ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 juillet 2015 ( *1 )

«Recours en annulation — Règlement (UE) no 1289/2013 — Article 1er, points 1 et 4 — Règlement (CE) no 539/2001 — Article 1er, paragraphe 4, sous f) — Article 290 TFUE — Suspension de l’exemption de l’obligation de visa — Insertion d’une note en bas de page — Modification de l’acte législatif»

Dans l’affaire C‑88/14,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 21 février 2014,

Commission européenne, représentée par MM. B. Smulders, B. Martenczuk et G. Wils, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. L. Visaggio et A. Troupiotis ainsi que par Mme A. Pospíšilová Padowska, en qualité d’agents,

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. K. Pleśniak et Mme K. Michoel, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par:

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, D. Hadroušek et J. Škeřík, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts (rapporteur), vice‑président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz et J.‑C. Bonichot, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, Mme M. Berger, MM. E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 mars 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mai 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande l’annulation de l’article 1er, points 1 et 4, du règlement (UE) no 1289/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, modifiant le règlement (CE) no 539/2001 du Conseil fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO L 347, p. 74), en tant que ces dispositions confèrent à la Commission un pouvoir délégué au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE et non pas un pouvoir d’exécution au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 539/2001

2

Le considérant 5 du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil, du 15 mars 2001, fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO L 81, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO L 182, p. 1, ci‑après le «règlement no 539/2001»), est ainsi rédigé:

«La fixation des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa et de ceux qui sont exemptés de cette obligation se fait par le biais d’une évaluation pondérée au cas par cas de divers critères liés notamment à l’immigration clandestine, à l’ordre public et à la sécurité ainsi qu’aux relations extérieures de l’Union avec les pays tiers, tout en tenant compte également des implications de la cohérence régionale et de la réciprocité. Il convient de prévoir un mécanisme communautaire permettant la mise en œuvre de ce principe de réciprocité au cas où l’un des pays tiers figurant à l’annexe II du présent règlement déciderait de soumettre à l’obligation de visa les ressortissants d’un ou plusieurs États membres.»

3

L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement no 539/2001 prévoit:

«1.   Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe I doivent être munis d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres.

[...]

2.   Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II sont exemptés de l’obligation prévue au paragraphe 1 pour des séjours dont la durée totale n’excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours.

[...]»

4

Le même règlement prévoyait à son article 1er, paragraphe 4, un mécanisme de mise en œuvre du principe de réciprocité pouvant être enclenché en réponse à l’instauration, par un pays tiers figurant sur la liste de son annexe II, d’une obligation de visa à l’égard des ressortissants d’un État membre.

Le règlement no 1289/2013

5

L’article 1er, point 1, sous a), du règlement no 1289/2013 modifie l’article 1er, paragraphe 4, du règlement no 539/2001 comme suit:

«L’application, par un pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II, de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre donne lieu à l’application des dispositions suivantes:

a)

dans les trente jours de l’application de l’obligation de visa par le pays tiers ou, lorsqu’une obligation de visa existant le 9 janvier 2014 est maintenue, dans les trente jours à compter de cette date, l’État membre concerné en fait notification par écrit au Parlement européen, au Conseil et à la Commission.

[...]

La Commission publie sans tarder les informations relatives à cette notification au Journal officiel de l’Union européenne, y compris les informations concernant la date d’application de l’obligation de visa et la nature des documents de voyage et visas concernés.

[...]

e)

si le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission, au plus tard six mois à compter de la date de publication visée au point a), troisième alinéa, et ensuite tous les six mois au moins au cours d’une période qui, au total, ne peut aller au‑delà de la date à laquelle l’acte délégué visé au point f) prend effet ou à laquelle il y est fait objection:

i)

adopte, à la demande de l’État membre concerné ou de sa propre initiative, un acte d’exécution portant suspension temporaire, pour une période de six mois au maximum, de l’exemption de l’obligation de visa pour certaines catégories de ressortissants du pays tiers concerné. [...]

[...]

f)

si, dans les vingt‑quatre mois à compter de la date de publication visée au point a), troisième alinéa, le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission adopte, en conformité avec l’article 4 ter, un acte délégué portant suspension temporaire de l’application de l’annexe II, pour une période de douze mois, à l’égard des ressortissants dudit pays tiers. L’acte délégué fixe une date, dans les quatre‑vingt‑dix jours de son entrée en vigueur, à laquelle la suspension de l’application de l’annexe II prend effet, en tenant compte des ressources dont disposent les consulats des États membres, et modifie l’annexe II en conséquence. Cette modification s’effectue en insérant à côté du nom du pays tiers concerné une note [en] bas de page indiquant que l’exemption de l’obligation de visa est suspendue en ce qui concerne ce pays tiers et précisant la durée de cette suspension.

À partir de la date à laquelle la suspension de l’application de l’annexe II prend effet à l’égard des ressortissants du pays tiers concerné ou lorsqu’une objection à l’acte délégué a été exprimée en vertu de l’article 4 ter, paragraphe 5, tout acte d’exécution adopté en vertu du point e) concernant ce pays tiers vient à expiration.

Si la Commission présente une proposition législative visée au point h), la période de suspension visée au premier alinéa du présent point est prolongée de six mois. La note [en] bas de page visée audit alinéa est modifiée en conséquence.

Sans préjudice de l’application de l’article 4, au cours de ces périodes de suspension, les ressortissants du pays tiers concerné par l’acte délégué sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres;

[...]

h)

si, dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de l’acte délégué visé au point f), le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission peut présenter une proposition législative de modification du présent règlement en vue de transférer la référence au pays tiers de l’annexe II à l’annexe I;

i)

les procédures visées aux points e), f) et h) n’affectent pas le droit de la Commission de présenter à tout moment une proposition législative de modification du présent règlement en vue de transférer la référence au pays tiers concerné de l’annexe II à l’annexe I;

j)

lorsque le pays tiers en cause supprime l’obligation de visa, l’État membre concerné notifie immédiatement cette suppression au Parlement européen, au Conseil et à la Commission. Cette notification est publiée sans tarder par la Commission au Journal officiel de l’Union européenne.

Tout acte d’exécution ou tout acte délégué adopté en vertu du point e) ou f) concernant le pays tiers en cause vient à expiration sept jours après la publication visée au premier alinéa du présent point. [...] La note [en] bas de page visée au premier alinéa du point f) est supprimée à l’expiration de l’acte délégué concerné. La Commission publie les informations relatives à cette expiration sans tarder au Journal officiel de l’Union européenne.

[...]»

6

L’article 1er, point 4, du règlement no 1289/2013 insère, dans le règlement no 539/2001, un article 4 ter, qui précise les conditions auxquelles est soumis le pouvoir de la Commission d’adopter des actes délégués qui lui est conféré en vertu de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié par le règlement no 1289/2013 (ci‑après le «règlement no 539/2001, tel que modifié»). L’article 4 ter, paragraphes 2, 3 et 5, du règlement no 539/2001, tel que modifié, dispose:

«2.   Le pouvoir d’adopter des actes délégués visé à l’article 1er, paragraphe 4, point f), est conféré à la Commission pour une période de cinq ans à compter du 9 janvier 2014. La Commission élabore un rapport relatif à la délégation de pouvoir au plus tard neuf mois avant la fin de la période de cinq ans. La délégation de pouvoir est tacitement prorogée pour des périodes d’une durée identique, sauf si le Parlement européen ou le Conseil s’oppose à cette prorogation trois mois au plus tard avant la fin de chaque période.

3.   La délégation de pouvoir visée à l’article 1er, paragraphe 4, point f), peut être révoquée à tout moment par le Parlement européen ou le Conseil. [...]

[...]

5.   Un acte délégué adopté en vertu de l’article 1er, paragraphe 4, point f), n’entre en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections dans un délai de quatre mois à compter de la notification de cet acte au Parlement européen et au Conseil ou si, avant l’expiration de ce délai, le Parlement européen et le Conseil ont tous deux informé la Commission de leur intention de ne pas exprimer d’objections. Ce délai est prolongé de deux mois à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil.»

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

7

La Commission demande à la Cour:

d’annuler l’article 1er, point 1, du règlement no 1289/2013 ainsi que l’article 1er, point 4, de ce règlement dans la mesure où il insère un nouvel article 4 ter dans le règlement no 539/2001;

de déclarer que les effets des dispositions annulées et de toute mesure d’exécution qui en découle sont définitifs jusqu’à leur remplacement, dans un délai raisonnable, par des actes adoptés conformément au traité FUE, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour, et

de condamner les défendeurs aux dépens de l’instance.

8

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que lesdites dispositions sont inséparables du reste du règlement no 1289/2013, la Commission demande à la Cour d’annuler intégralement ce règlement.

9

Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Commission aux dépens. Dans l’hypothèse où la Cour annulerait partiellement ou intégralement le règlement no 1289/2013, le Conseil demande, à titre subsidiaire, à la Cour de maintenir les effets des dispositions annulées ainsi que les effets de tous les actes adoptés sur la base de celles‑ci, jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable, d’un nouvel acte destiné à les remplacer.

10

La République tchèque a été admise à intervenir au soutien des conclusions des parties défenderesses.

Sur le recours

11

À l’appui de son recours, la Commission développe un moyen unique, tiré d’une violation des articles 290 TFUE et 291 TFUE. Selon la Commission, l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, lui octroie à tort un pouvoir délégué. Si les conclusions de la requête visent également à l’annulation de l’article 4 ter de ce règlement, cette demande résulte, selon la Commission, du lien indissociable qui existe entre cet article, qui précise les conditions auxquelles est soumis le pouvoir délégué conféré à la Commission par l’article 1er, paragraphe 4, sous f), dudit règlement, d’une part, et cette dernière disposition, d’autre part.

Sur la recevabilité d’un argument soulevé pour la première fois dans la réplique

12

Le Conseil excipe de l’irrecevabilité de l’argument de la Commission, formulé pour la première fois dans sa réplique, selon lequel, à supposer que le législateur de l’Union jouisse d’une marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer si une mesure constitue une «modification» de l’acte législatif considéré, au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, l’octroi d’un pouvoir délégué à la Commission à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, repose sur une erreur manifeste.

13

Ainsi qu’il ressort de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un argument qui constitue une amplification d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance doit être considéré comme recevable (voir, en ce sens, arrêts Italie/Commission, C‑66/02, EU:C:2005:768, points 85 et 86, ainsi que Naipes Heraclio Fournier/OHMI, C‑311/05 P, EU:C:2007:572, points 58 et 59).

14

Or, l’argument invoqué par la Commission dans sa réplique s’inscrit dans le moyen énoncé dans la requête tiré d’une violation des articles 290 TFUE et 291 TFUE et amplifie celui‑ci. Cet argument vise, en effet, à étayer ce moyen tendant à mettre en cause la légalité de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, en ce que cette disposition octroie à la Commission un pouvoir délégué au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE. Partant, ledit argument ne peut pas être considéré comme un moyen nouveau.

15

L’exception d’irrecevabilité du Conseil doit donc être rejetée.

Sur le fond

Argumentation des parties

16

La Commission fait valoir que l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, viole les articles 290 TFUE et 291 TFUE dès lors qu’il lui octroie à tort un pouvoir délégué.

17

Elle soutient à cet égard, en premier lieu, qu’un acte pris sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), dudit règlement ne complète pas ce dernier. Un tel acte s’inscrirait dans le cadre de l’exécution du même règlement. En effet, il appliquerait à une situation spécifique des règles déjà énoncées dans l’acte législatif considéré. La Commission insiste à cet égard sur le fait que cette disposition ne lui confère qu’un pouvoir d’appréciation très faible, voire inexistant.

18

Si l’acte pris sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous e), du règlement no 539/2001, tel que modifié, est reconnu comme une mesure d’exécution de cet acte législatif, l’acte visé à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), de ce règlement devrait a fortiori recevoir la même qualification. En effet, la Commission, lorsqu’elle statue sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous e), dudit règlement, bénéficierait d’une certaine marge d’appréciation qui semblerait faire défaut lorsqu’elle adopte l’acte délégué visé à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du même règlement.

19

En deuxième lieu, un acte pris sur le fondement de cette dernière disposition n’entraînerait pas une modification de l’acte législatif au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE.

20

La Commission soutient qu’une modification d’un acte législatif présuppose que les éléments qui font l’objet de cette modification figuraient déjà dans cet acte. Une modification au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE aurait pour effet de changer le contenu normatif de l’acte législatif. Or, l’adoption d’un acte sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, n’entraînerait pas la suppression de la référence au pays tiers concerné dans l’annexe II de ce règlement et son insertion dans l’annexe I dudit règlement. Cette dernière modification de l’acte législatif considéré devrait, conformément à l’article 1er, paragraphe 4, sous h), du même règlement, être effectuée au moyen de la procédure législative ordinaire. Par ailleurs, le règlement no 539/2001, tel que modifié, ne contiendrait aucune liste des pays tiers qui se trouvent dans une situation de suspension, dont l’acte délégué prévu à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), de ce règlement changerait le contenu normatif. Au contraire, ces pays devraient être identifiés en application des critères fixés dans ledit règlement. L’acte délégué qui, sur la base de ces critères, suspend, pour une durée limitée, l’application de l’exemption de l’obligation de visa mettrait simplement en œuvre l’acte législatif considéré sans le compléter ni le modifier.

21

Même si l’insertion d’une note en bas de page dans un acte législatif constitue, en principe, une modification susceptible de faire l’objet d’un acte délégué, la Commission estime que, en l’espèce, l’insertion de la note en bas de page prévue par ladite disposition constitue un instrument purement technique utilisé de manière abusive pour travestir l’acte d’exécution en acte délégué.

22

En outre, l’insertion de la note en bas de page irait également à l’encontre du souhait de conférer au mécanisme de mise en œuvre du principe de réciprocité un caractère automatique et engendrerait de nombreuses difficultés dans le fonctionnement concret de ce mécanisme. Ainsi, dans l’hypothèse prévue à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), troisième alinéa, du règlement no 539/2001, tel que modifié, d’une présentation d’une proposition législative par la Commission, cette disposition ne préciserait pas comment la modification de la note en bas de page qui y est prévue devrait être effectuée et comment cette note devrait être supprimée dans l’hypothèse où cette proposition législative n’aboutirait pas. Par ailleurs, dans l’hypothèse visée à l’article 1er, paragraphe 4, sous j), de ce règlement, d’une suppression de l’obligation de visa par le pays tiers concerné, ledit règlement ne préciserait pas la procédure selon laquelle la note en bas de page insérée sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), dudit règlement devrait être supprimée.

23

En troisième lieu, la Commission fait valoir dans sa réplique que, à supposer que le législateur de l’Union jouisse d’une marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer si une mesure constitue une «modification» de l’acte législatif en cause, au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, l’octroi d’un pouvoir délégué à la Commission à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du même règlement no 539/2001 résulterait d’une erreur manifeste.

24

Elle explique, à cet égard, premièrement, que la sensibilité politique ou la gravité d’un acte pris sur le fondement de ladite disposition est étrangère à la question de savoir si cet acte modifie l’acte législatif considéré, au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE.

25

Deuxièmement, eu égard au fait que l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, ne confère à la Commission qu’un pouvoir d’appréciation restreint, voire inexistant, la question se poserait de savoir quelle pourrait être la finalité du droit d’objection dont dispose le législateur de l’Union en vertu de l’article 290 TFUE. Ledit droit d’objection s’apparenterait en l’occurrence à un droit de veto à une mesure d’exécution, ce qui ne serait pas conforme à la finalité de l’article 290 TFUE.

26

Troisièmement, la Commission rappelle que, selon l’article 4 ter, paragraphes 2 et 3, dudit règlement, la durée de la délégation de pouvoir en cause est limitée dans le temps et cette délégation peut être révoquée. Toutefois, l’adoption de l’acte délégué prévu à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du même règlement étant partie intégrante du mécanisme global de mise en œuvre du principe de réciprocité, instauré par l’article 1er, paragraphe 4, du règlement no 539/2001, tel que modifié, la Commission affirme que ledit mécanisme ne pourrait plus fonctionner postérieurement à l’échéance du terme de la délégation en cause ou à la révocation de celle‑ci.

27

Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République tchèque, font valoir que l’article 1er, paragraphe 4, sous f), dudit règlement no 539/2001 confère à la Commission le pouvoir de modifier le même règlement au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE. Dès lors, le législateur de l’Union n’aurait pas commis d’erreur manifeste ni agi de manière déraisonnable en conférant un pouvoir délégué à la Commission. Il serait, au contraire, resté dans les limites de son pouvoir d’appréciation.

Appréciation de la Cour

28

Il ressort de la jurisprudence que le législateur de l’Union dispose d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’il décide d’attribuer à la Commission un pouvoir délégué en vertu de l’article 290, paragraphe 1, TFUE ou un pouvoir d’exécution en vertu de l’article 291, paragraphe 2, TFUE (arrêt Commission/Parlement et Conseil, C‑427/12, EU:C:2014:170, point 40). Cependant, ce pouvoir d’appréciation doit être exercé dans le respect des conditions prévues aux articles 290 TFUE et 291 TFUE.

29

S’agissant de l’octroi d’un pouvoir délégué, il ressort de l’article 290, paragraphe 1, TFUE qu’un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. Conformément au second alinéa de cette disposition, les objectifs, le contenu, la portée ainsi que la durée de la délégation de pouvoir doivent être explicitement délimités par l’acte législatif conférant une telle délégation. Cette exigence implique que l’attribution d’un pouvoir délégué vise l’adoption de règles qui s’insèrent dans le cadre réglementaire tel que défini par l’acte législatif de base (arrêt Commission/Parlement et Conseil, C‑427/12, EU:C:2014:170, point 38).

30

S’agissant de l’octroi d’un pouvoir d’exécution, l’article 291, paragraphe 2, TFUE énonce que des actes juridiquement contraignants de l’Union confèrent un tel pouvoir à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés et dans les cas prévus aux articles 24 TUE et 26 TUE, au Conseil, lorsque des conditions uniformes d’exécution de ces actes sont nécessaires. Dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’exécution qui lui est conféré, l’institution concernée est appelée à préciser le contenu d’un acte législatif, afin d’assurer sa mise en œuvre dans des conditions uniformes dans tous les États membres (voir arrêt Commission/Parlement et Conseil, C‑427/12, EU:C:2014:170, point 39).

31

Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour que la Commission, en exerçant un pouvoir d’exécution, ne peut modifier ni compléter l’acte législatif, même dans ses éléments non essentiels (arrêt Parlement/Commission, C‑65/13, EU:C:2014:2289, point 45).

32

Contrairement à ce que soutient la Commission, ni l’existence ni l’étendue du pouvoir d’appréciation conféré à celle‑ci par l’acte législatif ne sont pertinentes aux fins de déterminer si l’acte à adopter par la Commission relève de l’article 290 TFUE ou de l’article 291 TFUE. En effet, il ressort du libellé de l’article 290, paragraphe 1, TFUE que la légalité du choix opéré par le législateur de l’Union d’octroyer un pouvoir délégué à la Commission dépend des seuls points de savoir si les actes que cette institution est appelée à adopter sur le fondement de cet octroi sont de portée générale et s’ils complètent ou modifient des éléments non essentiels de l’acte législatif.

33

En l’espèce, la Commission ne met pas en cause que l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, lui octroie le pouvoir d’adopter des actes de portée générale qui portent uniquement sur des éléments non essentiels de l’acte législatif. Par ailleurs, les parties défenderesses ne contestent pas le bien‑fondé de l’argumentation de la Commission selon laquelle ces actes ne sont pas de nature à compléter l’acte législatif en cause, au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE.

34

Dans ces conditions, il convient d’examiner si le législateur de l’Union est resté dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, rappelée au point 28 du présent arrêt, en ayant conféré à la Commission, à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), dudit règlement, le pouvoir de «modifier», au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, le contenu normatif du même règlement (voir, en ce sens, arrêt Commission/Parlement et Conseil, C‑427/12, EU:C:2014:170, points 40 et 52).

35

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 5 du règlement no 539/2001, ce dernier vise à instaurer un mécanisme permettant la mise en œuvre du principe de réciprocité au cas où l’un des pays tiers figurant à l’annexe II de ce règlement déciderait de soumettre à l’obligation de visa les ressortissants d’un ou de plusieurs États membres. Ce mécanisme comporte en substance trois étapes.

36

L’article 1er, paragraphe 4, sous e), du règlement no 539/2001, tel que modifié, prévoit, comme première réponse de l’Union à l’action du pays tiers concerné, l’adoption d’un acte d’exécution par la Commission suspendant, pour une durée de six mois pouvant être prolongée pour de nouvelles périodes de six mois, l’exemption de l’obligation de visa à l’égard de certaines catégories de ressortissants du pays tiers concerné.

37

L’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, se rapporte à la deuxième étape du mécanisme de mise en œuvre du principe de réciprocité. Lorsque, en dépit de la suspension sélective de l’exemption de visa résultant de l’acte d’exécution pris sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous e), de ce règlement, le pays tiers concerné maintient son exigence de visa pour les ressortissants d’au moins un État membre, l’article 1er, paragraphe 4, sous f), dudit règlement prévoit l’adoption par la Commission d’un acte délégué qui suspend à l’égard de tous les ressortissants de ce pays tiers, pour une période de douze mois, l’exemption de l’obligation de visa résultant de l’inscription de celui‑ci à l’annexe II du même règlement et insère dans cette annexe «une note [en] bas de page indiquant que l’exemption de l’obligation de visa est suspendue en ce qui concerne [ledit] pays tiers et précisant la durée de cette suspension».

38

La troisième étape du mécanisme de mise en œuvre du principe de réciprocité concerne le rétablissement permanent de l’obligation de visa, et donc le transfert de la référence au pays tiers concerné de l’annexe II du règlement no 539/2001, tel que modifié, à l’annexe I de celui‑ci, ce qui implique le recours à la procédure législative ordinaire. C’est ainsi que l’article 1er, paragraphe 4, sous h), de ce règlement dispose que, si dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de l’acte délégué le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission peut présenter une proposition législative de modification dudit règlement, en vue d’un tel transfert. Si une telle initiative législative est prise par la Commission, la période de suspension résultant d’un acte pris sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du même règlement est prolongée de six mois.

39

Le mécanisme de mise en œuvre du principe de réciprocité est ainsi caractérisé par des mesures d’une gravité et d’une sensibilité politique croissantes, auxquelles correspondent des instruments de nature différente.

40

Contrairement à ce que prétend la Commission, la circonstance que l’acte pris dans le cadre de la première étape du mécanisme de mise en œuvre du principe de réciprocité est qualifié de mesure d’exécution ne saurait, en tant que telle, avoir pour conséquence que l’acte pris dans le cadre de la deuxième étape de celui‑ci doit, lui aussi, être qualifié d’acte d’exécution.

41

Quant au point de savoir si l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, confère le pouvoir à la Commission de modifier, au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, ce règlement, il doit être rappelé que, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 539/2001, les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe I de ce règlement doivent être munis d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres. En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement, les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II du même règlement sont exemptés d’une telle obligation pour les séjours dont la durée n’excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours.

42

Or, un acte pris sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, a pour effet de réintroduire, pendant une période de douze ou de dix‑huit mois, une obligation de visa à l’égard de tous les ressortissants d’un pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II de ce règlement, pour les séjours qui, selon les termes de l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement, sont exemptés d’une telle obligation. Pour l’ensemble de ces ressortissants, l’acte adopté sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du même règlement a donc pour effet de modifier, ne fût‑ce que temporairement, le contenu normatif de l’acte législatif considéré. En effet, à l’exception de leur caractère temporaire, les effets de l’acte pris sur le fondement de cette disposition sont en tous points identiques à ceux résultant du transfert formel de la mention du pays tiers en question de l’annexe II du règlement no 539/2001, tel que modifié, à l’annexe I de celui‑ci.

43

L’insertion à l’annexe II dudit règlement d’une note en bas de page à côté du nom du pays tiers concerné, prévue par ladite disposition, atteste, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 64 de ses conclusions, de la volonté du législateur de l’Union d’insérer l’acte pris sur le fondement de cette disposition dans le texte même du règlement no 539/2001, tel que modifié,.

44

Dans ces conditions, le législateur de l’Union a conféré à la Commission le pouvoir de modifier le contenu normatif dudit acte législatif au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE.

45

Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation de la Commission relative aux difficultés éventuelles résultant de la nécessité d’une adaptation ultérieure de la note en bas de page insérée à l’annexe II du règlement no 539/2001 ou résultant des caractéristiques propres à une délégation de pouvoir, telles que sa durée limitée, la possibilité d’une révocation et le pouvoir d’objection du Parlement et du Conseil.

46

En effet, de telles difficultés sont sans incidence sur le point de savoir si le pouvoir octroyé à la Commission à l’article 1er, paragraphe 4, sous f), du règlement no 539/2001, tel que modifié, vise à modifier le contenu normatif de cet acte législatif au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, modification qui, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 31 du présent arrêt, ne peut être effectuée que dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir délégué.

47

Le moyen unique invoqué par la Commission au soutien de son recours doit, par conséquent, être écarté comme étant non fondé.

48

Il s’ensuit que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

49

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, en vertu duquel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, il y a lieu de décider que la République tchèque supporte ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

La Commission européenne est condamnée aux dépens.

 

3)

La République tchèque supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.