ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

20 novembre 2017 ( *1 )

 »Membre du Parlement européen – Refus d’accès aux bâtiments du Parlement – Ressortissant d’un État tiers – Article 21 de la charte des droits fondamentaux – Discrimination fondée sur les origines ethniques – Discrimination fondée sur la nationalité – Recevabilité d’un moyen – Discrimination fondée sur les opinions politiques – Égalité de traitement – Détournement de pouvoir «

Dans l’affaire T‑452/15,

Andrei Petrov, demeurant à Saint-Pétersbourg (Russie),

Fedor Biryukov, demeurant à Moscou (Russie),

Alexander Sotnichenko, demeurant à Saint-Pétersbourg,

représentés par Me P. Richter, avocat,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Görlitz et Mme M. Windisch, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du Parlement du 16 juin 2015 refusant aux requérants l’accès à ses locaux,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, L. Calvo‑Sotelo Ibáñez‑Martín (rapporteur) et Mme I. Reine, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 24 janvier 2017,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

Lors des élections du 25 mai 2014, M. Udo Voigt, requérant dans l’affaire enregistrée au greffe du Tribunal sous le numéro T‑618/15, a été élu député au Parlement européen sur la liste d’un parti allemand, le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD). Depuis lors, il siège au Parlement en tant que député non inscrit dans un groupe politique.

2

Le 22 mars 2015, s’est tenu à Saint-Pétersbourg (Russie) un forum politique intitulé « Forum national russe », auquel M. Voigt a été convié par le parti russe Rodina et auquel ont pris part les trois requérants, MM. Andrei Petrov, Fedor Biryukov et Alexander Sotnichenko.

3

Dans le prolongement de ce forum, un assistant de M. Voigt a, par un courriel du 3 juin 2015, informé le service de presse du Parlement de l’intention du député d’organiser, le 16 juin 2015, une conférence de presse intitulée « Nos actions pour éviter une guerre froide et chaude en Europe » (ci-après la « conférence de presse »). Cette conférence de presse devait se dérouler en présence de six participants, à savoir M. Voigt, un député grec, deux anciens députés italien et britannique ainsi que MM. Petrov et Biryukov, tous deux ressortissants russes et membres du parti russe Rodina. L’assistant de M. Voigt a demandé à cette fin qu’une salle du Parlement et l’infrastructure d’interprétation soient mises à la disposition de celui-ci. Voigt/Président du Parlement et Parlement.

4

Toujours dans le prolongement du forum intitulé « Forum national russe », l’assistant de M. Voigt a, le 9 juin 2015, demandé à la direction générale (DG) « Sécurité » du Parlement, responsable en matière d’accréditation, la délivrance de titres d’accès pour 21 personnes dont cinq ressortissants russes, soit les trois requérants, Mme E. N. et Mme P. E., en prévision d’une seconde manifestation, à savoir une réunion de travail intitulée « Rencontre sur le thème de la coopération européenne », également planifiée pour le 16 juin suivant (ci-après la « réunion de travail »).

5

Le 9 juin 2015 également, la DG « Sécurité » a, par courriel, accusé réception de la demande d’accréditation. Cet accusé de réception comportait un numéro de référence permettant de retirer les titres d’accès le 16 juin 2015 et était accompagné d’une annexe confirmant que la manifestation était compatible avec les exigences en matière de sécurité, mais spécifiant aussi que l’organisateur n’était pas exempté de la procédure usuelle d’autorisation.

6

Le 9 juin 2015 toujours, le service de presse a informé, par courriel, l’assistant de M. Voigt que ses autorités politiques lui avaient donné instruction de ne pas mettre à la disposition de celui-ci les équipements demandés pour la conférence de presse (ci-après le « courriel du service de presse »). Ce courriel faisait référence aux restrictions d’accès imposées par l’institution aux politiciens et aux diplomates russes et au risque que la présence de MM. Petrov et Biryukov perturbe les activités de l’institution.

7

Le 10 juin 2015, le Parlement a adopté une résolution sur l’état des lieux des relations entre l’Union européenne et la Russie [2015/2001 (INI)] (JO 2016, C 407, p. 35, ci-après la « résolution du 10 juin 2015 »), en discussion depuis le 15 janvier précédent.

8

Le 16 juin 2015, l’assistant de M. Voigt a retiré les titres d’accès destinés aux invités de celui-ci à la réunion de travail. Toutefois, dans le courant de la matinée, l’unité « Accréditation » de la DG « Sécurité » a informé ce dernier, par courriel, du fait que, au vu de la liste des participants à cette réunion et en vertu d’instructions reçues du cabinet du président du Parlement, l’accès aux locaux de l’institution était refusé aux cinq ressortissants russes, dont les requérants (ci-après la « décision attaquée »).

Procédure et conclusions des parties

9

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 août 2015, les requérants ont introduit le présent recours contre le Parlement et son président.

10

Par ordonnance du 18 septembre 2015, Petrov e.a./Parlement et président du Parlement (T‑452/15, non publiée, EU:T:2015:709), le Tribunal a rejeté le recours en tant qu’il était dirigé contre le président du Parlement.

11

Le 12 janvier 2016, les requérants ont déposé une réplique et, le 25 février suivant, le Parlement a produit une duplique.

12

Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

condamner le Parlement aux dépens.

13

Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme non fondé ;

condamner les requérants aux dépens.

14

Par courrier du 7 décembre 2016, le Tribunal a signifié au Parlement des mesures d’organisation de la procédure auxquelles celui-ci a répondu le 21 décembre suivant.

En droit

Sur la recevabilité de la réplique

15

Dans la duplique, le Parlement a émis des doutes quant à la recevabilité de la réplique au motif que celle-ci comporterait des réflexions et des allégations peu cohérentes et dont le lien avec les moyens exposés dans la requête se révélerait incertain.

16

À cet égard, en vertu de l’article 83 du règlement de procédure du Tribunal, la requête peut être complétée par une réplique. Il ressort en outre du point 142 des dispositions pratiques d’exécution dudit règlement que, « [l]e cadre et les moyens ou griefs au cœur du litige ayant été exposés [...] de manière approfondie dans la requête [...], la réplique [a] pour finalité de permettre au requérant [...] de préciser [sa] position ou d’affiner [son] argumentation sur une question importante et de répondre aux éléments nouveaux apparus dans le mémoire en défense ».

17

En l’espèce, bien que la réplique comporte des ambiguïtés, elle répond globalement aux objectifs décrits ci-dessus. De plus, à supposer même qu’il comporte des griefs susceptibles d’être regardés comme des moyens nouveaux, cette circonstance ne justifierait pas que ce mémoire soit écarté des débats dans son ensemble. Cette circonstance serait seulement de nature à mettre en cause la recevabilité des griefs en question, ce qu’il conviendra de vérifier dans le cadre de l’examen de chaque moyen concerné.

18

Il convient, par conséquent, de considérer la réplique comme étant recevable.

Sur le fond

Remarques liminaires

19

Dans la requête, les requérants soulèvent deux moyens, tirés, le premier, de la « violation des traités » et, le second, d’un détournement de pouvoir.

20

En vertu de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, lu à la lumière de l’article 256, paragraphe 1, premier alinéa, du même traité, le Tribunal est effectivement compétent pour se prononcer sur les recours pour violation des traités.

21

L’article 76, sous d), du règlement de procédure dispose néanmoins que la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Selon une jurisprudence constante, aux fins de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut notamment que les éléments essentiels de droit ressortent à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même [arrêt du 29 septembre 2016, Bach Flower Remedies/EUIPO – Durapharma (RESCUE), T‑337/15, non publié, EU:T:2016:578, points 50 et 51]. Aussi, si la partie requérante n’est pas tenue d’indiquer explicitement la règle de droit spécifique sur laquelle elle fonde son grief, c’est à la condition que son argumentation soit suffisamment claire pour que la partie adverse et le juge de l’Union puissent identifier sans difficulté cette règle (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, EU:T:2006:121, point 47, et du 13 novembre 2008, SPM/Conseil et Commission, T‑128/05, non publié, EU:T:2008:494, point 65).

22

Il découle des dispositions susmentionnées que la « violation des traités » ne constitue qu’un cas générique d’ouverture du recours en annulation dont le Tribunal peut connaître, mais qu’elle ne saurait constituer l’identification du fondement juridique d’un moyen (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 1997, Tremblay e.a./Commission, T‑224/95, EU:T:1997:187, points 80 et 81).

23

Il convient donc d’examiner si le premier moyen repose sur un fondement juridique plus précis que la seule invocation de la « violation des traités ».

24

En l’espèce, il ressort du contenu de la requête et du résumé qui y est joint, et qui peut être pris en compte pour l’interprétation de celle-ci (arrêts du 25 octobre 2007, Komninou e.a./Commission, C‑167/06 P, non publié, EU:C:2007:633, points 25 et 26, et du 12 avril 2016, CP/Parlement, F‑98/15, EU:F:2016:76, point 16), que les requérants fondent en réalité leur premier moyen sur la violation de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Plus précisément, ils y invoquent une discrimination fondée sur leur origine ethnique ainsi qu’une méconnaissance de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité.

25

Dans la réplique, les requérants prétendent en outre avoir été victimes d’une discrimination en raison de leurs opinions politiques. Ils y font également valoir une violation du principe général d’égalité dans la mesure où ils auraient été traités différemment des autres visiteurs et hôtes du Parlement.

26

Enfin, tant la requête que la réplique comportent des allusions au caractère disproportionné de la décision attaquée dont il convient de déterminer d’emblée s’il s’agit d’un moyen autonome ou non.

27

À cet égard, et contrairement à ce que le Parlement suggère, si le principe de proportionnalité a une existence autonome, il peut également faire partie intégrante des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination. Ainsi a-t-il été jugé que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination requéraient qu’une différence de traitement soit justifiée sur la base d’un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle soit en rapport avec un but légalement admissible et que cette différence soit proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêts du 17 octobre 2013, Schaible, C‑101/12, EU:C:2013:661, point 77 ; du 23 mars 1994, Huet/Cour des comptes, T‑8/93, EU:T:1994:35, point 45, et du 30 janvier 2003, C/Commission, T‑307/00, EU:T:2003:21, point 49). Interrogés à ce propos lors de l’audience, les requérants ont confirmé que, en l’espèce, l’allégation du caractère disproportionné de la décision attaquée ne constituait pas un moyen distinct.

28

Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’examiner :

en premier lieu, le moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte, en ce que la décision attaquée serait entachée d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique ou sur la nationalité des requérants ;

en deuxième lieu, le moyen tiré, d’une part, de la violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, en ce que la décision attaquée serait entachée d’une discrimination en raison des opinions politiques des requérants et, d’autre part, de la violation du principe général d’égalité ;

en troisième lieu, le moyen tiré d’un détournement de pouvoir.

29

Par ailleurs, en réponse à une question du Tribunal, les requérants ont exposé qu’ils avaient connaissance en substance du contexte politique prévalant au moment de leur venue au Parlement et que M. Voigt leur avait expliqué la décision attaquée. Les requérants ont d’ailleurs déposé en annexe à la requête une copie de cette décision ainsi que le courriel du service de presse informant l’assistant de M. Voigt de ce que les équipements demandés pour la conférence de presse ne seraient pas mis à sa disposition en raison des restrictions d’accès imposées par l’institution aux politiciens et aux diplomates russes ainsi que du risque que la présence de MM. Petrov et Biryukov perturbe les activités de l’institution.

30

C’est à la lumière de tout ce qui précède qu’il convient d’examiner le recours.

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte en ce que la décision attaquée serait entachée d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique des requérants ou sur leur nationalité

31

Les requérants prétendent qu’ils ne présentaient aucun risque pour le déroulement normal du travail du Parlement ou pour sa sécurité. En l’absence de motif objectif, la décision attaquée serait entachée d’une discrimination fondée sur leur nationalité ou leur origine ethnique et elle violerait, par conséquent, l’article 21 de la Charte. De plus, à supposer même que certains ressortissants russes aient effectivement présenté un risque pour le bon fonctionnement du Parlement, il aurait été suffisant de limiter l’interdiction d’accès à ceux-ci.

32

Le Parlement considère que le moyen est dépourvu de fondement.

33

En vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, est interdite toute discrimination fondée notamment sur les origines ethniques. Selon le paragraphe 2 du même article, dans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination fondée sur la nationalité est également interdite.

34

Les requérants ne distinguant pas clairement les deux types de discrimination qu’ils invoquent, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’un texte de portée générale emploie deux termes distincts, des raisons de cohérence et de sécurité juridique s’opposent à ce que ceux-ci se voient attribuer la même portée. Il en va a fortiori ainsi lorsque, comme en l’espèce, ces termes recouvrent des sens différents dans le langage courant (arrêts du 25 septembre 2013, Marques/Commission, F‑158/12, EU:F:2013:135, point 28, et du 14 mai 2014, Cocco/Commission, F‑17/13, EU:F:2014:92, point 33).

35

Ainsi, si la nationalité est un lien juridique et politique qui existe entre un individu et un État souverain, la notion d’origine ethnique procède de l’idée que des groupes sociétaux partagent le sentiment d’appartenir à une même nation ou partagent une communauté de foi religieuse, de langue, d’origine culturelle et traditionnelle et de milieu de vie (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 46).

36

S’agissant de l’interdiction de discrimination fondée sur l’origine ethnique, le Parlement a fait valoir que la Russie comportait plus de 185 groupes ethniques différents. Or, les requérants, qui se revendiquent uniquement de leur nationalité russe, n’indiquent pas qu’ils feraient partie d’un groupe ethnique particulier. A fortiori n’ont-ils nullement établi que la décision attaquée aurait été adoptée en raison d’une appartenance ethnique précise.

37

Il s’ensuit que les requérants ne démontrent pas que les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte seraient réunies et qu’ils ne peuvent ainsi prétendre avoir été discriminés en raison d’une origine ethnique particulière.

38

S’agissant de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, les explications relatives à celle-ci (JO 2007, C 303, p. 17) doivent être prises en considération en vue de son interprétation.

39

Selon les explications relatives à la Charte, l’article 21, paragraphe 2, de la Charte « correspond à l’article 18, premier alinéa, [TFUE] et doit s’appliquer conformément à celui-ci ». De plus, en vertu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, les droits que celle-ci reconnaît et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ces derniers. Il s’ensuit que l’article 21, paragraphe 2, de la Charte doit être lu comme ayant la même portée que l’article 18, premier alinéa, TFUE.

40

L’article 18, premier alinéa, TFUE dispose que, « [d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». Cette disposition figure dans la deuxième partie de ce traité intitulée « Non-discrimination et citoyenneté de l’Union ». Il concerne les situations relevant du champ d’application du droit de l’Union dans lesquelles un ressortissant d’un État membre subit un traitement discriminatoire par rapport aux ressortissants d’un autre État membre sur le seul fondement de sa nationalité. Cet article n’a, dès lors, pas vocation à s’appliquer dans le cas d’une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des États membres et ceux des États tiers (voir, en ce sens, arrêts du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344, points 51 et 52, et du 7 avril 2011, Francesco Guarnieri & Cie, C‑291/09, EU:C:2011:217, point 20).

41

Partant, les requérants, de nationalité russe, ne peuvent se prévaloir de l’article 21, paragraphe 2, de la Charte.

42

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 21 de la Charte en ce que la décision attaquée serait entachée d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique des requérants ou sur leur nationalité. En toute hypothèse, s’agissant du caractère prétendument disproportionné de la décision attaquée qui n’aurait pas différencié les ressortissants russes selon les risques qu’ils présentaient, il est renvoyé aux points 75 à 78 ci-après.

Sur le moyen tiré, d’une part, de la violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en ce que la décision attaquée serait entachée d’une discrimination en raison des opinions politiques des requérants et tiré, d’autre part, de la violation du principe général d’égalité

43

Dans la réplique, les requérants affirment qu’ils ont fait l’objet d’un traitement discriminatoire en raison de leurs opinions politiques. Ils exposent également que, « en fin de compte, [la décision attaquée] doit en tout cas être appréciée à l’aune du principe général d’égalité ». En effet, en raison de cette décision, ils auraient été traités différemment d’autres visiteurs et hôtes du Parlement. Les requérants exposent, en substance, que la décision attaquée tendait à les empêcher d’exprimer au sein du Parlement une opinion politique désapprouvée par le président de l’institution et contraire à la résolution du 10 juin 2015.

44

Le Parlement conteste la recevabilité de ces griefs au motif qu’il s’agirait de moyens invoqués pour la première fois, et tardivement, dans la réplique.

45

Les requérants soutiennent cependant que c’est seulement à la lecture du mémoire en défense qu’ils ont pris conscience du fondement politique de la discrimination dont ils ont été l’objet.

46

En vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Groupe Gascogne/Commission, T-72/06, non publié, EU:T:2011:671, points 23 et 27).

47

Premièrement, en ce qui concerne l’interdiction de toute discrimination fondée sur les opinions politiques, cette interdiction figure à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte que les requérants ont invoqué dans le cadre de leur moyen tiré, dans la requête, de la « violation des traités ». Toutefois, dans cette requête, les requérants ont limité leur argumentation basée sur cette disposition à une prétendue violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur leur origine ethnique. En outre, ils ont invoqué une discrimination fondée sur la nationalité en s’appuyant sur l’article 21, paragraphe 2, de la Charte. À aucun moment, ils n’ont évoqué, dans leur acte introductif d’instance, une violation de l’interdiction de discrimination fondée sur leurs opinions politiques.

48

Le fait que les requérants n’ont pas invoqué, dans la requête, une telle discrimination revêt en l’espèce une signification particulière. En effet, la décision attaquée ne peut être isolée de son contexte. En particulier, il ressort du dossier que, lors de l’introduction du recours, les requérants étaient en possession du courriel du service de presse par lequel le Parlement a refusé de mettre à la disposition de M. Voigt les équipements nécessaires à la conférence de presse également prévue le 16 juin 2015. Or, ce refus repose sur deux motifs. Premièrement, le courriel du service de presse rappelle les restrictions d’accès imposées par l’institution, d’une part, aux diplomates russes et, d’autre part, aux politiciens russes, à savoir, plus précisément, aux membres de la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) et du Soviet Federatsii Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie), ainsi que cela ressort des réponses du Parlement aux mesures d’organisation de la procédure visées au point 14 ci-dessus. Deuxièmement, ce même courriel mentionne le risque que la présence de MM. Petrov et Biryukov perturbe les activités de l’institution. De plus, la décision attaquée avait pour objet d’interdire aux requérants d’accéder aux bâtiments du Parlement, instance politique, pour participer, sur l’invitation d’un député, à une réunion sur un thème politique, à savoir la « coopération européenne ». En outre, les deux premiers requérants sont investis de responsabilités importantes au sein du parti politique russe Rodina et le troisième requérant est présenté comme un professeur d’université en relations internationales. De surcroît, la réunion en question se voulait le prolongement d’un forum politique, à savoir le « Forum national russe », auquel les trois requérants avaient participé et que le Parlement venait de critiquer dans la résolution du 10 juin 2015. Enfin, lors de l’audience, les requérants ont confirmé que les manifestations du 16 juin 2015 auxquelles ils avaient été conviés avaient pour objet de leur permettre d’exposer leur opinion politique sur la « coopération européenne » afin, d’une part, d’apporter sur le forum intitulé « Forum national russe » un éclairage opposé à celui de la résolution du 10 juin 2015 et, d’autre part, de poursuivre les travaux qui y avaient été entamés. Dans ces conditions, un requérant familiarisé à la chose politique et normalement diligent se devait d’être attentif au contexte politique entourant la décision attaquée.

49

Aussi, il y a lieu de constater que l’invocation, dans la réplique, d’une violation de l’interdiction de discrimination fondée sur les opinions politiques des requérants n’est pas l’ampliation d’un moyen figurant dans la requête résultant de l’évolution normale du débat au cours de la procédure contentieuse, mais un moyen nouveau. Par conséquent, ce moyen doit être considéré comme irrecevable dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

50

Deuxièmement, s’agissant de l’argument tiré, dans la réplique également, d’une violation du principe général d’égalité, il importe d’observer que, dans le cadre du moyen consacré à un détournement de pouvoir, les requérants ont notamment fait valoir, dans leur requête, que la décision attaquée était « totalement arbitrair[e] et diamétralement oppos[é]e à l’interdiction de discrimination du droit primaire ». Toutefois, cette allégation renvoyait aux « raisons exposées ci-avant », c’est-à-dire aux développements consacrés aux prétendues discriminations fondées sur la nationalité ou sur l’origine ethnique. À aucun moment, les requérants n’ont, lors de l’introduction de leur recours, invoqué, comme telle, la violation du principe général d’égalité au vu du traitement accordé à tous les autres visiteurs et hôtes du Parlement.

51

Partant, si les requérants ont cherché à étendre, dans la réplique, la portée de leur premier moyen au-delà des griefs circonscrits à la violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité ou sur leur origine ethnique en invoquant de manière générique le principe général d’égalité au vu du traitement accordé aux autres visiteurs et hôtes du Parlement, le moyen pris de la violation dudit principe doit être regardé comme étant un moyen nouveau ne résultant pas de l’évolution normale du débat contentieux. Dans cette mesure et dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, ce moyen doit être considéré également comme irrecevable.

52

Il est vrai que, dans le souci de préserver ses droits de la défense, le Parlement a envisagé, dans le mémoire en défense et à titre subsidiaire, l’éventualité que le Tribunal requalifie le moyen tiré de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité ou sur l’origine ethnique de moyen pris d’une violation du principe général d’égalité. Toutefois, cette circonstance ne suffit pas pour considérer que les éléments justifiant que ce principe soit soulevé dans la réplique n’auraient été révélés qu’en cours d’instance. Au vu du contexte rappelé au point 48 ci-dessus, cet argument en défense du Parlement n’a pas révélé aux requérants des motifs de la décision attaquée qu’ils auraient pu légitimement ignorer jusqu’alors.

53

Il importe d’ajouter que l’article 21 de la Charte, servant de fondement au moyen tiré de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité ou sur l’origine ethnique, est une expression particulière du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Léger, C‑528/13, EU:C:2015:288, point 48) et que tant ce principe que l’interdiction de toute discrimination sont deux désignations d’un même principe général du droit, interdisant, d’une part, de traiter différemment des situations similaires et, d’autre part, de traiter de la même manière des situations différentes, sauf si des raisons objectives justifient un tel traitement [arrêt du 27 janvier 2005, Europe Chemi-Con (Deutschland)/Conseil, C‑422/02 P, EU:C:2005:56, point 33].

54

Aussi, dans la mesure où, au vu de cette jurisprudence, l’invocation, dans la réplique, du principe général d’égalité devrait être regardée comme étant l’expression, sous une autre terminologie, du moyen de la requête tiré de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité ou sur l’origine ethnique, le grief en question devrait être rejeté comme étant non fondé, pour les raisons déjà exposées aux points 33 et suivants ci-dessus.

55

En tout état de cause, le moyen tiré, d’une part, de la violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en ce que la décision attaquée serait entachée d’une discrimination en raison des opinions politiques des requérants et, d’autre part, de la violation du principe général d’égalité est dépourvu de fondement dès lors qu’il ressort des points 63 à 78 ci-après que la décision attaquée repose sur un motif objectif et raisonnable, en rapport avec un but légalement admissible et est proportionnée au but poursuivi.

Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir

56

Les requérants soutiennent que la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir, ce que le Parlement conteste.

57

Selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir a une portée bien précise qui se réfère à l’usage par une autorité administrative de ses pouvoirs dans un but autre que celui dans lequel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées. À cet égard, il ne suffit pas d’invoquer certains faits à l’appui de ses prétentions, il faut encore fournir des indices suffisamment précis, objectifs et concordants de nature à soutenir leur véracité ou, à tout le moins, leur vraisemblance. À défaut, l’exactitude matérielle des affirmations de l’institution concernée ne saurait être remise en cause. Ainsi, l’appréciation globale des indices de détournement de pouvoir ne saurait reposer sur de simples allégations ou sur des indices insuffisamment précis ou qui ne sont ni objectifs ni pertinents (voir ordonnance du 19 décembre 2013, da Silva Tenreiro/Commission, T‑32/13 P, EU:T:2013:721, points 31 à 33 et jurisprudence citée).

58

En premier lieu, les requérants font valoir que, « pour les raisons exposées ci-avant », la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir en ce qu’elle est « totalement arbitrair[e] et diamétralement opposé[e] à l’interdiction de discrimination ».

59

Toutefois, dans la mesure où les requérants se basent sur les prétendues irrégularités dénoncées dans les moyens tirés de la « violation des traités », il y a lieu de rappeler que, ceux-ci ayant été rejetés ci-dessus, ce renvoi ne saurait prospérer.

60

En second lieu, les requérants admettent que la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement constituent des buts légalement admissibles, susceptibles de justifier une décision refusant à des tiers l’accès aux locaux de l’institution. En revanche, ils contestent que tels aient été les objectifs réellement poursuivis par la décision attaquée.

61

Les requérants prétendent, en effet, qu’ils ne constituaient pas un danger pour la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement. Bien que celui-ci soit un lieu d’échange politique, le but de la décision attaquée aurait en réalité été de les tenir à l’écart en raison de leurs convictions politiques et de leur appartenance partisane qui déplaisaient à la majorité de l’assemblée.

62

Il importe d’observer que, par cet argument, les requérants entendent déduire la preuve d’un détournement de pouvoir de l’inexactitude des motifs justifiant la décision attaquée.

63

À cet égard, il convient de relever qu’il ressort du point 48 ci-dessus que, bien que les requérants n’aient pas été membres de la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie ou du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, la décision attaquée était motivée par le fait que la présence de ceux-ci au sein du Parlement pouvait nuire à l’ordre et à la sécurité de l’institution ainsi qu’à son bon fonctionnement dans le contexte général des événements à l’origine desdites restrictions d’accès.

64

Plus précisément, le Parlement a fait valoir, à la lumière de la résolution du 10 juin 2015, le contexte particulier des relations politiques entre la Fédération de Russie et l’Union au moment des faits. Il a ainsi fait référence à la situation en Ukraine et à la publication, par la Fédération de Russie, d’une liste noire comprenant les noms d’actuels et d’anciens députés au Parlement et de fonctionnaires de l’Union qui l’a conduit à restreindre l’accès de politiciens et de diplomates russesà ses infrastructures.

65

À la lumière du contexte particulier caractérisant à l’époque les relations politiques entre la Fédération de Russie et l’Union, d’une part, et au vu de l’intensification, selon le Parlement, des relations entre des partis européens qualifiés de populistes et des forces russes décrites comme nationalistes, d’autre part, le Parlement a souligné que les requérants avaient participé au forum intitulé « Forum national russe » qui venait d’être très sévèrement condamné par l’assemblée. Le Parlement a également souligné que les deux premiers requérants étaient des membres actifs d’un parti russe considéré comme étant nationaliste. Il a ajouté que les trois requérants étaient en définitive des protagonistes invités, d’une part, à manifester, dans l’enceinte de l’institution, un point de vue différent de celui de la résolution du 10 juin 2015 sur le forum intitulé « Forum national russe » et, d’autre part, à y poursuivre les travaux qui avaient été entamés lors de ce forum, ce que les requérants ont confirmé durant l’audience (voir point 48 ci-dessus).

66

Les requérants font néanmoins observer que le « droit de maître de maison » du président du Parlement, invoqué par le Parlement, ne saurait être utilisé pour empêcher des réunions dont le sujet contrarie la majorité, car les parlements sont précisément des lieux d’échanges politiques.

67

Toutefois, l’article 22 du règlement intérieur du Parlement confère au président de l’institution la compétence nécessaire pour assurer la sécurité générale dans les locaux du Parlement, pour prévenir et faire cesser toute perturbation du bon déroulement des activités parlementaires ainsi que pour protéger la dignité de l’institution. De plus, le Parlement allègue avec raison qu’il n’est pas tenu de favoriser dans ses infrastructures les activités politiques d’un parti d’un pays tiers. Les requérants en conviennent dans leurs écrits de procédure. Partant, le Parlement n’est pas obligé de recevoir des membres ou sympathisants d’un tel parti afin qu’ils puissent s’exprimer dans ses locaux. Plus généralement, il ressort de l’article 14 TUE que le droit de prendre part aux fonctions législative, budgétaire, de contrôle politique et consultative dans l’enceinte du Parlement est réservé aux représentants des citoyens de l’Union élus au suffrage universel, direct, libre et secret, tandis que des dispositions particulières, telles que l’article 15, paragraphe 6, sous d), TUE et l’article 230, premier alinéa, TFUE, ont, de manière spécifique, garanti un droit d’y être entendus au président du Conseil européen et à la Commission européenne. De plus, si l’article 115 du règlement intérieur du Parlement dispose que les débats sont publics et que les réunions des commissions sont elles aussi normalement publiques, l’article 157 dudit règlement précise que le public admis dans les tribunes se tient assis et observe le silence. Aussi, l’économie des traités et des textes pris pour leur exécution ainsi que la nécessité de garantir le libre exercice des pouvoirs conférés au Parlement ont pour conséquence que celui-ci n’est pas le lieu où tout public aurait de plein droit la faculté de s’exprimer.

68

Les requérants soutiennent également que le Parlement a l’obligation de ne pas entraver le travail des députés, dont celui de M. Voigt. Cependant, cet argument est dépourvu de pertinence en l’espèce dans la mesure où les requérants n’ont pas d’intérêt personnel et direct à l’invoquer. En réponse à une question du Tribunal, ceux-ci ont d’ailleurs confirmé, lors de l’audience, que cette allégation ne constituait pas un grief comme tel.

69

Les requérants font encore valoir que des titres d’accès avaient été délivrés à leur attention, laissant ainsi croire à M. Voigt que, à défaut de la conférence de presse, la réunion de travail pourrait avoir lieu dans les locaux de l’institution avec leur participation. La délivrance de ces titres démontrerait qu’ils ne présentaient pas de risque particulier, tandis que le revirement d’attitude du Parlement révélerait le caractère chicanier de la décision attaquée.

70

Toutefois, s’il est exact que le Parlement a accusé réception de la demande d’accréditation pour la réunion de travail par le courriel de la DG « Sécurité » du 9 juin 2015 et que ce courriel comportait un numéro de référence permettant de retirer les titres d’accès destinés aux requérants, il convient de rappeler que ce courriel émanait de la DG « Sécurité », alors que la décision refusant aux requérants l’accès aux bâtiments reposait sur une appréciation du contexte politique qui excédait les compétences des services administratifs du Parlement et appartenait aux seules instances politiques de l’institution. De surcroît, le courriel de la DG « Sécurité » du 9 juin 2015 comportait une annexe précisant que l’organisateur de l’événement n’était pas exempté d’une procédure usuelle d’autorisation en vigueur au sein de l’institution. Ainsi, l’apparente contradiction découlant de la délivrance d’un numéro de référence permettant de retirer les titres d’accès et du refus de laisser en définitive les requérants pénétrer au Parlement s’explique par le rôle différent dévolu aux services administratifs et aux instances politiques. Par conséquent, il ne peut être soutenu que le Parlement aurait, par pur esprit de chicane, laissé croire que la réunion litigieuse aurait pu avoir lieu dans ses infrastructures.

71

Au vu de ce qui précède, dès lors que l’adoption de mesures, telles que le refus de laisser des personnes pénétrer dans le Parlement afin de prévenir toute perturbation de ses travaux, suppose une évaluation prospective des risques au vu des données disponibles impliquant nécessairement une marge d’incertitude, il n’apparaît pas que l’objectif d’assurer la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement n’ait pas été en rapport raisonnable avec les motifs allégués par celui-ci.

72

Finalement, les requérants prétendent trouver un indice du détournement de pouvoir dans le fait que la décision attaquée allait, en toute hypothèse, au-delà de ce qui était nécessaire. Ils font ainsi observer que le président du Parlement a à sa disposition un service de sécurité capable d’endiguer toutes formes de provocations. De surcroît, le fait que la décision attaquée a concerné tous les ressortissants russes invités, alors que, selon le courriel du service de presse, seuls les deux premiers requérants présentaient un risque pour la sécurité et le bon fonctionnement de l’institution, démontrerait que la décision attaquée constituait une sorte de « sanction collective ».

73

Cependant, il convient de rappeler que les requérants n’ont ni établi ni même prétendu que toute personne disposerait d’un accès inconditionnel aux installations du Parlement à des fins de propagande politique ou pour y discuter des orientations politiques de l’assemblée. Au contraire, ainsi que cela a été exposé au point 67 ci-dessus, le Parlement a exposé, sans être contredit, que le droit de l’Union ne conférait pas de plein droit au public la faculté d’accéder à ses bâtiments et de les utiliser pour y manifester ses opinions.

74

Dans ces conditions, la circonstance que le président du Parlement a empêché les requérants de pénétrer dans les locaux de l’institution pour s’y exprimer lors d’une réunion politique, plutôt que de compter sur la capacité d’intervention des services de sécurité, ne saurait être considérée, dans le contexte international rappelé aux points 64 et 65 ci-dessus, comme un indice de détournement de pouvoir. Il en va d’autant plus ainsi que le Parlement a confirmé, lors de l’audience, que, la décision attaquée étant liée au contexte en question, elle n’avait qu’un caractère temporaire.

75

Les requérants ne sauraient davantage se prévaloir de ce que la décision attaquée a été prise à l’encontre « de l’ensemble du groupe de visiteurs russes », soit également à l’encontre de Mmes E. N. et P. E., pour démontrer que celle-ci constituait en fait une sanction collective et disproportionnée. En effet, le refus de laisser ces deux personnes entrer au Parlement s’explique par le fait qu’il s’agissait d’accompagnantes, l’une en tant qu’épouse du deuxième requérant, l’autre en tant qu’interprète, ainsi que cela ressort des débats à l’audience.

76

Enfin, les requérants contestent tout aussi vainement le caractère collectif de la décision attaquée en se fondant sur le fait qu’il ressort a contrario du courriel du service de presse que, pour le Parlement lui-même, le troisième requérant, M. Sotnichenko, ne constituait pas un risque particulier.

77

Il ne peut cependant être tiré argument de la circonstance que, dans le courriel du service de presse refusant de mettre une salle à la disposition de M. Voigt pour y organiser sa conférence de presse, le Parlement a considéré que la présence des deux premiers requérants faisait courir un risque pour le bon fonctionnement de l’institution sans évoquer le cas de M. Sotnichenko. En effet, il ressort du courriel adressé le 3 juin 2015 par l’assistant de M. Voigt au service de presse du Parlement au sujet de l’organisation de cette conférence que l’intéressé ne devait pas y participer.

78

En outre, le Parlement a exposé que M. Sotnichenko avait pris part au forum intitulé « Forum national russe », comme les deux premiers requérants, ce qui n’est pas contesté, et que c’est cette participation qui avait justifié que l’accès aux bâtiments de l’institution pour prendre part à la réunion de travail lui soit également refusé dans le contexte décrit aux points 64 et 65 ci-dessus.

79

Il découle de tout ce qui précède que les requérants ne fournissent pas d’indices suffisamment précis, objectifs et concordants donnant à penser que la sécurité et le bon fonctionnement du Parlement n’auraient pas été l’objectif réellement poursuivi par son président lorsque celui-ci a adopté la décision attaquée. Aussi y a-t-il lieu de rejeter le moyen tiré d’un détournement de pouvoir.

80

Aucun moyen n’étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

81

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

82

Les requérants ayant succombé et le Parlement ayant conclu en ce sens, il y a lieu de les condamner à supporter l’ensemble des dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

MM. Andrei Petrov, Fedor Biryukov et Alexander Sotnichenko sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen.

 

Kanninen

Calvo-Sotelo Ibáñez-Martín

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 novembre 2017.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.