Affaire T‑28/16

République fédérale d’Allemagne

contre

Commission européenne

« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Développement rural – Remembrements et rénovations des villages – Critères de sélection des opérations – Principe de coopération loyale – Subsidiarité – Confiance légitime – Proportionnalité – Obligation de motivation »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (deuxième chambre) du 3 avril 2017

  1. Agriculture – Financement par le Feader – Soutien au développement rural – Éligibilité des opérations et des dépenses – Respect des critères de sélection fixés en droit national – Pouvoir d’appréciation des États membres pour la fixation des critères – Limites – Application aux opérations liées aux remembrements ou rénovations de villages

    (Art. 288, al. 2, TFUE ; règlement du Conseil no 1698/2005, 61e considérant et art. 71, § 2)

  2. Agriculture – Financement par le Feader – Soutien au développement rural – Aide en faveur de la compétitivité des secteurs agricole et forestier – Remembrements et rénovations des villages – Qualification d’opération – Conditions

    [Règlement du Conseil no 1698/2005, art. 2, d) et e), et 30]

  3. Agriculture – Financement par le Feader – Soutien au développement rural – Éligibilité des opérations et des dépenses – Respect des critères de sélection fixés en droit national – Opérations liées aux remembrements ou rénovations de villages – Contrôle financier de la Commission – Vérification, par l’État membre concerné, des critères de sélection retenus permettant d’identifier les opérations à financer en priorité selon leurs mérites

    [Art. 317 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 966/2012, art. 30 ; règlements du Conseil no 1605/2002, art. 28 bis, et no 1698/2005, art. 2, c), 71, § 2, et 73]

  4. Agriculture – Financement par le Feader – Soutien au développement rural – Éligibilité des opérations et des dépenses – Respect des critères de sélection fixés en droit national – Opérations liées aux remembrements ou rénovations de villages – Contrôle financier de la Commission – Violation du principe de subsidiarité – Absence

    (Règlement du Conseil no 1698/2005, art. 71, § 2)

  1.  En matière d’articulation entre un règlement et des dispositions de droit national auxquelles il renvoie, l’applicabilité directe d’un règlement ne fait pas obstacle à ce que le texte même du règlement habilite une institution de l’Union ou un État membre à prendre des mesures d’application et, dans cette hypothèse, les modalités de l’exercice de ce pouvoir sont régies par le droit public de l’État concerné. Lorsqu’un règlement comporte une telle habilitation, il n’en résulte pas pour autant que l’État membre dispose d’un pouvoir d’appréciation illimité dans l’établissement des règles d’application, ni que celles-ci doivent avoir un certain contenu. Il incombe à l’État membre de respecter les conditions et les limites posées par les règles de l’Union qui sont spécifiquement applicables dans ce contexte, voire constituent la base juridique concrète de l’activité réglementaire en cause.

    À cet égard, il ressort du considérant 61 et de l’article 71, paragraphe 2, du règlement no 1698/2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), que, conformément au principe de subsidiarité, les règles d’éligibilité des dépenses sont, en principe, fixées au niveau national, et que les dépenses ne sont éligibles que si elles sont effectuées pour des opérations décidées selon les critères de sélection fixés par l’organe compétent. Dans ce contexte, il appartient aux autorités nationales d’agir en respectant les orientations et les limites fixées par l’habilitation que leur confère le règlement no 1698/2005, d’une part, dans la fixation de critères de sélection à l’égard des dépenses concernées et, d’autre part, dans l’application desdits critères. S’agissant des modalités de mise en œuvre des remembrements et des rénovations de villages, celles-ci ont cependant vocation à n’être régies dans leur intégralité que par le droit national. En effet, le règlement no 1698/2005 ne permet pas à la Commission d’imposer une procédure ou des choix législatifs particuliers pour réaliser les remembrements et les rénovations de villages dans l’État membre concerné.

    (voir points 43-45, 47, 48)

  2.  La définition de la notion d’opération à l’article 2, sous e), du règlement no 1698/2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), en ce qu’elle renvoie à un projet, un contrat, un arrangement ou une autre action mis en œuvre par un ou plusieurs bénéficiaires en vue d’atteindre les objectifs de soutien en faveur du développement rural, est extrêmement large, ce qui permet d’assurer que, en dépit de la variété des types d’opérations concernés et quelle que soit la situation particulière de la procédure nationale en cause, une sélection, telle que celle imposée par la réglementation, est bien mise en œuvre. Les remembrements et les rénovations de villages, à partir du moment où ils s’inscrivent dans un projet, un contrat, un arrangement ou toute autre action qui sont destinés à donner lieu à une réalisation concrète, doivent être considérés comme des opérations et doivent dès lors être soumis à des critères de sélection tels qu’ils sont prévus par les dispositions du règlement no 1698/2005.

    En revanche, il y a lieu de retenir que la notion de mesure, au sens de l’article 2, sous d), du règlement no 1698/2005, en ce qu’elle correspond à un ensemble d’opérations contribuant à la mise en œuvre d’un axe, doit être considérée comme une catégorie abstraite d’opérations qu’il est loisible aux États membres de choisir dans leur programme de développement afin de poursuivre la réalisation d’un des quatre axes mentionnés par le règlement no 1698/2005. Ainsi, le remembrement est une mesure quand il désigne l’action générale consistant à rationaliser l’usage des terres agricoles. Il en va de même de la rénovation des villages quand elle désigne l’action générale consistant à améliorer le cadre de vie en milieu rural. À l’inverse, à partir du moment où un remembrement ou la rénovation d’un village s’inscrit dans le cadre d’une action identifiable, liée notamment à un lieu géographique ou à une communauté identifiée d’individus, il doit être considéré comme une opération.

    (voir points 51-53)

  3.  Il résulte des termes de l’article 71, paragraphe 2, du règlement no 1698/2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), lu en combinaison avec l’article 2, sous c), du même règlement, que les dépenses engagées au titre d’opérations telles que les remembrements ou les rénovations de villages doivent être effectuées selon des critères de sélection. Or, ainsi qu’il résulte expressément de l’article 73 du règlement no 1698/2005, il incombe à la Commission, dans le cadre d’une gestion partagée entre les institutions de l’Union et les États membres, de s’assurer d’une bonne gestion financière conformément à l’article 274 CE dont les dispositions figurent désormais à l’article 317 TFUE.

    Si le principe de bonne gestion financière ne doit pas être réduit à une définition purement comptable, il implique toutefois que les crédits budgétaires soient utilisés conformément aux principes d’économie, d’efficacité et d’efficience, ce dernier principe visant le meilleur rapport entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, ainsi que cela résulte de l’article 28 bis du règlement no 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, tel que modifié, ainsi que de l’article 30 du règlement no 966/2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union. Le respect de ces principes implique que les critères de sélection retenus permettent de financer en priorité les opérations qui répondent le mieux aux objectifs de développement rural tels qu’ils découlent des quatre axes mentionnés dans le règlement no 1698/2005.

    Dans ce cadre, compte tenu de la collaboration entre l’Union et les États membres, si la liste des critères de sélection peut être librement déterminée par les autorités nationales, sans nécessairement comporter un système de notation ou de classement chiffré des opérations, elle doit néanmoins permettre de déterminer celles qui, prioritairement, doivent bénéficier d’un soutien du Feader au vu de leurs mérites. Dans ce contexte, les critères d’éligibilité des opérations doivent être distingués des critères de sélection. Les critères d’éligibilité permettent tout au plus de constater que les opérations remplissent les conditions essentielles pour bénéficier d’un financement du Feader, comme s’inscrire dans les grandes lignes des objectifs de la politique agricole commune telles qu’elles ont été reprises par les autorités nationales, mais pas d’identifier les opérations à financer en priorité selon leurs mérites.

    (voir points 62-64, 66, 68, 69)

  4.  La Commission doit, en sa qualité de responsable de l’exécution du budget de l’Union, d’une part, vérifier les conditions dans lesquelles les financements ont été versés et les contrôles effectués et, d’autre part, ne financer les dépenses que si ces conditions offrent toutes les assurances nécessaires quant à la conformité aux règles de l’Union. À cet égard, si la répartition des rôles entre la Commission et les autorités nationales aboutit à confier à ces dernières l’élaboration des règles nationales pertinentes qui régissent l’éligibilité des dépenses, dans la mesure en particulier où le règlement no 1698/2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), renvoie à des mesures nationales d’application sur ce point, il n’en demeure pas moins que la Commission est tenue de contrôler si les autorités nationales remplissent effectivement leurs obligations dans ce domaine, sans toutefois que cela ne confère à la Commission un quelconque pouvoir lui permettant d’imposer des règles particulières au regard de la législation nationale relative à la procédure de remembrement et de rénovation des villages.

    En effet, les obligations pesant sur les États membres en vertu de l’article 71, paragraphe 2, du règlement no 1698/2005 consistent à mettre en œuvre des critères de sélection permettant d’effectuer une sélection comparative des opérations concernées, ce qui apparaît comme un objectif qui peut être atteint sans que cela entraîne une remise en cause de la législation nationale, voire régionale, qui régit la procédure de remembrement et de rénovation des villages. Dans ces conditions, un État membre ne saurait être fondé à se prévaloir d’une violation du principe de subsidiarité dans la mesure où il ne démontre pas que la Commission empiète sur son domaine de compétence, tel qu’il résulte de la mise en œuvre du principe de subsidiarité, en exigeant le respect des dispositions de l’article 71, paragraphe 2, du règlement no 1698/2005.

    (voir points 109-112)