ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

7 juillet 2016 (*)

« Référé – Pourvoi – Demande de suspension des effets d’un règlement annulé par le Tribunal de l’Union européenne – Environnement et protection de la santé humaine –Règlement (UE) n° 944/2013 – Classification du brai de goudron de houille à haute température dans les catégories de toxicité aquatique aiguë et de toxicité aquatique chronique – Erreur manifeste d’appréciation – Arrêt du Tribunal annulant ce règlement – Effet suspensif du pourvoi – Urgence »

Dans l’affaire C‑691/15 P-R,

ayant pour objet une demande de sursis à exécution et de mesures provisoires au titre des articles 278 et 279 TFUE, introduite le 24 mars 2016,

Commission européenne, représentée par M. P. J. Loewenthal et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant :

Bilbaína de Alquitranes SA, établie à Luchana-Baracaldo (Espagne),

Deza a.s., établie à Valašské Meziříčí (République tchèque),

Industrial Química del Nalón SA, établie à Oviedo (Espagne),

Koppers Denmark A/S, établie à Nyborg (Danemark),

Koppers UK Ltd, établie à Scunthorpe (Royaume-Uni),

Koppers Netherlands BV, établie à Uithoorn (Pays-Bas),

Rütgers basic aromatics GmbH, établie à Castrop-Rauxel (Allemagne),

Rütgers Belgium NV, établie à Zelzate (Belgique),

Rütgers Poland Sp. z o.o., établie à Kędzierzyn-Koźle (Pologne),

Bawtry Carbon International Ltd, établie à Doncaster (Royaume-Uni),

Grupo Ferroatlántica SA, établie à Madrid (Espagne),

SGL Carbon GmbH, établie à Meitingen (Allemagne),

SGL Carbon GmbH, établie à Bad Goisern am Hallstättersee (Autriche),

SGL Carbon, établie à Passy (France),

SGL Carbon, SA, établie à La Corogne (Espagne),

SGL Carbon Polska S.A., établie à Racibórz (Pologne),

ThyssenKrupp Steel Europe AG, établie à Duisburg (Allemagne),

Tokai erftcarbon GmbH, établie à Grevenbroich (Allemagne),

représentées par Mes K. Van Maldegem, C. Mereu et M. Grunchard, avocats, ainsi que P. Sellar, advocate,

parties requérantes en première instance et dans la présente procédure,

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä ainsi que par MM. W. Broere et C. Jacquet, en qualité d’agents,

GrafTech Iberica SL, établie à Navarre (Espagne), représentée par Mes K. Van Maldegem, C. Mereu et M. Grunchard, avocats, ainsi que P. Sellar, advocate,

parties intervenantes en première instance,

Royaume de Danemark, représenté par MM. C. Thorning et N Lyshøj Malte, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et J. Möllers, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman et C. Schillemans, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Bobek, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, déposé au greffe de la Cour le 17 décembre 2015, la Commission européenne a demandé à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:767), par lequel celui-ci a annulé le règlement (UE) n° 944/2013 de la Commission, du 2 octobre 2013, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges (JO 2013, L 261, p. 5, ci-après le « règlement litigieux »), dans la mesure où il classifie le brai de goudron de houille à haute température (CE n° 266-028-2, ci-après le « BGHHT ») parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).

2        Ce pourvoi introduit contre un arrêt annulant un règlement a eu pour effet, conformément à l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de reporter la date à compter de laquelle l’arrêt attaqué prendra effet à celle de l’éventuel rejet de ce pourvoi, sans préjudice de la faculté pour une partie de saisir la Cour, en vertu des articles 278 et 279 TFUE, d’une demande tendant à la suspension des effets du règlement annulé ou à la prescription de toute autre mesure provisoire.

3        Par une requête déposée au greffe de la Cour le 24 mars 2016, Bilbaína de Alquitranes SA, Deza a.s., Industrial Química del Nalón SA, Koppers Denmark A/S, Koppers UK Ltd, Koppers Netherlands BV, Rütgers basic aromatics GmbH, Rütgers Belgium NV, Rütgers Poland Sp. z o.o., Bawtry Carbon International Ltd, Grupo Ferroatlántica SA, SGL Carbon GmbH (Allemagne), SGL Carbon GmbH (Autriche), SGL Carbon (France), SGL Carbon SA (Espagne), SGL Carbon Polska S.A., ThyssenKrupp Steel Europe AG et Tokai erftcarbon GmbH (ci-après, ensemble, « Bilbaína de Alquitranes e.a. ») ont introduit une demande en référé au titre des articles 278 et 279 TFUE visant, en substance, à la suspension des effets du règlement litigieux.

 Les antécédents du litige et l’arrêt attaqué

4        Bilbaína de Alquitranes, Dezas, Industrial Química del Nalón, Koppers Denmark, Koppers UK, Koppers Netherlands, Rütgers basic aromatics, Rütgers Belgium et Rütgers Poland sont des fournisseurs de BGHHT dans l’Union européenne. Bawtry Carbon International, Grupo Ferroatlántica, SGL Carbon (Allemagne), SGL Carbon (Autriche), SGL Carbon (France), SGL Carbon (Espagne), SGL Carbon Polska, ThyssenKrupp Steel Europe et Tokai erftcarbon sont, quant à elles, des utilisatrices en aval du BGHHT pour la fabrication d’aluminium, de carbone, de graphite, de ferroalliages ou d’acier.

5        Le BGHHT est le résidu de la distillation du goudron de houille à haute température, un solide noir, composé principalement d’un mélange complexe d’au moins trois hydrocarbures aromatiques à noyaux condensés. Le BGHHT est principalement utilisé pour produire des liants pour électrodes destinés à l’industrie de l’aluminium et à la sidérurgie. Il est également utilisé pour fabriquer des matériaux réfractaires et pour les cibles de tir en argile, les revêtements anticorrosion, les produits résistant au kérosène destinés aux aérodromes, la construction de routes, les toitures et les briques.

6        Au mois de septembre 2010, le Royaume des Pays-Bas a soumis à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) un dossier, conformément à l’article 37 du règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1), proposant, notamment, la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).

7        Le 1er octobre 2010, ce dossier a été publié sur le site Internet de l’ECHA et les parties intéressées ont été invitées à soumettre leurs observations.

8        Après avoir reçu ces observations, l’ECHA a renvoyé ce dossier à son comité d’évaluation des risques (ci-après le « CER »), visé à l’article 76, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1).

9        Le 21 novembre 2011, le CER a adopté son avis sur le BGHHT confirmant la proposition présentée par le Royaume des Pays-Bas. Le CER a ainsi estimé que la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique ne pouvait être fondée sur les données résultant d’études suivant l’approche Water-Accommodated Fraction (approche de fraction adaptée à l’eau), mais devait reposer sur une approche différente, consistant à considérer le BGHHT comme un mélange. Selon cette approche, les seize composants hydrocarbures aromatiques polycycliques (ci-après « HAP ») du BGHHT ont été analysés séparément en fonction de leurs effets toxiques aquatiques. En appliquant une méthode consistant à effectuer la somme des résultats obtenus en attribuant des facteurs de multiplication aux différents HAP afin de donner plus de poids à des composants du BGHHT hautement toxiques, cette analyse a démontré, selon l’avis du CER, que le BGHHT devait être classifié parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).

10      Le 2 octobre 2013, sur la base de l’avis du CER, la Commission a adopté le règlement litigieux. En vertu de l’article 1er, point 2, sous a), i), et sous b), i), de ce règlement, lu en combinaison avec les annexes II et IV de celui-ci, le BGHHT a notamment été classifié parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410). En vertu de l’article 3, paragraphe 3, dudit règlement, cette classification est applicable depuis le 1er avril 2016.

11      Bilbaína de Alquitranes e.a. ont introduit un recours en annulation contre le règlement litigieux, à l’appui duquel elles ont soulevé trois moyens, dont le deuxième est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

12      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, en substance, que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle avait manqué à son obligation de prendre en considération tous les éléments et toutes les circonstances pertinents afin de prendre dûment en compte le taux de présence des seize constituants HAP dans le BGHHT et leurs effets chimiques.

13      Le Tribunal a dès lors accueilli la deuxième branche du deuxième moyen de recours et a annulé le règlement litigieux dans la mesure où il classifie le BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).

 Les conclusions des parties

14      Bilbaína de Alquitranes e.a. demandent à la Cour de suspendre les effets du règlement litigieux, le cas échéant avant même d’avoir entendu les autres parties à la procédure, d’ordonner toute mesure considérée comme étant appropriée et de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure.

15      La Commission et l’ECHA concluent au rejet de cette demande et à la condamnation de Bilbaína de Alquitranes e.a. aux dépens de la procédure en référé.

 Sur la demande en référé

16      Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon l’article 60, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi contre un arrêt du Tribunal n’a pas, en principe, d’effet suspensif. Toutefois, l’article 60, second alinéa, de ce statut dispose également que, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi prévu à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci, sans préjudice de la faculté pour une partie de saisir la Cour, en vertu des articles 278 et 279 TFUE, d’une demande tendant à la suspension des effets du règlement annulé ou à la prescription de toute autre mesure provisoire.

17      En introduisant la demande en référé, Bilbaína de Alquitranes e.a. ont fait usage de cette faculté.

18      À titre principal, Bilbaína de Alquitranes e.a. soutiennent qu’il existe, au stade de la procédure de référé, une controverse juridique importante quant à la légalité du règlement litigieux. Selon les requérantes dans la procédure de référé, l’application du règlement litigieux doit être suspendue en raison du fait qu’à ce règlement manque l’apparence même de la légalité, de telle sorte qu’elles n’ont même pas à prouver que, à défaut de la suspension demandée, elles subiront un préjudice grave et irréparable. Par ailleurs, elles estiment que, compte tenu de l’illégalité manifeste de ce règlement, le juge des référés est en mesure d’apprécier « à première vue » que le pourvoi formé par la Commission contre l’arrêt attaqué est voué à l’échec.

19      À cet égard, il convient de relever que l’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ». Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnances du vice-président de la Cour du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:93, point 14 ; du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 21, ainsi que du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21).

20      Certes, le caractère plus ou moins sérieux du fumus boni juris n’est pas sans influence sur l’appréciation de l’urgence (voir ordonnance du président de la Cour du 31 janvier 2011, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P‑R, non publiée, EU:C:2011:37, point 27). Ainsi, l’urgence dont peut se prévaloir une partie requérante doit d’autant plus être prise en considération par le juge des référés que le fumus boni juris des moyens et des arguments sur lesquels elle s’appuie paraît particulièrement sérieux (voir, notamment, ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, EU:C:2001:123, point 110).

21      Il n’en reste pas moins que, conformément aux dispositions de l’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure, les conditions relatives au fumus boni juris et à l’urgence sont distinctes et cumulatives, de sorte que la partie qui sollicite des mesures provisoires demeure tenue de démontrer l’imminence d’un préjudice grave et irréparable (ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 41 et jurisprudence citée).

22      À cet égard, l’argumentation de Bilbaína de Alquitranes e.a. est ambiguë.

23      D’une part, les requérantes dans la procédure de référé semblent considérer que l’illégalité du règlement litigieux constatée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué devrait suffire pour justifier l’octroi des mesures provisoires demandées, les arguments soulevés par la Commission dans son pourvoi n’étant pas susceptibles de remettre en cause cette illégalité.

24      Or, il convient de rappeler que, si le juge des référés de la juridiction saisie par voie de pourvoi, qui a lui-même été saisi par la partie qui a obtenu gain de cause en première instance, ne peut faire abstraction du fait que le juge de première instance a statué en faveur de cette partie, il n’en demeure pas moins qu’il doit veiller à ce que les conditions auxquelles est subordonné l’octroi des mesures provisoires soient remplies dans le cas d’une demande en référé. La circonstance que cette demande soit introduite par la partie qui a obtenu gain de cause en première instance, dans le cadre d’une procédure de pourvoi engagée par l’autre partie contre un arrêt du Tribunal annulant un règlement, est sans incidence à cet égard (voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 21).

25      En effet, le législateur de l’Union ayant décidé, par l’adoption de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de conférer un effet suspensif au pourvoi introduit contre un arrêt du Tribunal annulant un règlement, il n’appartient pas au juge des référés saisi à l’occasion d’un pourvoi de priver cet article d’une partie de son effet utile en assouplissant systématiquement, voire en l’écartant, la condition relative à l’urgence (voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 39).

26      Par conséquent, l’argumentation de Bilbaína de Alquitranes e.a., ainsi comprise, ne saurait être retenue.

27      D’autre part, Bilbaína de Alquitranes e.a. semblent aussi s’appuyer sur l’ordonnance du président de la Cour du 7 juillet 1981, IBM/Commission (60/81 R et 190/81 R, EU:C:1981:165), pour soutenir que, lorsqu’il y a lieu de constater que les actes attaqués apparaissent, à la lumière des griefs dirigés contre eux, comme des actes auxquels manquerait l’apparence même de la légalité, il faudrait, de ce fait, en suspendre, sur le champ, l’exécution, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si la condition de l’urgence est remplie.

28      À cet égard, il convient de relever que, même à supposer que cette jurisprudence soit applicable en l’espèce, le grief soulevé en première instance contre le règlement litigieux par Bilbaína de Alquitranes e.a., et sur le fondement duquel le Tribunal a, par l’arrêt attaqué, annulé partiellement ledit règlement, était tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission.

29      Or, il ne résulte pas de l’arrêt attaqué que Bilbaína de Alquitranes e.a. aient invoqué devant le Tribunal qu’un tel grief, s’il était accueilli, aurait permis de considérer qu’il manquait au règlement litigieux l’apparence même de la légalité. En outre, Bilbaína de Alquitranes e.a. n’ont pas fourni d’éléments en ce sens dans leur demande de mesures provisoires. Elles se sont en effet bornées à expliquer les raisons pour lesquelles, selon elles, le pourvoi de la Commission devrait être rejeté. Elles se sont, de ce fait, placées dans l’analyse du fumus boni juris qui, dans le cas d’une demande en référé introduite, comme en l’espèce, dans le cadre d’un pourvoi ayant un effet suspensif parce qu’il vise à l’annulation d’un arrêt par lequel le Tribunal a annulé un règlement, exige du juge des référés saisi par la partie qui a obtenu gain de cause en première instance qu’il vérifie si les arguments de cette partie visant au rejet du pourvoi ne sont pas dépourvus de fondement, en ce sens qu’ils présentent une probabilité de succès suffisamment grande (voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 24).

30      Dans de telles circonstances, Bilbaína de Alquitranes e.a. ne sauraient être exonérées de prouver qu’il est urgent d’octroyer les mesures sollicitées afin de leur éviter de subir un préjudice grave et irréparable.

31      Or, Bilbaína de Alquitranes e.a. n’ont présenté une argumentation à cet égard qu’en ce qui concerne Tokai erftcarbon.

32      De ce fait, il y a lieu de rejeter la demande en référé en ce qui concerne Bilbaína de Alquitranes, Deza, Industrial Química del Nalón, Koppers Denmark, Koppers UK, Koppers Netherlands, Rütgers basic aromatics, Rütgers Belgium, Rütgers Poland, Bawtry Carbon International, Grupo Ferroatlántica, SGL Carbon (Allemagne), SGL Carbon (Autriche), SGL Carbon (France), SGL Carbon (Espagne), SGL Carbon Polska, ThyssenKrupp Steel Europe.

33      S’agissant de Tokai erftcarbon, il convient de vérifier si les éléments invoqués sont suffisants pour démontrer que la condition de l’urgence est établie pour cette société, et cela avant même d’examiner le bien-fondé des arguments portant sur le fumus boni juris.

34      Selon Bilbaína de Alquitranes e.a., si les effets du règlement litigieux n’étaient pas suspendus, celui-ci serait susceptible de causer un préjudice imminent à Tokai erftcarbon, société qui fait partie du groupe japonais Tokai Carbon Co. Ltd et qui a pour activité exclusive la fabrication d’électrodes en graphite à partir de BGHHT.

35      En effet, depuis le 1er avril 2016, la nouvelle classification du BGHHT serait applicable et aurait pour conséquence directe d’obliger Tokai erftcarbon à mettre en conformité ses activités avec les exigences tant de la directive 2012/18/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, modifiant puis abrogeant la directive 96/82/CE du Conseil (JO 2012, L 197, p. 1), que de la directive 2008/68/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, relative au transport intérieur des marchandises dangereuses (JO 2008, L 260, p. 13).

36      Bilbaína de Alquitranes e.a. soutiennent qu’il résulterait du rapport d’un expert indépendant interrogé par Tokai erftcarbon que l’application de la directive 2012/18 imposerait à celle-ci d’entreprendre une série de modifications dans ses activités et dans l’organisation de sa structure impliquant des coûts financiers à la fois immédiats et récurrents. En particulier, les coûts immédiats liés auxdites modifications s’élèveraient à [confidentiel] du chiffre d’affaires généré en 2014 par la vente des produits liés au BGHHT, respectivement, par Tokai erftcarbon et par le groupe Tokai Carbon Co., et seraient même supérieurs aux bénéfices liés auxdites ventes réalisées par Tokai erftcarbon au cours du dernier exercice financier. En raison de ces coûts, le préjudice subi serait grave.

37      Si les coûts récurrents s’élèveraient, quant à eux, à moins de [confidentiel], ils seraient définitifs. En effet, Bilbaína de Alquitranes e.a. font valoir, s’appuyant sur ledit rapport, que la nature des tâches à entreprendre afin de mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires pour l’application de la directive 2012/18 est telle que ces tâches impliqueront des modifications irréversibles dans les systèmes d’exploitation de Tokai erftcarbon.

38      En outre, en raison de l’irréversibilité de ces modifications, si le pourvoi devait être rejeté, une action en réparation ne serait pas en mesure de compenser de manière adéquate le préjudice subi par Tokai erftcarbon. Par ailleurs, il serait également porté atteinte au droit fondamental de celle-ci de choisir librement et d’exercer ses activités commerciales.

39      Quant à la mise en conformité des activités de Tokai erftcarbon à la directive 2008/68, elle obligerait cette société à modifier les modalités de transport de ses produits. En effet, une substance soumise à la classification H400 et H410, ou des produits contenant cette substance, devraient, compte tenu du risque qu’ils présentent, être transportés dans des conditions de sécurité particulières. En conséquence, Tokai erftcarbon devrait investir dans la construction de nouveaux bateaux spécialement équipés ou changer de mode de transport au profit du transport routier.

40      La Commission et l’ECHA contestent cette argumentation.

41      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire (ordonnance du vice-président de la Cour du 19 décembre 2013, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P‑R, EU:C:2013:882, point 18 et jurisprudence citée). Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 37 et jurisprudence citée).

42      Bilbaína de Alquitranes e.a. invoquent, en substance, deux chefs de préjudice que subirait Tokai erftcarbon à défaut de la suspension des effets du règlement litigieux.

43      S’agissant, en premier lieu, du préjudice tenant à l’application de la directive 2012/18, il convient de constater que, dans la mesure où Bilbaína de Alquitranes e.a. soutiennent que Tokai erftcarbon subira un préjudice d’ordre financier lié à la mise en conformité des activités de cette société avec ladite directive, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, un préjudice purement pécuniaire ne saurait, en principe, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 15 décembre 2009, Dow AgroSciences e.a./Commission, C‑391/08 P(R), non publiée, EU:C:2009:785, point 74 et jurisprudence citée]. Il n’en va autrement que s’il apparaît que, en l’absence des mesures provisoires sollicitées, la partie requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient. En effet, l’existence de telles circonstances permet de considérer qu’un préjudice d’ordre financier est irréparable (voir, notamment, ordonnance du vice-président de la Cour du 19 décembre 2013, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P‑R, EU:C:2013:882, point 20).

44      En l’espèce, Bilbaína de Alquitranes e.a. se limitent à faire valoir que les coûts liés à la mise en conformité des activités de Tokai erftcarbon sont tels qu’ils permettent de considérer le préjudice financier subi par celle-ci comme étant grave.

45      Il convient toutefois de constater qu’elles n’apportent aucun élément susceptible de démontrer que, en l’absence des mesures provisoires demandées, un tel préjudice financier serait également irréparable en ce qu’il pourrait mettre en péril la viabilité financière de Tokai erftcarbon avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que les parts de marchés de celle-ci seraient modifiées de manière importante.

46      Bilbaína de Alquitranes e.a. soutiennent en outre que les changements liés à la mise en conformité des activités de Tokai erftcarbon sont irréversibles. De ce constat, elles déduisent une série de conséquences ayant trait au préjudice subi.

47      En particulier, en raison de cette irréversibilité, tout d’abord, les coûts récurrents occasionnés par ces changements se répéteraient à l’infini, de sorte qu’une quantification du préjudice financier subi serait impossible et celui-ci serait donc irréparable. Ensuite, la décision au fond, même si elle devait être favorable à Bilbaína de Alquitranes e.a., perdrait son efficacité au regard de Tokai erftcarbon qui aurait déjà subi les conséquences irréversibles découlant d’une classification erronée du BGHHT. Enfin, eu égard aux modifications apportées à l’organisation et au système d’exploitation de la société, lesdites modifications entraîneraient une atteinte intolérable et disproportionnée au droit fondamental de la société de choisir et d’exercer librement ses activités commerciales.

48      Il y a lieu de constater, à cet égard, que, en dépit de l’importance que Bilbaína de Alquitranes e.a. ont attachée à leur allégation du prétendu caractère irréversible des modifications en question, elles n’ont fondé cette allégation que sur un passage du rapport d’expert mentionné au point 36 de la présente ordonnance, selon lequel « [l]a nature du travail à entreprendre pour mettre en œuvre les mesures techniques [...] est telle qu’elle aboutira à des changements irréversibles dans les systèmes d’exploitation de la société [confidentiel]. Une fois mis en place, il sera en pratique impossible de revenir sur ces changements. Là encore, l’intensité des répercussions de ces changements sur les systèmes existants ne pourra être clairement établie qu’une fois réalisée une analyse des risques complète ».

49      Or, ainsi que le relèvent à bon droit tant la Commission que l’ECHA, aucune raison n’est fournie dans ce rapport pouvant appuyer sa conclusion sur le caractère irréversible des modifications en cause. Par ailleurs, il semble même pouvoir être déduit de ce passage que l’analyse sur laquelle ce rapport se fonde n’est que provisoire, une analyse complète étant envisagée comme seule pouvant être à même d’apprécier les conséquences des changements en question sur les systèmes d’exploitation de Tokai erftcarbon.

50      La prémisse selon laquelle lesdits changements sont irréversibles n’étant pas prouvée à suffisance de droit, les allégations se fondant sur une telle prémisse ne sauraient suffire pour prouver que le préjudice prétendument subi par Tokai erftcarbon est irréparable.

51      S’agissant, en second lieu, du préjudice prétendument causé par la modification des modalités de transports du BGHHT exigée par la directive 2008/68, il suffit de relever que Bilbaína de Alquitranes e.a. n’ont fourni aucun élément permettant d’apprécier les conséquences que Tokai erftcarbon subirait en raison de l’impossibilité d’utiliser ses propres bateaux pour transporter les produits contenant du BGHHT. En particulier, elles n’ont fourni aucun élément permettant d’établir que Tokai erftcarbon serait effectivement tenue d’investir dans la construction de nouveaux bateaux, sans qu’il lui soit possible, par exemple, de confier à un tiers ce transport, ou même d’évaluer les conséquences financières de l’obligation éventuelle d’abandonner le transport par voies de navigation intérieures au profit du transport terrestre jusqu’à ce qu’il soit statué sur le pourvoi principal.

52      Dans ces conditions, Bilbaína de Alquitranes e.a. ne sont pas parvenues à démontrer à suffisance de droit que les mesures sollicitées sont urgentes.

53      Par conséquent, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juiris ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence, la demande en référé doit être rejetée.

Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.