CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 6 juillet 2017 ( 1 )
Affaire C‑304/16
American Express Co.
contre
The Lords Commissioners of Her Majesty’s Treasury
(demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice [England & Wales], Queen’s Bench Division [Administrative Court] [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni])
« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) 2015/751 – Opérations de paiement liées à une carte – Commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte – Schéma de cartes de paiement quadripartite – Schéma de cartes de paiement tripartite – Notion d’“émetteur” – Carte de paiement tripartite avec un partenaire de comarquage – Carte de paiement tripartite par l’intermédiaire d’un agent »
1. |
Derrière une opération aussi courante et, en apparence, aussi simple que le paiement au moyen d’une carte se cache un enchevêtrement complexe de relations juridiques que les consommateurs peuvent difficilement imaginer. Outre le consommateur et le commerçant, interviennent au minimum, dans chaque transaction au moyen d’une carte de paiement, la ou les banques de l’un et de l’autre ainsi que l’organisme qui gère la carte. |
2. |
Les commissions ( 2 ) que les organismes financiers perçoivent en échange des services qu’ils offrent aux consommateurs et aux commerçants pour faciliter l’utilisation des cartes de paiement font partie des éléments les plus pertinents de cette trame. Depuis que la Commission européenne a appliqué les règles sur la protection de la libre concurrence aux commissions multilatérales d’interchange (CMI) ( 3 ) du système de paiement MasterCard, la Cour a eu l’occasion de se prononcer sur ces règles ( 4 ). |
3. |
La Cour est aujourd’hui confrontée à un problème différent, à savoir la distinction entre les deux grands modèles de schémas ( 5 ) de cartes de paiement : le schéma quadripartite (qui est le plus répandu et dont MasterCard et Visa sont l’incarnation) et le schéma tripartite (représenté, notamment, par American Express et Diners Club). |
4. |
Le règlement (UE) 2015/751 ( 6 ) impose des limites aux commissions d’interchange dans les schémas quadripartites et laisse aux schémas tripartites l’entière liberté de fixer le montant de leurs commissions. Comme le règlement 2015/751 ne permet pas d’établir clairement les différences entre les deux schémas, la Cour est appelée à les préciser, pour autant que la demande préjudicielle présentée par la juridiction de renvoi soit recevable. |
I. Le cadre juridique : le droit de l’Union
5. |
Les commissions d’interchange sont un des coûts les plus importants dans les opérations de paiement liées à une carte. C’est parce que les disparités entre les règles des États membres avaient un impact négatif sur l’intégration du marché européen des paiements au détail (distincts des paiements en espèces) que l’Union européenne a décidé de les harmoniser afin de réduire leur nombre et d’améliorer le contrôle de leur application. |
6. |
Le règlement 2015/751 a été adopté à cette fin. Comme il est d’application directe, il n’exige pas, en principe, la création de réglementations nationales de mise en œuvre (sauf en ce qui concerne les sanctions, dont le mandat exprès énoncé à l’article 14, paragraphe 1, du règlement 2015/751 confie la détermination et l’application aux États membres). |
7. |
Le règlement 2015/751 porte sur les deux modèles de schémas de paiement avec carte : les schémas quadripartites et les schémas tripartites. Voici ce qu’on peut lire à leur propos dans les considérants suivants :
[…]
[…] » |
8. |
Au chapitre I intitulé « Dispositions générales », l’article 1er dispose : « 1. Le présent règlement établit des exigences techniques et commerciales uniformes pour les opérations de paiement liées à une carte au sein de l’Union, à condition qu’y soient situés à la fois le prestataire de services de paiement du payeur et le prestataire de services de paiement du bénéficiaire. […] 3. Le chapitre II ne s’applique pas :
4. L’article 7 ne s’applique pas aux schémas de cartes de paiement tripartites. 5. Lorsqu’un schéma de cartes de paiement tripartite accorde une licence à d’autres prestataires de services de paiement pour l’émission et/ou l’acquisition d’instruments de paiement liés à une carte, ou émet des instruments de paiement liés à une carte avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent, il doit être considéré comme un schéma de cartes de paiement quadripartite. Toutefois, jusqu’au 9 décembre 2018 en ce qui concerne les opérations de paiement nationales, ce type de schéma de cartes de paiement tripartite peut être exempté des obligations prévues au chapitre II, pour autant que les opérations de paiement liées à une carte effectuées dans un État membre dans le cadre de ce schéma de cartes de paiement tripartite ne représentent pas, en base annuelle, plus de 3 % de la valeur de l’ensemble des opérations de paiement liées à une carte effectuées dans cet État membre. » |
9. |
L’article 2 contient une longue liste de définitions des termes utilisés par le règlement 2015/751. Parmi celles-ci, nous retiendrons celles qui figurent aux points 2, 10 à 12, 15 à 18 et 32, qui sont rédigées dans les termes suivants : « Aux fins du présent règlement, on entend par : […]
[…]
[…]
[…]
[…] » |
10. |
L’article 3, paragraphe 1, dispose : « Les prestataires de services de paiement ne proposent ni ne demandent une commission d’interchange par opération d’un montant supérieur à 0,2 % de la valeur de l’opération pour toute opération liée à une carte de débit. » |
11. |
Aux termes de l’article 4 : « Les prestataires de services de paiement ne proposent ni ne demandent une commission d’interchange par opération d’un montant supérieur à 0,3 % de la valeur de l’opération pour toute opération liée à une carte de crédit. Pour les opérations liées à une carte de crédit au niveau national, les États membres peuvent fixer un plafond par opération moins élevé pour les commissions d’interchange. » |
12. |
Conformément à l’article 5 : « Aux fins de l’application des plafonds mentionnés aux articles 3 et 4, toute rémunération convenue, y compris la compensation nette, ayant un objet ou un effet équivalent à la commission d’interchange, reçue par un émetteur de la part d’un schéma de cartes de paiement, d’un acquéreur ou de tout autre intermédiaire en rapport avec des opérations de paiement ou des activités connexes est considérée comme faisant partie de la commission d’interchange. » |
13. |
L’article 7, qui ne s’applique pas aux schémas de cartes de paiement tripartites, énonce les règles qui régissent la séparation entre le schéma de cartes de paiement et les entités de traitement des opérations de paiement. |
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
14. |
American Express Company (ci-après « Amex ») est une société internationale de services, établie à New York, qui, avec l’aide de ses filiales, offre des services de paiement, de voyages et de change ainsi qu’une plateforme de fidélisation tout en exerçant des activités d’émission et d’acquisition de cartes dans le monde entier, y compris dans l’Union. |
15. |
Cette société exploite le schéma de cartes de paiement American Express, qui est un schéma tripartite. Amex a conclu un certain nombre d’accords de comarquage et de fourniture de services avec d’autres entités dans l’Union. Sous réserve de l’interprétation du règlement 2015/751, ces accords prévoient que ces opérations demeurent soumises aux restrictions imposées par celui-ci aux schémas de cartes de paiement tripartites. |
16. |
Diners Club International Limited, filiale de Discover Financial Services, qui exploite le schéma de cartes de paiement tripartite Diners Club et soutient les thèses d’Amex dans le recours au principal, se trouve dans une situation similaire. |
17. |
MasterCard Europe SA (ci-après « MasterCard »), principale filiale européenne de MasterCard Incorporated, est également partie au présent litige. Cette société opère à l’échelle mondiale des schémas de cartes de crédit et de débit quadripartites sous l’appellation MasterCard. La juridiction de renvoi l’a autorisée à intervenir à la procédure au soutien des thèses d’Amex. |
18. |
Amex a engagé un recours devant la juridiction de renvoi à propos de l’obligation ou de l’intention de Her Majesty’s Treasury (Trésor britannique, ministère de l’Économie et du Budget du Royaume-Uni ( 7 )) d’exécuter et d’appliquer certains aspects de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 dans cet État membre. |
19. |
L’objet de la controverse porte, concrètement, sur deux des trois hypothèses visées à l’article 1er, paragraphe 5, et à l’article 2, point 18, du règlement 2015/751, qui qualifient de quadripartites certains schémas de cartes de paiement tripartites. |
20. |
Le juge de renvoi indique que les parties sont d’accord sur l’application de la première hypothèse visée par ces dispositions et qu’il ne conçoit aucun doute à ce sujet : lorsqu’un schéma tripartite accorde à d’autres fournisseurs de services de paiement une licence leur permettant d’émettre des cartes de paiement ou d’acquérir des opérations de paiement liées à une carte, ou leur permettant de faire les deux, il demeure soumis au règlement de la même manière que les schémas quadripartites. |
21. |
Les doutes se concentrent sur les deux autres hypothèses, à savoir les situations dans lesquelles un schéma tripartite émet « des instruments de paiement liés à une carte avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent ». Le juge de renvoi souhaite que la Cour l’éclaire sur le point de savoir si, dans ces hypothèses, les activités d’un schéma tripartite peuvent être assimilées à celles des schémas quadripartites aux fins du règlement 2015/751 dans tous les cas (c’est-à-dire qu’il suffirait alors qu’il y ait un partenaire de comarquage ou un agent) ou bien si une telle assimilation exige en outre que ces partenaires ou agents soient des fournisseurs de services de paiement qui émettent les cartes. |
22. |
Enfin, si un schéma tripartite devient quadripartite en raison de l’intervention d’un partenaire de comarquage ou d’un agent, le juge de renvoi interroge la Cour sur la validité de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751. |
23. |
C’est au terme de ces réflexions que, par décision de renvoi du 30 mai 2016, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni] a adressé les questions préjudicielles suivantes à la Cour :
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24. |
Ont présenté des observations écrites à la Cour Amex, MasterCard, les gouvernements portugais et du Royaume-Uni, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission. Ont comparu lors de l’audience du 27 avril 2017 Amex, MasterCard, le gouvernement du Royaume-Uni, le Parlement, le Conseil et la Commission. |
III. Analyse
25. |
Le Parlement, le Conseil et la Commission prétendent que les questions préjudicielles sont irrecevables. J’examinerai le bien-fondé de leurs objections avant de me consacrer, éventuellement, à l’étude du fond. S’il y a lieu de procéder à celle-ci, directement ou à titre subsidiaire, elle devra, pour être plus aisément compréhensible, être précédée d’une explication sur les rapports juridiques que comportent les opérations de paiement avec carte. |
A. Recevabilité des questions préjudicielles
26. |
Les trois institutions fondent leur exception d’irrecevabilité sur les arguments suivants : a) il n’y a pas de litige réel entre les parties puisque le recours visant au contrôle de la légalité (judicial review) de l’« obligation et/ou de l’intention » qu’a le gouvernement du Royaume-Uni d’appliquer un règlement dissimule, en réalité, une manière pour la requérante de se soustraire au système de recours instauré par le TFUE ; b) la demande est de nature hypothétique et c) la juridiction de renvoi n’expose pas les éléments de fait et de droit pertinents ni les raisons qui l’amènent à interroger la Cour sur la validité de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751. |
27. |
Certes, ce renvoi préjudiciel est atypique et contient une série d’anomalies qui, conformément à la jurisprudence de la Cour et à l’article 94 de son règlement de procédure, pourraient justifier son irrecevabilité. |
28. |
Premièrement, la juridiction de renvoi ne décrit pas les faits du litige. Elle se contente d’affirmer que le recours d’Amex porte sur « l’obligation ou l’intention qu’a le défendeur [à savoir le Trésor britannique] d’appliquer au Royaume–Uni certains aspects de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement [2015/751] ». Elle ne précise pas la manière dont les autorités britanniques entendent appliquer les dispositions controversées ni si cette application administrative s’est déjà produite. |
29. |
Deuxièmement, le juge de renvoi constate qu’Amex, partie requérante, et le ministère de l’Économie et du budget Budget du Royaume-Uni, partie défenderesse, sont d’accord sur la solution du litige. Non seulement l’administration défenderesse ne s’oppose pas vraiment au recours introduit par la société requérante, mais elle joint sa voix à la sienne pour réclamer le renvoi préjudiciel. |
30. |
Troisièmement, le juge de renvoi se contente de souscrire aux arguments des parties sans expliquer les raisons pour lesquelles il estime devoir saisir la Cour. Il n’explique pas non plus pourquoi les réponses à ses questions sont indispensables à la solution du (soi-disant) litige. En réalité, il ne fait que transmettre à la Cour le document rédigé par les parties, qu’il intègre dans sa décision de renvoi ( 8 ). |
31. |
Une demande préjudicielle présentée dans ces conditions ne devrait pas être accueillie par la Cour. |
32. |
Il existe cependant une circonstance particulière qui pourrait expliquer le comportement du juge de renvoi. Les questions sont posées dans le cadre d’un recours visant le judicial review de « l’obligation et/ou de l’intention » qu’a le Royaume-Uni d’appliquer une norme de droit dérivé de l’Union. Il s’agit d’une procédure sui generis du droit du Royaume-Uni qui, appliquée directement, permet aux particuliers de demander l’interprétation ou la déclaration d’invalidité d’un acte normatif avant même qu’il soit mis en œuvre. |
33. |
Je considère qu’en déclarant recevables des demandes préjudicielles présentées par des juridictions du Royaume-Uni dans le cadre de ces procédures lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité de règles de l’Union, la Cour s’est montrée assez généreuse ( 9 ). Je crois qu’en agissant ainsi, elle offre aux justiciables du Royaume-Uni la possibilité de mettre en question la validité d’actes normatifs de l’Union à caractère général avant même que ces règles ne puissent produire des effets juridiques dans leur ordre juridique interne (possibilité que n’ont pas les justiciables d’autres États membres) ( 10 ). Je reviendrai sur cet aspect ultérieurement. |
34. |
Diverses raisons plaident, néanmoins, en faveur de la recevabilité. En premier lieu, la Cour reconnaît aux demandes préjudicielles une présomption de pertinence parce que le juge national dispose d’un pouvoir d’appréciation concernant la nécessité de saisir la Cour. Il s’agit néanmoins d’une présomption réfragable ( 11 ). |
35. |
Il est, en outre, significatif que la Cour ait déjà répondu à des demandes préjudicielles présentées par des juridictions du Royaume-Uni dans le cadre de ce même type de procédure de judicial review ( 12 ). Certes, la plupart de ces précédents concernent l’interprétation de directives, mais je ne crois pas que les étendre à l’interprétation et à la validité d’un règlement poserait des difficultés insurmontables ( 13 ). |
36. |
Un règlement est directement applicable (article 288 TFUE, deuxième alinéa), ce qui implique qu’à moins qu’il le prévoit lui-même, les États membres ne peuvent pas lui substituer des dispositions légales ou réglementaires plus amples qu’ils adopteraient ( 14 ). Or, dans de nombreux cas, c’est aux autorités nationales qu’il incombe d’appliquer les règlements sur le plan administratif et il est fréquent que cette application soulève des doutes concernant la manière d’interpréter certaines de leurs dispositions ou leur validité, doutes qui sont alors portés devant les juridictions nationales ( 15 ). |
37. |
Tel est le cas en l’espèce puisqu’il existe deux façons, au moins, d’interpréter l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 et de les appliquer aux schémas de cartes de paiement tripartites, et que certaines raisons pourraient être invoquées pour contester leur validité. |
38. |
En deuxième lieu, la jurisprudence de la Cour ne subordonne pas la recevabilité des demandes préjudicielles à la condition que le législateur national ait effectivement adopté des mesures d’application d’un acte de l’Union. Il suffit que la juridiction de renvoi ait été saisie d’un litige réel dans lequel a été soulevée, de manière incidente, une question concernant l’interprétation ou la validité d’un tel acte. |
39. |
En troisième lieu, la juridiction de renvoi a déclaré recevable l’action portée devant elle, ce qui signifie que, pour elle, la procédure a été engagée conformément aux règles en vigueur dans son ordre juridique ( 16 ). La possibilité de se prononcer sur l’interprétation et la validité de ces deux articles avant leur application administrative ne semble pas lui poser de problème de procédure. |
40. |
En dernier lieu, la technique utilisée par le juge national lorsqu’il a rédigé son ordonnance de renvoi est manifestement perfectible puisqu’il se limite à reprendre l’explication des éléments de fait et de droit de l’affaire que les parties lui ont exposée, sans procéder par lui-même à leur élucidation ( 17 ). L’ordonnance permet cependant de se former une idée adéquate de ces éléments de fait et de droit ( 18 ), et a fourni aux parties intéressées (à savoir le Parlement, le Conseil, la Commission, les gouvernements portugais et du Royaume-Uni, Amex et MasterCard) l’occasion de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. |
41. |
Nonobstant la force de ces arguments, je crois que deux autres feront pencher la balance en faveur de l’irrecevabilité. |
42. |
Des procédures telles que celle-ci offrent aux parties litigantes qui agissent devant les juridictions du Royaume-Uni la possibilité de « se soustraire » aux restrictions du droit d’agir en annulation d’actes normatifs de l’Union à portée générale. Recourir à la technique préjudicielle comme l’a fait la requérante au principal leur confère l’avantage, non négligeable en termes de procédure, d’attaquer la légalité de ces actes avant même leur application administrative et de se mettre à l’abri des effets futurs que ces actes pourraient avoir sur la situation juridique de leurs destinataires ( 19 ). |
43. |
Déclarer recevables des renvois qui présentent ces caractéristiques pourrait engendrer une discrimination dans l’usage du mécanisme préjudiciel au détriment des particuliers des autres États membres, qui doivent attendre qu’un acte administratif de mise en œuvre leur fasse grief avant de pouvoir engager un recours contre lui et, le cas échéant, demander la déclaration de nullité tant de cet acte particulier que de la règle de l’Union qui lui sert de support. |
44. |
Suivant la logique du système des recours de l’Union, les demandes en nullité sont réservées aux requérants qui jouissent d’une légitimation active générale et aux particuliers directement et individuellement affectés par un acte déterminé. Alors que ceux-ci doivent engager, dans le délai, un recours (direct) en annulation devant le tribunal de première instance, ils n’ont pas la possibilité de demander, préalablement ou parallèlement, au juge national d’adresser une question préjudicielle en appréciation de validité ( 20 ). |
45. |
Généraliser des procédures préjudicielles telles que celle qui nous occupe aujourd’hui pourrait, selon moi, faire voler en éclats cette dernière caractéristique du système de recours contre les actes de l’Union. Proposer de les déclarer irrecevables ne revient pas à critiquer, même indirectement, les spécificités de la procédure de judicial review du Royaume-Uni, dont je trouve la flexibilité digne de bien des éloges. L’autonomie reconnue aux États membres lorsqu’ils aménagent leur droit national de la procédure les autorise à organiser leur système de recours de la manière qu’ils jugent opportune. Or, lorsqu’ils adressent des demandes préjudicielles à la Cour, ils doivent forcément respecter l’article 267 TFUE et la jurisprudence qu’elle a consacrée aux conditions auxquelles la validité des actes de l’Union peut être mise en cause, que ce soit par un recours direct ou par la voie préjudicielle. |
46. |
Il se trouve en outre que, comme je l’ai signalé, aucune véritable confrontation entre Amex et l’administration du Royaume-Uni n’a eu lieu devant la juridiction nationale en l’espèce. L’une comme l’autre défendent la même thèse et, si elles se sont adressées à la juridiction, ce n’est pas pour que celle-ci résolve une controverse réelle sur la solution de laquelle elles sont divisées, mais uniquement afin qu’elle adresse à la Cour de justice les questions qu’elles avaient elles-mêmes préparées. |
47. |
Tout litige a pour caractéristique (et pour essence) que des positions contradictoires s’affrontent. Or, dans le cas présent, il s’agit plutôt d’un artifice de procédure ourdi de connivence dans le seul but d’obtenir l’arrêt de la Cour sans qu’il existe une véritable controverse entre partie requérante et partie défenderesse. Cela revient, de facto, à demander un avis consultatif à la Cour afin qu’elle dissipe certains doutes concernant l’interprétation et la validité du règlement 2015/751. |
48. |
Dans ces conditions, je suis enclin à proposer à la Cour de déclarer les questions préjudicielles irrecevables. Je vais néanmoins examiner le fond de celles-ci dans l’éventualité où la Cour ne suivrait pas ma suggestion. |
B. Considérations générales sur les schémas de cartes de paiement
49. |
Tout achat effectué au moyen d’une carte de paiement met normalement en présence les acteurs suivants : a) le titulaire de la carte ; b) l’établissement financier, généralement une banque, qui émet cette carte et la fournit à ses clients (ci-après la « banque émettrice ») ( 21 ) ; c) le commerçant qui vend ses produits ou fournit ses services, payés au moyen de la carte ; d) l’établissement financier qui fournit à ce commerçant les services permettant d’accepter la carte, organisme qui est généralement, lui aussi, une banque et se nomme, dans le jargon propre à ces opérations, « banque d’acquisition » ou « banque acquéreur », et e) les schémas de paiement par carte, tels que Visa, MasterCard, American Express et Diners Club. Peuvent en outre intervenir les réseaux locaux de traitement des opérations de paiement avec carte. |
50. |
Le paiement avec carte engendre un entrelacs complexe de relations juridiques entre ces acteurs ( 22 ). En premier lieu, le titulaire de la carte et la banque émettrice concluent un contrat d’émission de la carte de paiement, pour laquelle le titulaire paie généralement une cotisation à la banque. Les banques émettrices approuvent l’ordre du consommateur en confirmant qu’il dispose d’un solde suffisant sur son compte (carte de débit) ou que le montant du paiement est couvert par la limite de crédit disponible (carte de crédit). |
51. |
En second lieu, le commerçant et la banque acquéreur passent un contrat d’affiliation prévoyant que la banque fournit au commerçant les services indispensables pour qu’il puisse accepter les cartes comme moyen de paiement. Le commerçant supporte une retenue sur le prix final de la vente de ses biens ou services (retenue qui comprend les commissions d’interchange) en rémunération du support que lui fournit la banque (sous la forme d’un terminal de point de vente ou d’une passerelle de paiement liée à la page Internet du commerce) pour la réception de l’ordre de paiement du consommateur et pour le versement des paiements des opérations d’achats présentés par l’établissement commercial. Les banques acquéreurs saisissent en outre les données de la transaction, les renvoient aux entités de traitement et remettent les fonds au commerce après avoir retenu les commissions d’interchange et de ristourne. |
52. |
Les schémas de paiement avec carte effectuent la compensation et la liquidation des ordres de paiement, opération pour laquelle ils perçoivent une commission des banques (émettrices et acquéreurs) qui détiennent une licence de leurs marques. |
53. |
Enfin, l’intervention des organismes de traitement des paiements donne lieu à la conclusion d’un contrat de licence et d’exploitation d’usage de marque entre elles et les schémas de paiement avec carte. Ces organismes de traitement se comportent comme un instrument de participation collective des établissements financiers en leur sein et se mettent généralement d’accord sur les commissions d’interchange collectivement. |
54. |
En fonction des participants, les schémas de cartes de paiement canalisent leurs opérations suivant deux modèles : les schémas quadripartites ou ouverts et les schémas tripartites ou fermés. |
55. |
Les schémas quadripartites (Visa et MasterCard) dominent le marché. Dans ces schémas, les paiements s’effectuent depuis le compte d’un donneur d’ordre (le consommateur) vers celui d’un bénéficiaire (le commerçant) grâce à l’intermédiaire du schéma de cartes de paiement. Interviennent également la banque émettrice de la carte du consommateur et la banque acquéreur, qui offrent le support technique permettant au commerçant de percevoir le paiement ( 23 ). |
56. |
Les schémas quadripartites portent ce nom parce qu’outre l’entreprise de gestion du système de paiement, quatre parties interviennent dans ces schémas quadripartites (à savoir le titulaire de la carte et sa banque émettrice ainsi que le récepteur du paiement et sa banque acquéreur). Ils sont dits « ouverts » parce que, en plus de la société de gestion du schéma de cartes de paiement, deux établissements financiers interagissent. |
57. |
Dans ces schémas, la banque émettrice de la carte verse à la banque acquéreur une commission (appelée « commission d’interchange ») afin de défrayer celle-ci des coûts qu’elle ne peut pas récupérer par le biais des cotisations versées par le titulaire (pour la délivrance de la carte ou l’abonnement annuel, notamment). |
58. |
Cette commission d’interchange est, à son tour, répercutée par la banque acquéreur sur le commerçant, comme charge qui s’ajoute aux coûts résultant des services financiers fournis, lesquels constituent ce qu’il est convenu d’appeler la commission de service. La commission d’interchange représente un seuil minimum ainsi qu’une composante importante des coûts financiers répercutés par la banque acquéreur sur le commerçant, lequel, à son tour, les intègre généralement dans les prix de vente qu’il applique aux consommateurs. |
59. |
L’autre modèle de schéma de cartes de paiement est celui des schémas tripartites ou fermés, tels qu’American Express et Diners Club, dans lesquels le consommateur (titulaire de la carte) et le commerçant ont une relation directe avec le schéma émetteur de la carte. Ces schémas s’appellent donc tripartites parce qu’aucun autre établissement financier n’intervient dans ces schémas : ce sont des schémas fermés. |
60. |
Dans une transaction passée dans un système tripartite, un seul fournisseur de services financiers agit en double qualité d’émetteur et d’acquéreur. Comme il n’y a ni banque émettrice de la carte ni banque acquéreur des paiements, il n’existe aucune commission d’interchange. Le régime tripartite est libre de fixer individuellement les commissions qu’il recouvre auprès des commerçants pour les services financiers qu’il leur fournit. |
61. |
Dans l’Union européenne, les schémas tripartites réalisent un volume d’opérations très réduit si on le compare à ceux des schémas quadripartites et ils s’adressent à des catégories spécifiques de consommateurs. Comme ils n’occupent pas une position dominante sur le marché des cartes de paiement, les commerçants ont l’entière liberté d’accepter ou non l’utilisation des schémas tripartites. |
62. |
Néanmoins, il existe des régimes tripartites qui ne sont pas authentiques et s’écartent du fonctionnement que je viens de décrire. C’est le cas lorsqu’ils concluent des contrats de licence d’usage et d’exploitation de marque avec d’autres établissements financiers afin que ces derniers endossent le rôle d’émetteurs de leurs cartes de paiement. En pareille hypothèse, les commissions convenues équivalent à des commissions d’interchange. |
63. |
Il existe également ce que l’on appelle des « schémas tripartites avec extension », qui voient le jour lorsque le schéma étend son action en collaborant avec des tiers, soit en recourant à l’émission de cartes « avec un partenaire de comarquage » (« extension de comarquage ») ( 24 ) ou « par l’intermédiaire d’un agent » (« extension d’agence »). Dans l’un comme dans l’autre modèle, les quantités échangées entre le schéma tripartite et les autres marques ou agents pourraient constituer des commissions équivalant aux commissions d’interchange des schémas quadripartites. C’est précisément sur ce point que la juridiction de renvoi demande à la Cour de l’éclairer. |
64. |
Les commissions d’interchange renchérissaient, au préjudice des consommateurs, la prestation des services de paiement avec carte et, qui de plus est, leur montant variait considérablement d’un État membre à l’autre ( 25 ). C’est pour ces raisons que l’Union s’est employée, dans un premier temps, à modérer leur montant en appliquant les règles de défense de la concurrence et qu’ensuite, elle a eu recours à l’harmonisation des législations dans le cadre du développement de la réglementation commune en matière de paiements. |
65. |
La Commission a appliqué les règles de la concurrence aux CMI de Visa ( 26 ) et de MasterCard ( 27 ). Ces commissions représentaient un coût commun supporté par toutes les banques acquéreurs participant à un schéma quadripartite, dont le niveau servait de « prix minimum » lorsque ces banques négociaient avec leurs propres clients (c’est-à-dire les commerçants) le prix des services qu’elles leur fournissaient. |
66. |
La Commission a déclaré que les accords sur les CMI des schémas quadripartites étaient contraires au droit de l’Union en raison du fait, notamment, que les banques imposaient collectivement un prix minimum aux commerçants, ce que la Cour a confirmé par la suite ( 28 ). |
67. |
La Commission est ainsi parvenue à obtenir des engagements de réductions substantielles des CMI de Visa et de MasterCard, qui ont été porté à un maximum de 0,3 % pour les opérations avec cartes de crédit et de 0,2 % pour les opérations avec cartes de débit. |
68. |
Il s’est néanmoins avéré que son intervention n’avait pas été suffisante pour contrôler les commissions d’interchange ( 29 ). La rivalité entre les schémas de cartes de paiement, qui s’emploient à convaincre les établissements financiers fournisseurs de services de paiement d’émettre leurs cartes, provoque, paradoxalement, une augmentation et non une diminution de ces commissions, ce qui tranche avec l’effet de discipline en matière de prix que la concurrence a généralement dans une économie de marché ( 30 ). C’est cette circonstance qui justifie l’adoption du règlement 2015/751, instaurant le contrôle ex lege des plafonds applicables aux commissions d’interchange ainsi que d’autres mesures organisant les relations entre les différents acteurs intervenant dans les opérations de paiement avec carte. Il a pour objet d’empêcher que les commissions d’interchange créent un obstacle au développement d’un marché intégré des services de paiement dans l’Union. |
C. Première question : application du règlement 2015/751 aux schémas tripartites avec extension
69. |
J’ai déjà indiqué que ni le juge de renvoi ni les parties n’hésitent à qualifier de quadripartite, conformément à l’article 1er, paragraphe 5, et à l’article 2, point 18, du règlement 2015/751, un régime tripartite qui accorde à d’autres fournisseurs de services de paiement une licence leur permettant d’émettre leurs cartes, d’acquérir des opérations de paiement au moyen de celles-ci ou de réaliser l’une et l’autre tâches ( 31 ). |
70. |
Les doutes que conçoit le juge de renvoi et les opinions des parties se concentrent sur les deux autres hypothèses visées à l’article 1er, paragraphe 5, et à l’article 2, point 18, du règlement 2015/751, c’est-à-dire sur les cas dans lesquels un régime tripartite émet « des instruments de paiement liés à une carte avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent ». La Cour est invitée à déterminer si, dans ces deux cas, le régime tripartite avec extension doit être qualifié de quadripartite ou bien s’il n’en serait ainsi que lorsque le partenaire ou l’agent se charge d’émettre la carte ou d’acquérir les paiements, voire se charge des deux. |
71. |
La rédaction de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 n’est pas claire du tout et son ambiguïté ne peut pas être dissipée par une simple lecture. |
72. |
Amex et le gouvernement du Royaume-Uni sont favorables à une interprétation restrictive de ces dispositions. Ils soutiennent qu’il n’y a lieu de qualifier les schémas tripartites de quadripartites que lorsque le partenaire ou l’agent qui agissent en extension de ces schémas tripartites émettent des cartes ou acquièrent des paiements. Au contraire, MasterCard, le gouvernement portugais et la Commission défendent une interprétation large de ces mêmes articles, interprétation en vertu de laquelle seraient qualifiés de quadripartites tous les cas d’extension d’un schéma tripartite avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent. |
73. |
Opter pour l’une ou l’autre de ces deux interprétations a des répercussions importantes. L’interprétation restrictive a pour conséquence que ne s’appliqueront pas à cette catégorie de schémas tripartites (avec extension de comarquage ou d’agence) diverses restrictions prévues à l’article 1er, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/751. En particulier, les commissions convenues au sein de ces schémas ne seraient pas considérées comme des commissions d’interchange, ce qui les dispenserait de respecter les limites exposées ci-dessus (à savoir 0,2 % pour les cartes de débit et 0,3 % pour les cartes de crédit). Elles ne seraient pas davantage soumises à l’interdiction de contourner ces limites au moyen de commissions d’effet équivalent à ces commissions. De surcroît, elles ne seraient pas soumises à l’obligation de séparation entre les régimes de cartes de paiement et les entités de traitement (article 7 du règlement 2015/751). |
74. |
Cela indique déjà que j’ai l’intention de défendre l’interprétation large de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751. J’utiliserai, comme à l’habitude, les critères herméneutiques littéral, systématique et téléologique pour déchiffrer le sens de ces dispositions. |
1. Le critère de l’interprétation littérale
75. |
L’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 sont rédigés en des termes identiques et il résulte de cette rédaction que les schémas quadripartites et les schémas tripartites peuvent être assimilés dans trois hypothèses :
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76. |
Les deux dernières catégories sont les plus fréquentes sur le marché. Dans celles-ci, l’entreprise titulaire de la marque combinée ou l’agent ne sont pas des établissements financiers ou ne se comportent pas comme tels. C’est la raison pour laquelle ils n’émettent pas les cartes et n’acquièrent pas les paiements, mais offrent uniquement aux régimes tripartites l’accès à leurs fichiers clients. |
77. |
Les dispositions que nous sommes en train d’analyser restent muettes sur la nécessité pour les tiers qui concluent ces accords avec le schéma tripartite d’émettre des instruments de paiement liés à une carte ou d’acquérir des instruments de paiement liés à une carte. Or, c’est précisément cette circonstance qui est envisagée dans l’hypothèse de schémas tripartites non authentiques. Si l’accord de comarquage ou d’agence implique que le tiers collaborateur agisse en qualité d’émetteur ( 34 ) ou d’acquéreur ( 35 ), nous aurions affaire non pas à des accords d’extension, mais à des accords de concession de licence. |
78. |
Le gouvernement portugais signale, à bon escient, que toute autre interprétation serait dénuée de sens parce qu’elle impliquerait que les deux dernières hypothèses visées à l’article 1er, paragraphe 5, et à l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 soient comprises dans la première. |
79. |
L’interprétation littérale de ces deux dispositions milite donc en faveur d’une assimilation aux schémas quadripartites de tous les régimes tripartites avec extension de comarquage et d’agence, indépendamment du point de savoir si les partenaires ou les agents sont ou non des prestataires de services de paiement ( 36 ) et s’ils agissent ou non en qualité d’émetteurs de cartes ou d’acquéreurs des paiements ou encore dans ces deux qualités à la fois. |
80. |
Le gouvernement du Royaume-Uni et Amex voient les choses autrement. Pour eux, l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 parlent de régimes tripartites qui « émettent […] avec un partenaire de comarquage » et qui « émettent […] par l’intermédiaire d’un agent ». Selon eux, les expressions « avec » et « par l’intermédiaire de » montrent que le partenaire de comarquage ou l’agent doivent être impliqués dans l’émission de la carte. Pour appuyer ce raisonnement, ils ont recours aux liens que ces normes présentent avec d’autres dispositions du règlement 2015/751. |
81. |
Comme je viens de l’exposer, je ne partage pas cette thèse, qui, en réalité, ne s’appuie pas sur l’analyse proprement terminologique, mais sur l’approche systématique, à laquelle je vais me consacrer par la suite. |
2. Les critères d’interprétation systématique et téléologique
82. |
Le gouvernement du Royaume-Uni et Amex se fondent, en effet, sur une interprétation systématique puisqu’ils ont recours aux notions d’« émetteur » et d’« émission de cartes de paiement » qui figurent à l’article 2, point 2, et au considérant 29 du règlement 2015/751 ( 37 ). Il résulte de ces notions que, lorsque les partenaires de comarquage et les agents ne mettent pas de carte de paiement à la disposition du payeur, n’autorisent pas les opérations aux terminaux ou aux dispositifs équivalents et ne garantissent pas le paiement à l’acquéreur pour les opérations effectuées, ils ne peuvent pas être qualifiés de parties avec lesquelles (ou par l’intermédiaire desquelles) un schéma tripartite émet des instruments de paiement liés à une carte. |
83. |
Dans le même sens, pour suivre Amex et le gouvernement du Royaume‑Uni, si le partenaire de comarquage ou l’agent limitent leur activité à la simple distribution des cartes, aux services techniques de paiement ou au simple traitement et stockage de données, ils n’agissent pas en qualité d’émetteurs, de sorte que les accords d’extension des schémas tripartites ne seraient pas couverts par l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751, ce qui empêcherait d’assimiler ces schémas aux schémas quadripartites. |
84. |
Selon le gouvernement du Royaume-Uni et Amex, le considérant 28 du règlement 2015/751 ( 38 ) corroborerait cette approche. Il assimilerait les schémas tripartites aux schémas quadripartites uniquement lorsque les premiers utilisent un autre fournisseur de services de paiement comme émetteur ou comme acquéreur. L’absence de référence aux accords avec des partenaires de comarquage ou avec des agents qui n’interviennent pas en qualité d’émetteurs ou d’acquéreurs de cartes oblige à penser qu’en pareils cas, il n’y a pas de commissions implicites assimilables à la commission d’interchange. Les assimiler aux schémas quadripartites ne se justifierait donc pas. |
85. |
Amex ajoute que son interprétation de l’article 1er, paragraphe 5, du règlement 2015/751 est conforme à la logique de cette disposition parce que les trois hypothèses qu’elle vise exigeraient, en sus du régime tripartite, l’intervention d’un fournisseur de services de paiement qui percevrait des commissions, et comporteraient un traitement de ces cas identique à celui qui s’applique aux schémas quadripartites. |
86. |
J’estime, au contraire, que cette interprétation des termes « émission » (de cartes de paiement), « comarquage » et « agent » débouche sur un résultat qui ne concorde ni avec le contexte, ni avec l’interprétation systématique, ni avec les objectifs du règlement 2015/751. Contrairement à d’autres, ces termes ne sont pas définis dans le règlement 2015/751 et, conformément à une jurisprudence abondante de la Cour, ils doivent trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme dès lors qu’ils ne contiennent aucun renvoi exprès au droit des États membres qui permettrait de déterminer leur sens et leur portée ( 39 ). |
87. |
Comme je l’ai indiqué, l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 ne font aucune distinction entre les hypothèses d’extension (par comarquage ou par agence) dans lesquelles le partenaire ou l’agent sont des fournisseurs de services de paiement qui émettent des cartes ou reçoivent des paiements par cartes, d’une part, et celles dans lesquelles le partenaire ou l’agent se limitent à effectuer un autre type d’activités, d’autre part. La Commission souligne à bon escient que cette distinction est le fruit de l’interprétation proposée par Amex, mais que l’interprète n’a pas à faire de distinction lorsque la règle n’en fait pas. |
88. |
Le fait que la notion de « comarquage » utilisée à l’article 2, point 32, du règlement 2015/751 n’envisage pas cette distinction n’est pas favorable à celle‑ci ( 40 ). Il résulte, au contraire, de cette disposition que le comarquage comporte l’inclusion de la marque de paiement (par exemple, Amex) et, au moins, d’« une marque autre qu’une marque de paiement » appartenant à une entreprise étrangère à la prestation de services financiers ( 41 ). |
89. |
En outre, la distinction entre les deux types d’extension, selon que le partenaire de comarquage ou l’agent agissent ou non en qualité d’établissement financier, se fonde sur une lecture combinée de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, à la lumière du considérant 29 du règlement 2015/751 qui ne me convainc pas davantage. |
90. |
Ces articles parlent, textuellement, de schémas tripartites qui « émet[tent] des instruments de paiement liés à une carte avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent ». Ce sont donc les schémas tripartites qui émettent les instruments de paiement. Rien dans ces deux articles ne suggère que ce seraient les partenaires de comarquage ou les agents qui devraient émettre les cartes de paiement ou accepter les paiements réalisés au moyen de celles-ci, voire les deux. |
91. |
Comme l’explique le juge de renvoi aux points 29 à 31 de sa décision, les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence sont les schémas conclus avec des entreprises qui ne fournissent pas de services financiers ( 42 ). Ces extensions constituent un exercice de marketing conjoint à la faveur duquel les deux entités se partagent leurs fichiers clients et incitent à la consommation des biens et services qu’elles offrent. Pour les schémas tripartites de cartes de paiement, l’utilisation d’un de ces types d’extension est une façon importante d’accéder à de nouveaux clients puisque, contrairement aux schémas quadripartites, ils ne bénéficient pas de la collaboration d’autres établissements financiers. |
92. |
Comme le signale la Commission, le recours à l’interprétation systématique exige en outre de l’interprète qu’il tienne compte des notions de « compensation nette » et de « commission d’interchange », qui sont définies à l’article 2, points 10 et 11, du règlement 2015/751, ainsi que des commissions d’interchange implicites visées dans le considérant 31 ( 43 ), de même que de l’interdiction de contournement des plafonds (article 5). |
93. |
L’interprétation systématique de ces dispositions amène à proposer une compréhension large de la notion de « commission d’interchange ». Dans le cas contraire, les schémas tripartites auraient beau jeu de contourner les règles qui limitent son montant et pourraient les déjouer par le biais de rémunérations et compensations indirectes. C’est ce contournement que vise l’article 5 du règlement 2015/751, selon lequel la notion de « commission d’interchange » est entendue au sens large : elle comprend toute rémunération convenue, y compris la compensation nette, ayant un objet ou un effet équivalent et reçue par un émetteur de la part d’un schéma de cartes de paiement, d’un acquéreur ou de tout autre intermédiaire en rapport avec des opérations de paiement ou des activités connexes. |
94. |
La notion de « commission d’interchange » doit donc englober le montant net total des paiements, escomptes ou avantages versés par le schéma à l’entreprise de comarquage ou à l’agent (compensation nette). Cela veut dire qu’elle doit comprendre toute commission ou rétribution payée, de manière directe ou indirecte. Le considérant 31 du règlement 2015/751 mentionne tant les rétributions directes (fondées sur le volume ou par opération) que les rétributions indirectes (incitations commerciales, bonus, rabais en cas de réalisation d’un certain volume d’opérations, etc.). Il reprend, en particulier, les bénéfices que les émetteurs tirent des programmes spéciaux mis conjointement en place par les émetteurs et les schémas de cartes de paiement. |
95. |
Les commissions qu’un schéma tripartite pourrait verser, de manière directe ou indirecte, aux entreprises ou aux agents avec lesquels il met en place une extension auraient, selon moi, un objet ou un effet équivalent aux compensations que sont les commissions d’interchange dans le cas des schémas quadripartites ( 44 ). |
96. |
Selon la logique et la finalité du règlement 2015/751, lorsque le schéma tripartite accorde une compensation à un tiers qui collabore à son activité (comme c’est le cas des entreprises de comarquage ou des agents), son montant sera répercuté sur le prix du service et sera payé par le consommateur. Il s’agit, incontestablement, de compensations indirectes, qui rémunèrent la possibilité d’avoir accès au fichier clients de ces entreprises collaboratrices, mais il ne s’agit pas moins de commissions d’effet équivalent aux commissions d’interchange appliquées dans les schémas quadripartites et dans les schémas tripartites non authentiques. |
97. |
Les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence ne sont pas conformes aux motifs qui justifient la non-application des plafonds des commissions d’interchange aux schémas tripartites authentiques. |
98. |
Agir sans l’appui d’intermédiaires face aux consommateurs de services de paiement avec carte (comme le font les schémas tripartites authentiques) comporte le risque que voient le jour des commissions élevées, que les partenaires de comarquage ou les agents pourront répercuter sur les consommateurs, ce qui augmentera le prix des services de cartes de paiement. Ce risque est le même que celui qui se présente dans les schémas quadripartites qui opèrent avec la collaboration d’autres établissements financiers. |
99. |
La logique visant à réduire ces commissions d’interchange implicites est, selon moi, la même dans l’un comme dans l’autre cas. C’est la raison pour laquelle l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 doivent être interprétés en ce sens que les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence doivent être assimilés aux schémas quadripartites. |
100. |
La nécessité de garantir une concurrence loyale entre les différents schémas de cartes de paiement, qui est un autre élément précieux d’interprétation, systématique et téléologique, du règlement 2015/751 nous amène au même résultat. |
101. |
Appliquer des plafonds uniquement aux commissions d’interchange des schémas quadripartites non seulement laisserait aux schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence l’entière liberté de fixer le montant des leurs, mais conférerait également à celles-ci un avantage puisque cela leur permettrait de s’adresser à des tiers pour diffuser leurs cartes à des conditions plus favorables. |
102. |
Exonérés des plafonds applicables aux schémas quadripartites, les schémas tripartites avec extension seraient indûment favorisés puisqu’ils disposeraient de possibilités plus larges de rémunérer les entreprises qui collaborent avec eux dans la commercialisation de leurs cartes ( 45 ). On pourrait même imaginer qu’un établissement bancaire agisse en qualité d’agent d’un schéma tripartite, sans intervenir ni dans l’émission de la carte ni dans l’acceptation des paiements, dans le but de percevoir des commissions plus élevées ( 46 ). |
103. |
La moindre implantation des schémas tripartites justifie un traitement favorable lorsqu’ils opèrent sans recourir à aucun intermédiaire. Si le règlement 2015/751 leur accorde ce traitement de faveur en les autorisant à négocier les commissions avec les commerçants sans les restrictions imposées aux schémas quadripartites, c’est précisément pour augmenter la concurrence dans le secteur des paiements par carte. Cet avantage concurrentiel est, néanmoins, injustifié dans les schémas tripartites non authentiques et dans les schémas où intervient un partenaire de comarquage ou un agent ( 47 ) parce que, dans ces schémas, il y a un intermédiaire qui doit être rémunéré, de sorte que le plafond des commissions d’interchange ou des commissions d’effet équivalent doit s’appliquer. Les caractéristiques des deux schémas se rapprochent ( 48 ) sur ce point, de sorte qu’avantager l’un au détriment de l’autre n’a pas de sens. |
104. |
En résumé, l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 doivent être interprétés en ce sens que les schémas tripartites qui émettent des instruments de paiement liés à une carte avec un partenaire de comarquage ou par l’intermédiaire d’un agent doivent être qualifiés de régimes quadripartites, indépendamment du point de savoir si le partenaire ou l’agent participent ou non à l’émission des cartes ou à l’acceptation des paiements. |
D. Deuxième question : la validité de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751
105. |
L’assimilation que je viens de défendre ouvre la porte à la deuxième question, que le juge de renvoi a posée précisément dans cette éventualité. Les arguments qu’il articule à propos de la validité de ces dispositions du règlement 2015/751 sont déduits de l’obligation de motivation posée par l’article 296 TFUE, du principe de proportionnalité et de l’existence d’une éventuelle erreur d’appréciation manifeste qu’aurait commise le législateur de l’Union. |
106. |
Aucun de ces moyens d’invalidité ne me paraît fondé. Je vais les analyser en m’efforçant de ne pas répéter à l’excès ce que j’ai déjà exposé jusqu’à présent. |
1. Défaut de motivation
107. |
Reprenant les allégations d’Amex, le juge de renvoi met en cause la motivation de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, du règlement 2015/751. Ni le texte de celui-ci ni les considérants sur lesquels il est fondé n’exposent les motifs pour lesquels les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence devraient être assimilés aux schémas quadripartites. |
108. |
En particulier, certains de ces considérants expliqueraient pourquoi les commissions d’interchange auraient été soumises à des plafonds, mais n’exposeraient pas les raisons pour lesquelles ces mêmes plafonds doivent s’appliquer aux accords de comarquage ou d’agence utilisés par les schémas tripartites. Le considérant 28 justifie l’élargissement du champ d’application des règles du règlement 2015/751 relatives aux schémas quadripartites aux schémas tripartites dans certaines circonstances, mais ne mentionne pas (ne serait-ce qu’implicitement) les accords de comarquage ou les accords d’agence. |
109. |
Selon la décision de renvoi, ni la proposition de règlement ni l’analyse d’impact ( 49 ) qui l’accompagne n’exposent les raisons de cet élargissement. Qui plus est, les travaux préparatoires prévoyaient de ne pas appliquer aux schémas tripartites avec extension les limites régulatoires que le règlement 2015/751 prévoyait pour les schémas quadripartites parce que les schémas tripartites n’avaient qu’une faible part de marché, n’avaient que des perspectives de croissance restreintes et s’adressaient à des clients spécifiques ( 50 ). |
110. |
L’obligation de motiver les actes normatifs de l’Union, prévue à l’article 287, paragraphe 2, TFUE, a été interprétée de manière exhaustive par la Cour. Conformément à une jurisprudence constante, si la motivation d’un acte doit être claire et non équivoque, cet article n’exige pas qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte et de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée ( 51 ). |
111. |
Lorsqu’un acte a vocation à s’appliquer de manière générale, la motivation peut se limiter à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a entraîné son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il vise à réaliser. La Cour a également déclaré à diverses occasions que, si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait inutile d’exiger une motivation spécifique pour chacun des choix techniques qu’elle a opérés ( 52 ). |
112. |
À la lumière de cette jurisprudence, je ne vois, dans le règlement 2015/751, aucun défaut de motivation susceptible d’affecter sa validité en ce qui concerne le traitement des schémas tripartites avec extension. Les considérants (surtout le considérant 28) que j’ai cités lorsque j’ai analysé la première question préjudicielle permettent de comprendre la logique de l’assimilation des schémas tripartites avec extension aux schémas quadripartites. Le gouvernement portugais, le Parlement, le Conseil et la Commission ont conclu dans le même sens dans leurs observations. |
113. |
Si les travaux préparatoires (analyse d’impact et proposition de la Commission) du règlement 2015/751 ne contiennent aucune référence à cette assimilation, c’est parce qu’elle a été introduite ultérieurement, à l’initiative du Parlement, au cours de la procédure d’adoption, ce qui est parfaitement légitime. |
114. |
Ces considérants expliquent, raisonnement à l’appui, qu’il est nécessaire d’harmoniser les commissions d’interchange appliquées dans les opérations avec carte et de fixer des plafonds en raison des divergences entre les États membres et de l’impossibilité de les contrôler au moyen des seules règles de défense de la concurrence. |
115. |
Concrètement, le considérant 28, que le Parlement a introduit au cours de la procédure d’adoption du règlement 2015/751, lu en combinaison avec la dernière phrase de l’article 1er, paragraphe 5, et de l’article 2, point 18, de celui-ci explique suffisamment la différence entre les schémas quadripartites et tripartites. Après avoir constaté l’existence de commissions d’interchange implicites, il ajoute que, pour créer des conditions de concurrence équitable, les schémas tripartites doivent être assimilés aux schémas quadripartites lorsqu’ils utilisent d’autres fournisseurs de services. |
116. |
La boucle de la justification est bouclée avec le considérant 31, qui souligne combien il est important d’empêcher qu’un schéma contourne les plafonds des commissions d’interchange. Un tel contournement pourrait se produire si tous les paiements, directs ou indirects, qu’un schéma de cartes pourrait effectuer en faveur des entités qui collaborent avec lui à la réalisation des paiements avec cartes n’étaient pas considérés comme des commissions d’interchange. |
117. |
Ces justifications reprises dans le règlement 2015/751 me paraissent adéquates et remplissent largement l’exigence de motivation des actes à portée générale telle qu’elle a été définie par la Cour. Elles expliquent la situation d’ensemble qui a conduit à l’adoption du règlement 2015/751 et les objectifs qu’il se propose d’atteindre. En outre, elles mentionnent la majeure partie des décisions techniques qu’il comporte, sans qu’il soit indispensable qu’elles les mentionnent absolument toutes. |
118. |
En particulier, la décision d’assimiler les schémas quadripartites et les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence résulte, en particulier, des considérants 28 et 31. Le règlement 2015/751 n’est donc entaché d’aucun défaut de motivation qui puisse entraîner son invalidité. |
2. Erreur d’appréciation manifeste
119. |
Reprenant une fois encore les arguments d’Amex, le juge de renvoi met en cause la validité du règlement 2015/751, dans l’adoption duquel les institutions de l’Union pourraient avoir commis une erreur d’appréciation manifeste en assimilant les schémas controversés. |
120. |
Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent, de la part de ce dernier, des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. C’est pourquoi le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure ( 53 ). |
121. |
Selon moi, les institutions de l’Union n’ont commis aucune erreur d’appréciation (et a fortiori aucune erreur manifeste) lorsqu’elles ont inclus l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, dans le règlement 2015/751. Les arguments qu’articule Amex ( 54 ) pour critiquer le choix qu’a fait le législateur de l’Union d’assimiler les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence aux schémas quadripartites reflètent l’intérêt qu’a cette société à empêcher une assimilation qui limite la possibilité pour elle de rivaliser avec Visa et MasterCard. |
122. |
Néanmoins, les institutions de l’Union ont dûment tenu compte, au cours de la procédure législative, des deux thèses en présence pour retenir, en définitive, celle qui milite en faveur de l’assimilation. Il s’agit d’une option de politique législative que, parce qu’elle relève d’un domaine économique complexe (à savoir celui des commissions d’interchange dans les paiements avec carte), les autorités compétentes de l’Union peuvent, sans aucun doute, légitimement adopter si elles la jugent plus avantageuse que l’option inverse. |
123. |
En effet, comme l’expliquent le Parlement et le Conseil, les institutions ont considéré que la non-application des plafonds du règlement 2015/751 aux schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence conférerait à ceux‑ci un avantage concurrentiel injustifié sur les schémas quadripartites dans les situations où la différence entre les uns et les autres s’estompe. Cette non‑application favoriserait en outre le contournement des plafonds applicables aux commissions d’interchange. |
124. |
Cette décision de politique législative peut, manifestement, être critiquée par ses destinataires. Mais si, comme en l’espèce, elle a été adoptée dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union au terme d’une évaluation adéquate des intérêts en présence, les arguments d’Amex ne suffisent pas pour la priver de plausibilité et ne permettent en aucune façon de déduire qu’elle serait entachée d’une erreur d’appréciation manifeste. |
3. Violation du principe de proportionnalité
125. |
Se faisant une fois encore l’écho des allégations d’Amex, le juge de renvoi met en cause l’assimilation des schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence aux schémas quadripartites, mais il se place cette fois dans la perspective du principe de proportionnalité. |
126. |
Pour Amex, ces extensions négociées par les schémas tripartites avec des partenaires ou agents constituent un moyen raisonnable et proportionné d’atteindre les objectifs du règlement 2015/751. L’assimilation aux schémas quadripartites imposerait aux schémas tripartites une restriction draconienne des prix sans qu’aucun motif ne le justifie. Selon elle, cette charge est manifestement disproportionnée et n’est ni appropriée ni indispensable pour réaliser les objectifs du règlement 2015/751, de sorte qu’elle enfreint le principe de proportionnalité [article 5 TUE et article 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (JO 2008, C 115, p. 206-209)]. Elle serait donc invalide. |
127. |
Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le principe de proportionnalité exige que les moyens mis en œuvre par un acte des institutions de l’Union soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante parce que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés ( 55 ). |
128. |
Le contrôle juridictionnel qu’exerce la Cour sur le respect des exigences du principe de proportionnalité est limité. Selon sa jurisprudence bien établie, il convient de reconnaître au législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation dans les matières où il est appelé à prendre des décisions à caractère politique, économique et social, et dans lesquelles il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, il ne s’agit pas de déterminer si la mesure adoptée par le législateur dans une matière de ce type était la seule ou la meilleure possible, car seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre peut affecter la légalité d’une telle mesure ( 56 ). |
129. |
Je considère qu’en assimilant les schémas tripartites avec extension de comarquage ou d’agence aux schémas quadripartites, les institutions de l’Union n’ont pas davantage outrepassé les exigences du principe de proportionnalité, tel qu’il a été interprété par la Cour. |
130. |
Au risque de répéter ce que j’ai déjà exposé, je rappellerai que le règlement 2015/751 visait à réduire la répercussion, sur les consommateurs, des frais engendrés par les paiements avec carte, la commission d’interchange étant le principal de ceux-ci. Se heurtant à l’impossibilité de les réduire en appliquant les règles de défense de la concurrence et conscient des différences de leur montant d’un État membre à l’autre, le législateur de l’Union a décidé d’imposer des plafonds ex lege. Les commissions d’interchange sont facilement identifiables dans les paiements avec carte effectués par les schémas quadripartites, auxquels le règlement 2015/751 s’applique dans sa totalité, et elles n’existent pas dans les schémas tripartites, de sorte qu’il n’a pas soumis ces derniers à cette limitation, sans préjudice des autres conditions qu’il leur impose. |
131. |
Or, cette exclusion a été circonscrite aux schémas tripartites authentiques, c’est-à-dire aux schémas qui n’ont pas recours à la collaboration d’un tiers, hypothèse dans laquelle il n’y a pas de commissions d’interchange ni de commissions d’effet équivalent. Néanmoins, le législateur de l’Union a considéré que, lorsqu’un opérateur tiers intervenait, le schéma tripartite devait lui offrir une rémunération qui pouvait avoir un effet équivalent aux commissions d’interchange. C’est le cas dans les trois hypothèses visées à l’article 1er, paragraphe 5, et à l’article 2, point 18, du règlement 2015/751, à savoir lorsque le schéma tripartite accorde à un tiers une licence pour l’émission ou l’acquisition d’instruments de paiement liés à une carte, ou lorsqu’il opère avec une extension de comarquage ou une extension d’agence. |
132. |
Comme l’ont soutenu le Parlement, le Conseil et la Commission dans leurs observations écrites, en agissant de la sorte, le législateur de l’Union n’a pas adopté une mesure manifestement inappropriée par rapport à l’objectif poursuivi. L’assimilation, avec les limites que nous avons décrites, respecte le principe de proportionnalité parce qu’elle est une mesure apte à instaurer des conditions de concurrence équitable entre des types de schémas de paiement avec carte qui ont recours à des tiers pour étendre leur part de marché et qui les rémunèrent ( 57 ) au moyen de commissions d’interchange ou de commissions d’effet équivalent. De la même manière, je crois que cette assimilation est une mesure adéquate, nécessaire et proportionnée pour empêcher le contournement des plafonds applicables aux commissions d’interchange. |
133. |
Amex indique, enfin, que cette assimilation serait une mesure disproportionnée dans la mesure où elle porte atteinte au droit à la liberté d’entreprise que protège l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cet argument me paraît cependant difficilement admissible. |
134. |
La liberté d’entreprise, interprétée à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, n’est pas incompatible avec la réglementation. Son exercice peut être limité à condition que cette limitation soit le fait de la loi, qu’elle respecte le contenu essentiel de cette liberté, que les restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui ( 58 ). |
135. |
Plafonner le montant des commissions d’interchange, comme le fait le règlement 2015/751, vise à protéger l’intérêt des consommateurs, c’est-à-dire, comme je l’ai déjà dit, à éviter que les paiements avec carte entraînent des augmentations de prix injustifiées. |
136. |
À l’instar d’autres limitations prévues par le règlement 2015/751 lui‑même, cette restriction n’affecte pas le contenu essentiel de la liberté d’entreprise en raison du simple fait qu’elle s’étend à une catégorie déterminée de schémas tripartites, comparable aux schémas quadripartites. On ne voit guère pourquoi la liberté d’entreprise serait respectée dans le cas de ces derniers et ne le serait pas dans le cas des premiers. |
137. |
Il s’agit, simplement, d’une mesure de régulation adoptée dans un secteur qui se caractérise par l’intervention des pouvoirs publics afin de préserver le meilleur fonctionnement du marché et de défendre les utilisateurs de cartes de paiement. Il ne faut pas oublier non plus que le législateur de l’Union a calculé les plafonds des commissions d’interchange en appliquant ce qu’il est convenu d’appeler le « test d’indifférence du marchand» ( 59 ) dans le souci, précisément, de ne pas affecter la viabilité économique des schémas de paiement avec carte. |
138. |
Il convient, en tout cas, de rappeler que l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751 prévoient, pour les schémas tripartites, une période transitoire d’adaptation, qui expire le 9 décembre 2018. |
139. |
En résumé, l’analyse qui précède n’a révélé l’existence d’aucun élément susceptible d’affecter la validité de l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 2, point 18, du règlement 2015/751. |
IV. Conclusion
140. |
Eu égard à l’exposé qui précède, je propose à la Cour de déclarer les questions préjudicielles de la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni] irrecevables et, à titre subsidiaire, je lui propose d’y répondre de la manière suivante :
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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.
( 2 ) Le terme « commission » est utilisé ici au sens large, mais nous analyserons ses composantes et sous-catégories plus loin. En particulier, l’expression habituelle pour désigner une de ces commissions (expression qui est celle qui nous intéresse en l’espèce) est « commission d’interchange ».
( 3 ) Note sans objet pour la version en langue française des présentes conclusions.
( 4 ) Arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201).
( 5 ) Les locutions « réseaux de cartes de paiement », « régimes de cartes de paiement » ou « systèmes de cartes de paiement » sont utilisées comme synonymes de l’expression « schémas de cartes de paiement ».
( 6 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte (JO 2015, L 123, p. 1).
( 7 ) Le ministère de l’Économie et du Budget est l’organe administratif chargé d’appliquer le règlement 2015/751 au Royaume-Uni.
( 8 ) Dans ce document, dont une copie est fournie par les parties, figurent bel et bien les motifs justifiant la demande préjudicielle ainsi que les questions qui devraient être posées à la Cour.
( 9 ) Arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C‑491/01, EU:C:2002:741, points 32 à 41) ; du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, points 30 à 35) ; du 8 juillet 2010, Afton Chemical (C‑343/09, EU:C:2010:419, points 13 à 26) ; du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a. (C‑547/14, EU:C:2016:325, points 30 à 36), et du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, points 14 à 31).
( 10 ) Tel est le cas, par exemple, des litiges dans lesquels est mise en cause la validité ou l’interprétation de certaines directives avant l’expiration de leur délai de transposition.
( 11 ) Il est de jurisprudence constante qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou sur la validité d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 24 et 25 ; du 4 mai 2016, Pillbox 38, C‑477/14, EU:C:2016:324, points 15 et 16 ; du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 19 ; du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 54, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 50 et 155).
( 12 ) Voir la note en bas de page 9.
( 13 ) L’arrêt du 8 juin 2010, Vodafone e.a. (C‑58/08, EU:C:2010:321), en fournit un bon exemple. La Cour y a déclaré recevable une demande préjudicielle portant sur un règlement qui lui avait été adressée dans le cadre d’une procédure britannique de judicial review. Dans cette affaire, les opérateurs de téléphonie mobile avaient saisi la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative)]d’un recours dirigé contre les Mobile Roaming Regulations 2007 (relatives aux frais d’itinérance de la téléphonie mobile), qui permettaient à certaines dispositions du règlement (CE) no 717/2007 du Parlement et du Conseil, du 27 juin 2007, concernant l’itinérance sur les réseaux publics de téléphonie mobile à l’intérieur de la Communauté et modifiant la directive 2002/21/CE (JO 2007, L 171, p. 32), de produire leurs effets au Royaume-Uni. Il importe néanmoins de souligner qu’à la différence du présent recours, celui-là, d’une part, était dirigé contre des règles nationales de mise en œuvre d’un règlement et, d’autre part, que cette affaire soulevait une authentique controverse entre les opérateurs de téléphonie mobile et l’administration du Royaume-Uni. Cette dernière jugeait le recours infondé et s’opposait à la présentation d’une demande préjudicielle.
( 14 ) L’article 13 du règlement 2015/751 engage les États membres à désigner les autorités compétentes habilitées à le faire appliquer et à exiger de celles-ci qu’elles contrôlent efficacement le respect des règles qu’il énonce afin d’éviter que les fournisseurs de services de paiement ne tentent de le contourner. L’article 14 impose également aux États membres d’adopter des règles relatives aux sanctions applicables aux violations du règlement 2015/751.
( 15 ) L’arrêt du 8 juin 2010, Vodafone e.a. (C‑58/08, EU:C:2010:321), en fournit un bon exemple.
( 16 ) À la page 2 de la version en langue anglaise de l’ordonnance de renvoi, elle a déclaré : « And upon permission to proceed with the claim for judicial review having been granted by the Order of Mr Justice Blake of 24 September 2015 » (« Et avec la permission de connaître de la demande de judicial review accordée par ordonnance de M. le juge Blake le 24 septembre 2015 ») (traduction libre).
( 17 ) Selon une jurisprudence constante, comme c’est la demande de décision préjudicielle qui sert de fondement à la procédure devant la Cour, il est indispensable que la juridiction nationale donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (voir, notamment, arrêt du 10 mars 2016, Safe Interenvíos, C‑235/14, EU:C:2016:154, point 115, et ordonnance du 8 septembre 2016, Google Ireland et Google Italy, C‑322/15, EU:C:2016:672, point 18).
( 18 ) L’absence de certaines constatations préalables par la juridiction de renvoi ne conduit pas nécessairement à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle si, malgré ces défaillances, la Cour, eu égard aux éléments qui ressortent du dossier, estime qu’elle est en mesure de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, ordonnance du 8 septembre 2016, Google Ireland et Google Italy, C‑322/15, EU:C:2016:672, point 24, et arrêt du 28 janvier 2016, CASTA e.a., C‑50/14, EU:C:2016:56, point 48 et jurisprudence citée).
( 19 ) La Cour a rejeté cette critique dans l’arrêt qu’elle a rendu le 8 juillet 2010 dans l’affaire Afton Chemical (C‑343/09, EU:C:2010:419, points 13 à 26).
( 20 ) Selon une jurisprudence constante, lorsqu’un particulier dispose d’une légitimation active incontestable lui permettant d’attaquer un acte normatif de l’Union en engageant un recours en annulation, il ne peut pas invoquer sa nullité dans le cadre d’une procédure préjudicielle (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C‑188/92, EU:C:1994:90, points 23 à 25 ; du 15 février 2001, Nachi Europe, C‑239/99, EU:C:2001:101, points 36 et 37 ; du 29 juin 2010, E et F, C‑550/09, EU:C:2010:382, point 46, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 128).
( 21 ) Pour plus de clarté, je me référerai à cet acteur comme étant la « banque émettrice », bien que d’autres organismes financiers puissent émettre des cartes.
( 22 ) Voir l’analyse de Guibert Echenique, S., « Consideraciones críticas sobre la legislación de tasas de intercambio en las operaciones de pago con tarjeta de crédito y débito », Diario La Ley, no 8566, 22 juin 2015, p. 1 à 3.
( 23 ) Voir la description de ces schémas dans l’arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard/Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 4) ; dans l’arrêt du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission (T‑111/08, EU:T:2012:260, point 17), et dans la décision C(2007) 6474 final de la Commission, du 19 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/34.579 – MasterCard, affaire COMP/36.518 – EuroCommerce, affaire COMP/38.580 – Commercial Cards), considérants 234 à 249.
( 24 ) Par exemple, la carte du schéma Amex, qui est commercialisée avec les marques combinées Amex/Iberia ou Amex/British Airways.
( 25 ) Voir le document de la Commission intitulé « Commission staff working document – Impact assessment accompanying the document – Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on payment services in the internal market and amending Directives 2002/65/EC, 2013/36/EU and 2009/110/EC and repealing Directive 2007/64/EC and proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on interchange fees for card-based payment transactions » [SWD(2013) 288 final, p. 96 à 108].
( 26 ) Voir la décision 2002/914/CE, du 24 juillet 2002 (affaire COMP/29.373 – Visa International – Commission multilatérale d’interchange) (JO 2002, L 318, p. 17), dans laquelle les CMI interrégionales de Visa dans l’Union européenne ont été exonérées pour une période de cinq ans à certaines conditions, la principale d’entre elles étant que ces commissions soient liées au niveau de certains frais et n’excèdent pas la limite de ceux-ci. Le 8 décembre 2010, la Commission a adopté une seconde décision Visa (COMP/D 1/39.398, Visa MIF), qui rendait obligatoires les engagements proposés par Visa, notamment celui par lequel celle-ci s’engageait à établir un plafond pour ces CMI.
( 27 ) Décision C(2007) 6474 final de la Commission, du 19 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/34.579 – MasterCard, affaire COMP/36.518 – EuroCommerce, affaire COMP/38.580 – Comerciales Cards).
( 28 ) Arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 112).
( 29 ) Voir Lista, A., EU Competititon Law and Financial Service Sector, Routledge, Londres, 2013, p. 145 à 188.
( 30 ) Voir la publication de la Commission européenne, The Interchange Fees Regulation, Competition Policy Brief 2015–3, juin 2015.
( 31 ) Il s’agit des schémas tripartites non authentiques parce qu’ils impliquent l’intervention supplémentaire d’un fournisseur de services financiers, ce qui anéantit leur caractère triangulaire. Les commissions échangées entre les acteurs de ces schémas sont aisément assimilables à des commissions d’interchange.
( 32 ) Comme je l’ai déjà répété, nul ne conteste que ces schémas tripartites non authentiques (auxquels appartiennent, par exemple, les cartes de la Banco Santander/Amex, pour lesquelles cette banque agit en qualité d’émetteur) sont assimilés aux schémas quadripartites.
( 33 ) Par exemple, les cartes d’Amex/Air France et d’Amex/Costco.
( 34 ) L’article 2, point 2, du règlement 2015/751 définit la notion d’« émetteur » comme désignant « un prestataire de services de paiement qui s’engage par contrat à mettre à la disposition d’un payeur un instrument de paiement afin d’initier et de traiter les opérations de paiement liées à une carte effectuées par ce dernier ».
( 35 ) L’article 2, point 1, du règlement 2015/751 définit la notion d’« acquéreur » comme désignant « un prestataire de services de paiement lié qui s’engage par contrat avec un bénéficiaire en vue d’accepter et de traiter les opérations de paiement liées à une carte, qui donnent lieu à un transfert de fonds vers ce bénéficiaire ».
( 36 ) Aux termes de l’article 2, point 24, du règlement 2015/751, la notion de « prestataire de services de paiement » désigne « toute personne physique ou morale autorisée à fournir les services de paiement énumérés à l’annexe de la directive 2007/64/CE [du Parlement et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE] ou considérée comme émetteur de monnaie électronique conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2009/110/CE [du Parlement et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE]. Un prestataire de services de paiement peut être un émetteur, un acquéreur ou les deux ».
( 37 ) Aux termes de ce considérant, déjà cité au point 7, « [l]e service émetteur est fondé sur une relation contractuelle entre l’émetteur de l’instrument de paiement et le payeur, indépendamment du fait que l’émetteur détient les fonds au nom du payeur. L’émetteur met des cartes de paiement à la disposition du payeur, autorise les opérations aux terminaux ou aux dispositifs équivalents et peut garantir le paiement à l’acquéreur pour les opérations qui sont conformes aux règles du schéma en question. Par conséquent, la simple distribution de cartes de paiement ou la simple prestation de services techniques, tels que le simple traitement et stockage de données, ne constituent pas une émission ».
( 38 ) Aux termes duquel, « [p]our tenir compte de l’existence de commissions d’interchange implicites et contribuer à l’établissement de conditions de concurrence égales, les schémas de cartes de paiement tripartites utilisant des prestataires de services de paiement comme émetteurs ou acquéreurs devraient être considérés comme des schémas de cartes de paiement quadripartites et devraient suivre les mêmes règles ».
( 39 ) Voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Kozłowski (C‑66/08, EU:C:2008:437, point 42) ; du 24 mai 2016, Dworzecki (C‑108/16 PPU, EU:C:2016:346, point 28), et du 18 octobre 2016, Nikiforidis (C‑135/15, EU:C:2016:774, point 28).
( 40 ) Il définit le « comarquage » comme étant « l’inclusion d’une marque de paiement au moins et d’une marque autre qu’une marque de paiement au moins sur le même instrument de paiement lié à une carte ».
( 41 ) Le point 28 de la décision de renvoi mentionne les marques « British Airways », « Nectar » et « Costco ».
( 42 ) Comme le confirme le bulletin due la Financial Conduct Authority (Autorité de la conduite financière, Royaume-Uni), Credit card market study : final findings report, juillet 2016, p. 252, lorsqu’il définit les « affinity or co-brand partners » (« partenaires d’affinité ou de comarquage ») (traduction libre) comme étant « typically charities, membership groups or commercial businesses not directly involved in issuing credit cards or processing transactions but lend their brands and give access to their customers or members to card issuers in return for a share of revenues or profits » (« typiquement des associations philanthropiques ou réservées à des membres ou des entreprises commerciales qui n’ont pas directement pour activité d’émettre des cartes de crédit ou de traiter des transactions, mais qui prêtent leurs marques et donnent accès à leurs clients ou à leurs membres à des émetteurs de cartes en échange d’une participation dans les revenus ou les bénéfices ») (traduction libre).
( 43 )
( 44 ) L’octroi, par American Express, de points pour le programme de fidélité de la compagnie aérienne sur ses cartes de comarquage (Amex/Alitalia, Amex/Iberia, Amex/Air France, etc.) serait un exemple de ce type de commissions indirectes ayant un effet équivalent aux commissions d’interchange.
( 45 ) Dans ses observations écrites, MasterCard cite, pour illustrer cet avantage, la différence de traitement que, depuis le 9 décembre 2015, Alitalia applique à ses cartes de comarquage MasterCard (0,5 mille par euro dépensé) et Amex (1 mille par euro dépensé). Elle mentionne également la carte de paiement BNL : bien qu’elle inclue la possibilité d’effectuer des paiements au moyen de MasterCard et d’Amex en utilisant un même code PIN, la banque BNL fait, dans son programme de fidélisation BNL PAYBACK, une discrimination au détriment des paiements effectués au moyen d’une MasterCard (1 point pour 2 euros dépensés) par rapport aux paiements réalisés au moyen d’une carte Amex (2 points pour 2 euros dépensés).
( 46 ) Le gouvernement du Royaume-Uni a mentionné le risque que des schémas quadripartites se réorganisent en schémas tripartites avec extension d’agence (l’établissement financier devient agent) de manière à contourner les plafonds applicables aux commissions d’interchange prévus par le règlement 2015/751.
( 47 ) La seule différence admise en faveur des schémas tripartites non authentiques par rapport aux schémas quadripartites est celle que prévoit l’article 1er, paragraphe 5, in fine, du règlement 2015/751, aux termes duquel, « […] en ce qui concerne les opérations de paiement nationales, ce type de schéma de cartes de paiement tripartite peut être exempté des obligations prévues au chapitre II, pour autant que les opérations de paiement liées à une carte effectuées dans un État membre dans le cadre de ce schéma de cartes de paiement tripartite ne représentent pas, en base annuelle, plus de 3 % de la valeur de l’ensemble des opérations de paiement liées à une carte effectuées dans cet État membre. »
( 48 ) Dans ses observations écrites, MasterCard mentionne les hypothèses dans lesquelles une même carte de paiement avec marques combinées est utilisée dans un schéma tripartite et dans un autre schéma, lui, quadripartite. Concrètement, elle se réfère aux cas des cartes Virgin Atlantic White Card et Virgin Atlantic Black Card, émises sous régime de comarquage par Amex et par Visa avec la compagnie aérienne Virgin, ainsi qu’aux cartes TSB Avios et Premier Avios, émises par Amex et MasterCard sous régime de comarquage avec la banque britannique TSB.
( 49 ) La proposition apparaît dans le document COM(2013) 550 final du 24 juillet 2013 intitulé « Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte ». L’analyse d’impact se trouve dans le document du 24 juillet 2013 intitulé « Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a directive of the European parliament and of the Council on payment services in the internal market and amending Directives 2002/65/EC, 2013/36/UE and 2009/110/EC and repealing Directive 2007/64/EC and proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on interchange fees for card-based payment transactions » [SWD(2013) 288 final].
( 50 ) Voir le considérant 22 ainsi que l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 2, paragraphe 15, de la proposition de règlement COM(2013) 550 final, de même que le point 6.2.1.5, p. 56, de l’étude d’impact SWD(2013) 288 final ainsi que l’annexe 9 de celle-ci, point 2.6, p. 194.
( 51 ) Voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 2013, Commission/Conseil (C‑63/12, EU:C:2013:752, points 98 et 99), et du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 70).
( 52 ) Voir, notamment, arrêts du 18 juin 2015, Estonie/Parlement et Conseil (C‑508/13, EU:C:2015:403, point 60), et du 3 mars 2016, Espagne/Commission (C‑26/15 P, EU:C:2016:132, points 30 et 31).
( 53 ) Arrêts du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil (C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77) ; du 1er février 2007, Sison/Conseil (C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 33) ; du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 57) ; du 8 juin 2010, Vodafone e.a. (C‑58/08, EU:C:2010:321, point 52), et du 17 octobre 2013, Schaible (C‑101/12, EU:C:2013:661, point 47).
( 54 ) Selon elle, aucun motif logique ne permet de considérer qu’un schéma tripartite doive être traité comme un schéma quadripartite en raison de la simple conclusion d’accords de comarquage ou d’agence puisque aucun de ces mécanismes ne modifie la nature fondamentale du schéma tripartite. De même que dans les schémas tripartites authentiques, les fonctions d’émetteur des cartes et d’acquéreur des paiements sont exercées de la même manière et par les mêmes parties comme si les accords susvisés n’existaient pas. Leur assimilation se fait au détriment des consommateurs et de la concurrence puisqu’elle n’incite pas les schémas tripartites à conclure de tels accords. La conséquence sera de réduire les options des consommateurs et d’éliminer les bénéfices d’une concurrence efficace entre schémas de paiement.
( 55 ) Voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C‑491/01, EU:C:2002:741, point 122) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, points 67 et 91), et du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil (C‑358/14, EU:C:2016:323, points 78 et 79).
( 56 ) Voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a. (C‑189/01, EU:C:2001:420, points 82 et 83) ; du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C‑491/01, EU:C:2002:741, point 123) ; du 8 juin 2010, Vodafone e.a. (C‑58/08, EU:C:2010:321, point 52), et du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, point 49).
( 57 ) L’argumentation que le Parlement expose au point 58 de ses observations écrites est intéressante, et j’y souscris entièrement : si les extensions de comarquage ou d’agence n’engendrent aucune rémunération directe ou indirecte en faveur des partenaires ou agents du schéma tripartite, les plafonds prévus par le règlement 2015/751 n’ont pas lieu de s’appliquer, raison pour laquelle il n’y aurait pas de commissions d’interchange ni de commissions d’effet équivalent.
( 58 ) Arrêts du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor (C‑544/10, EU:C:2012:526, point 54), et du 17 décembre 2015, Neptune Distribution (C‑157/14, EU:C:2015:823, points 66 et 68).
( 59 ) Aux termes du considérant 20 du règlement 2015/751, « [l]es plafonds prévus dans le présent règlement sont fondés sur le “test d’indifférence du marchand”, mis au point dans la littérature économique, qui détermine le niveau de commission qu’un commerçant serait disposé à acquitter s’il devait comparer le coût d’utilisation par le client d’une carte de paiement avec celui de paiements sans carte (en espèces) ». Les plafonds des commissions d’interchange sont donc calculés de manière à ne pas dissuader le consommateur d’utiliser des cartes de paiement et à éviter qu’il ne paie en espèces ou au moyen d’autres instruments.