Affaire C‑524/15

Procédure pénale

contre

Luca Menci

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale di Bergamo)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Défaut de versement de la TVA due – Sanctions – Législation nationale prévoyant une sanction administrative et une sanction pénale pour les mêmes faits – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Nature pénale de la sanction administrative – Existence d’une même infraction – Article 52, paragraphe 1 – Limitations apportées au principe ne bis in idem – Conditions »

Sommaire – Arrêt de la Cour (grande chambre) du 20 mars 2018

  1. Ressources propres de l’Union européenne–Protection des intérêts financiers de l’Union–Lutte contre la fraude et autres activités illégales–Obligation des États membres de mettre en place des sanctions effectives et dissuasives–Portée–Infractions fiscales en matière de taxe sur la valeur ajoutée

    (Art. 325 TFUE)

  2. Droits fondamentaux–Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne–Champ d’application–Mise en œuvre du droit de l’Union–Réglementation nationale prévoyant des sanctions administratives et pénales visant à assurer la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et à combattre la fraude–Inclusion

    (Art. 325 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 et 51, § 1 ; directive du Conseil 2006/112, art. 2 et 273)

  3. Droits fondamentaux–Convention européenne des droits de l’homme–Instrument non formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union

    (Art. 6, § 3, TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 52, § 3)

  4. Droits fondamentaux–Principe ne bis in idem–Conditions d’application–Cumul des poursuites et des sanctions de nature pénale–Critères d’appréciation–Qualification juridique de l’infraction en droit interne, nature de l’infraction et degré de sévérité de la sanction encourue

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50)

  5. Droits fondamentaux–Principe ne bis in idem–Conditions d’application–Existence d’une même infraction–Critère d’appréciation–Identité des faits matériels

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50)

  6. Droits fondamentaux–Principe ne bis in idem–Limitation–Réglementation nationale permettant le cumul d’une sanction administrative de nature pénale et d’une sanction pénale–Admissibilité–Conditions–Limitation devant répondre à un objectif d’intérêt général–Objectif de garantir la perception de l’intégralité de la TVA due–Inclusion

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 et 52, § 1)

  7. Droits fondamentaux–Principe ne bis in idem–Limitation–Réglementation nationale prévoyant le cumul d’une sanction administrative de nature pénale et d’une sanction pénale–Admissibilité–Conditions–Respect du principe de proportionnalité–Portée

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 49, § 3, 50 et 52, § 1)

  8. Droits fondamentaux–Principe ne bis in idem–Consécration aux articles 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 4 du protocole no 7 à la convention européenne des droits de l’homme–Sens et portée identiques–Niveau de protection assuré par la charte ne méconnaissant pas celui garanti par ladite convention

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50, 52, § 3, et 53)

  9. Droits fondamentaux–Principe ne bis in idem–Limitation–Réglementation nationale permettant d’engager des poursuites pénales contre une personne, pour omission de verser la taxe sur la valeur ajoutée, ayant déjà fait l’objet d’une sanction administrative de nature pénale pour les mêmes faits–Admissibilité–Conditions–Vérification par la juridiction nationale

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 et 52, § 1)

  1.  Voir le texte de la décision.

    (voir points 19, 20)

  2.  Dès lors qu’elles visent à assurer l’exacte perception de la TVA et à combattre la fraude, des sanctions administratives infligées par les autorités fiscales nationales et des procédures pénales ouvertes pour des infractions en matière de TVA, telles que celles en cause au principal, constituent une mise en œuvre des articles 2 et 273 de la directive 2006/112 ainsi que de l’article 325 TFUE et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 27, ainsi que du 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, C‑217/15 et C‑350/15, EU:C:2017:264, point 16). Partant, elles doivent respecter le droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte.

    (voir point 21)

  3.  Voir le texte de la décision.

    (voir point 22)

  4.  En ce qui concerne l’appréciation de la nature pénale de poursuites et de sanctions telles que celles en cause au principal, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2012, Bonda, C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37, et du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 35).

    Néanmoins, l’application de l’article 50 de la Charte ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit interne – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant une nature pénale sur le fondement des deux autres critères visés audit point 26.

    S’agissant du deuxième critère, relatif à la nature même de l’infraction, il implique de vérifier si la sanction en cause poursuit, notamment, une finalité répressive (voir arrêt du 5 juin 2012, Bonda, C‑489/10, EU:C:2012:319, point 39). Il en découle qu’une sanction ayant une finalité répressive présente une nature pénale au sens de l’article 50 de la Charte, et que la seule circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive n’est pas de nature à lui ôter sa qualification de sanction pénale. En revanche, une mesure qui se limite à réparer le préjudice causé par l’infraction concernée ne présente pas une nature pénale.

    (voir points 26, 30, 31)

  5.  Selon la jurisprudence de la Cour, le critère pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’une même infraction est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée (voir, par analogie, arrêts du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink, C‑367/05, EU:C:2007:444, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, points 39 et 40). Ainsi, l’article 50 de la Charte interdit d’infliger, pour des faits identiques, plusieurs sanctions de nature pénale à l’issue de différentes procédures menées à ces fins.

    En outre, la qualification juridique, en droit national, des faits et l’intérêt juridique protégé ne sont pas pertinents aux fins de la constatation de l’existence d’une même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée à l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre.

    (voir points 35, 36)

  6.  En ce qui concerne la question de savoir si la limitation du principe ne bis in idem résultant d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal répond à un objectif d’intérêt général, il ressort du dossier à la disposition de la Cour que cette réglementation vise à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due. Eu égard à l’importance que la jurisprudence de la Cour accorde, aux fins de réaliser cet objectif, à la lutte contre les infractions en matière de TVA (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 34 ainsi que jurisprudence citée), un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale peut se justifier lorsque ces poursuites et ces sanctions visent, en vue de la réalisation d’un tel objectif, des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

    À cet égard, en matière d’infractions à la TVA, il paraît légitime qu’un État membre veuille, d’une part, dissuader et réprimer tout manquement, qu’il soit intentionnel ou non, aux règles de déclaration et de perception de la TVA en infligeant des sanctions administratives fixées, le cas échéant, de manière forfaitaire et, d’autre part, dissuader et réprimer des manquements graves à ces règles, qui sont particulièrement néfastes pour la société et qui justifient l’adoption de sanctions pénales plus sévères.

    (voir points 44, 45)

  7.  S’agissant du respect du principe de proportionnalité, celui-ci exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 25 février 2010, Müller Fleisch, C‑562/08, EU:C:2010:93, point 43 ; du 9 mars 2010, ERG e.a., C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, point 86, ainsi que du 19 octobre 2016, EL-EM-2001, C‑501/14, EU:C:2016:777, points 37 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 20 du présent arrêt, les États membres disposent d’une liberté de choix des sanctions applicables afin de garantir la perception intégrale des recettes provenant de la TVA. En l’absence d’harmonisation du droit de l’Union en la matière, les États membres sont ainsi en droit de prévoir aussi bien un régime dans lequel des infractions en matière de TVA ne peuvent faire l’objet de poursuites et de sanctions qu’une seule fois qu’un régime autorisant un cumul de poursuites et de sanctions. Dans ces conditions, la proportionnalité d’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ne saurait être mise en doute par le seul fait que l’État membre concerné a fait le choix de prévoir la possibilité d’un tel cumul et ce, sous peine de priver cet État membre de cette liberté de choix.

    Quant à son caractère strictement nécessaire, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal doit, tout d’abord, prévoir des règles claires et précises permettant au justiciable de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un tel cumul de poursuites et de sanctions.

    Ensuite, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, doit assurer que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul soient limitées au strict nécessaire afin de réaliser l’objectif visé au point 44 du présent arrêt.

    S’agissant, d’une part, du cumul de procédures de nature pénale qui, ainsi qu’il ressort des éléments figurant dans le dossier, sont conduites de manière indépendante, l’exigence rappelée au point précédent implique l’existence de règles assurant une coordination visant à réduire au strict nécessaire la charge supplémentaire que comporte un tel cumul pour les personnes concernées.

    D’autre part, le cumul de sanctions de nature pénale doit être assorti de règles permettant de garantir que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité de l’infraction concernée, une telle exigence découlant non seulement de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, mais aussi du principe de proportionnalité des peines inscrit à l’article 49, paragraphe 3, de celle-ci. Ces règles doivent prévoir l’obligation pour les autorités compétentes, en cas d’infliction d’une seconde sanction, de veiller à ce que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées n’excède pas la gravité de l’infraction constatée.

    (voir points 46, 47, 49, 52, 53, 55)

  8.  Voir le texte de la décision.

    (voir points 60-62)

  9.  L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une personne pour omission de verser la taxe sur la valeur ajoutée due dans les délais légaux, alors que cette personne s’est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition que cette réglementation :

    vise un objectif d’intérêt général qui est de nature à justifier un tel cumul de poursuites et de sanctions, à savoir la lutte contre les infractions en matière de taxe sur la valeur ajoutée, ces poursuites et ces sanctions devant avoir des buts complémentaires,

    contienne des règles assurant une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d’un cumul de procédures, et

    prévoie des règles permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée.

    Il appartient à la juridiction nationale de s’assurer, compte tenu de l’ensemble des circonstances au principal, que la charge résultant concrètement pour la personne concernée de l’application de la réglementation nationale en cause au principal et du cumul des poursuites et des sanctions que celle-ci autorise n’est pas excessive par rapport à la gravité de l’infraction commise.

    (voir points 63, 64, disp. 1, disp. 2)