DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

15 mai 2017 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative MORTON’S – Marques nationales non enregistrées antérieures MORTON’S, MORTONS, MORTON’S CLUB, MORTONS CLUB, MORTON’S THE RESTAURANT, MORTONS RESTAURANT et M MORTON’S – Motif relatif de refus – Déclaration de nullité – Article 8, paragraphe 4, et article 53, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑223/15,

Morton’s of Chicago, Inc., établie à Chicago, Illinois (États-Unis), représentée par M J. Moss, barrister,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. H. O’Neill, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Mortons the Restaurant Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par M. J. Barry, solicitor, et Mme P. Nagpal, barrister,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 12 février 2015 (affaire R 46/2014‑1), relative à une procédure de nullité entre Mortons The Restaurant et Morton’s of Chicago,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, D. Spielmann (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 27 avril 2015,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 18 novembre 2015,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 6 novembre 2015,

vu la réattribution de l’affaire à un nouveau juge rapporteur,

vu la modification de la composition des chambres du Tribunal et la réattribution de l’affaire à la sixième chambre,

vu les mesures d’organisation de la procédure du 2 décembre 2016,

à la suite de l’audience du 19 janvier 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 20 juillet 2004, le requérante, Morton’s of Chicago, Inc., a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 29, 30 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 29 : « Viande, poisson, volaille et gibier ; extraits de viande ; fruits et légumes en conserve, séchés et cuits ; confitures et gelées ; œufs, lait et produits laitiers ; huiles et graisses comestibles » ;

–        classe 30 : « Riz, tapioca, sagou ; farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles ; miel, sirop de mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel, moutarde ; vinaigre, sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir ; compotes » ;

–        classe 43 : « Services de fourniture de nourriture et/ou de boissons ; services de restaurants et de bars ».

4        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 36/2005, du 5 septembre 2005, et la marque a été enregistrée le 5 juin 2010 sous le numéro 3951291.

5        Le 30 janvier 2012, l’intervenante, Mortons The Restaurant Ltd, a introduit une demande en nullité de la marque, au titre de l’article 53, paragraphe 1, sous c), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, et de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du même règlement. La demande en nullité était fondée sur les marques non enregistrées utilisées dans la vie des affaires au Royaume-Uni MORTON’S, MORTONS, MORTON’S CLUB, MORTONS CLUB, MORTON’S THE RESTAURANT, MORTONS RESTAURANT et M MORTON’S. Ces marques antérieures visaient les services suivants : « Divertissement ; services de cabarets, de boîtes de nuit, de théâtres, de casinos, de jeux (essentiellement à des fins de divertissements) et de clubs sociaux ; organisation et fourniture de clubs privés ; services de spectacles de musique ; divertissements et enseignement relatifs à l’appréciation du vin et des aliments ; organisation de dégustations de vins et d’aliments », ainsi que les « services de fourniture de nourriture et de boissons ; logement temporaire ; services de cafés ; services de préparation de nourriture et de boissons ; services de restaurants ; services de restaurants et de bars ; services de clubs de vins ; services de bars à vins ; location de salles pour événements sociaux ».

6        Par décision du 22 octobre 2013, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité, aux motifs que l’intervenante assurait la gestion du Morton’s Club et n’était pas le titulaire des marques non enregistrées antérieures, lesquelles appartenaient aux propriétaires dudit club. Elle a également conclu à l’absence de mauvaise foi de la part de la requérante, titulaire de la marque contestée.

7        Le 23 décembre 2013, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’annulation.

8        Par décision du 12 février 2015 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’EUIPO a constaté que l’intervenante, demanderesse en annulation, avait invoqué plusieurs marques non enregistrées du Royaume-Uni et se fondait donc sur le droit relatif à l’usurpation d’appellation. Elle a considéré que l’intervenante avait suffisamment prouvé qu’elle avait acquis les droits non enregistrés et un « goodwill » pour les marques antérieures et que la portée de l’usage de ces marques non enregistrées n’était pas seulement locale. Elle a estimé que, compte tenu notamment du fait que les produits et les services en cause étaient en partie identiques et en partie similaires et les signes en cause identiques, la condition de présentation trompeuse prévue par la législation du Royaume-Uni sur l’usurpation d’appellation était également remplie. Enfin, elle a relevé qu’il existait également un risque réel de préjudice. Elle a conclu que l’intervenante avait démontré qu’elle remplissait les conditions requises par l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, lu conjointement avec la législation du Royaume-Uni sur l’usurpation d’appellation. Elle a donc annulé la décision de la division d’annulation et a déclaré la nullité de l’enregistrement de la marque de l’Union européenne contestée pour l’ensemble des produits et des services en cause. Par ailleurs, elle a estimé qu’il n’était plus nécessaire d’apprécier le motif de nullité fondé sur l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, invoqué par l’intervenante, demanderesse en annulation, concernant la mauvaise foi de la requérante lors du dépôt de la marque de l’Union européenne contestée.

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

10      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

11      La requérante invoque deux moyens à l’appui de son recours. Le premier est tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 au motif que la décision attaquée serait erronée. Le second moyen est fondé sur la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du même règlement, qui prévoit la nullité de la marque de l’Union européenne lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors de son dépôt.

12      En vertu de l’article 53, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 207/2009, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 4, du même règlement, l’existence d’un signe autre qu’une marque permet d’obtenir la nullité d’une marque de l’Union européenne si celui-ci remplit cumulativement quatre conditions : ce signe doit être utilisé dans la vie des affaires ; il doit avoir une portée qui n’est pas seulement locale ; le droit à ce signe doit avoir été acquis conformément au droit de l’État membre où le signe était utilisé avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne et, enfin, le droit à ce signe doit permettre à son titulaire d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. Ces quatre conditions limitent le nombre des signes autres que des marques qui peuvent être invoqués pour contester la validité d’une marque de l’Union européenne sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009. Étant donné que les conditions posées par l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 sont cumulatives, il suffit qu’une seule d’entre elles ne soit pas satisfaite pour qu’une demande en nullité de marques de l’Union européenne soit rejetée [arrêts du 24 mars 2009, Moreira da Fonseca/OHMI – General Óptica (GENERAL OPTICA), T‑318/06 à T‑321/06, EU:T:2009:77, points 32 et 47, et du 7 mai 2013, macros consult/OHMI – MIP Metro (makro), T‑579/10, EU:T:2013:232, point 54].

13      Le premier moyen s’articule, en substance, en cinq griefs, tirés respectivement de la mauvaise interprétation des règles du Royaume-Uni sur l’usurpation d’appellation, du caractère prétendument erroné des éléments de preuve, de ce que l’intervenante n’est pas propriétaire du « goodwill », de l’absence de risque de présentation trompeuse et de ce que le droit antérieur n’a d’importance que sur le plan local.

 Sur le premier grief, fondé sur la mauvaise interprétation des règles du Royaume-Uni sur l’usurpation d’appellation

14      La requérante fait valoir que les droits tirés de l’action en usurpation d’appellation ne sont pas les mêmes que ceux tirés d’une marque enregistrée et que la chambre de recours a fait une application erronée de la jurisprudence développée par les tribunaux du Royaume-Uni.

15      Premièrement, la requérante fait valoir que la chambre de recours a analysé le « goodwill » du titulaire comme se rapportant à des services de restauration, de bars, ainsi que de divertissements et de clubs, alors que le « goodwill » aurait dû être limité aux services d’un club privé comprenant un restaurant et un bar et proposant des services de divertissements.

16      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

17      Il y a lieu de constater que l’intervenante exploitait un club connu pour fournir des services de restaurants, de bars et de divertissements. En outre, comme le soutient l’EUIPO, pour déterminer l’existence d’une présentation trompeuse en ce qui concerne les produits et les services contestés, la chambre de recours devait tenir compte du fait que le public pertinent comprendrait que le club privé regroupait plusieurs services connexes, dont, essentiellement, des services de restaurants, de bars et de divertissements.

18      Dès lors, c’est à juste titre que le « goodwill » a été considéré comme acquis pour cette gamme de services étroitement liés. D’ailleurs, comme le mentionne l’intervenante, ces services sont ceux que la requérante mentionne, à savoir ceux d’un club privé comportant un restaurant, un bar et proposant des services de divertissements. La requérante ne démontre donc pas en quoi cette approche de la chambre de recours serait erronée au regard des conditions de l’action en usurpation d’appellation.

19      Deuxièmement, la requérante soutient que la chambre de recours a mis en œuvre les critères d’identité et de similitude des marques, applicables en matière de confusion de marques, mais inapplicables concernant la présentation trompeuse. Plus particulièrement, elle aurait dû, pour chacun des produits et des services fournis sous sa marque européenne, examiner si l’utilisation de cette marque pouvait constituer une présentation trompeuse, faisant croire qu’il s’agissait d’un produit ou d’un service émanant de l’intervenante.

20      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

21      Il y a lieu de constater que, dans le cadre de l’examen de la présentation trompeuse, la chambre de recours a relevé, au point 37 de la décision attaquée, que les produits et les services en cause étaient en partie identiques et en partie similaires. Ce constat a été établi aux fins d’étayer sa conclusion selon laquelle il était très probable que les clients de l’intervenante, habitués à associer le nom Morton’s aux services exclusifs de restaurants, de bars et de divertissements qu’elle propose, présumeraient que les produits et les services commercialisés avec la marque de l’Union européenne contestée provenaient également de l’intervenante ou avaient un rapport avec elle et selon laquelle la condition de présentation trompeuse prévue par la législation du Royaume-Uni sur l’usurpation d’appellation était donc remplie (voir point 39 de la décision attaquée).

22      Ce faisant, la chambre de recours n’a pas mis en œuvre des critères applicables en matière de confusion des marques, mais s’est au contraire efforcée de vérifier si l’utilisation de la marque de l’Union européenne contestée pouvait constituer une présentation trompeuse au sens de l’usurpation d’appellation. La requérante ne démontre pas en quoi la chambre de recours n’aurait pas fait une juste application de la jurisprudence des tribunaux du Royaume-Uni à cet égard.

23      Ce premier grief doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième grief, concernant des éléments de preuve prétendument erronés

24      La requérante soutient que la date appropriée pour trancher la question de l’usurpation d’appellation est la date de dépôt de la demande de marque européenne, soit le 20 juillet 2004 en l’espèce, et que la plupart des preuves produites sont postérieures à cette date. Elle souligne l’absence de données relatives aux années 2002 et 2003. Elle ajoute que les preuves statistiques sur le nombre de membres du Morton’s Club sont présentées de façon trompeuse et qu’il ne compte que 529 membres.

25      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

26      Il convient de rappeler qu’il résulte des termes de l’article 53, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 que les demandes en nullité fondées sur cette disposition dépendent de l’existence d’un droit antérieur. Cette antériorité est par ailleurs définie à l’article 8, paragraphe 4, de ce règlement, auquel renvoie l’article 53, paragraphe 1, sous c), du même règlement, qui impose, pour démontrer l’existence du droit antérieur, de se placer à la date du dépôt de la demande de marque de l’Union européenne, puisqu’il exige du demandeur en nullité de cette marque qu’il ait acquis des droits sur sa marque nationale non enregistrée avant la date dudit dépôt [voir, par analogie, arrêts du 11 juin 2009, Last Minute Network/OHMI – Last Minute Tour (LAST MINUTE TOUR), T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 51, et du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI – Hoo Hing (Golden Elephant Brand), T‑303/08, EU:T:2010:505, point 99].

27      De même, pour apprécier la condition relative à l’usage du signe dans la vie des affaires, il convient également de se placer à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée [voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2009, GENERAL OPTICA, T‑318/06 à T‑321/06, EU:T:2009:77, point 44 ; du 30 septembre 2010, Granuband/OHMI – Granuflex (GRANUflex), T‑534/08, non publié, EU:T:2010:417, point 20 ; du 26 février 2015, Pangyrus/OHMI – RSVP Design (COLOURBLIND), T‑257/11, non publié, EU:T:2015:115, point 56, et du 30 novembre 2016, Fiesta Hotels & Resorts/EUIPO – Residencial Palladium (PALLADIUM PALACE IBIZA RESORT & SPA), T‑217/15, non publié, EU:T:2016:691, point 35].

28      En l’espèce, aux points 25 à 29 de la décision attaquée, la chambre de recours a tout d’abord rappelé que, pour établir l’existence d’un « goodwill », il convenait de se placer avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne, soit en l’espèce le 20 juillet 2004. Elle a évoqué à cet égard différents éléments pour conclure que l’intervenante, demanderesse en annulation, détenait bien le « goodwill » sur les marques non enregistrées antérieures avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne. Elle a ensuite évoqué différents éléments de preuve confirmant que l’intervenante continuait de détenir le « goodwill » à cette date et au moment de sa demande en nullité du 30 janvier 2012. Elle a ainsi mentionné les chiffres relatifs aux dépenses de publicité pour le Morton’s Club de 2002 à 2011, les chiffres d’affaires de 1995 à 2011, la couverture de presse dans des publications diffusées au Royaume-Uni, y compris la mention du club dans plusieurs guides de restaurants entre 2000 et 2010. Elle a en particulier évoqué nommément plusieurs articles de presse antérieurs au 20 juillet 2004 et mentionné l’existence d’autres articles citant le club datant de septembre 2004 à 2011 (voir point 30 de la décision attaquée). Elle a relevé, au point 31 de la décision attaquée, que l’intervenante continuait de détenir le « goodwill » au moment de sa demande en nullité. Enfin, concernant la condition relative à la portée de l’usage du « goodwill », elle a conclu que l’intervenante avait suffisamment prouvé que, « à la date pertinente, elle avait acquis les droits non enregistrés et un ‘goodwill’ pour les marques antérieures et que l’usage de ces marques non enregistrées avait une portée pas seulement locale » (voir point 35 de la décision attaquée).

29      Dès lors, il y a lieu de constater que la chambre de recours a pris en compte la date pertinente du 20 juillet 2004 pour conclure, d’une part, que l’intervenante avait prouvé avoir acquis un « goodwill » à cette date et, d’autre part, que la portée de l’usage des marques non enregistrées antérieures n’était pas seulement locale.

30      Le fait qu’elle ait évoqué certains éléments de preuve postérieurs au 20 juillet 2004, aux fins de vérifier que l’intervenante continuait d’être titulaire du « goodwill » jusqu’à sa demande en nullité en date du 30 janvier 2012, n’infirme pas cette conclusion.

31      À cet égard, il convient de relever que la question de savoir si les preuves antérieures à la date pertinente sont ou non suffisantes au regard de la condition relative à la portée de l’usage des marques non enregistrées antérieures, et notamment l’argument tiré de l’absence de données relatives aux années 2002 et 2003, sera examinée dans le cadre du cinquième grief, tiré de ce que le droit antérieur n’aurait d’importance que sur le plan local (points 59 à 79 ci-dessous).

32      Dès lors, l’argument de la requérante, fondé sur le caractère erroné de la date prise en compte pour trancher la question de l’usurpation d’appellation, doit être rejeté.

33      Enfin, la requérante fait valoir que les preuves statistiques sur le nombre de membres du Morton’s Club sont présentées de façon trompeuse et qu’il ne compte que 529 membres. Toutefois, ainsi que cela ressort du point 28 ci-dessus, résumant les éléments de preuve évoqués par la chambre de recours, il ne ressort pas de la décision attaquée que la conclusion de la chambre de recours serait fondée sur le nombre de membres du Morton’s Club. Cet argument n’est donc pas opérant dans le cadre du présent grief.

34      Il s’ensuit que le deuxième grief de la requérante, selon lequel la chambre de recours aurait retenu des éléments de preuve erronés, doit être rejeté.

 Sur le troisième grief, tiré de ce que l’intervenante n’est pas propriétaire du « goodwill »

35      La requérante soutient que l’intervenante n’était pas titulaire des droits nécessaires pour intenter une action sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009. Elle évoque plusieurs contrats successifs, datant de 1983, du 18 mars 1988, du 14 juin 2000, du 28 mars et du 3 avril 2002, concernant les conditions de gestion du Morton’s Club. Selon la requérante, ces contrats de gestion successifs prévoyaient que le propriétaire du Morton’s Club conservait un contrôle tel que l’autre partie au contrat n’était qu’un simple gérant et que le propriétaire conservait donc le « goodwill » lié au club. En particulier, elle indique que, aux termes du contrat de gestion conclu le 28 mars 2002 entre le propriétaire du Morton’s Club et l’intervenante, cette dernière n’avait pas de droit spécifique lui permettant de déposer une demande de marque, pas plus que le droit de céder les activités du Morton’s Club, d’établir un tel club dans un autre endroit ou de s’opposer à la nomination de nouveaux gérants. Elle en conclut que l’intervenante, qui n’avait pas le droit de disposer librement du bien acquis, ne détenait pas le « goodwill » lié au Morton’s Club.

36      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

37      Il convient de rappeler, à l’instar de la chambre de recours, qu’il résulte de la jurisprudence du Royaume-Uni que l’action en usurpation d’appellation protège un droit de propriété attaché à l’entreprise ou au « goodwill » en rapport avec lequel la marque a été utilisée, le « goodwill » étant décrit comme la force d’attraction de la clientèle. Ainsi que la chambre de recours l’a également précisé, en droit du Royaume-Uni, le « goodwill », qui est inséparable de l’entreprise à laquelle il ajoute de la valeur [arrêt IRC v Muller (1901) A.C. 217], est reconnu comme une propriété juridique qui peut être transférée ou cédée.

38      De plus, il résulte des décisions des juridictions du Royaume‑Uni qu’un signe servant à désigner des biens ou des services peut avoir acquis une réputation sur le marché, au sens du droit applicable à l’usurpation d’appellation, alors même qu’il est utilisé par plusieurs opérateurs dans le cadre de leur activité commerciale [arrêt du 30 septembre 2015, Tilda Riceland Private/OHMI – Siam Grains (BASmALI), T‑136/14, EU:T:2015:734, point 22]. Cette forme dite « extensive » de l’usurpation d’appellation, reconnue par les juridictions du Royaume‑Uni, permet ainsi à plusieurs opérateurs de disposer de droits sur un signe ayant acquis une réputation sur le marché [arrêts du 18 janvier 2012, Tilda Riceland Private/OHMI – Siam Grains (BASmALI), T‑304/09, EU:T:2012:13, point 28, et du 30 septembre 2015, BASmALI, T‑136/14, EU:T:2015:734, point 22].

39      En l’espèce, plusieurs contrats de gestion se sont succédé. Il est constant que le premier contrat de 1983 n’emportait pas un transfert de la responsabilité des activités du Morton’s Club au gérant du club. En revanche, les parties s’opposent sur la portée des contrats suivants, en particulier des contrats du 28 mars et du 3 avril 2002, en vigueur à la date pertinente du 20 juillet 2004.

40      À cet égard, il y a lieu de constater que le contrat du 28 mars 2002, qui a remplacé les contrats précédents, conférait à l’intervenante le droit de gérer le club et de mener des activités commerciales dans ses locaux (article 2.1 du contrat). L’intervenante s’est également vu confier le droit d’accepter ou de rejeter les demandes adressées pour être membre du club, la liste des membres devant être remise aux actionnaires à leur demande (article 3.1 du contrat). Elle disposait en outre du droit d’utiliser le nom Morton’s et de mener des activités commerciales avec le « goodwill » attaché à ce nom pour la durée du contrat (article 12.3 du contrat). L’intervenante était enfin tenue de prendre les mesures qui s’imposaient pour protéger ce nom (article 12.4 du contrat).

41      De plus, il ressort du contrat du 3 avril 2002, transférant la gestion du Morton’s Club à l’intervenante, que les parties au contrat ont clairement manifesté leur volonté de transférer le « goodwill » ainsi que certains actifs de l’entreprise. Plus particulièrement, il ressort de l’article 2 de ce contrat que la vente portait, notamment, sur le « goodwill ». Le « goodwill » est par ailleurs défini à l’article 1er dudit contrat comme étant « le ‘goodwill’ du vendeur en rapport avec l’entreprise, ainsi que le droit exclusif de l’acheteur ou de son cessionnaire de se présenter comme succédant au vendeur pour exploiter, à l’exclusion de ce dernier, l’entreprise ainsi que tous les noms commerciaux associés à l’entreprise (sous réserve des dispositions de l’accord de gestion) ».

42      Il en résulte que, comme la chambre de recours l’a constaté à bon droit au point 29 de la décision attaquée, depuis 2002, c’est l’intervenante qui gère les activités du Morton’s Club et qui utilise les droits antérieurs pour les services concernés. En outre, c’est également l’intervenante qui, par le contrat du 3 avril 2002, a acquis le « goodwill » concernant le Morton’s Club ainsi que le droit exclusif d’exploitation dudit club et les noms commerciaux associés à ce club. Cette interprétation est en outre conforme au droit du Royaume-Uni, selon lequel le « goodwill » peut être transféré ou cédé (voir point 37 ci-dessus).

43      Dès lors, au vu des termes mêmes des contrats conclus en 2002, l’argument de la requérante selon lequel le propriétaire du Morton’s Club conservait un contrôle tel que l’intervenante n’était qu’un simple gérant ne détenant pas le « goodwill » doit être écarté.

44      En outre, la requérante n’étaye aucunement ses affirmations selon lesquelles le fait pour l’intervenante de détenir le « goodwill » serait, au vu de la législation et de la jurisprudence du Royaume-Uni, contradictoire avec le fait de ne pas disposer du droit de déposer une demande de marque, de céder les activités du Morton’s Club, d’établir un tel club dans un autre endroit ou de s’opposer à la nomination de nouveaux gérants. De même, le fait de ne pas avoir le droit de disposer librement du bien acquis ne signifie pas nécessairement qu’elle ne détenait pas le « goodwill » suffisant pour intenter une action en usurpation d’appellation. À cet égard, en effet, comme le souligne l’intervenante, c’est elle qui conduisait les activités commerciales, qui était perçue par le public comme responsable du caractère ou de la qualité des produits et services et qui subissait un préjudice en cas de présentation trompeuse par un tiers.

45      C’est donc sans commettre d’erreur que la chambre de recours a considéré que l’intervenante détenait le « goodwill » sur les droits antérieurs au moment de la demande de marque de l’Union européenne.

 Sur le quatrième grief, tiré de l’absence de risque de présentation trompeuse

46      La requérante soutient qu’il n’existe aucun risque de présentation trompeuse compte tenu du nombre très réduit de clients, sans doute membres depuis longtemps, formant une « niche commerciale de particuliers fortunés », particulièrement attentifs aux activités du club et qui ne devraient pas les confondre avec celles d’un restaurant portant un nom similaire.

47      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

48      Selon la jurisprudence nationale, la présentation trompeuse, intentionnelle ou non, par le défendeur à l’action en usurpation d’appellation est celle qui est susceptible de conduire les clients du demandeur à attribuer à celui-ci l’origine commerciale des produits et des services proposés par le défendeur (arrêt du 11 juin 2009, LAST MINUTE TOUR, T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 92).

49      Il résulte également de la jurisprudence nationale que le caractère trompeur de la présentation des produits du défendeur à l’action en usurpation d’appellation doit s’apprécier au regard des clients du demandeur à l’action et non du public en général (arrêts du 11 juin 2009, LAST MINUTE TOUR, T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 60, et du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, point 132). En effet, la propriété protégée par l’action en usurpation d’appellation ne porte pas sur un mot ou sur un nom dont l’usage par les tiers est restreint, mais sur la clientèle même à laquelle il est porté atteinte par l’usage litigieux, la réputation d’une marque étant la force d’attraction sur la clientèle et le critère permettant de distinguer une entreprise établie d’une entreprise nouvelle (arrêt du 11 juin 2009, LAST MINUTE TOUR, T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 61).

50      En l’espèce, la chambre de recours a estimé que, sur la base d’une mise en balance de probabilités, il était probable qu’un nombre substantiel de membres du groupe de personnes pertinent serait amené à acheter par erreur les produits et les services de la requérante en présumant qu’il s’agissait des produits et des services de l’intervenante (voir point 36 de la décision attaquée).

51      Tout d’abord, il convient de considérer que le public pertinent à prendre en compte en l’espèce est constitué des clients de l’intervenante, c’est-à-dire les membres du Morton’s Club et leurs invités. En effet, le Morton’s Club est un club privé auquel il est possible d’adhérer à l’issue d’une procédure sélectiveet qui ne fournit ses services de restaurant, de bar, de club et de divertissements qu’à ses membres et à leurs invités. Ceux-ci constituent donc la clientèle pertinente pour apprécier l’existence ou non d’une présentation trompeuse en l’espèce.

52      Ensuite, il y a lieu de relever que, comme la chambre de recours l’a constaté au point 37 de la décision attaquée, les produits et les services couverts par la marque contestée sont en partie identiques et en partie semblables aux services de restaurants, de bars, de clubs et de divertissements pour lesquels l’intervenante a prouvé qu’elle avait acquis des droits avec les marques non enregistrées antérieures, ce qui n’a pas été contesté par la requérante.

53      En outre, les droits non enregistrés antérieurs contenant le terme « morton’s » ou se composant de ce terme sont identiques à l’élément verbal de la marque contestée et les signes en cause sont donc pratiquement identiques, ce qui n’est pas davantage contesté par la requérante.

54      Il s’ensuit que, confronté à la marque contestée, le public pertinent peut être conduit à croire que les produits et les services offerts à la vente par le titulaire de ladite marque sont ceux de l’intervenante, de l’une de ses filiales ou d’une entité relevant d’une manière ou d’une autre de sa responsabilité ou qui lui est liée.

55      L’argument de la requérante selon lequel les membres du Morton’s Club sont particulièrement attentifs aux activités de leur club doit être écarté. En effet, la qualité de membre de ce club n’implique aucunement que ses membres, et a fortiori leurs invités, sont associés à la gestion des activités commerciales du club ou qu’ils ont accès aux informations commerciales stratégiques de l’entreprise. Dès lors, comme le soutient l’EUIPO, les membres du Morton’s Club, habitués à associer le nom Morton’s à l’intervenante, pourraient penser qu’un restaurant portant le nom de leur club serait un prolongement de ses activités ou lui serait lié d’une certaine façon. De même, le nombre plus ou moins réduit de membres du Morton’s Club ne modifie pas cette conclusion.

56      Ainsi, le public pertinent, en présence de signes pratiquement identiques et de produits et de services identiques ou similaires, pourrait croire que des biens et des services proposés par la requérante sous la marque contestée émanent en réalité de l’intervenante ou sont le prolongement de son activité.

57      C’est donc à bon droit que la chambre de recours a conclu, au point 39 de la décision attaquée, que la condition relative à l’existence d’une présentation trompeuse était remplie en l’espèce.

58      Il s’ensuit que le quatrième grief doit être rejeté.

 Sur le cinquième grief, tiré de ce que le droit antérieur n’a d’importance que sur le plan local

59      Selon l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, le droit antérieur invoqué au soutien de la demande en nullité doit porter sur un « signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale ». L’objet commun de ces deux conditions est de limiter les conflits entre les signes en empêchant qu’un droit antérieur qui n’est pas suffisamment caractérisé, c’est-à-dire important et significatif dans la vie des affaires, puisse faire obstacle à l’enregistrement d’une nouvelle marque de l’Union européenne. Une telle faculté de demande en nullité doit être réservée aux signes qui sont effectivement et réellement présents sur leur marché pertinent. Il en résulte que, pour pouvoir faire annuler l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, le signe qui est invoqué à l’appui d’une demande en nullité doit être effectivement utilisé d’une manière suffisamment significative dans la vie des affaires et avoir une étendue géographique qui ne soit pas seulement locale, ce qui implique, lorsque le territoire de protection de ce signe peut être considéré comme autre que local, que cette utilisation ait lieu sur une partie importante de ce territoire (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, points 157 et 159).

60      Quant à l’appréciation au fond des éléments de preuve pertinents, il y a lieu de tenir compte, en premier lieu, de la dimension géographique de la portée du signe, c’est-à-dire du territoire sur lequel il est utilisé pour identifier l’activité économique de son titulaire, ainsi que cela ressort d’une interprétation littérale de l’article 8, paragraphe 4, du règlement nº 207/2009. Il convient de tenir compte, en second lieu, de la dimension économique de la portée du signe, qui est évaluée au regard de la durée pendant laquelle il a rempli sa fonction dans la vie des affaires et de l’intensité de son usage, au regard du cercle des destinataires parmi lesquels le signe en cause est devenu connu en tant qu’élément distinctif, à savoir les consommateurs, les concurrents, voire les fournisseurs, ou encore au regard de la diffusion qui a été donnée au signe, par exemple par voie de publicité ou sur Internet. Aussi, afin d’établir l’importance effective et réelle du signe invoqué sur le territoire concerné, convient-il de ne pas se limiter à des appréciations purement formelles, mais d’examiner l’impact de ce signe sur le territoire en cause après qu’il a été utilisé en tant qu’élément distinctif [voir, en ce sens, arrêts du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, point 160 ; du 24 mars 2009, GENERAL OPTICA, T‑318/06 à T‑321/06, EU:T:2009:77, points 37 et 38, et du 14 septembre 2011, K-Mail Order/OHMI – IVKO (MEN’Z), T‑279/10, non publié, EU:T:2011:472, point 21].

61      Ainsi, un signe a une portée qui n’est pas seulement locale lorsque son impact ne se limite pas à une partie réduite du territoire sur lequel il est protégé en vertu du droit national applicable et lorsqu’il a fait l’objet d’une utilisation dont la durée et l’intensité ne sont pas négligeables dans les circonstances de chaque espèce (arrêts du 30 septembre 2010, GRANUflex, T‑534/08, non publié, EU:T:2010:417, point 19, et du 14 septembre 2011, MEN’Z, T‑279/10, non publié, EU:T:2011:472, point 24).

62      En l’espèce, la chambre de recours a considéré que la condition concernant l’utilisation dans la vie des affaires d’un signe dont la portée n’est pas seulement locale était remplie.

63      La requérante conteste cette appréciation. Elle soutient que le droit antérieur de l’intervenante n’a d’importance que sur un plan local, en particulier si l’on rapporte le nombre peu élevé de membres (529 membres en 2004), dont elle présume qu’ils résidaient à l’époque près du Morton’s Club, et le chiffre d’affaires modeste du club [1 293 467 livres sterling (GBP) en 2004] à la taille du marché de la restauration et du divertissement au Royaume-Uni. Elle fait valoir l’absence de données relatives aux années 2002 et 2003 et soutient que le développement du Morton’s Club postérieur à 2004 serait sans incidence. Elle ajoute que les articles des médias nationaux évoquant le club ne constitueraient pas une preuve d’une renommée nationale et n’auraient pas permis de promouvoir le « goodwill » du club.

64      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

65      En l’espèce, s’agissant, premièrement, de la portée géographique des signes antérieurs, même si le Morton’s Club est localisé à Londres, il ressort des éléments du dossier qu’il est évoqué dans de nombreux articles de presse à diffusion nationale au Royaume-Uni et internationale pendant la période pertinente ainsi que dans des guides de restaurants disponibles au Royaume-Uni. La décision attaquée fait ainsi état d’une couverture de presse dudit club dans de nombreux journaux, magazines et publications du Royaume-Uni datant d’avant la date de la demande de marque européenne.

66      Plus précisément, pour la période pertinente de juin 1994 au 20 juillet 2004, la chambre de recours a mentionné huit articles de la presse nationale évoquant le Morton’s Club (voir point 30 de la décision attaquée). Il ressort en outre du dossier de l’EUIPO que de nombreux articles de presse et de magazines évoquant le Morton’s Club pendant la période pertinente ont été produits lors de la procédure administrative. Par exemple, outre les articles mentionnés par la chambre de recours, des articles évoquent ledit club dans The Independent du 22 novembre 1998, dans le Washington Times du 7 mars 1999, dans le Daily Mail du 28 octobre 1999, dans le Daily Telegraph du 16 juin 2001 ainsi que dans d’autres journaux durant les années 2001, 2002 et 2003. De même, ont également été produits des articles dans des magazines internationaux tels que le New York Times du 22 janvier 1989, le British Airways « high life » de janvier 2003, le Nouvel Observateur de juin 2004 et dans des guides de restaurants datant de 2000 et 2001 comme le Michelin Guide, Great Britain & Ireland, Michelin’s « The Red Guide »London,Harden’s Top UK Restaurants, Zagat’s London Restaurant Survey et The Britain Restaurant Guide.

67      L’argument de la requérante selon lequel les citations du Morton’s Club dans les articles de presse nationaux ne prouveraient pas sa renommée doit être écarté. En effet, de tels articles mettent en évidence le degré de connaissance par le public des marques non enregistrées antérieures. Ils contribuent donc, de même que les références faites à l’établissement dans les guides de restaurants, à établir la connaissance du Morton’s Club parmi les consommateurs et étayent le fait que, pendant la période pertinente, la portée des marques non enregistrées antérieures n’était pas seulement locale.

68      De même, l’argument de la requérante tiré de l’absence de données relatives aux années 2002 et 2003 doit également être écarté. En effet, il ressort des éléments du dossier que certains des documents produits datent de cette période, en particulier des articles de presse du Royaume-Uni évoquant le Morton’s Club, ses dirigeants ou les célébrités y ayant adhéré ou dîné. De plus, cette relative absence de données s’explique également par le fait que, en 2002, le Morton’s Club a fermé pour rénovation jusqu’en avril 2004.

69      Par ailleurs, les dépenses de publicité du Morton’s Club se sont élevées à 96 000 GBP en 2002, à 114 000 GBP en 2003 (soit 18 % du chiffre d’affaires de 2003) et à 107 000 GBP en 2004 (soit 8,3 % du chiffre d’affaires de 2004). Cette activité publicitaire a ainsi permis d’assurer la promotion du Morton’s Club.

70      Il en résulte que, en l’espèce, la portée des marques non enregistrées antérieures peut être considérée comme dépassant le cadre purement local de Londres et comme n’étant pas limitée, du point de vue des tiers concernés, à une partie réduite du territoire pertinent.

71      S’agissant, deuxièmement, de la dimension économique de la portée des signes antérieurs en cause, il convient de relever que, comme l’a souligné la chambre de recours, le chiffre d’affaires du Morton’s Club était de plus de 1,3 million de GBP pendant les années 1995 à 2000. En 2002, l’intervenante a repris la gestion du Morton’s Club, qui est resté fermé pour rénovation pendant plusieurs mois, de août 2002 à avril 2004. Son chiffre d’affaires de 56 603 GBP en 2002 est ensuite passé à 634 954 GBP en 2003 et à 1 293 467 GBP en 2004.

72      L’utilisation effective des marques non enregistrées antérieures pendant la période pertinente a donc été démontrée en l’espèce et cette utilisation revêt une intensité non négligeable compte tenu des circonstances de l’espèce, liées à la fois au caractère sélectif du Morton’s Club et à sa fermeture pour rénovation jusqu’en avril 2004, soit trois mois avant la demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne contestée.

73      La requérante soutient que le Morton’s Club ne comptait que 529 membres en 2004, que ce club n’a d’importance que sur le plan local si l’on rapporte ces données au marché des produits alimentaires et des boissons et qu’aucun lien direct n’est établi entre les articles de presse et de nouvelles adhésions au Morton’s Club.

74      À cet égard, il convient de rappeler que, afin d’apprécier si l’utilisation des signes antérieurs a été suffisamment significative dans la vie des affaires, la dimension économique de la portée du signe doit être évaluée au regard de la durée pendant laquelle il a rempli sa fonction dans la vie des affaires et de l’intensité de son usage, au regard du cercle des destinataires parmi lesquels le signe en cause est devenu connu en tant qu’élément distinctif (arrêt du 24 mars 2009, GENERAL OPTICA, T‑318/06 à T‑321/06, EU:T:2009:77, point 37).

75      Or, en l’espèce, le Morton’s Club est un club privé existant depuis les années 70. Ses services de restaurant, de bar, de club et de divertissements sont fournis exclusivement à ses membres et à leurs invités. Cette exclusivité, soulignée par la chambre de recours, fait d’ailleurs partie de l’image du club. En outre, il ressort des éléments du dossier que la procédure d’adhésion à ce club est très sélective.

76      Il s’ensuit que le cercle des destinataires au regard duquel la portée économique du signe est évaluée, même si elle inclut les membres et leurs invités, est nécessairement réduit. Dès lors, au vu de ces circonstances particulières, l’argument de la requérante concernant le relativement faible nombre de membres du Morton’s Club à la date pertinente doit être écarté.

77      De même, les services de restaurant, de bar, de club et de divertissements du Morton’s Club sont fournis exclusivement à ses membres et à leurs invités. Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, les données économiques concernant les activités du Morton’s Club ne sauraient être rapportées à la taille du marché des produits alimentaires et des boissons au Royaume-Uni ou dans l’Union. Enfin, l’argument de la requérante fondé sur l’absence de lien direct entre les articles de presse et de nouvelles adhésions au Morton’s Club n’est pas de nature à infirmer la conclusion selon laquelle la portée économique des marques non enregistrées antérieures est suffisamment significative.

78      Il résulte de tout ce qui précède que l’utilisation des marques non enregistrées antérieures, bien que localisée à Londres, revêt, du point de vue du public concerné, une portée géographique qui n’est pas limitée à une partie réduite du territoire pertinent. En outre, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, la durée et l’intensité de l’utilisation desdites marques antérieures peuvent être considérées comme n’étant pas négligeables au sens de la jurisprudence applicable. C’est donc à juste titre que la chambre de recours a considéré que, en l’espèce, une reconnaissance suffisante par les consommateurs ciblés sur le territoire pertinent avait été prouvée.

79      Le cinquième grief, tiré de ce que la portée des marques non enregistrées antérieures en cause serait seulement locale, doit donc également être rejeté et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

80      Dès lors que l’annulation de la marque de l’Union européenne, prononcée par la chambre de recours, est ainsi confirmée, il n’y a pas lieu d’examiner le second moyen, fondé sur la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, par lequel la requérante conteste avoir agi de mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

81      Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son entièreté.

 Sur les dépens

82      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Morton’s of Chicago, Inc. est condamnée aux dépens.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mai 2017.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.