a déposé sa réplique au greffe du Tribunal.
14 Le 12 septembre 2016, l'EMA a déposé au greffe du Tribunal sa duplique.
15 Par décision du président du Tribunal, la présente affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur, siégeant dans la septième chambre.
16 Par lettres du greffe du 5 mai 2017, le Tribunal a adressé, au titre des mesures d’organisation de la procédure, des questions écrites aux parties, qui ont répondu dans les délais impartis.
17 Aucune demande de fixation d’une audience n’ayant été présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure.
18 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner l'EMA aux dépens.
19 L'EMA et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ;
– à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité
20 L'EMA excipe de l’irrecevabilité du recours au motif que la décision attaquée serait purement confirmative de la décision de 2013. Elle fait valoir à cet égard que les deux décisions seraient fondées sur l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000 et sur le même motif de refus, à savoir que l'idursulfase avait déjà été désigné, en 2001, comme médicament orphelin pour le traitement de la maladie de Hunter. Or, la décision attaquée ne comporterait, dans son raisonnement justifiant le refus de validation, aucun élément nouveau par rapport à ceux contenus dans la décision de 2013.
21 La requérante conteste les arguments de l’EMA.
22 Selon une jurisprudence bien établie, une décision est purement confirmative d’une décision antérieure si elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur et si elle n’a pas été précédée d’un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur (ordonnances du 29 avril 2004, SGL Carbon/Commission, T‑308/02, EU:T:2004:119, point 51, et du 24 mai 2011, Royaume-Uni/Commission, T‑115/10, non publiée, EU:T:2011:242, point 25).
23 Toutefois, le caractère confirmatif ou non d’un acte ne saurait être apprécié uniquement en fonction de son contenu par rapport à celui de la décision antérieure qu’il confirmerait. En effet, il y a lieu également d’apprécier le caractère de l’acte attaqué au regard de la nature de la demande à laquelle cet acte répond (voir arrêt du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, EU:T:2001:42, point 45 et jurisprudence citée, et ordonnance du 29 avril 2004, SGL Carbon/Commission, T‑308/02, EU:T:2004:119, point 52 et jurisprudence citée).
24 En l’espèce, il y a lieu de constater que la demande de 2015 était fondée sur un des critères de désignation prévus par l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, différent de celui sur lequel était fondée la demande de 2013. De même, la décision de 2013 et la décision attaquée ont été assises sur des motifs, en partie, différents.
25 Il convient de relever à cet égard que l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000 prévoit des critères alternatifs pour la désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin, à savoir qu’il n’existe pas de méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de cette affection ayant été autorisée dans l’[Union] (ci-après le « critère de désignation prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous b), première hypothèse, du règlement no 141/2000 »), ou, s'il en existe, que le médicament en question procurera un bénéfice notable à ceux atteints de cette affection (ci-après le « critère de désignation prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000 »).
26 Or, il ressort clairement de la demande de 2013 que celle-ci était fondée sur la prémisse que les troubles cognitifs se présentant avec la maladie de Hunter constituaient une maladie distincte de la maladie de Hunter elle-même pour laquelle il n’existait pas d’autres méthodes de traitement antérieurement autorisées. En effet, le courrier électronique accompagnant la demande de 2013 indiquait que celle-ci visait le traitement de la « maladie cognitive chez les patients atteints de MPS II » et, au point A.1 de la demande de 2013, il était expliqué que certains patients souffrant de la maladie de Hunter étaient également affectés par une « maladie cognitive présentant des caractéristiques différentes qui [requéraient] une modalité de traitement différente » et que cette « maladie cognitive » était une « condition médicale distincte » de la maladie de Hunter. La requérante avait précisé, dans sa demande, qu'elle présentait à cet égard des données susceptibles de démontrer ces affirmations. Aux points D.1 et D.3. de ladite demande, le promoteur avait indiqué qu’il n’y avait pas d’autres méthodes pour le traitement de cette maladie cognitive et que, par voie de conséquence, le critère relatif au « bénéfice notable » n’était pas applicable à sa demande. Il peut donc en être déduit que la demande de 2013 était fondée sur le critère de désignation prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous b), première hypothèse, du règlement no 141/2000.
27 Dans la décision de 2013, l'EMA a constaté que les troubles cognitifs chez les patients atteints de MPS II ne constituaient pas une maladie distincte de la maladie de Hunter, mais constituaient une forme sévère de cette dernière. Par conséquent, l'EMA a considéré que la demande ne pouvait être validée au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, pour autant qu’elle ait été présentée, pour la même indication, après l’AMM de l'Elaprase.
28 En revanche, la demande de 2015 était fondée sur la prémisse que l'Idursulfase–IT était un nouveau médicament qui procurerait un « bénéfice notable » aux patients atteints de la maladie de Hunter par rapport aux méthodes de traitement existantes, y compris par rapport à l'Elaprase, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000. En effet, il ressort, d’une part, de la lettre accompagnant la demande de 2015 et du tableau joint à cette demande que, à la différence de la demande de 2013, l’indication orpheline était décrite comme la « maladie de Hunter ». D’autre part, il ressort des points D.1 et D.3 de la demande de 2015 qu'il existait un traitement autorisé pour cette maladie, à savoir l'Elaprase et que le nouveau médicament Idursulfase–IT procurerait un bénéfice notable par rapport au premier médicament.
29 Cela est également attesté dans le procès-verbal de la réunion du 17 septembre 2015 (voir point 7 ci-dessus), auquel il est fait référence dans la décision attaquée, dont il ressort que l'EMA était consciente de l’intention de Shire de demander le réexamen de la désignation de l'Idursulfase–IT comme médicament orphelin, en invoquant, cette fois-ci, l’existence d’un éventuel bénéfice notable procuré par ce nouveau médicament au regard des méthodes de traitement existantes, y compris l'Elaprase. En outre, Shire a indiqué, lors de cette réunion, que cette approche tenait compte de la décision de 2013.
30 Ainsi, la décision attaquée, à la différence de la décision de 2013, n’était pas motivée par la conclusion que les troubles cognitifs ne constituaient pas une affectation distincte de la maladie de Hunter, mais par la circonstance que le nouveau produit que Shire avait l’intention de développer, à savoir l'Idursulfase–IT, était déjà couvert par la décision de désignation de 2001, laquelle s’appliquait de façon générale à la substance active idursulfase.
31 Dans ces conditions, la décision attaquée ne saurait être considérée comme étant purement confirmative de celle de 2013 et, par voie de conséquence, l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.
Sur le fond
Arguments des parties
32 La requérante invoque au soutien de son recours un moyen unique, tiré d’une interprétation et d’une application erronée du règlement no 141/2000. Ce moyen est décliné en six branches.
33 Selon la première branche, l'EMA n’aurait pas pris en compte la nature purement procédurale de la vérification de la validité de la demande de 2015. Or, dans les circonstances de l’espèce, la demande de 2015 ayant été présentée avant la demande d’AMM de l'Idursulfase–IT et ayant été accompagnée des renseignements et des documents requis au titre de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 141/2000, l'EMA se serait trouvée dans l’obligation de valider la demande, conformément à l’article 5, paragraphe 4, de ce règlement. La décision de validation aurait eu pour seul effet de déclencher la procédure prévue à l’article 5, paragraphes 5 à 8, du règlement no 141/2000, dans le but de vérifier si les critères de désignation, établis à l’article 3, paragraphe 1, du même règlement, étaient satisfaits. Or, dans la décision attaquée, l'EMA aurait pris en considération des éléments dont elle n’aurait pas dû tenir compte à un stade purement formel de la procédure de désignation, tels que la validation d’une demande de désignation. En effet, la question de savoir si les critères de désignation sont remplis doit être examinée non pas au stade de la validation de la demande, mais lors de l’étape suivante de la procédure, conformément à l’article 5, paragraphes 5 à 8, du règlement no 141/2000.
34 La deuxième branche, soulevée à titre subsidiaire, porte sur l’application erronée par l'EMA des critères de désignation de l'Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin.
35 Par sa troisième branche, la requérante fait valoir que l'EMA aurait mis à tort l’accent sur le fait que tant l'Elaprase que l'Idursulfase–IT contenaient la même substance active. En effet, la notion de « substance active » serait différente de celle de « médicament », cette première notion ne se rapportant qu’à l’un des éléments, parmi d’autres, d’un médicament. Ainsi, le fait que la substance active du médicament Idursulfase–IT est également la substance active de l’Elaprase n’aurait aucune conséquence sur le plan juridique pour ce qui est de la désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin, pour autant que, comme en l’espèce, il s’agisse de médicaments différents.
36 Par sa quatrième branche, la requérante soutient que la décision attaquée serait erronément fondée sur la section C, point 1, de la communication de 2003, dès lors que cette section concernait la délivrance d’une AMM et non les critères de désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, ni les critères de validation d’une demande de désignation comme médicament orphelin au sens de l’article 5, paragraphe 4, dudit règlement.
37 Par sa cinquième branche, la requérante fait valoir que, dans les circonstances de l’espèce, le fait qu’elle avait reçu une assistance à l’élaboration de protocoles pour l'Idursulfase–IT en 2010 de la part de l’EMA ne saurait signifier qu’elle avait renoncé à son droit d’obtenir ultérieurement le statut de médicament orphelin pour ce médicament.
38 La sixième branche, qui, selon la requérante, viendrait renforcer les autres branches du moyen unique, est tirée d’une méconnaissance des objectifs du règlement no 141/2000. La requérante soutient que la décision attaquée compromet l’objectif du règlement no 141/2000 visant à encourager la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments orphelins, dès lors qu’elle refuse la validation même de la demande de désignation de l'Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin, en privant ainsi la requérante de la possibilité de prouver, sur le fond, que ce médicament procurerait un bénéfice notable aux patients atteints de la maladie de Hunter au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, dudit règlement et alors même que la requérante aurait développé ce médicament en réalisant des recherches propres à celui-ci et en y consacrant des investissements considérables.
39 L'EMA, soutenue par la Commission, rétorque, premièrement, que la vérification d’une demande de désignation d’un médicament comme médicament orphelin conformément à l’article 5, paragraphe 4, du règlement no 141/2000 consiste à contrôler que les renseignements et les documents requis à l’article 5, paragraphe 2, du même règlement ont été fournis et qu’aucune demande d’AMM n’a été déposée au préalable. Toutefois, en l’espèce, le promoteur, la substance active et l’indication thérapeutique mentionnés dans la demande de 2015 étaient identiques à ceux cités dans la décision de désignation de 2001. Ainsi, l'Idursulfase–IT serait couvert par la décision de désignation de 2001. Or, le dispositif de la décision de désignation de 2001 se référant, en termes généraux, à l'« iduronate-2-sulfatase », la Commission ne saurait adopter une seconde décision avec le même dispositif.
40 En outre, dans l’arrêt du 9 septembre 2010, CSL Behring/Commission et EMA (T‑264/07, EU:T:2010:371), le Tribunal aurait déjà rejeté le recours en annulation d’une décision refusant de valider une demande de désignation en tant que médicament orphelin au motif que la requérante était titulaire d’une AMM pour le médicament en question, reconnaissant ainsi que l'EMA est en droit de refuser la validation si certaines conditions ne sont pas remplies.
41 Deuxièmement, l'EMA fait valoir qu’elle n’a pas, dans la décision attaquée, contrairement à ce que soutient la requérante, considéré que les conditions de désignation de l'Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin n’étaient pas remplies.
42 Troisièmement, s'il est vrai que les articles 3 et 5 du règlement no 141/2000 font référence à la notion de « médicament », il n’en resterait pas moins que la « substance active » aurait une importance fondamentale dans l’interprétation du terme « médicament ». L'AMM de l'Elaprase de 2007 n’aurait pas modifié la portée de la décision de désignation de 2001, dont le champ d’application serait plus large que l'AMM. En effet, lors de la demande de désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin, ce médicament se trouverait, en principe, à un stade précoce de développement, de sorte que sa concentration, sa formulation ou sa forme pharmaceutique, qui seront utilisées chez l’être humain, ne seraient pas encore définies. En l’espèce, la désignation orpheline initiale était rédigée et inscrite au registre des médicaments orphelins de l’Union sous le numéro EU/3/01/078 comme suit : « [l]e médicament “iduronate-2-sulfatase” est désigné comme médicament orphelin pour l’indication : Traitement des mucopolysaccharidoses de type II (syndrome de Hunter) ».
43 Dans ses réponses aux mesures d’organisation de la procédure, l'EMA précise que, selon elle, la substance active, le promoteur et l’indication orpheline seraient les éléments qui permettent d’identifier le médicament désigné. La Commission ajoute à cet égard, en faisant référence aux conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2016:1003), qu’il convenait d’opérer une distinction entre les éléments constitutifs et les éléments variables d’une AMM d’un médicament, les éléments susmentionnés étant, selon cette institution, les éléments constitutifs d’un médicament. Or, la même approche devrait être suivie dans la présente affaire. En outre, l'EMA maintient que d’éventuels développements et améliorations ultérieurs du médicament autorisé pourraient alors être couverts par la désignation orpheline initiale. En l’espèce, les différences de composition entre l'Elaprase et l'Idursulfase–IT seraient insignifiantes et viseraient à adapter ce dernier à la voie d’administration intrathécale. Ainsi, l'Idursulfase–IT devrait plutôt faire l’objet d’une éventuelle demande d’extension de l’AMM de l’Elaprase, conformément au règlement (CE) no 1234/2008 de la Commission, du 24 novembre 2008, concernant l’examen des modifications des termes d’une AMM de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires et à l’annexe I dudit règlement (JO 2008, L 334, p. 7), au titre de modifications du dosage et de la voie d’administration.
44 L’EMA et la Commission affirment, en outre, en faisant référence à l’article 2, paragraphe 4, sous b), du règlement (CE) no 847/2000 de la Commission, du 27 avril 2000, établissant les dispositions d'application des critères de désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin et définissant les concepts de « médicament similaire » et de « supériorité clinique » (JO 2000, L 103, p. 5), que, si un autre promoteur avait déposé la même demande de désignation, c’est-à-dire une demande visant la désignation de l’Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin pour le traitement de la maladie de Hunter, l’EMA l’aurait validée, pourvu que les exigences prévues à l’article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement no 141/2000 aient été remplies. Toutefois, un tel traitement différencié des promoteurs ne serait pas contraire au principe d’égalité de traitement, puisqu’un autre promoteur se trouverait dans une situation différente de celle dans laquelle se trouve la requérante.
45 Quatrièmement, l'EMA précise que la décision attaquée est fondée sur l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000 et non pas sur la section C, point 1, de la communication de 2003. Elle indique, néanmoins, que la référence à cette dernière est correcte et pertinente, dans la mesure où toute demande de désignation comme médicament orphelin est formulée dans l’espoir de pouvoir obtenir ultérieurement une AMM.
46 Cinquièmement, la décision attaquée mentionnerait le fait que Shire avait obtenu, en 2010, une assistance à l’élaboration de protocoles pour l'Idursulfase–IT uniquement pour montrer que ce médicament relevait du champ d’application de la décision de désignation de 2001. Elle précise, toutefois, que la décision attaquée n’était pas fondée sur cette circonstance.
47 Enfin, selon l'EMA, l’octroi de désignations multiples pour la même substance active dans le but d’obtenir par la suite une période d’exclusivité commerciale supplémentaire pour les développements de produits portant sur la même indication thérapeutique orpheline pourrait créer une incitation détournée à retarder la mise sur le marché des produits améliorés jusqu’à l’expiration de la période d’exclusivité commerciale pour le premier développement, ce qui n’est pas dans l’intérêt des patients souffrant de maladies rares. La requérante ne saurait, dès lors, bénéficier d’une « duplication » de l’exclusivité commerciale, car cela reviendrait à abuser de l’application des dispositions du règlement no 141/2000.
Appréciation du Tribunal
48 Il convient d’examiner ensemble les arguments soulevés dans le cadre des six branches du moyen unique, tiré d’une interprétation et d’une application erronée du règlement no 141/2000, dans la mesure où ils portent tous, en substance, sur la méconnaissance par l'EMA de l’article 5, paragraphes 1, 2 et 4, dudit règlement et des objectifs sous-tendant celui-ci.
49 Il y a lieu de relever d’emblée que le règlement no 141/2000 prévoit des procédures spécifiques et distinctes concernant, d’une part, la désignation de médicaments en tant que médicaments orphelins et, d’autre part, l’AMM de ces médicaments.
50 La procédure concernant la désignation de médicaments en tant que médicaments orphelins, en cause dans le présent litige, se déroule en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le promoteur soumet au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, une demande à l’EMA, à tout stade du développement du médicament, mais avant le dépôt de la demande d'AMM. L’article 5, paragraphe 2, du règlement no 141/2000 contient la liste exhaustive des renseignements et des documents qui doivent accompagner ladite demande, à savoir : premièrement, le nom ou la dénomination sociale et l’adresse permanente du promoteur ; deuxièmement, les principes actifs du médicament ; troisièmement, l’indication thérapeutique proposée et, quatrièmement, la justification que les critères figurant à l’article 3, paragraphe 1, du même règlement sont remplis ainsi que la description de l’état du développement, y compris les indications envisagées.
51 L'EMA est appelée à vérifier, à ce stade de la procédure, la validité de cette demande, conformément à l’article 5, paragraphe 4, du règlement no 141/2000. Ainsi, elle doit contrôler, d’une part, si la demande a été présentée à tout stade du développement du médicament avant le dépôt de la demande d’AMM, comme l’exige l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement et, d’autre part, si la demande est accompagnée des renseignements et des documents énumérés à l’article 5, paragraphe 2, du même règlement. À l’issue de cette vérification, l'EMA peut, si nécessaire, demander au promoteur de compléter les renseignements et les documents fournis à l’appui de la demande. Si celle-ci est conforme aux exigences prévues à l’article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement no 141/2000, l’EMA est tenue de la valider et de la transmettre, ensuite, au comité des médicaments orphelins.
52 La vérification de la validité de la demande, effectuée par l’EMA au titre de l’article 5, paragraphe 4, du règlement no 141/2000, revêt ainsi une nature purement administrative, ainsi qu’en conviennent explicitement l’ensemble des parties à la présente procédure.
53 En effet, ce n’est que dans un deuxième temps que le comité des médicaments orphelins adopte, conformément à l’article 5, paragraphes 5 à 7, du règlement no 141/2000, un avis sur la question de savoir si le médicament faisant l’objet de la demande de désignation comme médicament orphelin satisfait aux critères établis à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, à savoir, notamment, si ledit médicament procurera un bénéfice notable aux patients atteints d’une affection pour laquelle une méthode satisfaisante de traitement a été déjà autorisée. Il appartient, en définitive, à la Commission d’adopter une décision sur la désignation d’un médicament comme médicament orphelin, conformément à l’article 5, paragraphe 8, du règlement no 141/2000. Aux termes de l’article 5, paragraphe 9, du même règlement, le médicament désigné est inscrit au registre des médicaments orphelins de l’Union.
54 En l’espèce, il est constant que la décision attaquée n’est pas fondée sur une méconnaissance de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 141/2000. En revanche, l'EMA a refusé de valider la demande de 2015 au motif que la requérante avait déjà obtenu, en 2001, une désignation orpheline pour l'idursulfase pour le traitement de la maladie de Hunter et qu’une AMM lui avait été octroyée en 2007 pour le médicament orphelin Elaprase, de sorte que ladite demande ne remplissait pas la condition énoncée à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, selon laquelle la demande doit être présentée « à tout stade du développement du médicament avant le dépôt de la demande d’[AMM] ».
55 À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que, au moment du dépôt de la demande de 2015, l'Idursulfase–IT était toujours au stade de développement et qu’aucune demande d’AMM n’avait été déposée pour celui-ci, ce qui n’est d'ailleurs pas contesté par les parties.
56 En deuxième lieu, il convient de vérifier si le fait que la requérante avait déjà obtenu une AMM pour le médicament orphelin Elaprase, contenant la même substance active que celle contenue dans l’Idursulfase–IT, pour le traitement de la maladie de Hunter, faisait obstacle à la validation de la demande de 2015 au motif que la condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000 n’était pas remplie.
57 À cet égard, il convient de relever que le seul fait que tant l’Elaprase que l’Idursulfase–IT contiennent la même substance active ne signifie pas nécessairement qu’il s’agisse du même médicament.
58 En effet, ainsi que la requérante le fait valoir à juste titre, les termes « médicament » et « substance active » couvrent deux notions distinctes. Le terme « médicament » est défini à l’article 1er, point 2, de la directive 2001/83 du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67) , auquel renvoie l’article 2, sous a), du règlement no 141/2000, lu conjointement avec l’article 128 de cette directive. Selon cette définition, « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines » ou « toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical » constitue un « médicament » (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, D.et G., C‑358/13 et C‑181/14, EU:C:2014:2060, point 27).
59 Le terme « substance active » est défini, quant à lui, à l’article 1er, point 3 bis, de la directive 2001/83 comme étant « toute substance ou tout mélange de substances destiné à être utilisé pour la fabrication d’un médicament et qui, lorsqu’[il est] utilisé pour sa production, devient un composant actif dudit médicament exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques, ou d’établir un diagnostic médical ».
60 Par ailleurs, ainsi que le fait valoir la requérante, sans être contredit sur ce point par l'EMA, un médicament contient également, outre une ou plusieurs substances actives, des excipients, ceux-ci étant définis à l’article 1er, point 3 ter, de la directive 2001/83, comme « tout composant d’un médicament, autre qu’une substance active et les matériaux d’emballage ».
61 Il s’ensuit que, si la substance active est, certes, l’un des composants voire le composant principal d’un médicament au sens de la réglementation applicable (voir points 58 et 59 ci-dessus), elle ne saurait être confondue avec le médicament lui-même.
62 En l’espèce, il ressort du dossier dont dispose le Tribunal, notamment de la demande de 2015, que l'Idursulfase–IT se distinguerait de l'Elaprase par sa composition, sa voie d’administration et ses effets thérapeutiques. S’agissant de la composition de l'Idursulfase–IT, il est constant entre les parties que, même s’il contient la même substance active que l’Elaprase, leurs compositions respectives diffèrent en ce que ce premier médicament ne contiendrait que trois des cinq excipients contenus dans le second. Quant à l’administration envisagée de l'Idursulfase–IT, celle-ci se ferait à l’aide d’une chambre implantable sous la peau du patient à l’endroit où le médicament est injecté et d’un cathéter qui relie la chambre au canal rachidien, permettant ainsi aux professionnels de la santé d’administrer régulièrement celui-ci sans devoir introduire à chaque fois une aiguille dans le canal rachidien du patient. L'Idursulfase–IT pourrait ainsi, à la différence de l’Elaprase, franchir la barrière hémato-encéphalique et atteindre le cerveau des patients.
63 S’agissant de ses effets thérapeutiques, l'Idursulfase–IT permettrait, selon les données figurant dans la demande de 2015, un traitement des troubles cognitifs se manifestant chez une partie des patients atteints de la maladie de Hunter. Ces patients auraient généralement un pronostic vital d’une ou de deux décennies, alors que les patients atteints de la même maladie, mais ne souffrant que de troubles somatiques auraient une espérance de vie généralement plus longue, à savoir de deux ou de trois décennies. Or, tandis que l’Elaprase serait efficace pour lutter contre les troubles somatiques, il ne le serait pas en ce qui concerne les troubles cognitifs, lesquels se présenteraient chez les patients affectés d’une forme sévère de la maladie de Hunter. Ainsi, selon la demande de 2015, l'Idursulfase–IT ne remplacerait pas l'Elaprase, mais constituerait un traitement complémentaire pour les patients souffrants de troubles cognitifs, ce que confirme d’ailleurs la décision attaquée en admettant que l'Idursulfase–IT serait administré « en combinaison avec » l’Elaprase.
64 Compte tenu de ce qui précède, il n’apparaît pas, au stade de la validation de la demande de 2015, que l'Idursulfase–IT soit le même médicament que l’Elaprase. La question de savoir si les différences énumérées aux points 62 et 63 ci-dessus sont « insignifiantes » ainsi que le fait valoir l'EMA est une question d’ordre scientifique qui ne fait pas l’objet du contrôle de la validité d’une demande de désignation comme médicament orphelin au titre de l’article 5, paragraphe 4, du règlement no 141/2000.
65 Dans ces circonstances, l’EMA ne pouvait refuser de valider la demande de 2015 au motif que la requérante avait obtenu une AMM pour le médicament orphelin Elaprase.
66 En troisième lieu, s’agissant de l’argument évoqué dans la décision attaquée, selon lequel la décision de désignation de 2001 portait de façon générale sur la substance active idursulfase, sans davantage de précision, de sorte que cette décision couvrirait également le médicament faisant l’objet de la demande de 2015, il y a lieu de relever qu’il est tout à fait normal que, lorsqu’une demande de désignation comme médicament orphelin est déposée au stade du développement d’un médicament, celui-ci soit décrit par rapport à sa substance active, constat sur lequel les parties s’accordent. Ce n’est, en effet, qu’à un stade ultérieur de son développement que le médicament en question se concrétise aux fins de sa future mise sur le marché. C’est ainsi que la décision de désignation de 2001, visant la substance active idursulfase, a donné lieu au développement du médicament Elaprase contenant ladite substance active. Toutefois, admettre qu’une désignation initialement formulée, au stade du développement d’un médicament, de façon large et visant une substance active sans plus de précisions puisse empêcher toute demande ultérieure de désignation d’un nouveau médicament contenant la même substance active, et ce au stade de la validation d’une telle demande, irait à l’encontre tant de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000 que de l’objectif et de l’économie générale dudit règlement.
67 En effet, il ne résulte ni du libellé de l’article 5 du règlement no 141/2000, sur lequel la décision attaquée est fondée, ni du contexte dans lequel cette disposition s’insère, ni de l’économie générale du même règlement, qu’un promoteur ne puisse demander la désignation en tant que médicament orphelin d’un médicament contenant la même substance active qu’un autre médicament autorisé à son nom pour la même indication, pourvu qu’il puisse prouver, ainsi que l’exige l’article 5, paragraphe 2, sous d), du règlement no 141/2000 que, notamment, le critère de désignation prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000 est rempli.
68 À cet égard, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000 qu’un médicament peut être désigné comme orphelin même s’il existe un traitement pour l’affection en question, à condition qu’il représente un bénéfice notable pour les personnes atteintes de cette affection (arrêt du 22 janvier 2015, Teva Pharma et Teva Pharmaceuticals Europe/EMA, T‑140/12, EU:T:2015:41, point 64). Or, la démonstration d’un bénéfice notable s’inscrit dans une analyse comparative avec une méthode ou un médicament existant et autorisé. En effet, l'« avantage important sur le plan clinique » et la « contribution majeure aux soins prodigués au patient », qui confèrent au médicament orphelin potentiel sa qualité de bénéfice notable, ne peuvent être déterminés qu’en comparaison des traitements qui ont déjà été autorisés (arrêt du 9 septembre 2010, Now Pharm/Commission, T‑74/08, EU:T:2010:376, point 43).
69 La notion de « bénéfice notable » est davantage développée dans la communication de 2003, applicable aux circonstances de la présente affaire. Or, à aucun endroit, le texte de celle-ci ne suggère qu’un médicament potentiel contenant la même substance active qu’un autre médicament déjà autorisé au nom du même promoteur ne pouvait procurer un bénéfice notable aux patients atteints de la maladie orpheline en cause. Au contraire, il ressort de la section A, point 4, de cette communication que plusieurs considérations d’ordre médical ou autre peuvent démontrer que le médicament en cause procure un bénéfice notable au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000, comme, par exemple, une augmentation de l’offre et de la disponibilité de la méthode ou la facilité d'auto-administration. En outre, ladite communication précise explicitement que les « bénéfices escomptés pour un sous-échantillon particulier de la population » peuvent présenter un bénéfice notable. De même, il en ressort que « lorsque se posent des difficultés graves et documentées concernant la formulation ou la voie d’administration d’un médicament autorisé, une formulation ou voie plus appropriée peut être considérée comme un bénéfice notable ».
70 Il s’ensuit que la justification évoquée à l’article 5, paragraphe 2, sous d), du règlement no 141/2001, laquelle renvoie notamment à celle du « bénéfice notable » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), peut reposer sur l’hypothèse d’une formulation et d’une voie d’administration plus efficace par rapport à un médicament autorisé contenant la même substance active et destiné à traiter la même affection.
71 En l’occurrence, c’est précisément sur cette hypothèse de « bénéfice notable » que la requérante a fondé la demande de 2015. En effet, il ressort de cette demande que l'Idursulfase–IT procurerait un bénéfice notable au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000 aux personnes atteintes de la maladie de Hunter, par rapport à l'Elaprase, en raison tant de ses effets thérapeutiques que de sa composition et de sa voie d’administration (voir points 58 à 63 ci-dessus).
72 Or, il n’appartient qu’au comité des médicaments orphelins d’évaluer si les caractéristiques de l’Idursulfase–IT sont susceptibles de procurer aux patients atteints de l’affection en cause un bénéfice notable au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), seconde hypothèse, du règlement no 141/2000, compte tenu des éléments pertinents sur le plan scientifique, conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous a), de ce règlement.
73 De surcroît, il ressort d’un extrait du registre des médicaments orphelins de l’Union, tel que présenté par la requérante dans le cadre de la présente procédure, qu’une désignation dans ce registre peut comporter des spécifications supplémentaires sur le médicament au-delà de la substance active, y compris le mode d’administration envisagé, ce qui pourrait permettre, aux fins de la validation de la demande, d’individualiser ce médicament par rapport à la décision de désignation de 2001, de sorte que les dispositifs des deux décisions soient différents.
74 En quatrième lieu, pour autant que la décision attaquée fait référence également à la section C, point 1, de la communication de 2003 ainsi qu’à la circonstance que, en mai 2010, Shire a reçu une assistance de la part de l'EMA aux fins de l’élaboration de protocoles pour le développement de l'Idursulfase–IT dans le cadre de la décision de 2001, il y a lieu de relever que l'EMA a elle-même reconnu, dans son mémoire en défense ainsi que dans ses réponses aux mesures d’organisation de la procédure, que la décision attaquée n’était fondée sur aucune de ces considérations. En effet, d’une part, la section C de la communication de 2003 concerne l’application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 141/2001, disposition qui n’a servi de fondement ni à la demande de 2015 ni à la décision attaquée. D’autre part, l'EMA a elle-même admis que l’assistance qu’elle a prêtée pour l’élaboration de protocoles pour le développement de l'Idursulfase–IT « ne constitu[ait] pas la base de la décision attaquée » et « ne donn[ait] lieu à aucun test d’éligibilité ni à aucune renonciation de quelque droit que ce soit ».
75 En cinquième lieu, il convient de constater qu’aucun des arguments avancés par l'EMA et par la Commission dans le cadre du présent litige n’est de nature à justifier la décision attaquée.
76 S'agissant, premièrement, de l’argument que l'EMA tire de l’arrêt du 9 septembre 2010, CSL Behring/Commission et EMA (T‑264/07, EU:T:2010:371), il suffit d’observer que les circonstances ayant donné lieu à cet arrêt se distinguent nettement de celles de l’espèce. En effet, le médicament faisant l’objet de la demande de désignation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était identique à celui déjà autorisé sur les marchés de plusieurs États membres, alors que, en l’espèce, la demande de 2015 était fondée sur la prémisse que l'Idursulfase–IT présentait des différences objectives par rapport à l’Elaprase.
77 En ce qui concerne, deuxièmement, l’argument de l'EMA selon lequel la requérante devrait plutôt prétendre, pour l'Idursulfase–IT, à une extension de l’AMM octroyée pour l'Elaprase au sens de l’annexe I du règlement no 1234/2008, il suffit de relever que la demande de 2015 n’avait pas pour objet la mise sur le marché de l'Idursulfase–IT, médicament potentiel qui était, à ce moment, toujours au stade de son développement. Or, la question de savoir quelle procédure d’obtention d'une AMM devrait, par la suite, être engagée est, dès lors, à la fois prématurée et sans pertinence pour le contrôle de la validité de la demande de 2015.
78 Troisièmement, quant à l’argument de la Commission tiré des affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2017:498), il y a lieu d’observer que celles-ci concernaient notamment l’interprétation de la notion d’« autorisation globale » de mise sur le marché au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83 et de la période de protection réglementaire des données au sens de l’article 10, paragraphe 1, de ladite directive. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 77 ci-dessus, la présente affaire ne concerne pas une demande d’AMM du médicament en cause, mais une demande de désignation en tant que médicament orphelin, le règlement no 141/2000 prévoyant à cet égard des procédures spécifiques et distinctes concernant chacune de ces demandes, comme le Tribunal l’a rappelé au point 49 du présent arrêt. La procédure de désignation comme médicament orphelin est ainsi soumise, notamment, à des critères tels que celui de « bénéfice notable » qui sont propres au système institué par le règlement no 141/2000. Par conséquent, la notion d'« autorisation globale » en cause dans l’arrêt du 28 juin 2017, Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2017:498), n’est pas pertinente pour la résolution de la présente affaire.
79 Quatrièmement, en ce qui concerne l’argument de l'EMA tiré de l’article 2, paragraphe 4, sous b), du règlement no 847/2000, il suffit d’observer que cette disposition vise l’hypothèse d’un « même médicament », alors que, dans le cas d’espèce, compte tenu des différences entre l’Idursulfase–IT et l'Elaprase, il n’apparaît pas, au stade de la validation de la demande de 2015, qu’il s’agisse du même médicament, ainsi qu’il a été relevé au point 64 du présent arrêt.
80 Enfin, quant à l’argument de l'EMA selon lequel une éventuelle « duplication » d’exclusivité commerciale « serait constitutive d’un abus des dispositions du règlement no 141/2000 et serait contraire à son objet », il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, la preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par celle-ci n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (voir arrêt du 16 octobre 2012, Hongrie/Slovaquie, C‑364/10, EU:C:2012:630, point 58 et jurisprudence citée).
81 Or, dès lors qu’un médicament répond, en tant que médicament orphelin, aux critères de désignation établis à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, y compris lorsque ce médicament contient la même substance active qu’un autre médicament déjà désigné comme orphelin, il doit être, lui-même, désigné comme médicament orphelin. En effet, il est dans l’intérêt des patients atteints d’une maladie rare d’avoir accès à un médicament similaire leur procurant un bénéfice notable par rapport à un médicament orphelin déjà autorisé (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2016, Teva Pharma et Teva Pharmaceuticals Europe/EMA, C‑138/15 P, non publié, EU:C:2016:136, point 28).
82 Par ailleurs, le fait qu’un médicament orphelin bénéficie de la période d’exclusivité commerciale prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 141/2000 ne s’oppose pas à ce qu’un second médicament similaire, autorisé conformément à l’article 8, paragraphe 3, de ce même règlement, bénéficie à son tour de la période d’exclusivité commerciale, dès lors qu’il répond également aux conditions requises à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement pour être désigné comme médicament orphelin (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2016, Teva Pharma et Teva Pharmaceuticals Europe/EMA, C‑138/15 P, non publié, EU:C:2016:136, point 32). Il convient de préciser à cet égard que, conformément à l’article 3, paragraphe 3, sous b) et c), du règlement no 847/2000, deux médicaments traitant la même maladie et contenant la même substance active peuvent être considérés comme des « médicaments similaires » aux fins de l’application de l’article 8 du règlement no 141/2000. Demeure également sans incidence, pour l’application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 141/2000, le fait que le titulaire de l’AMM du médicament orphelin initial et le promoteur du deuxième médicament soient la même société pharmaceutique (arrêt du 22 janvier 2015, Teva Pharma et Teva Pharmaceuticals Europe/EMA, T‑140/12, EU:T:2015:41, point 77). Partant, il ne saurait être considéré que l’éventuelle désignation de l'Idursulfase–IT en tant que médicament orphelin, à supposer que les conditions requises à cet égard soient remplies, entraînerait, lors d’une future AMM, une quelconque « duplication » de l’exclusivité commerciale ou qu’elle irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par le règlement no 141/2000.
83 Au contraire, la thèse soutenue par l’EMA et la Commission aurait pour conséquence de priver un promoteur, tel que la requérante, de toute possibilité de prouver, sur le plan scientifique, que son médicament procurerait un bénéfice notable aux patients atteints de l’affection concernée au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b, seconde hypothèse, du règlement no 141/2001.
84 Partant, compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le moyen unique et d’annuler la décision attaquée.
Sur les dépens
85 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L'EMA ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.
86 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission, intervenante au présent litige, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision de l’Agence européenne des médicaments (EMA) du 15 décembre 2015 refusant de valider la demande soumise par Shire Pharmaceuticals Ireland Ltd afin d’obtenir la désignation de l'Idursulfase–IT comme médicament orphelin est annulée.
2) L'EMA est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Shire Pharmaceuticals Ireland.
3) La Commission européenne supportera ses propres dépens.
|
Tomljenović |
Bieliūnas |
Kornezov |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 mars 2018.
Signatures
* Langue de procédure : l’anglais.