CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 21 septembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑179/16

F. Hoffmann‑La Roche Ltd e.a.

contre

Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM)

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Article 101 TFUE – Médicaments pour le traitement des pathologies vasculaires oculaires – Définition du marché de produits en cause – Interchangeabilité des médicaments – Règlement (CE) no 726/2004 – Autorisation de mise sur le marché – Prescription et commercialisation d’un médicament en vue d’utilisations “off‑label” – Légalité – Accord de licence – Entreprises non concurrentes – Notion de “restriction accessoire” – Notion de “restriction de la concurrence par objet” – Allégations relatives à la moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre – Caractère trompeur ou non – Protection de la santé publique – Obligations de pharmacovigilance – Hypothèse contrefactuelle »

I. Introduction

1.

Le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) défère à la Cour plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 101 TFUE dans le cadre d’un litige dont la configuration atypique peut être résumée comme suit.

2.

Une entreprise a développé deux médicaments, l’un pour des indications en oncologie, l’autre pour des indications en ophtalmologie, à partir de principes actifs distincts bien qu’issus d’un même anticorps et obéissant au même mécanisme d’action thérapeutique. Elle a décidé de commercialiser elle‑même le médicament oncologique, tandis qu’elle a confié la mise sur le marché du médicament ophtalmologique à une autre entreprise au moyen d’un accord de licence.

3.

L’autorisation de mise sur le marché (ci‑après l’« AMM ») du médicament oncologique a été accordée environ deux années plus tôt que l’AMM du médicament ophtalmologique. Pendant le laps de temps séparant l’octroi de ces deux AMM, certains médecins ont administré à leurs patients le médicament oncologique, reconditionné en doses plus faibles, pour traiter des pathologies oculaires. Cette utilisation pour des indications thérapeutiques et selon des modalités non couvertes par le résumé des caractéristiques du produit (ci‑après le « RCP ») et donc par l’AMM de ce médicament, dite « utilisation off‑label », a perduré, en raison du coût substantiellement inférieur des thérapies effectuées sur cette base, même après l’octroi de l’AMM du médicament ophtalmologique.

4.

L’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM) (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie) a constaté que les deux entreprises en cause se sont concertées en vue de communiquer auprès des autorités de régulation pharmaceutique, des médecins et du public général des déclarations selon lesquelles le médicament oncologique utilisé off‑label présenterait un moins bon profil de sécurité que le médicament ophtalmologique. Selon l’AGCM, ces entreprises ne disposaient pas de preuves scientifiques au soutien de ces déclarations et ont diffusé celles-ci dans le but de dissuader l’utilisation off‑label du médicament oncologique et, corrélativement, d’accroître les ventes du médicament ophtalmologique. L’AGCM a estimé que ces comportements collusoires restreignaient la concurrence par leur objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et a condamné lesdites entreprises de ce chef.

5.

Déboutées de leurs recours en première instance contre cette décision, ces dernières ont interjeté appel devant la juridiction de renvoi. C’est dans ce contexte que celle‑ci interroge la Cour notamment quant aux interactions entre le cadre réglementaire concernant la mise sur le marché des médicaments et le droit de la concurrence de l’Union. En particulier, la Cour est invitée à préciser dans quelle mesure et à quel titre l’incertitude juridique relative à la légalité de la prescription et de la commercialisation d’un médicament en vue d’une utilisation off‑label et l’incertitude scientifique entourant les risques associés à cette utilisation entrent en jeu dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE.

II. Le cadre juridique

6.

Le règlement (CE) no 772/2004 ( 2 ), qui était applicable à l’époque des faits à l’origine du litige au principal, prévoyait l’exemption par catégorie de certains accords de transfert de technologie.

7.

Aux termes de l’article 1, paragraphe 1, sous j), ii), de ce règlement, « les entreprises concurrentes sur le marché de produits en cause sont des entreprises qui, en l’absence de l’accord de transfert de technologie, opèrent toutes deux sur les marchés de produits et les marchés géographiques sur lesquels les produits contractuels sont vendus sans empiéter sur leurs droits de propriété intellectuelle mutuels (concurrents réels sur le marché de produits), ou qui, pour des motifs réalistes, seraient prêtes à consentir les investissements supplémentaires nécessaires ou à supporter les coûts de transformation nécessaires pour pénétrer en temps voulu, sans empiéter sur leurs droits de propriété intellectuelle mutuels, sur les marchés de produits et les marchés géographiques en cause à la suite d’une augmentation légère, mais permanente, des prix relatifs (concurrents potentiels sur le marché de produits) ; le marché de produits en cause englobe des produits considérés par les acheteurs comme interchangeables avec les produits contractuels ou substituables à ces produits en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés ».

8.

Le règlement (CE) no 726/2004 ( 3 ) établit une procédure centralisée pour l’autorisation des médicaments au niveau de l’Union européenne.

9.

Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, « [a]ucun médicament figurant à l’annexe ne peut être mis sur le marché dans [l’Union] sans qu’une [AMM] n’ait été délivrée par [l’Union] conformément au présent règlement ». Le point 1 de cette annexe, relative aux « Médicaments devant être autorisés par [l’Union] », inclut les médicaments issus de certains procédés biotechnologiques.

10.

Selon l’article 13, paragraphe 1, du même règlement, l’AMM octroyée au terme de la procédure centralisée est valable dans l’ensemble de l’Union et confère dans chaque État membre les mêmes droits et obligations qu’une AMM délivrée par cet État membre en application de la directive 2001/83/CE ( 4 ).

11.

S’agissant du contenu d’une demande d’AMM, l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 726/2004 renvoie aux renseignements visés notamment à l’article 8, paragraphe 3, de cette directive. En particulier, la lettre j) de cette disposition désigne le RCP. Conformément à l’article 11 de ladite directive, ce document comporte notamment le dosage et la forme pharmaceutique du médicament, la composition qualitative et quantitative de tous ses composants, les indications thérapeutiques, la posologie et le mode d’administration, les contre‑indications, les mises en garde spéciales et les précautions particulières d’emploi, les effets indésirables, ainsi que la durée et les précautions particulières de conservation.

12.

L’article 16, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, dans sa version applicable depuis le 2 juillet 2012 ( 5 ), dispose que le titulaire d’une AMM communique immédiatement à l’Agence européenne des médicaments (EMA), à la Commission européenne et aux États membres toute information nouvelle susceptible d’entraîner la modification des renseignements ou des documents visés, notamment, à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83. Les informations à fournir « comprennent les résultats tant positifs que négatifs des essais cliniques ou d’autres études pour toutes les indications et populations, qu’elles figurent ou non dans l’[AMM], ainsi que des données concernant toute utilisation du médicament d’une manière non conforme aux termes de l’[AMM] ».

13.

Ce règlement institue, en outre, un système de pharmacovigilance pour les médicaments autorisés en vertu dudit règlement. Ainsi qu’il ressort de l’article 24, paragraphe 1, du même règlement, dans sa version applicable depuis le 2 juillet 2012, ce système sert à rassembler des informations portant notamment « sur les effets indésirables suspectés survenant chez l’homme en cas d’utilisation du médicament conformément aux termes de son [AMM], ainsi que lors de toute utilisation non conforme aux termes de l’[AMM] ».

14.

En particulier, l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, dans sa version applicable depuis le 2 juillet 2012, dispose que « [l]es obligations des titulaires d’[AMM] énoncées à l’article 104 de la directive 2001/83/CE s’appliquent aux titulaires d’[AMM] pour des médicaments à usage humain autorisés conformément au présent règlement ».

15.

L’article 104 de cette directive, tel qu’il résulte d’une modification que les États membres ont dû transposer pour le 21 juillet 2012 ( 6 ), est libellé comme suit :

« 1.   Les titulaires d’[AMM] mettent en œuvre un système de pharmacovigilance équivalent au système de pharmacovigilance de l’État membre concerné tel que visé à l’article 101, paragraphe 1, en vue de s’acquitter des tâches de pharmacovigilance qui leur incombent.

2.   Les titulaires d’[AMM] recourent au système de pharmacovigilance visé au paragraphe 1 pour procéder à l’évaluation scientifique de toutes les informations, pour examiner les options permettant de prévenir les risques ou de les réduire au minimum et, au besoin, pour prendre des mesures appropriées.

[…] »

16.

En vertu de l’article 49, paragraphe 5, du règlement no 726/2004, le titulaire d’une AMM ne peut communiquer au public des informations relatives à des questions de pharmacovigilance sans en avertir préalablement ou simultanément l’EMA. En tout état de cause, il veille à ce que ces informations « soient présentées de manière objective et ne soient pas trompeuses ».

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

17.

L’AGCM a, par décision du 27 février 2014 (ci‑après la « décision de l’AGCM ») versée au dossier soumis à la Cour par la juridiction de renvoi, constaté que les sociétés F. Hoffmann‑La Roche Ltd (ci‑après « Roche ») et Novartis AG ont mis en place, notamment par l’intermédiaire de leurs filiales Novartis Farma SpA et Roche SpA (ci‑après, respectivement, « Novartis Italia » et « Roche Italia »), en violation de l’article 101 TFUE, une entente horizontale restrictive de la concurrence. Aux termes des constatations de l’AGCM, cette entente visait à obtenir une différenciation artificielle de deux médicaments, l’Avastin et le Lucentis, en manipulant la perception des risques associés à l’usage de l’Avastin en ophtalmologie. L’AGCM a infligé à ces quatre sociétés des sanctions administratives s’élevant, au total, à environ 180 millions d’euros.

18.

Roche, Roche Italia, Novartis et Novartis Italia (ci‑après les « requérantes au principal ») ont attaqué cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) qui, après avoir joint les recours, les a rejetés par jugement du 2 décembre 2014.

19.

Les requérantes au principal ont interjeté appel devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État) afin d’obtenir la réformation de ce jugement.

20.

Dans ce contexte, cette juridiction précise que les médicaments Avastin et Lucentis ont été développés par Genentech Inc., une société de biotechnologie soumise au contrôle exclusif du groupe Roche, dans le cadre d’un même programme de recherche. Ce programme a été initié à la suite de la découverte d’une protéine produite par l’organisme humain [le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire, dénommé en anglais vascular endothelial growth factor (VEGF)] responsable de la formation de vaisseaux sanguins anormaux qui contribuent à la croissance de certaines tumeurs cancéreuses.

21.

Les chercheurs de Genentech ont découvert qu’une inhibition de l’action du VEGF, au moyen d’un anticorps, pourrait être utilisée pour le traitement de certains types de cancers. Ils ont, par la suite, réussi à obtenir un anticorps anti‑VEGF pouvant être administré à l’être humain, dénommé bevacizumab, qui est devenu le principe actif du médicament Avastin.

22.

Ces chercheurs ont également examiné d’autres pathologies liées à l’action du VEGF, parmi lesquelles une pathologie oculaire répandue, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Cependant, ces chercheurs ont estimé le bevacizumab inadapté, quant à la sécurité et à l’efficacité, au traitement de la DMLA et d’autres pathologies vasculaires oculaires.

23.

Dès lors, Genentech a décidé de développer un médicament anti‑VEGF spécifique pour le domaine ophtalmologique. Ces recherches l’ont amenée à détecter un fragment d’anticorps anti‑VEGF, dénommé ranibizumab, qui est devenu le principe actif du médicament Lucentis. Le ranibizumab est éliminé par l’organisme plus rapidement que le bevacizumab et ses dimensions sont réduites, ce qui facilite sa pénétration rétinienne et sa capacité à se lier au VEGF.

24.

Genentech, dont l’activité commerciale est limitée au territoire des États‑Unis, a octroyé une licence d’exploitation pour l’Avastin à sa société mère Roche et, cette dernière n’étant pas active dans le domaine de l’ophtalmologie, pour le Lucentis au groupe Novartis, afin qu’ils procèdent à l’enregistrement et à la commercialisation de ces deux médicaments dans le reste du monde. L’accord de licence sur le Lucentis a été conclu au mois de juin 2003.

25.

Les médicaments Avastin et Lucentis ont obtenu de l’EMA des AMM pour le traitement, respectivement, de certaines pathologies tumorales et de certaines pathologies oculaires.

26.

Le 26 septembre 2005, l’Agenzia italiana del farmaco (AIFA) (Agence italienne du médicament) a transposé l’AMM accordée au niveau européen pour l’Avastin et a admis ce médicament au remboursement à charge du Servizio Sanitario Nazionale (SSN) (Service national de santé, Italie).

27.

Le Lucentis n’a obtenu de l’AIFA une AMM pour le traitement de la DMLA que le 31 mai 2007. Initialement non remboursable en raison de l’absence d’accord entre l’AIFA et Novartis sur le prix de remboursement, le Lucentis a été admis au remboursement à charge du SSN le 4 décembre 2008.

28.

Au cours de la période séparant le lancement sur le marché de l’Avastin et celui du Lucentis, certains médecins, après les premières administrations de l’Avastin en oncologie, ont observé que l’état de santé des patients atteints à la fois d’une tumeur cancéreuse et de DMLA s’améliorait également en ce qui concerne cette dernière pathologie.

29.

L’Avastin étant alors le seul médicament anti‑VEGF disponible sur le marché, certains médecins l’ont administré par voie intravitréenne (c’est‑à‑dire au moyen d’une injection dans l’œil) à des patients atteints de DMLA, bien que ce médicament ne fût autorisé ni pour cette indication thérapeutique ni pour ce mode d’administration aux termes de son RCP. Cette utilisation off‑label de l’Avastin s’est répandue mondialement. Elle s’est poursuivie après la mise sur le marché du Lucentis en raison du coût inférieur des thérapies sur la base de l’Avastin.

30.

La réglementation italienne permet, dans certaines circonstances, le remboursement de médicaments utilisés off‑label. À l’époque des faits visés par la décision de l’AGCM, ce remboursement était subordonné à la réunion de deux conditions, à savoir, premièrement, l’absence d’une alternative thérapeutique valable autorisée pour le traitement de la pathologie concernée et, deuxièmement, l’inscription par l’AIFA de l’utilisation off‑label en cause sur la liste des médicaments pris en charge par le SSN, dite « liste 648» ( 7 ).

31.

Après la délivrance de l’AMM de l’Avastin et après que son utilisation off‑label en ophtalmologie s’est répandue en Italie, l’AIFA a inscrit cette utilisation sur la liste 648 au mois de mai 2007 pour le traitement des maculopathies exsudatives [à savoir la DMLA, l’occlusion veineuse rétinienne (OVR), l’œdème maculaire diabétique (OMD) et la dégénérescence maculaire myopique (DMM)] ainsi que du glaucome néovasculaire, aucune alternative thérapeutique valable n’existant à l’époque pour traiter ces pathologies.

32.

Ultérieurement, d’abord après l’approbation et l’admission au remboursement en Italie des médicaments Lucentis et Macugen pour le traitement de la DMLA (à la fin de l’année 2008), et ensuite après celles de l’Ozurdex pour le traitement de l’OVR (au mois de juillet 2011), l’AIFA a exclu le remboursement de l’Avastin pour le traitement de ces pathologies. Enfin, le 18 octobre 2012, l’AIFA a complètement éliminé l’Avastin de la liste 648, rappelant à cette fin certaines modifications apportées au RCP de ce médicament par l’EMA le 30 août 2012. Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, ces modifications concernaient l’ajout de certaines mises en garde spéciales et précautions d’emploi relatives à l’utilisation intravitréenne de l’Avastin.

33.

L’AGCM a souligné que, du fait qu’il a longtemps été pris en charge par le SSN pour diverses utilisations en ophtalmologie, l’Avastin était, en Italie, à tout le moins durant la période comprise entre son inscription sur la liste 648 et l’engagement de la procédure par l’AGCM, le principal médicament anti‑VEGF utilisé pour le traitement des pathologies vasculaires oculaires s’agissant du nombre de patients traités. En raison de cette utilisation off‑label extrêmement répandue, l’Avastin serait devenu de fait le principal concurrent du Lucentis.

34.

Selon l’AGCM, les requérantes au principal ont mis en place « une entente horizontale unique et complexe concrétisée par un ensemble de pratiques concertées ». Cette entente aurait eu pour objectif de créer une « différence artificielle » entre les médicaments Avastin et Lucentis – qui seraient des « médicaments en tout point équivalents dans le domaine ophtalmologique » – en manipulant la perception des risques de l’utilisation de l’Avastin en ophtalmologie pour influencer la demande en faveur du Lucentis. Elle aurait été mise en œuvre par « la production et la diffusion d’avis de nature à engendrer des préoccupations dans le public quant à la sécurité des utilisations intravitréennes de l’Avastin », tout en « dépréciant les connaissances scientifiques en sens contraire ».

35.

L’AGCM a constaté que ces sociétés avaient exagéré les risques découlant de l’usage intravitréen de l’Avastin et, simultanément, allégué que le Lucentis présentait un meilleur profil de sécurité que l’Avastin. À cet égard, ces sociétés se seraient également appuyées sur le fait que seul le Lucentis disposait d’une AMM pour des indications ophtalmologiques, une telle autorisation n’ayant jamais été demandée pour de telles indications pour l’Avastin.

36.

Les requérantes au principal auraient ainsi visé à « empêcher que les utilisations off‑label de l’Avastin n’empiètent sur l’utilisation on‑label du Lucentis », lequel constitue « le produit le plus onéreux […] dont les ventes engendrent des profits pour les deux sociétés ». Ladite entente aurait également comporté « un intérêt commun des groupes Roche et Novartis à la modification du [RCP] de l’Avastin en cours devant l’EMA et à un envoi subséquent souhaité d’une communication formelle aux professionnels de santé [dénommée “direct healthcare professional communication” (DHPC)], initiés par Roche – en tant que [titulaire de l’AMM] de l’Avastin […] – et ayant un effet direct sur le plan concerté de différenciation artificielle ».

37.

Toujours selon l’AGCM, l’entente en cause visait à maximiser de manière illicite les recettes respectives des groupes Roche et Novartis. Ces recettes provenaient, pour le groupe Novartis, des ventes directes du Lucentis et de sa participation de 33 % dans Roche, et, pour le groupe Roche, des redevances obtenues sur ces ventes par l’intermédiaire de sa filiale Genentech.

38.

Les pratiques concertées constatées par l’AGCM, « bien que supposant l’existence de rapports verticaux de licence, se seraient concrétisées en dehors de ceux‑ci ».

39.

L’AGCM a estimé que cette entente est constitutive d’une répartition du marché et, partant, d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Cette entente aurait « été concrétisée, en ayant pour effet d’influencer les choix thérapeutiques des médecins et les politiques qui s’en sont suivies d’acquisition des médicaments Avastin et Lucentis ». Ladite entente aurait « entraîné un ralentissement immédiat de la croissance de l’Avastin avec pour conséquence un déplacement de la demande vers le Lucentis, plus onéreux, qui [aurait] entraîné un surcroît de coûts pour le SSN, pour la seule année 2012, de l’ordre de presque 45 millions d’euros ».

40.

Par conséquent, l’AGCM a considéré que « l’infraction reprochée […] doit être considérée comme très grave » en raison, notamment, de son caractère illicite par objet, du fait qu’elle aurait « été concrétisée » et aurait « produit des effets certains sur l’équilibre économique du système de santé dans son ensemble », ainsi que de la circonstance selon laquelle la part de marché cumulée des requérantes au principal sur le marché italien des médicaments pour le traitement des pathologies vasculaires oculaires serait supérieure à 90 %.

41.

Les pratiques concertées constatées par l’AGCM auraient débuté au plus tard au mois de juin 2011, lorsque Roche a engagé la procédure formelle devant l’EMA afin d’obtenir la modification du RCP de l’Avastin et de procéder aux communications officielles consécutives. Ces pratiques n’auraient pas cessé à la date de la décision de l’AGCM.

42.

Dans ce contexte, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’interprétation correcte de l’article 101 TFUE permet‑elle de considérer comme concurrentes les parties à un accord de licence, lorsque l’entreprise bénéficiaire de la licence n’opère dans le marché pertinent concerné qu’en vertu dudit accord ? Dans une telle situation, les éventuelles restrictions de la concurrence du donneur de licence à l’égard du bénéficiaire de celle‑ci, même non expressément prévues par l’accord de licence, échappent‑elles, le cas échéant dans quelle mesure, à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ou relèvent‑elles, et dans quelle mesure, du champ d’application de l’exception légale de l’article 101, paragraphe 3, TFUE ?

2)

L’article 101 TFUE permet‑il à l’autorité nationale de la concurrence de définir le marché pertinent indépendamment du contenu des [AMM] des médicaments délivrées par les autorités de régulation pharmaceutique compétentes (AIFA et EMA) ou, au contraire, pour les médicaments autorisés, le marché juridiquement pertinent au sens de l’article 101 TFUE doit‑il être considéré comme défini principalement par l’autorité de régulation compétente, de manière contraignante aussi pour l’autorité nationale de la concurrence ?

3)

L’article 101 TFUE permet‑il, y compris à la lumière des dispositions de la directive 2001/83/CE et en particulier de l’article 5 relatif à l’[AMM] des médicaments, de considérer comme substituables et d’inclure par conséquent dans le cadre du même marché pertinent un médicament utilisé hors RCP et un médicament pourvu d’une AMM pour les mêmes indications thérapeutiques ?

4)

Au sens de l’article 101 TFUE, afin de délimiter le marché pertinent, est‑il important de vérifier, en plus de l’interchangeabilité substantielle des produits pharmaceutiques du côté de la demande, si ceux‑ci ont été offerts sur le marché conformément au cadre réglementaire relatif à la commercialisation des médicaments ?

5)

La pratique concertée visant à exagérer la moindre sécurité ou la moindre efficacité d’un médicament, quand cette moindre efficacité ou sécurité, tout en n’étant pas supportée par des preuves scientifiques certaines, ne peut en aucune façon non plus être incontestablement exclue à la lumière des connaissances scientifiques disponibles au moment des faits, peut‑elle être considérée en tout état de cause comme constituant une restriction de la concurrence par objet ? »

43.

Ont présenté des observations écrites devant la Cour Roche, Roche Italia, Novartis et Novartis Italia, l’Associazione Italiana delle Unità Dedicate Autonome Private di Day Surgery e dei Centri di Chirurgia Ambulatoriale (AIUDAPDS), la Società Oftalmologica Italiana (SOI) – Associazione Medici Oculisti Italiani (AMOI) (SOI‑AMOI), Altroconsumo, le Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons), l’AGCM, la Regione Emilia‑Romagna (Région d’Émilie-Romagne, Italie), les gouvernements italien, irlandais et français ainsi que la Commission.

44.

Ont comparu lors de l’audience de plaidoiries du 3 mai 2017 Roche, Roche Italia, Novartis, AIUDAPDS, SOI‑AMOI, Altroconsumo, l’AGCM, la Région d’Émilie‑Romagne, le gouvernement italien ainsi que la Commission.

IV. Analyse

A. Considérations liminaires

45.

La présente affaire a pour toile de fond une situation caractérisée par le développement d’une pratique médicale à grande échelle consistant à prescrire un médicament pour des utilisations off‑label ( 8 ). Cette pratique s’est déployée, contre la volonté du titulaire de l’AMM de ce médicament, à l’initiative des acteurs à l’origine de la demande de celui‑ci, à savoir les médecins prescripteurs, relayés par l’autorité ayant admis ledit médicament au remboursement à charge du SSN.

46.

La prescription de l’Avastin pour le traitement de pathologies vasculaires oculaires visait initialement à combler une lacune thérapeutique en l’absence de médicament d’une efficacité équivalente pourvu d’une AMM pour ces indications thérapeutiques. Cette pratique a néanmoins persisté après la mise sur le marché et l’admission au remboursement d’un tel médicament, pour des raisons essentiellement économiques, eu égard à l’écart de prix considérable entre les thérapies sur la base de l’Avastin et du Lucentis. Selon l’AGCM, au vu de la différence de prix par millilitre entre ces médicaments, une injection intravitréenne d’Avastin aurait été au minimum dix fois moins onéreuse qu’une injection de Lucentis.

47.

Les utilisations off‑label de médicaments procèdent d’une pratique médicale répandue à des degrés divers en fonction des domaines thérapeutiques et des États membres ( 9 ). Le droit de l’Union en reconnaît la réalité et prévoit certaines dispositions, en amont et en aval de ces utilisations, limitant les possibilités de mettre sur le marché des médicaments destinés à des utilisations off‑label ( 10 ) et imposant aux titulaires d’AMM certaines obligations de pharmacovigilance en ce qui concerne de telles utilisations ( 11 ).

48.

En revanche, le droit de l’Union ne régit pas la prescription de médicaments en vue d’utilisations off‑label ( 12 ). Cette pratique relève de la liberté thérapeutique des médecins, sous réserve des limitations éventuelles y apportées par les États membres dans l’exercice de leurs compétences pour définir leurs politiques de santé ( 13 ). De même, les États membres demeurent, en principe, maîtres de la décision d’admettre un médicament utilisé off‑label au remboursement par leurs systèmes de sécurité sociale ( 14 ).

49.

Dans ce contexte, les États membres ont adopté des politiques divergentes relatives à l’encadrement des utilisations off‑label de médicaments en général, et de celles de l’Avastin en particulier. Certains ont fait le choix d’autoriser le remboursement de certains médicaments prescrits off‑label ou encore de prévoir pour ceux‑ci des recommandations temporaires d’utilisation ( 15 ). Un important contentieux s’est développé quant à la légalité, notamment au regard du droit de l’Union, de ces réglementations internes ( 16 ). Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a, d’ailleurs, dans le cadre d’une autre affaire en cours devant lui, déféré à la Cour une question préjudicielle relative à la conformité avec le droit de l’Union de mesures nationales prévoyant, pour des raisons économiques, le remboursement de médicaments prescrits off‑label, tels que l’Avastin ( 17 ).

50.

D’aucuns, comme en l’espèce les requérantes au principal, font valoir, en substance, que les politiques nationales autorisant, voire encourageant, la prescription off‑label de médicaments pour des motifs budgétaires vont à l’encontre de la logique qui sous‑tend le cadre réglementaire de droit de l’Union relatif à la mise sur le marché des médicaments ( 18 ). Seules les utilisations prévues par l’AMM ayant fait l’objet des essais précliniques et cliniques nécessaires à l’obtention de celle‑ci ( 19 ), les utilisations qui n’ont pas été validées par de tels essais devraient à tout le moins demeurer exceptionnelles.

51.

D’autres, tels qu’en l’espèce la Région d’Émilie‑Romagne et le gouvernement irlandais, considèrent que les utilisations off‑label d’un médicament pour certaines indications thérapeutiques sont nécessaires lorsque, en dépit de preuves de l’efficacité et de la sécurité de ces utilisations, le titulaire de l’AMM de ce médicament n’entreprend pas les démarches requises afin d’étendre l’AMM à ces indications. La Région d’Émilie‑Romagne de même que l’AGCM, SOI‑AMOI et le gouvernement italien excipent de la nécessité de telles utilisations, parfois même en présence de médicaments dont l’AMM couvre les indications en cause, en vue d’assurer l’accès aux soins et d’éviter de grever excessivement les budgets des systèmes de sécurité sociale.

52.

Il ne m’appartient pas, dans le cadre de la présente affaire, de prendre position dans ce débat et de me prononcer sur le bien‑fondé des politiques des États membres relatives à l’encadrement des utilisations off‑label de médicaments. Je me limiterai donc à examiner si, et le cas échéant dans quelle mesure, l’article 101 TFUE protège les dynamiques de marché issues de telles utilisations.

53.

À cet égard, il m’apparaît utile, à titre liminaire, de souligner brièvement les enjeux principaux des cinq questions posées par la juridiction de renvoi.

54.

Tout d’abord, les deuxième à quatrième questions visent à permettre à celle‑ci de déterminer si les barrières réglementaires qui découlent des dispositions régissant la mise sur le marché de médicaments en vue d’utilisations off‑label s’opposent à la substituabilité entre l’Avastin et le Lucentis pour le traitement de pathologies oculaires et, partant, à leur appartenance à un même marché de produits.

55.

Par son argumentation relative à ces questions, Roche fait valoir que, eu égard à ces obstacles réglementaires, ces produits ne font pas partie du même marché et, plus généralement, ne se trouvent pas dans un rapport de concurrence. Serait, ainsi, désamorcée toute question relative à la présence éventuelle d’une restriction de la concurrence découlant des comportements collusoires constatés par l’AGCM (ci‑après les « comportements collusoires litigieux »).

56.

Ensuite, par la première question, cette juridiction cherche à savoir si Genentech et Novartis doivent être considérées comme des entreprises concurrentes dans le cadre de l’accord de licence sur le Lucentis. En cas de réponse négative, elle interroge la Cour quant à la pertinence, aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, du fait que les comportements collusoires litigieux s’insèrent dans le contexte d’un accord de licence entre entreprises non concurrentes.

57.

L’argumentation développée par les requérantes au principal met en évidence les enjeux de cette question. Selon ces dernières, l’accord de licence sur le Lucentis lie des entreprises non concurrentes. Les restrictions aux utilisations off‑label de l’Avastin poursuivies au moyen de ces comportements (ci‑après les « restrictions en cause au principal »), bien que non expressément prévues par cet accord, s’inséreraient dans son prolongement. Or, dans les accords de licence entre entreprises non concurrentes, l’élimination de la concurrence du donneur à l’égard du preneur de licence échapperait au champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ou serait, du moins, exemptée au titre du paragraphe 3 de cet article.

58.

Enfin, la cinquième question invite la Cour à préciser si, en tout état de cause, les comportements collusoires litigieux peuvent être qualifiés de restrictions de la concurrence par objet alors même que le débat scientifique relatif à la sécurité et à l’efficacité comparative de l’Avastin et du Lucentis en ophtalmologie n’était pas clos à l’époque des faits pertinents.

59.

C’est dans cet ordre que je propose, après avoir écarté les principales exceptions d’irrecevabilité invoquées à l’encontre des questions préjudicielles, d’aborder l’analyse de celles‑ci.

B. Sur la recevabilité

60.

L’AGCM, l’AIUDAPDS ainsi que la Région d’Émilie‑Romagne contestent la recevabilité des questions posées en raison, essentiellement, du caractère lacunaire et partial de l’exposé factuel et juridique figurant dans la décision de renvoi. Cet exposé se bornerait à décrire les thèses avancées par les requérantes au principal, lesquelles sont contestées par d’autres intéressés, et omettrait d’importants éléments de fait.

61.

À cet égard, l’AGCM souligne, en particulier, que la décision de renvoi ne mentionne pas que l’utilisation de l’Avastin en ophtalmologie s’est répandue dans le monde depuis l’année 2005 sans qu’aucun événement indésirable statistiquement pertinent ait été signalé, si bien que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère le bevacizumab (principe actif de l’Avastin) comme le seul médicament anti‑VEGF essentiel en ophtalmologie ( 20 ). Cette décision passerait également sous silence la circonstance selon laquelle, depuis l’année 2014, l’AIFA a réinscrit l’Avastin sur la liste 648 pour le traitement des pathologies vasculaires oculaires.

62.

Selon l’AGCM et la Région d’Émilie‑Romagne, la Cour n’est dès lors pas en mesure de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi. L’AGCM considère, en outre, à l’instar de l’AIUDAPDS, que, au vu de cette présentation incomplète et en partie erronée des faits, les questions posées sont hypothétiques.

63.

Je rappelle, à ce propos, que, selon une jurisprudence constante, la Cour ne peut rejeter une demande formée par une juridiction nationale que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions posées ( 21 ).

64.

Quant à ce dernier motif de rejet d’une demande de décision préjudicielle, la Cour a précisé que les informations qui lui sont fournies dans le cadre d’une décision de renvoi servent, outre à lui permettre d’apporter des réponses utiles à la juridiction de renvoi, à donner aux gouvernements des États membres et aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. À ces fins, le juge national doit définir le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions posées ou, à tout le moins, expliquer les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées ( 22 ).

65.

En ce qui concerne, en premier lieu, les arguments relatifs au caractère prétendument incomplet du cadre factuel et juridique exposé par la juridiction de renvoi, la Cour considère que, même lorsque la décision de renvoi comporte certaines lacunes, elle dispose de suffisamment d’éléments de fait pour apporter des réponses utiles aux questions posées pour autant que cette décision permette d’en déterminer la portée ( 23 ). En l’occurrence, la décision de renvoi satisfait, à mes yeux, à cette condition. La Cour est ainsi en mesure d’apporter des réponses utiles à la juridiction de renvoi et les intéressés ont pu soumettre leurs observations à la Cour, comme en atteste d’ailleurs le contenu des mémoires déposés ( 24 ).

66.

En second lieu, s’agissant des arguments relatifs au caractère supposément erroné de la description des faits pertinents, il appartient non pas à la Cour mais à la juridiction nationale d’établir les faits qui ont donné lieu au litige ( 25 ). La Cour n’est pas compétente pour vérifier l’exactitude du cadre réglementaire et factuel que cette juridiction définit sous sa responsabilité ( 26 ) et est en principe tenue de se fonder sur les prémisses que ladite juridiction estime établies ( 27 ).

67.

Par conséquent, j’estime que les questions préjudicielles sont recevables.

C. Sur les deuxième à quatrième questions, relatives à la définition du marché de produits en cause

68.

Les deuxième à quatrième questions portent sur la mesure dans laquelle le cadre réglementaire relatif à la mise sur le marché des médicaments doit être pris en compte aux fins de définir le marché de produits pertinent. Par ses deuxième et troisième questions, que je propose d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le secteur pharmaceutique, la définition de ce marché est nécessairement limitée par le contenu des AMM. Aux termes de sa quatrième question, cette juridiction interroge la Cour quant à la pertinence, dans ce contexte, des incertitudes relatives à la légalité de la commercialisation de médicaments reconditionnés en vue d’utilisations off‑label.

69.

En l’espèce, l’AGCM a défini le marché de produits pertinent comme comprenant l’ensemble des médicaments pour le traitement des pathologies vasculaires oculaires ( 28 ). Cette définition n’est pas remise en cause dans le cadre de la présente affaire. Seule est débattue la question de l’appartenance ou non de l’Avastin à ce marché.

70.

À cet égard, il ressort tant de la législation ( 29 ) que de la jurisprudence ( 30 ) que le marché de produits en cause englobe tous les produits considérés par les consommateurs comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés ( 31 ).

71.

Selon la jurisprudence, doivent être prises en considération dans le cadre d’une telle appréciation non seulement les caractéristiques objectives des produits, en vertu desquelles ces derniers sont particulièrement aptes à satisfaire les besoins constants des consommateurs, mais également les conditions de concurrence ainsi que la structure de la demande et de l’offre ( 32 ).

72.

En vertu de ces principes, la définition du marché de produits pertinent dépend non pas de critères préétablis par les règles juridiques encadrant les comportements des acteurs économiques, mais bien des caractéristiques objectives des produits et des conditions de concurrence réelles accompagnant ces comportements. Ces conditions incluent ces règles juridiques dans la mesure où elles sont susceptibles d’affecter le degré d’interchangeabilité entre les produits concernés, mais ne se limitent pas à celles‑ci. D’autres circonstances peuvent, le cas échéant, indiquer l’existence de contraintes concurrentielles effectives.

73.

En l’occurrence, le cadre juridique relatif à la mise sur le marché – et à la prescription ( 33 ) – des médicaments peut comporter certains obstacles réglementaires à la substituabilité entre un médicament utilisé off‑label et un médicament utilisé on‑label pour les mêmes indications thérapeutiques ( 34 ). Ces obstacles ne sont toutefois pas infranchissables ni, partant, nécessairement décisifs aux fins de la définition du marché pertinent.

74.

À la lumière de ces considérations, j’estime que, lorsque les conditions de concurrence réellement observées témoignent de la substituabilité effective du point de vue de la demande entre un médicament utilisé off‑label pour certaines indications thérapeutiques et un médicament pourvu d’une AMM pour ces indications, ceux‑ci appartiennent à un même marché de produits (sous 1). Il en va ainsi même lorsque la légalité de la prescription et de la commercialisation du premier médicament en vue de ces utilisations off‑label est incertaine (sous 2).

1.   Sur la pertinence du contenu des AMM aux fins de la définition du marché de produits en cause (deuxième et troisième questions)

75.

Tel que l’ont fait valoir l’ensemble des intéressés à l’exception des requérantes au principal, le fait que l’AMM d’un médicament ne couvre pas certaines indications thérapeutiques n’exclut pas que ce médicament puisse présenter avec des médicaments autorisés pour ces indications un degré d’interchangeabilité suffisant aux fins d’exercer une contrainte concurrentielle effective sur ceux‑ci.

76.

Assurément, le contenu des AMM influence en principe la substituabilité entre différents médicaments en vue d’un même usage thérapeutique. S’agissant des médicaments disponibles sur prescription, la demande est généralement définie non pas par les préférences des consommateurs finaux (à savoir les patients), mais bien par les décisions des médecins. Or, le contenu des AMM est de nature, à tout le moins, à orienter le choix par les médecins du traitement approprié pour leurs patients. Il en va ainsi d’autant plus lorsque le droit national limite les possibilités de prescrire des médicaments off‑label ou d’en obtenir le remboursement et prévoit des règles spécifiques d’engagement de la responsabilité du médecin en cas de dommage causé par l’utilisation off‑label d’un médicament.

77.

Cependant, la pratique prescriptive des médecins, couplée le cas échéant avec des décisions administratives relatives à la remboursabilité de médicaments prescrits off‑label, peut être à l’origine de dynamiques concurrentielles démontrant l’interchangeabilité effective entre deux médicaments, indépendamment du contenu de leurs AMM respectives. En effet, si le contenu d’une AMM est limité par la demande déposée par son titulaire auprès des autorités de régulation pharmaceutique ( 35 ), cette demande n’épuise pas nécessairement les utilisations possibles du médicament en cause par les médecins dans l’exercice de leur liberté thérapeutique ( 36 ).

78.

En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi que l’Avastin était, à l’époque des comportements collusoires litigieux, très fréquemment prescrit pour des indications en ophtalmologie. De surcroît, l’Avastin demeurait, au commencement des pratiques concertées constatées par l’AGCM (à savoir au mois de juin 2011), inscrit sur la liste des médicaments remboursables par le SSN pour le traitement du glaucome néovasculaire et de toutes les maculopathies exsudatives à l’exclusion de la DMLA ( 37 ).

79.

Ces circonstances révèlent l’existence d’une contrainte concurrentielle effective exercée par l’Avastin, lorsque celui-ci était utilisé off‑label, sur le Lucentis. Cette contrainte doit, conformément aux principes rappelés aux points 70 et 71 des présentes conclusions, être prise en considération aux fins de la définition du marché de produits en cause.

80.

Cette approche reflète celle adoptée par la Commission dans certaines décisions en matière de contrôle des concentrations, dans lesquelles elle a tenu compte des utilisations off‑label de médicaments dans le cadre de l’analyse des dynamiques concurrentielles effectives aux fins de la définition du marché de produits pertinent ( 38 ).

81.

Par ailleurs, si cette définition était systématiquement limitée par le contenu des AMM, les entreprises pharmaceutiques auraient, en pratique, comme l’ont fait valoir l’AIUDAPDS, SOI‑AMOI, Altroconsumo, Codacons et le gouvernement italien, carte blanche pour s’entendre, en amont de la mise sur le marché de leurs médicaments, pour se répartir les marchés en excluant tout chevauchement des indications thérapeutiques couvertes par leurs demandes d’AMM respectives. Le marché serait alors défini sans tenir compte de l’interchangeabilité des médicaments du point de vue de la demande, en méconnaissance des principes énoncés aux points 70 et 71 des présentes conclusions.

2.   Sur la pertinence des incertitudes relatives à la légalité de la prescription et de la commercialisation d’un médicament aux fins de la définition du marché de produits en cause (quatrième question)

82.

L’emploi des termes « vérifier […] si » dans le libellé de la quatrième question reflète les incertitudes entourant la légalité de la commercialisation de l’Avastin tel que reconditionné en vue d’utilisations en ophtalmologie. Cette question fait l’objet de controverses vivement débattues dans les observations écrites et orales des intéressés. Selon les requérantes au principal, cette activité serait illégale dans de nombreux cas, voire la plupart du temps. D’autres intéressés, tels que l’AGCM, SOI‑AMOI, la Région d’Émilie‑Romagne et le gouvernement italien, contestent cette allégation ( 39 ).

83.

Les requérantes au principal ont également soulevé la question de l’incidence sur la définition du marché de produits pertinent de la prétendue violation des dispositions de droit italien limitant la possibilité pour les médecins de prescrire des médicaments off‑label.

84.

En vertu de la législation italienne, cette pratique ne serait admise qu’en l’absence de médicament autorisé permettant de traiter efficacement un patient déterminé, sur la base d’une appréciation individuelle ( 40 ). Un médicament prescrit off‑label se trouverait donc dans une relation non pas d’interchangeabilité, mais de subsidiarité avec un médicament prescrit on‑label pour les mêmes indications. L’AGCM, SOI‑AMOI, Codacons, la Région d’Émilie‑Romagne et le gouvernement italien ne partagent pas ce point de vue et préconisent une interprétation différente de la législation italienne ( 41 ).

85.

Dans la mesure où cette question pourrait également s’avérer pertinente dans le cadre de la résolution du litige au principal ( 42 ), je comprends la quatrième question préjudicielle comme portant sur la nécessité ou non de vérifier, aux fins de définir le marché de produits en cause, la conformité au cadre juridique applicable non seulement de la commercialisation, mais également de la prescription d’un médicament pour des utilisations off‑label.

86.

Selon moi, les principes rappelés aux points 70 et 71 des présentes conclusions impliquent que les incertitudes liées à la légalité de la prescription ou de la commercialisation de médicaments en vue d’utilisations off‑label pour certaines indications thérapeutiques n’excluent pas en tant que telles que ces médicaments fassent partie du même marché que les médicaments autorisés pour ces indications.

87.

Il incombe, bien entendu, aux autorités de concurrence et aux juridictions chargées d’appliquer les règles de concurrence de tenir compte de ces incertitudes lorsqu’elles sont susceptibles de faire obstacle à l’interchangeabilité entre ces médicaments. Toutefois, lorsque ces dernières constatent qu’un médicament est effectivement utilisé off‑label à large échelle en dépit desdites incertitudes, elles peuvent valablement considérer que ce médicament est interchangeable avec les médicaments utilisés on‑label pour les mêmes indications et, partant, appartient au même marché de produits que ces derniers médicaments.

88.

Elles ne doivent pas, aux fins de justifier une telle conclusion, dissiper les doutes en cause en appréciant elles‑mêmes la légalité de la prescription et de la commercialisation du médicament utilisé off‑label. En effet, un tel exercice est étranger à l’application des règles de concurrence et ne relève normalement pas de la compétence des autorités chargées d’appliquer ces règles ( 43 ). Ainsi que l’ont souligné l’AGCM, SOI‑AMOI, le gouvernement italien et la Commission, le droit de la concurrence de l’Union poursuit des objectifs autonomes et distincts de ceux que la réglementation pharmaceutique vise à réaliser.

89.

L’approche que je défends est également cohérente avec celle suivie dans l’arrêt Slovenská sporiteľňa ( 44 ), dans lequel la Cour a apporté certains éclairages relatifs à l’application de l’article 101 TFUE à une entente entre entreprises visant à éliminer du marché en cause une entreprise tierce dont l’activité sur ce marché était prétendument illégale. Sans avoir préalablement vérifié si les services offerts par l’entreprise évincée et par les entreprises parties à l’entente appartenaient au même marché, la Cour a jugé que la circonstance selon laquelle l’entreprise évincée opérait de façon prétendument illicite sur le marché en cause lors de la conclusion de l’entente était sans incidence sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. À l’appui de cette conclusion, elle a souligné qu’il appartient aux autorités publiques, et non à des entreprises privées, d’assurer le respect des prescriptions légales – dont l’application peut nécessiter des appréciations complexes qui ne sont pas du ressort de ces entreprises ( 45 ). La Cour a par la suite examiné si cette circonstance pouvait justifier l’octroi d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article ( 46 ).

90.

Un tel raisonnement présuppose que la prétendue illégalité de l’offre de certains produits ou services n’empêche pas en tant que telle que ceux‑ci fassent partie du même marché que d’autres produits ou services dont la légalité de l’offre n’est pas mise en doute ( 47 ).

D. Sur la première question, relative à la nature des rapports entre les parties à un accord de licence et à ses conséquences sur l’application de l’article 101 TFUE à une collusion postérieure à cet accord

91.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si les parties à un accord de licence doivent être considérées comme des entreprises concurrentes lorsque le preneur de licence n’opère sur le marché pertinent qu’en vertu de cet accord. En cas de réponse négative, cette juridiction interroge essentiellement la Cour quant aux conséquences, dans le cadre de l’analyse de comportements collusoires tels que ceux en cause au principal sous l’angle de l’article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE, du fait que ces comportements s’inscrivent dans le contexte d’une relation contractuelle de licence entre entreprises non concurrentes.

1.   Sur le premier volet de la première question

92.

Un accord portant sur la concession d’une licence de droits de propriété intellectuelle, tel que l’accord entre Genentech et Novartis sur le Lucentis, constitue en principe un « accord de transfert de technologie » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement no 772/2004 ( 48 ).

93.

Ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, sous j), ii), de ce règlement, les entreprises parties à un accord de transfert de technologie sont considérées comme des entreprises concurrentes sur le marché où sont vendus les produits fabriqués à l’aide de la technologie concédée sous licence (dénommés « produits contractuels» ( 49 )) lorsque, en l’absence de cet accord, elles auraient été des concurrents réels ou potentiels sur ce marché.

94.

Par conséquent, les parties à un accord de licence ne sont pas considérées comme des entreprises concurrentes lorsque le preneur de licence n’opère sur le marché pertinent qu’en vertu de cet accord, à défaut duquel il n’aurait été ni un concurrent réel ni un concurrent potentiel du donneur de licence.

95.

En l’espèce, nul ne conteste que Novartis n’aurait, en l’absence de l’accord de licence sur le Lucentis, pas été un concurrent réel ou potentiel de Genentech sur le marché des médicaments pour le traitement des pathologies vasculaires oculaires. En effet, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne fait apparaître que Novartis aurait ne fût‑ce qu’entamé des activités de recherche et de développement en vue de créer un médicament destiné à traiter ces pathologies.

96.

Aussi les comportements collusoires litigieux s’insèrent‑ils dans le contexte d’un rapport contractuel de licence entre entreprises non concurrentes, à défaut duquel ils n’auraient, comme l’a souligné Roche, eu aucune raison d’être.

97.

Cela étant, pour les motifs exposés ci‑après, ces comportements ne sauraient être soustraits à l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ou bénéficier d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article du fait que les restrictions en cause au principal s’apparenteraient à des restrictions à la concurrence exercée par le donneur à l’égard du preneur de licence figurant dans un accord de licence entre entreprises non concurrentes.

2.   Sur les deuxième et troisième volets de la première question

98.

Tel qu’il ressort de leur libellé, les deuxième et troisième volets de la première question ont trait à l’application de l’article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE à des « restrictions de la concurrence du donneur de licence à l’égard du bénéficiaire de celle‑ci ». En vue d’apporter une réponse utile à la juridiction nationale, il me semble nécessaire de préciser quelque peu, à la lumière du contexte factuel décrit dans la décision de renvoi, la nature et la portée des restrictions en cause au principal, auxquelles cette question fait référence.

99.

Je souligne, en premier lieu, qu’il s’agit, plus spécifiquement, de restrictions apportées à la concurrence exercée à l’égard du preneur de licence par le biais de la demande et de l’utilisation par des tiers, sous une forme et à des fins non prévues par le donneur de licence, d’un produit initialement fabriqué et mis sur le marché par ce dernier ( 50 ).

100.

En second lieu, la question de savoir si ces restrictions portaient sur la concurrence (dite « intratechnologique ») entre deux produits intégrant la même technologie ou sur la concurrence (dite « intertechnologique ») entre deux produits intégrant des technologies différentes fait débat entre les intéressés.

101.

L’intérêt de cette distinction réside dans le fait que certaines restrictions à la concurrence intratechnologique, dans la mesure où elles sont jugées nécessaires à la diffusion d’une nouvelle technologie et, partant, au renforcement de la concurrence intertechnologique, échappent au champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ( 51 ).

102.

À cet égard, Altroconsumo soutient que l’Avastin et le Lucentis n’intègrent pas les mêmes technologies. Les comportements collusoires litigieux auraient ainsi restreint la concurrence intertechnologique entre ces produits. Les éléments de fait portés à l’attention de la Cour par la juridiction de renvoi ne permettent pas de vérifier l’exactitude de cette allégation. Roche conteste celle‑ci et a fait valoir lors de l’audience que l’Avastin et le Lucentis sont fabriqués sur la base des mêmes brevets, lesquels couvriraient donc les deux médicaments anti‑VEGF développés par Genentech.

103.

Sous réserve de vérification par cette juridiction, je postulerai que ces médicaments étaient tous deux produits à partir des droits sur la technologie concédée dans le cadre de l’accord de licence sur le Lucentis, étant entendu que les réponses que je proposerai seraient a fortiori valables dans l’éventualité où lesdits médicaments n’intégreraient pas la même technologie ( 52 ).

a)   Sur l’applicabilité de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

104.

S’agissant du deuxième volet de la première question, j’estime que, même dans l’hypothèse où elles auraient figuré expressément dans l’accord de licence sur le Lucentis, les restrictions en cause au principal ne sauraient se soustraire à l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif que, ainsi que le soutiennent les requérantes au principal, elles limiteraient la concurrence exercée par le donneur à l’égard du preneur de licence.

105.

Les doutes que nourrit la juridiction de renvoi à ce propos font écho à une certaine ligne de jurisprudence en vertu de laquelle, lorsque la conclusion ou la mise en œuvre d’un accord en lui‑même proconcurrentiel ou, du moins, neutre sur le plan de la concurrence requiert l’insertion dans ce contrat de certaines restrictions à l’autonomie commerciale des parties, ces restrictions ne relèvent pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Bien que la Cour n’ait pas toujours eu recours à cette terminologie, cette jurisprudence consacre la théorie dite des « restrictions accessoires ».

106.

Cette théorie peut être perçue comme tirant son origine de l’arrêt LTM ( 53 ), dans lequel la Cour a souligné la nécessité de procéder, lors de l’examen de la licéité d’une collusion, à une analyse de la situation qui prévaudrait à défaut de cette collusion. Elle a jugé, s’agissant de l’octroi par un producteur à un distributeur d’un droit exclusif de vente sur un territoire déterminé, que « l’altération de la concurrence peut être mise en doute si [l’accord en cause] apparaît précisément nécessaire à la pénétration d’une entreprise dans une zone où elle n’intervenait pas ». La Cour a, par la suite, appliqué et développé ladite théorie dans une série d’arrêts ( 54 ), parmi lesquels figurent les arrêts Nungesser et Eisele/Commission ( 55 ) et, dernièrement, MasterCard e.a./Commission ( 56 ).

107.

Les requérantes au principal invoquent, précisément, le point 57 de l’arrêt Nungesser et Eisele/Commission ( 57 ) à l’appui de leur thèse selon laquelle l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’applique pas aux comportements collusoires litigieux. La Cour y a examiné une clause d’exclusivité territoriale dite « ouverte » par laquelle un donneur de licence s’engageait à ne pas octroyer d’autres licences pour le territoire concédé et à ne pas y faire lui‑même concurrence au preneur de licence en exploitant les droits sur la technologie concédée. Selon la Cour, ladite clause était nécessaire à l’existence même du contrat de licence dans la mesure où, à défaut de celle‑ci, le preneur de licence aurait pu être amené à ne pas accepter les risques liés à l’exploitation de la technologie concédée. En substance, la Cour a donc considéré que, pour promouvoir la concurrence intertechnologique résultant de la diffusion d’une nouvelle technologie au moyen d’un contrat de licence ( 58 ), certaines restrictions à la concurrence intratechnologique entre les entreprises susceptibles d’exploiter cette technologie peuvent s’avérer nécessaires ( 59 ).

108.

Dans ledit arrêt, la Cour a également examiné une clause d’exclusivité dite « fermée » par laquelle les parties au contrat de licence se proposaient d’éliminer toute concurrence de la part de tiers, tels que les importateurs parallèles ou les licenciés d’autres territoires. Il était reproché aux parties à ce contrat d’avoir, en application de cette clause, intenté des procédures et exercé des pressions à l’encontre d’importateurs parallèles. La Cour n’a pas jugé que ladite clause était nécessaire à la diffusion d’une nouvelle technologie. La licence exclusive fermée n’échappait donc pas à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ( 60 ). Elle ne pouvait pas davantage être exemptée au titre du paragraphe 3 de cet article, dès lors qu’elle allait manifestement au‑delà de ce qui est indispensable à la réalisation de gains d’efficience ( 61 ).

109.

Selon Roche et Roche Italia, les restrictions en cause au principal sont assimilables à une licence exclusive par laquelle le donneur de licence s’engage à ne pas faire concurrence au preneur de licence en produisant à partir des droits sur la technologie concédée ou en vendant des produits intégrant cette technologie. En conséquence, l’approche retenue au point 57 de l’arrêt Nungesser et Eisele/Commission ( 62 ) serait transposable en l’espèce.

110.

Je ne partage pas ce point de vue.

111.

En effet, tel qu’il ressort des constatations de l’AGCM exposées dans la décision de renvoi et tel que l’ont souligné le gouvernement italien ainsi que la Commission, les comportements collusoires litigieux ne visaient pas à restreindre la production ou la vente par Genentech ou par d’autres sociétés du groupe Roche de produits intégrant la technologie concédée sous licence à Novartis. Ils visaient, en revanche, à influencer l’action de tiers à l’accord de licence sur le Lucentis, à savoir les autorités de régulation pharmaceutique et les médecins, afin de limiter les utilisations de l’Avastin en ophtalmologie. Autrement dit, les requérantes au principal entendaient moduler non pas l’offre de l’Avastin, mais bien la demande émanant des médecins (au jugement desquels s’en remettent les patients) qui prescrivaient ce produit off‑label. C’est, en effet, par le biais de cette demande que l’Avastin est entré dans un rapport de concurrence avec le Lucentis.

112.

En ce qu’ils visaient à entraver des dynamiques concurrentielles indépendantes de la volonté du donneur de licence et provenant de sources non contrôlées par ce dernier ( 63 ), les comportements collusoires litigieux soulèvent des enjeux différents de ceux qui s’attachent à une licence exclusive ouverte telle que celle examinée par la Cour au point 57 de l’arrêt Nungesser et Eisele/Commission ( 64 ).

113.

À mes yeux, les restrictions en cause au principal appellent plutôt un traitement analogue à celui réservé à la licence exclusive fermée en cause dans cet arrêt sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ( 65 ). Certes, l’approche de la Cour était sous‑tendue par un objectif d’intégration des marchés géographiques qui n’est pas pertinent en l’espèce ( 66 ). J’observe, cependant, que le droit de la concurrence de l’Union s’attache à lutter contre les phénomènes de cloisonnement non seulement des marchés géographiques, mais aussi des marchés de produits sur lesquels les entreprises déploient leurs activités ( 67 ). À tout le moins, il ne saurait être déduit dudit arrêt que l’élimination de toute pression concurrentielle liée aux produits incorporant la technologie concédée sous licence, même lorsqu’elle provient de sources autonomes non contrôlées par le donneur de licence, est accessoire à la conclusion ou à la mise en œuvre d’un contrat de licence.

114.

La conclusion que je préconise découle également de l’examen des restrictions en cause au principal à la lumière de la jurisprudence plus récente issue de l’arrêt MasterCard e.a./Commission ( 68 ), dans lequel la Cour a synthétisé et affiné la théorie des restrictions accessoires.

115.

Elle y a, tout d’abord, rappelé que, « si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article [101 TFUE], en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre» ( 69 ).

116.

La Cour a, ensuite, précisé que la condition de nécessité objective n’est remplie que lorsqu’il n’est pas possible de dissocier la restriction en cause de l’opération principale sans en compromettre l’existence et les objets. Tel est le cas lorsque la réalisation ou la poursuite de cette opération serait impossible en l’absence de cette restriction. En revanche, le fait que ladite opération soit simplement rendue plus difficile à réaliser voire moins profitable en l’absence de ladite restriction ne confère pas à celle‑ci le caractère objectivement nécessaire requis aux fins d’être qualifiée d’accessoire ( 70 ).

117.

Cet arrêt consacre ainsi une interprétation restrictive de la théorie des restrictions accessoires : sauf à priver d’effet utile la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, cette théorie ne s’applique qu’aux restrictions « strictement indispensables à la réalisation de l’opération principale» ( 71 ).

118.

Je doute que des restrictions telles que celles en cause au principal – même dans l’hypothèse où elles auraient été insérées dans un accord de licence – constituent des restrictions accessoires en vertu de cette jurisprudence.

119.

En premier lieu, ces restrictions ne constituent pas des « restrictions à l’autonomie commerciale d’un participant » à une opération principale au sens de l’arrêt MasterCard e.a./Commission ( 72 ). En effet, les restrictions que la Cour a qualifiées d’accessoires dans cet arrêt ainsi que dans sa jurisprudence antérieure étaient invariablement apportées au comportement des parties à l’opération principale elles‑mêmes ( 73 ).

120.

Or, selon l’AGCM, les comportements collusoires litigieux, s’ils portaient bien sur l’adoption par Roche et Roche Italia d’une certaine ligne de conduite relative à la communication au sujet des utilisations off‑label de l’Avastin, visaient non pas à restreindre l’autonomie commerciale des parties à l’accord de licence sur le Lucentis, mais bien à freiner des dynamiques concurrentielles résultant de l’action de tiers à cet accord ( 74 ).

121.

En second lieu, je ne suis pas convaincu que des restrictions telles que celles en cause au principal soient « objectivement nécessaires à la mise en œuvre » d’un accord de licence, toujours au sens de l’arrêt MasterCard e.a./Commission ( 75 ).

122.

À cet égard, il me semble difficile de soutenir que la réalisation d’un accord de licence portant sur la concession de droits sur une technologie aux fins de la production et/ou de la commercialisation d’un médicament autorisé pour certaines indications thérapeutiques serait impossible sans un engagement du donneur de licence à faire obstacle à la concurrence émanant de la demande par les médecins d’un autre médicament intégrant cette technologie et prescrit off‑label pour ces indications. Le fait que, le cas échéant, la demande du médicament utilisé off‑label infléchisse celle du médicament couvert par l’accord de licence et rende ainsi l’exploitation des droits sur la technologie concédée moins profitable ne suffit pas à établir le caractère objectivement nécessaire d’une telle restriction ( 76 ).

123.

Il en va ainsi d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, les restrictions n’ont pas été convenues dans l’accord de licence mais bien par le biais d’une pratique concertée de plusieurs années postérieure à sa conclusion. Cette circonstance peut, à mes yeux, faire office d’indice de ce que les restrictions en cause n’étaient pas objectivement nécessaires à la mise en œuvre de cet accord. En outre, lorsqu’un preneur de licence a déjà consenti les investissements nécessaires au lancement sur le marché des produits contractuels – tels que ceux requis aux fins de l’obtention d’une AMM –, je ne perçois pas en quoi la mise en œuvre dudit accord s’avérerait impossible à poursuivre sans de telles restrictions.

124.

A fortiori, dans l’hypothèse où l’Avastin et le Lucentis n’intégreraient pas les mêmes technologies, les comportements collusoires litigieux ne sauraient davantage échapper au champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ( 77 ). Si les restrictions concernant l’exploitation par le donneur de licence de la technologie concédée en sont exclues dans la mesure où elles sont objectivement nécessaires à la réalisation d’un accord de licence ( 78 ), un tel raisonnement n’est en tout état de cause pas transposable aux restrictions apportées à l’exploitation par ce dernier d’une autre technologie. Au contraire, l’affaiblissement de la concurrence provenant de cette autre technologie pourrait annihiler l’effet proconcurrentiel résultant de la diffusion de la nouvelle technologie au moyen de l’accord de licence.

b)   Sur l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE

125.

Selon moi, la nature des restrictions en cause au principal et la circonstance selon laquelle elles s’inscrivent dans le contexte d’un rapport de licence entre entreprises non concurrentes ne justifient, en tant que telles, pas davantage l’octroi d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

126.

Au soutien de la thèse contraire, les requérantes au principal font valoir que les restrictions en cause au principal sont analogues à certaines restrictions auxquelles un donneur de licence s’engage typiquement envers un preneur de licence. Ces restrictions bénéficieraient d’une exemption par catégorie si les parts de marché des parties n’excèdent pas certains seuils et appelleraient généralement une exemption individuelle même lorsque ces seuils sont dépassés.

127.

En particulier, Roche souligne que les restrictions par lesquelles le donneur de licence s’engage à ne pas exploiter la technologie concédée ou à ne pas vendre, activement et/ou passivement, de produits intégrant cette technologie sur le territoire exclusif ou à un groupe d’acheteurs exclusif réservé au preneur de licence, bénéficient de l’exemption par catégorie prévue par le règlement no 772/2004 et par le règlement no 316/2014 qui lui a succédé. Il en irait ainsi tant lorsque ces restrictions figurent dans un accord entre entreprises non concurrentes ( 79 ) que lorsqu’elles sont insérées dans un accord entre entreprises concurrentes ( 80 ).

128.

Même dans les cas où cette exemption par catégorie ne saurait être accordée en raison du dépassement des seuils de parts de marché applicables, lesdites restrictions rempliraient normalement, selon les lignes directrices, les conditions ouvrant le bénéfice d’une exemption individuelle au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE ( 81 ).

129.

Cette argumentation ne me convainc pas. En effet, pour les raisons énoncées aux points 111 à 113 des présentes conclusions, les restrictions en cause au principal ne sont pas réductibles aux types de clauses, mentionnées aux points précédents, visées par ces règlements et par les lignes directrices. Cette conclusion s’imposerait à plus forte raison dans l’éventualité où les médicaments concernés intégreraient des technologies différentes. En effet, il ne saurait alors être question de restrictions à l’exploitation de la technologie concédée ou à la vente de produits intégrant cette technologie.

130.

Plus généralement, je doute que des restrictions telles que celles en cause au principal – même dans les situations où, contrairement à ce qu’a en l’espèce constaté l’AGCM, les seuils de parts de marché au‑delà desquels l’exemption par catégorie ne peut pas être octroyée ne sont pas franchis ( 82 ) – relèvent du champ d’application matériel desdits règlements.

131.

Aux termes du considérant 9 du règlement no 772/2004, pour que les objectifs et avantages visés par un transfert de technologie puissent être atteints, ce règlement doit couvrir les dispositions contenues dans les accords de transfert de technologie qui n’en constituent pas l’objectif premier lorsque celles‑ci « sont directement liées à la mise en œuvre de la technologie concédée ». Le considérant 9 du règlement no 316/2014 énonce, de manière plus explicite, que ce règlement n’englobe les clauses de ces accords que dans la mesure où elles sont « directement liées à la production ou à la vente des produits contractuels ». Or, les restrictions en cause au principal ne concernent ni la production ni la vente de médicaments anti‑VEGF ; elles portent sur l’utilisation et l’achat d’un de ces médicaments par des tiers à l’accord de licence sur le Lucentis.

132.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que les comportements collusoires litigieux n’échappent pas au champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ni ne bénéficient d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article, au motif que les restrictions en cause au principal seraient assimilables à des restrictions à la concurrence exercée par le donneur à l’endroit du preneur de licence inscrites dans un accord de licence entre entreprises non concurrentes.

133.

Cette conclusion ne préjuge, cependant, pas de la question de savoir si les comportements collusoires litigieux tombent effectivement sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Elle n’implique pas davantage que ces comportements ne sauraient être exemptés au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE au terme d’une analyse individuelle du respect des conditions prévues à cette disposition ( 83 ) – dont il appartient aux parties qui s’en prévalent d’apporter la preuve ( 84 ). J’aborde ces aspects ci‑après dans le cadre de l’analyse de la cinquième question préjudicielle.

E. Sur la cinquième question relative à la notion de « restriction de la concurrence par objet »

1.   Sur la portée de la cinquième question

134.

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande si peut constituer une restriction de la concurrence par objet une collusion visant à « exagérer la moindre sécurité ou la moindre efficacité d’un médicament » par rapport à un autre sans disposer de preuves scientifiques « certaines » supportant cette moindre efficacité ou sécurité ni de connaissances scientifiques en excluant « incontestablement » le bien‑fondé au moment des faits pertinents.

135.

Aux fins de mieux calibrer mon analyse, trois précisions liminaires relatives à la portée de cette question à la lumière des faits décrits dans la décision de renvoi me semblent s’imposer.

136.

En premier lieu, comme l’indique son libellé, la cinquième question repose sur la prémisse selon laquelle, ainsi que le soutiennent les requérantes au principal, l’équivalence des profils de sécurité et d’efficacité de l’Avastin utilisé off‑label et du Lucentis faisait l’objet d’incertitudes scientifiques à l’époque des comportements collusoires litigieux.

137.

Cette prémisse est contestée par l’AGCM, l’AIUDAPDS, SOI‑AMOI, la Région d’Émilie‑Romagne, Altroconsumo et le gouvernement italien. Ceux‑ci font essentiellement valoir que, si la science médicale ne permet jamais de prouver de façon incontestable l’équivalence thérapeutique entre deux médicaments, les preuves disponibles à l’époque des faits pertinents – corroborées ultérieurement par d’autres éléments ( 85 ) – établissaient l’équivalence thérapeutique entre l’Avastin et le Lucentis bien plus qu’elles ne la mettaient en doute. SOI‑AMOI souligne, en outre, que la sécurité et l’efficacité de l’Avastin en ophtalmologie avaient été démontrées, déjà à cette époque, au travers d’une pratique médicale établie dans la durée au niveau mondial ( 86 ).

138.

Dans la mesure où il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause le cadre factuel décrit par la juridiction nationale ( 87 ), l’analyse de la cinquième question doit, à mon sens, néanmoins être fondée sur ladite prémisse. Je partirai donc du principe selon lequel le débat scientifique relatif à l’équivalence thérapeutique des deux médicaments en cause n’était à tout le moins pas clos.

139.

En deuxième lieu, les termes « exagérer la moindre sécurité ou la moindre efficacité d’un médicament » peuvent prêter à confusion. Je leur préfère la formulation neutre relative à la « communication » ou à la « diffusion » d’« allégations » à ce sujet.

140.

En effet, d’une part, le verbe italien « enfatizzare », employé dans la décision de renvoi, peut également se traduire en français par l’expression « mettre l’accent sur » ou « insister sur », laquelle ne connote pas l’amplification d’une information sur le plan de son contenu ( 88 ). D’autre part, comme l’a fait remarquer SOI‑AMOI, l’exagération de, ou l’insistance sur, la moindre sécurité ou efficacité d’un produit par rapport à un autre présupposerait que cette moindre sécurité ou efficacité existe effectivement. Or, le libellé de la cinquième question indique au contraire que l’existence de ladite moindre sécurité ou efficacité fait l’objet d’un débat scientifique ( 89 ).

141.

En troisième lieu, il ne ressort pas de la décision de renvoi et du dossier soumis à la Cour que l’AGCM aurait reproché aux requérantes au principal d’avoir diffusé, outre des avis relatifs aux risques associés aux utilisations off‑label de l’Avastin, des allégations concernant la moindre efficacité de ces utilisations par rapport à celle du Lucentis.

142.

Plus précisément, l’AGCM a fait grief aux requérantes au principal d’être convenues d’une stratégie de communication à adopter par Roche et Roche Italia auprès des autorités de régulation pharmaceutique, des médecins et du public général. Cette stratégie aurait consisté à insister sur les risques liés à l’utilisation off‑label de l’Avastin et à répandre des allégations relatives à la moindre sécurité de ce produit par rapport au Lucentis. Il aurait notamment été prévu que ces sociétés demanderaient à l’EMA, sur la base de ces allégations, une modification du RCP de ce produit ainsi que l’autorisation d’envoyer une DHPC aux ophtalmologues.

143.

En vue d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, je concentrerai donc mon analyse sur l’évaluation du caractère restrictif par objet d’une collusion portant sur la communication d’allégations relatives à la moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre ( 90 ). Cela étant, l’approche proposée à l’issue de cette analyse couvrirait également le cas de figure d’une diffusion concertée d’allégations concernant à la fois la sécurité et l’efficacité comparatives de ces médicaments.

144.

Compte tenu de ce qui précède, j’aborde à présent la question de savoir si, et le cas échéant dans quelle mesure, constitue une restriction de la concurrence par objet une collusion visant à communiquer auprès de tiers des allégations relatives à la prétendue moindre sécurité d’un médicament utilisé off‑label pour certaines indications thérapeutiques par rapport à un médicament autorisé pour ces indications, lorsque la sécurité comparative de ces médicaments fait l’objet d’incertitudes scientifiques.

2.   Sur le cadre d’analyse permettant d’identifier l’existence d’une restriction de la concurrence par objet

145.

Selon une jurisprudence constante, la notion de « restriction de la concurrence par objet » désigne les accords ou les pratiques concertées qui révèlent, en eux‑mêmes, un « degré suffisant de nocivité » à l’égard de la concurrence rendant superflu l’examen de leurs effets sur la concurrence ( 91 ).

146.

Cette jurisprudence se fonde sur la circonstance selon laquelle « certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence» ( 92 ).

147.

Afin d’établir si un comportement collusoire donné revêt un caractère restrictif par objet, il convient de « s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère» ( 93 ). Ce contexte comprend, notamment, « la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question» ( 94 ).

148.

Cet examen individuel et circonstancié sert, en particulier, à « comprendre la fonction économique et la signification réelle » de la coordination en cause ( 95 ). Il permet, le cas échéant, de vérifier si celle‑ci est plausiblement sous‑tendue par une explication alternative à celle de la poursuite d’un objet anticoncurrentiel ( 96 ).

149.

En outre, l’intention subjective des participants à un comportement collusoire, bien qu’elle ne constitue pas un élément nécessaire ( 97 ) ni suffisant ( 98 ) au constat d’une restriction par objet, peut représenter un facteur pertinent à cette fin ( 99 ).

150.

J’ajoute que, si la notion de « restriction de la concurrence par objet » doit être interprétée restrictivement ( 100 ), celle‑ci ne se limite pas à couvrir les formes de collusion expressément listées à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ( 101 ). La forme atypique ou inédite d’une collusion déterminée n’empêche pas la Cour de conclure, à l’issue d’un examen individuel et circonstancié, que cette collusion présente, en elle‑même, un degré suffisant de nocivité sur la concurrence ( 102 ).

3.   Sur l’application en l’espèce

151.

À l’aune des principes ainsi rappelés et pour les raisons développées ci‑après, il ne fait guère de doutes, à mes yeux, que des comportements collusoires portant sur la diffusion d’allégations relatives à la prétendue moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre révèlent, en eux‑mêmes, un degré suffisant de nocivité sur la concurrence lorsque ces allégations sont trompeuses [sous a)]. De tels comportements ont pour objet de fausser la concurrence en exploitant une incertitude scientifique aux fins d’exclure le premier de ces produits du marché ou, du moins, d’en réorienter la demande en faveur du second.

152.

Ce premier cas de figure correspond à la version des faits de l’espèce présentée à la Cour par l’AGCM, l’AIUDAPDS, SOI‑AMOI, la Région d’Émilie‑Romagne, Altroconsumo, Codacons et le gouvernement italien. Ceux‑ci font valoir, en substance, que les comportements collusoires litigieux portaient sur la communication d’allégations qui ne reflétaient pas l’état des connaissances scientifiques disponibles au moment des faits pertinents ( 103 ). Ces comportements auraient eu pour objet de décourager les utilisations off‑label de l’Avastin de façon à en infléchir la demande en faveur du Lucentis.

153.

En revanche, lorsque les allégations communiquées ne sont pas trompeuses, de tels comportements collusoires ne tombent pas sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE [sous b)]. Dans une telle situation, ces comportements ont, en réalité, pour objet d’assurer la transparence des informations relatives à la sécurité des médicaments en cause, de manière à permettre aux destinataires de ces communications d’adopter des décisions de nature à protéger la santé publique. Un tel objet promeut tant la santé publique que le libre jeu de la concurrence.

154.

Ce second cas de figure couvre, quant à lui, la version des faits pertinents avancée par les requérantes au principal. Animées de réelles préoccupations relatives à la sécurité de l’Avastin en ophtalmologie, celles‑ci auraient simplement échangé des informations quant à la conduite qu’adopteraient Roche et Roche Italia aux fins de remplir leurs obligations de pharmacovigilance. Ces dernières ajoutent que ces comportements avaient pour objectif plus général de protéger la santé publique ainsi que, parallèlement, la réputation du groupe Roche en tant que fabricant et distributeur de l’Avastin. Il s’agissait, selon elles, d’éviter que ne retombent sur l’Avastin utilisé on‑label et sur ce groupe les répercussions négatives découlant des risques liés à son utilisation off‑label ( 104 ).

155.

Dans la mesure où l’examen du caractère trompeur ou non des allégations communiquées implique des appréciations de nature factuelle qui relèvent de la compétence exclusive de la juridiction de renvoi, c’est à cette dernière qu’il appartiendra d’arbitrer entre les différentes lectures des faits proposées par les intéressés et, partant, de déterminer si les comportements collusoires litigieux relèvent de l’un ou de l’autre des deux cas de figures susdécrits.

a)   Sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet lorsque les allégations communiquées sont trompeuses

156.

À mon sens, la communication concertée d’allégations trompeuses relatives à la moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre est, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, si bien qu’un examen de ses effets sur la concurrence n’est pas nécessaire ( 105 ).

157.

Tout d’abord, lorsque l’examen du contenu des allégations en cause en dévoile le caractère trompeur, leur communication concertée détériore la qualité de l’information disponible sur le marché et, partant, altère le processus de décision des acteurs à l’origine de la demande des deux produits concernés. Cette communication concertée est, en elle‑même, de nature à réduire, voire à tarir, la demande du premier de ces produits au profit du second.

158.

Selon moi, la communication d’allégations trompeuses inclut la diffusion de données en elles‑mêmes exactes mais présentées de façon sélective ou incomplète lorsque, au vu de ces modalités de présentation, cette diffusion est susceptible d’induire en erreur ses destinataires ( 106 ).

159.

En ce sens, l’article 49, paragraphe 5, du règlement no 726/2004 prévoit, d’ailleurs, que le titulaire d’une AMM ne peut pas communiquer au public des informations relatives à des questions de pharmacovigilance sans en avertir l’EMA et doit, en tout état de cause, veiller à ce que ces informations « soient présentées de manière objective et ne soient pas trompeuses» ( 107 ).

160.

Il en va ainsi indépendamment de la persistance éventuelle d’une incertitude scientifique relative à la sécurité d’un médicament. À mon avis, le fait d’omettre de préciser le caractère incertain des risques soulevés quant à l’utilisation de ce médicament, ou d’exagérer ceux‑ci en manquant d’objectivité au regard des preuves disponibles, peut rendre trompeuse une communication concertée relative à ces risques ( 108 ).

161.

En l’occurrence, il ne ressort pas de la décision de renvoi que le contenu des informations relatives aux effets indésirables de l’Avastin en ophtalmologie, dont les requérantes au principal prévoyaient de façon concertée la diffusion, était en lui‑même inexact ( 109 ). L’AGCM leur reproche, en substance, d’avoir présenté ces informations de façon incomplète et sélective en dépréciant les connaissances scientifiques en sens contraire. Par conséquent, les allégations relatives à la moindre sécurité de l’Avastin par rapport au Lucentis auraient été dépourvues d’objectivité et donc trompeuses.

162.

Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière des considérations exposées aux points 158 à 160 des présentes conclusions, si ces allégations étaient trompeuses eu égard à l’ensemble des données dont disposaient les requérantes au principal à l’époque des faits pertinents.

163.

Ensuite, la diffusion concertée d’allégations trompeuses relatives à la moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre a nécessairement pour objectif d’obtenir l’exclusion, ou à tout le moins la diminution de la demande, du premier de ces médicaments au profit du second. Au vu du caractère trompeur de ces allégations, une telle collusion ne saurait, en particulier, recevoir une explication alternative plausible relative à la poursuite d’objectifs légitimes concernant la transparence des informations disponibles sur le marché ainsi que la protection de la santé publique.

164.

Dans l’hypothèse où la collusion en cause poursuivrait à titre additionnel certains objectifs étrangers à celui d’une restriction de la concurrence, ceux‑ci ne pourraient être pris en compte qu’à l’occasion de l’application éventuelle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE ( 110 ).

165.

En particulier, pourrait être soulevée la question de savoir si le but de faire cesser la prescription et la commercialisation supposément illégales de l’Avastin en vue d’utilisations off‑label justifie le bénéfice d’une exemption au titre de cette disposition.

166.

À cet égard, j’ouvre une brève parenthèse sur les enseignements qui peuvent être tirés de l’arrêt Slovenská sporiteľňa ( 111 ), évoqué plus haut, dans lequel la Cour a analysé sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE une entente visant à éliminer un concurrent dont l’activité était prétendument illégale (et s’était effectivement avérée telle postérieurement à la conclusion de cette entente). La Cour y a laissé en suspens la question de savoir si la mise à l’écart d’un concurrent agissant illégalement pouvait engendrer des gains d’efficience. En tout état de cause, la restriction de la concurrence n’était pas indispensable pour réaliser de tels gains. Il incombait aux entreprises parties à l’entente de saisir les autorités compétentes d’une plainte à l’encontre de ce concurrent au lieu de se faire justice à elles‑mêmes en s’entendant pour exclure celui‑ci du marché ( 112 ).

167.

À mes yeux, cette logique implique également que, à tout le moins tant que l’illicéité de la prescription ou de la commercialisation d’un médicament pour une utilisation off‑label ne ressort pas d’une décision définitive des juridictions compétentes ( 113 ), il n’appartient pas à des entreprises de préjuger de cette illicéité en éliminant de façon concertée, au moyen de la diffusion d’avis trompeurs, la pression concurrentielle que ces activités exercent sur les ventes d’un autre produit.

168.

L’examen du contexte économique et juridique, et en particulier de la nature des produits et des conditions de fonctionnement du marché en cause, conforterait, enfin, le caractère restrictif par objet d’une collusion portant sur la communication d’informations trompeuses relatives à la moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre.

169.

Tel que l’ont mis en exergue l’AGCM, la Région d’Émilie‑Romagne, le gouvernement français et la Commission, les médecins sont particulièrement sensibles aux considérations relatives à la sécurité d’un médicament. Lorsque ces considérations ont trait à l’utilisation off‑label de ce médicament, cette aversion au risque est susceptible d’augmenter en fonction des dispositions relatives à la responsabilité du médecin en vigueur dans l’État membre concerné. En l’occurrence, celle‑ci serait, aux dires de l’AGCM et du gouvernement italien, engagée en Italie en des termes sévères sur les plans civil et pénal. Compte tenu de ce contexte spécifique, la diffusion d’un discours alarmant et trompeur quant aux risques liés à l’utilisation off‑label d’un médicament est intrinsèquement de nature à discréditer ce médicament auprès des médecins et à stimuler la demande des médicaments concurrents.

170.

Par ailleurs, le caractère trompeur des avis communiqués, s’il était établi, suffirait déjà à exclure que les comportements collusoires litigieux puissent s’expliquer par la poursuite d’objectifs légitimes consistant à assurer la transparence des informations disponibles sur le marché ainsi que la protection de la santé publique et de la réputation du groupe Roche. Cette conclusion s’imposerait toutefois d’autant plus dans la mesure où la réalisation de ces objectifs ne nécessitait pas de concertation entre les requérantes au principal eu égard au contexte économique et juridique entourant ces comportements.

171.

En effet, si l’entreprise fabricante et/ou titulaire de l’AMM (telle que Roche) d’un médicament (tel que l’Avastin) supporte les risques à tout le moins en termes de réputation découlant de l’insécurité d’un usage même off‑label de ce médicament, de tels risques ne pèsent nullement sur une autre entreprise (telle que Novartis) qui commercialise un médicament concurrent (tel que le Lucentis). Il n’est pas du ressort de cette dernière de contribuer à l’élaboration de mesures appropriées pour atténuer les risques sécuritaires liés à l’utilisation off‑label d’un médicament qu’elle ne fabrique ni ne commercialise. De même, ainsi que l’ont souligné l’AGCM, la Région d’Émilie-Romagne, Altroconsumo et la Commission, les obligations de pharmacovigilance incombent à la seule entreprise titulaire de l’AMM du médicament concerné.

172.

Le cas échéant, l’intention subjective des requérantes au principal, telle qu’elle ressort des constatations de l’AGCM exposées dans la décision de renvoi et à la supposer établie, pourrait corroborer l’existence éventuelle d’un objet anticoncurrentiel s’attachant aux comportements collusoires litigieux. Selon l’AGCM, ces dernières ont exprimé dans divers documents l’intention de « générer et diffuser » des préoccupations injustifiées relatives à la sécurité de l’Avastin en vue de déplacer la demande vers le Lucentis. Ces sociétés auraient, ainsi, cherché à exploiter une incertitude relative à la sécurité comparative de ces produits dans un sens favorable à leurs intérêts commerciaux mais préjudiciable à la concurrence.

173.

J’ajoute que, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi conclurait que les allégations en cause étaient trompeuses, le caractère restrictif par objet des comportements collusoires litigieux devrait être constaté indépendamment des effets concrets de ces comportements.

174.

Ainsi que d’autres avocats généraux l’ont souligné avant moi ( 114 ) et que la Cour l’a en substance clarifié dans l’arrêt CB/Commission ( 115 ), l’examen individuel et circonstancié d’une collusion ne se confond pas avec l’examen de ses effets réels ou potentiels sur la concurrence. Si tel était le cas, les notions d’« objet » et d’« effet » anticoncurrentiels se trouveraient amalgamées, brouillant ainsi la distinction que l’article 101, paragraphe 1, TFUE établit entre ces deux notions. C’est dans cette optique que, selon la jurisprudence, une coordination peut constituer une restriction par objet pour autant qu’elle soit « susceptible de », ou « concrètement apte à », produire des effets néfastes à la concurrence, sans qu’un examen de ses effets concrets soit nécessaire ( 116 ).

175.

Il est donc indifférent, premièrement, que l’EMA ait refusé d’autoriser l’envoi d’une DHPC et ait apporté au RCP de l’Avastin une autre modification que celle sollicitée par Roche ( 117 ). En effet, le fait qu’une collusion donnée ne soit pas couronnée de succès dans un cas concret n’importe pas aux fins de l’identification d’une restriction par objet ( 118 ). Cette circonstance peut cependant être prise en considération dans le cadre du calcul du montant de l’amende ( 119 ).

176.

Ne s’opposerait pas davantage au constat d’une restriction par objet, deuxièmement, la compétence spécialisée des autorités de régulation pharmaceutique et des ophtalmologues, laquelle leur aurait, selon les requérantes au principal, permis de faire preuve d’esprit critique à l’endroit des avis communiqués. J’estime, au contraire, que, à supposer même que des destinataires avertis disposent des qualifications nécessaires pour éventuellement déjouer une stratégie concertée visant à diffuser des allégations trompeuses relatives à la sécurité d’un produit aux fins d’en faire baisser la demande, l’aptitude d’une telle stratégie à restreindre la concurrence ne saurait être mise en cause.

b)   Sur l’absence de restriction de la concurrence lorsque les allégations communiquées ne sont pas trompeuses

177.

Le cas de figure d’une collusion portant sur la communication d’allégations trompeuses relatives à la moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre doit être clairement distingué de celui d’une concertation par laquelle les entreprises titulaires des AMM de deux médicaments conviennent de transmettre des informations exactes et objectives, au regard des connaissances scientifiques disponibles au moment des faits pertinents, relatives à la sécurité comparative de ces deux médicaments.

178.

À mon avis, une telle concertation ne restreint pas la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

179.

Son objet, ou sa fonction économique et signification réelle, consiste à améliorer la qualité de l’information disponible sur le marché de façon à permettre l’adoption de décisions éclairées par les médecins et les autorités de régulation pharmaceutique. Un tel objet, ainsi que Roche l’a souligné lors de l’audience, favorise tant la protection de la santé publique que le déploiement d’une saine concurrence. Par la même occasion, la communication concertée de données exactes et objectives relatives au profil de sécurité d’un médicament permet de préserver la réputation de ce médicament et de l’entreprise qui l’a développé ou fabriqué.

180.

Une concertation par laquelle les entreprises titulaires des AMM de deux médicaments conviennent de transmettre des données exactes et objectives relatives à la moindre sécurité d’un de ces médicaments par rapport à l’autre n’est, me semble‑t‑il, pas même susceptible de produire des effets anticoncurrentiels.

181.

Cette conclusion découle logiquement de l’analyse contrefactuelle requise aux fins d’identifier une restriction de la concurrence. Il convient, en effet, de déterminer si la concurrence est restreinte « dans le cadre réel où elle se produirait à défaut de l’accord litigieux» ( 120 ). Or, une telle concertation, plutôt que de restreindre la concurrence qui aurait existé en son absence, renforce celle‑ci en assurant la transparence des informations disponibles sur le marché tout en œuvrant à la protection de la santé publique.

182.

Par conséquent, dans l’hypothèse où les allégations dont les requérantes au principal ont prévu de façon concertée la diffusion n’auraient pas été trompeuses, les comportements collusoires litigieux tomberaient hors du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

183.

Il en irait ainsi en dépit de la circonstance selon laquelle les objectifs légitimes susmentionnés, relatifs à la transparence de l’information ainsi qu’à la protection de la santé publique et de la réputation de l’Avastin et du groupe Roche, auraient pu être atteints unilatéralement par les sociétés de ce groupe ( 121 ).

184.

Certes, cette circonstance affecte la plausibilité de l’hypothèse d’une concertation dont l’objet aurait consisté à réaliser ces objectifs légitimes. Elle ne confère cependant pas un caractère anticoncurrentiel à une concertation portant sur la diffusion d’informations exactes et objectives relatives à la sécurité d’un médicament. Ce constat découle, à nouveau, de l’examen de la situation qui prévaudrait en l’absence d’une telle concertation. En effet, à supposer que les allégations en cause n’aient pas été trompeuses, la conduite adoptée par Roche et Roche Italia à l’issue des comportements collusoires litigieux aurait été nécessaire même à défaut de ceux‑ci aux fins d’atteindre lesdits objectifs légitimes, et, en particulier, de protéger la santé publique ( 122 ).

185.

J’ajoute, à cet égard, que, ainsi que le soutiennent les requérantes au principal, la communication de données exactes et objectives relatives au profil de sécurité d’un médicament promeut les objectifs que poursuit le règlement no 726/2004 en instituant des obligations de pharmacovigilance. La notification aux autorités de régulation pharmaceutique des effets indésirables présumés des utilisations off‑label d’un médicament correspond au prescrit de l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement et de l’article 104, paragraphe 1, de la directive 2001/83, auquel fait référence l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement. Une demande de modification du RCP du médicament en cause et d’autorisation d’envoyer un courrier formel aux médecins, ainsi que l’élaboration d’une stratégie de communication à l’égard du public général, pourraient éventuellement, quant à elles, constituer des « mesures appropriées » pour minimiser d’éventuels risques sécuritaires au sens de l’article 104, paragraphe 2, de la directive 2001/83.

186.

Il importe peu que le règlement no 726/2004, de même que la directive no 2001/83, n’étendent ces obligations de pharmacovigilance aux utilisations off‑label de médicaments que depuis le mois de juillet 2012 ( 123 ) – soit postérieurement au début des comportements collusoires litigieux. Des entreprises ne sauraient se voir reprocher l’adoption d’une conduite conforme à ces obligations, dès lors qu’une telle conduite concorde avec la volonté du législateur guidée par des considérations de santé publique.

V. Conclusion

187.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) de la manière suivante :

1)

L’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que le marché de produits en cause englobe tous les produits considérés par les consommateurs comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés.

Dans le secteur pharmaceutique, le contenu des autorisations de mise sur le marché des médicaments n’est pas nécessairement décisif aux fins d’une telle appréciation. En particulier, la circonstance selon laquelle l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament ne couvre pas certaines indications thérapeutiques n’empêche pas que ce médicament fasse partie du marché des médicaments utilisés pour ces indications pour autant que ledit médicament est effectivement utilisé de façon interchangeable avec les médicaments dont l’autorisation de mise sur le marché couvre lesdites indications.

Il en va ainsi même lorsque la conformité au cadre réglementaire applicable de la prescription et de la mise sur le marché d’un médicament en vue d’être utilisé pour des indications thérapeutiques et selon des modalités non couvertes par son autorisation de mise sur le marché est incertaine.

2)

Des restrictions à la concurrence exercée à l’égard du preneur de licence au moyen de la demande et de l’utilisation par des tiers sous une forme et à des fins non prévues par le donneur de licence d’un produit intégrant la technologie concédée, même lorsqu’elles s’inscrivent dans le contexte d’un accord de licence entre entreprises non concurrentes, n’échappent pas au principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’elles seraient accessoires à la mise en œuvre de cet accord ni ne bénéficient nécessairement d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

3)

Une collusion par laquelle deux entreprises conviennent de communiquer auprès de tiers des allégations relatives à la prétendue moindre sécurité d’un médicament par rapport à un autre, sans disposer de preuves scientifiques certaines étayant ces allégations ni de connaissances scientifiques en excluant incontestablement le bien‑fondé, constitue une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE pour autant que lesdites allégations soient trompeuses, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement de la Commission du 27 avril 2004 concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2004, L 123, p. 11). Ce règlement a expiré le 30 avril 2014. Le lendemain est entré en vigueur le règlement (UE) no 316/2014 de la Commission, du 21 mars 2014, relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, L 93, p. 17).

( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67).

( 5 ) Voir article 4, second alinéa, du règlement (UE) no 1235/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010, modifiant, en ce qui concerne la pharmacovigilance des médicaments à usage humain, le [règlement no 726/2004], et le règlement (CE) no 1394/2007 concernant les médicaments de thérapie innovante (JO 2010, L 348, p. 1).

( 6 ) Voir article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/84/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010, modifiant, en ce qui concerne la pharmacovigilance, la [directive 2001/83] (JO 2010, L 348, p. 74).

( 7 ) Cette liste est dressée en application de l’article 1er, paragraphe 4, du decreto‑legge 21 ottobre 1996, n. 536, convertito con modificazioni dalla legge 23 dicembre 1996, n. 648 (décret‑loi no 536, du 21 octobre 1996, converti avec modifications en loi no 648, du 23 décembre 1996).

( 8 ) Les requérantes au principal soulignent que le produit résultant du transvasement d’un flacon d’Avastin dans plusieurs seringues contenant uniquement la dose nécessaire à une injection intravitréenne s’écarte du RCP de l’Avastin sous l’angle non seulement des indications thérapeutiques, mais également du dosage, de la forme pharmaceutique, de la voie d’administration et de la présentation.

( 9 ) Voir European Commission, « Study on off‑label use of medicinal products in the European Union », 2017, disponible sur le site https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/files/documents/2017_02_28_final_study_report_on_off-label_use_.pdf

( 10 ) Voir note en bas de page 39 des présentes conclusions.

( 11 ) Voir, s’agissant des médicaments autorisés au terme de la procédure centralisée, article 16, paragraphe 2, article 24, paragraphe 1, et article 49, paragraphe 5, du règlement no 726/2004. Voir, pour les médicaments autorisés par les États membres, article 23, paragraphe 2, second alinéa, et article 101, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83.

( 12 ) Voir arrêt du Tribunal du 11 juin 2015, Laboratoires CTRS/Commission (T‑452/14, non publié, EU:T:2015:373, point 79).

( 13 ) Ces compétences sont reconnues à l’article 168, paragraphe 7, TFUE. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Novartis Pharma (C‑535/11, EU:C:2013:53, point 79).

( 14 ) Voir article 1er, second alinéa, du règlement no 726/2004 ; article 4, paragraphe 3, de la directive 2001/83, et arrêt du 22 avril 2010, Association of the British Pharmaceutical Industry (C‑62/09, EU:C:2010:219, point 36). La compétence des États membres pour organiser leurs systèmes de sécurité sociale doit néanmoins être exercée dans le respect du droit de l’Union [voir arrêt du 2 avril 2009, A. Menarini Industrie Farmaceutiche Riunite e.a. (C‑352/07 à C‑356/07, C‑365/07 à C‑367/07 et C‑400/07, EU:C:2009:217, point 20 et jurisprudence citée)].

( 15 ) Voir, à cet égard, European Commission, « Study on off‑label use of medicinal products in the European Union, 2017 », disponible sur le site https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/files/documents/2017_02_28_final_study_report_on_off‑label_use_.pdf, p. 59 à 71.

( 16 ) Voir, notamment, arrêts du Conseil d’État (France) (1re et 6e chambres réunies), no 392459, du 24 février 2017 (FR:CECHR:2017:392459.20170224) [relatif à la légalité de la recommandation temporaire d’utilisation de l’Avastin pour le traitement de la DMLA] et de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie), no 151/2014, du 29 mai 2014 [concernant la légalité de dispositions relatives à la remboursabilité de médicaments prescrits off‑label].

( 17 ) Affaire pendante C‑29/17 (voir JO 2017, C 195, p. 9).

( 18 ) Voir, en ce sens, Forwood, G., et Killick, J., « Promoting the off‑label use of medicines : where to draw the line ? », European Journal of Risk Regulation, 2016, no 2, p. 431.

( 19 ) Voir article 8, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/83, auquel fait référence l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

( 20 ) L’AGCM fait référence à l’inscription, depuis l’année 2013, du bevacizumab sur la « Liste modèle de médicaments essentiels » de l’OMS pour des indications ophtalmologiques.

( 21 ) Arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 26 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 27 et jurisprudence citée).

( 23 ) Voir, notamment, arrêt du 17 juillet 2008, Raccanelli (C‑94/07, EU:C:2008:425, point 29).

( 24 ) Voir, à cet égard, arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 28).

( 25 ) Arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2001:160, point 40 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir arrêt du 6 octobre 2015, Târşia (C‑69/14, EU:C:2015:662, point 12 et jurisprudence citée).

( 27 ) Arrêt du 28 janvier 1999, van der Kooy (C‑181/97, EU:C:1999:32, point 30).

( 28 ) Voir point 40 des présentes conclusions.

( 29 ) Article 1er, paragraphe 1, sous j), ii), du règlement no 772/2004. L’article 1er, paragraphe 1, sous j), du règlement no 316/2014 prévoit une définition similaire.

( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C‑475/99, EU:C:2001:577, point 33), et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C‑1/12, EU:C:2013:127, point 77).

( 31 ) Voir, également, point 7 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5).

( 32 ) Voir, notamment, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE (C‑49/07, EU:C:2008:376, point 32 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir points 83 à 85 des présentes conclusions.

( 34 ) Dans cette optique, le point 42 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence mentionne les barrières réglementaires parmi les éléments d’appréciation utilisés pour définir le marché de produits en cause.

( 35 ) Voir article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83, auquel fait référence l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

( 36 ) Voir points 47 à 49 des présentes conclusions.

( 37 ) Selon les constatations de l’AGCM, ce médicament a, en outre, continué à être pris en charge pour le traitement de la DMLA par certains systèmes de sécurité sociale régionaux après l’exclusion de l’Avastin de la liste 648 pour cette indication thérapeutique.

( 38 ) Décisions de la Commission du 17 juillet 2009 dans l’affaire COMP/M. 5476 – Pfizer/Wyeth (points 24 et 25) ; du 13 octobre 2001 dans l’affaire COMP/M. 6258 – Teva/Cephalon (points 88 à 91), et du 4 février 2009 dans l’affaire COMP/M. 5253 Sanofi/Aventis/Zentiva (note en bas de page 6).

( 39 ) En principe, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, les médicaments visés par ce règlement ne peuvent pas être mis sur le marché pour des indications thérapeutiques ou selon des modalités non couvertes par leur AMM. En outre, les opérations de division et de reconditionnement d’un médicament requièrent une autorisation de fabrication en vertu de l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2001/83, auquel renvoie l’article 19, paragraphe 1, de ce règlement. Ces dispositions admettent, cependant, certaines dérogations. En particulier, l’article 3, point 1, de cette directive dispose que celle‑ci ne s’applique pas lorsque le médicament est préparé en pharmacie sur la base d’une prescription médicale destinée à un malade déterminé [voir, à cet égard, arrêt du 11 avril 2013, Novartis Pharma (C‑535/11, EU:C:2013:226, point 43)]. La Cour a précisé, dans l’arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 64), que cette dérogation suppose que la préparation soit opérée sur la base des besoins individuels du patient auquel une ordonnance est délivrée. Selon l’AGCM et la Région d’Émilie‑Romagne, la division et le reconditionnement de l’Avastin ont lieu dans des pharmacies hospitalières sur la base d’ordonnances individuelles, si bien que ladite dérogation s’applique. Roche et Roche Italia allèguent, au contraire, que ces opérations étaient en grande partie effectuées en série de façon standardisée, sur la base de prescriptions non personnalisées selon les besoins individuels des patients. L’applicabilité de l’article 3, point 1, de ladite directive dans une telle situation fait l’objet d’une des questions préjudicielles déférées à la Cour par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) dans l’affaire pendante C‑29/17.

( 40 ) Les requérantes au principal font référence à l’article 3, paragraphe 2, du decreto‑legge 17 febbraio 1998, n. 23, convertito con modificazioni dalla legge 8 aprile 1998, n. 94 (décret‑loi no 23, du 17 février 1998, converti avec modifications en loi no 94, du 8 avril 1998, dite « loi Di Bella »).

( 41 ) Ceux‑ci invoquent, en particulier, l’arrêt de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) no 151/2014, du 19 mai 2014. Cette juridiction y a interprété l’article 1er, paragraphe 4, du décret‑loi no 536, du 21 octobre 1996, converti avec modifications en loi no 648, du 23 décembre 1996, lequel subordonne le remboursement par le SSN de médicaments prescrits off‑label à une condition d’absence d’alternative thérapeutique valable, en ce sens que cette condition est remplie lorsque, bien qu’une alternative thérapeutique autorisée existe, elle n’est pas valable du point de vue économique. À la suite de cet arrêt, une modification aurait été apportée à cette loi de façon à permettre le remboursement de médicaments prescrits off‑label, à certaines conditions, même en présence d’une alternative thérapeutique autorisée [decreto‑legge 20 marzo 2014, n. 36, convertito con legge 16 mayo 2014, n. 79 (décret‑loi no 36, du 20 mars 2014, converti en loi par la loi no 79, du 16 mai 2014)]. La conformité de cette modification à la directive 2001/83 est contestée par Novartis Italia dans l’affaire en cours devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État) ayant donné lieu au renvoi préjudiciel dans l’affaire pendante C‑29/17. Lors de l’audience, SOI‑AMOI a, en tout état de cause, mis en doute le caractère impératif de l’article 3, paragraphe 2, du décret‑loi no 23, du 17 février 1998, converti avec modifications en loi no 94, du 8 avril 1998, dite « loi Di Bella » – en vertu duquel un médicament ne peut être prescrit off‑label qu’en l’absence d’une alternative thérapeutique autorisée permettant de traiter le patient en cause –, dont le non‑respect ne serait pas sanctionné.

( 42 ) Voir, s’agissant de la nécessité de comprendre une question préjudicielle à la lumière du contexte dans lequel elle est posée en vue d’y apporter une réponse utile, arrêt du 7 mars 1996, Merckx et Neuhuys (C‑171/94 et C‑172/94, EU:C:1996:87, point 15), et conclusions de l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer dans l’affaire Gottardo (C‑55/00, EU:C:2001:210, point 36).

( 43 ) Lors de l’audience, Roche a fait valoir que les autorités de concurrence disposent néanmoins de la possibilité de demander la coopération des autorités de pharmacovigilance aux fins d’obtenir un éclairage quant à la légalité de la prescription et de la mise sur le marché de médicaments destinés à des utilisations off‑label. En l’espèce, cependant, la légalité de ces pratiques dépend de l’interprétation – laquelle fait l’objet de polémiques entre différents interlocuteurs du secteur – de certaines dispositions de droit italien et de droit de l’Union. Ces questions ne peuvent être définitivement tranchées que par des juridictions.

( 44 ) Arrêt du 7 février 2013 (C‑68/12, EU:C:2013:71, point 21).

( 45 ) Arrêt du 7 février 2013, Slovenská sporiteľňa (C‑68/12, EU:C:2013:71, points 20 et 21).

( 46 ) Voir point 165 des présentes conclusions.

( 47 ) L’approche adoptée par la Cour dans l’arrêt du 7 février 2013, Slovenská sporiteľňa (C‑68/12, EU:C:2013:71, points 20 et 21), contredit également l’argument, soulevé par Roche, selon lequel l’illégalité de la prescription et de la commercialisation de l’Avastin en vue d’utilisations off‑label impliquerait l’absence de tout rapport de concurrence susceptible d’être restreint par les comportements collusoires litigieux. Dans le même ordre d’idées, dans sa décision 85/206/CEE, du 19 décembre 1984, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/26.870 – Importations d’aluminium d’Europe de l’Est) (JO 1985, L 92, p. 1, point 12.2), la Commission a réfuté un argument tiré de l’inapplicabilité de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à une entente visant à restreindre la concurrence exercée par un prétendu dumping de métal au motif que, dès lors que cette concurrence ne serait pas celle qui prévaut dans une économie de libre entreprise dans le cadre de la loi, il n’y aurait pas eu de « concurrence » susceptible d’être restreinte au sens de cette disposition. Aux termes de cette décision, il n’appartient pas à des personnes privées de s’arroger des fonctions publiques en réglementant les échanges au moyen d’une entente.

( 48 ) Selon l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement no 772/2004, lorsqu’un accord de licence contient des clauses relatives à l’achat de produits par le preneur de licence, cet accord constitue un « accord de transfert de technologie » pour autant que ces clauses ne constituent pas l’objet principal dudit accord et soient directement liées à la production des produits contractuels (voir, également, article 2, paragraphe 3, du règlement no 316/2014). En revanche, lorsqu’un accord prévoit à la fois la vente de produits à un distributeur et la cession à ce dernier de droits de propriété intellectuelle et que cette cession ne constitue pas l’objet principal de cet accord, celui‑ci relève du champ d’application du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, [TFUE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO 2010, L 102, p. 1) (voir article 2, paragraphe 3, de ce règlement). Étant donné qu’aucun des intéressés n’a contesté cette qualification, je fonde mon analyse sur la prémisse selon laquelle, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, l’accord entre Genentech et Novartis constitue un « accord de transfert de technologie » au sens du règlement no 772/2004. En tout état de cause, l’article 1er, paragraphe 1, sous c), du règlement no 330/2010 contient une définition de la notion d’entreprise concurrente comparable à celle qui figure à l’article 1er, paragraphe 1, sous j), ii), du règlement no 772/2004.

( 49 ) Voir article 1er, paragraphe 1, sous f), du règlement no 772/2004. L’article 1er, paragraphe 1, sous g), du règlement no 316/2014 contient une définition similaire du produit contractuel.

( 50 ) Voir point 111 des présentes conclusions.

( 51 ) Voir point 107 des présentes conclusions. La tolérance accrue dont font preuve les règlements no 772/2004 et no 316/2014 en faveur des restrictions contenues dans les accords de licence entre entreprises non concurrentes peut, d’ailleurs, être expliquée par le fait que ces restrictions concernent en principe uniquement la concurrence intratechnologique. Voir, en ce sens, point 27 de la communication de la Commission, lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, C 89, p. 3, ci‑après les « lignes directrices »).

( 52 ) Voir points 124 et 129 des présentes conclusions.

( 53 ) Arrêt du 30 juin 1966 (56/65, EU:C:1966:38, p. 360).

( 54 ) Voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, EU:C:1985:327, points 19 et 20) ; du 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris (161/84, EU:C:1986:41, points 16 à 22) ; du 19 avril 1988, Erauw‑Jacquery (27/87, EU:C:1988:183, point 10) ; du 15 décembre 1994, DLG (C‑250/92, EU:C:1994:413, point 35), ainsi que du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a. (C‑399/93, EU:C:1995:434, points 12 à 14).

( 55 ) Arrêt du 8 juin 1982 (258/78, EU:C:1982:211). Voir Whish, R., et Bailey, D., Competition Law, 7e édition, Oxford University Press, Oxford, 2013, p. 128.

( 56 ) Arrêt du 11 septembre 2014 (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89).

( 57 ) Arrêt du 8 juin 1982 (258/78, EU:C:1982:211).

( 58 ) Sur cette même ligne, le législateur a estimé, tel qu’il ressort du considérant 5 du règlement no 772/2004 et du considérant 4 du règlement no 316/2014, que les accords de transfert de technologie entraînent en général des gains d’efficience et favorisent la concurrence, notamment en facilitant la diffusion des technologies. Voir aussi points 9 et 17 des lignes directrices.

( 59 ) Ce principe a été repris, en citant notamment cet arrêt, au point 12, sous b), des lignes directrices. Il n’implique cependant pas que toute restriction à la concurrence intratechnologique échapperait à l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE du seul fait qu’elle pourrait renforcer la concurrence intertechnologique [voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 496)].

( 60 ) De même, dans l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 360), la Cour a épinglé, parmi les facteurs permettant de déterminer si un contrat assorti d’une clause d’exclusivité restreignait la concurrence, « les possibilités laissées à d’autres courants commerciaux sur les mêmes produits par le moyen de réexportations et d’importations parallèles ».

( 61 ) Arrêt du 8 juin 1982, Nungesser et Eisele/Commission (258/78, EU:C:1982:211, points 53, 60, 67, 77 et 78).

( 62 ) Arrêt du 8 juin 1982 (258/78, EU:C:1982:211).

( 63 ) Roche Italia a, d’ailleurs, précisé que, selon elle, le produit résultant des opérations de division et de reconditionnement de l’Avastin par des pharmacies en vue d’usages ophtalmologiques constitue un produit, fabriqué par ces pharmacies, différent de l’Avastin mis sur le marché par l’entreprise Roche.

( 64 ) Arrêt du 8 juin 1982 (258/78, EU:C:1982:211).

( 65 ) Arrêt du 8 juin 1982, Nungesser et Eisele/Commission (258/78, EU:C:1982:211, point 67).

( 66 ) La Cour a itérativement jugé que des accords visant à cloisonner les marchés nationaux, notamment en limitant les exportations parallèles, ont pour objet de restreindre la concurrence eu égard au fait que l’intégration des marchés constitue un objectif du traité [voir arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 61 ainsi que jurisprudence citée)].

( 67 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission (C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 68).

( 68 ) Arrêt du 11 septembre 2014 (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201).

( 69 ) Arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89).

( 70 ) Arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, points 90, 91 et 93).

( 71 ) Arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 91).

( 72 ) Arrêt du 11 septembre 2014 (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89).

( 73 ) L’arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, EU:C:1985:327), concernait une clause de non-concurrence, insérée dans un contrat de cession d’entreprise, visant à protéger l’acquéreur de la concurrence du cédant. Dans l’arrêt du 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris (161/84, EU:C:1986:41), la Cour a qualifié de restrictions accessoires des clauses relatives aux obligations d’un franchiseur concernant le transfert de savoir‑faire et l’assistance au franchisé ainsi qu’aux obligations du franchisé concernant la préservation de l’identité et de la réputation du réseau. Elle en a jugé de même, dans l’arrêt du 19 avril 1988, Erauw‑Jacquery (27/87, EU:C:1988:183), s’agissant d’une clause, inscrite dans un contrat de licence de droits d’obtentions végétales portant sur la multiplication de semences de base, interdisant l’exportation et la vente par le licencié de ces semences. L’arrêt du 15 décembre 1994, DLG (C‑250/92, EU:C:1994:413), portait sur une disposition statutaire d’une association coopérative d’achat limitant la possibilité pour ses membres de faire partie d’associations concurrentes. Étaient en cause dans l’arrêt du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a. (C‑399/93, EU:C:1995:434), des dispositions statutaires d’une société coopérative agricole régissant les rapports entre la société et ses membres.

( 74 ) Les requérantes au principal n’ont pas simplement convenu que Roche et Roche Italia s’abstiendraient d’encourager les utilisations off‑label de l’Avastin, par exemple en présentant celui‑ci auprès des autorités comme un substitut au Lucentis. Elles ont, en revanche, prévu la diffusion d’avis visant à décourager ces utilisations par des tiers.

( 75 ) Arrêt du 11 septembre 2014 (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89).

( 76 ) Voir point 116 des présentes conclusions.

( 77 ) Voir points 100 à 103 des présentes conclusions.

( 78 ) Voir points 107 des présentes conclusions.

( 79 ) Voir article 4, paragraphe 2, et article 5, paragraphe 2, du règlement no 772/2004 ainsi qu’article 4, paragraphe 2, et article 5, paragraphe 2, du règlement no 316/2014. Ces dispositions ne mentionnent pas les clauses de ce type parmi les « restrictions caractérisées » ou les « restrictions exclues » du bénéfice de l’exemption par catégorie. Voir, également, point 120 des lignes directrices.

( 80 ) Article 4, paragraphe 1, sous c), ii) et iv), du règlement no 772/2004 et article 4, paragraphe 1, sous c), i), du règlement no 316/2014. Voir, également, points 107 et 108 des lignes directrices.

( 81 ) Voir points 194 et 202 des lignes directrices.

( 82 ) Article 3, paragraphe 2, des règlements no 772/2004 et no 316/2014.

( 83 ) Voir, en ce sens, point 43 des lignes directrices.

( 84 ) Arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 82 ainsi que jurisprudence citée).

( 85 ) Ces intéressés font référence, en particulier, à diverses études scientifiques indépendantes et à l’inscription du bevacizumab sur la « Liste modèle de médicaments essentiels » de l’OMS pour des indications ophtalmologiques (voir note en bas de page 20 des présentes conclusions). Elles mentionnent également le refus par l’EMA d’apporter au RCP de l’Avastin les modifications demandées par Roche. À cet égard, il ressort de la décision de l’AGCM que celle‑ci a constaté que « Roche avait demandé des modifications à la section 4.8 (“effets indésirables” [...]) du RCP de l’Avastin, en particulier en indiquant des événements indésirables résultant de l’utilisation intravitréenne de l’Avastin plus importants que ce qui était le cas avec le Lucentis. Cependant, le [comité des médicaments à usage humain de l’EMA] a considéré dans son rapport sur l’Avastin que les modifications ne devraient porter “que” sur la section 4.4 (“mises en garde spéciales et précaution d’emploi”), compte tenu du fait que : (1) selon les preuves scientifiques actuellement disponibles, les différences entre l’Avastin et le Lucentis quant aux événements indésirables constatés ne sont pas statistiquement significatives, (2) des effets indésirables systémiques – c’est‑à‑dire non limités à l’œil ayant subi l’injection, mais concernant la vie du patient – peuvent être causés par les thérapies anti‑VEGF dans leur ensemble. »

( 86 ) J’observe, à cet égard, que l’article 10 bis de la directive 2001/83, auquel renvoie l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, prévoit que l’existence d’un usage médical établi dans la durée et de preuves scientifiques de l’efficacité et de la sécurité d’un médicament peuvent, à certaines conditions, pallier l’absence d’essais précliniques et cliniques aux fins de l’obtention d’une AMM.

( 87 ) Voir point 66 des présentes conclusions.

( 88 ) Le terme italien « enfatizzare » se traduit en langues anglaise et allemande, respectivement, par les verbes « emphasize » et « herausstellen », lesquels n’évoquent pas non plus nécessairement l’exagération d’une information sur le plan de son contenu.

( 89 ) En réalité, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi (voir point 35 des présentes conclusions), c’est non pas la « moindre efficacité ou sécurité » de l’Avastin par rapport au Lucentis, mais bien les « risques » liés à l’utilisation off‑label de l’Avastin que l’AGCM a reproché aux requérantes au principal d’avoir exagéré ou mis en exergue. Toujours selon l’AGCM, ces sociétés auraient, en outre, « allégué » la prétendue moindre efficacité et sécurité de l’Avastin par rapport au Lucentis.

( 90 ) Voir, à cet égard, arrêts du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196, point 21), et du 12 septembre 2013, Le Crédit Lyonnais (C‑388/11, EU:C:2013:541, point 20).

( 91 ) Voir, notamment, arrêts du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 359) ; du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 49, 53 et 57), ainsi que du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission (C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 103 et jurisprudence citée).

( 92 ) Voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 50 et jurisprudence citée), ainsi que du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission (C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 103 et jurisprudence citée).

( 93 ) Voir, notamment, arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 58 et jurisprudence citée).

( 94 ) Arrêts du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a. (C‑399/93, EU:C:1995:434, point 10) ; du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 36), ainsi que du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53).

( 95 ) J’emprunte ici l’expression de l’avocat général Wathelet dans ses conclusions dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2015:427, point 67).

( 96 ) En particulier, dans l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 74, 75 et 86), la Cour a, en substance, jugé qu’une collusion ne restreignait pas la concurrence par son objet dès lors que, à la lumière du contexte et notamment de la structure et des conditions de fonctionnement du marché en cause, son objet véritable n’était pas anticoncurrentiel. Cet objet consistait à imposer une contribution financière aux membres d’un groupement bénéficiant des efforts déployés par d’autres membres, en vue de développer certaines activités des membres de ce groupement. Voir, en ce sens, Ibañez Colomo, P., et Lamadrid, A., « On the notion of restriction of competition : what we know and what we don’t know we know », The Notion of Restriction of Competition, éd. par Gerard, D., Merola, M., et Meyring, B., Bruylant, Bruxelles, 2017, p. 353 à 358. Voir, également, arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 143), ainsi que conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:467, points 51 à 53).

( 97 ) Voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 58), ainsi que du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 118).

( 98 ) Arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 88).

( 99 ) Voir, notamment, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission (96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 23 et 24), ainsi que du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 54).

( 100 ) Arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 58).

( 101 ) Arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643, point 23).

( 102 ) Voir arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643, points 31 et suiv.), ainsi que conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2015:427, points 74, 89 et 90).

( 103 ) Voir point 137 des présentes conclusions.

( 104 ) Indépendamment du débat relatif au bien‑fondé des allégations concernant la sécurité comparative de l’Avastin et du Lucentis, les requérantes au principal font, de surcroît, valoir que les comportements collusoires litigieux avaient pour objet de permettre la mise en œuvre de l’accord de licence sur le Lucentis. Elles soutiennent que les restrictions en cause au principal étaient accessoires à la réalisation de cet accord principal favorable à la concurrence. J’ai déjà réfuté cette argumentation aux points 110 à 124 des présentes conclusions dans le cadre de l’examen de la première question.

( 105 ) Comme l’a fait remarquer le gouvernement français, certaines juridictions françaises ont suivi une telle approche. La cour d’appel de Paris (France), dans ses arrêts du 18 décembre 2014, no 177, Sanofi e.a. c. Autorité de la concurrence (RG no 2013/12370), et du 26 mars 2015, no 50, Reckitt Benckiser e.a. c. Arrow Génériques (RG no 2014/03330), a jugé que la communication d’informations relatives à la composition et au profil de sécurité de médicaments qui n’étaient pas inexactes mais étaient présentées de façon trompeuse violait les articles 101 ou 102 TFUE. Elle a considéré, en substance, qu’une telle communication échappe aux interdictions prévues à ces dispositions si elle procède de constatations objectives et vérifiables, mais en relève au contraire si elle procède d’assertions non vérifiées, incomplètes ou ambiguës. La Cour de cassation (France) a confirmé ces deux décisions dans ses arrêts du 18 octobre 2016, no 890, Sanofi e.a. c. Autorité de la concurrence e.a., ainsi que du 11 janvier 2017, no 33, Reckitt Benckiser e.a. c. Arrow Génériques e.a.

( 106 ) Cette définition du caractère trompeur d’une allégation présente des similarités avec celle du caractère trompeur d’une publicité que prévoit l’article 2, sous b), de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative (JO 2006, L 376, p. 21). Aux termes de cette disposition, est trompeuse « toute publicité qui, d’une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d’induire en erreur les personnes auxquelles elle s’adresse ou qu’elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d’affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent ». Voir, également, décisions des juridictions françaises citées à la note en bas de page 105 des présentes conclusions.

( 107 ) Voir, également, s’agissant des médicaments autorisés par les États membres, article 106 bis, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83.

( 108 ) Voir, à cet égard, European Medicines Agency, Guidelines on good pharmacovigilance practices (GVP), Module XV – Safety communication, du 22 janvier 2013 (EMA/118465/2012), p. 4 : « [s]afety communication should address the uncertainties related to a safety concern. This is of particular relevance for emerging information which is often communicated while competent authorities are conducting their evaluations ; the usefulness of communication at this stage needs to be balanced against the potential for confusion if uncertainties are not properly represented. » Voir, également, Module VII – Periodic safety update report (Rev 1) (EMA/816292/2011 Rev 1), du 9 décembre 2013, p. 28, dont il ressort que les rapports périodiques de sécurité actualisés (que les titulaires d’AMM doivent soumettre en vertu de l’article 28, paragraphe 2, du règlement no 726/2004) doivent caractériser les risques potentiels communiqués en faisant état, notamment, des éléments suivants : « strength of evidence and its uncertainties, including analysis of conflicting evidence ».

( 109 ) Les requérantes ont notamment fait valoir, sans qu’aucun des intéressés conteste un tel constat, que l’étude indépendante dénommée en anglais « randomized controlled comparison of age‑related macular degeneration treatment trial (CATT) », à laquelle la décision de l’AGCM fait référence, a mentionné un nombre de signalements d’effets indésirables systémiques légèrement supérieur pour l’Avastin utilisé off‑label que pour le Lucentis. Seule l’interprétation de ces données fait débat. En particulier, l’AGCM a souligné que cette étude précise que cette différence en termes de nombre de signalements n’est pas statistiquement significative.

( 110 ) Arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission (96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 25, 30 et suiv.), ainsi que du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643, points 21, 33 et 39). Voir, également, à cet égard, arrêt du 6 avril 2006, General Motors/Commission (C‑551/03 P, EU:C:2006:229, point 64).

( 111 ) Arrêt du 7 février 2013 (C‑68/12, EU:C:2013:71, point 21).

( 112 ) Arrêt du 7 février 2013, Slovenská sporiteľňa (C‑68/12, EU:C:2013:71, point 29 à 36). Le Tribunal a adopté une approche analogue dans l’arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission (T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 2558). Le Tribunal y a jugé que, si des entreprises ont le droit non seulement de signaler aux autorités compétentes les éventuelles violations de dispositions de droit national ou de l’Union, mais également de se manifester de manière collective à cette fin, elles ne sont pas fondées à « se faire justice à elles‑mêmes en se substituant aux autorités compétentes pour sanctionner d’éventuelles violations » de ces dispositions.

( 113 ) En l’espèce, Roche a précisé, lors de l’audience, n’avoir jamais exercé de recours juridictionnel visant à contester la légalité de la prescription off‑label de l’Avastin. Par ailleurs, la décision de renvoi ne permet pas de déterminer si les requérantes au principal ont ou non contesté devant les juridictions la légalité de la préparation et de la vente de ce produit en vue d’utilisations off‑label avant le début des comportements collusoires litigieux. La décision de l’AGCM et les observations des intéressés témoignent, cependant, de l’existence d’un contentieux relatif à la légalité de l’inscription de l’Avastin pour des indications ophtalmologiques sur les listes de médicaments remboursables par les systèmes de sécurité national et régionaux.

( 114 ) Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire T‑Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:110, points 46 et 47) ; de l’avocat général Wahl dans les affaires CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, points 44 à 52) et ING Pensii (C‑172/14, EU:C:2015:272, points 40 et suiv.), ainsi que de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2015:427, points 68 et 69).

( 115 ) Arrêt du 11 septembre 2014 (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 81).

( 116 ) Arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343, point 31) ; du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 38), ainsi que du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 122). Voir, également, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2014:2437, point 109), et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2015:427, point 68).

( 117 ) Voir note en bas de page 85 des présentes conclusions.

( 118 ) Arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 496) ; du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, EU:C:1999:358, points 164 et 165), ainsi que du 13 décembre 2012, Expedia (C‑226/11, EU:C:2012:795, points 35 à 37).

( 119 ) Arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343, point 31), ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 38).

( 120 ) Arrêts du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 359 et 360) ; du 28 mai 1998, Deere/Commission (C‑7/95 P, EU:C:1998:256, point 76), et du 6 avril 2006, General Motors/Commission (C‑551/03 P, EU:C:2006:229, point 72 ainsi que jurisprudence citée). Voir, également, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, EU:C:1985:327, point 18), ainsi que du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734, point 55).

( 121 ) Voir points 170 et 171 des présentes conclusions.

( 122 ) À cet égard, le point 127 des lignes directrices énonce que des restrictions qui sont objectivement nécessaires à la protection de la santé publique ne relèvent pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Voir, également, Commission staff working document, « Guidance on restrictions of competition “by object” for the purpose of defining which agreements may benefit from the de minimis notice, accompanying the communication from the Commission, notice on agreements of minor importance which do not appreciably restrict competition under Article 101(1) [TFEU] (de minimis notice) », SWD (2014) 198 final, p. 4 ; communications de la Commission, lignes directrices sur les restrictions verticales (JO 2010, C 130, p. 1, point 60) et lignes directrices concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] (JO 2004, C 101, p. 97).

( 123 ) Voir points 12 à 14 des présentes conclusions. Voir, également, article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, et article 101, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83.