ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 juin 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115/CE – Article 3, point 2 – Notion de “séjour irrégulier” – Article 6 – Adoption d’une décision de retour avant l’issue du recours contre le rejet de la demande de protection internationale par l’autorité responsable – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 18, article 19, paragraphe 2, et article 47 – Principe de non-refoulement – Droit à un recours effectif – Autorisation de rester dans un État membre »

Dans l’affaire C‑181/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 8 mars 2016, parvenue à la Cour le 31 mars 2016, dans la procédure

Sadikou Gnandi

contre

État belge,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz (rapporteur), J. L. da Cruz Vilaça, C. G. Fernlund et C. Vajda, présidents de chambre, M. E. Juhász, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, Mme M. Berger, M. E. Jarašiūnas, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er mars 2017,

considérant les observations présentées :

pour M. Gnandi, par Me D. Andrien, avocat,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet et M. Jacobs, en qualité d’agents, assistées de Mmes C. Piront et S. Matray ainsi que de M. D. Matray, avocats,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes C. Cattabriga et M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 juin 2017,

vu l’ordonnance de réouverture de la procédure orale du 25 octobre 2017 et à la suite de l’audience du 11 décembre 2017,

considérant les observations présentées :

pour M. Gnandi, par Me D. Andrien, avocat,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet, M. Jacobs et C. Van Lul, en qualité d’agents, assistées de Mmes C. Piront et S. Matray ainsi que de M. D. Matray, avocats,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par M. R. Kanitz, en qualité d’agent,

pour le gouvernement français, par Mmes E. de Moustier et E. Armoët ainsi que par M. D. Colas, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. Huurnink ainsi que par M. J. Langer, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes C. Cattabriga, M. Heller et M. Condou-Durande, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions complémentaires à l’audience du 22 février 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13), ainsi que du principe de non-refoulement et du droit à un recours effectif, consacrés respectivement à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, ainsi qu’à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Sadikou Gnandi à l’État belge au sujet de la légalité d’une décision ordonnant au premier de quitter le territoire belge.

Le cadre juridique

La convention de Genève

3

L’article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la « convention de Genève »), intitulé « Défense d’expulsion et de refoulement », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »

Le droit de l’Union

Les directives 2003/9/CE et 2013/33/UE

4

L’article 2, sous c), de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO 2003, L 31, p. 18), définit la notion de « demandeur » ou de « demandeur d’asile », aux fins de cette directive, comme étant « un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride ayant présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ».

5

L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire d’un État membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile, [...] »

6

L’article 2, sous c), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/9 ont été remplacés, en des termes substantiellement identiques, respectivement, par l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).

Les directives 2005/85 et 2013/32/UE

7

Les considérants 2 et 8 de la directive 2005/85 énoncent :

« (2)

Le Conseil européen [...] est convenu d’œuvrer à la mise en place d’un régime d’asile européen commun, fondé sur l’application intégrale et globale de la [convention de Genève], et d’assurer ainsi que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire d’affirmer le principe de non-refoulement.

[...]

(8)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la [Charte]. »

8

L’article 7 de cette directive, intitulé « Droit de rester dans l’État membre en attendant l’examen de la demande », dispose :

« 1.   Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en premier ressort prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour.

2.   Les États membres ne peuvent prévoir d’exception à cette règle que si, conformément aux articles 32 et 34, l’examen de la demande ultérieure n’est pas poursuivi ou si une personne est, le cas échéant, livrée à ou extradée vers, soit un autre État membre en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen [...] ou pour d’autres raisons, soit un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e). »

9

L’article 39 de la directive 2005/85, intitulé « Droit à un recours effectif », fait obligation, à son paragraphe 1, aux États membres d’assurer aux demandeurs d’asile le droit à un recours effectif. L’article 39, paragraphe 3, de cette directive est libellé en ces termes :

« Les États membres prévoient le cas échéant les règles découlant de leurs obligations internationales relatives :

a)

à la question de savoir si le recours prévu en application du paragraphe 1 a pour effet de permettre aux demandeurs de rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue du recours ;

b)

à la possibilité d’une voie de droit ou de mesures conservatoires si le recours visé au paragraphe 1 n’a pas pour effet de permettre aux demandeurs de rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue de ce recours. [...]

[...] »

10

Les articles 7 et 39 de la directive 2005/85 ont été remplacés, respectivement, par les articles 9 et 46 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

11

Aux termes de l’article 9 de la directive 2013/32, intitulé « Droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande » :

« 1.   Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour.

2.   Les États membres ne peuvent prévoir d’exception à cette règle que si une personne présente une demande ultérieure visée à l’article 41 ou si une personne est, le cas échéant, livrée à ou extradée vers, soit un autre État membre en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen [...] ou pour d’autres raisons, soit un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e).

[...] »

12

L’article 46 de cette directive, intitulé « Droit à un recours effectif », dispose, à son paragraphe 5 :

« Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours. »

La directive 2008/115

13

Les considérants 2, 4, 6, 8, 9, 12 et 24 de la directive 2008/115 énoncent :

« (2)

Le Conseil européen [...] a recommandé la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.

[...]

(4)

Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée.

[...]

(6)

Les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente. [...]

[...]

(8)

La légitimité de la pratique du retour par les États membres des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier est reconnue, à condition que soient en place des régimes d’asile justes et efficaces qui respectent pleinement le principe de non-refoulement.

(9)

Conformément à la directive [2005/85], le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur.

[...]

(12)

Il convient de régler la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. [...]

[...]

(24)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la [Charte]. »

14

L’article 2, paragraphe 1, de cette directive précise que celle-ci s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

15

Aux termes de l’article 3 de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2)

“séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du [règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontière Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1)], ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

[...]

4)

“décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

5)

“éloignement” : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre ;

[...] »

16

L’article 5 de la directive 2008/115, intitulé « Non-refoulement, intérêt supérieur de l’enfant, vie familiale et état de santé », est ainsi libellé :

« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :

a)

de l’intérêt supérieur de l’enfant,

b)

de la vie familiale,

c)

de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers,

et respectent le principe de non-refoulement. »

17

L’article 6 de cette directive, intitulé « Décision de retour », dispose :

« 1.   Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

[...]

4.   À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour.

[...]

6.   La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour et/ou une décision d’éloignement et/ou d’interdiction d’entrée dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national. »

18

L’article 7 de ladite directive, intitulé « Départ volontaire », énonce :

« 1.   La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. Les États membres peuvent prévoir dans leur législation nationale que ce délai n’est accordé qu’à la suite d’une demande du ressortissant concerné d’un pays tiers. Dans ce cas, les États membres informent les ressortissants concernés de pays tiers de la possibilité de présenter une telle demande.

[...]

2.   Si nécessaire, les États membres prolongent le délai de départ volontaire d’une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l’existence d’enfants scolarisés et d’autres liens familiaux et sociaux.

[...] »

19

L’article 8 de la même directive, intitulé « Éloignement », prévoit :

« 1.   Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7.

[...]

3.   Les États membres peuvent adopter une décision ou un acte distinct de nature administrative ou judiciaire ordonnant l’éloignement.

[...] »

20

Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2008/115 :

« Les États membres reportent l’éloignement :

a)

dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement, ou

b)

tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13, paragraphe 2. »

21

L’article 13 de cette directive, intitulé « Voies de recours », figurant au chapitre III de celle-ci, relatif aux « garanties procédurales », dispose, à son paragraphe 1:

« Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. »

22

L’article 15, paragraphe 1, de ladite directive est ainsi libellé :

« À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :

a)

il existe un risque de fuite, ou

b)

le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. »

Le droit belge

23

L’article 39/70, premier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 »), prévoit :

« Sauf accord de l’intéressé, aucune mesure d’éloignement du territoire ou de refoulement ne peut être exécutée de manière forcée à l’égard de l’étranger pendant le délai fixé pour l’introduction du recours et pendant l’examen de celui-ci. »

24

L’article 52/3, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de cette loi énonce :

« Lorsque le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ne prend pas en considération la demande d’asile ou refuse de reconnaître le statut de réfugié ou d’octroyer le statut de protection subsidiaire à l’étranger et que celui-ci séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué doit délivrer sans délai un ordre de quitter le territoire motivé par un des motifs prévus à l’article 7, alinéa 1er, 1° à 12°. Cette décision est notifiée à l’intéressé conformément à l’article 51/2.

Lorsque le Conseil du contentieux des étrangers rejette le recours de l’étranger contre une décision prise par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides en application de l’article 39/2, § 1er, 1°, et que l’étranger séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai de prolonger l’ordre de quitter le territoire prévu à l’alinéa ler. Cette décision est notifiée sans délai à l’intéressé conformément à l’article 51/2. »

25

L’article 75, paragraphe 2, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 27 octobre 1981, p. 13740), dans sa version applicable aux faits au principal, dispose :

« Si le Commissaire général aux Réfugiés et aux Apatrides refuse de reconnaître le statut de réfugié et de protection subsidiaire à l’étranger ou ne prend pas en considération la demande d’asile, le ministre ou son délégué donne à l’intéressé un ordre de quitter le territoire, conformément à l’article 52/3, § 1er, de la loi [du 15 décembre 1980]. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

26

Le 14 avril 2011, M. Gnandi, ressortissant togolais, a introduit une demande de protection internationale auprès des autorités belges, laquelle a été rejetée, le 23 mai 2014, par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après le « CGRA »). Le 3 juin 2014, l’État belge, par l’intermédiaire de l’Office des étrangers (Belgique), a ordonné à M. Gnandi de quitter le territoire.

27

Le 23 juin 2014, M. Gnandi a introduit un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) contre la décision du CGRA du 23 mai 2014. À la même date, il a sollicité auprès de cette juridiction l’annulation ainsi que la suspension de l’exécution de l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014.

28

Le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté, par arrêt du 31 octobre 2014, le recours introduit contre la décision du CGRA du 23 mai 2014 ainsi que, par arrêt du 19 mai 2015, le recours contre l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014. Saisi d’un pourvoi de M. Gnandi contre ces deux arrêts, le Conseil d’État (Belgique) a, le 10 novembre 2015, cassé l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 31 octobre 2014 et lui a renvoyé l’affaire. La procédure au principal concerne uniquement le pourvoi en cassation formé par M. Gnandi contre l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 19 mai 2015.

29

Dans le cadre de cette procédure, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5 de la directive [2008/115], qui impose aux États membres de respecter le principe de non-refoulement lorsqu’ils mettent en œuvre cette directive, ainsi que le droit à un recours effectif, prévu par l’article 13, paragraphe 1, de la même directive et par l’article 47 de la [Charte], doivent-ils être interprétés comme s’opposant à l’adoption d’une décision de retour, telle que prévue à l’article 6 de la directive [2008/115] ainsi [que] à l’article 52/3, [paragraphe 1], de la [loi du 15 décembre 1980] et à l’article 75, [paragraphe 2], de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, dès le rejet de la demande d’asile par le [CGRA] et donc avant que les recours juridictionnels contre cette décision de rejet puissent être épuisés et avant que la procédure d’asile puisse être définitivement clôturée ? »

Sur la persistance du litige au principal

30

Devant la Cour, le gouvernement belge a fait valoir qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la question préjudicielle, au motif que l’ordre de quitter le territoire en cause au principal était devenu caduc à la suite de l’octroi à M. Gnandi d’une autorisation de séjour temporaire et du prononcé, le 11 mars 2016, par le Conseil du contentieux des étrangers, d’un arrêt annulant la décision du CGRA du 23 mai 2014.

31

À cet égard, il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel. Partant, la Cour doit vérifier, même d’office, la persistance du litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, point 24 et jurisprudence citée).

32

En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, après l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle, M. Gnandi a été autorisé, par une décision de l’Office des étrangers du 8 février 2016, à séjourner sur le territoire belge jusqu’au 1er mars 2017 et que, à la suite de l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 11 mars 2016, sa demande de protection internationale a de nouveau été rejetée par le CGRA le 30 juin 2016.

33

Invitée par la Cour à lui indiquer si elle considérait qu’une réponse à sa question était encore nécessaire pour statuer, la juridiction de renvoi a répondu qu’elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle. Elle a précisé, en substance, que l’annulation de la décision du CGRA du 23 mai 2014 par l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 11 mars 2016 n’avait, par elle-même, emporté aucun effet juridique sur l’ordre de quitter le territoire en cause au principal et que l’octroi à M. Gnandi d’une autorisation de séjour temporaire n’avait pas entraîné le retrait implicite de cet ordre. Elle a ajouté que ce dernier produisait à nouveau des effets depuis le 30 juin 2016, date à laquelle était intervenu le nouveau rejet de la demande de protection internationale de M. Gnandi par le CGRA.

34

À cet égard, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales (arrêt du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, point 35 et jurisprudence citée). Par conséquent, il convient, eu égard aux indications fournies par la juridiction de renvoi, de considérer que le litige au principal est toujours pendant devant cette juridiction et qu’une réponse de la Cour à la question posée demeure utile pour la solution de ce litige. Partant, il y a lieu de statuer sur la demande de décision préjudicielle.

Sur la question préjudicielle

35

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/115, lue conjointement avec la directive 2005/85 et à la lumière du principe de non-refoulement et du droit à un recours effectif, consacrés à l’article 18, à l’article 19, paragraphe 2, et à l’article 47 de la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’adoption d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers ayant introduit une demande de protection internationale, dès le rejet de cette demande par l’autorité responsable et, partant, avant l’issue du recours juridictionnel contre ce rejet.

36

À titre liminaire, il convient de constater, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé dans sa demande de décision préjudicielle, que l’ordre de quitter le territoire en cause au principal constitue une décision de retour au sens de l’article 3, point 4, de la directive 2008/115. Cette disposition définit, en effet, la notion de « décision de retour » comme étant une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour.

37

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, celle-ci s’applique aux ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. S’agissant plus particulièrement des décisions de retour, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les États membres prennent, en principe, une telle décision à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.

38

Afin de déterminer si une décision de retour peut être adoptée à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers dès le rejet de sa demande de protection internationale par l’autorité responsable, il convient donc d’examiner, en premier lieu, si un tel ressortissant se trouve, dès ce rejet, en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115.

39

À cet égard, il résulte de la définition de la notion de « séjour irrégulier », figurant à l’article 3, point 2, de cette directive, que tout ressortissant d’un pays tiers qui est présent sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans celui-ci se trouve, de ce seul fait, en séjour irrégulier (arrêt du 7 juin 2016, Affum, C‑47/15, EU:C:2016:408, point 48).

40

Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85, un demandeur de protection internationale est autorisé à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort rejetant la demande de protection internationale. Si ce droit de rester ne constitue pas, selon les termes exprès de cette disposition, un droit à un titre de séjour, il ressort néanmoins, notamment, du considérant 9 de la directive 2008/115 que ledit droit de rester fait obstacle à ce que le séjour d’un demandeur de protection internationale soit qualifié d’« irrégulier », au sens de cette directive, pendant la période courant de l’introduction de sa demande de protection internationale jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur celle-ci.

41

Ainsi qu’il découle sans ambiguïté du libellé de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85, le droit de rester prévu à cette disposition prend fin avec l’adoption de la décision de premier ressort rejetant la demande de protection internationale par l’autorité responsable. En l’absence d’un droit ou d’un titre de séjour accordé à l’intéressé sur un autre fondement juridique, notamment en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, permettant au demandeur débouté de remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans l’État membre concerné, cette décision de rejet a pour conséquence que, dès l’adoption de celle-ci, ce demandeur ne remplit plus ces conditions, de telle sorte que son séjour devient irrégulier.

42

Certes, l’article 39, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85 ouvre aux États membres la faculté de prévoir des règles permettant aux demandeurs de protection internationale de rester sur leur territoire dans l’attente de l’issue d’un recours contre le rejet de la demande de protection internationale. En l’occurrence, l’article 39/70 de la loi du 15 décembre 1980 paraît contenir une règle de cette nature, puisqu’il accorde aux demandeurs de protection internationale le droit de rester sur le territoire belge pendant le délai d’introduction d’un tel recours et pendant l’examen de celui-ci, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

43

Il est également vrai que la Cour a jugé, aux points 47 et 49 de l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), qu’une autorisation de rester aux fins de l’exercice effectif d’un recours contre le rejet de la demande de protection internationale fait obstacle à l’application de la directive 2008/115 au ressortissant d’un pays tiers qui a introduit cette demande jusqu’à l’issue du recours contre le rejet de celle-ci.

44

Il ne saurait toutefois être inféré de cet arrêt qu’une telle autorisation de rester interdirait de considérer que, dès le rejet de la demande de protection internationale, et sous réserve de l’existence d’un droit ou d’un titre de séjour tel que visé au point 41 du présent arrêt, le séjour de l’intéressé devient irrégulier, au sens de la directive 2008/115.

45

En effet, premièrement, eu égard à la portée des questions préjudicielles posées dans l’affaire ayant conduit audit arrêt ainsi qu’au contexte dans lequel celle-ci s’inscrivait, il y a lieu de préciser que l’interprétation retenue dans ce même arrêt a été dégagée à la seule fin d’assurer que la procédure de retour ne se poursuive pas tant que le demandeur débouté est autorisé à rester dans l’attente de l’issue de son recours et que, en particulier, pendant cette période, celui-ci ne puisse pas être placé en rétention, en vertu de l’article 15 de cette directive, à des fins d’éloignement.

46

Deuxièmement, ni l’article 3, point 2, de la directive 2008/115 ni aucune autre disposition de celle-ci ne font dépendre l’irrégularité du séjour de l’issue d’un recours contre une décision administrative portant sur la fin du séjour régulier ou de l’absence d’une autorisation de rester dans l’attente de l’issue d’un tel recours. Au contraire, alors que, ainsi qu’il a été souligné au point 40 du présent arrêt, il ressort d’une lecture combinée de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85 et du considérant 9 de la directive 2008/115 que le droit du demandeur de protection internationale de rester sur le territoire de l’État membre concerné pendant la période courant de l’introduction de la demande jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur celle-ci fait obstacle à la qualification du séjour de l’intéressé d’« irrégulier », au sens de la directive 2008/115, pendant cette période, aucune disposition ni aucun considérant de la directive 2005/85 ou de la directive 2008/115 ne prévoit, en revanche, qu’une autorisation de rester sur ledit territoire jusqu’à l’issue du recours contre le rejet de la demande ferait, quant à elle, obstacle à une telle qualification.

47

Troisièmement, la directive 2008/115 ne repose pas sur l’idée selon laquelle l’irrégularité du séjour et, donc, l’applicabilité de ladite directive présupposeraient l’absence de toute possibilité légale, pour un ressortissant d’un pays tiers, de rester sur le territoire de l’État membre concerné, notamment dans l’attente de l’issue du recours juridictionnel contre la décision portant sur la fin du séjour régulier. Au contraire, ainsi qu’il ressort de son considérant 12, cette directive trouve à s’appliquer à des ressortissants d’un pays tiers qui, quoiqu’en séjour irrégulier, sont autorisés à rester légalement sur le territoire de l’État membre concerné, dans la mesure où ils ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. En particulier, l’article 7 de ladite directive prévoit la fixation d’un délai approprié pour le départ volontaire des personnes concernées pendant lequel ces personnes, bien qu’elles se trouvent en séjour irrégulier, sont encore autorisées à rester. En outre, conformément à l’article 5 et à l’article 9, paragraphe 1, de la même directive, les États membres sont tenus de respecter le principe de non-refoulement s’agissant de ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier et de reporter leur éloignement dans le cas où il se ferait en violation de ce principe.

48

Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que l’objectif principal de la directive 2008/115 consiste, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 4 de celle-ci, à mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect intégral des droits fondamentaux ainsi que de la dignité des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2014, Pham, C‑474/13, EU:C:2014:2096, point 20, et du 15 février 2016, N., C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

49

Cet objectif trouve une expression spécifique à l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115, qui laisse explicitement la faculté aux États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour dans le cadre d’un même acte de nature administrative. En effet, cette possibilité de cumul de ces deux décisions dans un seul acte de nature administrative permet aux États membres d’assurer la concomitance, voire le regroupement, des procédures administratives aboutissant auxdites décisions ainsi que des procédures de recours introduites contre ces dernières. Ainsi que l’ont fait observer notamment les gouvernements tchèque, allemand et néerlandais, une telle possibilité de cumul permet également de surmonter des difficultés pratiques relatives à la notification des décisions de retour.

50

Or, une interprétation de cette directive selon laquelle l’irrégularité du séjour serait exclue en raison de la seule existence d’une autorisation de rester dans l’attente de l’issue du recours contre le rejet de la demande de protection internationale reviendrait à priver de son effet utile la possibilité d’un tel cumul et irait ainsi à l’encontre de l’objectif de mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement. En effet, conformément à une telle interprétation, une décision de retour ne pourrait être adoptée qu’après l’issue du recours, ce qui risquerait de retarder considérablement l’enclenchement de la procédure de retour et de rendre celle-ci plus complexe.

51

Cinquièmement, s’agissant du nécessaire respect des exigences découlant du droit à un recours effectif et du principe de non-refoulement, mis en avant par la juridiction de renvoi dans sa question, il convient de souligner que l’interprétation de la directive 2008/115, tout comme celle de la directive 2005/85, doit être effectuée, ainsi qu’il découle du considérant 24 de la première et du considérant 8 de la seconde, dans le respect des droits fondamentaux et des principes reconnus notamment par la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, point 50).

52

En ce qui concerne plus particulièrement les recours prévus à l’article 13 de la directive 2008/115 contre les décisions liées au retour, de même que ceux prévus à l’article 39 de la directive 2005/85 contre les décisions de rejet de demande de protection internationale, leurs caractéristiques doivent être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte, aux termes duquel toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 45, et du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, point 51).

53

Il importe également de relever que le principe de non-refoulement est garanti en tant que droit fondamental à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (arrêt du 24 juin 2015, H. T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 65), et est réaffirmé, notamment, au considérant 2 de la directive 2005/85 ainsi qu’au considérant 8 et à l’article 5 de la directive 2008/115. L’article 18 de la Charte prévoit par ailleurs, à l’instar de l’article 78, paragraphe 1, TFUE, le respect des règles de la convention de Genève (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 75).

54

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’un État décide de renvoyer un demandeur de protection internationale vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de traitements contraires à l’article 18 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 33 de la convention de Genève, ou à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, le droit à une protection juridictionnelle effective, prévu à l’article 47 de celle-ci, requiert que ce demandeur dispose d’un recours suspensif de plein droit contre l’exécution de la mesure permettant son renvoi (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 52, et du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, point 54).

55

Certes, la Cour a déjà jugé que l’absence d’effet suspensif d’un recours exercé contre la seule décision rejetant une demande de protection internationale est, en principe, conforme au principe de non-refoulement et à l’article 47 de la Charte, dès lors que l’exécution d’une telle décision ne saurait, en tant que telle, conduire à l’éloignement du ressortissant d’un pays tiers concerné (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, point 56).

56

En revanche, le recours introduit contre une décision de retour au sens de l’article 6 de la directive 2008/115 doit, afin d’assurer, à l’égard du ressortissant d’un pays tiers concerné, le respect des exigences découlant du principe de non-refoulement et de l’article 47 de la Charte, être revêtu d’un effet suspensif de plein droit, dès lors que cette décision est susceptible d’exposer ce ressortissant à un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 18 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 33 de la convention de Genève, ou à des traitements contraires à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453, points 52 et 53, ainsi que du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, points 57 et 58). Il en va a fortiori de même s’agissant d’une éventuelle décision d’éloignement au sens de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive.

57

Cela étant, ni l’article 39 de la directive 2005/85 et l’article 13 de la directive 2008/115 ni l’article 47 de la Charte, lu à la lumière des garanties contenues à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, n’imposent l’existence d’un double degré de juridiction. Seule importe, en effet, l’existence d’un recours devant une instance juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2011, Samba Diouf, C‑69/10, EU:C:2011:524, point 69).

58

Il s’ensuit que, à l’égard d’une décision de retour et d’une éventuelle décision d’éloignement, la protection inhérente au droit à un recours effectif ainsi qu’au principe de non-refoulement doit être assurée en reconnaissant au demandeur de protection internationale un droit à un recours effectif suspensif de plein droit, au moins devant une instance juridictionnelle. Sous réserve du strict respect de cette exigence, la seule circonstance que le séjour de l’intéressé soit qualifié d’irrégulier, au sens de la directive 2008/115, dès le rejet de la demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable et qu’une décision de retour puisse, partant, être adoptée dès ce rejet ou cumulée avec celui-ci dans un même acte administratif ne contrevient ni au principe de non-refoulement ni au droit à un recours effectif.

59

Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que, à moins que lui ait été accordé un droit ou un titre de séjour tel que visé à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, le ressortissant d’un pays tiers se trouve en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115, dès le rejet de sa demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable, et ce indépendamment de l’existence d’une autorisation de rester dans l’attente de l’issue du recours contre ce rejet. Dès ledit rejet ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif, une décision de retour peut donc, en principe, être adoptée à l’encontre d’un tel ressortissant.

60

Cela étant, il importe de souligner, en second lieu, que les États membres sont tenus de faire en sorte que toute décision de retour respecte les garanties procédurales énoncées au chapitre III de la directive 2008/115 ainsi que les autres dispositions pertinentes du droit de l’Union et du droit national. Une telle obligation est explicitement prévue à l’article 6, paragraphe 6, de cette directive dans le cas où la décision de retour est adoptée en même temps qu’intervient le rejet de la demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable. Elle doit également s’appliquer dans une situation, telle que celle en cause au principal, où la décision de retour a été prise immédiatement après le rejet de la demande de protection internationale, dans un acte de nature administrative distinct et par une autorité différente.

61

Dans ce contexte, il appartient aux États membres d’assurer la pleine efficacité du recours contre la décision rejetant la demande de protection internationale, dans le respect du principe de l’égalité des armes, ce qui exige, notamment, la suspension de tous les effets de la décision de retour pendant le délai d’introduction de ce recours et, si un tel recours est introduit, jusqu’à l’issue de celui-ci.

62

À cet égard, il ne suffit pas que l’État membre concerné s’abstienne de procéder à une exécution forcée de la décision de retour. Il est au contraire nécessaire que l’ensemble des effets juridiques de cette décision soient suspendus et donc, en particulier, que le délai de départ volontaire prévu à l’article 7 de la directive 2008/115 ne commence pas à courir tant que l’intéressé est autorisé à rester. De surcroît, pendant cette période, celui-ci ne saurait être placé en rétention à des fins d’éloignement en application de l’article 15 de cette directive.

63

Par ailleurs, dans l’attente de l’issue du recours contre le rejet de sa demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable, l’intéressé doit, en principe, pouvoir bénéficier des droits qui découlent de la directive 2003/9. En effet, l’article 3, paragraphe 1, de cette directive ne subordonne l’application de celle-ci qu’à l’existence d’une autorisation de demeurer sur le territoire en tant que demandeur et, partant, n’exclut pas une telle application dans l’hypothèse où l’intéressé, tout en disposant d’une telle autorisation, est en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115. À cet égard, il ressort de l’article 2, sous c), de la directive 2003/9 que l’intéressé conserve son statut de demandeur de protection internationale au sens de cette directive tant qu’il n’a pas encore été statué définitivement sur sa demande (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Cimade et GISTI, C‑179/11, EU:C:2012:594, point 53).

64

En outre, dès lors que, nonobstant l’adoption d’une décision de retour dès le rejet de la demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif, le demandeur de protection internationale doit être autorisé à rester jusqu’à l’issue du recours contre ce rejet, les États membres sont tenus de permettre aux personnes concernées de se prévaloir de tout changement de circonstances intervenu après l’adoption de cette décision de retour, qui serait de nature à avoir une incidence significative sur l’appréciation de la situation de l’intéressé au regard de la directive 2008/115, notamment de l’article 5 de celle-ci.

65

Enfin, ainsi qu’il ressort du considérant 6 de la directive 2008/115, les États membres doivent veiller au respect d’une procédure de retour équitable et transparente (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2014, Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 40, et du 5 novembre 2014, Mukarubega, C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 61). À ce titre, il leur appartient, lorsque la décision de retour est adoptée dès le rejet de la demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité responsable ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif, de faire en sorte que le demandeur de protection internationale concerné soit informé de manière transparente sur le respect des garanties mentionnées aux points 61 à 64 du présent arrêt.

66

En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que la décision de retour en cause au principal, bien qu’elle ne puisse faire l’objet d’une exécution forcée avant l’issue du recours introduit par M. Gnandi contre le rejet de sa demande de protection internationale, fait néanmoins grief à ce dernier, en ce qu’elle l’oblige à quitter le territoire belge. Sous réserve de vérification par cette juridiction, il apparaît ainsi que la garantie évoquée aux points 61 et 62 du présent arrêt, selon laquelle la procédure de retour doit être suspendue dans l’attente de l’issue de ce recours, n’est pas remplie.

67

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que la directive 2008/115, lue conjointement avec la directive 2005/85 et à la lumière du principe de non-refoulement et du droit à un recours effectif, consacrés à l’article 18, à l’article 19, paragraphe 2, et à l’article 47 de la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’adoption d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers ayant introduit une demande de protection internationale, dès le rejet de cette demande par l’autorité responsable ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif et, partant, avant l’issue du recours juridictionnel contre ce rejet, à condition, notamment, que l’État membre concerné garantisse que l’ensemble des effets juridiques de la décision de retour soient suspendus dans l’attente de l’issue de ce recours, que ce demandeur puisse, pendant cette période, bénéficier des droits qui découlent de la directive 2003/9 et qu’il puisse se prévaloir de tout changement de circonstances intervenu après l’adoption de la décision de retour, qui serait de nature à avoir une incidence significative sur l’appréciation de la situation de l’intéressé au regard de la directive 2008/115, notamment de l’article 5 de celle-ci, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

Sur les dépens

68

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lue conjointement avec la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, et à la lumière du principe de non-refoulement et du droit à un recours effectif, consacrés à l’article 18, à l’article 19, paragraphe 2, et à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’adoption d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers ayant introduit une demande de protection internationale, dès le rejet de cette demande par l’autorité responsable ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif et, partant, avant l’issue du recours juridictionnel contre ce rejet, à condition, notamment, que l’État membre concerné garantisse que l’ensemble des effets juridiques de la décision de retour soient suspendus dans l’attente de l’issue de ce recours, que ce demandeur puisse, pendant cette période, bénéficier des droits qui découlent de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, et qu’il puisse se prévaloir de tout changement de circonstances intervenu après l’adoption de la décision de retour, qui serait de nature à avoir une incidence significative sur l’appréciation de la situation de l’intéressé au regard de la directive 2008/115, notamment de l’article 5 de celle-ci, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

 

Lenaerts

Tizzano

Silva de Lapuerta

von Danwitz

Da Cruz Vilaça

Fernlund

Vajda

Juhász

Toader

Safjan

Šváby

Berger

Jarašiūnas

Jürimäe

Lycourgos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 juin 2018.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure : le français.