Affaire T‑138/14

Randa Chart

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

«Responsabilité non contractuelle — Agent local affecté à la délégation de l’Union en Égypte — Fin de contrat — Défaut de la délégation de fournir à l’organisme égyptien de la sécurité sociale le certificat de fin de service de l’agent et de régulariser ultérieurement la situation de ce dernier à cet égard — Prescription — Préjudice continu — Irrecevabilité partielle — Principe de bonne administration — Délai raisonnable — Article 41 de la charte des droits fondamentaux — Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers — Préjudice certain — Lien de causalité»

Sommaire – Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 16 décembre 2015

  1. Responsabilité non contractuelle — Conditions — Illégalité — Préjudice — Lien de causalité — Absence de l’une des conditions — Rejet du recours en indemnité dans son ensemble

    (Art. 340, al. 2, TFUE)

  2. Responsabilité non contractuelle — Conditions — Illégalité — Violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union — Méconnaissance du droit d’un pays tiers — Exclusion — Exception — Méconnaissance constituant également une violation du droit de l’Union

    (Art. 340, al. 2, TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41)

  3. Responsabilité non contractuelle — Préjudice — Préjudice indemnisable — Préjudice à caractère continu — Inclusion — Conditions

    (Art. 340, al. 2, TFUE)

  4. Responsabilité non contractuelle — Conditions — Lien de causalité — Préjudice résultant de l’abstention d’une institution d’agir — Préjudice matériel causé à un ancien agent local par le défaut d’une délégation de l’Union de règlement des formalités administratives s’imposant à la suite de la cessation des fonctions de l’intéressé — Cause déterminante du préjudice ne résidant pas dans le comportement de la délégation de l’Union — Absence de lien de causalité

    (Art. 340, al. 2, TFUE)

  5. Recours en indemnité — Délai de prescription — Point de départ — Préjudice se produisant de façon continue — Date à prendre en considération

    (Art. 340, al. 2, TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 46)

  1.  Voir le texte de la décision.

    (cf. points 49, 50)

  2.  En matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, la condition relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe de l’Union concerné exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

    À cet égard, la méconnaissance d’une réglementation nationale d’un pays tiers ne saurait, en tant que telle et à elle seule, constituer une violation du droit de l’Union de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de celle-ci. En revanche, lorsqu’une telle méconnaissance constitue simultanément une violation d’une règle de droit de l’Union, notamment d’un principe général du droit de l’Union, la responsabilité extracontractuelle de l’Union peut être engagée. Ainsi, s’agissant de la méconnaissance par une délégation de l’Union du droit d’un pays tiers concernant l’établissement de certificats de fin de service pour son personnel, force est de constater qu’il y a eu violation du principe de bonne administration, au sens de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et, notamment, du principe du délai raisonnable. Or, le principe de bonne administration, lorsqu’il constitue l’expression d’un droit spécifique tel que le droit de voir les affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable, au sens dudit article 41, doit être considéré comme une règle du droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Par ailleurs, les institutions, organes et organismes de l’Union ne disposent pas d’une marge d’appréciation quant au respect, dans un cas concret, du principe de bonne administration. Par conséquent, la constatation d’une simple violation de ce principe par une délégation de l’Union suffirait pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

    (cf. points 51, 108, 109, 113-115)

  3.  La responsabilité extracontractuelle de l’Union ne saurait être engagée que si le requérant a effectivement subi un préjudice réel et certain. La condition relative à l’existence d’un préjudice certain est remplie dès lors que le préjudice est imminent et prévisible avec une certitude suffisante, même s’il ne peut pas encore être chiffré avec précision.

    En ce qui concerne les préjudices présentant un caractère continu, les dommages renouvelés au cours de périodes successives et augmentant à proportion du temps écoulé doivent être considérés comme ayant un caractère indemnisable. Ne saurait être couvert par cette définition le préjudice matériel constitué par les frais administratifs et les frais d’avocats encourus par un ancien agent local pour le renouvellement de ses titres de séjour et permis de travail dans un État membre ainsi que pour l’acquisition de la nationalité de cet État, en raison du défaut d’une délégation de l’Union de régularisation de la situation de celui-ci, après sa démission, dans un pays tiers, ce défaut ayant prétendument empêché l’intéressé de retourner dans ce pays. En effet, ces frais, même s’ils se sont répétés quelques fois au cours de plusieurs années, ont un caractère instantané, dans la mesure où ils se sont effectivement réalisés à la date de l’engagement de chacune des procédures administratives en cause et où leurs montants n’ont pas augmenté en proportion du temps écoulé.

    Ne saurait non plus être qualifié de continu, le préjudice constitué par les frais de voyage prétendument exposés par l’intéressé pour se rendre dans le pays tiers où est établie ladite délégation de l’Union. En effet, par nature, de tels frais se réalisent effectivement à la date de chacun des voyages en cause et n’augmentent pas en proportion du temps écoulé.

    (cf. points 52, 81, 82, 86)

  4.  En matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué exige que ledit préjudice découle de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, dès lors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale.

    À cet égard, dans des cas où le comportement prétendument à l’origine du dommage invoqué consiste en une abstention d’agir, il est spécialement nécessaire d’avoir la certitude que ledit dommage a effectivement été causé par les inactions reprochées et n’a pas pu être provoqué par des comportements distincts de ceux reprochés à l’institution défenderesse. Ainsi, s’agissant d’un recours d’un ancien agent local visant le préjudice matériel subi en raison du prétendu défaut d’une délégation de l’Union de régulariser la situation de celui-ci, après sa démission, auprès des autorités locales, si cette abstention a eu pour effet que l’intéressé n’a pu retourner travailler et habiter dans l’État où est établie la délégation de l’Union en cause, force est de constater qu’une décision de l’intéressé d’acheter un appartement dans son État membre de résidence et de souscrire à un emprunt hypothécaire à cet effet résulte, de façon déterminante, de son choix personnel, et non du comportement reproché. Il n’existe, tout au plus, qu’un lien indirect de cause à effet entre ce comportement et ces décisions d’achat et d’emprunt.

    (cf. points 53, 132, 133)

  5.  Voir le texte de la décision.

    (cf. points 55-58)