ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 avril 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Location d’un bien immeuble — Fourniture d’électricité, de chauffage et d’eau ainsi que ramassage des déchets — Contrats entre le bailleur et les fournisseurs de ces biens et services — Prestations fournies au locataire considérées comme effectuées par le bailleur — Charges locatives — Détermination de la base d’imposition — Possibilité d’inclure les charges locatives dans la base d’imposition des services de location — Opération constituée d’une prestation unique ou de plusieurs prestations indépendantes»

Dans l’affaire C‑42/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), par décision du 22 octobre 2013, parvenue à la Cour le 27 janvier 2014, dans la procédure

Minister Finansów

contre

Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 novembre 2014,

considérant les observations présentées:

pour le Minister Finansów, par MM. T. Tratkiewicz et J. Kaute, en qualité d’agents,

pour la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie, par Mme K. Przygodzka et M. A. Fajt, en qualité d’agents, assistés de Mme K. Warfołomiejew, radca prawny et M. Ł. Adamczyk, doradca podatkowy,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska, en qualité d’agents,

pour le gouvernement grec, par Mme K. Nasopoulou, en qualité d’agent,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme J. Beeko, en qualité d’agent, assistée de M. R. Hill, barrister,

pour la Commission européenne, par M. Ł. Habiak et Mme L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO 2010, L 10, p. 14, ci-après la «directive TVA»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Minister Finansów (ministre des Finances) à la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie (agence des biens immobiliers de l’armée à Varsovie, ci-après la «Wojskowa Agencja Mieszkaniowa») au sujet d’un avis individuel du Minister Finansów du 21 juin 2011 rejetant le mode de calcul et d’application de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») retenu par cette dernière s’agissant de biens livrés et de services fournis dans le cadre de la location de biens immeubles.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA dispose:

«À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.»

4

L’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit:

«Est considéré comme ‘livraison de biens’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

5

L’article 15, paragraphe 1, de cette directive dispose:

«Sont assimilés à des biens corporels l’électricité, le gaz, la chaleur ou le froid et les choses similaires.»

6

L’article 24, paragraphe 1, de ladite directive énonce:

«Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens.»

7

L’article 73 de la directive TVA prévoit:

«Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations.»

Le droit polonais

8

L’article 7, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur les biens et les services (ustawa o podatku od towarów i usług, Dz. U no 54, position 535), du 11 mars 2004, dispose:

«La livraison de biens, visée à l’article 5, paragraphe 1, point 1, s’entend du transfert du droit de disposer des biens en tant que propriétaire [...]»

9

L’article 8, paragraphe 1, de cette loi précise:

«La prestation de service visée à l’article 5, paragraphe 1, point 1, s’entend de toute prestation accomplie au bénéfice d’une personne physique, d’une personne morale ou d’une entité ne disposant pas de la personnalité morale, et ne constituant pas une livraison de biens au sens de l’article 7 [...]»

10

L’article 29, paragraphe 1, de ladite loi se lit comme suit:

«La base d’imposition est constituée par le chiffre d’affaires, sous réserve des paragraphes 2 à 21, des articles 30 à 32, de l’article 119 ainsi que de l’article 120, paragraphes 4 et 5. Le chiffre d’affaires correspond au montant hors taxe dû au titre de la vente. Le montant dû comprend l’intégralité de la prestation due par l’acquéreur ou par un tiers. Il est majoré des dotations, des subventions et des autres versements supplémentaires de même nature reçus ayant une incidence directe sur le prix (montant dû) des biens livrés ou des services fournis par l’assujetti, diminués du montant de la taxe due.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

La Wojskowa Agencja Mieszkaniowa est une personne publique chargée, notamment, de mettre en location les biens immeubles de l’État qui lui ont été confiés. Dans le cadre de cette activité, elle procède à la refacturation de prestations comprenant, d’une part, la fourniture de certaines commodités, à savoir l’électricité, le chauffage et l’eau, ainsi que, d’autre part, le ramassage des déchets, en transférant au locataire les coûts qu’elle a supportés pour l’achat de ces biens et services à des fournisseurs tiers. S’agissant des commodités, la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa facture au locataire des avances dont le montant est fixé dans le contrat de location en appliquant le taux d’imposition applicable à chacune des commodités, puis, une fois l’année écoulée, elle régularise les comptes en fonction de la consommation effective du locataire en électricité, en chauffage et en eau.

12

Les taux de TVA ayant changé à la hausse à partir du 1er janvier 2011, la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa s’est interrogée sur les taux applicables aux montants figurant dans ses factures émises après cette date soit pour réclamer le solde restant dû par les locataires, soit pour corriger un trop-perçu. La Wojskowa Agencja Mieszkaniowa s’est adressée au Minister Finansów pour une demande d’avis individuel en indiquant quels taux elle pensait applicables.

13

Dans son avis individuel du 21 juin 2011, le Minister Finansów a exposé que le mode de calcul de la TVA envisagé par la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa était incorrect et a souligné que la fourniture de commodités et le ramassage des déchets faisaient partie d’un ensemble constituant une prestation unique, à savoir le service de location. Partant, il convenait d’inclure ces diverses prestations dans la base d’imposition de ce service qui constituait la prestation principale et de leur appliquer un taux d’imposition unique, à savoir celui applicable audit service. Le Minister Finansów a précisé que ce taux était de 23 % à partir du 1er janvier 2011 et de 22 % auparavant.

14

L’administration ayant maintenu la position exposée dans l’avis individuel, la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa a formé un recours devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de la voïvodie de Varsovie), qui a annulé l’avis du Minister Finansów par jugement du 17 juillet 2012.

15

Ce tribunal a jugé que les redevances dues au titre de la fourniture de commodités et du ramassage des déchets devaient être incluses dans la base d’imposition du service de location, en tant qu’élément du loyer, sauf lorsqu’il résulte clairement du contrat de location que toutes ou certaines de ces redevances ne sont pas comprises dans le loyer et sont payées de façon distincte par le locataire.

16

Ledit tribunal a considéré que la Wojskowa Agencja Mieszkaniowa n’avait pas fourni d’informations claires à cet égard et que le Minister Finansów aurait dû lui demander des précisions avant d’adopter l’avis individuel.

17

Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie a précisé que l’absence de contrat conclu directement entre le locataire et les fournisseurs de commodités et du service de ramassage des déchets n’implique pas nécessairement que le bailleur fournit au locataire un service unique de location de nature complexe.

18

Le Minister Finansów s’est pourvu en cassation devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).

19

Cette juridiction souligne que l’affaire a des conséquences pratiques importantes puisque, s’agissant notamment de la fourniture d’eau, selon que celle-ci est facturée de manière distincte ou incorporée dans le loyer, le taux de TVA applicable sera respectivement de 8 % ou de 23 %. Elle nourrit toutefois des doutes sur la manière d’interpréter la directive TVA, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, et plus particulièrement sur le point de savoir si le bailleur fournit une prestation unique ou plusieurs prestations distinctes.

20

C’est dans ces conditions que le Naczelny Sąd Administracyjny a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 14, paragraphe 1, l’article 15, paragraphe 1, et l’article 24, paragraphe 1, de la directive TVA doivent-ils être interprétés en ce sens que les livraisons d’électricité, d’énergie de chauffage et d’eau ainsi que les prestations de ramassage des déchets, assurées au profit du locataire utilisant directement ces biens et services par un opérateur tiers spécialisé, sont en réalité effectuées par le bailleur lorsque celui-ci a conclu le contrat pour la livraison desdits biens et services et qu’il en répercute uniquement les coûts au locataire du local qui en fait effectivement usage?

2)

En cas de réponse positive à la première question, les coûts de l’électricité, d’énergie de chauffage, d’eau ainsi que ceux du ramassage des déchets, dont le locataire du local fait usage, augmentent-ils la base d’imposition (le loyer) visée à l’article 73 de la directive TVA au titre de la prestation du service de location, ou les livraisons et les services en question constituent-ils des prestations distinctes du service de location du local?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

21

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 14, paragraphe 1, 15, paragraphe 1, et 24, paragraphe 1, de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de la location d’un bien immeuble, la fourniture d’électricité, de chauffage et d’eau ainsi que le ramassage des déchets, assurés par des opérateurs tiers au profit du locataire utilisant directement ces biens et services, doivent être considérés comme effectués par le bailleur lorsque celui-ci a conclu les contrats pour la fourniture de ces prestations et qu’il en répercute uniquement les coûts au locataire.

22

La juridiction de renvoi précise qu’elle nourrit un doute à ce sujet, à la lecture, notamment, de l’arrêt Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73), qui concerne l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), devenu l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA.

23

Dans ledit arrêt, qui porte sur un contrat de leasing de véhicule automobile permettant au preneur de véhicule en leasing de ravitailler le véhicule en carburant au nom et pour le compte du donneur de ce véhicule, la Cour a examiné s’il fallait considérer que ce dernier effectuait une livraison de carburant au preneur dudit véhicule.

24

La Cour a répondu par la négative en rappelant que, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 77/388, «[e]st considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire». La Cour a souligné que la notion de livraison d’un bien inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien. Elle a considéré que les sociétés pétrolières transféraient au preneur de véhicule en leasing le pouvoir de disposer, en fait, du carburant comme un propriétaire et qu’il n’y avait pas de livraison de carburant de ces sociétés au donneur de véhicule en leasing ni, par voie de conséquence, de ce dernier au preneur de ce véhicule (arrêt Auto Lease Holland, C‑185/01, EU:C:2003:73, points 31 à 36).

25

Il y a lieu de souligner que les faits à la base d’un tel contrat se distinguent des faits à la base d’un contrat de location d’un bien immeuble accompagné de prestations telles que celles en cause au principal.

26

En effet, dans le cadre d’un contrat tel que celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73), le preneur de véhicule en leasing achète lui-même le carburant à des postes d’essence en choisissant librement sa qualité et sa quantité ainsi que le moment de l’achat. La Cour a jugé que l’accord relatif à la gestion de carburant entre le donneur de véhicule en leasing et le preneur dudit véhicule n’est pas un contrat de livraison de carburant, mais constitue plutôt un contrat de financement de l’achat de celui-ci (arrêt Auto Lease Holland, C‑185/01, EU:C:2003:73, point 36).

27

En revanche, dans un contrat tel que celui en cause au principal où le bailleur conclut le contrat pour la fourniture des prestations consistant en la fourniture de commodités et le ramassage des déchets, c’est le bailleur qui achète les prestations en cause pour le bien immeuble qu’il donne en location. Le locataire utilise certes directement lesdites prestations, mais ne les achète pas auprès des opérateurs tiers spécialisés. Ainsi, les considérations relatives à l’achat de carburant dans l’arrêt Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73), lesquelles valent pour l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA, ne s’appliquent, dans le cadre d’un contrat de location tel que celui en cause au principal, ni à la fourniture d’électricité, de chauffage et d’eau, lesquels constituent également des biens en vertu de l’article 15 de la directive TVA, ni à la fourniture d’un service relevant de l’article 24 de la directive TVA, tel que le ramassage des déchets. Il résulte de l’achat par le bailleur des prestations consistant en la fourniture de ces biens et services que c’est lui qui doit être considéré comme effectuant la fourniture desdites prestations au locataire.

28

Il y a donc lieu de répondre à la première question que les articles 14, paragraphe 1, 15, paragraphe 1, et 24, paragraphe 1, de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de la location d’un bien immeuble, la fourniture d’électricité, de chauffage et d’eau ainsi que le ramassage des déchets, assurés par des opérateurs tiers au profit du locataire utilisant directement ces biens et services, doivent être considérés comme effectués par le bailleur lorsque celui-ci a conclu les contrats pour la fourniture de ces prestations et qu’il en répercute uniquement les coûts au locataire.

Sur la seconde question

29

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens que la location d’un bien immeuble et la fourniture d’eau, d’électricité et de chauffage ainsi que le ramassage des déchets accompagnant cette location doivent être considérés comme constituant une prestation unique ou plusieurs prestations distinctes et indépendantes devant être appréciées séparément du point de vue de la TVA.

30

À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux fins de la TVA, chaque prestation doit normalement être considérée comme distincte et indépendante, ainsi qu’il découle de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA (arrêts Field Fisher Waterhouse, C‑392/11, EU:C:2012:597, point 14, et BGŻ Leasing, C‑224/11, EU:C:2013:15, point 29).

31

Néanmoins, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, dans certaines circonstances, plusieurs prestations formellement distinctes, qui pourraient être fournies séparément et, ainsi, donner lieu, séparément, à taxation ou à exonération doivent être considérées comme une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes. Il s’agit d’une opération unique, notamment, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel. Tel est également le cas lorsqu’une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (arrêt BGŻ Leasing, C‑224/11, EU:C:2013:15, point 30). Notamment, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (arrêt Field Fisher Waterhouse, C‑392/11, EU:C:2012:597, point 17 et jurisprudence citée).

32

Afin de déterminer si les prestations fournies constituent plusieurs prestations indépendantes ou une prestation unique, il importe de rechercher les éléments caractéristiques de l’opération concernée (arrêt BGŻ Leasing, C‑224/11, EU:C:2013:15, point 32).

33

S’agissant de charges locatives telles que celles en cause au principal, la Cour a déjà été amenée par deux fois à préciser quels éléments devaient être considérés comme caractéristiques.

34

Dans l’arrêt RLRE Tellmer Property (C‑572/07, EU:C:2009:365), la Cour a relevé que, s’agissant du nettoyage des parties communes d’un immeuble, le service pouvait être effectué selon différentes modalités, à savoir, notamment, par un tiers facturant le coût de ce service directement aux locataires ou par le bailleur employant pour ce faire son propre personnel ou recourant à une entreprise de nettoyage. En l’occurrence, le service étant facturé de manière distincte de la location par le bailleur et les deux prestations pouvant être séparées l’une de l’autre, la Cour a jugé que celles-ci ne pouvaient être considérées comme constituant une prestation unique (arrêt RLRE Tellmer Property, C‑572/07, EU:C:2009:365, points 22 et 24).

35

Dans l’arrêt Field Fisher Waterhouse (C‑392/11, EU:C:2012:597), la Cour a jugé que le contenu d’un contrat de bail pouvait constituer un indice important. S’agissant, en l’occurrence, d’un contrat relatif à la location de bureaux par un cabinet d’avocats, elle a souligné que, selon les informations dont elle disposait, celui-ci stipulait que, outre la location des locaux, le bailleur devait fournir au locataire un certain nombre de prestations donnant lieu à des charges locatives dont le non-paiement pouvait entraîner la résiliation du bail. La Cour a considéré que la raison économique de la conclusion dudit contrat semblait être non seulement l’obtention du droit d’occuper les locaux concernés, mais, également, l’obtention par le locataire d’un ensemble de prestations de services. La Cour en a conclu que le contrat de bail désignait une prestation unique entre le bailleur et le locataire. Dans son analyse, la Cour s’est notamment placée du point de vue d’un locataire moyen des locaux commerciaux concernés, à savoir des bureaux d’avocats (arrêt Field Fisher Waterhouse, C‑392/11, EU:C:2012:597, point 23).

36

Il convient de relever que ces deux arrêts portent sur des prestations qui, à l’instar de celles en cause au principal, sont en général utiles, voire nécessaires, à la jouissance du bien immeuble pris en location. Il découle de cette jurisprudence que ces prestations peuvent exister indépendamment de la location d’un bien immeuble. Néanmoins, selon les circonstances particulières, notamment selon le contenu du contrat, elles peuvent constituer des prestations accessoires ou être indissociables de ladite location et former une prestation unique avec celle-ci.

37

Il ressort notamment de l’arrêt BGŻ Leasing (C‑224/11, EU:C:2013:15, points 44 et 45) que les éléments qui reflètent les intérêts des parties contractantes, tels que, par exemple, les modalités de la tarification et de la facturation peuvent être pris en compte pour déterminer les éléments caractéristiques de l’opération concernée. Il y a lieu notamment de vérifier si, aux termes du contrat, le locataire et le bailleur cherchent avant tout, respectivement, à obtenir et à offrir la location d’un bien immeuble et ne recherchent que subsidiairement à obtenir pour l’un et à fournir pour l’autre d’autres prestations même si celles-ci sont nécessaires à la jouissance du bien.

38

Ainsi, il convient de tenir compte des circonstances suivantes qui permettent de distinguer deux principaux cas de figure.

39

Premièrement, si le locataire a la faculté de choisir ses prestataires et/ou les modalités d’utilisation des biens ou des services en cause, les prestations se rapportant à ces biens ou services peuvent, en principe, être considérées comme distinctes de la location. En particulier, si le locataire peut décider de ses consommations d’eau, d’électricité ou de chauffage, lesquelles peuvent être vérifiées par la pose de compteurs individuels et facturées en fonction desdites consommations, les prestations se rapportant à ces biens ou services peuvent, en principe, être considérées comme distinctes de la location. S’agissant de services, tels que le nettoyage des parties communes d’un immeuble en copropriété, il y a lieu de les considérer comme distincts de la location s’ils peuvent être organisés par chaque locataire individuellement ou par les locataires collectivement et que, dans tous les cas, les factures adressées au locataire mentionnent la fourniture de ces biens et services dans des postes distincts du loyer.

40

Dans ce cas de figure, la seule circonstance que le non-paiement des charges locatives permet au bailleur de résilier le contrat de location n’empêche nullement que les prestations auxquelles ces charges se rapportent constituent des prestations distinctes de la location (voir, en ce sens, arrêt BGŻ Leasing, C‑224/11, EU:C:2013:15, point 47).

41

En outre, la circonstance que le locataire dispose de la faculté d’obtenir ces prestations auprès du prestataire de son choix n’est pas non plus déterminante en soi, étant donné que la possibilité pour les éléments d’une prestation unique d’être, dans d’autres circonstances, fournis isolément est inhérente au concept d’opération unique composée (arrêt Field Fisher Waterhouse, C‑392/11, EU:C:2012:597, point 26).

42

Deuxièmement, si un bien immeuble offert à la location apparaît objectivement, sur un plan économique, former un tout avec les prestations qui l’accompagnent, ces dernières peuvent être considérées comme constituant une prestation unique avec la location. Il peut en aller ainsi notamment de la location de bureaux clefs en main, prêts à fonctionner avec la fourniture de commodités et de certaines autres prestations, et de la location de biens immeubles pour de courtes durées, notamment pour les vacances ou pour raisons professionnelles, qui est offerte avec ces prestations sans que ces dernières puissent en être séparées.

43

Par ailleurs, si le bailleur ne dispose pas lui-même de la faculté de choisir librement et indépendamment, notamment d’autres bailleurs, les prestataires et les modalités d’utilisation des biens ou des services accompagnant la location, les prestations en cause sont en général indissociables de la location et peuvent également être considérées comme formant un tout, et par là-même une prestation unique, avec cette dernière. Il en va en particulier ainsi lorsque le bailleur, propriétaire d’une partie d’un immeuble collectif, est tenu d’avoir recours aux prestataires désignés par l’ensemble de la copropriété et de payer une quote-part des charges collectives se rapportant à de telles prestations qu’il répercute ensuite sur le locataire.

44

Dans ce deuxième cas de figure, apprécier séparément la fourniture des prestations de la location, en ce qui concerne leur soumission à la TVA, constituerait une décomposition artificielle d’une opération économique unique.

45

Ainsi, dans un cas tel que celui en cause au principal, lequel, selon les précisions apportées au cours de l’audience, porte sur la location d’un grand nombre de biens immeubles destinés à différents usages allant du hangar à l’usage d’habitation, par un locataire, il importe de vérifier dans le cadre de chaque location si, en ce qui concerne les commodités, le locataire est libre de décider de ses consommations dans la quantité qu’il souhaite. À cet égard, l’existence de compteurs individuels et la facturation selon la quantité des biens utilisés est un indice important tendant à indiquer que la fourniture de commodités doit être considérée comme constituant des prestations distinctes de la location. S’agissant du ramassage des déchets, si le locataire a le choix du prestataire ou peut conclure un contrat directement avec lui, même si, pour des raisons de facilité, il n’exerce pas ce choix ou cette faculté, mais obtient la prestation de l’opérateur désigné par le bailleur, sur la base d’un contrat conclu entre ces deux derniers, cette circonstance constitue un indice en faveur de l’existence d’une prestation distincte de la location. Si, de surcroît, le montant dû au titre du ramassage des déchets et celui dû au titre de la location apparaissent dans des postes différents sur la facture, il y a lieu de considérer que le bailleur ne fournit pas une prestation unique comprenant la location et ladite prestation.

46

Il appartient dans tous les cas à la juridiction nationale d’effectuer les appréciations nécessaires en tenant compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles se déroulent la location et les prestations qui l’accompagnent et en particulier du contenu du contrat lui-même.

47

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question:

La directive TVA doit être interprétée en ce sens que la location d’un bien immeuble et la fourniture d’eau, d’électricité et de chauffage ainsi que le ramassage des déchets accompagnant cette location doivent, en principe, être considérés comme constituant plusieurs prestations distinctes et indépendantes devant être appréciées séparément du point de vue de la TVA, à moins que des éléments de l’opération, y compris ceux indiquant la raison économique de la conclusion du contrat, sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel.

Il appartient à la juridiction nationale d’effectuer les appréciations nécessaires en tenant compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles se déroulent la location et les prestations qui l’accompagnent et en particulier du contenu du contrat lui-même.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

1)

Les articles 14, paragraphe 1, 15, paragraphe 1, et 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de la location d’un bien immeuble, la fourniture d’électricité, de chauffage et d’eau ainsi que le ramassage des déchets, assurés par des opérateurs tiers au profit du locataire utilisant directement ces biens et services, doivent être considérés comme effectués par le bailleur lorsque celui-ci a conclu les contrats pour la fourniture de ces prestations et qu’il en répercute uniquement les coûts au locataire.

 

2)

Ladite directive doit être interprétée en ce sens que la location d’un bien immeuble et la fourniture d’eau, d’électricité et de chauffage ainsi que le ramassage des déchets accompagnant cette location doivent, en principe, être considérés comme constituant plusieurs prestations distinctes et indépendantes devant être appréciées séparément du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée, à moins que des éléments de l’opération, y compris ceux indiquant la raison économique de la conclusion du contrat, sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel.

Il appartient à la juridiction nationale d’effectuer les appréciations nécessaires en tenant compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles se déroulent la location et les prestations qui l’accompagnent et en particulier du contenu du contrat lui-même.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le polonais.