ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 juillet 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Libre circulation des marchandises — Articles 34 TFUE à 36 TFUE — Mesures d’effet équivalent — Directive 94/11/CE — Articles 3 et 5 — Harmonisation exhaustive — Interdiction d’entraver la commercialisation des articles chaussants conformes aux dispositions en matière d’étiquetage de la directive 94/11 — Législation nationale exigeant l’indication du pays d’origine sur l’étiquette de produits transformés à l’étranger et utilisant l’expression en langue italienne ‘pelle’ — Articles mis en libre pratique»

Dans l’affaire C‑95/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Milano (Italie), par décision du 20 février 2014, parvenue à la Cour le 27 février 2014, dans la procédure

Unione Nazionale Industria Conciaria (UNIC),

Unione Nazionale dei Consumatori di Prodotti in Pelle, Materie Concianti, Accessori e Componenti (Uni.co.pel)

contre

FS Retail,

Luna Srl,

Gatsby Srl,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur), MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 janvier 2015,

considérant les observations présentées:

pour l’Unione Nazionale Industria Conciaria (UNIC), par Mes G. Floridia, A. Tornato, M. Mussi, A. Fratini et G. P. Geminiani, avvocati,

pour l’Unione Nazionale dei Consumatori di Prodotti in Pelle, Materie Concianti, Accessori e Componenti (Uni.co.pel), par Mes G. Floridia, A. Tornato, M. Mussi, G. Geminiani et A. Fratini, avvocati,

pour FS Retail, par Me M. Sapio, avvocato,

pour Luna Srl, par Mes A. Cattel et M. Concetti, avvocati,

pour Gatsby Srl, par Me A. Terenzi, avvocato,

pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman, B. Koopman et H. Stergiou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer‑Seitz, U. Persson, N. Otte Widgren et K. Sparrman ainsi que par MM. L. Swedenborg, E. Karlsson et F. Sjövall, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara et G. Zavvos, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 34 TFUE à 36 TFUE, des articles 3 et 5 de la directive 94/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 mars 1994, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’étiquetage des matériaux utilisés dans les principaux éléments des articles chaussants proposés à la vente au consommateur (JO L 100, p. 37), et de l’article 60 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établisant le code des douanes de l’Union (JO L 269, p. 1, ci‑après le «code des douanes de l’Union»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Unione Nazionale Industria Conciaria (UNIC), un syndicat professionnel national membre de la confédération de l’industrie italienne regroupant et représentant les opérateurs les plus qualifiés dans le secteur de la tannerie, et l’Unione Nazionale dei Consumatori di Prodotti in Pelle, Materie Concianti, Accessori e Componenti (Uni.co.pel), une association de consommateurs sans but lucratif et poursuivant un objectif de solidarité sociale, à FS Retail, Luna Srl et Gatsby Srl, sociétés de droit italien, au sujet de la commercialisation en Italie, sans indication concernant le pays d’origine du produit, des articles chaussants portant sur la semelle intérieure la dénomination générique, en langue italienne, «pelle» (cuir) ou «vera pelle» (cuir véritable).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

En vertu de l’article 8 de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 204 p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18, ci‑après la «directive 98/34»), les États membres doivent, en principe, communiquer immédiatement à la Commission européenne tout projet de règle technique qu’ils souhaitent adopter. Ils fournissent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. La Commission porte aussitôt le projet de règle technique et tous les documents qui lui ont été communiqués à la connaissance des autres États membres. Les États membres communiquent sans délai à la Commission le texte définitif d’une règle technique.

4

Aux termes de l’article 9 de cette directive, l’adoption d’un projet de règle technique notifié en vertu de l’article 8 doit être reportée de trois mois à compter de la date de la réception par la Commission de la communication du projet de règle technique. Cet article prévoit notamment que cette période est étendue à six mois si la Commission ou un autre État membre émet un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée présente des aspects pouvant éventuellement créer des obstacles à la libre circulation des marchandises dans le cadre du marché intérieur. La période de suspension est étendue à douze mois si, dans les trois mois qui suivent la date de la réception de la communication, la Commission fait part de son intention de proposer ou d’arrêter une législation sur le sujet couvert par le projet de règle technique.

5

L’article 24 du règlement (CE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), prévoyait:

«Une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays, est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important.»

6

Le code des douanes de l’Union, entré en vigueur le 31 octobre 2013, a abrogé le règlement no 2913/92. Toutefois, l’article 60 de ce code, qui a un contenu en substance identique à celui de l’article 24 du règlement no 2913/92, ne s’applique, en vertu de l’article 288, paragraphe 2, dudit code, qu’à partir du 1er mai 2016.

7

Les premier au troisième ainsi que les cinquième et septième considérants de la directive 94/11 prévoient:

«considérant qu’il existe dans certains États membres des règlements relatifs à l’étiquetage des articles chaussants qui visent à protéger et à informer le public ainsi qu’à préserver les intérêts légitimes de l’industrie;

considérant que les disparités entre ces règlements risquent de créer des entraves aux échanges à l’intérieur de la Communauté et par là même de porter préjudice au fonctionnement du marché intérieur;

considérant qu’il convient, afin d’éviter les problèmes engendrés par la coexistence de systèmes différents, de définir précisément les éléments d’un système commun d’étiquetage des articles chaussants;

[…]

considérant qu’il est dans l’intérêt tant des consommateurs que de l’industrie de la chaussure d’adopter un système réduisant les risques de fraude en indiquant la nature exacte des matériaux utilisés pour les principaux éléments de l’article chaussant;

[…]

considérant que l’harmonisation des législations nationales est le moyen approprié pour supprimer ces entraves au libre‑échange; que cet objectif ne peut être atteint de manière satisfaisante par les États membres individuels; que cette directive n’établit que les exigences indispensables à la libre circulation des produits auxquels elle s’applique,

[…]»

8

L’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive énonce:

«Au sens de la présente directive, on entend par ‘article chaussant’ tout produit doté de semelles destiné à protéger ou à couvrir le pied y compris les parties commercialisées séparément visées à l’annexe I.»

9

L’article 2 de cette directive dispose:

«1.   Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour que seuls les articles chaussants satisfaisant aux exigences en matière d’étiquetage de la présente directive puissent être mis sur le marché, sans préjudice d’autres obligations communautaires légales applicables.

2.   Lorsque des articles chaussants non conformes aux dispositions en matière d’étiquetage sont mis sur le marché, l’État membre compétent prend les mesures appropriées prévues par sa législation nationale.»

10

L’article 3 de ladite directive est libellé comme suit:

«Sans préjudice d’autres obligations communautaires légales, les États membres ne peuvent interdire ou entraver la commercialisation des articles chaussants qui sont conformes aux dispositions en matière d’étiquetage de la présente directive par l’application de dispositions nationales non harmonisées portant sur l’étiquetage de certains types d’articles chaussants ou des articles chaussants en général.»

11

L’article 4 de cette même directive prévoit:

«1.   L’étiquetage doit faire apparaître des informations sur le matériau déterminé conformément à l’annexe I qui est majoritaire à 80 % au moins mesurée en surface de la tige, de la doublure et la semelle de propreté de l’article chaussant et à 80 % au moins du volume de la semelle extérieure. Si aucun matériau n’est majoritaire à 80 % au moins, il convient de fournir des informations sur les deux matériaux principaux entrant dans la composition de l’article chaussant.

2.   Ces informations sont communiquées sur l’article chaussant. Le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté peut choisir soit des pictogrammes, soit des indications textuelles au moins dans la (les) langue(s) qui peut ou peuvent être déterminée(s) par l’État membre de consommation en conformité avec le traité, définis et représentés à l’annexe I. Les États membres font en sorte dans leurs dispositions nationales, que les consommateurs soient correctement informés de la signification de ces pictogrammes en veillant que de telles dispositions ne créent pas des barrières aux échanges.

3.   Au sens de la présente directive, l’étiquetage consiste à munir l’un au moins des articles chaussants de chaque paire des indications prescrites. Il peut se faire par impression, collage, gaufrage ou par recours à un support attaché.

4.   L’étiquetage doit être visible, bien assuré et accessible et la dimension des pictogrammes doit être suffisante pour rendre aisée la compréhension des informations figurant sur l’étiquette. L’étiquetage ne doit pas pouvoir induire le consommateur en erreur.

5.   Le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté est tenu de fournir l’étiquette et est responsable de l’exactitude des informations qui y figurent. Si ni le fabricant ni son mandataire n’est établi dans la Communauté, cette obligation revient à la personne responsable de la première mise sur le marché dans la Communauté. Le détaillant reste tenu de veiller à la présence sur les articles chaussants qu’il vend de l’étiquetage approprié prescrit dans la présente directive.»

12

Aux termes de l’article 5 de la directive 94/11:

«Des informations textuelles complémentaires apposées le cas échéant sur l’étiquetage pourront accompagner les indications requises en vertu de la présente directive. Toutefois, les États membres ne peuvent interdire ou entraver la commercialisation des articles chaussants qui répondent aux exigences de la présente directive, conformément aux dispositions de l’article 3.»

Le droit italien

13

L’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8, du 14 janvier 2013, portant nouvelles dispositions relatives à l’utilisation des termes en langue italienne «cuoio», «pelle» et «pelliccia» et des dérivés de ceux‑ci ou de leurs synonymes (GURI no 25, du 30 janvier 2013, ci‑après la «loi no 8/2013»), prévoit notamment qu’«[i]l est interdit de mettre en vente ou de commercialiser par d’autres moyens, en utilisant les termes ‘cuoio’ [cuir], ‘pelle’ [peau], ‘pellicia’ [fourrure] et leurs dérivés ou synonymes, en tant qu’adjectifs ou substantifs, même intégrés comme préfixes ou suffixes dans d’autres mots ou sous les noms génériques de ‘pellame’ [cuir] ‘pelletteria’ ou ‘pellicceria’ [pelleterie], également traduits dans une autre langue que l’italien, des articles qui ne sont pas obtenus exclusivement de peaux animales spécialement traitées afin de conserver leurs caractéristiques naturelles et, en tous les cas, des produits différents de ceux mentionnés à l’article 1er». Les produits obtenus par ouvraison dans des pays étrangers et revêtus des mentions en langue italienne évoquées doivent obligatoirement comporter un étiquetage indiquant leur pays d’origine.

14

En application de cette réglementation nationale, constitue une présomption irréfragable de tromperie du consommateur la commercialisation de produits contenant du cuir non italien et portant des mentions en langue italienne.

15

La loi no 8/2013 ne distingue pas entre les marchandises produites dans des pays tiers et celles légalement fabriquées ou commercialisées dans un État membre de l’Union européenne autre que la République italienne.

16

En vertu de l’article 4 de cette loi, la violation de l’interdiction de commercialisation prévue dans cette réglementation entraîne l’application de sanctions administratives d’un montant variant entre 10000 à 50000 euros ainsi que la saisie administrative de la marchandise concernée.

Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

17

Par une requête en référé déposée le 27 septembre 2013 devant la juridiction de renvoi, l’UNIC et l’Uni.co.pel ont demandé l’adoption de mesures provisoires d’urgence à l’encontre des défendeurs au principal.

18

Les requérants au principal reprochent à ces derniers de commercialiser sur le territoire italien, en violation de la loi no 8/2013, des articles chaussants portant sur la semelle de propreté la dénomination générique, en langue italienne, «pelle» (cuir) ou «vera pelle» (cuir véritable), sans aucune indication concernant le pays d’origine du produit. Le public serait ainsi induit en erreur quant à l’origine du cuir, en lui attribuant erronément une origine italienne en raison de la marque italienne qui est apposée sur le produit. En outre, le marquage «pelle» ou «vera pelle» apposé sur la semelle de propreté ferait croire, à tort, que l’article chaussant dans son ensemble, y compris ses éléments en cuir, est d’origine italienne, alors que tel n’est pas le cas.

19

De ce fait, les requérants ont demandé au juge de renvoi qu’il enjoigne aux défendeurs au principal de ne plus mettre en circulation sur le marché italien de tels articles chaussants, lorsqu’ils sont dépourvus d’une mention indiquant le pays d’origine du cuir utilisé. Ils demandent également que cette injonction soit assortie d’une astreinte.

20

Il ressort de la décision de renvoi que certains articles chaussants faisant l’objet du litige pendant devant ce juge sont produits dans des pays tiers, tels que la Chine, comme l’indique l’étiquette en plastique apposée sur la semelle extérieure. Toutefois, selon les requérants au principal, cette indication n’est pas conforme aux prescriptions de la loi no 8/2013, car elle ne concerne pas spécifiquement l’origine du cuir en tant qu’élément de l’article chaussant, mais est relative à l’origine de l’article chaussant dans son ensemble. Ainsi, dans de telles circonstances, l’apposition de la mention «vera pelle» sur la semelle de propreté pourrait conduire le consommateur à croire que ces articles chaussants, bien que produits à l’étranger, ont été réalisés avec du cuir d’origine italienne. En revanche, pour d’autres articles chaussants, l’origine européenne ou extra-européenne du cuir utilisé serait controversée.

21

La juridiction de renvoi considère tout d’abord que, en vertu de l’arrêt Eggers (13/78, EU:C:1978:182, point 25), les dispositions en cause de la loi no 8/2013 pourraient constituer des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives contraires au droit de l’Union, puisqu’une présomption de qualité liée à la localisation nationale de tout ou partie du processus de production, de ce fait limitant ou défavorisant un processus dont les phases se dérouleraient en tout ou en partie dans d’autres États membres, est incompatible avec le marché unique.

22

Elle demande également si le droit de l’Union s’oppose à cette réglementation nationale uniquement lorsqu’elle vise les produits en cuir obtenus par ouvraison et commercialisés légalement dans les États membres, ou bien si elle vise également les produits en cuir obtenus par ouvraison dans des pays tiers et non encore légalement commercialisés dans l’Union.

23

Ensuite, cette juridiction s’interroge sur la question de savoir si l’article 3 de la loi no 8/2013, interdisant la circulation des articles chaussants dont les marquages sont pourtant conformes aux exigences de la directive 94/11, doit être regardé comme imposant une obligation d’indication de la provenance incompatible avec l’article 5 de ladite directive.

24

Enfin, elle souhaite savoir si le code des douanes de l’Union et la règle selon laquelle une marchandise, dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays, est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle ne s’opposent également pas à la réglementation nationale en cause au principal.

25

Dans ces conditions, le Tribunale di Milano a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Les articles [34 TFUE à 36 TFUE], dûment interprétés, s’opposent-ils à l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 – qui impose un étiquetage indiquant le pays d’origine pour les produits obtenus par ouvraison dans des pays étrangers et revêtus du terme [en langue italienne] ‘pelle’ – aux produits en cuir légalement traité ou commercialisé dans d’autres États membres de l’Union européenne, cette loi nationale se traduisant par une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative interdite par l’article 34 TFUE et non justifiée par l’article 36 TFUE?

2)

Les articles [34 TFUE à 36 TFUE], dûment interprétés, s’opposent‑ils à l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 – qui impose un étiquetage indiquant le pays d’origine pour les produits obtenus par ouvraison dans des pays étrangers et revêtus du terme [en langue italienne] ‘pelle’ – aux produits en cuir obtenu par ouvraison dans des pays non membres de l’Union et non encore légalement commercialisés dans l’Union, cette loi nationale se traduisant par une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative interdite par l’article 34 TFUE et non justifiée par l’article 36 TFUE?

3)

Les articles 3 et 5 de la directive 94/11, dûment interprétés, s’opposent‑ils à l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 – qui impose un étiquetage indiquant le pays d’origine pour les produits obtenus par ouvraison dans des pays étrangers et revêtus du terme en langue italienne ‘pelle’ – aux produits en cuir légalement traité ou commercialisé dans d’autres États membres de l’Union?

4)

Les articles 3 et 5 de la directive 94/11, dûment interprétés, s’opposent-ils à l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 qui impose un étiquetage indiquant le pays d’origine pour les produits en cuir obtenu par ouvraison dans des États non membres de l’Union et non encore légalement commercialisés dans l’Union?

5)

L’article 60 du règlement no 952/2013, dûment interprété, s’oppose-t-il à l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 – qui impose un étiquetage indiquant le pays d’origine pour les produits obtenus par ouvraison dans des pays étrangers et revêtus du terme en langue italienne ‘pelle’ – aux produits en cuir obtenu par ouvraison dans des États membres de l’Union ou non encore légalement commercialisés dans l’Union?

6)

L’article 60 du règlement no 952/2013, dûment interprété, s’oppose-t-il à l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 – qui impose un étiquetage indiquant le pays d’origine pour les produits obtenus par ouvraison dans des pays étrangers et revêtus du terme en langue italienne ‘pelle’ – aux produits en cuir obtenu par ouvraison dans des États non membres de l’Union et non encore légalement commercialisés dans l’Union?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la directive 98/34

26

À titre liminaire, il y a lieu de noter que la Commission évoque l’inapplicabilité des dispositions de la loi no 8/2013 dans la mesure où celles‑ci ont été adoptées en violation de la période de suspension de trois mois prévue à l’article 9 de la directive 98/34.

27

La Commission affirme avoir reçu notification de la loi no 8/2013 le 29 novembre 2012 et a indiqué, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 98/34, que le délai pour l’adoption de cette loi devait être reporté jusqu’au 1er mars 2013. En violation manifeste de cette disposition, la loi no 8/2013 aurait été adoptée le 14 janvier 2013 et serait entrée en vigueur le 14 février 2013.

28

Lors de l’audience, UNIC et Uni.co.pel ont confirmé les renseignements fournis par la Commission et ont ajouté que les autorités italiennes ont pris des mesures pour remédier à cette violation des dispositions obligatoires de la directive 98/34 en abrogeant la loi no 8/2013 en vertu de l’article 26 de la loi no 161, du 30 octobre 2014. Selon cette loi d’abrogation, une nouvelle réglementation en la matière doit être adoptée dans les douze mois, dans le respect des obligations de notification des règles techniques prévues par la directive 98/34.

29

À cet égard, il importe de rappeler qu’une règle technique ne peut être appliquée lorsqu’elle n’a pas été notifiée conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34, ou lorsque, quand bien même elle a été notifiée, elle a été approuvée et exécutée avant l’expiration de la période de suspension de trois mois prévue à l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive (voir arrêts CIA Security International, C‑194/94, EU:C:1996:172, points 41, 44 et 54, ainsi que Unilever, C‑443/98, EU:C:2000:496, point 49).

30

Par conséquent, dans l’affaire au principal, il revient à la juridiction de renvoi de vérifier si la loi no 8/2013 est entrée en vigueur au mépris du délai de suspension prévu à l’article 9 de la directive 98/34. Dans l’affirmative, la méconnaissance de ce délai constitue un vice de procédure substantiel de nature à entraîner l’inapplicabilité de la règle technique en cause. Ainsi que l’a relevé également Mme l’avocat général aux points 44 à 47 de ses conclusions, l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 ne pourra, dans une telle hypothèse, être opposé aux particuliers.

31

Toutefois, étant donné que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (arrêt Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 27 ainsi que jurisprudence citée), il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur les première et troisième questions

32

Par ses première et troisième questions, qu’il convient de traiter conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 34 TFUE à 36 TFUE ainsi que les articles 3 et 5 de la directive 94/11 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, interdisant, entre autres, la commercialisation des éléments en cuir des articles chaussants provenant d’autres États membres ou des pays tiers et qui, dans ce dernier cas, ont déjà été commercialisés dans un autre État membre ou dans l’État membre concerné, lorsque ces produits ne comportent pas d’indication relative à leur pays d’origine.

33

Étant donné que ces deux questions portent tant sur l’interprétation du droit primaire que sur celle de la directive 94/11, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, toute mesure nationale dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau de l’Union doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation, et non pas de celles du droit primaire (arrêts Gysbrechts et Santurel Inter, C‑205/07, EU:C:2008:730, point 33, ainsi que Commission/Belgique, C‑421/12, EU:C:2014:2064, point 63).

34

Il convient ainsi, en premier lieu, de rechercher si l’harmonisation opérée par cette directive, notamment aux articles 3 et 5 de celle-ci, revêt un caractère exhaustif.

35

À cette fin, il revient à la Cour d’interpréter ces dispositions en tenant compte non seulement des termes de celles-ci, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie (voir arrêt Sneller, C‑442/12, EU:C:2013:717, point 21 et jurisprudence citée).

36

Il ressort des considérants 1 à 3 et 7 de la directive 94/11 qu’elle vise à définir de manière précise les éléments d’un système commun d’étiquetage des articles chaussants afin d’éviter les problèmes engendrés par les disparités des législations nationales en cette matière, qui risquent de créer des entraves aux échanges à l’intérieur de l’Union. L’harmonisation de ces législations est considérée comme étant le moyen approprié pour supprimer ces entraves au libre‑échange, cet objectif ne pouvant pas être atteint de manière satisfaisante par les États membres pris individuellement.

37

Ainsi que le relève Mme l’avocat général aux points 58 et 59 de ses conclusions, une lecture combinée des articles 1er et 4 ainsi que de l’annexe I de la directive 94/11 révèle que celle-ci ne pose pas d’exigences minimales en ce qui concerne l’étiquetage des matériaux utilisés dans les éléments principaux des articles chaussants, mais prévoit des règles exhaustives. Les États membres n’ont, par conséquent, pas le droit d’adopter des exigences plus strictes.

38

S’il est vrai que, aux termes de l’article 5 de ladite directive, les États membres peuvent permettre que des «informations textuelles complémentaires» soient «apposées le cas échéant sur l’étiquetage», afin d’«accompagner les indications requises en vertu de la présente directive», il n’en demeure pas moins que, conformément à ce même article 5, les États membres ne peuvent pas «interdire ou entraver la commercialisation des articles chaussants qui répondent aux exigences de la présente directive, conformément aux dispositions de l’article 3».

39

Il résulte ainsi d’une interprétation littérale desdits articles 3 et 5, lus à la lumière des objectifs de la directive 94/11, que cette directive procède à une harmonisation exhaustive en ce qui concerne le contenu des seules obligations d’étiquetage des matériaux utilisés dans les principaux éléments des articles chaussants qui, une fois remplies, déclenchent l’interdiction pour les États membres d’entraver la commercialisation de ces articles.

40

Eu égard à ces considérations, la réglementation nationale en cause au principal, en ce qu’elle porte sur l’étiquetage des éléments en cuir des articles chaussants provenant d’autres États membres ou déjà mis en libre pratique sur le territoire de l’Union, doit être appréciée uniquement au regard des dispositions de la directive 94/11, et non pas de celles du droit primaire.

41

S’agissant, en second lieu, de l’appréciation au regard de la directive 94/11, il convient de rappeler que les mesures prévues pour la libération des échanges entre les États membres, telles que la directive 94/11, s’appliquent de manière identique tant aux produits originaires des États membres qu’aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans l’Union. À cet égard, la Cour a précisé que, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’Union, les produits bénéficiant de la libre pratique sont définitivement et totalement assimilés aux produits originaires des États membres (voir, en ce sens, arrêt Tezi Textiel/Commission, 59/84, EU:C:1986:102, point 26).

42

Aux termes de l’article 3 de cette directive, «les États membres ne peuvent interdire ou entraver la commercialisation des articles chaussants qui sont conformes aux dispositions en matière d’étiquetage de la présente directive par l’application de dispositions nationales non harmonisées portant sur l’étiquetage de certains types d’articles chaussants ou des articles chaussants en général».

43

Conformément à l’article 4 de la directive 94/11 et à l’annexe I de celle‑ci, l’étiquetage de ce type d’articles doit uniquement faire apparaître des informations relatives au matériau utilisé pour leur fabrication (cuir, cuir enduit, textile ou autres matériaux). Une obligation d’indiquer le pays d’origine du cuir, telle que celle imposée par la réglementation en cause au principal, n’est donc pas prévue par cette directive.

44

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’interprétation de l’article 34 TFUE, que les indications ou le marquage d’origine, tels que ceux en cause au principal, visent à permettre aux consommateurs d’opérer une distinction entre les produits nationaux et les produits importés et leur donnent ainsi la possibilité de faire valoir leurs préjugés éventuels contre les produits étrangers. À l’intérieur d’un marché interne unique, l’exigence du marquage d’origine rend non seulement plus difficile l’écoulement dans un État membre de la production des autres États membres dans les secteurs considérés, elle a aussi pour effet de freiner l’interpénétration économique dans le cadre de l’Union en défavorisant la vente de marchandises produites grâce à une division du travail entre États membres (voir, en ce sens, arrêt Commission/Royaume-Uni, 207/83, EU:C:1985:161, point 17).

45

En outre, il résulte de la jurisprudence relative à la même disposition que des exigences linguistiques, telles que celles édictées par la réglementation de l’État membre en cause au principal, constituent une entrave au commerce dans l’Union dans la mesure où les produits provenant d’autres États membres doivent être revêtus d’étiquetages différents entraînant des frais supplémentaires de conditionnement (arrêt Colim, C‑33/97, EU:C:1999:274, point 36).

46

Eu égard aux considérations précédentes, il convient de répondre aux première et troisième questions que les articles 3 et 5 de la directive 94/11 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, interdisant, entre autres, la commercialisation des éléments en cuir des articles chaussants provenant d’autres États membres ou des pays tiers et qui, dans ce dernier cas, ont déjà été commercialisés dans un autre État membre ou dans l’État membre concerné, lorsque ces produits ne comportent pas d’indication relative à leur pays d’origine.

Sur les deuxième et quatrième questions

47

Par ses deuxième et quatrième questions, qu’il convient de traiter conjointement, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si les articles 34 TFUE à 36 TFUE et les articles 3 et 5 de la directive 94/11 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, interdisant, entre autres, la commercialisation des éléments en cuir des articles chaussants provenant de pays tiers et non encore légalement commercialisés sur le territoire de l’Union, lorsque ces produits ne comportent pas d’indication concernant le pays d’origine.

48

Suivant les termes mêmes utilisés par la juridiction de renvoi, ces questions portent sur des éléments en cuir des articles chaussants provenant de pays tiers et non encore mis en libre pratique sur le territoire de l’Union, y compris donc sur le territoire italien.

49

À cet égard, il y a lieu de rappeler en premier lieu que, conformément à l’article 28 TFUE, il est interdit d’imposer des droits de douane aux importations et aux exportations ou toute taxe d’effet équivalent entre les États membres, cette interdiction étant applicable tant «aux produits qui sont originaires des États membres» qu’«aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres».

50

En vertu de l’article 29 TFUE, sont considérés comme étant en libre pratique dans un État membre les produits en provenance de pays tiers pour lesquels les formalités d’importation ont été accomplies et les droits de douane et les taxes d’effet équivalent exigibles ont été perçus dans cet État membre, et qui n’ont pas bénéficié d’une ristourne totale ou partielle de ces droits et ces taxes.

51

À la lecture de la décision de renvoi et du dossier national, il apparaît toutefois que les articles en cause ont été commercialisés en Italie et, partant, qu’ils ont déjà été mis en libre pratique sur le territoire de l’Union au sens de l’article 29 TFUE.

52

Or, il y a lieu de souligner, d’une part, que, pour de tels articles, la réponse apportée par la Cour aux points 32 à 46 du présent arrêt aux première et troisième questions demeure applicable.

53

D’autre part, étant donné que les deuxième et quatrième questions visent expressément des articles non encore mis en libre pratique sur le territoire de l’Union, il s’ensuit que ces questions revêtent un caractère hypothétique.

54

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut refuser de répondre à une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt Stark, C‑293/10, EU:C:2011:355, point 25 et jurisprudence citée).

55

Il convient, dès lors, de constater que les deuxième et quatrième questions sont irrecevables.

Sur les cinquième et sixième questions

56

Par ses cinquième et sixième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 60 du code des douanes de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal.

57

À titre liminaire, il convient d’observer que, si la juridiction demande l’interprétation de l’article 60 du code des douanes de l’Union, cet article n’entrera en vigueur qu’à partir du 1er mai 2016. Dès lors, il y a lieu de se prononcer sur l’interprétation de l’article 24 du règlement no 2913/92, en vigueur à la date des faits au principal, lequel a un contenu en substance identique à celui de cet article 60.

58

Aux termes de l’article 24 du règlement no 2913/92, aux fins de l’établissement des droits à l’importation ou à l’exportation, «une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle».

59

Cette disposition fournit une définition commune de la notion d’origine des marchandises, qui constitue un moyen indispensable pour assurer l’application uniforme du tarif douanier commun ainsi que de toutes autres mesures prises, pour l’importation ou l’exportation des marchandises, par l’Union ou par les États membres (voir, en ce sens, arrêt Gesellschaft für Überseehandel, 49/76, EU:C:1977:9, point 5).

60

Il en découle, d’une part, que cette disposition ne vise pas le contenu de l’information destinée aux consommateurs au moyen d’éléments d’étiquetage des articles chaussants.

61

D’autre part, ainsi que le fait valoir la Commission, étant donné que l’article 3, paragraphe 2, de la loi no 8/2013 ne prévoit aucun critère permettant de définir l’origine du produit en fonction du lieu de «la dernière transformation ou ouvraison substantielle» au sens de l’article 24 du règlement no 2913/92, il convient de constater que la décision de renvoi ne permet pas d’identifier le lien entre l’interprétation de cet article 24 et la solution à apporter au litige en cause au principal.

62

Dans la mesure où la réponse de la Cour aux cinquième et sixième questions n’est pas pertinente pour la solution du litige au principal, il convient de constater que, compte tenu de la jurisprudence citée au point 54 du présent arrêt, ces questions sont irrecevables.

Sur les dépens

63

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

Les articles 3 et 5 de la directive 94/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 mars 1994, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’étiquetage des matériaux utilisés dans les principaux éléments des articles chaussants proposés à la vente au consommateur, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, interdisant, entre autres, la commercialisation des éléments en cuir des articles chaussants provenant d’autres États membres ou des pays tiers et qui, dans ce dernier cas, ont déjà été commercialisés dans un autre État membre ou dans l’État membre concerné, lorsque ces produits ne comportent pas d’indication relative à leur pays d’origine.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.