ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)

16 décembre 2015 ( * )

«Fonction publique — Personnel de l’EMA — Placement sous ‘statut non actif’ — Acte faisant grief — Droit d’être entendu — Violation»

Dans l’affaire F‑135/14,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE,

DE, ancien agent temporaire de l’Agence européenne des médicaments, demeurant à Buckhurst Hill (Royaume-Uni), représenté par Mes S. Rodrigues et A. Blot, avocats,

partie requérante,

contre

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par MM. S. Marino, T. Jabłoński et Mme N. Rampal Olmedo, en qualité d’agents, assistés de Mes D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (deuxième chambre),

composé de MM. K. Bradley (rapporteur), président, H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 25 novembre 2014, DE a introduit le présent recours tendant, en substance, à l’annulation de la décision du 31 janvier 2014 par laquelle l’Agence européenne des médicaments (EMA, ou ci-après l’« Agence ») l’a placé sous « statut non actif » à compter du 1er février 2014 jusqu’à l’expiration de son contrat d’agent temporaire, le 15 mars 2014, ainsi qu’à la condamnation de l’EMA à l’indemnisation du préjudice subi.

Cadre juridique

2

Le cadre juridique est constitué, d’abord, de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, puis de l’article 25, deuxième alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 11 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »).

3

En outre, le 1er décembre 2006, le directeur exécutif de l’EMA a adopté une décision relative au placement sous « statut non actif » des agents temporaires ou contractuels employés par l’EMA. Cette décision est rédigée ainsi :

Faits à l’origine du litige

4

Le requérant est entré en service au sein de l’Agence, en tant qu’administrateur scientifique, le 1er janvier 1999, en vertu d’un contrat d’agent temporaire conclu sur le fondement de l’article 2, sous a), du RAA.

5

Le 11 février 2004, les parties ont conclu un contrat selon lequel le requérant était engagé en tant qu’administrateur scientifique principal à compter du 16 mars 2004 pour une période de cinq ans expirant le 15 mars 2009. Ce contrat a été renouvelé une fois, jusqu’au 15 mars 2014.

Le rapport d’évaluation 2010/2012

6

La procédure d’établissement du rapport d’évaluation pour la période allant du 15 septembre 2010 au 15 septembre 2012 (ci-après le « rapport d’évaluation 2010/2012 ») a débuté le 15 août 2012 par un entretien entre le requérant et son évaluateur. Le rapport d’évaluation 2010/2012 est devenu définitif le 16 janvier 2013.

7

Le 6 mars 2013, le requérant a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre le rapport d’évaluation 2010/2012, réclamation rejetée par une décision du directeur exécutif de l’Agence, en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement de l’Agence (ci-après l’« AHCC »), du 2 juillet 2013.

8

Le 14 octobre 2013, le requérant a saisi le Tribunal d’un recours contre son rapport d’évaluation 2010/2012, lequel a été enregistré sous la référence F‑103/13.

9

Par arrêt du 11 décembre 2014, DE/EMA (F‑103/13, EU:F:2014:265), le Tribunal a rejeté le recours du requérant.

La décision de ne pas renouveler le contrat du requérant

10

Par lettre du 12 septembre 2013, l’AHCC a informé le requérant de sa décision de ne pas renouveler son contrat, lequel a donc pris fin à son échéance, le 15 mars 2014 (ci-après la « décision de ne pas renouveler le contrat »).

11

Le 19 novembre 2013, le requérant a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre de la décision de ne pas renouveler le contrat. Cette réclamation a été rejetée par décision de l’AHCC du 13 mars 2014.

12

Le 23 juin 2014, le requérant a saisi le Tribunal d’un recours contre la décision de ne pas renouveler le contrat. Ce recours a été enregistré sous la référence F‑58/14 et est actuellement pendant.

La décision de placement sous « statut non actif »

13

Par décision du 31 janvier 2014, le directeur exécutif de l’EMA, en sa qualité d’AHCC, a placé le requérant sous « statut non actif » à compter du 1er février 2014 et jusqu’à l’expiration de son contrat, le 15 mars 2014. Cette décision était rédigée dans les termes suivants :

14

Par courriel du 5 février 2014, le supérieur hiérarchique du requérant a informé son équipe que la charge de travail allait temporairement augmenter en raison du départ de deux agents.

15

Par lettre du 14 mars 2014 (ci-après la « lettre du 14 mars 2014 »), le directeur exécutif de l’EMA, en sa qualité d’AHCC, a indiqué au requérant ce qui suit :

16

Le 24 avril 2014, le requérant a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre de la décision du 31 janvier 2014 de le placer sous « statut non actif ». Cette réclamation a été rejetée par décision de l’AHCC du 15 août 2014 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

17

Par lettre du 1er octobre 2014, le requérant a demandé à l’AHCC de lui donner certaines explications concernant la décision de rejet de la réclamation et de lui transmettre plusieurs documents.

18

Par lettre du 23 octobre 2014, l’AHCC a répondu à la demande d’informations formulée dans la lettre du requérant du 1er octobre 2014 et a transmis à celui-ci une partie des documents demandés, à savoir une liste des documents imprimés par lui pour la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 31 janvier 2014, ainsi que des rapports de photocopies et d’impressions de documents concernant, selon l’AHCC, les années 2012 et 2013.

Conclusions des parties et procédure

19

Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable ;

annuler la décision du 31 janvier 2014 de le placer sous « statut non actif » ainsi que la lettre du 14 mars 2014 ;

annuler, en tant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

réparer le préjudice moral subi, estimé à la somme de 20000 euros ;

condamner l’EMA aux dépens.

20

L’EMA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours irrecevable ;

à titre subsidiaire, rejeter le recours dans sa totalité ;

rejeter la demande de réparation du préjudice moral ;

condamner le requérant aux dépens.

21

Par lettre du greffe du 25 février 2015, les parties ont été informées de la décision du Tribunal d’autoriser un second échange de mémoires limité aux fins de non-recevoir soulevées par l’EMA dans son mémoire en défense. Le mémoire en réplique est parvenu au greffe du Tribunal le 7 avril 2015 et le mémoire en duplique le 18 mai 2015.

22

Par lettre du 11 mai 2015, le greffe du Tribunal a transmis aux parties une proposition du juge rapporteur visant à aider les parties à trouver une solution à l’amiable du litige. Cette proposition n’a pas abouti.

En droit

Sur l’objet du litige

23

Le requérant demande l’annulation de la décision du 31 janvier 2014 le plaçant sous « statut non actif », de la lettre du 14 mars 2014 et, en tant que de besoin, de la décision de rejet de la réclamation.

24

Le Tribunal constate, en premier lieu, que la lettre du 14 mars 2014 n’a pas de caractère décisionnel puisque, comme l’EMA l’a expliqué lors de l’audience, elle vise à clarifier la motivation de la décision du 31 janvier 2014 de placer le requérant sous « statut non actif ».

25

En second lieu, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont, dans le cas où cette décision est dépourvue de contenu autonome, pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt du 11 décembre 2014, DE/EMA,F‑103/13, EU:F:2014:265, point 29, et la jurisprudence citée).

26

En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation confirme la décision du 31 janvier 2014 de placement sous « statut non actif », telle que complétée par la lettre du 14 mars 2014, en fournissant des précisions sur les motifs venant au support de celle-ci. Or, en pareille hypothèse, c’est bien la légalité de l’acte initial faisant grief, en l’occurrence la décision de placement sous « statut non actif » complétée par la lettre du 14 mars 2014, qui doit être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision rejetant la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec cet acte (arrêt du 18 avril 2012, Buxton/Parlement,F‑50/11, EU:F:2012:51, point 21, et la jurisprudence citée).

27

Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation dirigées contre la lettre du 14 mars 2014 et les conclusions en annulation dirigées contre la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et, par suite, doivent être regardées comme formellement dirigées contre la décision de placement sous « statut non actif » du 31 janvier 2014 (ci-après la « décision litigieuse »), telle que compétée dans sa motivation par la lettre du 14 mars 2014 et par la décision de rejet de la réclamation (arrêt du 11 décembre 2014, DE/EMA,F‑103/13, EU:F:2014:265, point 30, et la jurisprudence citée).

Sur la recevabilité du recours

Arguments des parties

28

En premier lieu, l’Agence considère, en substance, que la décision litigieuse n’est pas un acte faisant grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, en ce qu’elle ne produit pas des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, sa situation juridique.

29

Selon l’Agence, la nature d’acte faisant grief de la décision litigieuse devrait être exclue pour plusieurs raisons.

30

Premièrement, en adoptant la décision litigieuse, qui devrait être distinguée d’une mesure de suspension pure et simple, laquelle est un acte faisant grief, l’EMA aurait simplement exercé « un droit dont [elle] peut se prévaloir afin de protéger ses intérêts, lorsqu’un agent est informé que son contrat d’agent temporaire ou d’agent contractuel expirera à la fin de la durée déterminée ». L’EMA ajoute que l’adoption de la mesure contenue dans la décision litigieuse est prévue explicitement par la décision de son directeur exécutif du 1er décembre 2006 sur le « statut non actif », laquelle a été portée à la connaissance du personnel de l’Agence et constituerait une pratique courante au sein de l’Agence, qui aurait parfois adopté des mesures de placement sous « statut non actif » à la demande des agents concernés. Deuxièmement, le requérant ayant continué à percevoir l’intégralité de son salaire et de ses primes pendant la période durant laquelle il a été placé sous « statut non actif », sa situation juridique n’aurait subi aucune modification caractérisée.

31

En deuxième lieu, l’Agence considère que l’éventuelle annulation de la décision litigieuse n’apporterait aucun bénéfice au requérant, la décision litigieuse ayant cessé de produire ses effets le 15 mars 2014, et que, dès lors, le recours serait sans objet.

32

Le requérant considère en revanche que la décision litigieuse lui fait grief en ce qu’elle affecte sa carrière et sa réputation professionnelle.

33

En particulier, le requérant fait valoir, à titre d’exemple, que la décision litigieuse l’aurait empêché de publier un article scientifique, préparé dans le cadre des objectifs qui lui avaient été attribués par l’Agence, dont il était le premier signataire et que ses collègues de l’Agence ainsi que les personnes extérieures à l’Agence avec lesquelles il travaillait auraient eu « une impression suspecte et négative » au sujet de son départ précipité, ayant eu comme seules explications celles contenues dans le courriel 5 février 2014 de son supérieur hiérarchique.

34

En outre, le requérant soutient que, dans la décision de rejet de la réclamation, l’AHCC lui reprochait d’avoir passé un nombre d’heures disproportionné à faire des photocopies ou à imprimer des documents et que la décision litigieuse, versée à son dossier personnel, comporte une évaluation ouvertement négative de ses prestations, de sorte qu’il aurait un intérêt à la contester afin que ses prestations puissent être appréciées de manière juste et équitable.

35

Pour ce qui est de son intérêt à attaquer la décision litigieuse, le requérant rappelle qu’un agent peut démontrer un intérêt à agir lorsqu’un acte affecte, comme dans la présente espèce, sa réputation. En outre, l’annulation de la décision litigieuse lui donnerait la possibilité d’obtenir la réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

Appréciation du Tribunal

– Sur le caractère d’acte faisant grief de la décision litigieuse

36

À titre liminaire, il convient de rappeler que seuls font grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, les actes ou mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’un agent, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de ce dernier (arrêt du 23 octobre 2013, Solberg/OEDT,F‑124/12, EU:F:2013:157, point 16, et la jurisprudence citée).

37

En outre, il a été jugé qu’un changement de fonctions, même s’il n’affecte pas les intérêts matériels et/ou le rang de l’agent concerné, peut, en ce qu’il modifie les conditions d’exercice et la nature des fonctions, porter atteinte aux intérêts moraux et aux perspectives d’avenir de l’intéressé et donc lui faire grief (arrêt du 8 mai 2008, Kerstens/Commission,F‑119/06, EU:F:2008:54, point 45, et la jurisprudence citée).

38

Il y a lieu, ensuite, de rappeler que, en application de l’article 23 de l’annexe IX du statut, l’administration peut suspendre un agent de ses fonctions en cas de faute grave alléguée à l’encontre dudit agent. Selon une jurisprudence constante, une telle mesure, bien que provisoire, est, par nature, un acte faisant grief à l’intéressé dès lors qu’elle repose sur une allégation de faute grave et peut entraîner des conséquences importantes pour l’intéressé, tant sur le plan professionnel que personnel, en le privant, pour un tel motif, de l’exercice effectif de ses fonctions (voir, en ce sens, arrêts du 5 mai 1966, Gutmann/Commission,18/65 et 35/65, EU:C:1966:24, Rec. p. 149, 168, et du 15 juin 2000, F/Commission,T‑211/98, EU:T:2000:153, points 30 et 31). En outre, peuvent également être qualifiées d’actes faisant grief des mesures qui, comme en l’espèce, privent l’agent concerné de la possibilité d’exercer ses fonctions sans supprimer ou réduire sa rémunération (voir, concernant la mesure de suspension prévue par le règlement du personnel de la BEI, arrêt du 16 décembre 2004, De Nicola/BEI,T‑120/01 et T‑300/01, EU:T:2004:367, points 108 et 113).

39

En l’espèce, il y a lieu de constater que la décision litigieuse a pour objet et pour effet de priver le requérant de la possibilité de s’acquitter de ses fonctions pour une période de six semaines. Ainsi qu’il ressort de la lecture de la décision litigieuse, en ce compris la lettre du 14 mars 2014 et la décision de rejet de la réclamation, celle-ci a été prise, notamment, en considération du fait que, pendant l’année 2013, et en particulier après le 12 septembre 2013, date à laquelle l’AHCC a informé le requérant de la décision de ne pas renouveler son contrat, ce dernier aurait effectué, selon l’Agence, un nombre de photocopies et d’impressions de documents très élevé. Selon l’Agence, ce nombre de photocopies et d’impressions de documents ne pouvait pas être justifié sur la base de l’exécution des tâches confiées au requérant, mais était lié à la procédure juridictionnelle alors pendante devant le Tribunal entre le requérant et l’Agence dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 décembre 2014, DE/EMA (F‑103/13, EU:F:2014:256). Par ailleurs, lors de l’audience, les représentants de l’Agence ont soutenu que, en utilisant les imprimantes et les photocopieuses de l’EMA à des fins privées, le requérant aurait manqué à ses obligations professionnelles et que certains collègues du requérant s’étaient plaints du fait que celui-ci faisait une utilisation anormale des imprimantes partagées.

40

Dans ces conditions, bien que l’Agence ait qualifié la décision litigieuse de mesure de placement sous « statut non actif », une telle décision équivaut dans ses effets à une décision de suspension de fonctions, au titre de l’article 23 de l’annexe IX du statut, prise en raison d’un comportement fautif reproché au requérant auquel elle fait grief, tant par ses motifs que par son dispositif.

41

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par l’EMA.

42

Premièrement, la circonstance que, pendant la période allant du 1er février au 15 mars 2014, le requérant ait conservé la totalité de son salaire et de ses allocations ne saurait à elle seule être décisive pour écarter le caractère d’acte faisant grief de la décision litigieuse. En effet, le fait d’empêcher l’agent concerné de s’acquitter de ses tâches professionnelles est, en soi, susceptible de porter atteinte aux intérêts moraux de celui-ci, d’autant plus si une telle décision repose, comme dans le cas d’espèce, sur des reproches de comportement fautif faits à l’agent.

43

Deuxièmement, la circonstance que d’autres membres du personnel de l’Agence aient demandé expressément à être placés sous « statut non actif », à la supposer avérée, est également dépourvue de toute pertinence dès lors que, en tout état de cause, tel n’a pas été le cas en l’espèce.

44

Troisièmement, l’EMA ne saurait valablement se prévaloir ni de ce que la possibilité de placer un agent sous « statut non actif » est prévue par une décision portée à la connaissance de l’ensemble du personnel ni de ce que cette possibilité serait un « droit » de l’Agence, l’exercice de toute prérogative de l’administration étant en tout état de cause soumis à un contrôle de légalité de la part du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement,294/83, EU:C:1986:166, point 23, et du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki/BEI,T‑461/08, EU:T:2011:494, point 46).

45

Il y a donc lieu d’écarter la fin de non-recevoir soulevée par l’EMA et tirée de l’absence de caractère d’acte faisant grief de la décision litigieuse.

– Sur la fin de non-recevoir, tirée du non-lieu à statuer

46

Il convient de relever que la décision litigieuse a cessé de produire ses effets à la date d’expiration du contrat du requérant, à savoir le 15 mars 2014.

47

Toutefois, l’expiration du contrat n’a pas eu pour effet de retirer, avec effet rétroactif, la décision attaquée. De plus, force est de constater que, si la décision litigieuse n’a pas produit d’effets sur la situation matérielle du requérant, puisque celui-ci n’a pas été privé de sa rémunération durant sa suspension, elle a pu produire en revanche des effets sur son honorabilité (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2009, Wenig/Commission,F‑80/08, EU:F:2009:160, point 35, et la jurisprudence citée). Dans ces conditions, lors de l’introduction du recours, la décision litigieuse avait bien produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, lesquels effets n’ont pas disparu en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2004, De Nicola/BEI,T‑120/01 et T‑300/01, EU:T:2004:367, points 113 et 114).

48

Il y a donc lieu d’écarter la fin de non-recevoir tirée du non-lieu à statuer et de déclarer le présent recours recevable.

Sur le bien-fondé des conclusions en annulation de la décision litigieuse

49

Au soutien de ses conclusions en annulation de la décision litigieuse, le requérant soulève, en substance, six moyens, tirés respectivement, le premier, de la violation du droit à un recours effectif, le deuxième, de l’erreur manifeste d’appréciation des faits, le troisième, de la violation de l’obligation de motivation, le quatrième, de la violation du principe de bonne administration, le cinquième, de la violation du droit d’être entendu et, le sixième, de la violation des articles 4, 11, 12 et 25 du règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001 L 8, p. 1).

50

Le Tribunal examinera en premier lieu le cinquième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu.

Arguments des parties

51

Le requérant soutient que, en violation de l’article 41 de la Charte, l’EMA a adopté la décision litigieuse sans lui avoir donné la possibilité de faire valoir ses arguments et sans lui fournir les documents sur lesquels elle fondait cette décision.

52

En particulier, selon le requérant, s’il avait été entendu, il aurait pu indiquer à l’Agence que les données concernant les photocopies et les impressions de documents effectuées, sur lesquelles l’AHCC avait fondé la décision litigieuse, étaient complètement erronées. En outre, lors de l’audience, le requérant a soutenu qu’il aurait pu faire remarquer à l’Agence qu’il exerçait un droit fondamental, à savoir celui de l’accès au juge, et qu’il ne pouvait pas être sanctionné pour ce fait.

53

L’EMA rétorque que, la décision litigieuse n’étant pas un acte faisant grief au requérant, le droit du requérant d’être entendu avant l’adoption de ladite décision n’a pas pu être violé.

Appréciation du Tribunal

54

Le Tribunal rappelle d’emblée que le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard participe au respect des droits de la défense (voir, en ce sens, arrêts du 19 juin 2014, BN/Parlement,F‑157/12, EU:F:2014:164, point 84, et du 15 avril 2015, Pipiliagkas/Commission,F‑96/13, EU:F:2015:29, point 54).

55

Un tel droit a été repris par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte qui reconnaît « le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre », cette disposition étant d’application générale (arrêt du 11 septembre 2013, L/Parlement,T‑317/10 P, EU:T:2013:413, point 81). Afin d’assurer une protection effective du destinataire d’une telle mesure, l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte a notamment pour objet que celui-ci puisse corriger une erreur ou faire valoir tels éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran,C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 65, et la jurisprudence citée, et du 9 septembre 2015, De Loecker/SEAE,F‑28/14, EU:F:2015:101, point 128).

56

Il convient, ensuite, de préciser que le respect du droit d’être entendu implique que l’intéressé soit mis en mesure, préalablement à l’adoption de la décision qui l’affecte négativement, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances sur la base desquels cette décision a été adoptée (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 2014, Delcroix/SEAE,F‑11/13, EU:F:2014:91, point 35, et la jurisprudence citée, et du 13 novembre 2014, De Loecker/SEAE,F‑78/13, EU:F:2014:246, point 33).

57

S’agissant, en particulier, d’une décision de suspension adoptée sur le fondement de l’article 23 de l’annexe IX du statut, laquelle est prise en présence d’une allégation de faute grave, il a été jugé que, tout en tenant compte de l’urgence qu’il y a normalement à adopter une telle décision, celle-ci doit être adoptée dans le respect des droits de la défense, dont le droit d’être entendu est une des expressions. En conséquence, sauf circonstances particulières dûment établies, une décision de suspension à titre disciplinaire ne peut être adoptée qu’après que le fonctionnaire ou l’agent concerné a été mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge et sur lesquels l’autorité compétente envisage de fonder cette décision (arrêts du 15 juin 2000, F/Commission,T‑211/98, EU:T:2001:153, points 26 et suivants, et du 16 décembre 2004, De Nicola/BEI,T‑120/01 et T‑300/01, EU:T:2004:367, point 123).

58

En l’espèce, ainsi qu’il a été dit au point 39 du présent arrêt, la décision litigieuse a eu pour effet de priver le requérant de l’exercice effectif de ses fonctions et a été prise en raison du fait que celui-ci aurait effectué un nombre très élevé de photocopies et d’impressions de documents, lié, selon les dires de l’EMA, au litige alors pendant devant le juge de l’Union entre le requérant et l’Agence. Ainsi qu’il a été conclu au point 40 du présent arrêt, la décision litigieuse doit être regardée comme étant équivalente dans ses effets à une décision de suspension de fonctions à titre disciplinaire susceptible d’affecter défavorablement les intérêts du requérant. À cet égard, la décision litigieuse a pu entraîner en l’espèce des conséquences d’autant plus sensibles sur sa carrière, en portant atteinte à son image tant au sein de l’Agence qu’en dehors de celle-ci, vu qu’il y occupait un poste qui impliquait notamment de nombreux contacts avec des personnes extérieures à l’Agence.

59

Par ailleurs, l’EMA ne s’est prévalue, ni dans ses écrits, ni lors de l’audience lorsqu’elle a répondu à une question posée en ce sens par le Tribunal, d’aucune circonstance particulière établissant que l’AHCC avait été dans l’impossibilité, en pratique, d’entendre le requérant avant l’adoption de la décision litigieuse ou établissant qu’une audition préalable aurait été incompatible avec les intérêts du service.

60

Dans ces conditions, l’adoption de la décision litigieuse ne pouvait être prise sans que le requérant n’ait été entendu au préalable.

61

Or, il est constant que le requérant n’a pas été entendu avant l’adoption de la décision litigieuse. Cette circonstance n’est pas contestée par l’EMA qui se borne, pour l’essentiel, à soutenir que la décision litigieuse n’est pas un acte faisant grief au requérant.

62

Il y a donc lieu de constater que le droit du requérant d’être entendu avant toute décision faisant grief n’a pas été respecté par l’EMA, en violation de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.

63

En outre, interrogée lors de l’audience sur la question de savoir si, après avoir entendu le requérant, l’AHCC aurait pu adopter la même décision, l’EMA n’a apporté aucun élément de preuve permettant au Tribunal de conclure qu’elle aurait en tout état de cause adopté la décision litigieuse même si le requérant avait été entendu (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 2015, DD/FRA,F‑106/13 et F‑25/14, EU:F:2015:118, point 65).

64

En revanche, le requérant a fait valoir que, s’il avait reçu les documents sur la base desquels l’AHCC a adopté la décision litigieuse et s’il avait été entendu avant l’adoption de celle-ci, il aurait pu indiquer à l’AHCC que son raisonnement se fondait sur une interprétation erronée des données examinées. En effet, il ressort des documents transmis par l’Agence au requérant le 23 octobre 2014 que les données sur le nombre de photocopies et d’impressions de documents effectuées par celui-ci en 2012 concernent seulement les trois derniers mois de cette année et non toute l’année 2012 comme l’a soutenu erronément l’EMA, tant dans la lettre du 14 mars 2014 que dans la décision de rejet de la réclamation et dans la lettre du 23 octobre 2014 à laquelle étaient joints les documents susmentionnés. Il s’ensuit que l’AHCC a comparé le volume des photocopies et des impressions de documents effectuées sur une période de treize mois, allant de janvier 2013 à la fin de janvier 2014, avec le volume d’un seul trimestre de l’année 2012 et qu’elle s’est donc fondée sur des considérations manifestement erronées. Par ailleurs, l’EMA a elle-même reconnu, aussi bien dans son mémoire en défense que lors de l’audience, l’existence de cette erreur.

65

Enfin, si le requérant avait été entendu avant l’adoption de la décision litigieuse, il aurait pu contester les autres arguments avancés par l’EMA pour justifier la décision litigieuse. En effet, si l’EMA a soutenu dans ses écrits que, en tout état de cause, le volume de photocopies et d’impressions de documents effectuées par le requérant aurait été « exceptionnel », interrogée lors de l’audience sur cette question, elle n’a pas pu donner d’élément de comparaison permettant au Tribunal d’apprécier le caractère « exceptionnel » dudit volume. En outre, bien que sollicitée par le Tribunal, elle n’a pas fourni d’explications sur son argument, soulevé lors de l’audience, relatif aux plaintes alléguées des collègues du requérant et en particulier sur le fait que ces plaintes auraient été reçues dans le courant du mois de septembre 2013, alors que la décision litigieuse a été adoptée seulement le 31 janvier 2014.

66

Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure d’exclure que, si elle avait entendu le requérant avant l’adoption de la décision litigieuse, l’AHCC aurait pu adopter une décision différente et maintenir le requérant en service jusqu’à l’expiration de son contrat.

67

Compte tenu de tout ce qui précède, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu doit être accueilli. Il y a donc lieu d’annuler la décision litigieuse sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés.

Sur les conclusions indemnitaires

Arguments des parties

68

Le requérant soutient que la décision litigieuse lui a causé un préjudice moral et professionnel, ainsi qu’une atteinte à sa réputation.

69

Estimant que l’annulation de la décision litigieuse ne serait pas une réparation adéquate du préjudice subi, le requérant demande au Tribunal de condamner l’EMA à lui verser la somme de 20000 euros.

70

L’EMA conclut au rejet des conclusions indemnitaires.

Appréciation du Tribunal

71

Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que le requérant ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (arrêt du 2 juillet 2014, Psarras/ENISA,F‑63/13, EU:F:2014:177, point 54).

72

En l’espèce, le Tribunal estime que l’annulation de la décision litigieuse ne saurait constituer en elle-même une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral causé par celle-ci, le préjudice tenant au sentiment d’injustice engendré par l’illégalité de cette décision ressenti par le requérant.

73

Cette conclusion se fonde sur la nature de l’illégalité commise par l’AHCC, à savoir la violation du droit du requérant d’être entendu, et sur les circonstances dans lesquelles cette illégalité a été commise. À ce dernier égard, il y a lieu de tenir compte de ce que, premièrement, le requérant a été placé sous « statut non actif » alors qu’il avait travaillé au service de l’EMA pendant plus de quatorze ans et qu’il souhaitait voir son contrat d’agent temporaire renouvelé ; deuxièmement, de ce que la formulation de la décision litigieuse pouvait amener le requérant à penser qu’il subissait une rétorsion du fait d’avoir introduit un recours devant le Tribunal ; troisièmement, du fait que l’AHCC a transmis au requérant les données sur lesquelles elle s’était fondée en les accompagnant de l’indication, fausse et susceptible de l’induire en erreur, selon laquelle les données relatives à l’année 2012 concernaient toute l’année alors qu’en réalité elles se référaient à seulement un trimestre de cette année.

74

Dans ces circonstances, le Tribunal fixe, ex æquo et bono, à 10000 euros la somme que l’EMA devra verser au requérant en réparation de son préjudice moral.

Sur les dépens

75

Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

76

Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que l’EMA est la partie qui succombe. En outre, le requérant a, dans ses conclusions, expressément demandé que l’EMA soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, l’EMA doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par le requérant.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (deuxième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

La décision du 31 janvier 2014 par laquelle l’Agence européenne des médicaments a placé DE sous « statut non actif » est annulée.

 

2)

L’Agence européenne des médicaments est condamnée à payer à DE la somme de 10000 euros.

 

3)

L’Agence européenne des médicaments supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par DE.

 

Bradley

Kreppel

Rofes i Pujol

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2015.

Le greffier

W. Hakenberg

Le président

K. Bradley


( * )   Langue de procédure : l’anglais.