CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 8 mars 2017 ( 1 )
Affaire C‑569/15
X
contre
Staatssecretaris van Financiën
[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas)]
« Demande de décision préjudicielle – Règlement (CEE) no 1408/71 – Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Article 13, paragraphe 2, sous a), et article 14, paragraphe 2, sous b), i) – Personne qui “exerce normalement” une activité salariée sur le territoire de deux États membres – Employé en congé sans solde de trois mois exerçant une activité salariée dans un autre État membre »
Introduction
1. |
Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) a saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre d’une procédure opposant Mme X au Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux finances) à propos du paiement de l’impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale pour l’exercice 2009. |
2. |
La juridiction de renvoi demande à la Cour de l’éclairer sur l’interprétation des règles de conflit figurant à l’article 13, paragraphe 2, sous a), et à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement (CEE) no 1408/71 ( 2 ). Elle souhaite savoir en particulier si une employée qui exerce une activité salariée dans un autre État membre pendant une période de trois mois durant son congé sans solde doit être considérée comme étant une personne qui « exerce normalement » une activité salariée sur le territoire de deux États membres aux fins de la détermination de la législation applicable. |
Le cadre juridique
3. |
L’article 1er du règlement no 1408/71 définit les notions de « travailleur salarié » et de « travailleur non salarié » de la manière suivante :
[…]. » |
4. |
L’article 13 de ce règlement est libellé comme suit : « 1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre. 2. Sous réserve des articles 14 à 17 :
[…]. » |
5. |
L’article 14, paragraphe 2, sous b), i), de ce règlement dispose ce qui suit : « 2. La personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit : […]
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Les faits
6. |
Mme X, qui possède la nationalité néerlandaise, réside aux Pays‑Bas où elle exerce une activité salariée. |
7. |
Mme X et son employeur néerlandais sont convenus qu’entre le 1er décembre 2008 et le 28 février 2009, elle prendrait un congé sans solde dont les termes figureraient dans un arrangement particulier. Celui-ci prévoyait que son contrat de travail serait maintenu et qu’elle reprendrait ses fonctions normales le 1er mars 2009. |
8. |
Durant son congé sans solde, Mme X a séjourné en Autriche, où elle a travaillé comme monitrice de ski pour un employeur établi dans ce pays. Durant ces mois-là, elle n’a pas travaillé aux Pays‑Bas. |
9. |
Le litige qui oppose Mme X au secrétaire d’État aux finances porte sur le calcul de l’impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale pour l’exercice 2009. Il porte en particulier sur le point de savoir si, aux mois de janvier et février 2009, Mme X était affiliée au régime obligatoire de la sécurité sociale néerlandaise et donc tenue de verser des cotisations à ce régime. |
10. |
Saisi d’un recours dirigé contre le jugement du rechtbank Gelderland (tribunal de Gueldre, Pays‑Bas), le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays‑Bas) a jugé que la relation de travail liant Mme X à son employeur néerlandais avait subsisté pendant la période de congé sans solde et que la législation néerlandaise s’appliquait également pendant ces deux mois. |
11. |
Mme X s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du Gerechtshof Arnhem‑Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden) devant la juridiction de renvoi. |
12. |
Selon la juridiction de renvoi, le pourvoi soulève la question de savoir quelle disposition du règlement no 1408/71 désigne la législation applicable aux mois de janvier et février 2009. Selon elle, il pourrait s’agir soit de la règle générale de conflit énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement ou de la règle particulière qui figure à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), de celui-ci, qui vise les personnes qui exercent normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres. Comme, pendant les mois en question, Mme X exerçait effectivement une activité salariée exclusivement en Autriche, on pourrait soutenir que seule la législation autrichienne lui était applicable. On pourrait cependant considérer également, comme l’a fait le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden), qu’elle exerçait normalement une activité salariée sur le territoire de deux États membres, à savoir les Pays‑Bas et l’Autriche. Conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71, cela désignerait la législation néerlandaise comme étant la législation applicable. |
13. |
En conséquence, la juridiction de renvoi se demande si le Royaume des Pays‑Bas peut être considéré comme étant un État membre où Mme X exerçait normalement une activité salariée pendant son congé sans solde tout en travaillant en Autriche. Conformément à la loi nationale, elle demeurait au service de son employeur néerlandais pendant cette période bien qu’elle se trouvait en congé sans solde et n’effectuait effectivement aucun travail aux Pays‑Bas. Néanmoins la question se pose de savoir si Mme X doit être considérée comme ayant exercé « normalement » une activité salariée dans deux États membres aux fins de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71. La question se pose également de savoir si le lieu de travail devrait être déterminé sur une plus longue période, comme, par exemple, une année de calendrier. La juridiction de renvoi observe qu’un laps de temps plus court entraînerait une réévaluation fréquente de la situation en matière d’assurance et, le cas échéant, de fréquents changements de législation applicable avec les contraintes administratives que cela comporterait pour la personne concernée. |
Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
14. |
C’est dans ces circonstances que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et d’adresser les questions préjudicielles suivantes à la Cour :
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15. |
La décision de renvoi du 30 octobre 2015 est parvenue au greffe de la Cour le 5 novembre 2015. Ont présenté des observations écrites les gouvernements tchèque et néerlandais ainsi que la Commission européenne. Le gouvernement néerlandais et la Commission ont présenté des observations oralement à l’audience du 14 décembre 2016. |
Analyse
16. |
Soucieuse de déterminer la législation applicable, la juridiction de renvoi a formulé sa première question afin que la Cour lui dise, en substance, si l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui réside et exerce une activité salariée dans un État membre (le Royaume des Pays‑Bas) et qui prend un congé sans solde de trois mois pour aller travailler dans un autre État membre (la République d’Autriche) est considérée comme exerçant normalement une activité salariée dans deux États membres durant cette période. |
17. |
La seconde question a pour objet, en substance, de permettre à la juridiction de renvoi de déterminer quelle législation les dispositions du titre II du règlement no 1408/71 désignent comme étant la législation applicable à une personne qui se trouve dans cette situation-là. |
18. |
Selon moi, ces deux questions sont indissociables. Si la réponse à la première question était affirmative et si Mme X devait être considérée comme ayant exercé normalement une activité salariée dans deux États membres, elle serait soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, à savoir les Pays‑Bas, en application de la règle de conflit énoncée à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71. Si, au contraire, Mme X devait être considérée comme n’ayant pas exercé une activité salariée aux Pays‑Bas durant son congé sans solde, c’est la législation autrichienne qui serait applicable durant les mois en question. |
19. |
Le problème s’articule autour de la question de savoir si, pendant son congé sans solde, la situation de Mme X par rapport à son employeur néerlandais remplit les critères qui font de cette période une période d’activité salariée (normale) aux fins de l’application des règles de conflit énoncées au titre II du règlement no 1408/71. |
20. |
Les positions soumises à la Cour par les parties intéressées divergent sur ce point. |
21. |
Quoique leurs raisonnements diffèrent légèrement, tant le gouvernement néerlandais que la Commission estiment que Mme X a continué à être employée aux Pays‑Bas pendant son congé sans solde. Le gouvernement néerlandais souligne que son contrat de travail a été maintenu tout au long de cette période et qu’elle a continué à être assurée en tant que travailleur en application de la législation néerlandaise sur la sécurité sociale. La législation néerlandaise permet d’appliquer un tel traitement pour un maximum de 78 semaines de congé sans solde. |
22. |
La Commission observe qu’une simple suspension d’une relation de travail pendant une période limitée ne peut pas priver l’employé de sa qualité de « travailleur salarié ». Le facteur décisif est qu’en dépit de cette suspension, l’intéressé demeure assuré contre les risques conformément à un régime de sécurité sociale visé à l’article 1er, sous a), du règlement no 1408/71 ( 3 ). |
23. |
Le gouvernement tchèque pense le contraire et soutient qu’une période de congé sans solde au cours de laquelle la personne intéressée n’exerce pas la moindre activité pour son employeur néerlandais et ne perçoit aucun salaire ne saurait être considérée comme une période d’activité salariée pour déterminer la législation applicable. Selon lui, le fait que la législation nationale classe cette période comme étant une période d’activité salariée ne devrait pas influencer cette conclusion. |
24. |
J’observe que les dispositions du titre II du règlement no 1408/71, dont font partie les articles 13 et 14, constituent un système complet et uniforme de règles de conflit, qui ont pour but de garantir que les travailleurs exerçant leur droit de libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne soient soumis au régime de sécurité sociale d’un seul État membre afin d’éviter que plus d’un système légal soit applicable et de prévenir les complications qui pourraient résulter d’une telle situation ( 4 ). |
25. |
Le problème qui se pose est celui de savoir si la situation en cause au principal relève de la règle générale de conflit qui est énoncée à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 (lex loci laboris) ou de la règle particulière de conflit qui figure à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i) (lex domicilii), qui s’applique à une personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres. |
26. |
Pour le savoir, il est nécessaire d’établir si Mme X exerçait normalement une activité salariée à la fois aux Pays‑Bas et en Autriche au sens de cette dernière disposition. |
27. |
Premièrement, en ce qui concerne son activité en Autriche, je ne vois aucune raison de fond susceptible d’empêcher que cette activité soit prise en considération pour déterminer si elle exerçait normalement une activité salariée dans deux États membres. En particulier, comme la Commission l’observe à bon droit, un emploi qui dure trois mois consécutifs ne saurait en aucune manière être considéré comme une activité purement marginale devant être écartée au moment de déterminer la législation applicable. Il résulte des faits de la présente espèce que, pendant les trois mois de son congé sans solde, Mme X a effectivement exercé une activité économique exclusivement en Autriche. Cette activité ne peut évidemment pas être négligée au moment d’appliquer les règles de conflit énoncées dans le règlement no 1408/71. |
28. |
Secondement, la situation est moins claire lorsqu’il s’agit de décider si Mme X a continué à exercer une activité en tant que travailleur salarié aux Pays‑Bas pendant son congé sans solde dès lors qu’en réalité, elle n’a vaqué à aucune activité dans cet État membre pendant cette période. |
29. |
Il convient d’observer que l’article 1er, sous a), du règlement no 1408/71, qui précise son champ d’application ratione personae, définit les notions de « travailleur salarié » et de « travailleur indépendant » comme désignant, avant toute chose, toute personne « qui est assurée au titre d’une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d’un régime de sécurité sociale [pertinent] ». |
30. |
Une personne a la qualité de « travailleur » au sens du règlement no 1408/71 dès lors qu’elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d’une assurance obligatoire ou facultative auprès d’un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l’article 1er, sous a), de ce règlement, et ce indépendamment de l’existence d’une relation de travail ( 5 ). |
31. |
Dans l’arrêt Dodl et Oberhollenzer ( 6 ), la Cour a observé que ce n’est pas l’existence d’une relation de travail qui détermine si une personne continue à relever du champ d’application ratione personae du règlement no 1408/71, mais le fait qu’elle soit assurée contre des risques dans le cadre d’un régime de sécurité sociale mentionné à l’article 1er, sous a), de ce règlement. La simple suspension, pendant une période déterminée, des principales obligations découlant d’une relation de travail ne saurait retirer à l’employé sa qualité de « travailleur salarié» ( 7 ). |
32. |
Je considère, à l’instar de la Commission, que cette jurisprudence est pertinente dans la présente affaire également. |
33. |
Certes, le fait qu’une personne soit couverte par un régime de sécurité sociale n’est pas suffisant en soi pour conclure que cette personne exerce normalement une activité salariée sur le territoire d’un État membre. Le libellé de l’article 14, paragraphe 2, exige également l’existence d’une relation de travail ( 8 ). Pour déterminer si Mme X a poursuivi son activité aux Pays‑Bas pendant son congé sans solde tout en exerçant une activité distincte en Autriche, il faut donc examiner, dans un premier temps, si sa relation de travail a été maintenue, ce qui serait le cas, par exemple, si l’exécution de son contrat de travail n’avait été suspendue que temporairement, et vérifier, dans un second temps, si elle a conservé sa qualité de travailleur salarié aux Pays‑Bas au sens de l’article 1er, sous a), du règlement no 1408/71. |
34. |
En ce qui concerne le premier élément, il apparaît de la décision de renvoi que la relation de travail liant Mme X à son employeur néerlandais s’est poursuivie pendant la période de congé sans solde, tant en fait que conformément à la loi néerlandaise, qui est la loi applicable à la relation de travail en question. En ce qui concerne le second élément, dans la mesure où Mme X appartenait à une branche du régime de la sécurité sociale des Pays‑Bas pendant la période en cause, elle a également conservé, aux Pays‑Bas, sa qualité de « travailleur salarié » au sens de l’article 1er, sous a), du règlement no 1408/71, indépendamment du point de savoir si, en réalité, elle a exercé une quelconque activité économique durant cette période limitée. Il en découle que Mme X doit être considérée comme ayant exercé normalement une activité salariée dans deux États membres aux fins de l’application du titre II du règlement no 1408/71 en dépit de la suspension temporaire de sa relation de travail dans l’un de ces deux États membres. |
35. |
Comme l’a expliqué la juridiction de renvoi, les doutes qu’elle conçoit en l’espèce résultent du fait que Mme X a obtenu un congé sans solde particulier, différent des interruptions habituelles de l’activité d’un travailleur, comme le travail à temps partiel ou les congés annuels, en ce que l’inexécution temporaire du travail ne résulte pas directement du contrat d’emploi, mais d’un accord spécial prévu par le code néerlandais du travail. Je considère néanmoins que, pourvu que l’interruption de l’activité prévue par l’accord spécial demeure temporaire et que la personne concernée conserve sa couverture de sécurité sociale aux Pays‑Bas, la situation est comparable à d’autres formes plus typiques d’exercice de deux activités simultanées dans deux États membres, comme, par exemple, une activité parallèle exercée pendant un congé payé ou durant le week-end ( 9 ). Si Mme X avait pris un congé payé afin d’exercer son activité supplémentaire de moniteur de ski en Autriche pendant la période en question, cela aurait incontestablement permis de considérer celle-ci comme une activité exercée dans deux États membres. J’estime qu’il faut tirer la même conclusion dans la présente situation où Mme X bénéficiait d’un congé sans solde parce que son contrat de travail n’a été suspendu que temporairement et parce qu’elle a continué à être couverte par le régime néerlandais de la sécurité sociale. |
36. |
Selon moi, l’interprétation que je propose est conforme à la finalité des règles du titre II du règlement no 1408/71, qui visent à faciliter la libre circulation des travailleurs et la libre prestation des services, et donc également à favoriser l’interpénétration économique tout en évitant les complications administratives, notamment pour les travailleurs et les entreprises ( 10 ). |
37. |
Appliquer la règle générale de conflit (lex loci laboris) impliquerait que la situation de Mme X était soumise à la législation néerlandaise à l’exception d’un mois en 2008 et de deux mois en 2009, périodes durant lesquelles elle serait soumise à la législation autrichienne. Selon moi, pareil résultat ne serait pas conforme à la finalité des règles de conflit que comporte le titre II du règlement no 1408/71. |
38. |
Des changements fréquents de législation applicable entraîneraient un surcroît de travail administratif. Même si Mme X a décidé de contester l’applicabilité de la législation néerlandaise durant son congé sans solde, je crois donc que, dans la plupart des situations, il serait préférable pour un travailleur migrant de demeurer soumis à la législation d’un seul État membre pour éviter les démarches administratives supplémentaires qu’impliquerait un changement de législation applicable. Telle est d’ailleurs la position farouchement défendue par le gouvernement néerlandais et la Commission. |
39. |
Enfin, j’observerai, à titre strictement subsidiaire, que cette interprétation cadre bien avec la définition d’une personne qui « exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres » introduite dans le règlement no 883/2004, règlement qui, bien qu’il ne soit pas applicable ratione temporis à la présente espèce, est riche d’enseignements dans la mesure où il cherche à consolider la pratique qui l’a précédé. En particulier, cette définition se réfère à une personne « qui exerce simultanément, ou en alternance, pour la même entreprise ou le même employeur ou pour différentes entreprises ou différents employeurs, une ou plusieurs activités différentes dans deux États membres ou plus» ( 11 ). |
40. |
Pour toutes ces raisons, je considère qu’eu égard au fait que le congé sans solde impliquait uniquement une suspension temporaire de l’exécution du contrat de travail aux Pays-Bas et au fait que Mme X a continué à être couverte par le régime néerlandais de la sécurité sociale, elle devrait être considérée comme ayant conservé sa qualité de travailleur salarié aux Pays-Bas. Durant la période comprise entre le 1er décembre 2008 et le 28 février 2009, sa situation serait dès lors régie par l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71, qui prévoit l’application de la lex domicilii, à savoir la législation néerlandaise en l’espèce. |
41. |
En réponse à la seconde question, sousb), de la juridiction de renvoi, j’observerai que, comme Mme X doit manifestement être considérée comme ayant exercé normalement une activité salariée en Autriche au cours de la période en question, le fait qu’elle ait ou non été également employée en Autriche durant les années suivantes est dénué de pertinence aux fins de la détermination de la législation applicable à la présente espèce. |
42. |
Contrairement aux situations sur lesquelles porte la jurisprudence citée par la juridiction de renvoi ( 12 ), Mme X était simultanément employée dans deux États membres par deux employeurs distincts. Il n’est dès lors pas nécessaire de tenir compte d’une limite chronologique de douze mois à propos du détachement temporaire d’employés ni de discuter le point de savoir si son emploi en Autriche était « temporaire ». |
43. |
Je voudrais émettre une dernière réserve. |
44. |
Les règles de conflit énoncées au titre II du règlement no 1408/71 n’ont pas seulement pour objet de mettre en œuvre le principe de l’État unique, mais également de garantir que le travailleur migrant demeure entièrement couvert par un régime de sécurité sociale lorsqu’il exerce une activité dans deux ou plusieurs États membres. |
45. |
À ce sujet, comme je l’ai déjà souligné à l’occasion d’une affaire antérieure ( 13 ), dans des situations aussi extrêmes que celle qui nous occupe aujourd’hui, il conviendrait de tenir compte du niveau des prestations prévu par la législation de l’État concerné afin d’assurer que cette législation ne prive pas la personne concernée de la protection conférée par les branches fondamentales de la sécurité sociale. Si le niveau de protection disponible en application de cette législation était manifestement inadéquat, cet élément devrait être pris en considération pour déterminer la législation applicable. Il pourrait notamment être approprié de suspendre temporairement l’application de la législation déterminée conformément aux règles de conflit et d’appliquer la législation d’un autre État membre, qui prévoit une protection adéquate. |
46. |
Néanmoins, ces considérations finales ne semblent pas s’appliquer en l’espèce puisque le gouvernement néerlandais a confirmé à l’audience que Mme X demeurait couverte par toutes les branches pertinentes du régime néerlandais de la sécurité sociale pendant son congé sans solde. |
47. |
À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, je considère que l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles qui sont en cause au principal, une personne qui réside et est employée dans un État membre et qui prend un congé sans solde de trois mois afin d’exercer une activité salariée dans un autre État membre pour un autre employeur est considérée comme exerçant normalement une activité salariée dans deux États membres durant cette période aux fins de la détermination de la législation applicable. Conformément à cette disposition, une telle personne est soumise à la législation de l’État de résidence. |
Conclusion
48. |
À la lumière de l’exposé qui précède, je propose que la Cour réponde aux questions préjudicielles que lui a posées le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) de la manière suivante : L’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles qui sont en cause au principal, une personne qui réside et est employée dans un État membre et qui prend un congé sans solde de trois mois afin d’exercer une activité salariée dans un autre État membre pour un autre employeur est considérée comme exerçant normalement une activité salariée dans deux États membres durant cette période aux fins de la détermination de la législation applicable. Conformément à cette disposition, une telle personne est soumise à la législation de l’État de résidence. |
( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le « règlement no 1408/71 »). Le règlement no 1408/71 a été abrogé et remplacé avec effet au 1er mai 2010 par le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1). Il demeure néanmoins applicable ratione temporis à la procédure au principal.
( 3 ) La Commission se réfère à l’arrêt du 7 juin 2005, Dodl et Oberhollenzer (C‑543/03, EU:C:2005:364, points 31 et 34).
( 4 ) Voir, en particulier, arrêt du 24 mars 1994, Van Poucke (C‑71/93, EU:C:1994:120, point 22).
( 5 ) Arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala (C‑85/96, EU:C:1998:217, point 36), et du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C‑275/96, EU:C:1998:279, point 21).
( 6 ) Arrêt du 7 juin 2005 (C‑543/03, EU:C:2005:364).
( 7 ) Arrêt du 7 juin 2005, Dodl et Oberhollenzer (C‑543/03, EU:C:2005:364, point 31) ; voir également point 12 des conclusions que l’avocat général Geelhoed a présentées dans cette affaire (EU:C:2005:112).
( 8 ) Voir, pour une expression similaire figurant à l’article 13 du règlement no 883/2004, Fuchs, M. et Cornelissen, R., EU Social Security Law : A Commentary on EU Regulations 883/2004 and 987/2009, Nomos/C.H. Beck/Hart Publishing, Baden-Baden/Munich/Oxford, 2015, p. 177.
( 9 ) Voir, en ce qui concerne les dispositions analogues figurant aux articles 11 et 13 du règlement no 883/2004, le Guide pratique sur la législation applicable dans l’Union européenne (UE), dans l’Espace économique européen (EEE) et en Suisse, Commission européenne, 2013, p. 24 et 25. On observera que, aux termes de l’avertissement qui figure au début de ce guide pratique, celui-ci a été élaboré et approuvé par la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, commission composée de représentants de tous les États membres. Ce guide est un instrument de travail permettant de déterminer la législation de la sécurité sociale applicable, mais ne reflète en aucun cas une position officielle de la Commission.
( 10 ) Arrêts du 17 décembre 1970, Manpower (35/70, EU:C:1970:120, point 10), et du 9 novembre 2000, Plum (C‑404/98, EU:C:2000:607, point 19). Voir également, en ce qui concerne la jurisprudence du Sąd Najwyższy (Cour suprême de Pologne), Ślebzak, K., Koordynacja systemów zabezpieczenia społecznego, Wolters Kluwer, Varsovie, 2012, p. 242.
( 11 ) Voir article 14, paragraphe 5, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4). Cet article dispose qu’« [a]ux fins de l’application de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, une personne qui “exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres” désigne une personne qui exerce simultanément, ou en alternance, pour la même entreprise ou le même employeur ou pour différentes entreprises ou différents employeurs, une ou plusieurs activités différentes dans deux États membres ou plus ».
( 12 ) Arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606, points 35 à 37).
( 13 ) Voir les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Franzen e.a. (C‑382/13, EU:C:2014:2190, points 89 et 90).