ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

27 mars 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Article 30, paragraphe 1 – Comité des médicaments à usage humain – Saisine du comité subordonnée à la condition qu’une décision nationale n’ait pas préalablement été prise – Substance active estradiol – Décision de la Commission européenne ordonnant aux États membres le retrait et la modification des autorisations nationales de mise sur le marché des médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol »

Dans l’affaire C‑680/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 décembre 2016,

Dr. August Wolff GmbH & Co. KG Arzneimittel, établie à Bielefeld (Allemagne),

Remedia d.o.o., établie à Zagreb (Croatie),

représentées par Mes P. Klappich et C. Schmidt, Rechtsanwälte,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. B.-R. Killmann et A. Sipos ainsi que par Mme M. Šimerdová, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 octobre 2018,

rend le présent

Arrêt

1

Par leur pourvoi, Dr. August Wolff GmbH & Co. KG Arzneimittel et Remedia d.o.o. demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 octobre 2016, August Wolff et Remedia/Commission (T‑672/14, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:623), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision d’exécution C(2014) 6030 final de la Commission, du 19 août 2014, concernant les autorisations de mise sur le marché des médicaments topiques à usage humain à concentration élevée d’estradiol, dans le cadre de l’article 31 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil (ci-après la « décision litigieuse »), dans la mesure où ladite décision oblige les États membres à observer les obligations qu’elle prévoit pour les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités et non cités dans son annexe I, à l’exception de la restriction en vertu de laquelle les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités dans la même annexe peuvent encore être appliqués uniquement par voie intravaginale.

Le cadre juridique

La directive 2001/83

2

L’article 31, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2010/84/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010 (JO 2010, L 348, p.74) (ci-après la « directive 2001/83 »), dispose :

« Dans des cas particuliers présentant un intérêt pour l’Union, les États membres, la Commission, le demandeur ou le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché saisissent le [comité des médicaments à usage humain] pour que la procédure visée aux articles 32, 33 et 34 soit appliquée avant qu’une décision ne soit prise sur la demande, la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché ou sur toute autre modification de l’autorisation de mise sur le marché apparaissant nécessaire. »

3

L’article 32, paragraphes 1, 2 et 5, de cette directive énonce :

« 1.   Lorsqu’il est fait référence à la procédure prévue au présent article, le [comité des médicaments à usage humain] délibère et émet un avis motivé sur la question soulevée dans les soixante jours qui suivent la date à laquelle la question lui a été soumise.

Toutefois, dans les cas soumis au comité conformément aux articles 30 et 31, ce délai peut être prorogé par le comité pour une durée supplémentaire pouvant aller jusqu’à quatre-vingt-dix jours, en tenant compte des opinions des demandeurs ou des titulaires de l’autorisation de mise sur le marché concernés.

En cas d’urgence, et sur proposition de son président, le comité peut décider d’un délai plus court.

2.   Afin d’examiner la question, le comité désigne l’un de ses membres comme rapporteur. Le comité peut également désigner des experts indépendants pour le conseiller sur des sujets spécifiques. Lorsqu’il désigne ces experts, le comité définit leurs tâches et fixe une date limite pour la réalisation de celles-ci.

[...]

5.   Dans les quinze jours suivant son adoption, l’[Agence européenne des médicaments (EMA)] transmet l’avis final du comité aux États membres, à la Commission et au demandeur ou au titulaire de l’autorisation de mise sur le marché, en même temps qu’un rapport décrivant l’évaluation du médicament et les raisons qui motivent ses conclusions.

En cas d’avis favorable à l’autorisation ou au maintien de l’autorisation de mise sur le marché du médicament concerné, les documents suivants sont annexés à l’avis :

a)

un projet de résumé des caractéristiques du produit, tel que visé à l’article 11 ;

b)

les conditions auxquelles l’autorisation est soumise au sens du paragraphe 4, point c) ;

c)

le détail de toutes conditions ou restrictions recommandées à l’égard de l’usage sûr et efficace du médicament concerné ;

d)

les projets d’étiquetage et de notice. »

4

L’article 33 de ladite directive dispose :

« Dans les quinze jours suivant la réception de l’avis, la Commission prépare un projet de décision concernant la demande, en tenant compte des dispositions du droit communautaire.

Dans le cas d’un projet de décision visant à délivrer l’autorisation de mise sur le marché, les documents mentionnés à l’article 32, paragraphe 5, deuxième alinéa, y sont annexés.

Dans le cas exceptionnel où le projet de décision n’est pas conforme à l’avis de l’[EMA], la Commission joint également une annexe où sont expliquées en détail les raisons des différences.

Le projet de décision est transmis aux États membres et au demandeur ou au titulaire de l’autorisation de mise sur le marché. »

5

L’article 34, paragraphe 1, de la même directive est rédigé comme suit :

« La Commission arrête une décision définitive conformément à la procédure visée à l’article 121, paragraphe 3, et dans les quinze jours qui suivent la fin de celle-ci. »

Le règlement no 726/2004

6

Ainsi qu’il ressort de l’article 56, paragraphe 1, du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1235/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010 (JO 2010, L 348, p. 1) (ci-après le « règlement no 726/2004 »), l’EMA se compose de plusieurs comités au nombre desquels figure le comité des médicaments à usage humain (ci-après le « Comité »), chargé d’élaborer l’avis de l’EMA sur toute question relative à l’évaluation de médicaments à usage humain.

7

L’article 61, paragraphe 6, dernière phrase, du règlement no 726/2004 prévoit que les États membres s’abstiennent de donner aux membres des comités et aux experts des instructions incompatibles avec leurs tâches propres ou avec les tâches et la responsabilité de l’EMA.

8

L’article 62, paragraphe 1, du règlement no 726/2004 dispose :

« Lorsque, en application du présent règlement, un des comités visés à l’article 56, paragraphe 1, est chargé d’évaluer un médicament à usage humain, il désigne un de ses membres pour agir en qualité de rapporteur en tenant compte des compétences disponibles dans l’État membre en question. Le comité concerné peut désigner un second membre comme corapporteur.

Un rapporteur nommé à cet effet par le comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance travaille en étroite collaboration avec le rapporteur nommé par le [Comité] ou avec l’État membre de référence pour le médicament à usage humain concerné.

Lorsqu’il consulte un groupe scientifique consultatif visé à l’article 56, paragraphe 2, le comité lui transmet les projets de rapports d’évaluation établis par le rapporteur ou le corapporteur. L’avis du groupe scientifique consultatif est transmis au président du comité compétent de manière à assurer le respect des délais fixés à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 31, paragraphe 3.

Le contenu de cet avis est inclus dans le rapport d’évaluation publié conformément à l’article 13, paragraphe 3, et à l’article 38, paragraphe 3.

En cas de demande de réexamen d’un de ses avis, lorsque la législation de l’Union prévoit cette possibilité, le comité concerné nomme un rapporteur et, le cas échéant, un corapporteur différents de ceux qui ont été désignés pour l’avis initial. La procédure de réexamen ne peut porter que sur des points de l’avis identifiés au préalable par le demandeur et ne peut être fondée que sur les données scientifiques qui étaient disponibles au moment où le comité a adopté l’avis initial. Le demandeur peut demander que le comité consulte un groupe scientifique consultatif dans le cadre du réexamen. »

Les antécédents du litige

9

Les antécédents du litige sont décrits comme suit aux points 1 à 12 de l’arrêt attaqué :

« 1

Dr. August Wolff GmbH & Co. KG Arzneimittel (ci-après la “première requérante”) est titulaire des autorisations [de mise] sur le marché [...] délivrées par les autorités nationales compétentes des États membres que sont la République fédérale d’Allemagne, la République de Bulgarie, la Hongrie, la République tchèque, la République slovaque, la République de Lituanie, la République de Lettonie et la République d’Estonie pour le médicament Linoladiol N ou Gel Linoladiol N 0.1 mg/g ou Linoladiol N 0.1 mg/g vaginal cream (ci-après le “Linoladiol N”). Le Linoladiol N est fabriqué en Allemagne par Remedia d.o.o. (ci-après la “seconde requérante”), qui est titulaire de l’[autorisation de mise sur le marché] du Linoladiol N en Croatie, où le médicament a été mis sur le marché sous la désignation Linoladiol N 0,01 % krema za rodnicu. Le Linoladiol N est également commercialisé en Autriche.

2

Le Linoladiol N est une crème destinée au traitement de troubles atrophiques du vagin et de la vulve chez la femme en période de ménopause. Le Linoladiol N contient, en tant que substance active, l’hormone estradiol à hauteur de 100 microgrammes par gramme.

3

Le Linoladiol N a été autorisé pour la première fois en Allemagne en 1978. Par décision du 26 septembre 2005, les autorités allemandes ont refusé de renouveler l’autorisation du Linoladiol N. La première requérante a tout d’abord introduit un recours contre cette décision devant le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne), lequel, par arrêt du 27 octobre 2009, a rejeté son recours. La première requérante a ensuite fait appel, devant l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne).

4

Par un arrêt de l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie), du 13 mars 2013 [...], ladite juridiction a annulé la décision de rejet du 26 septembre 2005 et a enjoint au Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral pour les médicaments et les dispositifs médicaux, Allemagne, ci-après le “BfArM”) de statuer de nouveau sur la demande de renouvellement de l’autorisation du Linoladiol N, présentée par la première requérante, en tenant compte de son avis juridique.

5

Par décision du 11 juillet 2013, le BfArM a accordé le renouvellement de l’autorisation du Linoladiol N pour les présentations de 35 g avec applicateur, de 50 g avec applicateur, de 100 g avec applicateur et de 250 g avec applicateur.

6

En parallèle avec la procédure pendante devant l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie), les autorités allemandes ont, le 24 mai 2012, saisi le [Comité] à propos de Linoladiol N, en application de l’article 31, paragraphe 1, de la directive [2001/83].

7

Le 19 décembre 2013, le [Comité] a rendu un avis provisoire [...]

8

Par lettre du 3 janvier 2014, la première requérante a demandé à l’EMA de réexaminer l’avis provisoire du 19 décembre 2013 dans la mesure où celui‑ci concernait le Linoladiol N.

9

Le 25 avril 2014, le [Comité] a adopté un avis définitif [...]

10

Le [Comité] a émis le 2 mai 2014 un rapport d’évaluation [...], en application de l’article 32, paragraphe 5, [de la directive 2001/83], qui sous-tend l’avis final du 25 avril 2014.

11

Le 19 août 2014, la Commission européenne a adopté la [décision litigieuse]. Il ressort de la [décision litigieuse] que les [autorisations de mise sur le marché] nationales de médicaments qui sont énumérées dans l’annexe I de cette décision doivent être modifiées par les États membres concernés conformément à l’annexe III de ladite décision.

12

La [décision litigieuse] comporte, en annexe I, une “Liste reprenant les noms, les formes pharmaceutiques, le dosage du médicament, les voies d’administration, les titulaires de l’autorisation de mise sur le marché dans les États membres”, en annexe II, un document intitulé “Conclusions scientifiques et motifs de la modification des termes des autorisations de mise sur le marché” [...], en annexe III, un document intitulé “Modifications des rubriques concernées du résumé des caractéristiques du produit et de la notice” ainsi que, en annexe IV, les “Conditions des autorisations de mise sur le marché”. »

10

La décision litigieuse énonce à son annexe IV qu’un cycle de traitement de Linoladiol N est limité à une durée de quatre semaines et que l’utilisation répétée est exclue.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11

Le 19 septembre 2014, les requérantes ont introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation de la décision litigieuse, dans la mesure où ladite décision oblige les États membres à observer les obligations qu’elle prévoit pour les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités et non cités dans son annexe I, à l’exception de la restriction en vertu de laquelle les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités dans la même annexe peuvent encore être appliqués uniquement par voie intravaginale.

12

Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 30 septembre 2014, les requérantes ont introduit une demande en référé, dans laquelle elles concluaient, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal surseoir à l’exécution de la décision litigieuse. Par ordonnance du 15 décembre 2014, le président du Tribunal a rejeté cette demande et a réservé les dépens.

13

Au soutien de leur recours devant le Tribunal, les requérantes invoquaient trois moyens tirés, respectivement, de la violation des articles 31 et 32 de la directive 2001/83, de la violation de l’article 116 de cette directive, lu en combinaison avec l’article 126 de ladite directive, ainsi que de la violation de principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de proportionnalité et le principe d’égalité de traitement.

14

Ayant écarté ces moyens, le Tribunal a rejeté le recours et condamné les requérantes aux dépens.

Les conclusions des parties

15

Les requérantes demandent à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué et d’annuler la décision litigieuse, dans la mesure où ladite décision oblige les États membres à observer les obligations qu’elle prévoit pour les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités et non cités dans son annexe I, à l’exception de la restriction en vertu de laquelle les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités dans la même annexe ne peuvent plus être appliqués que par voie intravaginale ;

à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire au Tribunal, et

de condamner la Commission aux dépens.

16

La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérantes aux dépens.

Sur le pourvoi

17

À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent trois moyens tirés, respectivement, de la violation des articles 31 et 32 de la directive 2001/83, de la violation de l’article 116 de cette directive, lu en combinaison avec l’article 126 de ladite directive, ainsi que de la violation de principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de proportionnalité et le principe d’égalité de traitement.

18

Il convient d’examiner d’emblée la deuxième branche du premier moyen par laquelle les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir violé l’exigence de neutralité consacrée à l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2001/83 et le principe d’un examen diligent et impartial énoncé à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

Argumentation des parties

19

Les requérantes estiment que, aux points 94 à 104 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a appliqué, pour l’appréciation du principe d’impartialité, des critères erronés.

20

Selon elles, pour qu’il y ait violation de ce principe, il ne serait pas nécessaire qu’un acte partial ait été effectivement constaté, mais il suffirait que les circonstances extérieures fassent naître un soupçon raisonnable que les faits n’aient pas été examinés de manière neutre et objective.

21

À cet égard, elles mettent en exergue le fait que, en l’occurrence, la rapporteure principale, Mme W., désignée par le Comité pour préparer l’avis de celui-ci, a agi en double qualité, car elle était également employée par le BfArM, l’autorité nationale qui a déclenché la procédure devant le Comité. Or, une telle circonstance constituerait un chevauchement de fonctions et un conflit d’intérêt faisant naître un doute légitime quant à l’impartialité de la procédure.

22

De plus, les requérantes invoquent des éléments qui, selon elles, mettent en doute l’impartialité subjective de Mme W., notamment le fait qu’elle a personnellement émis un avis négatif sur la balance bénéfice/risque du médicament en cause et qu’elle a conseillé le retrait de l’autorisation de mise sur le marché, tandis que le Comité lui-même a adopté une approche plus favorable.

23

La Commission s’oppose à la thèse selon laquelle la nomination de Mme W., en qualité de rapporteur dans une procédure devant le Comité engagée par l’autorité nationale dont elle dépend, aurait fait naître le soupçon, au vu de circonstances objectives, que les faits n’avaient pas été examinés de manière neutre et objective. À cet égard, le Tribunal aurait en effet déjà statué en ce sens que, en l’absence d’autres éléments, cette circonstance est dénuée de pertinence. En outre, l’application de l’article 61, paragraphe 6, dernière phrase, du règlement no 726/2004 serait de nature à garantir un examen neutre et objectif. En tout état de cause, la Commission souligne que Mme W. n’était qu’un rapporteur parmi les quatre chargés d’évaluer le Linoladiol N au cours de la procédure devant le Comité.

Appréciation de la Cour

24

Les institutions, les organes et les organismes de l’Union sont tenus de respecter les droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union, parmi lesquels figure le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 154).

25

L’article 41, paragraphe 1, de la Charte énonce notamment que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union.

26

À cet égard, il convient de relever que l’exigence d’impartialité, qui s’impose aux institutions, aux organes et aux organismes dans l’accomplissement de leurs missions, vise à garantir l’égalité de traitement qui est à la base de l’Union. Cette exigence vise, notamment, à éviter des situations de conflits d’intérêts éventuels dans le chef de fonctionnaires et d’agents agissant pour le compte des institutions, des organes et des organismes. Compte tenu de l’importance fondamentale de la garantie d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptible d’affecter son indépendance en la matière (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2007, Komninou e.a./Commission, C‑167/06 P, non publié, EU:C:2007:633, point 57).

27

Aussi, il incombe à ces institutions, organes et organismes de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Espagne/Conseil, C‑521/15, EU:C:2017:982, point 91 et jurisprudence citée).

28

S’agissant, plus particulièrement, de cette seconde composante du principe d’impartialité, il convient de relever que, lorsque plusieurs institutions, organes ou organismes de l’Union se voient attribuer des responsabilités propres et distinctes dans le cadre d’une procédure susceptible d’aboutir à une décision faisant grief à un justiciable, chacune de ces entités est tenue, pour ce qui la concerne, de se conformer à l’exigence d’impartialité objective. Par conséquent, même dans l’hypothèse où c’est uniquement l’une d’entre elles qui a manqué à cette exigence, un tel manquement est susceptible d’entacher d’illégalité la décision adoptée par l’autre au terme de la procédure concernée (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Espagne/Conseil, C-521/15, EU:C:2017:982, point 94).

29

Il convient, dès lors, de déterminer si la désignation de Mme W. en tant que rapporteure principale du Comité dans le cadre de la procédure concernant la demande de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Linoladiol N était compatible avec les exigences découlant d’un tel principe, eu égard au fait qu’elle était employée par l’autorité nationale ayant saisi le Comité, que cette autorité avait préalablement rejeté la demande de renouvellement de ce médicament et que, au moment de la désignation de Mme W. comme rapporteure, une procédure juridictionnelle opposant ladite autorité et la première requérante était en cours en ce qui concerne le rejet de cette demande.

30

Ainsi que le soutiennent les requérantes, l’impartialité objective du Comité peut être compromise lorsqu’un conflit d’intérêts dans le chef de l’un de ses membres est susceptible de résulter d’un chevauchement de fonctions, et ce indépendamment de la conduite personnelle dudit membre.

31

En premier lieu, il doit en l’occurrence être considéré que la procédure devant l’autorité nationale ayant saisi le Comité et celle devant le Comité, en vertu de l’article 32 de la directive 2001/83, ont substantiellement le même objet, à savoir se prononcer sur la qualité, la sécurité ainsi que l’efficacité des médicaments en vue de l’adoption d’une décision sur l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché.

32

En deuxième lieu, eu égard à l’objet commun des deux procédures, les appréciations à porter dans le cadre de ces procédures doivent également être considérées comme étant de même nature.

33

En troisième lieu, conformément à l’article 62, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 726/2004, lorsque le Comité est chargé d’évaluer un médicament à usage humain, il désigne un de ses membres pour agir en qualité de rapporteur et peut désigner un second membre comme corapporteur. Or, l’exercice d’une telle fonction de rapporteur implique d’assumer un rôle important quant à la préparation de l’avis que le Comité est appelé à rendre.

34

Il s’ensuit que le rapporteur désigné par le Comité dispose d’une responsabilité propre dans le cadre de cette procédure d’avis.

35

À cet égard, il y a encore lieu de souligner que, conformément à l’article 33, troisième alinéa, de la directive 2001/83, seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Commission ne suive pas un tel avis.

36

La circonstance que, ainsi que le soutient la Commission et comme le prévoit l’article 62, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 726/2004, le Comité peut désigner un second membre comme corapporteur ne saurait remettre en cause cette conclusion, de même que celle, également invoquée par la Commission, selon laquelle, en l’occurrence, deux autres membres du Comité ont été désignés respectivement comme rapporteur principal et second rapporteur, au stade du réexamen.

37

Il convient d’ailleurs de rappeler à cet égard que, en tout état de cause, afin de démontrer que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’est pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité en raison des caractéristiques spécifiques du rôle de rapporteur dans le cadre des procédures menées devant le Comité. Il suffit qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé.

38

Il appartient donc au Comité, compte tenu des responsabilités propres assumées par le rapporteur, de faire preuve d’une vigilance particulière en attribuant cette fonction, afin d’éviter de faire naître tout doute légitime quant à un éventuel préjugé. En l’occurrence, il lui revenait, plus particulièrement, de tenir compte du fait, qui avait été porté à sa connaissance par la République fédérale d’Allemagne, comme cela ressort de la demande d’avis qui a été introduit par cet État membre, que le BfArM avait refusé de renouveler l’autorisation de mise sur le marché relative au Linoladiol N et qu’un recours devant les juridictions allemandes concernant un tel refus était pendant au moment de la saisine du Comité.

39

Or, il est constant que Mme W. est employée par l’autorité nationale qui a pris la décision de ne pas renouveler l’autorisation du Linoladiol N et qui, en tant que partie défenderesse dans le cadre du recours introduit à l’encontre de cette décision, a défendu cette décision devant les juridictions nationales et, ensuite, a saisi le Comité afin qu’il rende un avis à propos de ce médicament. Dans ces conditions, des tiers observateurs pouvaient légitimement estimer que cette autorité, en saisissant le Comité, continue à poursuivre les intérêts qui étaient les siens au niveau national et que le comportement des personnes employées par cette autorité et intervenant dans le cadre de la procédure devant le Comité soit susceptible d’être entaché de partialité.

40

Dans ce contexte, le seul fait que l’article 61, paragraphe 6, dernière phrase, du règlement no 726/2004 oblige les États membres à s’abstenir de donner aux membres des comités et aux experts des instructions incompatibles avec leurs tâches propres ou avec les tâches et la responsabilité de l’EMA ne saurait faire dissiper les doutes légitimes relevés au point précédent.

41

Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les arguments des requérantes relatifs à l’exigence d’impartialité subjective, il découle de ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 104 de l’arrêt attaqué, que le Comité avait donné l’assurance de garanties suffisantes pour exclure l’existence d’un doute légitime quant au respect de l’obligation d’impartialité consacrée à l’article 41 de la Charte.

42

La deuxième branche du premier moyen doit donc être accueillie.

43

Dans ces conditions, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens du pourvoi, il convient d’annuler l’arrêt attaqué.

Sur le recours devant le Tribunal

44

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

45

En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur le recours en annulation de la décision litigieuse introduit par les requérantes devant le Tribunal.

46

Dans la troisième branche du premier moyen de première instance, les requérantes font grief à la Commission d’avoir notamment méconnu le principe d’un examen diligent et impartial consacré à l’article 41 de la Charte. Or, il résulte des motifs énoncés aux points 24 à 41 du présent arrêt qu’un tel grief est fondé.

47

Il y a donc lieu d’accueillir la troisième branche du premier moyen du recours des requérantes devant le Tribunal et d’annuler la décision litigieuse dans la mesure suivante.

48

Si les requérantes demandent l’annulation de la décision litigieuse non seulement en tant qu’elle les concerne, mais également en tant qu’elle concerne les autres titulaires figurant à l’annexe I de celle-ci, elles n’établissent ni même n’allèguent avoir qualité pour agir en faveur de ces derniers. Par conséquent, il y a lieu de limiter l’annulation aux autorisations de mise sur le marché dont les requérantes sont les titulaires.

49

Il convient donc d’annuler la décision litigieuse dans la mesure où elle oblige les États membres à observer les obligations qu’elle prévoit pour les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités et non cités dans son annexe I, dont les titulaires sont les requérantes, à l’exception de la restriction en vertu de laquelle les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités dans la même annexe peuvent encore être appliqués uniquement par voie intravaginale.

Sur les dépens

50

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

51

Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

52

La Commission ayant succombé dans le cadre du pourvoi, la décision litigieuse étant annulée et les requérantes ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par les requérantes, afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.

53

Quant aux dépens afférents à la procédure de référé, les requérantes ayant succombé dans cette procédure devant le Tribunal, il y a lieu de condamner celles-ci à les supporter.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 octobre 2016, August Wolff et Remedia/Commission (T‑672/14, non publié, EU:T:2016:623), est annulé.

 

2)

La décision d’exécution C(2014) 6030 final de la Commission, du 19 août 2014, concernant les autorisations de mise sur le marché des médicaments topiques à usage humain à concentration élevée d’estradiol, dans le cadre de l’article 31 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, est annulée dans la mesure où elle oblige les États membres à observer les obligations qu’elle prévoit pour les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités et non cités dans son annexe I, dont les titulaires sont Dr. August Wolff GmbH & Co. KG Arzneimittel et Remedia d.o.o., à l’exception de la restriction en vertu de laquelle les médicaments à usage topique contenant 0,01 % en poids d’estradiol cités dans la même annexe peuvent encore être appliqués uniquement par voie intravaginale.

 

3)

La Commission européenne est condamnée aux dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi, à l’exception de ceux relatifs à la procédure de référé, lesquels seront supportés par Dr. August Wolff GmbH & Co. KG Arzneimittel et Remedia d.o.o.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.