DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

5 octobre 2017 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie – Gel des fonds – Recours en annulation –Recevabilité – Base juridique – Réinscription du nom de la requérante fondée sur un nouveau motif – Obligation de motivation – Base factuelle – Droit de propriété – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑149/15,

Sirine Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda Ben Ali, demeurant à Tunis (Tunisie), représentée par Me S. Maktouf, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. Á. de Elera-San Miguel Hurtado et G. Étienne, puis par M. Á. de Elera-San Miguel Hurtado, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2015/157 du Conseil, du 30 janvier 2015, modifiant la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2015, L 26, p. 29), et du règlement d’exécution (UE) 2015/147 du Conseil, du 30 janvier 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 101/2011 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (JO 2015, L 26, p. 3), en tant que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Gratsias (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 7 décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et cadre factuel

1        À la suite des événements politiques survenus en Tunisie au cours des mois de décembre 2010 et de janvier 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 31 janvier 2011, au visa, notamment, de l’article 29 TUE, la décision 2011/72/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2011, L 28, p. 62).

2        Aux termes des considérants 1 et 2 de la décision 2011/72 :

« (1)       Le 31 janvier 2011, le Conseil a réaffirmé à la [République tunisienne] et au peuple tunisien toute sa solidarité et son soutien en faveur des efforts déployés pour établir une démocratie stable, l’État de droit, le pluralisme démocratique et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

(2)       Le Conseil a décidé, en outre, d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens, qui privent ainsi le peuple tunisien des avantages du développement durable de son économie et de sa société et compromettent l’évolution démocratique du pays. »

3        Aux termes de l’article 1er de la décision 2011/72 :

« 1. Sont gelés tous les capitaux et ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens et aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, de même que tous les capitaux et ressources économiques qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par ces personnes, entités ou organismes, dont la liste figure à l’annexe.

2. Nuls capitaux ou ressources économiques ne peuvent être mis, directement ou indirectement, à la disposition de personnes physiques ou morales, d’entités ou d’organismes dont la liste figure à l’annexe ou utilisés à leur profit.

3. L’autorité compétente d’un État membre peut autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés ou la mise à disposition de certains capitaux ou ressources économiques, dans les conditions qu’elle juge appropriées […] »

4        Aux termes de l’article 2 de la décision 2011/72 :

« 1. Le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit la liste qui figure à l’annexe et la modifie.

2. Le Conseil communique sa décision à la personne ou à l’entité concernée, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3. Si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne ou l’entité concernée. »

5        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2011/72, « [l]’annexe indique les motifs de l’inscription sur la liste des personnes et entités ».

6        Aux termes de l’article 5 de la décision 2011/72 :

« La présente décision s’applique pendant une période de douze mois. Elle fait l’objet d’un suivi constant. Elle est prorogée ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. »

7        Sur la liste initialement annexée à la décision 2011/72 figurait uniquement le nom de deux personnes physiques, à savoir M. Zine El Abidine Ben Hamda Ben Ali, ancien président de la République tunisienne, et Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, son épouse.

8        Au visa de la « décision 2011/72 […], et notamment [de] son article 2, paragraphe 1, en liaison avec l’article 31, paragraphe 2, [TUE] », le Conseil a adopté, le 4 février 2011, la décision d’exécution 2011/79/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/72 (JO 2011, L 31, p. 40).

9        L’article 1er de la décision d’exécution 2011/79 énonçait que la liste annexée à la décision 2011/72 était remplacée par une nouvelle liste. Celle-ci visait 48 personnes physiques. À la vingt-septième ligne de cette nouvelle liste figurait, dans la colonne intitulée « Nom », la mention « Sirine Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda BEN ALI », la requérante. Dans la colonne intitulée « Information d’identification », il était précisé : « Tunisienne, née au Bardo le 21 août 1971, fille de Naïma EL KEFI, mariée à Mohamed Marouene MABROUK, conseiller au ministère des affaires étrangères, titulaire de la CNI n° 05409131. » Enfin, dans la colonne intitulée « Motifs », était indiqué : « Personne faisant l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour acquisition de biens immobiliers et mobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoirs financiers dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent. »

10      Conformément à son article 2, la décision d’exécution 2011/79 est entrée en vigueur le jour de son adoption, soit le 4 février 2011.

11      Au visa de l’article 215, paragraphe 2, TFUE ainsi que de la décision 2011/72, le Conseil a adopté le 4 février 2011, soit le jour de l’adoption de la décision d’exécution 2011/79, le règlement (UE) n° 101/2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (JO 2011, L 31, p. 1). Ainsi qu’il ressort de son considérant 2, ce règlement a été adopté, car les mesures instaurées par ladite décision « entr[aient] dans le champ d’application du [TFUE] et une action réglementaire au niveau de l’Union [était] donc nécessaire pour en assurer la mise en œuvre ».

12      L’article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 101/2011 reprend, en substance, les dispositions de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2011/72, tandis que les articles 4 et 6 dudit règlement reprennent, pour l’essentiel, respectivement le paragraphe 3 et le paragraphe 5 de l’article 1er de ladite décision. Par ailleurs, le contenu de l’annexe I de ce règlement était, lors de son adoption, identique à celui de l’annexe de cette décision, telle que modifiée par la décision d’exécution 2011/79.

13      Le 27 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/50/PESC, modifiant la décision 2011/72 (JO 2012, L 27, p. 11). L’article 1er de la décision 2012/50 modifiait l’article 5 de la décision 2011/72, de sorte que l’application des mesures restrictives prévues par l’annexe de cette dernière décision, telle que modifiée par la décision d’exécution 2011/79, soit prorogée jusqu’au 31 janvier 2013. L’article 2 de la décision 2012/50 précisait, quant à lui, qu’elle entrait en vigueur le jour de son adoption.

14      Le 31 janvier 2013, le Conseil a adopté la décision 2013/72/PESC, modifiant la décision 2011/72 (JO 2013, L 32, p. 20). L’article 1er de la décision 2013/72 modifiait l’article 5 de la décision 2011/72, de sorte que l’application des mesures restrictives prévues par l’annexe de cette dernière décision, telle que modifiée par la décision d’exécution 2011/79 et par la décision 2012/50, soit prorogée jusqu’au 31 janvier 2014. L’article 2 de la décision 2013/72 précisait, quant à lui, que cette dernière entrait en vigueur le jour de sa publication.

15      Le 30 janvier 2014, le Conseil a adopté la décision 2014/49/PESC, modifiant la décision 2011/72 (JO 2014, L 28, p. 38). Par son article 1er, paragraphe 1, la décision 2014/49 prorogeait jusqu’au 31 janvier 2015 l’application des mesures restrictives mentionnées au point 14 ci-dessus. En outre, son article 1er, paragraphe 2, prévoyait le remplacement de l’annexe de la décision 2011/72, telle que modifiée, en dernier lieu, par la décision 2013/72, par le texte qui figurait à son annexe. L’article 2 de la décision 2014/49 précisait, quant à lui, qu’elle entrait en vigueur le jour de sa publication.

16      À la vingt-septième ligne de l’annexe de la décision 2011/72, telle que remplacée par l’annexe de la décision 2014/49, figure, dans la colonne intitulée « Nom », la mention « Sirine Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda BEN ALI ». Dans la colonne intitulée « Information d’identification », il est précisé : « Tunisienne, née au Bardo le 21 août 1971, fille de Naïma EL KEFI, mariée à Mohamed Marouene MABROUK, conseiller au ministère des affaires étrangères, titulaire de la CNI n° 05409131 ». Enfin, dans la colonne intitulée « Motifs », est indiqué : « Personne faisant l’objet d’enquêtes judiciaires des autorités tunisiennes pour complicité dans le détournement par un fonctionnaire public de fonds publics, complicité dans l’abus de qualité par un fonctionnaire public pour procurer à un tiers un avantage injustifié et causer un préjudice à l’administration, et complicité dans l’abus d’influence auprès d’un fonctionnaire public en vue de l’obtention, directement ou indirectement, d’avantages au profit d’autrui. »

17      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 81/2014, mettant en œuvre le règlement n° 101/2011 (JO 2014, L 28, p. 2). En vertu de l’article 1er dudit règlement d’exécution, l’annexe du règlement n° 101/2011, telle que celle-ci avait été modifiée en ce qui concerne des personnes autres que la requérante par l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 735/2013 du Conseil, du 30 juillet 2013, mettant en œuvre le règlement n° 101/2011 (JO 2013, L 204, p. 23), a été remplacée. L’article 2 du règlement d’exécution n° 81/2014 précisait que ce dernier entrait en vigueur le jour de sa publication.

18      À la vingt-septième ligne de l’annexe du règlement n° 101/2011, telle que remplacée par celle du règlement d’exécution n° 81/2014, figurent des mentions identiques à celles figurant dans l’annexe de la décision 2011/72, telle que remplacée par celle de la décision 2014/49.

19      Le 26 novembre 2014, la requérante s’est adressée au Conseil pour avoir accès au dossier contenant tous les documents non confidentiels sur lesquels le Conseil se serait fondé pour adopter la mesure litigieuse.

20      En réponse à cette demande, le Conseil a communiqué à la requérante, le 17 décembre 2014, une lettre datée du 29 janvier 2011, adressée par le ministère des affaires étrangères tunisien à la délégation de l’Union européenne en Tunisie. Une liste était annexée à ladite lettre, sur laquelle figuraient les noms de plusieurs personnes physiques faisant l’objet d’une instruction judiciaire ouverte par les autorités tunisiennes, « pour acquisition de biens corporels mobiliers et immobiliers à l’étranger, ouverture de comptes bancaires, détention illicite de devises dans différents pays, dans le cadre de blanchiment d’argent par suite d’utilisation abusive des fonctions et des activités professionnelles et sociales ».

21      Par lettre du 5 janvier 2015, la requérante a demandé au Conseil de ne pas renouveler la mesure litigieuse. Le 12 janvier 2015, le Conseil lui a communiqué par lettre son intention de procéder à ce renouvellement et il y a annexé une attestation, datée du 19 décembre 2014, provenant du bureau du premier juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis et signée par le greffier en chef dudit tribunal.

22      L’attestation en cause, qui est annexée à la requête, concernait l’affaire n° 19592/1, en cours d’instruction, dirigée contre la requérante, « poursuivie notamment pour [c]omplicité dans le détournement par un fonctionnaire public de deniers publics[, c]omplicité dans l’abus de qualité par un fonctionnaire public pour procurer à un tiers un avantage injustifié et causer un préjudice à l’administration [et c]omplicité dans l’abus d’influence auprès d’un fonctionnaire public en vue de l’obtention directement ou indirectement d’avantages au profit d’autrui ».

23      Selon la requérante, le 22 janvier 2015, ses représentants ont répondu au Conseil « en invoquant, notamment, le fait qu’aucune procédure d’enquête significative n’a[vait] été engagée dans le cadre de la procédure pénale tunisienne depuis 2012 ».

24      Le 30 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/157, modifiant la décision 2011/72 (JO 2015, L 26, p. 29). Par l’article 1er de la décision 2015/157, d’une part, l’article 5 de la décision 2011/72 a été modifié pour prévoir la prorogation des mesures restrictives prévues par l’annexe de cette dernière jusqu’au 31 janvier 2016. D’autre part, trois des mentions figurant à l’annexe de cette dernière décision, concernant des personnes autres que la requérante, ont été modifiées. Enfin, en vertu de son article 2, la décision 2015/157 est entrée en vigueur le jour de sa publication.

25      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2015/147, mettant en œuvre le règlement n° 101/2011 (JO 2015, L 26, p. 3). En vertu de l’article 1er dudit règlement d’exécution, l’annexe du règlement n° 101/2011 a été modifiée, pour tenir compte des modifications apportées à l’annexe de la décision 2011/72 par la décision 2015/157. Conformément à son article 2, ce règlement d’exécution est entré en vigueur le jour de sa publication.

26      Selon la requérante, le 4 février 2015, le Conseil « a répondu […] par une décision motivée de rejet [à] la requête en date du 5 janvier 2015 ».

27      Ainsi qu’il ressort des documents annexés à la duplique, que la requérante n’a pas contestés, le 16 novembre 2015, le Conseil a communiqué aux représentants de la requérante son intention de renouveler la mesure litigieuse et leur a fixé un délai pour présenter leurs observations. Une lettre semblable a été envoyée par le Conseil aux représentants de la requérante le 18 décembre 2015. En annexe à cette dernière lettre figurait une attestation provenant du bureau du premier juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis et signée par le greffier en chef dudit tribunal, contenant les mêmes éléments que celle visée au point 22 ci-dessus, mais datée du 20 octobre 2015.

28      Le 28 janvier 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/119, modifiant la décision 2011/72 (JO 2016, L 23, p. 65). L’article 1er de la décision 2016/119 modifiait l’article 5 de la décision 2011/72, de sorte que les mesures restrictives prévues par l’annexe de cette dernière décision ont été prorogées jusqu’au 31 janvier 2017. Par ailleurs, alors que l’annexe de cette dernière décision a été remplacée en vertu du même article, les détails concernant la requérante et les motifs fondant l’inscription de son nom sont restés inchangés. En vertu de son article 2, la décision 2016/119 est entrée en vigueur le jour de sa publication.

29      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2016/111, mettant en œuvre le règlement n° 101/2011 (JO 2016, L 23, p. 1). En vertu de l’article 1er dudit règlement d’exécution, l’annexe du règlement n° 101/2011 a été modifiée afin de tenir compte des modifications apportées à l’annexe de la décision 2011/72 par la décision 2016/119. Ce règlement d’exécution est entré en vigueur le jour de sa publication, à savoir le 29 janvier 2016.

 Procédure et conclusions des parties

30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 mars 2015, la requérante a introduit le présent recours. Elle a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler « les décisions attaquées, pour autant qu’elles s’appliquent à la requérante » ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

31      Le 2 septembre 2015, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Il a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

32      À la suite de la modification de la composition des chambres du Tribunal, la présente affaire a été réattribuée à la cinquième chambre, par décision du 3 octobre 2016.

 En droit

 Sur la portée et la recevabilité des conclusions en annulation

33      Il convient, tout d’abord, de rappeler que, aux termes des dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, applicable lors du dépôt du présent recours, ainsi que de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit contenir l’objet du litige, cette indication devant être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut ainsi, pour qu’un recours soit recevable, que la requête indique avec un certain degré de précision quels sont les actes dont le requérant demande l’annulation (voir arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 73 et jurisprudence citée). En outre, il résulte de la jurisprudence que l’identification de l’acte attaqué peut résulter implicitement du contenu de la requête (voir, en ce sens, ordonnance du 13 avril 2011, Planet/Commission, T‑320/09, EU:T:2011:172, point 23 et jurisprudence citée).

34      Ainsi qu’il ressort du point 30 ci-dessus, dans les conclusions de la requête, la requérante se réfère de manière générale aux « décisions attaquées » sans indiquer formellement quels sont les actes dont elle vise l’annulation.

35      Toutefois, selon ce qui est rapporté aux points 5 à 9 de la requête (voir points 19 à 26 ci-dessus), ce n’est qu’après le renouvellement par la décision 2015/157 de la mesure litigieuse, que les représentants de la requérante avaient demandé au Conseil de ne pas effectuer, que la requérante a déposé le présent recours devant le Tribunal. Plus spécifiquement, ainsi qu’il ressort du texte même de la requête, le présent recours a été déposé après que la requérante a eu connaissance dudit renouvellement, le 30 janvier 2015, et après qu’elle a reçu, le 4 février 2015, le rejet explicite par le Conseil de la demande susmentionnée.

36      Par ailleurs, dans le cadre de son premier moyen, la requérante soutient, en substance, en reprenant les propos tenus le 19 janvier 2015 par le ministre délégué aux affaires européennes du Royaume-Uni, que, à la suite des élections législatives d’octobre 2014, il convient de considérer que la transition démocratique a pris fin en Tunisie. Selon elle, cette circonstance aurait dû amener le Conseil à la conclusion qu’il n’y avait plus besoin d’adopter des mesures telles que la mesure litigieuse. Or, ce moyen ne saurait être invoqué qu’à l’encontre de la prorogation de ladite mesure par la décision 2015/157 et non par les décisions antérieures à celle-ci. Ainsi, étant donné qu’aucune précision ne figure dans la requête concernant spécifiquement la portée de ce premier moyen, il convient de considérer que le présent recours vise l’annulation de la décision 2011/72, telle que prorogée, en dernier lieu, par la décision 2015/157, et du règlement n° 101/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution 2015/147, en ce que ces actes concernent la requérante.

37      C’est, par ailleurs, ainsi que, dans le mémoire en défense, le Conseil a interprété la requête. La requérante n’a pas contesté cette lecture dans la réplique, déposé le 29 octobre 2015. Elle l’y a, au contraire, confirmée. En effet, il est précisé, à la première page de la réplique, qu’y est visée l’annulation de la décision 2011/72 et du règlement n° 101/2011, tels que modifiés par la décision 2015/157 et le règlement d’exécution 2015/147, en ce que ces actes concernent la requérante.

38      La requérante n’a, enfin, émis aucun commentaire à l’égard du rapport d’audience qui lui a été communiqué par le Tribunal le 24 octobre 2016 et en première page duquel il était expressément indiqué que le présent recours visait l’annulation de la décision 2011/72, telle que prorogée, en dernier lieu, par la décision 2015/157, et du règlement n° 101/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution 2015/147.

39      Pour autant, lors de l’audience, la requérante a fait savoir au Tribunal qu’elle visait, en substance, l’annulation de la décision 2011/72 et du règlement n° 101/2011 ainsi que de l’ensemble des actes les ayant prorogés ou modifiés depuis 2011 en ce que ceux-ci la concernent. Plus précisément, son représentant a indiqué, lors de l’audience, que ledit recours visait à contester tant la première inscription du nom de la requérante à l’annexe en cause que tous les renouvellements du gel de ses fonds, à savoir non seulement le renouvellement intervenu en 2015, mais aussi les renouvellements antérieurs et postérieurs à celui-ci.

40      Or, une telle interprétation de la requête, d’une portée aussi large, ne ressort pas des écritures de la requérante et est, d’ailleurs, ainsi qu’il est indiqué du point 37 ci-dessus, directement contredite par la réplique.

41      En tout état de cause, même à considérer que, par ses conclusions exposées dans la requête, la requérante entendait viser l’ensemble des actes visés au point 39 ci-dessus, ces conclusions devraient être considérées comme étant, en ce qui concerne les actes adoptés par le Conseil à son égard tant avant qu’après le 30 janvier 2015, irrecevables pour les raisons suivantes.

 S’agissant des actes adoptés par le Conseil à l’égard de la requérante avant la décision 2015/157 et le règlement d’exécution 2015/147

42      Aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, tout recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance. Selon l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, lorsqu’un délai pour l’introduction d’un recours contre un acte d’une institution commence à courir à partir de la publication de l’acte, ce délai est à compter à partir de la fin du quatorzième jour suivant la date de la publication de l’acte au Journal officiel de l’Union européenne. Conformément aux dispositions du paragraphe 2 du même article, ce délai doit, en outre, être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

43      Selon une jurisprudence constante, le délai de recours prévu par l’article 263, sixième alinéa, TFUE est d’ordre public, ayant été institué en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir ordonnance du 7 janvier 2015, Cham/Conseil, T‑627/14, non publiée, EU:T:2015:10, point 13 et jurisprudence citée).

44      Plus spécifiquement, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre un acte imposant des mesures restrictives commence à courir uniquement à partir de la date de la communication de cet acte à l’intéressé, et non à la date de la publication de l’acte, compte tenu du fait que celui-ci s’apparente à un faisceau de décisions individuelles (voir ordonnance du 7 janvier 2015, Cham/Conseil, T‑627/14, non publiée, EU:T:2015:10, point 14 et jurisprudence citée).

45      Partant, si, certes, l’entrée en vigueur d’un acte a lieu au moment de sa publication, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre cet acte, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, court, pour chacune des personnes et entités qui y sont visées, à compter de la date de la communication qui doit leur en être faite (voir ordonnance du 7 janvier 2015, Cham/Conseil, T‑627/14, non publiée, EU:T:2015:10, point 16 et jurisprudence citée).

46      Selon l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 101/2011, dans sa version applicable en l’espèce, « [l]e Conseil communique sa décision à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme visé au paragraphe 1, y compris les motifs de l’inscription sur la liste, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations ».

47      Il ressort de la jurisprudence de la Cour en matière de mesures restrictives que, lorsque le cadre normatif en cause comporte une telle disposition et que l’adresse d’une des personnes intéressées n’est pas connue et que, par conséquent, il est impossible de procéder à la communication directe à cette personne, le délai dont cette personne dispose pour contester la mesure en ce que celle-ci la concerne doit être calculé à partir de la date des publications des avis tels que ceux visés à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 101/2011, à savoir à partir de la communication indirecte de la décision du Conseil à la personne concernée (voir ordonnance du 10 décembre 2015, NICO/Conseil, C‑153/15 P, non publiée, EU:C:2015:811, points 48 et 49 et jurisprudence citée, et arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, points 50 à 52 et jurisprudence citée).

48      Le Conseil a indiqué, lors de l’audience, d’une part, que ses services n’avaient pas connaissance de l’adresse de la requérante et, d’autre part, que des avis tels que ceux prévus à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 101/2011 ont été publiés au Journal officiel.

49      La requérante n’a fait aucun commentaire sur ce point spécifique. Elle n’a, notamment, pas nié que les services du Conseil ne disposaient pas de son adresse, à tout le moins avant que ses représentants ne prennent contact avec lesdits services, le 26 novembre 2014 (voir point 19 ci-dessus).

50      À cet égard, il y a lieu de constater, d’une part, qu’aucun élément du dossier ne permet de considérer que les services du Conseil avaient connaissance de l’adresse de la requérante, adresse qui ne figure, du reste, sur aucun des actes du Conseil la concernant. D’autre part, il convient de relever que le Conseil a, dans les faits, publié des avis tels que ceux visés à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 101/2011 tant après la première inscription du nom de la requérante sur l’annexe en cause (JO 2011, C 37, p. 6) qu’après chaque renouvellement de cette inscription durant la période en question (JO 2012, C 26, p. 2 ; JO 2013, C 31, p. 7 ; JO 2014, C 28, p. 7). Par conséquent, il convient de considérer que, en l’espèce, le Conseil avait, avant le 30 janvier 2015, procédé à une communication indirecte des actes adoptés par celui-ci à l’égard de la requérante, au sens de la jurisprudence citée au point 47 ci-dessus.

51      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que, pour chacune des actes adoptés par le Conseil à l’égard de la requérante avant le 30 janvier 2015, le délai de recours a commencé à courir à la date de la publication de l’avis correspondant au Journal officiel. Ainsi, même s’agissant des derniers actes adoptés par le Conseil avant le 30 janvier 2015, à savoir la décision 2014/49 et le règlement n° 81/2014, le délai de recours a commencé à courir le 31 janvier 2014, date de la publication de l’avis prévu à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 101/2011 au Journal officiel, ce qui implique que le présent recours, déposé le 26 mars 2015, à savoir plus d’un an après le 31 janvier 2014, est manifestement irrecevable en ce qu’il serait dirigé contre ces deux actes. Il en va, a fortiori, de même en ce qui concerne les actes adoptés par le Conseil avant le 31 janvier 2014.

52      Force est, à cet égard, de constater que la requérante n’a pas établi, ni même allégué, l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure, au sens de l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui lui permettrait de ne pas se voir opposer une déchéance tirée de l’expiration du délai de recours en annulation des actes adoptés par le Conseil à son égard avant le 30 janvier 2015.

53      Certes, lors de l’audience, le représentant de la requérante a fait état de l’état psychologique fragile dans lequel se serait trouvée sa mandataire depuis 2011. Toutefois, même à supposer que cette circonstance ait été invoquée comme un élément tendant à justifier le dépôt tardif de la requête s’agissant des actes adoptés par le Conseil à l’égard de la requérante avant le 30 janvier 2015, il n’a pas été établi que la gravité de l’état de cette dernière était tel qu’elle l’aurait empêchée de gérer soigneusement ses affaires et de faire preuve de diligence afin de respecter le délai de recours prévu par l’article 263, alinéa 6, TFUE [voir, en ce sens, ordonnance du 3 octobre 2012, Tecnimed/OHMI – Ecobrands (ZAPPER-CLICK), T‑360/10, non publiée, EU:T:2012:517].

54      Enfin, il convient de relever que la date à laquelle la requérante a eu effectivement connaissance des actes adoptés par le Conseil à son égard avant le 30 janvier 2015 n’est pertinente, dans un cas comme celui de l’espèce, qu’à titre subsidiaire, à défaut de la publication ou de la notification de l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2009, ISD Polska e.a./Commission, T‑273/06 et T‑297/06, EU:T:2009:233, point 55 et jurisprudence citée).

55      Or, ainsi qu’il a été exposé au point 46 ci-dessus, la règlementation applicable en l’espèce prévoit la notification, soit directe soit indirecte, des actes en cause. Il ressort, en outre, de ce qui précède que le Conseil a procédé à une telle notification indirecte des actes adoptés avant le 20 janvier 2015, conformément à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 101/2011, par la publication des avis mentionnés au point 50 ci-dessus.

56       Par conséquent, au vu de la jurisprudence citée au point 54 ci-dessus, la date à laquelle la requérante a eu réellement connaissance des actes en question ne saurait être considérée comme étant pertinente en l’espèce pour la computation du délai de recours dont elle disposait afin de demander l’annulation des actes adoptés par le Conseil à son égard avant le 30 janvier 2015.

 S’agissant des actes adoptés par le Conseil à l’égard de la requérante après la décision 2015/157 et le règlement d’exécution 2015/147

57      En réponse à une question que le Tribunal lui a adressée lors de l’audience, la requérante, tout en reconnaissant qu’il n’y avait, dans ses écritures, aucune référence à des actes adoptés par le Conseil à son égard après le 30 janvier 2015, a précisé qu’elle entendait, dans le cadre de la présente affaire, contester également tout renouvellement de la mesure litigieuse intervenu après cette date.

58      Le Conseil a excipé, lors de l’audience, de l’irrecevabilité de la contestation du renouvellement de la mesure pour 2016, dans la mesure où il n’y avait pas eu de demande d’adaptation des conclusions de la part de la requérante, au sens de l’article 86 du règlement de procédure.

59      Il convient de rappeler, d’emblée, que le Tribunal ne peut être valablement saisi que d’une demande tendant à l’annulation d’un acte existant et faisant grief. En effet, un recours en annulation ne saurait viser le contrôle spéculatif d’actes hypothétiques non encore adoptés (voir arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 72 et jurisprudence citée).

60      Il ressort, certes, de l’article 86, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure que, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau. L’adaptation de la requête doit être effectuée par acte séparé et dans le délai, prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, dans lequel l’annulation de l’acte justifiant l’adaptation de la requête peut être demandée. Lors de l’audience, le Tribunal a rappelé la teneur de ces dispositions au représentant de la requérante.

61      Il convient, dès lors, de vérifier si les précisions fournies par la requérante lors de l’audience sont susceptibles d’être qualifiées d’adaptation de ses conclusions au sens de l’article 86 du règlement de procédure et si une telle adaptation peut être considérée comme étant recevable.

62      Or, force est de constater que, même à considérer que la requérante ait entendu adapter ses conclusions afin que celles-ci visent également les actes adoptés par le Conseil à son égard en 2016, à savoir les seuls adoptés après le dépôt du présent recours et avant la tenue de l’audience dans la présente affaire, elle n’a demandé lors de l’audience une telle adaptation de la requête qu’oralement. Dès lors, en l’absence d’une demande d’adaptation de la requête formulée, conformément aux exigences de l’article 86, paragraphe 2, du règlement de procédure, dans un acte séparé, il y a lieu de la rejeter comme étant irrecevable (arrêt du 2 juin 2016, HX/Conseil, T‑723/14, sous pourvoi, EU:T:2016:332, point 29), et cela indépendamment de la question de savoir si une telle adaptation aurait pu être considérée comme étant formulée dans le délai prévu par l’article 86 dudit règlement.

63      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que, même à supposer que la requérante visait, dans la requête, en plus de l’annulation des actes adoptés par le Conseil à son égard le 30 janvier 2015, l’annulation des actes adoptés par le Conseil à son égard avant et après cette date, le présent recours ne saurait être considéré comme étant recevable qu’uniquement en ce qu’il vise l’annulation de la décision 2011/72, telle que prorogée, en dernier lieu, par la décision 2015/157, et du règlement n° 101/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution 2015/147.

64      Certes, en ce qui concerne plus spécifiquement le règlement d’exécution 2015/147, il ressort des points 24 et 25 ci-dessus qu’il se borne à introduire des modifications à l’annexe au règlement n° 101/2011 concernant des personnes autres que la requérante, sans remplacer l’annexe de ce dernier règlement par une nouvelle annexe.

65      Toutefois, il y a lieu, en l’espèce, d’examiner le recours sur le fond s’agissant du règlement n° 101/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution 2015/147, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si la requérante avait un intérêt à agir à l’encontre de ce dernier (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 54 et jurisprudence citée).

 Sur le bien-fondé des conclusions en annulation

66      À l’appui du recours, la requérante soulève, en substance, cinq moyens. Ils sont tirés, le premier, d’une exception d’illégalité fondée sur l’absence de base légale de la décision 2011/72, telle que prorogée, en dernier lieu, par la décision 2015/157, et du règlement n° 101/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution 2015/147, le deuxième, de la violation de l’obligation de motivation, le troisième, du non-respect des critères posés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 101/2011, le quatrième, de l’insuffisance de la base factuelle de la mesure litigieuse et, le cinquième, d’une violation du droit de propriété.

67      Avant de procéder à l’examen de ces cinq moyens, il y a lieu de relever que, lors de l’audience, le représentant de la requérante s’est référé à une prétendue violation des droits de la défense de cette dernière. Or, ce moyen, qui n’a été invoqué ni directement ni implicitement dans la requête et ne présente pas de lien étroit avec les autres moyens invoqués dans celle-ci, est un moyen nouveau, au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure. Il s’ensuit qu’il est irrecevable à moins qu’il ne se fonde sur des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés pendant la procédure (voir arrêt du 6 juillet 2000, AICS/Parlement, T‑139/99, EU:T:2000:182, point 62 et jurisprudence citée).

68      En l’espèce, le représentant de la requérante s’est contenté d’invoquer l’état psychologique dans lequel se trouvait la requérante depuis 2011 et d’indiquer que cette dernière ne lui avait fait part de l’absence de notification des actes litigieux par le Conseil que lors de leur dernière rencontre.

69      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, afin qu’une donnée factuelle soit qualifiée d’élément de fait révélé pendant la procédure au sens de de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, il ne suffit pas que le requérant en ait pris connaissance pendant la procédure devant le Tribunal. Il faut encore que le requérant n’ait pas été en mesure d’avoir connaissance de cette donnée antérieurement [arrêt du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI – Hoo Hing (Golden Elephant Brand), T‑303/08, EU:T:2010:505, points 162 à 169]. Il s’ensuit que le moment auquel le représentant du requérant a été mis en mesure d’avoir connaissance de l’élément de fait invoqué n’est pas pertinent s’agissant de la qualification de celui-ci d’élément révélé pendant la procédure au sens de la disposition susmentionnée.

70      Partant, les circonstances invoquées par le représentant de la requérante lors de l’audience ne sauraient justifier la présentation tardive du moyen tiré de la violation des droits de la défense de cette dernière.

 Sur le premier moyen, tiré d’une exception d’illégalité fondée sur l’absence de base légale de la décision 2011/72, telle que prorogée, en dernier lieu, par la décision 2015/157, et du règlement n° 101/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution 2015/147

71      La requérante fait valoir, tout d’abord, que la décision 2011/72 viole l’article 29 TUE en ce que son objectif n’entre plus dans la cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), telle que celle-ci est définie à l’article 24, paragraphe 1, et à l’article 21, paragraphe 1, sous b) et d), TUE. Selon elle, les motifs pour lesquels ladite décision et, par conséquent, les mesures qui y sont visées ont été prises ne sont plus valables, dans la mesure où, parmi « les pays qui ont fait l’expérience des changements initiés par le “printemps arabe” », la République tunisienne est à ce jour « peut-être le seul à s’être transformé en une société démocratique stable et pleinement florissante sur le plan économique ». À l’appui de ses allégations, elle invoque des propos du ministre délégué aux affaires européennes du Royaume-Uni sur le sujet, qui, en se référant notamment aux élections législatives d’octobre 2014, aurait affirmé que la transition démocratique aurait été achevée en Tunisie en 2014. Ainsi, elle considère qu’il n’y a plus lieu de prouver l’existence d’un lien entre les détournements de fonds présumés et l’entrave au développement économique ou social du pays concerné.

72      Ensuite, dans le cadre de son quatrième moyen, la requérante soutient, notamment, que l’objectif sous-jacent et véritable de la mesure litigieuse est de garantir la confiscation de ses avoirs en cas de condamnation des personnes faisant l’objet d’une enquête dans le cadre d’une procédure judiciaire nationale et que cet objectif « confiscatoire » ne peut constituer un objectif valable dans le cadre de la PESC.

73      Enfin, dans la réplique, la requérante souligne que, si, en vertu de l’article 29 TUE, le Conseil est habilité « à soutenir les mouvements sociaux de peuples étrangers dans leur quête de démocratie et de liberté », il n’est pas autorisé, au regard des dispositions du traité UE, à imposer des sanctions économiques et financières à l’encontre de personnes ou entités qui sont ressortissantes d’États tiers.

74      Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.

75      Il convient à cet égard de rappeler, d’emblée, qu’il a déjà été jugé que, les dispositions normatives de la décision 2011/72, notamment celles de l’article 1er de cette décision, répondant aux trois critères qui résultent des dispositions combinées, d’une part, des articles 21 et 23, de l’article 24, paragraphe 1, de l’article 25 ainsi que de l’article 28, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et, d’autre part, de l’article 29 TUE, ladite décision pouvait légalement être adoptée sur le fondement de l’article 29 TUE et voir son application prorogée sur ce même fondement (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑224/14, non publié, EU:T:2016:375, points 66 à 73 et jurisprudence citée).

76      Plus spécifiquement, il a été jugé que la décision 2011/72 procédait pleinement de la PESC et répondait à ses objectifs définis par l’article 21 TUE. En effet, ainsi qu’il ressort de son considérant 1, ladite décision vise à soutenir les « efforts déployés [par le peuple tunisien] pour établir une démocratie stable, l’État de droit, le pluralisme démocratique et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Cette décision s’inscrit, par conséquent, dans le cadre d’une politique de soutien aux nouvelles autorités tunisiennes, destinée à favoriser la stabilisation tant politique qu’économique de la République tunisienne. Elle vise, notamment, selon son considérant 2, à aider les autorités tunisiennes dans leur lutte contre le détournement de fonds revenant à l’État tunisien, en gelant les avoirs de personnes « responsables » de détournement de tels fonds, qui privent, ainsi, le peuple tunisien des avantages du développement durable de son économie et de sa société et compromettent l’évolution démocratique du pays (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 67 et jurisprudence citée).

77      Il ressort de ce qui précède que les mesures adoptées par le Conseil dans le cadre de la décision 2011/72 ont pour seul objet, contrairement à ce que prétend la requérante (voir point 72 ci-dessus), de favoriser la stabilisation tant politique qu’économique en Tunisie, en préservant la possibilité pour les autorités tunisiennes de recouvrer les fonds publics détournés susceptibles d’être détenus par des personnes responsables de tels actes. Par conséquent, en adoptant de telles mesures, de nature purement conservatoire, à l’encontre de ces personnes, le Conseil vise à faciliter tant la constatation d’actes commis au détriment des autorités tunisiennes que la restitution de leur produit (voir, par analogie, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, points 78 et 206, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 68). En effet, ainsi qu’il a été jugé, lesdites mesures sont dépourvues de connotation pénale et ne sauraient être qualifiées de sanctions prises à l’égard des personnes concernées (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, points 78 à 84 et 155 et jurisprudence citée).

78      Il a été également jugé que l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 101/2011, qui définit le champ d’application du gel d’avoirs instauré par celui-ci, reprend les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72. Par conséquent, le gel d’avoirs qu’il instaure a été prévu par une décision prise dans le cadre de la PESC, à savoir la décision 2011/72, telle que prorogée successivement, et répond aux conditions posées par l’article 215, paragraphe 2, TFUE (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, points 73 et 74 et jurisprudence citée).

79      Ces constatations ne sauraient être remises en cause par l’argumentation avancée par la requérante, qui, en invoquant le prétendu aboutissement de la transition démocratique de la République tunisienne depuis 2011, cherche, en réalité, bien qu’elle n’invoque pas expressément l’article 277 TFUE, à contester la légalité du maintien, en 2015, du régime dans lequel s’inscrit la mesure litigieuse, en général. Plus spécifiquement, la requérante prétend, en substance, que ce maintien ne répond plus aux objectifs de l’article 21 TUE (voir point 76 ci-dessus) et qu’il est, par conséquent, privé de base légale.

80      Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, selon la jurisprudence, le législateur de l’Union européenne dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. La Cour en a déduit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120).

81      En l’espèce, ainsi que le Conseil le fait valoir en se référant à ses conclusions du 19 janvier 2015, il n’a pas considéré, contrairement à ce que prétend la requérante, que le processus de transition démocratique en Tunisie avait abouti. À cet égard, les différentes évolutions mises en avant par la requérante ne démontrent pas que le Conseil aurait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de ce processus. En effet, si ces évolutions témoignent de progrès, elles ne permettaient pas de conclure, de manière évidente, à l’achèvement de ce processus, ce dernier étant notamment subordonné, comme l’indique le Conseil dans ses conclusions susmentionnées, à la consolidation de l’État de droit et des acquis démocratiques de la nouvelle Constitution tunisienne.

82      Force est de constater que, en l’espèce, aucun élément invoqué par la requérante n’est susceptible de démontrer que le maintien du régime dans lequel s’inscrit la mesure litigieuse est manifestement inapproprié par rapport à l’objectif que le Conseil entend poursuivre, à savoir faciliter tant la constatation d’actes commis au détriment des autorités tunisiennes que la restitution de leur produit, dans le but ultime de favoriser la stabilisation tant politique qu’économique en Tunisie (voir point 77 ci-dessus).

83      Ensuite, même à supposer que, ainsi que le prétend la requérante, la transition démocratique de l’État tunisien, en cours entre 2011 et le maintien du régime en cause en 2015, soit en train d’aboutir, l’objectif énoncé par le Conseil dans la décision 2011/72 et rappelé au point 76 ci-dessus demeure, contrairement à ce qui est affirmé dans la requête, toujours valable. En effet, cet objectif demeure valable aussi longtemps que des personnes responsables d’actes de détournement de fonds publics tunisiens, au sens de cette décision, commis avant le 14 janvier 2011, sont susceptibles de retenir de tels fonds et de continuer à priver, ainsi, le peuple tunisien des avantages du développement durable de son économie et de sa société et à compromettre, par ricochet, l’évolution démocratique future du pays. Par conséquent, le soutien du processus de transition démocratique en Tunisie ne représentant qu’un objectif final de la politique dans le cadre de laquelle s’inscrit le gel des fonds adoptée sur le fondement de la décision 2011/72 (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 143), la décision portant sur l’éventuel renouvellement d’une telle mesure ne saurait dépendre de l’aboutissement du processus en cause, mais dépend de l’aboutissement des procédures judiciaires qui ont comme objectif la récupération de fonds détournés revenant à l’État tunisien. Par conséquent, il convient de considérer que le maintien, en 2015, du régime dans lequel s’inscrit la mesure litigieuse est justifié au regard des objectifs de la PESC.

84      S’agissant, enfin, de l’argument de la requérante exposé au point 73 ci-dessus, il suffit de rappeler que, lorsqu’une décision, adoptée conformément au titre V, chapitre 2, TUE, le prévoit, comme en l’espèce, le Conseil peut adopter des mesures restrictives, telles que la mesure litigieuse, à l’encontre de n’importe quelle « personne physique ou morale » ou « entité non étatique » ou de n’importe quel « groupe », y compris de ressortissants de pays tiers (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑224/14, non publié, EU:T:2016:375, point 77 et jurisprudence citée).

85      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen invoqué par la requérante.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

86      Au point 15 de la requête, la requérante reproche au Conseil une violation de son obligation de motivation. Elle soutient, à cet égard, que l’exposé des motifs de l’adoption de la mesure litigieuse n’est pas fondamentalement différente de la formule employée au considérant 2 de la décision 2011/72. Elle fait, enfin, valoir que ledit exposé des motifs ne mentionne pas d’éléments susceptibles de l’éclairer sur l’identité du fonctionnaire public dont les autorités tunisiennes lui reprochent de s’être rendue complice.

87      Le Conseil conteste cette argumentation.

88      Il convient de rappeler d’emblée que, aux termes de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es actes juridiques [adoptés par les institutions de l’Union] sont motivés ».

89      Par ailleurs, en vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit à une bonne administration comprend notamment « l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ».

90      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 94 et jurisprudence citée).

91      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 95 et jurisprudence citée).

92      En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée. Sous les réserves énoncées au point 91 ci-dessus, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 96 et jurisprudence citée).

93      En l’espère, il convient de constater que les annexes de la décision 2011/72 et du règlement n° 101/2011, telles que modifiées par la décision 2015/157 et le règlement d’exécution 2015/147, indiquent, de manière univoque, les considérations de droit sur lesquelles elles reposent. En effet, d’une part, au considérant 1 de la décision 2015/157, il est fait référence à la décision 2011/72 et son annexe renvoie, quant à elle, à l’article 1er de cette dernière décision. D’autre part, le règlement n° 101/2011, « et notamment son article 12 », est visé par le règlement d’exécution 2015/147, dont l’annexe renvoie à son article 2, paragraphe 1.

94      Par ailleurs, il ressort tant de l’annexe de la décision 2011/72 que de celle du règlement n° 101/2011, tels que modifiés, respectivement, en dernier lieu, par la décision 2015/157 et le règlement d’exécution 2015/147, que la requérante a été assujettie à un gel de ses avoirs au motif qu’elle faisait l’objet d’enquêtes judiciaires des autorités tunisiennes pour complicité dans le détournement par un fonctionnaire public de deniers publics, complicité dans l’abus de qualité par un fonctionnaire public pour procurer à un tiers un avantage injustifié et causer un préjudice à l’administration, et complicité dans l’abus d’influence auprès d’un fonctionnaire public en vue de l’obtention, directement ou indirectement, d’avantages au profit d’autrui. Les considérations de fait sur le fondement desquelles le Conseil a estimé que la requérante devait faire l’objet du gel d’avoirs prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 101/2011 sont ainsi suffisamment circonstanciées pour que celle-ci puisse en contester l’exactitude devant le Conseil, puis devant le juge de l’Union (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 98 et jurisprudence citée). En outre, contrairement à ce que prétend la requérante (voir point 86 ci-dessus), ces considérations diffèrent essentiellement de la formule employée au considérant 2 de la décision 2011/72 (voir point 2 ci-dessus).

95      La motivation relative à la mesure litigieuse ne présente d’ailleurs pas un caractère stéréotypé. En effet, elle ne consiste pas seulement en une formulation générale. Certaines considérations sont, certes, semblables à celles sur le fondement desquelles des personnes physiques autres que la requérante ont été mentionnées aux annexes de la décision 2011/72 et du règlement n° 101/2011, tels que modifiés, et soumises à un gel de leurs avoirs. Toutefois, de telles considérations visent à décrire la situation concrète de la requérante qui, au même titre que d’autres, d’après le Conseil, fait l’objet de procédures judiciaires présentant un lien avec des investigations portant sur les délits décrits au point 94 ci-dessus (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 99 et jurisprudence citée).

96      Au demeurant, cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante, qui prétend que l’exposé des motifs la concernant ne contient pas « d’éléments susceptibles de [l’]éclairer […] sur l’identité du fonctionnaire public dont les autorités tunisiennes lui reprochent de s’être rendue complice » (voir point 86 ci-dessus), étant donné que, en l’espèce, les actes litigieux permettent à la requérante de comprendre la portée de la mesure prise à son égard, à savoir que ses avoirs ont été gelés par le Conseil du fait qu’une procédure judiciaire notamment pour complicité dans le détournement par un fonctionnaire public de fonds publics tunisiens est menée à son égard en Tunisie.

97      En effet, pour satisfaire à l’obligation de motivation, le Conseil n’était tenu d’exposer ni les faits reprochés à la requérante par les autorités tunisiennes ni, encore moins, l’identité d’autres personnes soupçonnées d’être impliquées dans ces faits. La seule référence à la nature des actes reprochés à la requérante par les autorités tunisiennes, dans le cadre d’ « enquêtes judiciaires », était susceptible de lui permettre de contester utilement la décision 2011/72 et le règlement n° 101/2011, tels que modifiés, en dernier lieu, par la décision 2015/157 et le règlement d’exécution 2015/147 (voir, par analogie, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 100 et jurisprudence citée).

98      Par suite, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré du non-respect des critères posés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 101/2011

99      Une partie de l’argumentation développée par la requérante dans le cadre du moyen d’annulation qu’elle tire d’une erreur manifeste d’appréciation vise, en réalité, à contester le respect, par le Conseil, lors de l’adoption de la mesure litigieuse, des critères énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 101/2011. Elle se réfère, notamment, à la lettre du 29 janvier 2011 (voir point 20 ci-dessus), adressée par le ministère des affaires étrangères tunisien à la délégation de l’Union en Tunisie, en faisant remarquer que celle-ci ne contient aucune indication relative au détournement présumé de fonds publics, mais qu’il y est mentionné un « blanchiment d’argent par suite d’utilisation abusive des fonctions et des activités professionnelles et sociales ». Dans la réplique, elle fait valoir que c’est sur cette note verbale du 29 janvier 2011 que le Conseil s’est fondé pour adopter la mesure litigieuse, alors qu’elle n’a jamais été entendue pour des faits de blanchiment d’argent ni, par ailleurs, accusée de tels faits. Au vu de ce qui vient d’être exposé et au regard du principe de légalité des délits et des peines, la requérante soutient que la décision 2011/72 doit être considérée comme étant nulle.

100    Sans contester qu’elle fait l’objet d’une procédure judiciaire pour complicité dans le détournement par un fonctionnaire public de fonds publics, la requérante fait, néanmoins, valoir que les autres infractions qui lui sont reprochées par les autorités tunisiennes, réprimées par les articles 87 et 96 du code pénal tunisien, « ne portent pas nécessairement sur le détournement […] de “fonds publics” ». Elle note, en outre, que les dispositions prévoyant des sanctions administratives doivent être interprétées strictement, conformément au principe de la présomption d’innocence.

101    La requérante fait valoir que, en tout état de cause, il n’a pas été prouvé qu’elle a exercé elle-même une fonction publique ou qu’elle a facilité des actes de détournement de fonds publics commis par un fonctionnaire public. Elle considère, en outre, qu’elle a été privée pendant plus de quatre ans de ses biens, ce qui équivaut à une condamnation que le Conseil n’aurait pas le droit d’infliger, notamment en l’absence d’un jugement définitif la condamnant. Selon elle, l’adoption de la mesure litigieuse est, par conséquent, contraire au principe de la présomption d’innocence.

102    Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.

103    S’agissant, premièrement, de l’argumentation de la requérante exposée au point 99 ci-dessus, force est de constater, à l’instar du Conseil, que celui-ci n’a pas renouvelé, par la décision 2015/157, la mesure litigieuse sur le fondement de la lettre émanant du ministère des affaires étrangères tunisien datée du 29 janvier 2011, mais sur le fondement de l’attestation provenant du bureau du premier juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis, signée par le greffier en chef dudit tribunal, datée du 19 décembre 2014 et citée aux points 21 et 22 ci-dessus, selon laquelle la requérante est poursuivie en Tunisie « pour [c]omplicité dans le détournement par un fonctionnaire public de deniers publics, [c]omplicité dans l’abus de qualité par un fonctionnaire public pour procurer à un tiers un avantage injustifié et causer un préjudice à l’administration [et c]omplicité dans l’abus d’influence auprès d’un fonctionnaire public en vue de l’obtention directement ou indirectement d’avantages au profit d’autrui ». Partant, les affirmations figurant dans la lettre susmentionnée, indépendamment de leur nature et de leur exactitude, ne sauraient être considérées comme étant pertinentes en l’espèce.

104    Deuxièmement, en ce qui concerne l’argumentation de la requérante selon laquelle les autorités tunisiennes lui reprochent d’autres actes que le détournement de fonds publics, il y a lieu de l’écarter. En effet, selon la jurisprudence, il suffit qu’un seul de plusieurs motifs retenus par le Conseil soit valable pour que le maintien du nom de la requérante aux annexes des actes litigieux soit légalement justifié (arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 45, et du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 100).

105    Tel paraît être le cas en l’espèce, s’agissant du premier motif retenu à l’encontre de la requérante, qui repose, ainsi que le reconnaît, au point 20 de la requête, la requérante, sur son implication présumée dans des faits qualifiés par les autorités tunisiennes de « détournement de deniers publics », au sens de l’article 99 du code pénal tunisien, cité par la requérante au point 10 de la requête.

106    En effet, la notion de détournement de fonds publics, employée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 et à l’article 2 du règlement n° 101/2011, est une notion claire et précise qui, dans son sens courant, désigne l’usage illicite de fonds ou de biens appartenant à une personne publique ou placés sous son contrôle à des fins contraires à celles auxquelles ces fonds ou ces biens sont destinés, en particulier à des fins privées. Une telle notion exclut en particulier tous les actes délictueux liés au maniement illicite de fonds privés (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 94).

107    Toutefois, il y a lieu, à cet égard, de rappeler que, compte tenu des objectifs du gel d’avoirs prévu par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, tels que rappelés au point 77 ci-dessus, il convient de retenir une interprétation large des dispositions de cet article qui déterminent le cercle des personnes visées par ce gel d’avoirs. Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la requérante (voir point 100 ci-dessus), compte tenu du caractère purement conservatoire de ce gel d’avoirs, le principe général du droit de l’Union de légalité des délits et des peines, consacré par l’article 49, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux, d’une part, et celui de la présomption d’innocence, consacré par l’article 48, paragraphe 1, de ladite charte, d’autre part, ne sont pas applicables et ne sauraient, par conséquent, s’opposer à une telle interprétation (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, points 70 à 84, et du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 85).

108    S’il peut, ainsi, au regard des objectifs des actes litigieux, s’avérer nécessaire de geler les avoirs des personnes responsables d’agissements illicites n’ayant pas été qualifiés pénalement par les autorités tunisiennes de détournement de fonds publics, mais ayant néanmoins eu pour effet de priver indûment les collectivités publiques tunisiennes de fonds qui leur revenaient, la notion de détournement de fonds publics vise, à tout le moins, des agissements susceptibles de recevoir la qualification, en droit pénal tunisien, de détournement de deniers publics (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, points 97 et 95).

109    Partant, il y a lieu d’écarter l’argumentation de la requérante exposée au point 100 ci-dessus, sans qu’il soit besoin d’examiner si les deux autres catégories d’actes dont relèvent ceux reprochés à la requérante sont susceptibles d’être qualifiés de « détournement de fonds publics tunisiens » au sens de la décision 2011/72.

110    Il en va de même de l’argument par lequel la requérante fait valoir que, même à supposer qu’elle ait été impliquée dans des actes de détournement de fonds publics, « elle ne saurait être tenue à l’heure actuelle pour responsable de détournement de fonds publics » et que, dès lors, son nom aurait été inclus dans la liste en cause en violation de la décision 2011/72. En effet, force est, à cet égard, de constater que le fait qu’une personne n’est plus, au moment de l’inscription de son nom sur ladite liste, impliquée activement dans des actes de détournement de fonds publics ne saurait suffire à remettre en cause la qualification de ladite personne de responsable, au sens de la décision 2011/72, de faits de détournement antérieurs. Partant, au vu des objectifs de la décision 2011/72, tels que rappelés au point 76 ci-dessus, le Conseil n’a pas commis l’erreur de droit que lui reproche la requérante.

111    Par ailleurs, la requérante semble considérer que, en adoptant la mesure litigieuse, le Conseil a violé les critères énoncés à l’article 1er de la décision 2011/72 et à l’article 2 du règlement n° 101/2011, du fait que, d’une part, il n’y aurait pas de jugement définitif la condamnant et, d’autre part, les actes qui lui sont reprochés se limitent à des actes de complicité.

112    S’agissant de l’absence de jugement définitif condamnant la requérante pour avoir commis les actes qui lui sont reprochés, il suffit de rappeler que, compte tenu des objectifs de la décision 2011/72 (voir point 77 ci-dessus), et conformément à ce qui a été exposé au point 107 ci-dessus, il convient d’interpréter l’article 1er, paragraphe 1, de ladite décision en ce sens qu’il vise non seulement les personnes ayant été jugées responsables de faits de détournement de fonds publics tunisiens, mais également les personnes faisant l’objet d’une procédure judiciaire en cours visant à établir leur responsabilité dans la perpétration de faits spécifiques constitutifs de tels détournements. Il résulte, en effet, de la jurisprudence que, si l’adoption de mesures restrictives était subordonnée au prononcé de condamnations pénales à l’encontre des personnes suspectées d’avoir détourner des fonds, l’effet utile de la mesure en cause serait sérieusement compromis, dès lors que ces personnes disposeraient, au cours de cette procédure, du temps nécessaire pour transférer leurs avoirs en dehors de l’Union (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, points 71 et 72). Pour les mêmes raisons, dès lors qu’il est établi que la personne en cause fait l’objet, dans le cadre d’une procédure pénale, d’investigations de la part des autorités judiciaires, afin d’établir sa responsabilité dans la perpétration de faits spécifiques constitutifs de détournement de fonds publics, le stade exact auquel se trouve ladite procédure ne saurait constituer un élément susceptible de justifier son exclusion de la catégorie des personnes visées (arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 80).

113    À cet égard, il y a lieu de relever que, si les investigations conduites par le magistrat chargé de mener la procédure en cause devaient conduire, in fine, à écarter la responsabilité de la requérante, le Conseil serait alors tenu de mettre fin à la mesure litigieuse. Ainsi, pour les raisons exposées au point 112 ci-dessus, au regard de la nature conservatoire de ladite mesure et de son caractère temporaire et réversible, son application à un tel stade de la procédure judiciaire, comme en l’espèce, n’est pas entachée d’une erreur de droit (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 81 et jurisprudence citée).

114    Il en va de même en ce qui concerne les allégations de la requérante selon lesquelles les autorités tunisiennes ne lui ont reproché que d’être complice dans les actes de détournement de fonds publics. En effet, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 ne vise pas uniquement les personnes ayant été jugées coupables d’actes de détournement de fonds publics ou les personnes faisant l’objet de procédures judiciaires pour de tels actes, mais également les personnes faisant l’objet de telles procédures ou ayant été jugées coupables d’être leurs complices. En effet, même si l’étendue de la responsabilité du complice d’une infraction peut être considérée, selon le droit applicable et dans certains cas, comme moins importante que celle de son auteur principal ou de ses auteurs, il n’en demeure pas moins vrai que cette responsabilité, fût-elle minime, est susceptible d’entraîner une condamnation pénale (arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 110).

115    En l’espèce, il résulte des motifs de l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause qu’elle fait l’objet d’une procédure pénale, dont fait état l’attestation visée aux points 21 et 22 ci-dessus, menée par les autorités tunisiennes afin d’établir, notamment, sa complicité dans la perpétration des faits de détournement de deniers publics par un fonctionnaire public, sur le fondement de l’article 32 du code pénal tunisien, qu’elle cite au point 10 de la requête.

116    Selon les dispositions de l’article 32 du code pénal tunisien :

« Est considéré complice et puni comme tel : 1. celui qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations, artifices coupables, a provoqué à l’action ou donné des instructions pour la commettre, 2. celui qui, en connaissance du but à atteindre, a procuré des armes, instruments ou tous autres moyens susceptibles de faciliter l’exécution de l’infraction, 3. celui qui, en connaissance du but sus-indiqué, a aidé l’auteur de l’infraction dans les faits qui l’ont préparée ou facilitée ou dans ceux qui l’ont consommée, […] 4. celui qui a prêté, sciemment, son concours aux malfaiteurs pour assurer, par recel ou tous autres moyens, le profit de l’infraction ou l’impunité à ses auteurs, 5. celui qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs, exerçant des brigandages ou atteintes contre la sûreté de l’État, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur a fourni habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion. »

117    Eu égard à la portée de la notion de « complice » telle qu’elle ressort des dispositions de l’article 32 du code pénal tunisien, aucune erreur de droit ne saurait être imputée au Conseil au motif qu’il aurait considéré que le complice d’un détournement de fonds publics pouvait être regardé comme responsable au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72.

118    Au demeurant, en ce qui concerne les personnes faisant l’objet d’une procédure pénale pour complicité dans des faits qualifiables de détournement de fonds publics au sens de la décision 2011/72, même à supposer qu’elles ne soient pas susceptibles d’être qualifiées de responsables de tels faits, au sens de cette décision, eu égard à l’objectif poursuivi par cette dernière, elles relèvent, à tout le moins, de la catégorie des associés aux personnes responsables de détournement de fonds publics tunisiens, au sens de ladite décision. Cette dernière expression vise une catégorie particulièrement large dont est susceptible de relever toute personne, entité ou organisme qui présente des liens suffisamment étroits avec une personne responsable de détournement de fonds publics de telle sorte que ses avoirs pourraient avoir bénéficié du produit dudit détournement. Une interprétation plus stricte compromettrait l’effet utile de la disposition en cause, qui a pour objet d’éviter le contournement du gel d’avoirs par les personnes considérées comme responsables de détournement de fonds publics au moyen de transferts vers les avoirs des personnes ou entités qui leur sont associées. Or, même dans l’hypothèse où cette expression de « personnes associées » devrait être interprétée strictement, elle devrait, à tout le moins, inclure les personnes considérées comme les complices des auteurs d’un détournement de fonds publics, eu égard à leur degré particulièrement étroit d’association aux auteurs du crime ou du délit. Partant, dès lors que, concernant le cercle des personnes visées par le gel d’avoirs prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision, cette disposition ne prévoit aucune différence de traitement entre les personnes responsables de détournements de fonds publics et les personnes et entités qui leur sont associées, il est, en principe, sans incidence que la requérante soit inclus dans l’une ou l’autre de ces catégories (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 112 et jurisprudence citée).

119    Au vu de ce qui précède, force est de constater que la question de savoir si la requérante a effectivement exercé des fonctions de conseiller auprès du ministère des affaires étrangères tunisien, ainsi qu’il est indiqué à la vingt-septième ligne de l’annexe en cause (voir points 9 et 16 ci-dessus), est sans pertinence.

120    Enfin, certes, ainsi que le relève la requérante, l’exposé des motifs de l’adoption de la mesure litigieuse ne permet pas de l’éclairer sur l’identité du fonctionnaire public dont les autorités tunisiennes lui reprochent d’avoir été le complice. Toutefois, il y a lieu de relever que l’absence de cette mention ne saurait, en l’espèce, suffire pour constater que l’adoption de ladite mesure n’est pas conforme aux critères prévus par la décision 2011/72 et le règlement n° 101/2011. En effet, ainsi qu’il a déjà été exposé dans le cadre du présent moyen, l’existence d’une procédure judiciaire, menée à l’encontre de la requérante par les autorités tunisiennes pour des faits de complicité dans le détournement de fonds publics, au sens de la décision 2011/72, constitue un élément suffisant pour considérer que lesdits critères sont remplis.

121    Partant, au regard de tout ce qui a été exposé, il convient de rejeter le troisième moyen invoqué par la requérante.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’insuffisance de la base factuelle de la mesure litigieuse

122    Par son argumentation développée dans le cadre de ses deuxième et cinquième moyens, la requérante semble prétendre qu’aucun élément figurant dans les informations transmises par les autorités tunisiennes, sur lesquelles s’est appuyé le Conseil pour adopter la mesure litigieuse, ne saurait être qualifié d’élément précis et concret et, par conséquent, satisfaire au niveau de preuve requis en l’espèce.

123    La requérante soutient, en outre, en substance, que, au regard de la nature de la procédure pénale dont elle fait l’objet en Tunisie et du contenu de l’attestation visée au point 21 ci-dessus, le Conseil n’aurait pas dû adopter la mesure litigieuse. Elle conteste, ainsi, la suffisance de la base factuelle de ladite mesure.

124    Par ailleurs, la requérante semble faire valoir que, étant donné les circonstances de la procédure judiciaire menée par les autorités tunisiennes à son égard, le Conseil n’aurait pas dû se fier aux éléments fournis par lesdites autorités, mais aurait dû procéder à ses propres vérifications.

125    Ainsi, selon les allégations de la requérante, le fait qu’elle n’a été auditionnée qu’une seule fois dans le cadre de la procédure judiciaire dont elle fait l’objet démontre que ladite procédure est « en réalité […] un simulacre motivé par des raisons d’ordre politique ». Elle affirme d’ailleurs ne pas connaître les détails des infractions qui lui sont reprochées, tels que les dates de commission des faits en cause, les différents types de manquement reprochés et les personnes lésées. S’agissant plus particulièrement de ces dates, elle prétend que les infractions qui lui sont reprochées par les autorités tunisiennes « peuvent […] être considéré[e]s comme étant purement et simplement prescrit[e]s et [...] ne peuvent donner lieu à aucune action en justice à [son égard], à quelque titre que ce soit ».

126    Enfin, la requérante soutient, dans la réplique, que le Conseil ne saurait « avaliser les mesures juridiques prises conformément au droit interne d’un État qui n’est pas membre de l’Union européenne et, partant, prendre ces mesures pour base de l’une de ses propres décisions ». Selon elle, le Conseil n’a pas manifesté la moindre intention de solliciter « auprès des autorités judiciaires ou diplomatiques tunisiennes des informations suffisantes concernant [s]es antécédents pénaux ».

127    Le Conseil conteste cette argumentation.

128    Il convient de constater, d’emblée, que, contrairement à ce que prétend la requérante (voir point 122 ci-dessus), le Conseil s’est appuyé, pour renouveler la mesure litigieuse, sur l’attestation visée au point 21 ci-dessus, qui satisfait au niveau de preuve requis en l’espèce.

129    À cet égard, selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique, en l’espèce, une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, afin de contrôler si ces motifs peuvent être considérés comme suffisants en soi pour soutenir cette décision (voir arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 45 et jurisprudence citée ; arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 129).

130    En particulier, le contrôle du bien-fondé de l’inscription du nom d’une partie requérante sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives doit être effectué en appréciant si les faits allégués dans l’exposé des motifs justifiant cette inscription constituent une preuve suffisante que ladite partie requérante répond aux critères généraux fixés par le Conseil dans les actes litigieux pour délimiter le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures. Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En outre, il résulte de la jurisprudence que, pour apprécier la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être exigée du Conseil, il convient de tenir compte de la nature et de la portée spécifique des mesures restrictives, ainsi que de leur objectif (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 130 et jurisprudence citée).

131    Ainsi, lors de l’adoption d’une décision en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, le Conseil doit procéder à une appréciation des éléments dont il dispose pour déterminer si une personne relève ou non de la notion de « responsable de détournement de fonds publics » ou bien de la catégorie des « associés » à un tel responsable. En l’espèce, le Conseil a procédé à l’appréciation des faits relatés dans l’attestation visée au point 21 ci-dessus et a conclu à la prorogation de la mesure litigieuse.

132    Il est à rappeler que l’attestation en cause fait état d’une procédure pénale menée en Tunisie à l’encontre de la requérante, pour des faits de « [c]omplicité dans le détournement par un fonctionnaire public de deniers publics, [c]omplicité dans l’abus de qualité par un fonctionnaire public pour procurer à un tiers un avantage injustifié et causer un préjudice à l’administration [et c]omplicité dans l’abus d’influence auprès d’un fonctionnaire public en vue de l’obtention directement ou indirectement d’avantages au profit d’autrui ». Or, il ressort de ce qui a été exposé à l’occasion de l’examen du troisième moyen que, en considérant que la requérante relève, de ce fait, de la notion « [de] responsables du détournement de fonds publics tunisiens et [des] personnes […] qui leur sont associés », au sens de la décision 2011/72, le Conseil n’a pas commis une erreur de droit.

133    Cela étant établi, il y a lieu de relever que l’attestation en cause constitue une base factuelle suffisante pour fonder l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause. En effet, cette attestation mentionne l’affaire à laquelle elle se rapporte et le numéro sous lequel cette dernière est référencée, la qualité de fonctionnaire public de la ou des personnes impliquées, dont la requérante est accusée, par les autorités tunisiennes, d’avoir été la complice, la qualification pénale des faits dont ces personnes sont soupçonnées, le caractère antérieur au 14 janvier 2011 de ces faits ainsi que les dispositions du code pénal tunisien sur la base desquelles ces faits sont susceptibles d’être réprimés. Partant, au vu de l’ensemble des éléments figurant dans ladite attestation, l’absence d’informations concernant les dates précises auxquelles les actes reprochés à la requérante auraient été commis n’est pas susceptible de remettre en cause le caractère de pareille attestation en tant que base factuelle suffisante pour le renouvellement de la mesure litigieuse.

134    Force est de constater que la requérante ne fournit aucun élément concret de nature à remettre en cause l’exactitude des indications factuelles figurant dans l’attestation en cause et, notamment, l’existence de la procédure pénale qui y est visée. Au contraire, la requérante semble confirmer qu’elle fait l’objet de ladite procédure (voir point 125 ci-dessus). De même, aucun élément qui permettrait d’établir que cette procédure a été abandonnée avant l’adoption de la décision 2015/157 ou que la requérante n’en a jamais fait ou n’en fait plus l’objet ne ressort du dossier. Enfin, il importe de souligner qu’aucun élément du dossier ne saurait fonder des doutes quant à l’authenticité de ladite attestation, qui, ainsi qu’il a été exposé au point 133 ci-dessus, contient des informations spécifiques et concrètes concernant au moins une procédure pénale menée à l’encontre de la requérante par les autorités tunisiennes, et comporte la signature et le cachet du greffier du premier juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis ainsi que la signature du greffier en chef dudit tribunal, ce que la requérante ne remet pas en cause.

135    S’agissant, par ailleurs, des arguments par lesquels la requérante relève la prétendue imprécision des faits rapportés dans l’attestation en cause (voir point 125 ci-dessus), il y a lieu de les écarter. Certes, ladite attestation n’expose pas en détail les faits qui font l’objet de la procédure pénale qui y est visée. Toutefois, ce constat n’est pas susceptible de remettre en cause le caractère suffisant de cette attestation en tant que base factuelle pour l’adoption de la mesure litigieuse.

136    À cet égard, ainsi qu’il a été exposé au point 77 ci-dessus, la mesure litigieuse est dépourvue de connotation pénale et revêt une nature purement conservatoire. Par conséquent, il convient de considérer, à la lumière de la jurisprudence citée au point 129 ci-dessus, que les exigences s’imposant, en l’espèce, au Conseil en matière de preuves ne sauraient être strictement identiques à celles qui s’imposent à une autorité judiciaire nationale d’un État membre dans le cadre de la procédure pénale applicable et aux garanties offertes par cette procédure.

137    Ainsi, il importait, en l’espèce, que le Conseil vérifie, d’une part, dans quelle mesure l’attestation visée au point 21 ci-dessus permettait d’établir que la requérante faisait l’objet d’une procédure pénale pour des faits susceptibles de relever de la notion de détournement de fonds publics au sens de la décision 2011/72 et, d’autre part, si cette procédure permettait de qualifier la requérante conformément au critère fixé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72.

138    Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 132 ci-dessus, la procédure visée dans l’attestation en cause permettait au Conseil de qualifier la requérante de personne responsable de détournement de fonds publics tunisiens ou, à tout le moins, d’associé à une telle personne, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, et, en conséquence, d’inclure son nom dans l’annexe de cette décision. De plus, ainsi qu’il a été exposé aux points 134 et 135 ci-dessus, aucun élément du dossier ne saurait permettre de contester le contenu de ladite attestation, à savoir que la requérante fait l’objet de la procédure qui y est visée.

139    Par ailleurs, ainsi qu’il est exposé au point 126 ci-dessus, la requérante soutient que, au vu des éléments qui figurent dans l’attestation en cause et le déroulement de la procédure qui y est visée, le Conseil aurait dû procéder à ses propres vérifications et enquêtes et ne pas se contenter des informations que lui ont été transmises par les autorités tunisiennes.

140    Certes, dans le cadre de la coopération régie par les actes litigieux, le Conseil ne saurait entériner en toutes circonstances les constatations des autorités judiciaires tunisiennes figurant dans les documents fournis par ces dernières. Il ne lui appartient pas, pour autant, en principe, d’examiner et d’apprécier lui-même l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels ces autorités se fondent pour conduire, en l’espèce, la procédure pénale visée dans la seconde attestation. En effet, le Conseil ne cherche pas à sanctionner lui-même les détournements de fonds publics sur lesquels les autorités tunisiennes enquêtent, mais à préserver la possibilité pour ces autorités de constater les détournements en cause et d’en recouvrer le produit. Cette interprétation est, par ailleurs, confirmée par l’arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil (C‑220/14 P, EU:C:2015:147), dans lequel la Cour a jugé qu’il appartenait au Conseil ou au Tribunal non pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont les parties requérantes faisaient l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds.

141    Il peut, certes, être déduit, par analogie, de la jurisprudence en matière de mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qu’il appartenait, en l’espèce, au Conseil, soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, d’examiner avec soin et impartialité les éléments de preuve qui lui ont été transmis par les autorités tunisiennes au regard, en particulier, des observations et des éventuels éléments à décharge présentés par la partie requérante (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 142 et jurisprudence citée).

142    Ainsi, dans le cadre de l’adoption des actes litigieux, il appartenait au Conseil, eu égard, notamment, au contenu des observations éventuelles de la personne visée, d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, la nécessité de mener des vérifications supplémentaires, en particulier de solliciter des autorités tunisiennes la communication d’éléments de preuve additionnels si ceux déjà fournis se révélaient insuffisants. Par ailleurs, dans le cadre de la faculté qui doit être conférée aux personnes visées de présenter des observations concernant les motifs que le Conseil envisage de retenir pour maintenir leur nom à l’annexe de ces actes, ces personnes sont susceptibles de présenter de tels éléments, voire des éléments à décharge, qui nécessiteraient que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires (arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 143 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 115).

143    En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que, ainsi qu’il est exposé aux points 134 à 136 ci-dessus, la requérante ne produit et n’invoque aucun élément susceptible de remettre en cause l’existence de la procédure menée à son égard au sein du tribunal de première instance de Tunis, qui est certifiée par l’attestation visée au point 21 ci-dessus. De même, lors de l’audience, elle s’est contentée, d’une part, d’émettre des doutes quant à la valeur juridique de ladite attestation sans préciser les raisons qui les fonderaient et, d’autre part, de répéter, sans fournir ou invoquer le moindre élément à l’appui de ses allégations, que, dans le cadre de la procédure qui serait en cours à son égard en Tunisie, elle n’aurait pas de statut juridique et qu’elle n’aurait été auditionnée qu’en tant que témoin à charge d’une tierce personne.

144    Plus généralement, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que la requérante a porté à la connaissance du Conseil des éléments de nature à justifier une demande d’éclaircissement supplémentaire de la part de cette institution auprès des autorités tunisiennes. Il en va de même s’agissant de la lettre que la requérante a adressée au Conseil le 5 janvier 2015 (voir point 21 ci-dessus), par laquelle elle contestait la décision du Conseil de renouveler la mesure litigieuse au moyen d’arguments très proches de ceux qu’elle avance dans le cadre du présent recours et cela malgré le fait qu’elle a, entre cette date et la date du dépôt du présent recours, reçu de nouvelles informations de la part du Conseil (voir points 21 et 22 ci-dessus).

145    Certes, selon la jurisprudence, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121). Toutefois, en l’espèce, dans la mesure où le Conseil a apporté des preuves de l’existence d’une procédure pénale menée à l’encontre de la requérante, dont fait état l’attestation visée au point 21 ci-dessus, il appartenait à la requérante d’indiquer les éléments concrets sur lesquels elle se fonde pour remettre en cause le bien-fondé du renouvellement de la mesure litigieuse.

146    En effet, la jurisprudence n’impose pas au Conseil d’entreprendre systématiquement ses propres investigations ou d’opérer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires, lorsqu’il se fonde sur des éléments fournis par les autorités d’un pays tiers pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui en sont originaires et qui y font l’objet de procédures judiciaires (arrêts du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 57, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 149).

147    Il peut, néanmoins, être déduit, par analogie, de la jurisprudence citée au point 142 ci-dessus qu’il appartient au Conseil, dans un cas comme celui de l’espèce, en vue de s’acquitter de son devoir d’examen soigneux et impartial, d’apprécier, en fonction des observations de la personne intéressée ainsi que des éléments factuels invoqués par cette dernière, la nécessité de mener des vérifications supplémentaires. Or, ainsi qu’il a été exposé au point 144 ci-dessus et contrairement à ce que semble prétendre la requérante au point 31 de la réplique, il ne saurait être considéré qu’une telle nécessité ressortait, en l’espèce, des éléments du dossier.

148    Du reste, s’agissant de sa prétendue impossibilité d’accéder au dossier de la procédure dont elle fait l’objet en Tunisie et même à supposer que la requérante entendait prétendre qu’elle n’a pu avoir accès à des éléments susceptibles de relever une nécessité, pour le Conseil, de mener des vérifications supplémentaires, il convient d’écarter de telles allégations exposées, pour la première fois, lors de l’audience, dans la mesure où elle n’a pas fourni le moindre élément susceptible de les étayer, et cela sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur leur recevabilité.

149    S’agissant, enfin, des allégations de la requérante selon lesquelles le fait qu’elle n’a été auditionnée qu’une seule fois dans le cadre de la procédure judiciaire dont elle fait l’objet démontre que ladite procédure est « en réalité […] un simulacre motivé par des raisons d’ordre politique » (voir point 125 ci-dessus), force est de constater que de telles affirmations ne sauraient suffire, à elles seules, à remettre en cause le bien-fondé de la mesure litigieuse.

150     En ce qui concerne, plus particulièrement, la prétendue audition unique de la requérante par les autorités tunisiennes, il convient de souligner que celle-ci n’a fourni, ni pendant la procédure administrative ni devant le Tribunal, aucun élément susceptible d’établir que cette circonstance, à la supposer avérée, aurait une telle incidence sur le déroulement de la procédure en cours à son égard que le Conseil aurait dû en tenir compte et mener, à cet égard, des vérifications supplémentaires.

151    Il en va de même en ce qui concerne la prétendue prescription des infractions reprochées à la requérante par les autorités tunisiennes. Il suffit, en effet, de constater que celle-ci se contente d’affirmer que les infractions en question peuvent être considérées comme étant prescrites (voir point 125 ci-dessus), sans fournir aucune autre précision.

152    À la lumière de ce qui vient d’être exposé, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du droit de propriété

153    Selon la requérante, le Conseil n’ayant pas démontré dans quelle mesure « un risque réel de dilapidation des avoirs » qu’elle détient existe, la mesure litigieuse n’est pas proportionnelle et implique, ainsi, une violation de son droit de propriété. Elle prétend qu’une solution plus équilibrée, « telle que la constitution d’une garantie financière personnelle [ou] la caution fournie par un tiers solvable, peut être et sera proposée ».

154    Dans la réplique, la requérante fait, en outre, valoir que l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, garantit le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, alors que, pendant quatre ans, elle n’a été ni interrogée ni jugée en Tunisie et que son procès n’est pas à l’ordre du jour. Elle soutient qu’elle ne peut « attendre [indéfiniment] le bon vouloir des juges de son pays, alors que ses avoirs ont été gelés par les décisions du Conseil pendant près de quatre ans ».

155    Pour sa part, le Conseil conteste l’argumentation développée par la requérante.

156    Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

157    Il convient, dès lors, d’examiner si l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause a limité l’exercice de son droit de propriété et, en cas de réponse affirmative à cette question, si cette limitation est légale.

158    En l’espèce, le Conseil a gelé, par la décision 2011/72 telle que prorogée, durant des périodes déterminées, les avoirs détenus par la requérante. Cette mesure constitue une mesure conservatoire, qui n’est, certes, pas censée priver cette dernière de son droit de propriété. Toutefois, elle comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété, restriction qui, au surplus, doit être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale de la mesure de gel et compte tenu du fait que celle-ci a, en effet, été applicable depuis l’entrée en vigueur de la décision d’exécution 2011/79 et du règlement n° 101/2011. Ainsi, le Conseil doit être regardé comme ayant limité l’exercice, par la requérante, du droit visé à l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 162 et jurisprudence citée).

159    Ce droit n’apparaît toutefois pas comme une prérogative absolue et peut, par conséquent, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 163 et jurisprudence citée).

160    Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [charte des droits fondamentaux] doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

161    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit, en tout état de cause, répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et d), TUE, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi qu’au développement durable des pays en développement dans le but essentiel d’éradiquer la pauvreté. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est‑à‑dire la substance, du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, points 165 à 168 et jurisprudence citée).

162    En l’espèce, ces trois conditions sont remplies.

163    En effet, en premier lieu, la limitation à l’exercice du droit de propriété dont il s’agit doit être regardée comme étant « prévue par la loi », au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, étant donné que les critères énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 ont été respectés (voir points 99 à 121 ci-dessus).

164    En deuxième lieu, la décision 2015/157, par laquelle la mesure litigieuse a été renouvelée, fondée sur la décision 2011/72, poursuit les mêmes objectifs que cette dernière, à savoir ceux mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et d), TUE (voir points 85 et 76 ci-dessus). Partant, il convient de considérer que ladite mesure contribue effectivement à la réalisation d’objectifs d’intérêt général.

165    En troisième lieu, compte tenu de la nature des motifs ayant justifié l’adoption de la mesure litigieuse et du mécanisme dérogatoire prévu par la décision 2011/72, la restriction à l’exercice par la requérante de son droit de propriété n’apparaît pas, contrairement à ce qu’elle prétend, disproportionnée (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 172).

166    Le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige, en effet, que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée ; arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 173).

167    À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 80 ci-dessus, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, la Cour a jugé qu’il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure.

168    En l’espèce, au regard de l’importance des objectifs finaux de la mesure litigieuse, les conséquences négatives résultant de son application n’apparaissent pas, à première vue, manifestement démesurées (voir, par analogie, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 71, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 175).

169    En effet, la mesure litigieuse contribue, de manière efficace, à faciliter la constatation de détournements de fonds publics commis au détriment de l’État et du peuple tunisiens et permet qu’il soit plus aisé, pour les autorités dudit État, d’obtenir la restitution du produit de tels détournements. Or, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du troisième moyen, la requérante fait l’objet d’une procédure pénale, dans le cadre de laquelle les autorités tunisiennes mènent des investigations afin d’établir sa responsabilité pour complicité dans des actes de « détournement de fonds publics tunisiens », au sens de la décision 2011/72 (voir, par analogie, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 206, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 176).

170    À cet égard, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le Conseil pouvait envisager d’adopter une mesure moins contraignante mais tout autant appropriée que celle imposée à la requérante par la décision 2011/72, telle que modifiée par la décision 2015/157. La requérante n’établit, par ailleurs, aucunement qu’une telle mesure aurait pu être envisagée (voir, par analogie, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 207, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 177). Elle se borne, en effet, aux allégations exposées au point 153 ci-dessus et prétend qu’il existait la possibilité, au lieu d’appliquer la mesure litigieuse, de constituer une « garantie financière personnelle [ou une] caution fournie par un tiers solvable ».

171    Toutefois, contrairement à ce que semble prétendre la requérante, en l’absence de décision juridictionnelle se prononçant sur le bien-fondé des accusations pesant sur elle en Tunisie, le Conseil ne pouvait, à la date d’adoption de la décision 2015/157, ni connaître la nature ni indiquer lui-même le quantum des fonds publics prétendument détournés dans le cadre de l’affaire pour laquelle elle fait l’objet d’une enquête. Il n’aurait, ainsi, pas été possible, au moment de l’adoption de ladite décision, de fixer le montant approprié d’une « garantie » ou d’une « caution ».

172    Pour les mêmes raisons, le Conseil n’était, en outre, pas en mesure, au moment de l’adoption de la décision 2015/157, de faire le départ entre les avoirs susceptibles d’être entrés dans le patrimoine de la requérante consécutivement à de tels détournements et le restant des biens composant ledit patrimoine. Dans ces conditions, rien ne lui permettait d’adopter une décision imposant, à titre d’exemple, un gel partiel des fonds de la requérante (voir, par analogie, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 208, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 178).

173    Par ailleurs, d’une part, la mesure litigieuse présente, par nature, un caractère temporaire et réversible (voir point 113 ci-dessus) et ne porte, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété. D’autre part, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision 2011/72, telle que modifiée, des dérogations au gel des fonds litigieux peuvent être autorisées afin de répondre, par exemple, aux « besoins fondamentaux » des intéressés, au remboursement de dépenses correspondant à la prestation de services juridiques ou, encore, à des « dépenses extraordinaires » (voir, par analogie, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 209, et du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 179).

174    Enfin, ainsi qu’il a été exposé au point 154 ci-dessus, la requérante reproche, en substance, au Conseil d’avoir tenu compte, pour l’adoption de la mesure dont elle fait l’objet, d’une procédure judiciaire trop longue, ce qui impliquerait une violation de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or, ce moyen, présenté, ainsi que la requérante l’a reconnu lors de l’audience, pour la première fois dans la réplique, doit être considéré comme un moyen nouveau, au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, et, dans la mesure où il ne se fonde pas sur un élément révélé pendant la procédure au sens de la disposition susmentionnée, doit, dès lors, être écarté comme irrecevable.

175    En tout état de cause, même à considérer que ces éléments sont invoqués à l’appui des allégations de la requérante s’agissant de la prétendue violation du principe de proportionnalité, ces allégations sont vouées au rejet. Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon la jurisprudence, les restrictions à l’usage du droit de propriété des personnes qui sont visées par une mesure restrictive telle que le gel des fonds en cause en l’espèce découlent non seulement de la portée générale de la mesure en question, mais, le cas échéant, également de la durée effective de son application (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 132). Ainsi, la longueur de la période pendant laquelle une mesure telle que la mesure litigieuse est appliquée constitue un des éléments dont le juge de l’Union doit tenir compte aux fins de l’examen de la proportionnalité de ladite mesure (arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 172 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 79).

176    Cependant, en l’espèce, d’une part, il ressort du dossier que la mesure litigieuse n’est fondée sur la procédure judiciaire sur laquelle porte l’attestation visée au point 21 ci-dessus que depuis l’intervention de la décision d’exécution 2014/49 et du règlement d’exécution n° 81/2014, soit depuis le 30 janvier 2014. Par ailleurs, même à supposer que ces procédures auraient été ouvertes dès la date de l’inscription initiale du nom de la requérante à l’annexe de la décision 2011/72 et à celle du règlement n° 101/2011, ce qui ne résulte pas des pièces du dossier, leur durée ne saurait être regardée comme excessivement longue à la date de la prorogation la plus récente de la décision 2011/72 qui est en cause dans le cadre du présent recours, c’est-à-dire celle introduite par la décision 2015/157 le 30 janvier 2015 (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 91). Du reste, force est de constater que la requérante n’a pas établi qu’il existait, en droit pénal tunisien, une règle selon laquelle une instruction judiciaire ne saurait durer plus de trois ans, indépendamment de la question de savoir si ses allégations à ce sujet, présentées pour la première fois lors de l’audience, devraient être considérées comme étant tardives.

177    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le présent moyen et, par conséquent, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

178    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

179    En l’espèce, dès lors que la requérante a succombé, il convient de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sirine Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda Ben Ali supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Gratsias

Labucka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 octobre 2017.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.