ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

20 novembre 2017 ( *1 )

« Membre du Parlement européen – Refus de mise à disposition de locaux du Parlement – Ressortissants d’un État tiers – Refus d’accès aux bâtiments du Parlement – Article 21 de la charte des droits fondamentaux – Discrimination fondée sur les origines ethniques – Discrimination fondée sur la nationalité – Recevabilité d’un moyen – Discrimination fondée sur les opinions politiques »

Dans l’affaire T‑618/15,

Udo Voigt, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me P. Richter, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Görlitz, Mmes S. Seyr et M. Windisch, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision du Parlement du 9 juin 2015 refusant de mettre à la disposition du requérant une salle afin d’y accueillir une conférence de presse le 16 juin 2015 et, d’autre part, de la décision du Parlement du 16 juin 2015 refusant à des ressortissants russes l’accès à ses locaux,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, L. Calvo‑Sotelo Ibáñez‑Martín (rapporteur) et Mme I. Reine, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 24 janvier 2017,

rend le présent

Arrêt

I. Antécédents du litige

1

Lors des élections du 25 mai 2014, le requérant, M. Udo Voigt, a été élu député au Parlement européen sur la liste d’un parti allemand, le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD). Depuis lors, il siège au Parlement en tant que député non inscrit dans un groupe politique.

2

Le 22 mars 2015, s’est tenu à Saint-Pétersbourg (Russie) un forum politique intitulé « Forum national russe », auquel le requérant a été convié par le parti russe Rodina et auquel ont pris part MM. Andrei Petrov, Fedor Biryukov et Alexander Sotnichenko, requérants dans l’affaire enregistrée au greffe du Tribunal sous le numéro T‑452/15.

3

Dans le prolongement de ce forum, un assistant de M. Voigt a, par un courriel du 3 juin 2015, informé le service de presse du Parlement de l’intention de celui-ci d’organiser, le 16 juin 2015, une conférence de presse intitulée « Nos actions pour éviter une guerre froide et chaude en Europe » (ci-après la « conférence de presse »). Cette conférence de presse devait se dérouler en présence de six participants, à savoir le requérant, un député grec, deux anciens députés italien et britannique ainsi que MM. Petrov et Biryukov, tous deux ressortissants russes et membres du parti russe Rodina. L’assistant du requérant a demandé à cette fin qu’une salle du Parlement et l’infrastructure d’interprétation soient mises à la disposition de celui-ci.

4

Toujours dans le prolongement du forum intitulé « Forum national russe », l’assistant du requérant a, le 9 juin 2015, demandé à la direction générale (DG) « Sécurité » du Parlement, responsable en matière d’accréditation, la délivrance de titres d’accès pour 21 personnes dont cinq ressortissants russes (ci-après les « invités russes »), soit MM. Petrov, Biryukov et Sotnichenko ainsi que Mme E. N. et Mme P. E., en prévision d’une seconde manifestation, à savoir une réunion de travail intitulée « Rencontre sur le thème de la coopération européenne », également planifiée pour le 16 juin suivant (ci-après la « réunion de travail »).

5

Le 9 juin 2015 également, la DG « Sécurité » a, par courriel, accusé réception de la demande d’accréditation. Cet accusé de réception comportait un numéro de référence permettant de retirer les titres d’accès le 16 juin 2015 et était accompagné d’une annexe confirmant que la manifestation était compatible avec les exigences en matière de sécurité, mais spécifiant aussi que l’organisateur n’était pas exempté de la procédure usuelle d’autorisation.

6

Le 9 juin 2015 toujours, le service de presse a informé, par courriel, l’assistant du requérant que ses autorités politiques lui avaient donné instruction de ne pas mettre à la disposition de celui-ci les équipements demandés pour la conférence de presse (ci-après le « courriel du service de presse »). Ce courriel faisait référence aux restrictions d’accès imposées par l’institution aux politiciens et aux diplomates russes ainsi qu’au risque que la présence de MM. Petrov et Biryukov perturbe les activités de l’institution.

7

Le 10 juin 2015, le Parlement a adopté une résolution sur l’état des lieux des relations entre l’Union européenne et la Russie [2015/2001 (INI)] (JO 2016, C 407, p. 35, ci-après la « résolution du 10 juin 2015 »), en discussion depuis le 15 janvier précédent.

8

Le 16 juin 2015, l’assistant du requérant a retiré les titres d’accès destinés aux invités de celui-ci à la réunion de travail. Toutefois, dans le courant de la matinée, l’unité « Accréditation » de la DG « Sécurité » a informé ce dernier, par courriel, que, au vu de la liste des participants à cette réunion et en vertu d’instructions reçues du cabinet du président du Parlement, l’accès aux locaux de l’institution était refusé aux cinq invités russes.

II. Procédure et conclusions des parties

9

Par requête déposée au greffe de la Cour le 31 juillet 2015, le requérant a introduit le présent recours contre le Parlement et son président.

10

Par ordonnance du 29 octobre 2015, Voigt/Président du Parlement et Parlement (C‑425/15, non publiée, EU:C:2015:741), la Cour a jugé qu’elle était manifestement incompétente pour connaître de l’affaire et a renvoyé celle-ci au Tribunal en vertu de l’article 54, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en réservant les dépens.

11

Par ordonnance du 4 février 2016, Voigt/Parlement et président du Parlement (T‑618/15, non publiée, EU:T:2016:72), le Tribunal a rejeté le recours en tant qu’il était dirigé contre le président du Parlement.

12

Le 23 mai 2016, le requérant a déposé une réplique et, le 4 juillet suivant, le Parlement a produit une duplique.

13

Enfin, par courrier du 6 décembre 2016, le Tribunal a signifié au Parlement des mesures d’organisation de la procédure auxquelles celui-ci a répondu le 21 décembre suivant.

14

Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler, d’une part, la décision du Parlement du 9 juin 2015 refusant de mettre à sa disposition une salle afin d’y accueillir une conférence de presse le 16 juin 2015 (voir point 6 ci-dessus) et, d’autre part, la décision du Parlement du 16 juin 2015 refusant à ses invités russes l’accès à ses bâtiments (voir point 8 ci-dessus) (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») ;

condamner le Parlement aux dépens.

15

Dans sa requête, le requérant demande, en outre, au Tribunal de lui indiquer s’il estime nécessaire qu’il présente des arguments ou des preuves supplémentaires à l’appui de son recours.

16

Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;

à titre subsidiaire, le rejeter comme en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé ;

à titre encore plus subsidiaire, le rejeter comme manifestement non fondé ;

condamner le requérant aux dépens.

III. En droit

A. Sur la recevabilité

1. Sur la qualité pour agir du requérant

17

Dans son acte introductif d’instance, le requérant expose que son recours doit être regardé comme ayant été introduit, à titre principal, sur la base de l’article 263, troisième alinéa, TFUE et, à titre subsidiaire, sur la base de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, l’objectif de l’article 263, troisième alinéa, TFUE serait de permettre à la Cour des comptes de l’Union européenne, à la Banque centrale européenne (BCE) et au Comité des régions de faire valoir leurs droits contre les actes d’autres institutions et une telle possibilité devrait a fortiori être reconnue aux parlementaires qui jouiraient d’une légitimité démocratique supérieure.

18

Interrogé à l’audience sur la question de savoir s’il maintenait sa prétention de voir juger le litige sur la base de l’article 263, troisième alinéa, TFUE, le requérant a répondu que la Cour avait tranché la question par son ordonnance du 29 octobre 2015, Voigt/Président du Parlement et Parlement (C‑425/15, non publiée, EU:C:2015:741), et qu’il acceptait cette décision. Il y a donc lieu de considérer que le requérant a renoncé à se prévaloir de ladite disposition.

19

En toute hypothèse, le requérant a qualité pour agir sur la base de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ainsi qu’en convient le Parlement.

2. Sur la recevabilité de la requête

20

Le Parlement estime que la requête n’est pas conforme à l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal. Le requérant donnerait deux objets à son recours, à savoir le refus de mettre une salle à sa disposition en vue d’une conférence de presse et l’interdiction faite à ses invités russes d’accéder aux bâtiments du Parlement. Toutefois, les développements de la requête seraient ambigus en ce que le rattachement des moyens à l’une ou à l’autre de ces deux décisions serait incertain.

21

En l’espèce, il ressort des conclusions de la requête que celle-ci a pour objet l’annulation de deux décisions, à savoir les décisions attaquées.

22

Par ailleurs, sous le titre I « Violation des traités », figurant dans la requête, le requérant a opéré une distinction entre une première partie consacrée au « refus de mise à disposition d’une salle » et une seconde partie consacrée à l’« interdiction d’accès prononcée à l’encontre des [invités] russes ».

23

Comme le fait observer le Parlement, les développements figurant dans la première partie susmentionnée font allusion tant à la conférence de presse qu’à la réunion de travail, alors qu’il ressort des deux décisions attaquées que le refus de mettre une salle du Parlement à la disposition du requérant a uniquement concerné la conférence de presse et que l’utilisation des locaux de l’institution pour la réunion de travail n’a pas été refusée.

24

Toutefois, il importe de rappeler qu’un moyen peut être interprété au regard de sa substance et être recevable s’il se dégage de la requête avec suffisamment de netteté (voir, en ce sens, ordonnance du 20 septembre 2011, Land Wien/Commission, T‑267/10, non publiée, EU:T:2011:499, point 18).

25

Or, le fait que la première partie du titre I relative au « refus de mise à disposition d’une salle » de conférences fasse allusion à la réunion de travail peut se comprendre par la circonstance que, sous la seconde partie, consacrée à l’« interdiction d’accès prononcée à l’encontre des [invités] russes » qui concerne ladite réunion, le requérant renvoie précisément aux « observations présentées sous [la première partie] », de telle sorte que les griefs figurant dans cette première partie sont en fait communs aux deux décisions attaquées.

26

Le Parlement relève par ailleurs que, sous le titre II « Détournement de pouvoir » de la requête, le requérant n’a opéré aucune distinction entre les décisions attaquées. Le Parlement considère que ce titre est ambigu dans la mesure où le requérant y dénonce le caractère chicanier du refus d’accès et se réfère au courriel du service de presse qui ne concerne que le refus de mettre une salle à sa disposition pour y tenir sa conférence de presse.

27

Il ressort toutefois des développements figurant sous le titre II « Détournement de pouvoir » que le requérant entend critiquer les deux décisions attaquées, ce qui justifie qu’il n’y opère aucune distinction.

28

Au vu de ce qui précède, la requête ne saurait être jugée confuse et, partant, irrecevable dans son ensemble.

29

Enfin, le Parlement fait valoir, à titre subsidiaire, que, pour le cas où le Tribunal jugerait le recours recevable comme tel, certains griefs formulés par le requérant dans le cadre de ses moyens sont irrecevables. La recevabilité de ces arguments sera appréciée dans le cadre de l’examen desdits moyens.

3. Sur la recevabilité de la réplique

30

Dans la duplique, le Parlement a émis des doutes quant à la recevabilité de la réplique. Il prétend que celle-ci doit normalement permettre au requérant de préciser sa position ou d’affiner son argumentation sur une question importante et de répondre aux éléments nouveaux apparus dans le mémoire en défense. Or, en l’espèce, dans la réplique, le requérant, d’une part, répéterait les éléments déjà exposés dans sa requête et, d’autre part, présenterait de nouveaux arguments n’ayant aucun lien avec celle-ci ou avec les arguments exposés dans le mémoire en défense.

31

À cet égard, à l’article 83 du règlement de procédure, il est prévu que la requête peut être complétée par une réplique. Il ressort en outre du point 142 des dispositions pratiques d’exécution dudit règlement que, « [l]e cadre et les moyens ou griefs au cœur du litige ayant été exposés [...] de manière approfondie dans la requête [...], la réplique [a] pour finalité de permettre au requérant [...] de préciser [sa] position ou d’affiner [son] argumentation sur une question importante et de répondre aux éléments nouveaux apparus dans le mémoire en défense ».

32

En l’espèce, contrairement à ce que soutient le Parlement, il convient de constater que la réplique précise, au vu de la défense, des arguments présents dans la requête. En outre, la présence éventuelle, dans la réplique, de nouveaux griefs dépourvus de lien avec les actes de procédure antérieurs ne saurait rendre cette réplique irrecevable dans son ensemble, mais pourrait tout au plus conduire à écarter les griefs en question, ce qu’il conviendra de vérifier dans le cadre de l’examen des moyens.

33

Il convient, par conséquent, de considérer la réplique comme étant recevable.

B. Sur la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal l’invite au besoin à présenter des arguments ou des preuves supplémentaires

34

Il importe de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d) et f), du règlement de procédure, il incombe au requérant de fournir un exposé des faits et des moyens et de présenter les preuves et les offres de preuve dès le dépôt de la requête. En outre, selon l’article 85, paragraphes 2 et 3, du même règlement, les parties principales ne peuvent produire des preuves ou faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation après le premier échange de mémoire qu’à la condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

35

Par ailleurs, l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure permet au Tribunal, par le biais de mesures d’organisation de la procédure, d’inviter les parties à se prononcer plus amplement sur certains aspects du litige ou à produire toute pièce relative à l’affaire. Toutefois, la décision d’adopter de telles mesures relève de la libre appréciation du Tribunal (voir, en ce sens, ordonnance du 29 octobre 2004, Ripa di Meana/Parlement, C‑360/02 P, EU:C:2004:690, point 28).

36

Il résulte de ces dispositions qu’il n’appartient pas au requérant de demander, de manière générale, au Tribunal qu’il l’invite à produire des arguments ou des preuves à l’appui de son recours.

37

En tout état de cause, il convient de relever que, à titre de mesure d’organisation de la procédure, le requérant a été informé, par courrier du 6 décembre 2016, qu’il serait invité à réagir lors de l’audience aux arguments que le Parlement y développerait en réponse aux griefs tirés de la violation du principe de proportionnalité, de la violation du principe de non-discrimination en raison des opinions politiques et de la violation du principe général d’égalité.

C. Sur le fond

1. Remarques liminaires

a) Sur le grief tiré de la violation des droits du requérant

38

Le requérant fait valoir, en introduction à la partie de la requête consacrée au « bien-fondé du recours », que les décisions attaquées « violent les droits » dont il est titulaire en tant que député.

39

À supposer que cette assertion constitue un moyen autonome, celui-ci doit être déclaré irrecevable, comme le soutient le Parlement. En effet, le requérant n’a pas étayé un tel moyen dans la requête, alors que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués et doit donc mentionner au moins sommairement, mais avec une clarté suffisante, les principes de droit qui, selon le requérant, ont été enfreints ainsi que les principaux éléments de fait sur lesquels ses griefs sont fondés (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T‑300/97, EU:T:1999:328, point 35). Ainsi, la seule énonciation abstraite d’un grief ne répond pas aux exigences du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et du règlement de procédure (voir, par analogie, arrêts du 11 mars 1999, Herold/Commission, T‑257/97, EU:T:1999:55, point 68, et du 11 septembre 2014, Gold East Paper et Gold Huasheng Paper/Conseil, T‑443/11, EU:T:2014:774, point 66).

40

En toute hypothèse, dans la mesure où l’assertion en question ne constituerait pas un moyen autonome, mais une observation liminaire annonçant le moyen tiré de la « violation des traités », elle doit être considérée comme se confondant avec celui-ci et il est renvoyé à son examen.

b) Sur les moyens tirés de la « violation des traités » et du détournement de pouvoir

41

Dans la requête, le requérant soulève deux moyens, tirés, le premier, de la « violation des traités » et, le second, d’un détournement de pouvoir.

42

En vertu de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, lu à la lumière de l’article 256, paragraphe 1, premier alinéa, du même traité, le Tribunal est effectivement compétent pour se prononcer sur les recours pour violation des traités.

43

L’article 76, sous d), du règlement de procédure dispose néanmoins que la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Selon une jurisprudence constante, aux fins de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut notamment que les éléments essentiels de droit ressortent à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même [arrêt du 29 septembre 2016, Bach Flower Remedies/EUIPO – Durapharma (RESCUE), T‑337/15, non publié, EU:T:2016:578, points 50 et 51]. Aussi, si la partie requérante n’est pas tenue d’indiquer explicitement la règle de droit spécifique sur laquelle elle fonde son grief, c’est à la condition que son argumentation soit suffisamment claire pour que la partie adverse et le juge de l’Union européenne puissent identifier sans difficulté cette règle (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, EU:T:2006:121, point 47, et du 13 novembre 2008, SPM/Conseil et Commission, T‑128/05, non publié, EU:T:2008:494, point 65).

44

Il découle des dispositions susmentionnées que la « violation des traités » ne constitue qu’un cas générique d’ouverture du recours en annulation dont le Tribunal peut connaître, mais qu’elle ne saurait constituer l’identification du fondement juridique d’un moyen (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 1997, Tremblay e.a./Commission, T‑224/95, EU:T:1997:187, points 80 et 81).

45

Il convient donc d’examiner si le premier moyen repose sur un fondement juridique plus précis que la seule invocation de la « violation des traités ».

46

En l’espèce, il ressort du contenu de la requête et du résumé qui y est joint, et qui peut être pris en compte pour l’interprétation de celle-ci (arrêts du 25 octobre 2007, Komninou e.a./Commission, C‑167/06 P, non publié, EU:C:2007:633, points 25 et 26, et du 12 avril 2016, CP/Parlement, F‑98/15, EU:F:2016:76, point 16), que le requérant fonde en réalité son premier moyen sur l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques, adoptée par le bureau du Parlement le 4 juillet 2005 (ci-après la « réglementation relative aux réunions des groupes politiques »), ainsi que sur la violation de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). S’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte, il invoque plus précisément une discrimination fondée sur l’origine ethnique de ses invités russes ainsi qu’une méconnaissance de l’interdiction de discrimination fondée sur leur nationalité.

47

Dans la réplique, le requérant prétend en outre que le refus de laisser ses invités russes accéder au Parlement a été constitutif d’une discrimination en raison de leurs opinions politiques. Il y fait également valoir que ce même refus est entaché d’une violation du principe général d’égalité dans la mesure où les intéressés auraient été traités différemment des autres visiteurs et hôtes du Parlement.

48

Enfin, tant la requête que la réplique comportent des allusions au caractère disproportionné des décisions attaquées dont il convient de déterminer d’emblée s’il s’agit d’un moyen autonome ou non.

49

À cet égard, et contrairement à ce que le Parlement suggère, si le principe de proportionnalité a une existence autonome, il peut également faire partie intégrante des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination. Ainsi a-t-il été jugé que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination requéraient qu’une différence de traitement soit justifiée sur la base d’un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle soit en rapport avec un but légalement admissible et que cette différence soit proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêts du 17 octobre 2013, Schaible, C‑101/12, EU:C:2013:661, point 77 ; du 23 mars 1994, Huet/Cour des comptes, T‑8/93, EU:T:1994:35, point 45, et du 30 janvier 2003, C/Commission, T‑307/00, EU:T:2003:21, point 49).

50

En l’espèce, dans la requête, le requérant a formulé son allégation du caractère disproportionné de la décision refusant de mettre une salle à sa disposition en vue de sa conférence de presse comme étant la conséquence du grief tiré de la violation de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques. Lors de l’audience, le requérant a confirmé que les deux griefs étaient liés. Dans la requête également, le requérant a évoqué le caractère disproportionné de la décision refusant de laisser ses invités russes accéder au Parlement dans le prolongement de son grief tiré de la violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur leur origine ethnique ou sur leur nationalité. Enfin, dans la réplique, le requérant a fait référence au principe de proportionnalité dans le cadre de son argumentation relative à la violation de l’interdiction de discrimination en raison d’opinions politiques et à la violation du principe général d’égalité. Il convient donc de considérer que l’allégation du caractère disproportionné des décisions attaquées ne constitue pas un moyen distinct.

51

Au vu de tout ce qui précède, il y a donc lieu d’examiner :

en premier lieu, s’agissant du refus de mettre une salle à la disposition du requérant en vue de l’organisation d’une conférence de presse, le moyen tiré de la violation de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques ;

en deuxième lieu, s’agissant du refus de laisser les invités russes accéder au Parlement :

le renvoi au moyen tiré de la violation de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques ;

le moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte, en ce que ce refus serait entaché d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique des intéressés ou sur leur nationalité ;

le moyen tiré, d’une part, de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en ce que ce refus serait entaché d’une discrimination en raison des opinions politiques des invités russes et, d’autre part, de la violation du principe général d’égalité ;

en troisième lieu, et s’agissant des deux décisions attaquées, le moyen tiré d’un détournement de pouvoir.

2. Sur le moyen dirigé uniquement contre le refus de mettre une salle à la disposition du requérant en vue de l’organisation d’une conférence de presse

52

Le requérant prétend que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques, les députés non inscrits ont le droit d’utiliser les locaux de l’institution pour organiser des conférences de presse dans la limite des capacités disponibles et pour autant que la mise à disposition de ces locaux ne présente pas un risque pour le déroulement normal des travaux de l’assemblée. Par ailleurs, l’article 8 de la même réglementation permettrait expressément aux députés d’inviter des tiers, tels des journalistes, à leurs réunions. Or, le Parlement ne soutiendrait pas que les capacités d’accueil auraient été épuisées le 16 juin 2015. En outre, il serait exclu qu’une conférence de presse soit de nature à perturber le travail parlementaire, cela d’autant plus que le requérant avait déjà organisé des événements similaires sans que ceux-ci posent des problèmes. Enfin, il n’apparaîtrait pas que la présence de MM. Petrov et Biryukov ait pu affecter le fonctionnement du Parlement comme celui-ci l’a soutenu dans le courriel du service de presse.

53

Le requérant fait valoir, par conséquent, que, en l’absence de motif objectif susceptible de justifier le refus de mettre une salle à sa disposition, ce refus serait disproportionné et violerait les droits qu’il détient en tant que député, puisqu’il n’a pu communiquer au sujet de son travail parlementaire et, en particulier, expliquer aux citoyens européens en quoi la résolution du 10 juin 2015 aurait présenté erronément le forum intitulé « Forum national russe », organisé à Saint-Pétersbourg le 22 mars précédent.

54

Le Parlement conteste ces arguments et soutient que le moyen n’est pas fondé.

55

Il ressort de l’économie de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques, telle qu’elle résulte de son intitulé et de son article 1er, paragraphe 1, que cette réglementation régit la manière dont « le [s]ecrétariat général [du Parlement] apporte son concours à l’organisation des réunions des groupes politiques et contribue au bon déroulement de celles-ci ». Ainsi, ladite réglementation fixe notamment les modalités d’utilisation des salles du Parlement par les groupes politiques et leurs organes.

56

L’article 8 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques dispose en substance que les groupes politiques ont la faculté d’inviter des tiers à leurs réunions.

57

En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques , « [d]ans le cadre de leur activité parlementaire, les députés non-inscrits peuvent bénéficier » également des salles du Parlement. Au vu de cette disposition et de la possibilité pour les députés non-inscrits de s’assembler bien qu’ils ne constituent pas un groupe parlementaire, cette réglementation régit aussi la façon dont le secrétariat général du Parlement concourt à l’organisation des réunions rassemblant ceux-ci. Selon l’article 4, paragraphe 2, de ladite réglementation, les demandes des députés non-inscrits tendant à disposer d’une salle de réunion « doivent être introduites par la coordination des députés non-inscrits », qui est un dispositif administratif par le truchement duquel ces députés peuvent accéder à certaines facilités qui sont en principe réservées aux groupes.

58

Par ailleurs, il ressort des réponses du Parlement aux mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal lui a adressées que les conférences de presse organisées par des députés font l’objet d’une réglementation distincte, à savoir la « réglementation régissant le bon usage de la salle de conférence de presse du Parlement européen », adoptée par le bureau du Parlement le 22 octobre 2007.

59

Il découle de ce qui précède que, même si la réglementation relative aux réunions des groupes politiques permet à ces groupes d’inviter des tiers à leurs réunions, elle n’a pas pour objet de régler la mise à disposition de salles pour y tenir des conférences de presse, a fortiori à l’initiative individuelle d’un député.

60

Cette interprétation est confirmée par le fait que le requérant lui-même n’a pas introduit sa demande de mise à disposition d’une salle pour tenir sa conférence de presse en application de l’article 4, paragraphe 2, de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques, puisqu’il a adressé directement cette demande à l’unité « Presse » du Parlement sans passer par l’intermédiaire de la coordination des députés non-inscrits.

61

Partant, le grief tiré de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques doit être rejeté sans qu’il soit besoin de s’interroger, dans le cadre de l’application de cette disposition, sur la question de savoir si le refus du Parlement pouvait se justifier par l’absence de disponibilités ou par un risque de perturbation des travaux de l’institution ou encore si ce refus était disproportionné.

62

En tout état de cause, même si, contrairement à ce qui a été constaté au point 50 ci-dessus, le grief tiré du caractère disproportionné du refus de mettre une salle à la disposition du requérant en vue de l’organisation d’une conférence de presse devait être lu comme étant distinct du moyen tiré de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques, ce grief serait néanmoins voué au rejet.

63

En effet, dans le courriel du service de presse, le Parlement a justifié le refus de mettre une salle à la disposition du requérant pour y tenir sa conférence de presse au vu notamment du risque que la présence de MM. Petrov et Biryukov perturbe les activités de l’institution. Or, le requérant se borne à contester l’existence d’un tel risque sans fournir d’argument convaincant. À cet égard, la circonstance qu’il aurait déjà, par le passé, organisé des conférences de presse et des réunions de travail est dépourvue de pertinence, dès lors qu’il ne prétend pas que ces manifestations se sont déroulées, avec l’autorisation du Parlement, en présence des invités russes et dans des circonstances comparables à celles de l’espèce. De surcroît, il ressort des points 119 à 122 ci-après que le Parlement n’a pas méconnu le principe de proportionnalité en l’espèce.

3. Sur les moyens dirigés uniquement contre le refus de laisser les invités russes accéder au Parlement

a) Quant au moyen fondé sur le renvoi au moyen tiré de la violation de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques

64

Le requérant expose que le refus de laisser les invités russes accéder au Parlement « s’avère incompatible avec le droit primaire » pour les motifs déjà énoncés à l’encontre du refus de mettre à sa disposition une salle de conférences.

65

Le Parlement conteste la recevabilité de ce grief au motif que le requérant ne précise pas en quoi consisterait cette violation.

66

À la lecture de la requête, il y a lieu de comprendre l’allégation du requérant en ce sens que les arguments tirés, à l’encontre du refus de mettre à sa disposition une salle de conférences de presse, de la violation de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques et, le cas échéant, du caractère disproportionné de cette mesure seraient également pertinents à l’encontre du refus de laisser les invités russes accéder au Parlement.

67

Ce grief, à le supposer même recevable, doit néanmoins être rejeté pour les motifs exposés aux points 55 à 63 ci-dessus.

68

Le rejet du grief tiré de l’article 4 de la réglementation relative aux réunions des groupes politiques s’impose d’autant plus en l’espèce que, à supposer même que cette disposition soit applicable, l’utilisation des salles du Parlement pour y tenir la réunion de travail n’a pas été refusée comme telle au requérant, seul l’accès des invités russes aux bâtiments de l’institution étant ici en cause.

b) Quant au moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte, en ce que le refus de laisser les invités russes accéder au Parlement serait entaché d’une discrimination fondée sur leur origine ethnique ou sur leur nationalité

69

Le requérant prétend que ses invités russes ne présentaient aucun risque pour le déroulement normal du travail du Parlement ou pour sa sécurité. En l’absence de motif objectif, le refus de les laisser accéder aux bâtiments de l’institution serait entaché d’une discrimination fondée sur leur nationalité ou leur origine ethnique et celle-ci violerait, par conséquent, l’article 21 de la Charte. De plus, à supposer même que certains ressortissants russes aient effectivement présenté un risque pour le bon fonctionnement du Parlement, il aurait été suffisant de limiter l’interdiction d’accès à ceux-ci.

70

Le Parlement conteste que le requérant puisse invoquer une violation de l’interdiction de discrimination fondée sur l’origine ethnique ou sur la nationalité dont des tiers, ses invités russes, auraient été victimes et considère en tout état de cause que le moyen est dépourvu de fondement.

1) Sur la recevabilité du moyen

71

Il résulte de la jurisprudence qu’un requérant n’est pas habilité à agir dans l’intérêt de la loi ou des institutions et qu’il ne peut faire valoir, à l’appui d’un recours en annulation, que des griefs qui lui sont propres (arrêt du 30 juin 1983, Schloh/Conseil, 85/82, EU:C:1983:179, point 14). Néanmoins, cette exigence ne saurait être comprise comme signifiant que le juge de l’Union n’admet la recevabilité d’un grief qu’à la condition qu’il se rattache à la situation personnelle du seul requérant. En réalité, les griefs du requérant sont recevables s’ils sont susceptibles de fonder une annulation dont il puisse tirer profit (voir arrêt du 11 juillet 2007, Wils/Parlement, F‑105/05, EU:F:2007:128, point 38 et jurisprudence citée).

72

Or, en l’espèce, la prétendue discrimination des invités russes en raison de leur nationalité ou de leur origine ethnique a pu, par hypothèse, nuire également au requérant dans la mesure où il avait été à l’origine de leur invitation et où il a été empêché de tenir avec ceux-ci, au Parlement, la réunion de travail qu’il avait organisée.

73

Aussi, dans les circonstances de l’espèce, le requérant, en sa qualité d’organisateur d’une réunion dans les locaux du Parlement auxquels les invités russes n’ont pu accéder, a un intérêt à soulever le grief tiré de ce que ceux-ci ont fait l’objet d’une discrimination pour des raisons de nationalité ou d’origine ethnique.

2) Sur le bien-fondé du moyen

74

En vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, est interdite toute discrimination fondée notamment sur les origines ethniques. Selon le paragraphe 2 du même article, dans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination fondée sur la nationalité est également interdite.

75

Le requérant ne distinguant pas clairement les deux types de discrimination qu’il invoque, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’un texte de portée générale emploie deux termes distincts, des raisons de cohérence et de sécurité juridique s’opposent à ce que ceux-ci se voient attribuer la même portée. Il en va a fortiori ainsi lorsque, comme en l’espèce, ces termes recouvrent des sens différents dans le langage courant (arrêts du 25 septembre 2013, Marques/Commission, F‑158/12, EU:F:2013:135, point 28, et du 14 mai 2014, Cocco/Commission, F‑17/13, EU:F:2014:92, point 33).

76

Ainsi, si la nationalité est un lien juridique et politique qui existe entre un individu et un État souverain, la notion d’origine ethnique procède de l’idée que des groupes sociétaux partagent le sentiment d’appartenir à une même nation ou partagent une communauté de foi religieuse, de langue, d’origine culturelle et traditionnelle et de milieu de vie (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 46).

77

S’agissant de l’interdiction de discrimination fondée sur l’origine ethnique, le requérant se borne à mettre en exergue la nationalité russe de ses invités et n’indique pas qu’ils feraient partie d’un groupe ethnique particulier. A fortiori n’a-t-il nullement établi que la décision de refuser l’accès au Parlement à ses invités russes aurait été adoptée en raison d’une appartenance ethnique précise.

78

Il s’ensuit que le requérant ne démontre pas que les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte seraient réunies et qu’il ne peut ainsi prétendre que ses invités russes auraient été discriminés en raison d’une origine ethnique particulière.

79

S’agissant de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, les explications relatives à celle-ci (JO 2007, C 303, p. 17) doivent être prises en considération en vue de son interprétation.

80

Selon les explications relatives à la Charte, l’article 21, paragraphe 2, de la Charte « correspond à l’article 18, premier alinéa, [TFUE] et doit s’appliquer conformément à celui-ci ». De plus, en vertu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, les droits que celle-ci reconnaît et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ces derniers. Il s’ensuit que l’article 21, paragraphe 2, de la Charte doit être lu comme ayant la même portée que l’article 18, premier alinéa, TFUE.

81

L’article 18, premier alinéa, TFUE dispose que, « [d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». Cette disposition figure dans la deuxième partie de ce traité intitulée « Non-discrimination et citoyenneté de l’Union ». Il concerne les situations relevant du champ d’application du droit de l’Union dans lesquelles un ressortissant d’un État membre subit un traitement discriminatoire par rapport aux ressortissants d’un autre État membre sur le seul fondement de sa nationalité. Cet article n’a, dès lors, pas vocation à s’appliquer dans le cas d’une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des États membres et ceux des États tiers (voir, en ce sens, arrêts du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344, points 51 et 52, et du 7 avril 2011, Francesco Guarnieri & Cie, C‑291/09, EU:C:2011:217, point 20).

82

Partant, le requérant ne peut se prévaloir de la violation, à l’égard de ses invités russes, de l’article 21, paragraphe 2, de la Charte.

83

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte en ce que le refus de laisser les invités russes accéder au Parlement serait entaché d’une discrimination fondée sur leur origine ethnique ou sur leur nationalité. En toute hypothèse, s’agissant du caractère prétendument disproportionné de ce refus qui n’aurait pas distingué les invités russes selon les risques qu’ils présentaient, il est renvoyé aux points 119 à 122 ci-après.

c) Quant au moyen tiré, d’une part, de la violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en ce que le refus de laisser les invités russes accéder au Parlement serait entaché d’une discrimination en raison de leurs opinions politiques et tiré, d’autre part, de la violation du principe général d’égalité

84

Dans la réplique, le requérant affirme que le refus de laisser ses invités russes accéder au Parlement aurait constitué un traitement discriminatoire en raison de leurs opinions politiques. Il expose également que, « finalement […] l’interdiction d’accès doit de toute façon être appréciée à l’aune du principe général d’égalité ». En effet, en raison de ce refus, les invités russes auraient été traités différemment d’autres visiteurs et hôtes du Parlement.

85

Le Parlement conteste la recevabilité de ces griefs au motif qu’il s’agirait de moyens invoqués pour la première fois, et tardivement, dans la réplique. En outre, le grief tiré de la violation du principe général d’égalité serait ambigu et difficilement compréhensible.

86

Le requérant soutient cependant que c’est seulement à la lecture du mémoire en défense déposé dans l’affaire Petrov e.a./Parlement (T‑452/15) qu’il a pris conscience du fondement politique de la discrimination dont ses invités russes ont été l’objet.

87

En vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Groupe Gascogne/Commission, T-72/06, non publié, EU:T:2011:671, points 23 et 27).

88

Premièrement, en ce qui concerne l’interdiction de toute discrimination fondée sur les opinions politiques, cette interdiction figure à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, que le requérant a invoqué dans le cadre de son moyen tiré, dans la requête, de la « violation des traités ». Toutefois, dans cette requête, le requérant a limité son argumentation basée sur cette disposition à une prétendue violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’origine ethnique. En outre, il a invoqué une discrimination fondée sur la nationalité en s’appuyant sur l’article 21, paragraphe 2, de la Charte. À aucun moment, il n’a évoqué, dans son acte introductif d’instance, une violation de l’interdiction de discrimination fondée sur les opinions politiques de ses invités russes.

89

Le fait que le requérant n’a pas invoqué, dans la requête, une telle discrimination revêt en l’espèce une signification particulière. En effet, le refus de laisser les invités russes accéder au Parlement ne peut être isolé de son contexte. En particulier, il ressort du dossier que, lors de l’introduction du recours, le requérant était en possession du courriel du service de presse par lequel le Parlement a refusé de mettre à sa disposition les équipements nécessaires à sa conférence de presse également prévue le 16 juin 2015. Or, ce refus repose sur deux motifs. Premièrement, le courriel du service de presse rappelle les restrictions d’accès imposées par l’institution, d’une part, aux diplomates russes et, d’autre part, aux politiciens russes, à savoir, plus précisément, aux membres de la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) et du Soviet Federatsii Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie), ainsi que cela ressort des réponses du Parlement aux mesures d’organisation de la procédure visées au point 13 ci-dessus. Deuxièmement, ce même courriel mentionne le risque que la présence de MM. Petrov et Biryukov perturbe les activités de l’institution. De plus, le refus litigieux avait pour objet d’interdire aux invités russes d’accéder aux bâtiments du Parlement, instance politique, pour participer, sur l’invitation du requérant, agissant en sa qualité de député, à une réunion sur un thème politique, à savoir la « coopération européenne ». En outre, MM. Petrov et Biryukov sont investis de responsabilités importantes au sein du parti politique russe Rodina et M. Sotnichenko est présenté comme un professeur d’université en relations internationales. De surcroît, la réunion en question se voulait le prolongement d’un forum politique, à savoir le « Forum national russe », auquel les trois personnes susmentionnées avaient participé et que le Parlement venait de critiquer dans la résolution du 10 juin 2015. Enfin, lors de l’audience, le requérant a confirmé que les manifestations du 16 juin 2015 auxquelles il avait convié les intéressés avaient pour objet de leur permettre d’exposer leur opinion politique sur la « coopération européenne » afin, d’une part, d’apporter sur le forum intitulé « Forum national russe » un éclairage opposé à celui de la résolution du 10 juin 2015 et, d’autre part, de poursuivre les travaux qui y avaient été entamés. Dans ces conditions, un requérant familiarisé à la chose politique et normalement diligent se devait d’être attentif au contexte politique entourant le refus d’accès litigieux.

90

De surcroît, d’un point de vue procédural, le requérant ne peut faire valoir le fait qu’il aurait découvert le fondement politique de la discrimination dont ses invités russes auraient été l’objet à la lecture du mémoire en défense déposé dans l’affaire Petrov e.a./Parlement (T‑452/15).

91

À cet égard, il y a lieu de rappeler que chaque affaire introduite devant le Tribunal dispose de son propre dossier, contenant notamment les pièces et actes de procédure produits par les parties dans l’affaire concernée, et que chacun de ces dossiers est entièrement autonome. Cela est illustré par le point 25 des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure selon lequel « [u]n acte de procédure et ses annexes produits dans une affaire, versés au dossier de cette dernière, ne peuvent pas être pris en compte pour les besoins de la mise en état d’une autre affaire » (voir, par analogie, ordonnance du 15 octobre 2009, Hangzhou Duralamp Electronics/Conseil, T‑459/07, EU:T:2009:403, point 12, et arrêt du 18 novembre 2015, Einhell Germany e.a./Commission, T‑73/12, EU:T:2015:865, point 36).

92

Il est vrai que, selon une jurisprudence constante, sauf dans des cas exceptionnels où la divulgation d’un document pourrait porter atteinte à la bonne administration de la justice, les parties à une procédure sont libres de divulguer leurs propres mémoires à un tiers à cette procédure. Dans le même sens, une partie à une procédure pourrait, sous la même réserve, consentir à ce qu’un mémoire qu’elle a présenté dans le cadre de cette procédure soit utilisé par une autre partie à celle-ci dans le cadre d’une autre procédure (ordonnance du 15 octobre 2009, Hangzhou Duralamp Electronics/Conseil, T‑459/07, EU:T:2009:403, point 14, et arrêt du 18 novembre 2015, Einhell Germany e.a./Commission, T‑73/12, EU:T:2015:865, point 38).

93

Toutefois, en l’espèce, il n’est pas établi que le requérant a demandé au Parlement l’autorisation d’utiliser dans le cadre de la présente affaire le mémoire en défense que ce dernier a déposé dans l’affaire T‑452/15.

94

Aussi, il y a lieu de constater que l’invocation, dans la réplique, d’une violation de l’interdiction de discrimination fondée sur les opinions politiques des invités russes n’est pas l’ampliation d’un moyen figurant dans la requête résultant de l’évolution normale du débat au cours de la présente procédure contentieuse, mais un moyen nouveau. Par conséquent, ce moyen doit être considéré comme irrecevable dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

95

Deuxièmement, s’agissant de l’argument tiré, dans la réplique également, d’une violation du principe général d’égalité, le Parlement considère que celui-ci est difficilement compréhensible dans la mesure où il met en cause le traitement fait « aux requérants » par rapport à celui réservé aux autres visiteurs et invités du Parlement, alors que, en sa qualité de député, le requérant ne se trouve pas dans une situation comparable à ceux-ci. Toutefois, cette référence « aux requérants » est manifestement une erreur de plume. Le Parlement ne se trompe d’ailleurs plus dans la suite de ses écritures.

96

En ce qui concerne par ailleurs le caractère prétendument tardif de l’argument tiré d’une violation du principe général d’égalité, il importe d’observer que, dans le cadre du moyen consacré à un détournement de pouvoir, le requérant a notamment fait valoir, dans la requête, que les décisions attaquées étaient « totalement arbitraires et diamétralement oppos[é]es à l’interdiction de discrimination du droit primaire ». Toutefois, cette allégation renvoyait aux « raisons exposées ci-avant », c’est-à-dire aux développements consacrés aux prétendues discriminations fondées sur la nationalité ou sur l’origine ethnique des invités russes. À aucun moment, le requérant n’a, lors de l’introduction de son recours, invoqué, comme telle, la violation du principe général d’égalité au vu du traitement accordé à tous les autres visiteurs et hôtes du Parlement.

97

Partant, si le requérant a cherché à étendre, dans la réplique, la portée du moyen tiré de la violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité ou sur l’origine ethnique de ses invités russes en invoquant de manière générique le principe général d’égalité au vu du traitement accordé aux autres visiteurs et hôtes du Parlement, le moyen pris de la violation dudit principe doit être regardé comme étant un moyen nouveau ne résultant pas de l’évolution normale du débat contentieux. Dans cette mesure et dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, ce moyen doit être considéré également comme irrecevable.

98

Il importe d’ajouter que l’article 21 de la Charte, servant de fondement au moyen tiré de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité ou sur l’origine ethnique, est une expression particulière du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Léger, C‑528/13, EU:C:2015:288, point 48) et que tant ce principe que l’interdiction de toute discrimination sont deux désignations d’un même principe général du droit, interdisant, d’une part, de traiter différemment des situations similaires et, d’autre part, de traiter de la même manière des situations différentes, sauf si des raisons objectives justifient un tel traitement [arrêt du 27 janvier 2005, Europe Chemi-Con (Deutschland)/Conseil, C‑422/02 P, EU:C:2005:56, point 33].

99

Aussi, dans la mesure où, au vu de cette jurisprudence, l’invocation, dans la réplique, du principe général d’égalité devrait être regardée comme étant l’expression, sous une autre terminologie, du moyen de la requête tiré de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité ou sur l’origine ethnique, le grief en question devrait être rejeté comme étant non fondé, pour les raisons déjà exposées aux points 74 et suivants ci-dessus.

100

En tout état de cause, le moyen tiré, d’une part, de la violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en ce que le refus de laisser les invités russes du requérant accéder aux locaux du Parlement serait entaché d’une discrimination en raison de leurs opinions politiques et, d’autre part, de la violation du principe général d’égalité est dépourvu de fondement dès lors qu’il ressort des points 108 à 122 ci-après que les deux décisions attaquées reposent sur un motif objectif et raisonnable, en rapport avec un but légalement admissible et sont proportionnées au but poursuivi.

4. Sur le moyen dirigé contre les deux décisions attaquées et tiré d’un détournement de pouvoir

101

Le requérant soutient que les décisions attaquées sont entachées de détournement de pouvoir, ce que le Parlement conteste.

102

Selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir a une portée bien précise qui se réfère à l’usage par une autorité administrative de ses pouvoirs dans un but autre que celui dans lequel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées. À cet égard, il ne suffit pas d’invoquer certains faits à l’appui de ses prétentions, il faut encore fournir des indices suffisamment précis, objectifs et concordants de nature à soutenir leur véracité ou, à tout le moins, leur vraisemblance. À défaut, l’exactitude matérielle des affirmations de l’institution concernée ne saurait être remise en cause. Ainsi, l’appréciation globale des indices de détournement de pouvoir ne saurait reposer sur de simples allégations ou sur des indices insuffisamment précis ou qui ne sont ni objectifs ni pertinents (voir ordonnance du 19 décembre 2013, da Silva Tenreiro/Commission, T‑32/13 P, EU:T:2013:721, points 31 à 33 et jurisprudence citée).

103

En premier lieu, le requérant fait valoir que, « pour les raisons exposées ci-avant », les décisions attaquées sont entachées de détournement de pouvoir en ce qu’elles sont « totalement arbitraires et diamétralement opposé[e]s à l’interdiction de discrimination ».

104

Toutefois, dans la mesure où le requérant se base sur les prétendues irrégularités dénoncées dans les moyens tirés de la « violation des traités », il y a lieu de rappeler que, ceux-ci ayant été rejetés ci-dessus, ce renvoi ne saurait prospérer.

105

En second lieu, le requérant admet que la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement constituent des buts légalement admissibles, susceptibles de justifier les décisions attaquées. Néanmoins, il conteste que tels aient été les objectifs réellement poursuivis par celles-ci.

106

Le requérant prétend, en effet, que ses invités russes ne constituaient pas un danger pour la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement. Bien que celui-ci soit un lieu d’échange politique, le but du refus de les laisser accéder au Parlement aurait en réalité été de les tenir à l’écart en raison de leurs convictions politiques et de leur appartenance partisane qui déplaisaient à la majorité de l’assemblée.

107

Il importe d’observer que, par cet argument, le requérant entend déduire la preuve d’un détournement de pouvoir de l’inexactitude des motifs justifiant les décisions attaquées.

108

À cet égard, il convient de relever qu’il ressort du point 89 ci-dessus que, bien que les invités russes du requérant n’aient pas été membres de la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie ou du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, les décisions attaquées étaient motivées par le fait que la présence de ceux-ci au sein du Parlement pouvait nuire à l’ordre et à la sécurité de l’institution ainsi qu’à son bon fonctionnement dans le contexte général des événements à l’origine desdites restrictions d’accès.

109

Plus précisément, le Parlement a fait valoir, à la lumière de la résolution du 10 juin 2015, le contexte particulier des relations politiques entre la Fédération de Russie et l’Union au moment des faits. Il a ainsi fait référence à la situation en Ukraine et à la publication, par la Fédération de Russie, d’une liste noire comprenant les noms d’actuels et d’anciens députés au Parlement et de fonctionnaires de l’Union qui l’a conduit à restreindre l’accès de politiciens et de diplomates russesà ses infrastructures.

110

À la lumière du contexte particulier caractérisant à l’époque les relations politiques entre la Fédération de Russie et l’Union, d’une part, et au vu de l’intensification, selon le Parlement, des relations entre des partis européens qualifiés de populistes et des forces russes décrites comme nationalistes, d’autre part, le Parlement a souligné que MM. Petrov, Biruykov et Sotnichenko avaient participé au forum intitulé « Forum national russe » qui venait d’être très sévèrement condamné par l’assemblée. Le Parlement a également souligné que MM. Petrov et Biruykov étaient des membres actifs d’un parti russe considéré comme étant nationaliste. Il ajoute que MM. Petrov, Biruykov et Sotnichenko étaient en définitive des protagonistes invités, d’une part, à manifester, dans l’enceinte de l’institution, un point de vue différent de celui de la résolution du 10 juin 2015 sur le forum intitulé « Forum national russe » et, d’autre part, à y poursuivre les travaux qui avaient été entamés lors de ce forum, ce que le requérant a confirmé durant l’audience (voir point 89 ci-dessus).

111

Le requérant fait néanmoins observer que le « droit de maître de maison » du président du Parlement, invoqué par le Parlement, ne saurait être utilisé pour empêcher des réunions dont le sujet contrarie la majorité, car les parlements sont précisément des lieux d’échanges politiques.

112

Toutefois, l’article 22 du règlement intérieur du Parlement confère au président de l’institution la compétence nécessaire pour assurer la sécurité générale dans les locaux du Parlement, pour prévenir et faire cesser toute perturbation du bon déroulement des activités parlementaires ainsi que pour protéger la dignité de l’institution. De plus, le Parlement allègue avec raison qu’il n’est pas tenu de favoriser dans ses infrastructures les activités politiques d’un parti d’un pays tiers. Partant, le Parlement n’est pas obligé de recevoir des membres ou sympathisants d’un tel parti afin qu’ils puissent s’exprimer dans ses locaux. Plus généralement, il ressort de l’article 14 TUE que le droit de prendre part aux fonctions législative, budgétaire, de contrôle politique et consultative dans l’enceinte du Parlement est réservé aux représentants des citoyens de l’Union élus au suffrage universel, direct, libre et secret, tandis que des dispositions particulières, telles que l’article 15, paragraphe 6, sous d), TUE et l’article 230, premier alinéa, TFUE, ont, de manière spécifique, garanti un droit d’y être entendus au président du Conseil européen et à la Commission européenne. De plus, si l’article 115 du règlement intérieur du Parlement dispose que les débats sont publics et que les réunions des commissions sont elles aussi normalement publiques, l’article 157 dudit règlement précise que le public admis dans les tribunes se tient assis et observe le silence. Aussi, l’économie des traités et des textes pris pour leur exécution ainsi que la nécessité de garantir le libre exercice des pouvoirs conférés au Parlement ont pour conséquence que celui-ci n’est pas le lieu où tout public aurait de plein droit la faculté de s’exprimer.

113

Le requérant fait encore valoir que des titres d’accès avaient été délivrés à l’attention de ses invités russes, lui laissant ainsi croire que, à défaut de la conférence de presse, la réunion de travail pourrait avoir lieu dans les locaux de l’institution avec leur participation. La délivrance de ces titres démontrerait qu’ils ne présentaient pas de risque particulier, tandis que le revirement d’attitude du Parlement révélerait le caractère chicanier des décisions attaquées et la complication inutile de son travail de député qui en a découlé.

114

Toutefois, s’il est exact que le Parlement a accusé réception de la demande d’accréditation pour la réunion de travail par le courriel de la DG « Sécurité » du 9 juin 2015 et que ce courriel comportait un numéro de référence permettant de retirer les titres d’accès destinés aux invités russes du requérant, il convient de rappeler que ce courriel émanait de la DG « Sécurité », alors que la décision refusant aux invités russes du requérant l’accès aux bâtiments reposait sur une appréciation du contexte politique qui excédait les compétences des services administratifs du Parlement et appartenait aux seules instances politiques de l’institution. De surcroît, le courriel de la DG « Sécurité » du 9 juin 2015 comportait une annexe précisant que l’organisateur de l’événement n’était pas exempté d’une procédure usuelle d’autorisation en vigueur au sein de l’institution. Ainsi, l’apparente contradiction découlant de la délivrance d’un numéro de référence permettant de retirer les titres d’accès et du refus de laisser en définitive les invités russes pénétrer au Parlement s’explique par le rôle différent dévolu aux services administratifs et aux instances politiques. Par conséquent, il ne peut être soutenu que le Parlement aurait, par pur esprit de chicane, laissé croire que la réunion litigieuse aurait pu avoir lieu dans ses infrastructures.

115

Au vu de ce qui précède, dès lors que l’adoption de mesures, telles que le refus de laisser des personnes pénétrer dans le Parlement afin de prévenir toute perturbation de ses travaux, suppose une évaluation prospective des risques au vu des données disponibles impliquant nécessairement une marge d’incertitude, il n’apparaît pas que l’objectif d’assurer la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement n’ait pas été en rapport raisonnable avec les motifs allégués par celui-ci.

116

Finalement, le requérant prétend trouver un indice du détournement de pouvoir dans le fait que le refus d’accès au Parlement allait, en toute hypothèse, au-delà de ce qui était nécessaire. Il fait ainsi observer que le président du Parlement a à sa disposition un service de sécurité capable d’endiguer toutes formes de provocations. De surcroît, le fait que le refus d’accès au Parlement a concerné tous les ressortissants russes invités, alors que, selon le courriel du service de presse, seuls MM. Petrov et Biruykov présentaient un risque pour la sécurité et le bon fonctionnement de l’institution, démontrerait que ce refus constituait une sorte de « sanction collective ».

117

Cependant, il convient de rappeler que le requérant n’a ni établi ni même prétendu que toute personne disposerait d’un accès inconditionnel aux installations du Parlement à des fins de propagande politique ou pour y discuter des orientations politiques de l’assemblée. Au contraire, ainsi que cela a été exposé au point 112 ci-dessus, le Parlement a exposé, sans être contredit, que le droit de l’Union ne confère pas de plein droit au public la faculté d’accéder à ses bâtiments et de les utiliser pour y manifester ses opinions.

118

Dans ces conditions, la circonstance que le président du Parlement a empêché les invités russes du requérant de pénétrer dans les locaux de l’institution pour s’y exprimer lors d’une réunion politique, plutôt que de compter sur la capacité d’intervention des services de sécurité, ne saurait être considérée, dans le contexte international rappelé aux points 109 et 110 ci-dessus, comme un indice de détournement de pouvoir. Il en va d’autant plus ainsi que le Parlement a confirmé, lors de l’audience, que, le refus d’accès litigieux étant lié au contexte en question, il n’avait qu’un caractère temporaire.

119

Le requérant ne saurait davantage se prévaloir de ce que le refus d’accès a été pris à l’encontre « de l’ensemble du groupe de visiteurs russes », soit également à l’encontre de Mmes E. N. et P. E., pour démontrer que ce refus constituait en fait une sanction collective et disproportionnée. En effet, le refus de laisser ces deux personnes entrer au Parlement s’explique par le fait qu’il s’agissait d’accompagnantes, l’une en tant qu’épouse de M. Biruykov, l’autre en tant qu’interprète, ainsi que cela ressort des débats à l’audience.

120

Enfin, le requérant conteste tout aussi vainement le caractère collectif du refus de laisser ses invités russes accéder au Parlement en se fondant sur le fait qu’il ressort a contrario du courriel du service de presse que, pour le Parlement lui-même, M. Sotnichenko ne constituait pas un risque particulier.

121

Il ne peut être tiré argument de la circonstance que, dans le courriel du service de presse refusant de mettre une salle à la disposition du requérant pour y organiser sa conférence de presse, le Parlement a considéré que la présence de MM. Petrov et Biryukov faisait courir un risque pour le bon fonctionnement de l’institution sans évoquer le cas de M. Sotnichenko. En effet, il ressort du courriel adressé le 3 juin 2015 par l’assistant du requérant au service de presse du Parlement au sujet de l’organisation de cette conférence que l’intéressé ne devait pas y participer.

122

En outre, le Parlement a exposé que M. Sotnichenko avait pris part au forum intitulé « Forum national russe », comme MM. Petrov et Biryukov, ce qui n’est pas contesté, et que c’est cette participation qui avait justifié que l’accès aux bâtiments de l’institution pour prendre part à la réunion de travail lui soit également refusé dans le contexte décrit aux points 109 et 110 ci-dessus.

123

Il découle de tout ce qui précède que le requérant ne fournit pas d’indices suffisamment précis, objectifs et concordants donnant à penser que la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement n’auraient pas été l’objectif réellement poursuivi par son président lorsque celui-ci a adopté les décisions attaquées. Aussi y a-t-il lieu de rejeter le moyen tiré d’un détournement de pouvoir.

124

Aucun moyen n’étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

IV. Sur les dépens

125

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

126

Le requérant ayant succombé et le Parlement ayant conclu en ce sens, il y a lieu de le condamner à supporter l’ensemble des dépens, en ce compris ceux afférents à la procédure devant la Cour.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

M. Udo Voigt est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen, en ce compris ceux afférents à la procédure devant la Cour.

 

Kanninen

Calvo-Sotelo Ibáñez-Martín

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 novembre 2017.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.