CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 14 janvier 2016 ( 1 )

Affaires jointes C‑145/15 et C‑146/15

K. Ruijssenaars,

A. Jansen (C‑145/15),

J. H. Dees-Erf (C‑146/15)

contre

Staatssecretaris van Infrastructuur en Milieu

[demandes de décision préjudicielle formées par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas)]

«Renvoi préjudiciel — Transports aériens — Règlement (CE) no 261/2004 — Indemnisation et assistance des passagers — Annulation d’un vol — Article 16 — Organismes nationaux chargés de l’application du règlement — Droits subjectifs — Rôle des organismes nationaux chargés de l’application du règlement — Plainte individuelle — Sanctions»

1. 

Par sa question, le Raad van State (Conseil d’État) cherche à savoir si l’article 16 du règlement (CE) no 261/2004 ( 2 ) impose à un organisme national chargé de l’application de ce règlement d’adopter des mesures coercitives afin de contraindre un transporteur aérien à verser à un passager aérien l’indemnisation qui serait due à la suite du retard ou de l’annulation d’un vol, conformément aux articles 5 et 7 dudit règlement.

2. 

L’article 16, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 oblige les États membres à désigner un organisme national chargé de l’application de ce règlement qui, le cas échéant, prend des mesures nécessaires au respect des droits des passagers.

3. 

Dans les présentes conclusions, nous expliquerons les raisons pour lesquelles nous estimons que l’article 16 du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un organisme national chargé de l’application de ce règlement, saisi d’une plainte individuelle d’un passager aérien, ne peut pas adopter de mesures coercitives à l’encontre du transporteur aérien concerné afin de le contraindre à verser l’indemnisation qui serait due à ce passager en vertu dudit règlement.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

Le considérant 1 du règlement no 261/2004 indique que «[l]’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers».

5.

L’article 5 de ce règlement est rédigé comme suit:

«1.   En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés:

[...]

c)

ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol:

i)

au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)

de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)

moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

[...]

3.   Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[...]»

6.

L’article 7, paragraphe 1, dudit règlement prévoit:

«Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à:

a)

250 euros pour tous les vols de 1500 kilomètres ou moins;

b)

400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1500 à 3500 kilomètres;

[...]»

7.

L’article 16 du règlement no 261/2004 est rédigé de la manière suivante:

«1.   Chaque État membre désigne un organisme chargé de l’application du présent règlement en ce qui concerne les vols au départ d’aéroports situés sur son territoire ainsi que les vols à destination de ces mêmes aéroports et provenant d’un pays tiers. Le cas échéant, cet organisme prend les mesures nécessaires au respect des droits des passagers. Les États membres notifient à la Commission l’organisme qui a été désigné en application du présent paragraphe.

2.   Sans préjudice de l’article 12, tout passager peut saisir tout organisme désigné en application du paragraphe 1, ou tout autre organisme compétent désigné par un État membre, d’une plainte concernant une violation du présent règlement survenue dans tout aéroport situé sur le territoire d’un État membre ou concernant tout vol à destination d’un aéroport situé sur ce territoire et provenant d’un pays tiers.

3.   Les sanctions établies par les États membres pour les violations du présent règlement sont efficaces, proportionnées et dissuasives.»

B – Le droit néerlandais

8.

Afin de se conformer à l’article 16 du règlement no 261/2004, le Royaume des Pays-Bas a désigné le Staatssecretaris van Infrastructuur en Milieu (secrétaire d’État aux Infrastructures et à l’Environnement, ci-après le «secrétaire d’État») comme étant l’organisme national chargé de l’application de ce règlement. Ainsi, conformément à l’article 11.15, sous b), 1°, de la loi sur l’aviation (Wet luchtvaart), du 18 juin 1992 ( 3 ), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après la «loi sur l’aviation»), le secrétaire d’État est compétent pour obliger, par voie de contrainte administrative, le contrevenant à se conformer aux dispositions contenues dans ledit règlement ou adoptées en vertu de celui-ci afin de remédier à l’infraction. S’il ne le fait pas ou s’il ne le fait pas dans les délais imposés, le secrétaire d’État est compétent pour remédier lui-même à cette infraction.

9.

En cas de violation des dispositions contenues dans le règlement no 261/2004 ou adoptées en vertu de celui-ci, le secrétaire d’État peut, conformément à l’article 11.16, paragraphe 1, sous e), 1°, de la loi sur l’aviation, imposer une amende administrative.

10.

La juridiction de renvoi précise que cette loi donne au secrétaire d’État une compétence générale pour prendre des mesures coercitives en cas de violation du règlement no 261/2004 et prend l’exemple du transporteur aérien qui refuse systématiquement de remplir ses obligations découlant de ce règlement. En revanche, elle estime que ladite loi ne donne pas compétence au secrétaire d’État pour prendre des mesures coercitives à la requête d’un passager dans chaque cas individuel dans lequel le transporteur aérien refuse de faire droit à une demande d’indemnisation fondée sur les articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7 dudit règlement.

II – Le cadre factuel

11.

MM. Ruijssenaars et Jansen (affaire C‑145/15) ainsi que M. Dees-Erf (affaire C‑146/15) (ci-après, ensemble, les «requérants au principal»), dont les vols ont été, respectivement, annulé et retardé de 26 heures, ont réclamé, à deux reprises, aux compagnies aériennes en charge de ces vols, à savoir Royal Air Maroc (affaire C‑145/15) et Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (affaire C‑146/15), le versement de l’indemnité prévue à l’article 7 du règlement no 261/2004.

12.

À la suite des refus successifs des deux transporteurs aériens d’indemniser les requérants au principal, ces derniers ont demandé au secrétaire d’État de prendre les mesures coercitives administratives nécessaires en vue de les contraindre à corriger l’infraction à l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004 et à leur verser l’indemnité demandée, au titre de l’article 7 de ce règlement.

13.

Les demandes et les réclamations des requérants au principal ont été rejetées par le secrétaire d’État. Dès lors, MM. Ruijssenaars et Jansen ont saisi le Rechtbank Oost-Brabant (tribunal du Brabant oriental) d’un recours contre la décision de rejet du secrétaire d’État les concernant et M. Dees-Erf a saisi le Rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) d’un recours contre la décision de rejet du secrétaire d’État le concernant. Ces juridictions ont toutes deux déclaré non fondés les recours. Les requérants au principal ont, alors, décidé d’interjeter appel devant le Raad van State (Conseil d’État).

14.

Dans chacune des présentes affaires, le Raad van State (Conseil d’État) éprouve des doutes quant à la compétence du secrétaire d’État pour adopter des mesures coercitives administratives à l’égard des transporteurs aériens dans chaque cas individuel de violation des articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7 du règlement no 261/2004.

15.

Cette juridiction estime, en effet, que, la relation entre un transporteur aérien et un passager étant de nature civile, l’inexécution par ce transporteur de ses obligations relève de la compétence des juridictions civiles. Admettre que le secrétaire d’État possède une telle compétence porterait atteinte, selon elle, à la répartition des compétences judiciaires aux Pays-Bas. De plus, selon les travaux parlementaires de la loi sur l’aviation, il n’incombe pas à l’autorité administrative de réclamer au transporteur aérien une indemnisation au nom des passagers.

16.

C’est dans ce contexte que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer dans ces deux affaires et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 16 du règlement no 261/2004 impose-t-il aux autorités nationales d’adopter des mesures d’exécution habilitant l’organisme désigné sur la base de cet article à prendre des mesures coercitives administratives dans chaque cas individuel de violation des articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7 de ce règlement, afin de garantir le droit d’un passager à obtenir une indemnisation dans chaque cas individuel, étant entendu que le droit néerlandais permet aux passagers de faire valoir devant les juridictions civiles les droits que, en vertu du droit de l’Union, ils sont susceptibles de tirer des articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7 dudit règlement?»

III – Notre analyse

17.

Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 16 du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un organisme national chargé de l’application de ce règlement, saisi d’une plainte individuelle d’un passager aérien, est tenu d’adopter des mesures coercitives à l’encontre du transporteur aérien concerné afin de le contraindre à verser l’indemnisation qui serait due à ce passager en vertu dudit règlement.

18.

En réalité, la question qui se pose dans les présentes affaires est celle de savoir quelle est l’étendue du rôle dévolu aux organismes nationaux chargés de l’application du règlement no 261/2004 en vertu de celui-ci.

19.

L’article 16 du règlement no 261/2004 n’a pas encore fait l’objet d’une interprétation par la Cour. Tout au plus a-t-il été évoqué dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Commission/Luxembourg (C‑264/06, EU:C:2007:240); Commission/Suède (C‑333/06, EU:C:2007:351), et McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43), sans, toutefois, que la question qui nous est ici soumise soit abordée.

20.

Selon les requérants au principal, cet article imposerait à l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 de prendre des mesures coercitives à l’encontre des transporteurs aériens afin de les contraindre à verser aux passagers concernés l’indemnisation due au titre des articles 5 et 7 de ce règlement. Ainsi, les requérants au principal considèrent qu’il convient d’établir une distinction entre, d’une part, les dommages et intérêts résultant du manquement aux obligations contractuelles, qui doivent être demandés devant les juridictions civiles, et, d’autre part, l’obligation de payer l’indemnisation qui dérive directement du règlement no 261/2004 et qui doit être imposée par l’organisme national chargé de l’application de ce règlement ( 4 ).

21.

Nous ne partageons pas cet avis, et ce pour les raisons suivantes.

22.

L’article 16, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 prévoit que «[c]haque État membre désigne un organisme chargé de l’application du présent règlement [...] Le cas échéant, cet organisme prend les mesures nécessaires au respect des droits des passagers». Le paragraphe 2 de cet article indique que «tout passager peut saisir tout organisme désigné en application du paragraphe 1, ou tout autre organisme compétent désigné par un État membre, d’une plainte concernant une violation du présent règlement survenue dans tout aéroport situé sur le territoire d’un État membre ou concernant tout vol à destination d’un aéroport situé sur ce territoire et provenant d’un pays tiers». Enfin, le paragraphe 3 dudit article prévoit que «[l]es sanctions établies par les États membres pour les violations du présent règlement sont efficaces, proportionnées et dissuasives».

23.

La mission de l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 peut donc être double. En effet, sa mission première, obligatoire, est de veiller à l’application de ce règlement. La seconde, qui n’est pas forcément dévolue à cet organisme, mais qui peut être confiée à un autre organisme, est de traiter les plaintes des passagers aériens.

24.

Rien dans le libellé de l’article 16 du règlement no 261/2004 ne permet de déduire que l’organisme national chargé de l’application de ce règlement est tenu de prendre des mesures coercitives à l’encontre des transporteurs aériens afin de les contraindre à verser aux passagers concernés l’indemnisation due au titre des articles 5 et 7 dudit règlement.

25.

S’il est vrai que le texte de l’article 16 du règlement no 261/2004 fait référence à des «mesures nécessaires» et à des «sanctions», ces termes se rapportent, en réalité, au rôle premier de l’organisme national chargé de l’application de ce règlement, qui est de veiller à la bonne application générale dudit règlement.

26.

En effet, cet article 16 doit être lu en combinaison avec le considérant 22 du règlement no 261/2004. Ainsi, celui-ci indique que «[l]es États membres devraient veiller à l’application générale par leurs transporteurs aériens du présent règlement, contrôler son application et désigner un organisme approprié chargé de le faire appliquer. Le contrôle ne devrait pas porter atteinte aux droits des passagers et des transporteurs de demander réparation auprès des tribunaux conformément aux procédures prévues par le droit national» ( 5 ).

27.

Il ressort de la lecture combinée de ces deux dispositions que la mission première, obligatoire, de l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 est de s’assurer, de manière globale, que les transporteurs aériens remplissent leurs obligations découlant de ce règlement. Par exemple, cet organisme doit veiller à ce que les passagers aériens soient dûment informés, par les transporteurs aériens, de leurs droits ou qu’ils sachent à qui ils doivent s’adresser s’ils estiment que leurs droits n’ont pas été respectés ( 6 ). Ils doivent, également, identifier les éventuelles violations, par les transporteurs aériens, des obligations qui leur incombent en vertu dudit règlement et y remédier.

28.

En cas de violation de ces obligations, l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 prend les mesures nécessaires au respect des droits des passagers, et notamment des sanctions à l’encontre des transporteurs aériens ( 7 ). L’emploi du terme «sanctions», à l’article 16, paragraphe 3, dudit règlement, ne laisse pas de place au doute. En aucun cas, ces sanctions ne peuvent tenir lieu d’indemnisation pour le passager dont les droits n’ont pas été respectés. En effet, lesdites sanctions ne sont infligées qu’en cas de manquements des transporteurs aériens aux obligations qui leur incombent en vertu du règlement no 261/2004, et non pour une violation des droits subjectifs que tire le passager aérien de ce règlement à la suite d’un contrat qu’il a conclu avec un transporteur aérien. L’organisme national chargé de l’application dudit règlement, dans sa mission première, défend, en réalité, les intérêts collectifs des passagers aériens.

29.

Cette interprétation est confirmée par les travaux préparatoires actuellement en cours aux fins de la modification du règlement no 261/2004. Ainsi, la Commission, tout en rappelant que celui-ci «impose [...] aux États membres de mettre en place des organismes nationaux chargés de contrôler l’application du droit [...] afin de garantir [son] application correcte» ( 8 ), indique qu’il convient de clarifier le rôle de ces organismes en leur attribuant de manière claire le contrôle général de l’application et de s’assurer qu’ils adopteront une politique de surveillance plus proactive qu’aujourd’hui ( 9 ).

30.

Les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre dans la désignation desdits organismes et, surtout, dans l’attribution des compétences qu’ils souhaitent leur conférer. À cet égard, il existe une certaine disparité institutionnelle. Certains États membres ont choisi de désigner comme organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 leur autorité nationale d’aviation civile, alors que d’autres ont préféré désigner leur autorité nationale de protection des consommateurs ( 10 ). De même, si certains États membres (en réalité, la grande majorité) ont désigné cet organisme comme étant compétent pour traiter les plaintes individuelles au sens de l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, en revanche, d’autres ont chargé un autre organisme de cette mission ( 11 ).

31.

Qu’en est-il lorsque l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 est également chargé du traitement des plaintes individuelles? Est-il dans l’obligation de prendre des mesures coercitives pour contraindre le transporteur aérien à indemniser le passager aérien? Nous ne le pensons pas.

32.

Comme nous l’avons vu, l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 peut, conformément à l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, être également chargé du traitement des plaintes. Rien dans le libellé de cette disposition n’indique qu’il serait dans l’obligation d’agir à la suite d’une plainte d’un passager aérien concernant la violation de ses droits en vertu dudit règlement. À notre avis, les États membres disposent, à cet égard, d’une certaine marge de manœuvre en ce qui concerne l’étendue des compétences conférées à cet organisme. Ce dernier peut, ainsi, prendre la forme d’un organisme chargé de la résolution extrajudiciaire des litiges entre les transporteurs aériens et les passagers et jouer le rôle de médiateur ou bien son rôle peut se limiter à fournir des informations au passager aérien l’ayant saisi d’une plainte, notamment afin de connaître les démarches à effectuer, comme déposer une réclamation auprès du transporteur aérien ou l’orienter vers le formulaire standard européen ( 12 ).

33.

S’il n’existe pas, dans le chef de l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 qui traite les plaintes, d’obligation d’agir à la suite d’une plainte individuelle, en revanche, le nombre de plaintes dont il a été saisi peut être un bon indicateur d’une violation répétée des obligations qui incombent au transporteur aérien et peut donc l’amener à prendre des mesures coercitives à l’encontre de celui-ci ( 13 ).

34.

Une telle interprétation n’est pas de nature à remettre en cause les objectifs que le règlement no 261/2004 vise à atteindre, à savoir celui de garantir une protection élevée des passagers et celui de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général ( 14 ). Bien au contraire.

35.

En effet, nous rappelons que le règlement no 261/2004 a pour objectif de garantir un niveau élevé de protection des passagers aériens en leur reconnaissant des droits minimaux en cas de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard important d’un vol ( 15 ). S’ils estiment que leurs droits ont été violés et que le recours non contentieux a échoué, les passagers aériens conservent la possibilité de recourir aux voies de droit classiques. Ils peuvent, ainsi, saisir la juridiction compétente. Dans la plupart des États membres, il existe une procédure simplifiée pour les litiges dont le montant n’excède pas un certain seuil, facilitant ainsi l’accès à la justice pour les passagers aériens ( 16 ). À cet égard, la juridiction de renvoi précise que ce seuil, aux Pays-Bas, est de 25000 euros et que la représentation d’un avocat n’est pas obligatoire.

36.

Concernant les litiges transfrontaliers, nous rappelons qu’il existe une procédure européenne de règlement des petits litiges prévue par le règlement (CE) no 861/2007 ( 17 ) qui s’applique aux litiges dont le montant de la demande ne dépasse pas 2000 euros et qui ne requiert pas non plus de ministère d’avocat ( 18 ).

37.

Ces procédures permettent donc aux passagers aériens de disposer d’une voie de recours contentieux facilitée face aux professionnels que sont les compagnies aériennes.

38.

Par ailleurs, l’articulation et la détermination des rôles respectifs des organismes nationaux chargés de l’application du règlement no 261/2004, des organismes chargés du traitement des plaintes, le cas échéant, et des juridictions nationales, telles qu’elles ressortent de notre analyse, sont bien les seules à même de garantir la protection des passagers aériens et des consommateurs en général.

39.

En effet, s’il était laissé aux organismes nationaux chargés de l’application du règlement no 261/2004 le soin de mettre en œuvre les droits subjectifs que tirent les passagers aériens de ce règlement et de contraindre les transporteurs aériens à verser l’indemnisation qui serait due en vertu des dispositions de ce règlement, cela conduirait inévitablement à des divergences d’interprétation du droit de l’Union, divergences qui seraient source d’insécurité juridique pour les passagers aériens. Nous pouvons, dès lors, très bien imaginer qu’un organisme national chargé de l’application dudit règlement, saisi d’une plainte individuelle, puisse estimer que l’annulation d’un vol n’est pas la conséquence de la survenance de circonstances extraordinaires et accéder, ainsi, à la demande formulée par le passager aérien en contraignant le transporteur aérien à l’indemniser, alors même que la juridiction compétente saisie en parallèle ou a posteriori considérerait que de telles circonstances sont établies et que cette indemnisation n’est donc pas due.

40.

En outre, se pose nécessairement la question de savoir si un organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 peut être qualifié de «juridiction», au sens de la jurisprudence de la Cour, lui donnant ainsi l’accès à la procédure de renvoi préjudiciel. À notre avis, un tel organisme ne peut pas bénéficier de cette qualification ( 19 ). Dès lors, si nous admettions que cet organisme puisse adopter des mesures coercitives à l’encontre d’un transporteur aérien afin de le contraindre à indemniser un passager aérien, cela risquerait, en cas de doute quant à l’interprétation qu’il convient de donner des dispositions pertinentes du règlement no 261/2004, de voir se développer des interprétations divergentes de ces dispositions par les différents organismes nationaux chargés de l’application de ce règlement et, ainsi, de porter atteinte à l’interprétation et à l’application uniformes du droit de l’Union, dans un contentieux qui abonde devant notre Cour, l’interprétation desdites dispositions étant source de nombreuses difficultés.

41.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous sommes d’avis que l’article 16 du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un organisme national chargé de l’application de ce règlement, saisi d’une plainte individuelle d’un passager aérien, ne peut pas adopter de mesures coercitives à l’encontre du transporteur aérien concerné afin de le contraindre à verser l’indemnisation qui serait due à ce passager en vertu de ce règlement.

IV – Conclusion

42.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question du Raad van State (Conseil d’État) de la manière suivante:

L’article 16 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens qu’un organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004, saisi d’une plainte individuelle d’un passager aérien, ne peut pas adopter de mesures coercitives à l’encontre du transporteur aérien concerné afin de le contraindre à verser l’indemnisation qui serait due à ce passager en vertu dudit règlement.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1).

( 3 ) Stb. 1992, no 368.

( 4 ) Point 20 des observations écrites dans l’affaire C‑145/15.

( 5 ) Italique ajouté par nos soins.

( 6 ) Voir points 3.3 et 3.4 de la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application du règlement no 261/2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol [COM(2011) 174 final].

( 7 ) Voir article 16, paragraphes 1 et 3, de ce règlement.

( 8 ) Voir point 1.1 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement no 261/2004, ainsi que le règlement (CE) no 2027/97 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en ce qui concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages [COM(2013) 130 final].

( 9 ) Voir point 3.3.1.2 de cette proposition.

( 10 ) Voir document de la Commission disponible à l’adresse Internet http://ec.europa.eu/transport/themes/passengers/air/doc/2004_261_national_enforcement_bodies.pdf.

( 11 ) Idem. C’est le cas, notamment, de la Hongrie, de la République de Finlande et du Royaume de Suède.

( 12 ) Ce formulaire est disponible à l’adresse Internet http://ec.europa.eu/transport/themes/passengers/air/doc/complain_form/eu_complaint_form_fr.pdf.

( 13 ) D’ailleurs, la Commission, dans sa proposition de règlement mentionnée à la note en bas de page 8, propose une meilleure coordination entre l’organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004 et l’organisme chargé de traiter les plaintes individuelles, afin de pouvoir identifier facilement les manquements aux obligations qui découlent de ce règlement et, ainsi, de sanctionner, le cas échéant, le transporteur aérien défaillant (voir articles 16 et 16 bis).

( 14 ) Voir considérant 1 de ce règlement.

( 15 ) Voir article 1er, paragraphe 1, de ce règlement.

( 16 ) Voir document du Parlement européen intitulé «Procédure européenne de règlement des litiges – Analyse juridique de la proposition de la Commission visant à remédier aux défauts du système actuel», disponible à l’adresse Internet http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2014/542137/EPRS_IDA%282014%29542137_FR.pdf.

( 17 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (JO L 199, p. 1).

( 18 ) Voir articles 2, paragraphe 1, et 10 de ce règlement.

( 19 ) Nous rappelons que, «en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si l’organisme de renvoi possède le caractère d’une ‘juridiction’, au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance [...] En outre, les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel» (voir arrêt Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta, C‑377/13, EU:C:2014:1754, point 23).