ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

23 novembre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Fiscalité directe – Impôt sur les sociétés – Directive 90/434/CEE – Article 10, paragraphe 2 – Apport d’actifs – Établissement stable non-résident transféré, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, à une société bénéficiaire également non-résidente – Droit pour l’État membre de la société apporteuse d’imposer les bénéfices ou les plus-values de cet établissement apparus à l’occasion de l’apport d’actifs – Législation nationale prévoyant l’imposition immédiate, dès l’année du transfert, des bénéfices ou des plus-values – Recouvrement de l’impôt dû comme recette de l’année fiscale où l’opération d’apport d’actifs a eu lieu »

Dans l’affaire C‑292/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki, Finlande), par décision du 20 mai 2016, parvenue à la Cour le 25 mai 2016, dans la procédure engagée par

A Oy,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund (rapporteur), J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev et E. Regan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juin 2017,

considérant les observations présentées :

pour A Oy, par M. T. Torkkel,

pour le gouvernement finlandais, par M. S. Hartikainen, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, H. Shev, U. Persson et N. Otte Widgren, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et I. Koskinen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE ainsi que de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 1,ci-après la « directive fusions »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée devant le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande) par A Oy, société de droit finlandais, au sujet de l’imposition immédiate des plus-values d’un établissement stable non-résident de cette société, apparues à l’occasion du transfert de cet établissement à une société également non-résidente dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs et de la mise en recouvrement de l’impôt dû comme recette de l’année fiscale où cette opération a eu lieu.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Selon l’article 2, sous c), de la directive fusions :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par

[...]

c)

apport d’actifs : l’opération par laquelle une société apporte, sans être dissoute, l’ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l’apport ;

[...] »

4

L’article 10, paragraphe 2, de cette directive prévoit :

« [...] [L]orsque l’État membre de la société apporteuse applique un régime d’imposition du bénéfice mondial, cet État a le droit d’imposer les bénéfices ou les plus-values de l’établissement stable qui apparaissent à l’occasion de la fusion, de la scission ou de l’apport d’actifs, à condition qu’il admette la déduction de l’impôt qui, en l’absence des dispositions de la présente directive, aurait frappé ces bénéfices ou ces plus-values dans l’État où est situé l’établissement stable et qu’il admette cette déduction de la même manière et pour le même montant qu’il l’aurait fait si l’impôt avait été réellement établi et payé. »

Le droit finlandais

5

Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la tuloverolaki (loi relative à l’impôt sur le revenu), sont redevables de l’impôt sur le revenu la personne physique, la personne morale, la communauté d’intérêt ou la communauté d’héritiers établies en Finlande, et ce sur le revenu perçu ici et ailleurs (obligation fiscale illimitée).

6

La directive fusions a été transposée en droit finlandais par la laki elinkeinotulon verottamisesta annetun lain muuttamisesta (1733/1995) [loi portant modification de la loi relative à la fiscalité des revenus d’activités économiques (1733/1995)], du 29 décembre 1995, entrée en vigueur le 1er janvier 1996.

7

L’article 52 e, troisième alinéa, de l’elinkeinotulon verottamisesta annettu laki (loi relative à la fiscalité des revenus d’activités économiques), telle qu’ainsi modifiée (ci-après l’« EVL »), énonce ce qui suit :

« Si les actifs et les dettes apportés sont liés à un établissement stable, situé dans un autre État membre de l’Union européenne, d’une personne morale nationale, le prix de cession vraisemblable des actifs ainsi que les provisions déduites dans l’imposition de l’établissement stable sont intégrés au revenu imposable de la société apporteuse. De l’impôt dû en Finlande sur ce revenu est déduit l’impôt qui aurait été dû sur le même revenu dans l’État de situation de cet établissement stable si les dispositions de la [directive fusions] mentionnée à l’article 52 ne s’appliquaient pas. »

8

Il ressort des motifs du projet de loi ayant conduit à l’adoption de la loi portant modification de la loi relative à la fiscalité des revenus d’activités économiques que l’article 52 e, troisième alinéa, de l’EVL, qui transpose en droit finlandais la dérogation prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la directive fusions, concerne une situation où, du fait du transfert des actifs d’un établissement stable non-résident à une société également non-résidente, ces actifs ne relèvent plus de la souveraineté fiscale de la Finlande. Dans une telle situation, la valeur marchande des actifs apportés de même que les provisions précédemment déduites dans l’imposition en Finlande de cet établissement stable sont intégrées dans le revenu imposable de ce dernier au cours de l’année fiscale où l’opération a eu lieu. L’impôt dû à la Finlande sur le revenu à réaliser est réduit de l’impôt qui frapperait le même revenu dans l’État membre dudit établissement stable si cette directive ne s’appliquait pas.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9

A a transféré, au cours de l’année 2006, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, un établissement stable situé en Autriche à une société autrichienne et reçu en contrepartie des actions de cette dernière société. En vertu de l’article 52 e, troisième alinéa, de l’EVL, A a été imposée sur les plus-values apparues à l’occasion de cette opération au titre de l’année fiscale 2006 et l’impôt a été mis en recouvrement comme recette de cette même année fiscale.

10

A a présenté une demande de rectification auprès de la Verotuksen oikaisulautakunta (commission de vérification fiscale, Finlande). Cette demande ayant été rejetée, A a saisi le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki, Finlande), en faisant valoir que la législation en cause au principal entravait la liberté d’établissement, puisque, dans une situation nationale équivalente, l’imposition n’aurait lieu qu’au moment de la réalisation des plus-values, à savoir lors de la cession des actifs apportés.

11

La juridiction de renvoi expose que, selon le Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Service de défense des droits des destinataires de recettes fiscales, Finlande), l’article 52 e, troisième alinéa, de l’EVL ne saurait être considéré comme contraire aux règles et aux principes du droit de l’Union, puisque cette disposition a eu pour objet de transposer en droit finlandais l’article 10, paragraphe 2, de la directive fusions.

12

Cette juridiction fait néanmoins observer que, si cette dernière disposition autorise l’imposition des plus-values dans une situation telle que celle en cause au principal, elle ne précise pas le moment auquel cette imposition doit intervenir.

13

Ladite juridiction s’interroge donc sur le point de savoir si, en prévoyant l’imposition des plus-values dans le cadre de l’exercice fiscal où l’opération d’apport d’actifs intervient, alors que, dans une situation nationale équivalente, il n’est procédé à l’imposition qu’au moment de la réalisation des revenus, c’est-à-dire de la cession des actifs apportés, la législation en cause au principal constitue une restriction à la liberté d’établissement. Si tel est le cas, elle demande si ladite législation peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général liée à la répartition de la compétence fiscale entre les États membres et, dans l’affirmative, si elle est proportionnée à cet objectif.

14

C’est dans ces conditions que le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 49 TFUE s’oppose-t-il à une législation finlandaise selon laquelle, si une société nationale cède, à titre d’apport d’actifs, un établissement stable situé dans un autre État membre à une société qui y est établie, et reçoit en contrepartie des actions nouvelles de celle-ci, l’apport d’actifs est imposé immédiatement, dès l’année du transfert, alors que, dans une situation nationale équivalente, il ne l’est qu’au moment de sa réalisation ?

2)

Peut-on parler de discrimination indirecte ou directe si la Finlande procède immédiatement à l’imposition, dès l’année où l’apport d’activités a lieu, avant que le revenu ne soit réalisé, alors que l’imposition est différée jusqu’au moment de cette réalisation dans une situation nationale ?

3)

En cas de réponse affirmative aux première et deuxième questions, est-il possible de justifier cette restriction à la liberté d’établissement par une raison impérieuse d’intérêt général, ou par la protection de la compétence fiscale nationale ? La restriction interdite est-elle conforme au principe de proportionnalité ? »

Sur les questions préjudicielles

15

Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cas où une société résidente transfère, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, un établissement stable non-résident à une société également non-résidente, d’une part, prévoit l’imposition immédiate des plus-values apparues à l’occasion de cette opération et, d’autre part, n’autorise pas le recouvrement différé de l’impôt dû, alors que, dans une situation nationale équivalente, de telles plus-values ne sont imposées que lors de la cession des actifs apportés.

16

À titre liminaire, il convient de relever, d’une part, qu’il est constant que l’opération en cause au principal, par laquelle A a transféré un établissement non-résident à une société également non-résidente, constitue un apport d’actifs au sens de l’article 2, sous c), de la directive fusions. D’autre part, il n’est pas contesté que l’imposition des plus-values de cet établissement stable apparues à l’occasion de cette opération relève de l’article 10, paragraphe 2, de cette directive.

17

Il ressort de l’article 10, paragraphe 2, de la directive fusions que, dans le cas où, parmi les biens apportés à l’occasion d’une fusion, d’une scission ou d’un apport d’actifs, figure un établissement stable de la société apporteuse situé dans un État membre autre que celui de cette société, l’État membre de la société apporteuse, lorsqu’il applique un régime d’imposition du bénéfice mondial, a le droit d’imposer les bénéfices ou les plus-values de cet établissement stable qui apparaissent à l’occasion de cette opération, à la condition qu’il admette la déduction de l’impôt qui, en l’absence des dispositions de cette directive, aurait frappé ces bénéfices ou ces plus-values dans l’État où est situé ledit établissement stable et qu’il admette cette déduction de la même manière et pour le même montant qu’il l’aurait fait si l’impôt avait été réellement établi et payé.

18

Ainsi, cette disposition autorise l’État membre de la société apporteuse à imposer les bénéfices ou les plus-values résultant d’une opération de fusion, de scission ou d’apport d’actifs pour autant que cet État respecte les conditions prévues à ladite disposition.

19

En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en vertu de la législation en cause au principal, d’une part, les plus-values d’un établissement stable non-résident d’une société résidente sont imposées lorsque cet établissement stable est transféré, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, à une société également non-résidente. De l’impôt dû est déduit l’impôt qui, en l’absence des dispositions de la directive fusions, aurait frappé ces plus-values dans l’État membre où est situé cet établissement stable. D’autre part, cet impôt est mis en recouvrement comme recette de l’année fiscale où une telle opération a lieu.

20

En prévoyant l’imposition de telles plus-values tout en admettant la déduction de l’impôt qui, en l’absence des dispositions de cette directive, les aurait frappées dans l’État membre où est situé l’établissement stable, cette législation se borne à mettre en œuvre la possibilité offerte aux États membres à l’article 10, paragraphe 2, de ladite directive.

21

En revanche, ni cet article 10, paragraphe 2, ni aucun autre article de la directive fusions ne contient de dispositions relatives au moment où doit intervenir le recouvrement de l’impôt dû.

22

Il incombe dès lors aux États membres, dans le respect du droit de l’Union, de prévoir de telles dispositions.

23

À cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour que les opérations relevant de la directive fusions constituent une modalité particulière d’exercice de la liberté d’établissement, importante pour le bon fonctionnement du marché intérieur, et constituent donc des activités économiques pour lesquelles les États membres sont tenus au respect de cette liberté (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C‑14/16, EU:C:2017:177, point 28 et jurisprudence citée).

24

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement. Même si, selon leur libellé, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation (arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C‑14/16, EU:C:2017:177, point 58 et jurisprudence citée).

25

Doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C‑14/16, EU:C:2017:177, point 59 et jurisprudence citée).

26

En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que c’est uniquement dans le cas où une société résidente transfère, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, un établissement stable non-résident à une société également non-résidente que la législation en cause au principal prévoit l’imposition immédiate des plus-values et la mise en recouvrement de l’impôt dû comme recette de l’année fiscale où cette opération a lieu.

27

Une telle différence de traitement est susceptible de dissuader les sociétés établies en Finlande d’exercer une activité économique dans un autre État membre par l’intermédiaire d’un établissement stable et constitue, dès lors, une entrave à la liberté d’établissement.

28

Une telle entrave ne saurait être admise que si elle concerne les situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, EU:C:2011:785, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

29

S’agissant du caractère comparable des situations concernées, il convient de constater que, au regard de la législation d’un État membre visant à imposer les plus-values générées dans le cadre de sa compétence fiscale, la situation d’une société qui, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, transfère un établissement stable non-résident à une société également non-résidente est, en ce qui concerne l’imposition des plus-values de cet établissement stable qui ont été générées dans le cadre de la compétence fiscale de cet État membre, antérieurement à cette opération d’apport, semblable à celle d’une société résidente qui, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, transfère un établissement stable à une autre société résidente (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C‑657/13, EU:C:2015:331, point 38 et jurisprudence citée).

30

Quant à la question de savoir si l’entrave peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la justification liée à la nécessité de préserver la répartition de la compétence fiscale entre les États membres est un objectif légitime reconnu par la Cour et que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur compétence fiscale, en vue d’éliminer les doubles impositions (arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C‑657/13, EU:C:2015:331, point 42 et jurisprudence citée).

31

D’autre part, conformément au principe de territorialité fiscale, un État membre est, en cas de transfert d’un établissement stable non-résident au titre d’une opération d’apport d’actifs à une société non-résidente, en droit d’imposer, au moment de cet apport, les plus-values générées dans le cadre de sa compétence fiscale antérieurement audit apport. Une telle mesure vise à prévenir des situations de nature à compromettre le droit de cet État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées dans le cadre de cette compétence (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C‑657/13, EU:C:2015:331, point 43 et jurisprudence citée).

32

Ainsi, le transfert d’un établissement stable non-résident d’une société résidente, au titre d’une opération d’apport d’actifs, à une société non-résidente ne saurait signifier que l’État membre concerné doive renoncer à son droit d’imposer les plus-values générées dans le cadre de sa compétence fiscale antérieurement à cet apport (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C‑657/13, EU:C:2015:331, point 44).

33

En l’occurrence, dès lors que le transfert, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, d’un établissement non-résident à une société également non-résidente a pour effet de faire perdre à la Finlande tout lien avec cet établissement et, partant, son pouvoir d’imposer les plus-values afférentes aux actifs de cet établissement stable ultérieurement à ladite opération, il y a lieu de considérer qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal est propre à garantir la préservation de la répartition de la compétence fiscale entre les États membres.

34

S’agissant de la proportionnalité de la législation en cause au principal, il découle de la jurisprudence de la Cour, en premier lieu, que satisfait au principe de proportionnalité le fait que l’État membre de la société apporteuse, aux fins de sauvegarder l’exercice de sa compétence fiscale, détermine le montant d’impôt relatif aux plus-values générées dans le cadre de sa compétence fiscale au moment où sa compétence fiscale sur les actifs concernés cesse d’exister, en l’occurrence au moment de l’apport concerné (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C‑657/13, EU:C:2015:331, point 48 et jurisprudence citée).

35

En second lieu, il a été jugé qu’une législation d’un État membre qui laisse au contribuable le choix entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’impôt, qui crée un désavantage en matière de trésorerie pour cette société mais la dispense de charges administrative ultérieures, et, d’autre part, le paiement différé de ce montant, assorti, le cas échéant, d’intérêts selon la législation nationale applicable, qui est nécessairement accompagné d’une charge administrative pour le contribuable, liée au suivi des actifs apportés, constitue une mesure qui, tout en étant propre à garantir la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, est moins attentatoire à la liberté d’établissement qu’un recouvrement immédiat de l’impôt dû (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, EU:C:2011:785, point 73).

36

En ce qui concerne la charge administrative, la Cour a précisé qu’il convient de laisser au contribuable le choix d’opter entre, d’une part, le fait de supporter les charges administratives relatives au paiement différé de l’impôt et, d’autre part, le recouvrement immédiat de cet impôt. Dans le cas où le contribuable considère que ces charges ne sont pas excessives et choisit de les supporter, les charges pesant sur l’administration fiscale ne sauraient non plus être qualifiées d’excessives (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C‑591/13, EU:C:2015:230, point 73 et jurisprudence citée).

37

Il s’ensuit que, dans la mesure où la législation en cause au principal ne laisse pas le choix à une société résidente qui transfère, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, un établissement stable non-résident à une société également non-résidente entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’impôt sur les plus-values de cet établissement stable et, d’autre part, le paiement différé dudit montant, cette législation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de préservation de la répartition de la compétence fiscale entre les États membres.

38

Cette appréciation ne saurait être remise en question par le fait que cette législation permet, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la directive fusions, la déduction de l’impôt qui, en l’absence des dispositions de cette directive, aurait frappé de telles plus-values dans l’État membre où est situé l’établissement stable non-résident, étant donné que le caractère disproportionné de ladite législation ne dépend pas du montant de l’impôt dû mais résulte du fait qu’elle ne prévoit pas la possibilité pour le contribuable de différer le moment du recouvrement de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Trustees of the P Panayi Accumulation & Maintenance Settlements, C‑646/15, EU:C:2017:682, point 60).

39

Quant à la justification tirée de la nécessité de garantir le recouvrement efficace de l’impôt, invoquée par les gouvernements allemand et suédois, il convient de relever que, si la Cour a déjà admis qu’elle peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 46 ainsi que jurisprudence citée), la législation en cause au principal n’est pas propre à garantir sa réalisation, de sorte que ledit objectif ne saurait justifier, dans un cas tel que celui en cause au principal, une éventuelle entrave à la liberté d’établissement. En effet, ainsi que la Commission l’a fait observer, le fait pour un État membre de permettre à une société apporteuse résidente d’opter en faveur du paiement différé de l’impôt n’affecterait ni la possibilité de cet État membre de demander à cette société les renseignements nécessaires au recouvrement de l’impôt dû ni celle de procéder effectivement à ce recouvrement (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, points 49 à 53).

40

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cas où une société résidente transfère, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, un établissement stable non-résident à une société également non-résidente, d’une part, prévoit l’imposition immédiate des plus-values apparues à l’occasion de cette opération et, d’autre part, n’autorise pas le recouvrement différé de l’impôt dû, alors que, dans une situation nationale équivalente, de telles plus-values ne sont imposées que lors de la cession des actifs apportés, dans la mesure où cette législation ne permet pas le recouvrement différé d’un tel impôt.

Sur les dépens

41

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cas où une société résidente transfère, dans le cadre d’une opération d’apport d’actifs, un établissement stable non-résident à une société également non-résidente, d’une part, prévoit l’imposition immédiate des plus-values apparues à l’occasion de cette opération et, d’autre part, n’autorise pas le recouvrement différé de l’impôt dû, alors que, dans une situation nationale équivalente, de telles plus-values ne sont imposées que lors de la cession des actifs apportés, dans la mesure où cette législation ne permet pas le recouvrement différé d’un tel impôt.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le finnois.