Affaire C‑387/14

Esaprojekt sp. z o.o.

contre

Województwo Łódzkie

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Krajowa Izba Odwoławcza)

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence – Capacités techniques et/ou professionnelles des opérateurs économiques – Article 48, paragraphe 3 – Possibilité de faire valoir les capacités d’autres entités – Article 51 – Possibilité de compléter l’offre – Article 45, paragraphe 2, sous g) – Exclusion de la participation à un marché public pour faute grave »

Sommaire – Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 4 mai 2017

  1. Rapprochement des législations–Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services–Directive 2004/18–Dépôt des offres–Possibilité pour un soumissionnaire de compléter de manière substantielle et significative son offre après l’expiration du délai de dépôt–Inadmissibilité–Violation du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/18, art. 2 et 51)

  2. Rapprochement des législations–Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services–Directive 2004/18–Attribution des marchés–Critères de sélection qualitative–Capacité technique et professionnelle–Possibilité de faire valoir les capacités d’autres entités–Limites–Droit du pouvoir adjudicateur d’insister sur la réalisation d’un marché indivisible par un seul opérateur–Conditions

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/18, art. 2, 44 et 48, § 2, a), et 3]

  3. Rapprochement des législations–Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services–Directive 2004/18–Attribution des marchés–Critères de sélection qualitative–Capacité technique et professionnelle–Possibilité de faire valoir une expérience acquise au sein d’un groupement d’entreprises dans le cadre d’un autre marché–Admissibilité–Condition–Participation effective et concrète de l’opérateur dans ce groupement

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/18, art. 2, 44 et 48, § 2, a), et 3]

  4. Rapprochement des législations–Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services–Directive 2004/18–Attribution des marchés–Causes d’exclusion de la participation à un marché–Opérateur s’étant rendu gravement coupable de fausses déclarations–Notion–Nécessité d’un comportement intentionnel–Absence

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/18, art. 45, § 2, g)]

  5. Rapprochement des législations–Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services–Directive 2004/18–Attribution des marchés–Critères de sélection qualitative–Capacité technique et professionnelle–Cumul par un opérateur des capacités et des expériences acquises dans le cadre de différents contrats–Admissibilité–Condition–Absence d’exclusion de cette possibilité dans l’avis de marché ou le cahier des charges

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/18, art. 2, 44, et 48, § 2, a)]

  1.  L’article 51 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, lu en combinaison avec l’article 2 de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, après l’expiration du délai imparti pour le dépôt des candidatures à un marché public, un opérateur économique transmette au pouvoir adjudicateur, pour prouver qu’il remplit les conditions de participation à une procédure de marché public, des documents ne figurant pas dans son offre initiale, tels qu’un contrat exécuté par une entité tierce ainsi que l’engagement de cette dernière de mettre à la disposition de cet opérateur des capacités et des ressources nécessaires à l’exécution du marché en cause.

    Or, de telles précisions, loin de représenter une simple clarification ponctuelle ou une correction d’erreurs matérielles manifestes, au sens de la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt, constituent, en réalité, une modification substantielle et significative de l’offre initiale qui s’apparente plutôt à la présentation d’une nouvelle offre. Dans ces conditions, en admettant la présentation par l’opérateur économique concerné des documents en question afin de compléter son offre initiale, le pouvoir adjudicateur parviendrait à favoriser indûment cet opérateur par rapport aux autres candidats et violerait ainsi les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination des opérateurs économiques ainsi que l’obligation de transparence qui en découle, auxquels les pouvoirs adjudicateurs sont soumis en vertu de l’article 2 de la directive 2004/18.

    (voir points 42, 44, 45, disp. 1)

  2.  L’article 44 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec l’article 48, paragraphe 2, sous a), de cette directive et le principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques figurant à l’article 2 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à un opérateur économique de faire valoir les capacités d’une autre entité, au sens de l’article 48, paragraphe 3, de ladite directive, en additionnant les connaissances et l’expérience de deux entités, qui, individuellement, ne disposent pas des capacités demandées pour l’exécution d’un marché déterminé, dans le cas où le pouvoir adjudicateur considérerait que le marché concerné est indivisible et qu’une telle exclusion de la possibilité de faire valoir les expériences de plusieurs opérateurs économiques est liée et proportionnée à l’objet du marché en cause, lequel doit donc être réalisé par un seul opérateur.

    (voir point 54, disp. 2)

  3.  L’article 44 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec l’article 48, paragraphe 2, sous a), de cette directive et le principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques figurant à l’article 2 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à un opérateur économique, qui participe individuellement à une procédure d’attribution d’un marché public, de faire valoir l’expérience d’un groupement d’entreprises, auquel il a pris part dans le cadre d’un autre marché public, s’il n’a pas effectivement et concrètement participé à la réalisation de ce dernier.

    Dans ce contexte, l’expérience acquise par un opérateur économique constitue un critère particulièrement important de la sélection qualitative de cet opérateur en ce qu’elle permet au pouvoir adjudicateur de vérifier, conformément à l’article 44, paragraphe 1, de la directive 2004/18, l’aptitude des candidats ou des soumissionnaires à exécuter un marché public déterminé. Ainsi, lorsqu’un opérateur économique fait valoir l’expérience d’un groupement d’entreprises auquel il a pris part, celle-ci doit être appréciée par rapport à la participation concrète de cet opérateur et donc à sa contribution effective à l’exercice d’une activité requise audit groupement dans le cadre d’un marché public déterminé.

    (voir points 61, 62, 65, disp. 3)

  4.  L’article 45, paragraphe 2, sous g), de la directive 2004/18, permettant l’exclusion d’un opérateur économique de la participation à un marché public notamment s’il s’est rendu « gravement coupable » de fausses déclarations en fournissant les renseignements demandés par le pouvoir adjudicateur, doit être interprété en ce sens qu’il peut être appliqué lorsque l’opérateur concerné s’est rendu responsable d’une négligence d’une certaine gravité, à savoir une négligence de nature à avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution d’un marché public, et cela indépendamment de la constatation d’une faute intentionnelle dans le chef de cet opérateur.

    À cet égard, il convient, en premier lieu, de relever que le libellé de l’article 45, paragraphe 2, sous g), de la directive 2004/18 ne contient aucune référence au comportement intentionnel de l’opérateur. De ce fait, la constatation d’une telle conduite ne saurait être considérée comme étant un élément nécessaire pour exclure un tel opérateur de la participation à un marché public. Il convient, en second lieu, d’observer que, aux termes de l’article 45, paragraphe 2, sous g), second alinéa, de la directive 2004/18, les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application de ce paragraphe. Il s’ensuit que les notions figurant audit article 45, paragraphe 2, premier alinéa, dont celle de « gravement coupable », peuvent être précisées et explicitées en droit national, dans le respect, toutefois, du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2012, Forposta et ABC Direct Contact, C‑465/11, EU:C:2012:801, point 26).

    (voir points 70, 73, 74, 78, disp. 4)

  5.  L’article 44 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec l’article 48, paragraphe 2, sous a), de cette directive et le principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques figurant à l’article 2 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il permet à un opérateur économique de faire valoir une expérience en invoquant simultanément deux ou plusieurs contrats comme un seul marché, à moins que le pouvoir adjudicateur n’ait exclu une telle possibilité en vertu d’exigences liées et proportionnées à l’objet et aux finalités du marché public concerné.

    À cet égard, le pouvoir adjudicateur est fondé à indiquer expressément, en principe dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, l’exigence de satisfaire à des capacités déterminées et des modalités concrètes selon lesquelles le candidat soumissionnaire doit démontrer son aptitude à remporter et à réaliser le marché concerné. De même, dans des circonstances exceptionnelles, eu égard à la nature des travaux concernés ainsi qu’à l’objet et aux finalités du marché, le pouvoir adjudicateur peut prévoir des limitations, notamment en ce qui concerne le recours à un nombre restreint d’opérateurs économiques, en vertu de l’article 44, paragraphe 2, de la directive 2004/18 (voir, en ce sens, arrêts du 7 avril 2016, Partner Apelski Dariusz, C‑324/14, EU:C:2016:214, points 39 à 41, et du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, point 90 ainsi que jurisprudence citée). Toutefois, lorsque le pouvoir adjudicateur décide d’avoir recours à une telle possibilité, il lui incombe de s’assurer que les règles précises qu’il fixe soient liées et proportionnées à l’objet et aux finalités dudit marché (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Partner Apelski Dariusz, C‑324/14, EU:C:2016:214, points 40 et 56).

    (voir points 82, 83, 88, disp. 5)