ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 juillet 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Accès à la justice dans les affaires transfrontalières – Directive 2003/8/CE – Règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires – Champ d’application – Réglementation d’un État membre prévoyant le caractère non remboursable des frais de traduction des documents connexes nécessaires au traitement d’une demande d’aide judiciaire »

Dans l’affaire C‑670/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décision du 5 novembre 2015, parvenue à la Cour le 15 décembre 2015, dans la procédure engagée par

Jan Šalplachta,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano (rapporteur), vice‑président de la Cour, Mme M. Berger, MM. E. Levits et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 novembre 2016,

considérant les observations présentées :

pour M. Šalplachta, par Mes K. Jurisch et P. Probst, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement allemand, par MM. M. Hellmann et T. Henze ainsi que par Mme J. Mentgen, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Březinová ainsi que par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. M. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mme M. Heller ainsi que par M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er février 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er et 2 de la directive 2003/8/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (JO 2003, L 26, p. 41, et rectificatif JO 2003, L 32, p. 15).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par M. Jan Šalplachta au sujet du paiement d’arriérés de salaire par Elektroanlagen & Computerbau GmbH, son ancien employeur.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes des considérants 5, 6, 18 et 23 de la directive 2003/8 :

« (5)

La présente directive vise à promouvoir l’octroi d’une aide judiciaire pour les litiges transfrontaliers à toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes lorsque cette aide est nécessaire pour assurer un accès effectif à la justice. L’accès à la justice est un droit généralement reconnu qui est aussi réaffirmé à l’article 47 de la [c]harte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

(6)

Le manque de ressources d’une personne partie à un litige, qu’elle soit demanderesse ou défenderesse, pas plus que les difficultés induites par le caractère transfrontalier d’un litige, ne devraient constituer des obstacles à un accès effectif à la justice.

[...]

(18)

La complexité et les différences des systèmes judiciaires des États membres, ainsi que les coûts inhérents au caractère transfrontalier des litiges, ne devraient pas entraver l’accès à la justice. Il convient donc que l’aide judiciaire couvre les coûts directement liés au caractère transfrontalier d’un litige.

[...]

(23)

L’aide judiciaire étant accordée par l’État membre du for ou dans lequel la décision doit être exécutée, à l’exception de l’aide précontentieuse si le candidat à l’aide n’a pas son domicile ou sa résidence habituelle dans l’État membre du for, celui-ci doit appliquer sa propre législation, dans le respect des principes de la présente directive. »

4

L’article 1er de la directive 2003/8, intitulé « Objectifs et champ d’application », énonce :

« 1.   La présente directive vise à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes en matière d’aide judiciaire dans le cadre de telles affaires.

2.   Elle vise, dans les affaires transfrontalières, toute procédure en matière civile et commerciale, quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

3.   Aux fins de la présente directive, on entend par “État membre” : tout État membre, à l’exception du Danemark. »

5

L’article 2 de cette directive, intitulé « Litiges transfrontaliers », dispose :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “litige transfrontalier” : tout litige dans lequel la partie qui présente une demande d’aide judiciaire au titre de la présente directive a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État du for ou que l’État dans lequel la décision doit être exécutée.

2.   L’État membre dans lequel une partie a son domicile est déterminé conformément à l’article 59 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [(JO 2001, L 12, p. 1)].

3.   Le moment pertinent pour déterminer si l’on est en présence d’un litige transfrontalier est le moment auquel la demande est introduite conformément à la présente directive. »

6

L’article 3 de ladite directive, intitulé « Droit à l’aide judiciaire », est libellé comme suit :

« 1.   Toute personne physique partie à un litige qui relève de la présente directive a le droit de bénéficier d’une aide judiciaire appropriée destinée à lui garantir un accès effectif à la justice, selon les conditions définies par la présente directive.

2.   L’aide judiciaire est considérée comme appropriée lorsqu’elle garantit :

a)

des conseils précontentieux en vue d’arriver à un règlement avant d’intenter une procédure judiciaire ;

b)

une assistance juridique et une représentation en justice, ainsi que l’exonération ou la prise en charge des frais de justice du bénéficiaire, y compris les frais visés à l’article 7 et les honoraires des mandataires que le juge désigne pour accomplir des actes durant la procédure.

Dans les États membres où la partie qui succombe est condamnée à régler les frais de la partie adverse, l’aide judiciaire couvre, si le bénéficiaire succombe, les frais de la partie adverse dès lors qu’elle aurait couvert ces frais si le bénéficiaire avait eu son domicile ou sa résidence habituelle dans l’État membre du for.

[...] »

7

L’article 5 de la directive 2003/8, intitulé « Conditions de ressources financières », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Les États membres accordent l’aide judiciaire aux personnes visées à l’article 3, paragraphe 1, qui sont dans l’incapacité totale ou partielle de faire face aux frais de justice visés à l’article 3, paragraphe 2, en raison de leur situation économique, en vue de leur garantir un accès effectif à la justice.

2.   La situation économique d’une personne est évaluée par l’autorité compétente de l’État membre du for, en tenant compte de différents éléments objectifs tels que les revenus, le capital détenu ou la situation familiale, y compris par une évaluation des ressources des personnes qui dépendent financièrement du demandeur. »

8

L’article 7 de cette même directive, intitulé « Frais liés au caractère transfrontalier de la procédure », énonce :

« L’aide judiciaire accordée dans l’État du for inclut les frais ci-après directement liés au caractère transfrontalier du litige :

a)

l’interprétation ;

b)

la traduction des documents exigés par la juridiction ou l’autorité compétente et soumis par le bénéficiaire, qui sont nécessaires au règlement du litige, et

c)

les frais de déplacement que le demandeur doit exposer lorsque la loi ou le juge de cet État membre exige la présence physique à l’audience des personnes concernées par l’introduction de la demande et lorsque le juge décide que les personnes concernées ne peuvent être entendues à sa satisfaction par aucun autre moyen. »

9

L’article 8 de la directive 2003/8, intitulé « Frais à la charge de l’État membre du domicile ou de la résidence habituelle », prévoit :

« L’État membre dans lequel le candidat à l’aide judiciaire a son domicile ou sa résidence habituelle fournit l’aide judiciaire visée à l’article 3, paragraphe 2, qui est nécessaire pour couvrir :

a)

les frais exposés dans ledit État membre au titre de l’assistance d’un avocat local ou de toute autre personne habilitée par la loi pour fournir des conseils juridiques, jusqu’à ce que la demande d’aide judiciaire ait été reçue, conformément à la présente directive, dans l’État membre du for ;

b)

la traduction de la demande et des documents connexes nécessaires, lorsque la demande est introduite auprès des autorités dudit État membre. »

10

L’article 12 de cette directive, intitulé « Autorité accordant l’aide judiciaire », dispose :

« L’aide judiciaire est accordée ou refusée par l’autorité compétente de l’État membre du for, sans préjudice de l’article 8. »

11

L’article 13 de ladite directive, intitulé « Introduction et transmission des demandes d’aide judiciaire », est libellé comme suit :

« 1.   Les demandes d’aide judiciaire peuvent être soumises soit :

a)

à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel le demandeur a son domicile ou sa résidence habituelle (l’autorité expéditrice), soit

b)

à l’autorité compétente de l’État membre du for ou de celui dans lequel la décision doit être exécutée (l’autorité réceptrice).

2.   Les demandes d’aide judiciaire sont établies, et les documents connexes sont traduits :

a)

dans la langue officielle ou dans l’une des langues de l’État membre de l’autorité réceptrice compétente, qui correspond à l’une des langues des institutions de [l’Union] ; ou

b)

dans toute autre langue que cet État membre a indiqué pouvoir accepter conformément à l’article 14, paragraphe 3.

[...]

4.   L’autorité expéditrice compétente aide le demandeur en veillant à ce que la demande soit accompagnée de tous les documents connexes qu’elle sait être requis pour que la demande soit traitée. Elle aide aussi le demandeur à fournir les traductions nécessaires de ces documents, conformément à l’article 8, point b).

L’autorité expéditrice compétente transmet la demande à l’autorité réceptrice compétente de l’autre État membre dans un délai de 15 jours à compter de la date de réception de la demande dûment établie dans une des langues visées au paragraphe 2 et des documents connexes traduits, le cas échéant, dans l’une de ces langues.

[...]

6.   Aucune rémunération ne peut être perçue par les États membres pour les services rendus conformément au paragraphe 4. [...] »

Le droit allemand

12

L’article 114, paragraphe 1, de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « ZPO »), dispose :

« Une partie qui, en raison de sa situation personnelle et économique, ne peut pas, ou seulement partiellement ou par des paiements fractionnés, payer les frais liés à une procédure en justice bénéficie, à sa demande, de l’aide judiciaire si l’action en justice en cause ou la défense contre une telle action a suffisamment de chances de succès et n’a pas un caractère téméraire. S’agissant de l’aide judiciaire transfrontalière au sein de l’Union européenne, il convient également d’appliquer les articles 1076 à 1078. »

13

L’article 117 de la ZPO prévoit :

« (1)   La demande d’octroi de l’aide judiciaire doit être introduite auprès de la juridiction de fond ; [...]

(2)   Il convient de joindre à la demande une déclaration de la partie relative à sa situation personnelle et économique (situation familiale, profession, patrimoine, revenus et charges), ainsi que les preuves y relatives. [...] »

14

L’article 1076 de la ZPO énonce :

« Pour ce qui concerne l’aide judiciaire transfrontalière au sein de l’Union européenne conformément à la directive [2003/8], il convient d’appliquer les articles 114 à 127a, sous réserve des dispositions contraires ci-dessous. »

15

L’article 1078 de la ZPO est libellé comme suit :

« (1)

Les demandes introduites en vue de l’octroi de l’aide judiciaire dans des litiges transfrontaliers relèvent de la compétence de la juridiction de fond ou de la juridiction d’exécution. Les demandes doivent être remplies en langue allemande et il convient de joindre aux documents connexes une traduction en langue allemande de ceux-ci. […]

[...] »

16

L’article 184, première phrase, du Gerichtsverfassungsgesetz (code de l’organisation judiciaire), dans sa version applicable aux faits au principal, est libellé comme suit :

« La langue officielle dans les juridictions est l’allemand. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

17

Il ressort de la décision de renvoi que, par actes du 24 septembre 2013 et du 21 octobre 2013, M. Šalplachta, qui a son domicile en République tchèque, a saisi l’Arbeitsgericht Zwickau (tribunal du travail de Zwickau, Allemagne) d’un recours tendant à ce qu’Elektroanlagen & Computerbau soit condamnée à lui payer des arriérés de salaire. Dans le cadre de son recours, le requérant au principal a également sollicité le bénéfice de l’aide judiciaire pour la procédure en première instance.

18

Par acte du 27 novembre 2013, le requérant au principal a demandé que l’aide judiciaire sollicitée soit étendue aux frais de traduction en allemand des documents relatifs à ses revenus et à son patrimoine, effectuée par un bureau de traduction professionnel établi à Dresde (Allemagne).

19

Par ordonnance du 8 avril 2014, l’Arbeitsgericht Zwickau (tribunal du travail de Zwickau) a accordé l’aide judiciaire pour la procédure en première instance, tout en refusant d’étendre cette aide aux frais de traduction desdits documents.

20

Le recours introduit par le requérant au principal contre ce refus a été rejeté par le Landesarbeitsgericht Chemnitz (tribunal supérieur du travail de Chemnitz, Allemagne) par décision du 15 avril 2015. Cette juridiction a notamment relevé que, conformément aux dispositions de la directive 2003/8, la prise en charge des frais de traduction des documents connexes à une demande d’aide judiciaire est accordée lorsque cette demande est déposée auprès de l’autorité expéditrice au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous a), de cette directive, à savoir l’autorité compétente de l’État membre dans lequel le demandeur a son domicile ou sa résidence habituelle. En revanche, ces dispositions ne prévoient pas la prise en charge de ces frais lorsque la demande est déposée, comme en l’occurrence, directement auprès de l’autorité réceptrice au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, à savoir l’autorité compétente de l’État membre du for ou de celui dans lequel la décision doit être exécutée.

21

En outre, selon ladite juridiction, en application des articles 114 et 1078 de la ZPO, l’aide judiciaire inclut uniquement les frais liés à la procédure en justice. Cette aide ne couvrirait donc pas les frais de traduction des documents destinés à être produits dans le cadre de la procédure d’examen de la demande d’aide judiciaire, dans la mesure où ces frais sont considérés comme exposés en dehors de la procédure contentieuse.

22

Le requérant au principal a formé un pourvoi contre cette décision devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne). Cette juridiction considère que la directive 2003/8 ne permet pas de déterminer de manière suffisamment claire si, et dans quelle mesure, l’État membre du for doit prendre en charge les frais de traduction des documents connexes à une demande d’aide judiciaire, lorsque, comme dans l’affaire au principal, le candidat à l’aide judiciaire a fait traduire lui-même ces documents et a introduit sa demande directement auprès de la juridiction compétente sur le fond, laquelle est également compétente pour statuer sur ladite demande en sa qualité d’autorité réceptrice au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de cette directive. Elle relève néanmoins que le refus d’étendre l’aide judiciaire aux frais de traduction de ces documents, à supposer qu’il constitue une restriction à l’accès effectif à la justice, poursuivrait un but légitime, à savoir décharger le Trésor public de l’État membre du for de frais qui devraient plutôt être supportés par l’État membre dans lequel le demandeur a son domicile ou sa résidence habituelle.

23

Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit d’une personne physique à l’accès effectif à la justice dans une affaire transfrontalière, au sens des articles 1er et 2 de la directive 2003/8, exige-t-il que l’aide judiciaire accordée par la République fédérale d’Allemagne inclue les frais avancés par le requérant pour la traduction de la déclaration et des documents connexes joints à la demande d’aide judiciaire, lorsque le requérant introduit, en même temps que le recours, une demande d’aide judiciaire auprès de la juridiction compétente sur le fond, [laquelle est] également compétente en tant qu’autorité réceptrice au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de [cette] directive, et qu’il a lui-même fait faire la traduction en question ? »

Sur la question préjudicielle

24

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3, 8 et 12 de la directive 2003/8, lus conjointement, doivent être interprétés en ce sens que l’aide judiciaire accordée par l’État membre du for, dans lequel une personne physique ayant son domicile ou sa résidence habituelle dans un autre État membre a introduit une demande d’aide judiciaire dans le cadre d’un litige transfrontalier, inclut également les frais avancés par cette personne pour la traduction des documents connexes nécessaires au traitement de cette demande.

25

Afin de répondre à cette question, il convient de relever que, en vertu de son considérant 5, la directive 2003/8 vise à promouvoir l’octroi d’une aide judiciaire pour les litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale, afin d’assurer à toute personne ne disposant pas des ressources suffisantes un accès effectif à la justice, conformément à l’article 47, troisième alinéa, de la charte des droits fondamentaux.

26

En effet, ainsi que l’énonce le considérant 6 de cette directive, le manque de ressources financières d’une personne partie à un litige, pas plus que les difficultés induites par le caractère transfrontalier d’un litige, ne devraient constituer des obstacles à un accès effectif à la justice.

27

À cet égard, il découle de ladite directive que des barrières linguistiques ne sauraient entraver la possibilité pour une personne ayant son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui du for de faire valoir pleinement ses droits devant les tribunaux d’un autre État membre lorsque la langue de procédure de ce dernier État membre est différente de celle du premier État membre. Cette exigence concerne également les documents et les pièces justificatives qui, en raison du caractère transfrontalier du litige, sont rédigés dans une langue autre que la langue de procédure et doivent par conséquent faire l’objet d’une traduction.

28

Dans ce contexte, l’article 3, paragraphes 1 et 2, de ladite directive garantit le droit de toute personne physique partie à un litige transfrontalier en matière civile et commerciale de bénéficier d’une aide judiciaire « appropriée ».

29

S’agissant de la procédure d’introduction d’une demande d’aide judiciaire, afin d’assurer un accès effectif à la justice, l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2003/8 prévoit que le candidat à l’aide judiciaire dispose de deux options, dans la mesure où il peut soumettre la demande d’aide judiciaire soit à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel il a son domicile ou sa résidence habituelle, laquelle est désignée, à l’article 13, paragraphe 1, sous a), de cette directive, comme étant l’autorité expéditrice, soit à l’autorité compétente de l’État membre du for ou de celui dans lequel la décision doit être exécutée, désignée, à l’article 13, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, comme étant l’autorité réceptrice.

30

En ce qui concerne l’étendue de l’aide judiciaire, tout d’abord, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/8 dispose que cette aide est considérée comme « appropriée » lorsqu’elle garantit au demandeur des conseils précontentieux, une assistance juridique et une représentation en justice, ainsi que l’exonération ou la prise en charge des frais de justice, y compris, le cas échéant, des frais éventuels exposés par la partie adverse dans l’hypothèse où le bénéficiaire de l’aide judiciaire succomberait.

31

Ensuite, conformément à l’article 7 de cette directive, l’aide judiciaire accordée dans l’État du for inclut les frais directement liés au caractère transfrontalier du litige, à savoir les frais d’interprétation, les frais de traduction des documents exigés par la juridiction ou l’autorité compétente et soumis par le bénéficiaire, qui sont nécessaires au règlement du litige, ainsi que les frais éventuels de déplacement que le demandeur doit exposer.

32

Enfin, l’article 8 de ladite directive, intitulé « Frais à la charge de l’État membre du domicile ou de la résidence habituelle », prévoit que cet État membre prend en charge les frais exposés sur son territoire au titre de l’assistance d’un avocat local ou de toute autre personne habilitée par la loi pour fournir des conseils juridiques, jusqu’à ce que la demande d’aide judiciaire ait été reçue dans l’État membre du for, ainsi que les frais de traduction de la demande d’aide judiciaire et des documents connexes nécessaires au traitement de celle-ci, lorsque la demande est introduite auprès des autorités de l’État membre du domicile ou de la résidence habituelle.

33

En l’occurrence, la juridiction de renvoi justifie la présente demande de décision préjudicielle par les doutes qu’elle éprouve concernant l’identification de l’État membre devant assurer la prise en charge des frais de traduction des documents connexes nécessaires au traitement de la demande d’aide judiciaire lorsque le candidat à l’aide judiciaire a fait usage de l’option prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/8, en adressant cette demande directement à l’autorité réceptrice.

34

Il y a lieu de constater, en premier lieu, que l’aide judiciaire dont doit pouvoir bénéficier toute personne physique partie à un litige transfrontalier doit être, selon les termes employés par l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive, une « aide appropriée » en vue de garantir un accès effectif à la justice.

35

Or, l’introduction d’une demande d’aide judiciaire, que ce soit devant l’autorité expéditrice ou devant l’autorité réceptrice, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 42 de ses conclusions, constitue une condition préalable à la garantie d’un accès effectif à la justice que cette même directive vise à assurer, conformément à l’article 47, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux.

36

Dans ce cadre, il y a lieu de relever que les documents connexes à la demande d’aide judiciaire sont, dans le système de la directive 2003/8, d’une importance particulière. En effet, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, l’aide judiciaire est accordée aux personnes qui sont dans l’incapacité totale ou partielle de faire face aux frais de justice en raison de leur situation économique. En vertu de l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, la situation économique d’une personne est évaluée par l’autorité compétente de l’État membre du for, en tenant compte de différents éléments objectifs tels que les revenus, le capital détenu ou la situation familiale. Ainsi, à défaut pour le demandeur de remettre certains documents attestant de sa situation personnelle et financière, la demande d’aide judiciaire ne peut être accueillie. Lesdits documents constituent donc un prérequis pour l’obtention de cette aide.

37

En deuxième lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 12 de la directive 2003/8, lu en combinaison avec le considérant 23 de celle‑ci, l’aide judiciaire est accordée ou refusée par l’État membre du for, et cela « sans préjudice de l’article 8 » de cette directive.

38

Or, aux fins de l’affaire au principal, il importe de relever que, conformément à l’article 8, sous b), de ladite directive, l’État membre dans lequel le candidat à l’aide judiciaire a son domicile ou sa résidence habituelle fournit l’aide judiciaire qui est nécessaire pour couvrir les frais de traduction de la demande d’aide et des documents connexes nécessaires au traitement de celle-ci, « lorsque la demande est introduite auprès des autorités dudit État membre ».

39

Dans ce contexte, la précision figurant à la dernière phrase de l’article 8, sous b), de la directive 2003/8 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne traduit pas une condition devant être remplie, dans tous les cas, par le candidat à l’aide judiciaire pour bénéficier de la couverture de ces frais, mais qu’elle se limite à identifier l’hypothèse dans laquelle le bénéficiaire peut obtenir la couverture desdits frais dans l’État de son domicile ou de sa résidence habituelle sans pour autant exclure une telle prise en charge lorsque, comme dans l’affaire au principal, la demande est introduite dans l’État membre du for.

40

En d’autres termes, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, l’article 8, sous b), de la directive 2003/8 doit être compris en ce sens qu’il prévoit – en tant qu’exception à la règle générale exigeant la prise en charge par l’État membre du for des frais liés au caractère transfrontalier d’un litige – la couverture par l’État membre du domicile ou de la résidence habituelle des frais de traduction de la demande d’aide judiciaire et des documents connexes nécessaires au traitement de celle-ci.

41

En troisième lieu, il y a lieu de constater que l’exclusion de la prise en charge, par l’État membre du for, des frais liés à la traduction des documents connexes nécessaires au traitement d’une demande d’aide judiciaire irait à l’encontre des objectifs poursuivis par le directive 2003/8, tels que rappelés aux points 25 à 27 du présent arrêt, relatifs à un accès effectif à la justice dans les litiges transfrontaliers, dès lors qu’elle pénaliserait le candidat à l’aide judiciaire dans l’hypothèse où il déciderait de soumettre sa demande d’aide directement auprès de l’autorité réceptrice.

42

En effet, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, l’article 13 de la directive 2003/8 offre au candidat à l’aide judiciaire le choix entre deux options alternatives et non hiérarchisées, en lui permettant d’introduire sa demande d’aide judiciaire soit devant l’autorité expéditrice, soit devant l’autorité réceptrice.

43

Or, si les frais liés à la traduction des documents connexes nécessaires au traitement d’une demande d’aide judiciaire étaient pris en charge uniquement lorsque le candidat à l’aide judiciaire s’adresse aux autorités compétentes de l’État membre de son domicile ou de sa résidence habituelle, cela conduirait à faire dépendre, à tort, l’obtention de l’aide judiciaire relative à ces frais de l’option procédurale choisie par l’intéressé et viderait de son sens l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/8, lequel prévoit la possibilité de soumettre la demande d’aide judiciaire directement auprès de l’autorité réceptrice.

44

De plus, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 46 de ses conclusions, une telle exclusion serait susceptible d’aboutir à une solution procédurale plus lourde pour le candidat à l’aide judiciaire. En effet, au lieu de soumettre sa demande d’aide judiciaire directement au tribunal compétent pour connaître du litige au fond, ledit candidat serait obligé d’engager deux procédures distinctes, la première devant le tribunal compétent de l’État membre du for, afin de respecter les délais procéduraux, et la seconde devant les autorités de l’État membre de son domicile ou de sa résidence habituelle, afin d’obtenir le remboursement des frais exposés en rapport avec la demande d’aide judiciaire.

45

Une telle situation constituerait ainsi un obstacle à l’exercice du droit à un accès effectif à la justice de la personne partie à un litige transfrontalier qui ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire face aux frais de justice et qui se trouve dans une situation plus difficile en raison du caractère transfrontalier dudit litige.

46

Il convient encore de préciser que la directive 2003/8 est appelée, selon les termes mêmes de son intitulé, « à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières », en remplaçant le système de coopération en matière d’aide judiciaire institué par l’accord européen du Conseil de l’Europe sur la transmission des demandes d’assistance judiciaire, signé à Strasbourg le 27 janvier 1977, lequel prévoyait des mécanismes de notification et de transmission, sans toutefois aborder la question de l’étendue de l’aide judiciaire dans l’État du for.

47

Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que les articles 3, 8 et 12 de la directive 2003/8, lus conjointement, doivent être interprétés en ce sens que l’aide judiciaire accordée par l’État membre du for, dans lequel une personne physique ayant son domicile ou sa résidence habituelle dans un autre État membre a introduit une demande d’aide judiciaire dans le cadre d’un litige transfrontalier, inclut également les frais avancés par cette personne pour la traduction des documents connexes nécessaires au traitement de cette demande.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 3, 8 et 12 de la directive 2003/8/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires, lus conjointement, doivent être interprétés en ce sens que l’aide judiciaire accordée par l’État membre du for, dans lequel une personne physique ayant son domicile ou sa résidence habituelle dans un autre État membre a introduit une demande d’aide judiciaire dans le cadre d’un litige transfrontalier, inclut également les frais avancés par cette personne pour la traduction des documents connexes nécessaires au traitement de cette demande.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.