CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 1er mars 2017 ( 1 )
Affaire C‑326/15
« DNB Banka » AS
[demande de décision préjudicielle formée par l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie)]
« Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112/CE – Exonération des prestations de services fournies par certains groupements à leurs membres – Effet direct – Définition d’un “groupement autonome de personnes” »
I – Introduction
1. |
Dans le cadre de la demande de décision préjudicielle provenant de Lettonie, la Cour doit examiner l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ). Cette disposition est l’une des exonérations du droit de l’Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui n’ont pas encore été complètement clarifiées. Jusqu’à présent, au cours des dernières décennies, la Cour a examiné seulement trois fois ( 3 ) cette exonération et ses nombreuses conditions d’application. Toutefois, quatre affaires concernant différents aspects de cette exonération sont pendantes devant la Cour ( 4 ). |
2. |
À cet égard, la présente affaire devrait avoir une importance fondamentale surtout pour le champ d’application personnel de l’exonération. En revanche, l’affaire similaire Aviva ( 5 ) a essentiellement pour objet la question des champs d’application matériel (extension également à des assurances) et territorial (extension à des « groupements transfrontaliers ») de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA et de l’appréciation de l’absence de distorsion de la concurrence. |
3. |
L’exonération a pour origine la décision du législateur de l’Union de ne pas accorder en principe de déduction de la TVA en amont aux entreprises qui fournissent des prestations de services exonérées, comme les médecins ou les écoles. Ainsi, si les prestations fournies par ces entreprises ne sont pas imposées, les prestations en amont restent soumises à la TVA. En fin de compte, cela conduit à exonérer seulement partiellement la prestation fournie au consommateur final, car la TVA en amont non déductible est généralement prise en compte dans le calcul du prix et elle pèse ainsi, non pas directement, mais indirectement, sur le destinataire. |
4. |
Comme ces entreprises ne déduisent pas la TVA en amont, l’achat de parties de prestations (imposables) qu’elles pourraient fournir elles-mêmes peut avoir une incidence négative sur le calcul du prix, à hauteur de la TVA non déductible. Ainsi, l’embauche d’un détective privé par une compagnie d’assurances entraîne une charge à hauteur des frais de personnel, le recours à un détective externe entraîne une charge à hauteur des frais de personnel de ce détective et de la TVA sur ces frais. Par conséquent, en règle générale, les entreprises ont un intérêt économique à fournir elles-mêmes ces prestations et à ne pas les acheter à d’autres entreprises dans le cadre de fournitures imposables. En fin de compte, dans le système de TVA en vigueur, la création d’une exonération fiscale sans déduction de la TVA en amont conduit à traiter l’entreprise qui fournit des prestations de services exonérées comme un consommateur final, qui ne doit pas non plus de TVA mais ne peut pas faire valoir de droit à déduction de la TVA en amont, même lorsqu’il fournit des prestations de services ou cède des biens à titre onéreux. |
5. |
Toutefois, même pour des entreprises fournissant des prestations exonérées, il peut exister des situations dans lesquelles il est économiquement justifié ou même nécessaire pour des raisons de concurrence de fournir certaines parties de prestations, non pas seules, mais avec d’autres entreprises fournissant également des prestations exonérées. Par exemple, il peut être intéressant pour plusieurs organismes de sécurité sociale de se partager les coûts d’un centre de traitement de données. Dans de tels cas de figure, l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA exonère également, sous certaines conditions, les prestations fournies par le groupement à ses membres. Ainsi, dans cette mesure, l’exclusion de la déduction de la TVA en amont n’a pas d’incidence sur le calcul du prix, ce qui permet de maintenir l’étendue de l’exonération fiscale pour le consommateur final, et ce que la prestation ait été fournie entièrement par la seule entreprise exonérée ou par celle-ci avec d’autres entreprises exonérées. |
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
6. |
Dans l’Union européenne, une TVA est prélevée conformément à la directive TVA. Conformément, notamment, à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, sont soumises à la TVA « les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ». |
7. |
Toutefois, conformément à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, les États membres exonèrent de la TVA les opérations suivantes : « les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence » ( 6 ). |
B – Le droit letton
8. |
Pendant la période concernée par le litige au principal, le droit letton ne comportait pas de disposition transposant l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. |
III – Le litige au principal
9. |
Le litige au principal a pour objet la TVA que l’institut de crédit DNB Banka AS doit pour les années 2009 à 2010. |
10. |
DNB Banka fait partie du groupe DNB. Pendant ces années, DNB Banka a, semble-t-il, fourni différentes prestations de services financiers exonérées et a été le destinataire de différentes prestations fournies par d’autres sociétés du groupe, pour lesquelles, manifestement, selon l’appréciation de la juridiction de renvoi, elle est redevable de la TVA. Il est contesté que ces prestations soient exonérées de la TVA conformément à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. Il s’agit des prestations suivantes :
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11. |
À titre de rémunération, DNB Nord et DNB Nord IT ont facturé à chaque fois à DNB Banka les coûts de fourniture des prestations de services plus un supplément de 5 %. DNB Nord IT a au moins pu faire valoir au Danemark la TVA en amont sur les prestations de services fournies, car les autorités danoises ont estimé que ces prestations n’étaient pas exonérées. |
IV – Procédure devant la Cour
12. |
Le 1er juillet 2015, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) qui, entre-temps, a été saisie du litige, a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes en vertu de l’article 267 TFUE :
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13. |
Des observations écrites relatives à ces questions ont été soumises par DNB Banka, les gouvernements grec, letton, luxembourgeois, hongrois, polonais, portugais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission européenne. Lors de l’audience du 30 juin 2016, ont participé DNB Banka, les gouvernements allemand, letton, luxembourgeois, polonais et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission. |
V – Appréciation juridique
14. |
Comme l’a indiqué la juridiction de renvoi, c’est seulement le 1er janvier 2014 qu’a été adoptée une disposition transposant en droit letton l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. Toutefois, la juridiction de renvoi part du principe qu’avant cette date l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA produisait un effet direct en faveur de DNB Banka. C’est pourquoi elle estime que l’interprétation de cette disposition est nécessaire pour la solution du litige au principal. |
A – Sur l’effet direct de l’exonération
15. |
Tout d’abord, il convient de vérifier la prémisse de la juridiction de renvoi concernant l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. |
16. |
Selon une jurisprudence constante, les particuliers sont fondés à invoquer directement les dispositions d’une directive qu’un État membre s’est abstenu de transposer en droit national, lorsque les dispositions sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises ( 7 ). |
17. |
Selon une jurisprudence constante, une disposition du droit de l’Union est inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres ( 8 ). |
18. |
L’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est tout d’abord inconditionnel du point de vue du contenu dans la mesure où il ne laisse pas aux États membres la faculté de prévoir cette exonération dans le droit national mais les oblige à le faire ( 9 ). |
19. |
Néanmoins, dans un arrêt récent, la Cour a refusé pour la première fois de reconnaître à une disposition de la directive TVA le caractère inconditionnel du point de vue du contenu, au motif que, bien que son libellé ne le prévoie pas expressément, elle requerrait encore d’être précisée par des dispositions nationales ( 10 ). |
20. |
La République fédérale d’Allemagne a fait valoir en substance que, pour transposer cette condition dans le droit national, il serait nécessaire que le législateur national procède à un examen et à une sélection des secteurs autorisés. Il serait impossible aux autorités nationales compétentes respectives de décider dans chaque cas particulier s’il existe une distorsion de concurrence excluant l’exonération. Dans ces conditions, un effet direct de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA serait exclu. |
21. |
Cependant, l’arrêt de la Cour évoqué ci-avant concernait une disposition (l’article 11 de la directive TVA) prévoyant une faculté de choix des États membres dont l’exercice implique d’interpréter plusieurs notions juridiques imprécises. Or, une exonération telle que celle prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’est pas comparable avec cela. |
22. |
En effet, la condition (négative) de « distorsion de la concurrence » est « seulement » une notion juridique imprécise qui, selon la Cour, requiert de vérifier si, indépendamment de toute taxation ou exonération, les groupements sont assurés de conserver la clientèle de ses membres ( 11 ). Cet examen doit être effectué au cas par cas et ne peut pas être décidé à l’avance de manière abstraite pour certains secteurs. C’est pourquoi cette condition d’application n’accorde au législateur national aucune marge de manœuvre (abstraite) en matière de régulation, et l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est également inconditionnel à cet égard. |
23. |
Pour produire un effet direct, la disposition devrait également être suffisamment précise. Selon la jurisprudence, il en va ainsi « lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques » ( 12 ). Il faut pour cela que le libellé de la directive soit suffisamment clair ( 13 ). |
24. |
Comme nous l’avons expliqué ci-avant, la condition (négative) de « distorsion de la concurrence » est « seulement » une notion juridique imprécise dont il convient de vérifier les conditions. C’est pourquoi, à cet égard, le libellé de la directive est suffisamment clair. |
25. |
De surcroît, la Cour a déjà reconnu un effet direct à l’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA, qui subordonne également une imposition des organismes de droit public notamment à l’apparition d’une distorsion de concurrence ( 14 ). Même si cette condition requérait l’appréciation de facteurs économiques, cela ne s’opposerait pas à l’effet direct ( 15 ). |
26. |
En outre, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, surtout, veut refuser l’effet direct à l’article 132, paragraphe 1, sous f), au motif que les États membres devraient encore adopter des dispositions relatives à la forme juridique d’un groupement et aux conditions à remplir pour être membre d’un tel groupement. |
27. |
Toutefois, nous ne pouvons pas non plus partager ce point de vue. Certes, une disposition d’une directive qui laisse une ample marge de manœuvre aux États membres n’est pas directement applicable. Cependant, la condition de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’accorde aucune marge de manœuvre aux États membres concernant la forme juridique du groupement et les conditions à remplir pour être membre d’un tel groupement. |
28. |
À cet égard, la disposition ne comporte pas de pouvoir de définition des États membres et un tel pouvoir ne résulte pas non plus d’une référence implicite au droit civil des États membres. Selon une jurisprudence constante, dans le cadre, notamment, des exonérations qui, entre-temps, sont régies par l’article 132 de la directive TVA, il convient d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre ( 16 ). De même que, par conséquent, selon une jurisprudence constante, la notion de « propriété » au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA ne doit pas faire référence aux formes existant dans le droit national ( 17 ), il est impossible de recourir au droit national pour définir un groupement et les conditions à remplir pour être membre d’un tel groupement. |
29. |
Ainsi, l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA respecte le principe de précision et il est suffisamment clair pour produire un effet direct ( 18 ). |
30. |
Comme, par conséquent, l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est inconditionnel du point de vue de son contenu et suffisamment clair, il produit un effet direct. |
B – Sur les questions préjudicielles
1. Sur la quatrième question : définition de la notion de « groupement autonome »
31. |
Sur les six questions préjudicielles au total, il convient tout d’abord de répondre à la quatrième, car son importance est primordiale pour le champ d’application de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. |
32. |
En effet, par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir en substance si le groupement autonome de personnes au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA doit être lui-même un sujet de droit ou s’il peut aussi, comme dans l’affaire au principal, être constitué d’un groupe d’entreprises liées dont les sociétés se fournissent mutuellement des prestations de services. |
33. |
Tout d’abord, il y a lieu de constater à cet égard qu’un groupement au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA doit, en tant que tel, être assujetti au sens de l’article 9 de la directive TVA. |
34. |
En effet, la Cour a déjà constaté en substance, concernant l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, que, compte tenu de l’interprétation stricte des exonérations prévues par le droit en matière de TVA qui s’impose ( 19 ), une interprétation de cette disposition allant au-delà de son libellé clair est incompatible avec l’objectif de cette disposition ( 20 ). Il découle de ce libellé que le groupement appelé « autonome » dans les conditions d’application fournit les prestations de services en tant que tel et doit donc, pour cette raison, être distingué de ses membres du point de vue de la TVA. |
35. |
Comme, par conséquent, l’exonération n’est applicable qu’à des prestations de services fournies par le groupement lui-même, mais pas par ses membres, celui-ci doit être un assujetti au sens de l’article 9 de la directive TVA. Autrement, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, il n’y aurait déjà aucune prestation imposable du groupement qui puisse être exonérée. Sont imposables seulement des prestations fournies par « un assujetti en tant que tel ». |
36. |
Il en irait autrement seulement si l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA visait à garantir l’étendue de l’exonération fiscale ou de la non‑imposition des activités des membres du groupement en prévoyant que la simple coopération de tels assujettis (ou non-assujettis) ne doit pas entraîner de charge fiscale supplémentaire. Cela expliquerait alors pourquoi le groupement doit fournir des prestations aux fins immédiates des activités non imposées des membres et peut seulement demander le remboursement exact de la part respective des coûts de ces prestations. |
37. |
Toutefois, le libellé, d’interprétation stricte, de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA parle bien de la fourniture de prestations à exonérer par un groupement qui, comme nous l’avons exposé dans les conclusions dans l’affaire Commission/Luxembourg ( 21 ), ne sont imposables que lorsqu’elles sont également fournies par un assujetti au sens de l’article 9 de la directive TVA. |
38. |
Cependant, un groupement autonome n’a pas besoin d’être une personne morale. En effet, la Cour a laissé entendre à différentes occasions qu’une personnalité juridique propre n’est pas nécessaire pour être considérée comme un assujetti au sens de l’article 9 de la directive TVA ( 22 ). Ce qui est déterminant à cet égard, c’est seulement le point de savoir si une personne ou un groupement de personnes ou bien d’actifs exerce une activité économique de manière « autonome » au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA. |
39. |
Jusqu’à présent, dans sa jurisprudence relative au critère de l’autonomie au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, la Cour a examiné plusieurs cas de figure, où la question était toujours de savoir si une personne ou un ensemble d’actifs se trouvait dans un rapport de subordination par rapport à un autre assujetti et donc exerçait une activité de manière non autonome, en application directe ou par analogie de l’article 10 de la directive TVA. L’objet de cette question était l’autonomie d’une personne par rapport à son donneur d’ordre ( 23 ), d’associés par rapport à leur société ( 24 ) et d’unités d’une organisation par rapport à l’organisation elle-même ( 25 ). |
40. |
Précisément, la dernière jurisprudence mentionnée, concernant les entités organisationnelles, est transposable au cas de figure de l’espèce. En effet, un groupement au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA doit offrir à ses membres une structure commune de collaboration ( 26 ), qui est donc devenue autonome du point de vue de l’organisation. La Cour a considéré que les entités organisationnelles ne sont pas autonomes notamment lorsqu’elles ne peuvent pas disposer d’actifs propres ( 27 ). Toutefois, un groupe en tant que tel, c’est-à-dire un groupement de plusieurs sociétés autonomes, ne peut pas disposer d’actifs propres uniquement en raison de participations se trouvant sous ces sociétés. Ainsi, un groupe en tant que tel ne constitue en principe pas un assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, et, pour cette raison, ne peut pas non plus constituer un groupement autonome au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. |
41. |
Cette interprétation est confirmée par l’existence de la règle spéciale énoncée à l’article 11 de la directive TVA. Aux termes de cette disposition, les États membres peuvent « considérer comme un seul assujetti les personnes […] qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation ». Seule cette disposition vise à permettre de considérer des entreprises liées comme un seul assujetti et, en conséquence, à exonérer de la charge de la TVA les prestations fournies à l’intérieur du groupe. |
42. |
Certes, une société autonome ayant plusieurs associés à l’intérieur d’un groupe peut éventuellement devoir être qualifiée de groupement autonome. Cependant, l’exonération ne concernerait alors que des prestations fournies par une société à ses associés, car l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’exonère que les prestations fournies par le groupement à ses membres, et pas l’inverse. Toutefois, ce ne sont pas de telles prestations qui font l’objet du litige au principal, si bien qu’il n’est pas nécessaire d’examiner davantage cette question. |
43. |
Par conséquent, l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’est, a priori, pas applicable à un cas de figure comme celui de l’affaire au principal, car il ne s’agit pas de prestations fournies par un groupement autonome, au sens de la condition d’application de la disposition, à ses membres. |
44. |
Ainsi, en réponse à la quatrième question, il y a lieu de constater qu’un groupement autonome de personnes au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), ne doit pas être une personne morale mais doit être un assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA. Cette condition n’est, a priori, pas remplie par un groupe en tant que tel, composé de sociétés liées. |
2. Sur les première, deuxième, troisième et sixième questions : application à un groupement « transfrontalier »
45. |
Par les première, deuxième, troisième et sixième questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir en fin de compte si et à quelles conditions l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est susceptible d’être applicable à un groupement ayant une activité transfrontalière. |
46. |
Cela suppose tout d’abord, comme l’a également exposé la République fédérale d’Allemagne, que l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA soit effectivement applicable à des entreprises qui fournissent des prestations de services financiers au sens de l’article 135 de la directive TVA. Comme nous l’avons montré dans nos conclusions dans l’affaire Aviva ( 28 ), ce n’est pas le cas. En raison de sa position dans l’économie générale de la directive et de sa genèse, l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA vise uniquement des groupements d’assujettis qui effectuent des opérations exonérées en vertu de l’article 132 de la directive. Les prestations de services financiers ne sont pas concernées. |
47. |
Par ailleurs, il est impossible de déduire de la directive TVA une application transfrontalière de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de ladite directive. Comme nous l’avons montré dans nos conclusions dans l’affaire Aviva ( 29 ), cela découle déjà de la sixième directive. De surcroît, cela découle également des difficultés d’appréciation des conditions d’application de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA par plusieurs États membres. En fin de compte, les recettes fiscales d’un État membre dépendraient de situations (changeantes) et d’estimations non vérifiables dans d’autres États membres (ou même dans des États tiers). Cela créerait des problèmes pratiques importants, serait contraire au principe du droit de l’Union de compétence fiscale des États membres sur leur territoire ( 30 ) et pourrait donc justifier une éventuelle atteinte aux libertés fondamentales causée par la directive TVA. |
3. Sur la cinquième question : supplément de 5 %
48. |
Par la cinquième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir en substance si l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est également applicable lorsque l’assujetti a appliqué une majoration aux opérations, en l’espèce de 5 %, conformément aux dispositions en matière de fiscalité directe de l’État membre dans lequel il est établi. |
49. |
Conformément à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, les prestations de services des groupements sont exonérées uniquement à la condition que ceux-ci « se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun ». |
50. |
En l’espèce, il est établi que le montant dû était supérieur aux dépenses engagées au sens de la disposition, par conséquent, cette condition n’est pas remplie. |
51. |
Il pourrait en aller autrement seulement si la notion de « dépenses » figurant à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA couvrait également le poste de dépenses du salaire de l’entrepreneur, que pourrait peut-être refléter un supplément sur les dépenses effectives engagées pour fournir la prestation. Il est fort douteux que ce soit le cas. Tout d’abord, cette interprétation est contraire au libellé de la disposition dans pratiquement toutes les langues. Dans le langage courant, « remboursement » ( 31 ) ( 32 ) ( 33 ) ne comprend que les dépenses et pas la rémunération. De surcroît, la prise en compte d’une rémunération de l’entrepreneur n’est pas compatible avec l’objectif de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, que nous avons exposé dans nos conclusions dans l’affaire Aviva ( 34 ). Cet objectif est d’étendre une autre exonération à une étape antérieure, parce que les assujettis coopèrent entre eux pour des raisons de concurrence. L’idée d’une rémunération de l’entrepreneur en tant que dépense du groupement n’est pas compatible avec l’élimination d’un désavantage concurrentiel. |
52. |
Par conséquent, il convient de répondre à la cinquième question que l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ne trouve pas à s’appliquer si la contrepartie payée pour la prestation de services est supérieure aux dépenses engagées. Il en va ainsi également lorsque, conformément aux dispositions relatives à l’imposition directe, un simple supplément forfaitaire est payé. |
VI – Proposition de décision
53. |
Au vu des considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle de l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) :
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( 1 ) Langue originale : l’allemand.
( 2 ) JO 2006, L 347, p. 1 (ci-après la « directive TVA »).
( 3 ) Arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties (348/87, EU:C:1989:246) ; du 20 novembre 2003, Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2003:621), et du 11 décembre 2008, Stichting Centraal Begeleidingsorgaan voor de Intercollegiale Toetsing (C‑407/07, EU:C:2008:713).
( 4 ) Outre la présente affaire, il s’agit des affaires C‑274/15 (Commission/Luxembourg), C‑605/15 (Aviva) et C‑616/15 (Commission/Allemagne).
( 5 ) Affaire C‑605/15.
( 6 ) Dans la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive ») ; abrogée entre-temps, cette disposition correspondait à l’article 13, A, paragraphe 1, sous f). La jurisprudence de la Cour relative à cette disposition doit également être prise en considération en l’espèce.
( 7 ) Voir notamment arrêts du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, point 25) ; du 22 juin 1989, Costanzo (103/88, EU:C:1989:256, point 29) ; du 10 septembre 2002, Kügler (C‑141/00, EU:C:2002:473, point 51), et du 7 juillet 2016, Ambisig (C‑46/15, EU:C:2016:530, point 16) ; voir, déjà, arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, point 12).
( 8 ) Voir notamment arrêts du 23 février 1994, Comitato di coordinamento per la difesa della cava e.a. (C‑236/92, EU:C:1994:60, point 9) ; du 26 octobre 2006, Pohl-Boskamp (C‑317/05, EU:C:2006:684, point 41) ; du 1er juillet 2010, Gassmayr (C‑194/08, EU:C:2010:386, point 45) ; du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 32), et du 7 juillet 2016, Ambisig (C‑46/15, EU:C:2016:530, point 17).
( 9 ) Voir en ce sens, concernant une autre exonération, arrêt du 28 novembre 2013, MDDP (C‑319/12, EU:C:2013:778, point 49).
( 10 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C‑108/14 et C‑109/14, EU:C:2015:496, point 50).
( 11 ) Voir arrêt du 20 novembre 2003, Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2003:621, point 59).
( 12 ) Arrêts du 23 février 1994, Comitato di coordinamento per la difesa della cava e.a. (C‑236/92, EU:C:1994:60, point 10) ; du 17 septembre 1996, Cooperativa Agricola Zootecnica S. Antonio e.a. (C‑246/94 à C‑249/94, EU:C:1996:329, point 19) ; du 29 mai 1997, Klattner (C‑389/95, EU:C:1997:258, point 33), ainsi que du 1er juillet 2010, Gassmayr (C‑194/08, EU:C:2010:386, point 45).
( 13 ) Voir notamment arrêts du 25 janvier 1983, Smit Transport (126/82, EU:C:1983:14, point 11) ; du 4 décembre 1997, Kampelmann e.a. (C‑253/96 à C‑258/96, EU:C:1997:585, point 38) ; du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn (C‑292/02, EU:C:2004:499, point 61) ; du 19 décembre 2012, Orfey (C‑549/11, EU:C:2012:832, point 53), ainsi que du 6 octobre 2015, T‑Mobile Czech Republic et Vodafone Czech Republic (C‑508/14, EU:C:2015:657, point 53).
( 14 ) Voir second alinéa de cette disposition qui correspond à l’article 4, paragraphe 5, second alinéa, de la sixième directive.
( 15 ) Voir arrêt du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a. (231/87 et 129/88, EU:C:1989:381, points 32 et 33), ainsi que, concernant l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive, arrêt du 8 juin 2006, Feuerbestattungsverein Halle (C‑430/04, EU:C:2006:374, point 31).
( 16 ) Voir notamment arrêts du 25 février 1999, CPP (C‑349/96, EU:C:1999:93, point 15) ; du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 15) ; du 21 février 2013, Žamberk (C‑18/12, EU:C:2013:95, point 17), et du 2 juillet 2015, De Fruytier (C‑334/14, EU:C:2015:437, point 17).
( 17 ) Voir notamment arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C‑320/88, EU:C:1990:61, point 7) ; du 15 décembre 2005, Centralan Property (C‑63/04, EU:C:2005:773, point 62), et du 3 septembre 2015, Fast Bunkering Klaipėda (C‑526/13, EU:C:2015:536, point 51).
( 18 ) Voir arrêt du 20 novembre 2003, Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2003:621, points 58 à 65).
( 19 ) Voir seulement, concernant ce principe réitéré dans une jurisprudence constante, arrêts du 26 juin 1990, Velker International Oil Company (C‑185/89, EU:C:1990:262, point 19) ; du 16 septembre 2004, Cimber Air (C‑382/02, EU:C:2004:534, point 25), et du 2 juillet 2015, De Fruytier (C‑334/14, EU:C:2015:437, point 18).
( 20 ) Voir, concernant l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive, arrêt du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties (348/87, EU:C:1989:246, points 13 et 14).
( 21 ) Voir conclusions que nous avons présentées dans l’affaire Commission/Luxembourg (C‑274/15, EU:C:2016:750, points 49 et suiv.).
( 22 ) Voir arrêts du 27 janvier 2000, Heerma (C‑23/98, EU:C:2000:46, point 8), et du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław (C‑276/14, EU:C:2015:635, point 28) ; voir en ce sens également arrêt du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C‑108/14 et C‑109/14, EU:C:2015:496, point 37) qui, à cet égard, semble transposable à l’article 9 de la directive TVA.
( 23 ) Arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas (235/85, EU:C:1987:161) ; du 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla (C‑202/90, EU:C:1991:332), et du 12 novembre 2009, Commission/Espagne (C‑154/08, non publié, EU:C:2009:695).
( 24 ) Arrêts du 27 janvier 2000, Heerma (C‑23/98, EU:C:2000:46), et du 18 octobre 2007, van der Steen (C‑355/06, EU:C:2007:615).
( 25 ) Voir, concernant à chaque fois une succursale d’une société, arrêts du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196), et du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige (C‑7/13, EU:C:2014:2225) ; voir, concernant un organisme communal, arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław (C‑276/14, EU:C:2015:635).
( 26 ) Arrêt du 11 décembre 2008, Stichting Centraal Begeleidingsorgaan voor de Intercollegiale Toetsing (C‑407/07, EU:C:2008:713, point 37).
( 27 ) Voir en ce sens conclusions que l’avocat général Jääskinen a présentées dans l’affaire Gmina Wrocław (C‑276/14, EU:C:2015:431, point 46) ainsi qu’arrêt rendu dans la même affaire le 29 septembre 2015 (EU:C:2015:635, point 38) ; voir en outre arrêts du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196, point 37), et du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige (C‑7/13, EU:C:2014:2225, point 26), où la Cour se fonde sur l’existence d’un capital propre de la société.
( 28 ) Voir conclusions que nous avons présentées le même jour dans l’affaire C‑605/15 (points 19 et suiv.).
( 29 ) Voir conclusions que nous avons présentées le même jour dans l’affaire C‑605/15 (points 36 et suiv.).
( 30 ) Voir, concernant le principe de territorialité en général, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 46) ; du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome (C‑182/08, EU:C:2009:559, points 82 et suiv.), ainsi que du 5 juillet 2012, SIAT (C‑318/10, EU:C:2012:415, points 45 et 46) ; voir également, concernant le principe de territorialité en matière de TVA, arrêt du 12 septembre 2013, Le Crédit Lyonnais (C‑388/11, EU:C:2013:541, point 42).
( 31 ) En bulgare : « вьзтановане […] разходи », en espagnol : « reembolso exacto », en allemand : « Erstattung », en anglais : « exact reimbursement », en français : « remboursement exact », en italien : « rimborso », en letton : « precīi atmaksāt », en néerlandais : « terugbetaling », en polonais : « zwrotu przypadającej », en suédois : « ersättning », voir seulement la version en langue danoise qui semble aller plus loin : « godtgørelse », évoquant un « dédommagement ».
( 32 ) Note sans objet dans la version en langue française des présentes conclusions.
( 33 ) Note sans objet dans la version en langue française des présentes conclusions.
( 34 ) Voir conclusions que nous avons présentées le même jour dans l’affaire C‑605/15 (points 20 et 21).