CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 10 septembre 2015 ( 1 )

Affaire C‑428/14

DHL Express (Italy) Srl,

DHL Global Forwarding (Italy) SpA

contre

Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Italie)]

«Politique de concurrence — Article 101 TFUE — Entente — Secteur des expéditions internationales de marchandises — Clémence — Coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres (les ANC) — Réseau européen de la concurrence (REC) — Programme modèle en matière de clémence du REC — Le caractère contraignant ou non du programme modèle en matière de clémence du REC pour les ANC — Rapports entre demande d’immunité présentée à la Commission et demande sommaire simplifiée d’immunité présentée à une ANC»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle, déposée au greffe de la Cour par le Conseil d’État (Consiglio di Stato, Italie) le 18 septembre 2014, porte sur l’interprétation des articles 101 TFUE et 4, paragraphe 3, TUE ainsi que de l’article 11 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ( 2 ).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DHL Express (Italy) Srl et DHL Global Forwarding (Italy) SpA (ci‑après conjointement «DHL»), qui sont des filiales de Deutsche Post AG, à l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité responsable du respect de la concurrence et des règles du marché, ci‑après l’«Autorità»).

II – Le cadre juridique

A – Le règlement no 1/2003

3.

Le considérant 15 du règlement no 1/2003 énonce:

4.

L’article 11 du règlement no 1/2003, intitulé «Coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres», est libellé comme suit:

«1.   La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration.

2.   La Commission transmet aux autorités de concurrence des États membres une copie des pièces les plus importantes qu’elle a recueillies en vue de l’application des articles 7, 8, 9 et 10 et de l’article 29, paragraphe 1. Si l’autorité de concurrence d’un État membre en fait la demande, la Commission lui fournit une copie des autres documents existants qui sont nécessaires à l’appréciation de l’affaire.

3.   Lorsqu’elles agissent en vertu de l’article 81 [CE] ou 82 [CE], les autorités de concurrence des États membres informent la Commission par écrit avant ou sans délai après avoir initié la première mesure formelle d’enquête. Cette information peut également être mise à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres.

4.   Au plus tard trente jours avant l’adoption d’une décision ordonnant la cessation d’une infraction, acceptant des engagements ou retirant le bénéfice d’un règlement d’exemption par catégorie, les autorités de concurrence des États membres informent la Commission. À cet effet, elles communiquent à la Commission un résumé de l’affaire, la décision envisagée ou, en l’absence de celle-ci, tout autre document exposant l’orientation envisagée. Ces informations peuvent aussi être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Sur demande de la Commission, l’autorité de concurrence concernée met à la disposition de la Commission d’autres documents en sa possession nécessaires à l’appréciation de l’affaire. Les informations fournies à la Commission peuvent être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Les autorités nationales de concurrence peuvent également échanger entre elles les informations nécessaires à l’appréciation d’une affaire qu’elles traitent en vertu de l’article 81 [CE] ou 82 [CE].

5.   Les autorités de concurrence des États membres peuvent consulter la Commission sur tout cas impliquant l’application du droit communautaire.

6.   L’ouverture par la Commission d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles 81 [CE] et 82 [CE]. Si une autorité de concurrence d’un État membre traite déjà une affaire, la Commission n’intente la procédure qu’après avoir consulté cette autorité nationale de concurrence.»

B – La communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence ( 3 )

5.

Le point 1 de la communication sur la coopération au sein du REC énonce:

6.

Aux termes du point 38 de cette communication:

C – Le programme modèle en matière de clémence du REC

7.

Dans le cadre du REC, un programme modèle en matière de clémence a été adopté au cours de l’année 2006 (ci-après le «programme modèle en matière de clémence du REC de 2006»). Ce programme, qui n’a pas été publié et qui n’est disponible qu’en anglais, en français et en allemand, peut être consulté sur le site Internet de la Commission ( 4 ). Il a été révisé en novembre 2012 ( 5 ) (ci-après le «programme modèle en matière de clémence du REC de 2012»), donc postérieurement aux faits dans l’affaire au principal, y compris la décision litigieuse de l’Autorità.

8.

Le point 5 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, relatif à l’immunité d’amendes «Type 1A», prévoit:

9.

Il ressort du point 2 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 que «[l]e but des programmes de clémence est de soutenir les autorités de concurrence dans les efforts qu’elles déploient afin de découvrir et de faire cesser les cartels et de sanctionner leurs participants. Les autorités de concurrence considèrent qu’une assistance accordée volontairement afin d’atteindre ces objectifs représente une valeur intrinsèque pour la prospérité économique des différents États membres, ainsi que pour le marché commun et que cela peut justifier, dans certains cas, soit l’immunité (types 1A et 1B), soit une réduction du montant de l’amende (type 2)».

10.

Les points 22 à 25 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 concernent les «[d]emandes sommaires dans les affaires de type 1A».

11.

Le point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit que, «[l]orsque la Commission est ‘particulièrement bien placée’ pour examiner une affaire conformément au point 14 de la communication relative au réseau, l’entreprise qui a présenté ou qui s’apprête à présenter une demande d’immunité à la Commission peut adresser une demande sommaire à toute autorité de concurrence nationale que cette entreprise considère comme ‘bien placée’ pour agir dans le cadre de la communication relative au réseau. Les demandes sommaires doivent inclure les renseignements suivants sous forme succincte:

le nom et l’adresse de l’entreprise qui présente la demande;

les autres participants à l’entente présumée;

le ou les produits visés;

le ou les territoires affectés;

la durée;

la nature de l’entente présumée;

le ou les États membres où les preuves sont susceptibles de se trouver, et

les renseignements sur toute demande de clémence déjà présentée ou qui serait présentée au sujet de l’entente présumée.»

12.

Le point 24 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit que, «[s]i une autorité de concurrence nationale saisie d’une demande sommaire décide de demander certains renseignements complémentaires, l’entreprise est tenue de les fournir sans délai. Si une autorité de concurrence décide d’agir dans cette affaire, elle fixe le délai dans lequel l’entreprise devra fournir la totalité des renseignements et preuves nécessaires pour atteindre le niveau de preuve requis. Si l’entreprise s’exécute dans les délais impartis, les renseignements fournis sont considérés comme ayant été communiqués à la date où la demande sommaire a été présentée».

D – Le droit national

13.

Le 15 février 2007, l’Autorità a adopté la communication sur l’immunité et sur la réduction des amendes en vertu de l’article 15 de la loi no 287/90 (Communicazione sulla non imposizione e sulla riduzione delle sanzioni ai sensi dell’articolo 15 della legge 287/90), qui comporte le programme de clémence national (ci-après la «communication de l’Autorità»).

14.

L’article 16 de ce programme, intitulé «Demande sommaire», dispose:

«Si la Commission est mieux placée pour traiter l’affaire et instruire la procédure, l’entreprise ayant déjà présenté ou qui s’apprête à présenter à la Commission une demande tendant à obtenir la non-imposition des sanctions peut présenter à l’autorité une demande de clémence similaire, rédigée sous forme dite ‘sommaire’, lorsqu’elle estime que l’autorité est également en mesure d’intervenir en l’espèce. En vertu du [point] 14 de la communication de la Commission sur la coopération dans le cadre du réseau des autorités garantes de la concurrence, la Commission est la mieux placée lorsqu’un ou plusieurs accords ou pratiques, y compris les réseaux d’accords ou des pratiques similaires, influent sur la concurrence dans plus de trois États membres.»

15.

L’article 17 de ce programme dispose que «[l]a demande sommaire de clémence tendant à obtenir le bénéfice de la non-imposition des sanctions doit contenir au minimum:

a)

la raison sociale et l’adresse de l’entreprise demanderesse;

b)

la raison sociale et l’adresse des autres entreprises participant à l’entente;

c)

une description de l’entente en question, incluant:

la spécification de la nature de l’entente;

l’indication des biens et des services faisant l’objet de l’entente, son étendue géographique et sa durée;

d)

l’indication des États membres dans lesquels les éléments de preuve de l’infraction peuvent être vraisemblablement obtenus;

e)

des informations relatives à d’autres demandes de clémence que l’entreprise a déjà adressées ou entend adresser à d’autres autorités de concurrence en relation avec la même infraction.»

16.

Selon l’article 18 de ce programme, «[l]’autorité délivre, à la demande de l’entreprise, un reçu confirmant la date et l’heure de réception de la demande sommaire et l’informe s’il est en principe encore possible d’accorder le bénéfice de la non-imposition des sanctions concernant l’entente en question. Si l’autorité estime utile de demander des renseignements supplémentaires, elle fixe le délai dans lequel l’entreprise doit fournir ces informations. Si l’autorité décide d’intervenir en l’espèce, elle fixe un délai pour compléter la demande de clémence et permettre à l’entreprise de produire les renseignements et les éléments de preuve visés au paragraphe 3. Si la demande est complétée dans le délai fixé par l’autorité, celle-ci est considérée comme réceptionnée dans son intégralité à la date de présentation de la demande sommaire. […]».

III – Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

17.

Le 5 juin 2007, DHL a présenté une demande de marqueur d’immunité à la Commission européenne en application de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes ( 6 ), en l’occurrence une entente violant l’article 101 TFUE dans le secteur des expéditions internationales de marchandises par voie maritime, aérienne et routière ( 7 ).

18.

Le 24 septembre 2007, la Commission a accordé à DHL l’immunité conditionnelle pour la totalité du secteur des expéditions internationales, à savoir les secteurs maritime, aérien et routier.

19.

Le 20 décembre 2007, DHL a porté à l’attention de la Commission certains éléments relatifs à des comportements d’entreprises dans le secteur des expéditions internationales de marchandises en Italie par la route.

20.

Toutefois, la Commission a ultérieurement décidé de ne poursuivre que la partie de l’entente relative aux services de transit aérien international. Par décision du 28 mars 2012, elle a constaté que plusieurs entreprises avaient participé pendant plusieurs années à une entente dans le secteur des services de transit aérien international, en violation de l’article 101 TFUE ( 8 ). Elle a considéré que le groupe Deutsche Post AG avait été la première entreprise à fournir des renseignements et des éléments de preuve répondant aux conditions du point 8, sous a), de sa communication sur la clémence et le montant de l’amende à lui infliger a été réduit de 100 % pour les infractions en cause.

21.

En parallèle, le 12 juillet 2007, DHL a présenté à l’Autorità une demande sommaire d’immunité en application de l’article 16 de la communication de l’Autorità. Elle a fourni des informations concernant des comportements dans le secteur des expéditions internationales de marchandises.

22.

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, selon l’Autorità et les parties intervenantes, à savoir Agility Logistics Srl (ci‑après «Agility») et Schenker Italiana SpA, une filiale de Deutsche Bahn AG (ci-après «Schenker»), la demande sommaire d’immunité présentée par DHL ne concernait pas le secteur des expéditions internationales de marchandises par la route.

23.

En revanche, selon DHL, sa demande sommaire du 12 juillet 2007 visait des conduites illégales observées sur tout le marché de l’expédition et des transports internationaux de marchandises. DHL estimait notamment que, s’il était vrai que cette demande sommaire ne contenait pas d’exemples concrets et spécifiques de conduites observées dans le cadre de l’expédition de marchandises par la route, ce n’était dû qu’au fait qu’elles n’avaient alors pas encore été découvertes.

24.

Le 23 juin 2008, DHL a présenté à l’Autorità une demande sommaire additionnelle d’immunité d’amende, en complément de la demande initialement présentée le 12 juillet 2007. Selon DHL, «la présente déclaration constitue, à toute fin et pour tout effet, le simple complément de la demande présentée le 12 juillet 2007, dans la mesure où les conduites additionnelles qu’elle vise ne constituent pas une infraction distincte non couverte par la déclaration d’origine, et n’est rien d’autre qu’une nouvelle manifestation des violations déjà dénoncées, et, comme telles, la Commission en a tenu compte aux fins de la clémence accordée à l’entreprise».

25.

Le 5 novembre 2007, Deutsche Bahn AG a présenté à la Commission une demande de clémence, en son nom et au nom notamment de Schenker, portant sur des conduites afférentes aux expéditions internationales maritimes. Cette déclaration a été complétée le 19 novembre 2007, lorsque Deutsche Bahn AG/Schenker a fourni à la Commission des informations sur l’entente italienne des expéditeurs de marchandises par la route.

26.

Le 12 décembre 2007, Schenker a présenté à l’Autorità une demande sommaire de clémence fournissant des informations sur l’entente italienne des expéditeurs de marchandises par la route.

27.

Le 20 novembre 2007, Agility a présenté à la Commission une demande sommaire de réduction de l’amende pour le compte du groupe auquel elle appartient.

28.

Le 12 mai 2008, Agility Logistics International BV, société mère du groupe auquel appartient Agility, a présenté oralement à l’Autorità, également pour le compte des sociétés qu’elle contrôle, parmi lesquelles se trouve Agility, une demande sommaire de clémence.

29.

Par décision du 15 juin 2011 dans l’affaire I722 – Logistique internationale (procédure no 22521, ci-après la «décision litigieuse»), l’Autorità a jugé que plusieurs entreprises, parmi lesquelles DHL, Schenker et Agility Logistics International BV, avaient en violation de l’article 101 TFUE participé à une entente dans le secteur des services de transit international de marchandises par la route au départ et à destination de l’Italie.

30.

Dans la décision litigieuse, l’Autorità a reconnu Schenker comme étant la première société à avoir demandé l’immunité d’amendes en Italie pour les expéditions routières de marchandises. En application du programme de clémence national, cette société n’a été condamnée à aucune amende. En revanche, DHL et Agility ont été condamnées au paiement de l’amende, réduite respectivement à 49 % et à 50 % du montant initial.

31.

L’Autorità a considéré que, dans sa demande du 12 juillet 2007, DHL n’avait demandé l’immunité d’amendes que pour les expéditions aériennes et les expéditions maritimes de marchandises, la demande pour les expéditions routières n’ayant été introduite par DHL que le 23 juin 2008.

32.

DHL a introduit un recours en annulation partielle de la décision litigieuse devant le tribunal administratif régional du Latium (Tribunale amministrativo regionale per il Lazio, Italie, ci-après le «TAR») au motif qu’elle ne lui avait pas attribué la première place dans le classement du programme de clémence national et donc l’immunité d’amendes. DHL demandait également, à titre subsidiaire, la réduction du montant des amendes imposé par cette décision.

33.

Selon DHL, une demande présentée à la Commission et une demande sommaire présentée à l’Autorità doivent être considérées conjointement comme un tout, en vertu du lien existant entre les procédures, ce qui a une incidence sur l’ordre de priorité des demandes de clémence, fondé sur la priorité dans le temps relative à chaque infraction. Par recours incidents déposés respectivement les 18 et 23 juin 2011, Schenker et Agility ont fait valoir l’illégalité de l’admission de DHL au sein du programme de clémence. Selon Schenker et Agility, DHL aurait dû être exclue du programme de clémence pour avoir violé son obligation de coopération avec l’Autorità.

34.

Le TAR a rejeté le recours introduit par DHL, en affirmant l’existence d’un principe d’autonomie et d’indépendance des programmes de clémence de la Commission et de l’Autorità. DHL a interjeté appel de l’arrêt du TAR devant le Conseil d’État.

35.

Le Conseil d’État estime nécessaire d’interroger la Cour sur le caractère contraignant ou non pour les autorités nationales de concurrence (ci-après les «ANC») des programmes modèles en matière de clémence du REC de 2006 ainsi que de 2012, et notamment sur la question de savoir si le principe de l’absence d’effets juridiques contraignants dudit programme pour les juridictions nationales, établi par la Cour dans l’arrêt Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389), est également valable pour les ANC. Il s’interroge également sur l’existence éventuelle d’un lien juridiquement pertinent entre une demande d’immunité présentée à la Commission et une demande sommaire présentée à une ANC. La juridiction de renvoi s’interroge enfin sur la légalité du comportement de l’Autorità, avant la publication du programme modèle en matière de clémence du REC de 2012, en ce qu’elle a permis à des entreprises ayant présenté à la Commission une demande de réduction de l’amende d’introduire des demandes sommaires d’immunité.

36.

Dans ces circonstances, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

IV – La procédure devant la Cour

37.

Des observations écrites ont été présentées par DHL, Schenker, Agility, les gouvernements italien, allemand, français, autrichien, du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission. À l’exception des gouvernements allemand et autrichien, ils ont tous formulé des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 9 juillet 2015.

A – Sur la première question préjudicielle

38.

Par sa première question, la juridiction de renvoi, se référant aux points 21 et 22 de l’arrêt Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389), demande en substance si les actes du REC, notamment son programme modèle en matière de clémence de 2006, sont contraignants pour les ANC ou si au contraire elles peuvent s’affranchir de l’application des instruments définis et adoptés par le REC ( 9 ).

39.

Toutes les parties, à l’exception de DHL, considèrent que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’est pas contraignant pour les ANC.

40.

Il convient de rappeler qu’au point 22 de l’arrêt Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389) la Cour a dit pour droit que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’avait pas d’effet contraignant à l’égard des juridictions des États membres ( 10 ). La Cour a aussi confirmé que, si des communications de la Commission relatives, d’une part, à la coopération au sein du REC ( 11 ) et, d’autre part, à l’immunité d’amendes et à la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes ( 12 ) étaient susceptibles d’avoir des effets sur la pratique des ANC ( 13 ), ni les dispositions du traité FUE en matière de concurrence ni le règlement no 1/2003 ne prévoyaient de règles communes de clémence ( 14 ).

41.

Je considère que les actes du REC, y compris son programme modèle en matière de clémence de 2006, ne sont pas non plus contraignants à l’égard des ANC.

42.

Il y a lieu de souligner tout d’abord que, en application de l’article 35, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 «[d]es juridictions peuvent figurer parmi les [ANC]» désignées par les États membres pour appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE. Il s’ensuit qu’en application de l’arrêt Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389) les actes du REC, y compris son programme modèle en matière de clémence de 2006, ne sont pas contraignants à l’égard des ANC qui sont des juridictions des États membres. L’article 5 du règlement no 1/2003, qui porte sur les compétences des ANC, prévoit qu’elles sont compétentes pour appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE et énumère les décisions qu’elles peuvent adopter. Étant donné que cette disposition ne fait aucune distinction entre les ANC selon leur nature administrative ou juridictionnelle, je considère qu’il serait incohérent que les actes du REC soient contraignants pour les ANC de nature administrative et non pour les ANC de nature juridictionnelle.

43.

En outre, il ressort clairement du point 1 de la communication sur la coopération au sein du REC que ce réseau constitue un forum de discussion et de coopération pour l’application de la politique de concurrence de l’Union et vise notamment à fournir un cadre dans lequel s’inscrit la coopération des autorités européennes de concurrence dans les affaires où les articles 101 TFUE et 102 TFUE sont appliqués. Il s’ensuit que le REC, qui n’est pas doté d’un pouvoir législatif, ne peut pas adopter des actes qui lient les ANC. Ces dernières peuvent dès lors s’affranchir de l’application des instruments définis et adoptés par le REC ( 15 ).

44.

À cet égard, le fait que des ANC se soient formellement engagées ( 16 ) à respecter les principes énoncés dans la communication sur la coopération au sein du REC ne change ni sa nature de forum de discussion et de coopération ni le caractère non contraignant de ses actes. En outre, s’agissant plus particulièrement du programme modèle en matière de clémence du REC, il ressort même de sa dénomination en tant que programme «modèle» ainsi que de son contenu qu’il est à caractère purement programmatique ( 17 ). En effet, l’objectif déclaré du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 est d’inciter les ANC à le prendre en considération lors de l’éventuelle adoption et mise en œuvre d’un programme national de clémence ( 18 ), sans pour autant les obliger à s’y tenir ( 19 ). Autrement dit, le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 vise à promouvoir, par des moyens de «soft-law», l’alignement volontaire des éventuels programmes de clémence des États membres ( 20 ) en matière de concurrence.

45.

Par ailleurs, les ANC ne sont pas obligées de mettre en place des programmes de clémence en application de l’article 101 TFUE, du règlement no 1/2003 ni de leur obligation de coopération loyale en application de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Toutefois, lorsqu’un État membre met en place un programme de clémence ( 21 ), basé ou non sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, il doit respecter le droit de l’Union et veiller à ce que les règles qu’il établit ou applique ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE ( 22 ).

46.

Enfin, conformément à son article 51, paragraphe 1, les dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Il s’ensuit que les États membres, y compris leurs ANC, sont liés par les dispositions de la Charte et les principes généraux de l’Union lorsqu’ils mettent en œuvre les articles 101 TFUE et 102 TFUE. Par conséquent, lorsqu’une ANC adopte un programme de clémence, qui est en principe apte à déployer des effets juridiques, elle doit respecter les principes généraux du droit de l’Union, dont les principes de non-discrimination, de proportionnalité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime ( 23 ) et le droit à une bonne administration ( 24 ).

47.

Il ressort de ce qui précède que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’a pas d’effet contraignant à l’égard des ANC. Toutefois, lorsqu’un État membre adopte un programme de clémence, basé ou non sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, il doit respecter le droit de l’Union et, spécifiquement dans le domaine du droit de la concurrence, veiller à ce que les règles qu’il établit ou qu’il applique ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE. En outre, les États membres, y compris leurs ANC, sont liés par les dispositions de la Charte et les principes généraux de l’Union lorsqu’ils mettent en œuvre les articles 101 TFUE et 102 TFUE. Par conséquent, lorsqu’une ANC adopte un programme de clémence, en principe apte à déployer des effets juridiques, ce programme doit respecter la Charte et les principes généraux du droit de l’Union, dont les principes de non-discrimination, de proportionnalité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et le droit à une bonne administration.

B – Sur la deuxième question préjudicielle

48.

La deuxième question de la juridiction de renvoi porte sur l’existence ou non d’un lien juridique «entre la demande principale d’immunité qu’une entreprise a présentée ou qu’elle s’apprête à présenter à la Commission et la demande sommaire d’immunité qu’elle a présentée à une ANC pour la même entente» ( 25 ).

1. Sur la recevabilité de la sous-question a) de la deuxième question préjudicielle

49.

Par la sous-question a) de sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge plus particulièrement sur la question de savoir si une demande sommaire d’immunité présentée à une ANC doit être appréciée à la lumière d’une demande présentée à la Commission «à la condition que la demande sommaire reflète fidèlement le contenu de la demande» ( 26 ) présentée à la Commission.

50.

Le gouvernement français estime que la sous-question a) de la deuxième question préjudicielle est hypothétique et donc irrecevable. Il ressortirait en effet de la demande de décision préjudicielle et du dossier devant la Cour que, dans l’affaire au principal, la demande sommaire d’immunité présentée à l’Autorità par DHL ne reflétait pas fidèlement le contenu de sa demande d’immunité présentée à la Commission.

51.

Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 27 ).

52.

Il ressort du dossier devant la Cour que, le 5 juin 2007, DHL a présenté à la Commission une demande de marqueur d’immunité portant sur des violations du droit de la concurrence de l’Union dans les secteurs maritime, aérien et routier des expéditions internationales de marchandises tandis que, selon la décision litigieuse, la demande sommaire d’immunité de DHL présentée le 12 juillet 2007 auprès de l’Autorità portait uniquement sur les expéditions internationales aériennes et maritimes de marchandises et ne concernait pas le secteur des expéditions internationales de marchandises par la route.

53.

Selon la demande de décision préjudicielle, DHL a fait valoir que sa demande sommaire d’immunité à l’Autorità du 12 juillet 2007 ne contenait pas d’exemples spécifiques et concrets de comportements illicites dans le secteur routier en Italie uniquement au motif que, à cette date, ils n’avaient pas encore été découverts. Nonobstant cela, selon DHL, l’Autorità aurait été tenue d’interpréter le contenu de sa demande sommaire en tenant compte de son lien avec la demande d’immunité présentée à la Commission.

54.

Le litige au principal est né, au moins en partie, de cette divergence entre la portée de la demande d’immunité présentée par DHL à la Commission et la portée, selon la décision litigieuse, de la demande sommaire présentée par DHL à l’Autorità, ainsi que de la décision de la Commission de ne poursuivre que la partie de l’entente relative aux services de transit aérien international.

55.

À mon avis, il ne ressort pas clairement de la demande de décision préjudicielle que cette divergence d’appréciation des faits ait été définitivement tranchée par les juridictions italiennes. Lors de l’audience du 9 juillet 2015, le gouvernement italien a par ailleurs confirmé que la procédure d’appel devant la juridiction de renvoi était de pleine juridiction. Par conséquent, je considère que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union par la sous-question a) de la deuxième question préjudicielle n’est pas dépourvue d’utilité pour la juridiction de renvoi.

2. Sur le fond

56.

À mon avis, il est opportun de répondre conjointement aux sous-questions a) et b) de la deuxième question préjudicielle.

57.

DHL fait valoir qu’une demande sommaire constitue essentiellement l’«appendice» et l’ancrage, au niveau national, de la demande principale présentée à la Commission. Selon elle, considérer la demande sommaire séparément du contexte global dans lequel elle voit le jour, comme l’a fait l’Autorità dans la décision litigieuse, donne lieu à une dénaturation de sa fonction. Du moment que la demande sommaire d’immunité ne doit être rien de plus qu’une brève description de l’entente dénoncée à la Commission, DHL fait valoir qu’elle doit être appréciée à la lumière de la demande principale, à condition qu’elle en reflète fidèlement le contenu. DHL ne prétend pas que, tant formellement que quant au fond, sa demande sommaire au niveau national et sa demande principale au niveau de l’Union sont identiques; il s’agit à l’évidence de deux demandes distinctes, mais étroitement liées de par leur nature, étant donné que la demande d’immunité sommaire ne peut exister qu’en présence d’une demande d’immunité principale.

58.

Comme toutes les autres parties qui ont déposé des observations, je ne partage pas la position de DHL.

a) Le droit national

59.

Il convient d’encore souligner que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, y compris son point 22, n’est pas contraignant pour les ANC et que les États membres ne sont pas obligés, en application du droit de l’Union, de mettre en place un système de demandes sommaires de clémence. Toutefois, lorsqu’une ANC met en place un système de demandes sommaires, elle doit, conformément à ma réponse à la première question, respecter le droit de l’Union, en particulier l’article 101 TFUE, les dispositions de la Charte et les principes généraux du droit de l’Union.

60.

Il ressort du dossier devant la Cour que l’Autorità a mis en place un système de demandes sommaires de clémence qui est largement basé sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, en particulier son point 22 ( 28 ). En outre, il semble, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que l’article 17 de la communication de l’Autorità impose entre autres au demandeur de clémence l’«indication des biens et des services faisant l’objet de l’entente, son étendue géographique et sa durée».

61.

Sous réserve également de vérification par la juridiction de renvoi, il semble que la communication de l’Autorità n’impose pas une obligation à l’Autorità «de contacter la Commission ou l’entreprise elle-même, afin d’établir si, postérieurement à la présentation de la demande sommaire, cette dernière, dans le cadre de la poursuite de ses missions d’enquêtes internes, a constaté l’existence d’exemples concrets et spécifiques de conduites dans le secteur prétendument couvert par la demande d’immunité principale mais qui ne l’est pas par la demande d’immunité sommaire» ( 29 ).

62.

Toutefois, la juridiction de renvoi s’interroge plus particulièrement sur la question de savoir si le droit de l’Union impose à une ANC une obligation d’apprécier la demande sommaire de clémence qui lui a été adressée à la lumière de la demande de clémence présentée à la Commission «pour la même entente» et dans certaines circonstances de contacter la Commission ou l’entreprise elle-même.

b) Le point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC

63.

Conformément à ma réponse à la première question, je considère que, outre le fait que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’est pas juridiquement contraignant pour les ANC, il ressort clairement du point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC que, à défaut d’un système centralisé et unifié de clémence au sein de l’Union, une demande de clémence adressée à la Commission ne saurait être considérée comme étant une demande adressée à une ANC ( 30 ).

64.

Il s’ensuit qu’il n’existe pas en droit de la concurrence de l’Union un «guichet unique» (ou un «one-stop-shop») pour le traitement des demandes de clémence ni même, comme l’a relevé la Commission lors de l’audience du 9 juillet 2015, d’échange automatique de ces demandes entre les ANC et la Commission en application de l’article 11 du règlement no 1/2003.

65.

Pour défendre sa position dans le cadre d’une éventuelle procédure engagée par ces autorités, le demandeur doit solliciter la clémence auprès de toutes les autorités de concurrence qui sont compétentes pour appliquer l’article 101 TFUE sur le territoire affecté par l’infraction et qui peuvent être considérées comme bien placées pour agir contre cette infraction. En effet, «[i]l incombe au demandeur de faire les démarches qu’il juge indiquées pour défendre sa position dans le cadre d’une éventuelle procédure engagée par ces autorités» ( 31 ).

66.

Par conséquent, le point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC énonce un principe d’autonomie et d’indépendance des divers programmes de clémence de la Commission et des ANC ainsi que des demandes y afférentes.

c) Les points 1 et 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 et le point 45 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006

67.

Je relève tout d’abord que le point 1 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit que, «[d]ans un régime de compétences parallèles entre la Commission et les autorités nationales de concurrence, une demande de clémence adressée à une autorité donnée ne saurait être considérée comme une demande de clémence adressée à une autre autorité. L’entreprise a donc intérêt à solliciter la clémence auprès de toutes les autorités de concurrence qui sont compétentes pour appliquer l’article [101 TFUE] sur le territoire affecté par l’infraction et qui peuvent être considérées comme bien placées pour agir contre l’infraction en question» ( 32 ).

68.

Étant donné que l’obligation du demandeur de solliciter la clémence auprès de toutes les autorités compétentes peut donner lieu à de multiples demandes de clémence parallèles, le point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 préconise un modèle uniforme de demandes sommaires afin d’alléger la charge que ces multiples demandes représentent pour les entreprises et les ANC ( 33 ).

69.

Le point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit également que, lorsqu’une entreprise a présenté ou s’apprête à présenter une demande d’immunité à la Commission, elle peut adresser une demande sommaire contenant des renseignements spécifiés sous forme succincte à toute ANC que cette entreprise considère comme «bien placée» pour agir. «En présentant une demande sommaire, l’entreprise assure sa position dans l’ordre d’arrivée des demandes auprès de l’autorité de concurrence compétente pour l’entente présumée» ( 34 ).

70.

En outre, le point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 dresse une liste des renseignements qui «doivent» ( 35 ) figurer dans la demande sommaire. Je relève que cette liste inclut des renseignements sur la portée de l’entente en question et des «renseignements sur toute demande de clémence déjà présentée ou qui serait présentée au sujet de l’entente présumée».

71.

Il ressort du point 45 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 que l’objectif de ces renseignements est de permettre à l’ANC de décider, d’une part, si elle veut agir dans l’affaire en question et, d’autre part, si les informations fournies permettent à l’autorité de concurrence de déterminer si l’entreprise se trouve dans une situation de «type 1A» ( 36 ) prévue par le point 5 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

72.

Or, si la présentation d’une demande sommaire auprès d’une ANC suppose la présentation préalable ou postérieure d’une demande d’immunité auprès de la Commission ( 37 ) et si le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit un allégement (temporaire) des renseignements et preuves à fournir par une entreprise à une ANC, ce programme n’envisage toutefois aucun lien juridique entre la demande d’immunité présentée à la Commission et celle sommaire présentée à une ANC ( 38 ).

73.

La demande introduite auprès de la Commission et la demande sommaire introduite auprès d’une ANC sont en effet des demandes autonomes, puisqu’il ressort clairement du point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 et des obligations de renseignement imposées au demandeur, notamment sur le(s) produit(s) visé(s) et le(s) territoires(s) affecté(s), qu’il incombe au seul demandeur de délimiter correctement la portée de sa demande sommaire.

74.

Par conséquent, si l’information à fournir dans la demande sommaire notamment sur la portée de l’infraction en cause est certes réduite, elle doit être suffisamment précise afin d’assurer la protection du demandeur et sa place dans l’ordre d’arrivée des demandes d’immunité dans le cas où, comme dans l’affaire au principal, la Commission décide de ne pas intervenir sur la base de la demande d’immunité introduite auprès d’elle. À cet égard, il convient de souligner que, si la portée de l’entente visée par la demande sommaire n’est pas assez précise, le demandeur risque de perdre sa place dans l’ordre d’arrivée des demandes de clémence devant l’ANC, ce qui semble être la situation de DHL selon la décision litigieuse ( 39 ).

75.

Il s’ensuit que, indépendamment de la question de savoir si la demande sommaire présentée à une ANC reflète fidèlement ou non la demande d’immunité présentée à la Commission, une ANC n’est pas obligée d’apprécier la demande sommaire à la lumière de la demande d’immunité présentée à la Commission, et ce même si l’ANC dispose de renseignements sur d’autres demandes de clémence relatives à la même entente conformément au point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

76.

En effet, si la Commission et les ANC peuvent s’échanger au sein du REC des informations recueillies ( 40 ), y compris dans le cadre des demandes de clémence ( 41 ), il n’incombe pas à l’ANC ( 42 ), dans le cas où elle estime que la demande sommaire a un champ d’application matériel plus restreint que celui de la demande présentée par la même entreprise à la Commission, «de contacter la Commission ou l’entreprise elle-même, afin d’établir si, postérieurement à la présentation de la demande sommaire, cette dernière, dans le cadre de la poursuite de ses missions d’enquêtes internes, a constaté l’existence d’exemples concrets et spécifiques de conduites dans le secteur prétendument couvert par la demande d’immunité principale mais qui ne l’est pas par la demande d’immunité sommaire» ( 43 ).

77.

Je considère, à l’instar du gouvernement autrichien, qu’une obligation des ANC de vérifier la demande sommaire auprès de la Commission «contredirait l’intention déclarée des autorités réunies dans le REC de ne pas mettre en place un ‘one-stop-shop’ pour les demandes de clémence au sein de l’Union européenne et d’obtenir l’autonomie de chaque programme de clémence». À mon avis, le fait que, en application du point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, le demandeur doive fournir lors de la présentation de sa demande sommaire des «renseignements sur toute demande de clémence déjà présentée ou qui serait présentée au sujet de l’entente présumée» n’impose pas aux ANC une obligation de vérification de la demande sommaire auprès de la Commission.

78.

De plus, l’imposition aux ANC d’une obligation de contacter la Commission ou l’entreprise en question dans les circonstances visées par la deuxième question préjudicielle irait non seulement à l’encontre du principe d’autonomie et d’indépendance des programmes de clémence au sein de l’Union, mais elle risquerait encore d’atténuer indûment le devoir de coopération des demandeurs de clémence, qui est un des piliers du système de clémence. Je considère également que tout manquement à ce devoir de coopération risque d’affecter l’ordre d’arrivée accordé aux demandes de clémence et de causer, par conséquent, un préjudice à d’autres demandeurs de clémence à propos de la même entente, et ce en violation des principes généraux du droit de l’Union, dont les principes de non-discrimination, de proportionnalité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et le droit à une bonne administration.

d) Les points 13 et 24 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006

79.

Il est manifeste que l’efficacité des programmes de clémence de la Commission et des ANC repose notamment sur l’obligation pour un demandeur de clémence d’apporter aux autorités, en application du point 13, paragraphe 2, du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, une «coopération véritable, totale et permanente dès le dépôt de sa demande auprès de l’autorité de concurrence jusqu’à la conclusion de l’affaire» ( 44 ).

80.

En effet, selon le point 24 de ce programme modèle, l’entreprise qui a introduit une demande sommaire doit, sur demande de l’ANC, fournir des renseignements complémentaires, et, si cette dernière «décide d’agir dans cette affaire, […] l’entreprise devra fournir la totalité des renseignements et preuves nécessaires pour atteindre le niveau de preuve requis».

81.

Je me rallie donc aux observations du gouvernement français présentées lors de l’audience selon lesquelles il revient uniquement à l’entreprise qui a introduit une demande sommaire de communiquer à l’ANC toute l’information utile à sa demande. L’information fournie postérieurement à la présentation de la demande sommaire ne peut cependant altérer le champ matériel de cette demande, par exemple en y ajoutant un autre secteur ( 45 ) pour lequel elle ne pourra alors bénéficier du même classement dans l’ordre d’arrivée des demandes de clémence que pour les secteurs concernés par la demande sommaire.

82.

Il ressort de ce qui précède que le droit de l’Union n’établit, entre la demande d’immunité qu’une entreprise a présentée ou qu’elle s’apprête à présenter à la Commission et la demande sommaire d’immunité qu’elle a présentée à une ANC pour la même entente, aucun lien juridique qui exigerait qu’une ANC soit tenue, en vertu du point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 et du point 45 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, d’apprécier la demande sommaire d’immunité qui lui est présentée à la lumière de la demande présentée ou qui sera présentée à la Commission ou de contacter la Commission ou l’entreprise elle-même, afin d’établir si cette dernière, postérieurement à la présentation de la demande sommaire, a constaté l’existence d’exemples concrets et spécifiques de comportements dans le secteur prétendument couvert par la demande d’immunité présentée à la Commission, mais qui ne l’est pas par la demande sommaire d’immunité.

C – Sur la troisième question préjudicielle

83.

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si, conformément au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, une ANC ne peut, en application de son programme national de clémence et pour une entente pour laquelle une première entreprise avait présenté ou s’apprêtait à présenter à la Commission une demande d’immunité, accepter une demande sommaire de clémence que de cette entreprise ou si elle peut également accepter les demandes d’autres entreprises.

1. Sur la recevabilité

84.

Les gouvernements italien et autrichien considèrent que la troisième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi est irrecevable, car elle ne vise pas une interprétation du droit de l’Union mais une interprétation du droit national, à savoir la portée du programme de clémence mis en place par la communication de l’Autorità. Schenker considère quant à elle que la troisième question est irrecevable si la Cour considère que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 est non contraignant.

85.

Je considère que la troisième question est recevable. Il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation du droit national ni d’apprécier ses effets dans le cadre de la procédure de l’article 267 TFUE, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi ou, le cas échéant, aux juridictions nationales compétentes. Je considère qu’il ressort du libellé même de la troisième question, du dossier ainsi que des débats ayant eu lieu devant la Cour que la troisième question vise une interprétation du droit de l’Union, même si cette question fait aussi référence au droit national, à savoir le programme national de clémence. Il appartient donc à la Cour, dans la présente affaire, de limiter son examen aux dispositions du droit de l’Union en fournissant une interprétation qui soit utile pour la juridiction de renvoi. En outre, le fait que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’est pas, à mon avis, contraignant n’empêche pas l’applicabilité d’autres dispositions du droit de l’Union dans le cadre du litige au principal.

2. Sur le fond

86.

Je pense que la troisième question est née du fait que les points 22 à 25 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 visent la présentation des demandes sommaires d’immunité auprès des ANC dans les seules affaires de «type 1A» et lorsque l’entreprise a présenté ou s’apprête à présenter une demande d’immunité à la Commission ( 46 ). Il s’ensuit que ce programme ne prévoit pas de demandes sommaires notamment quand une entreprise ne demande qu’une réduction d’amende auprès de la Commission et/ou de l’ANC. Or, le programme modèle en matière de clémence du REC de 2012 a considérablement élargi sur ce point les situations dans lesquelles une demande sommaire peut être présentée à une ANC ( 47 ).

87.

À cet égard, selon DHL, l’article 16 de la communication de l’Autorità ne permet la présentation d’une demande sommaire que par l’entreprise qui avait déjà présenté ou s’apprêtait à présenter à la Commission une demande en vue d’obtenir la non-imposition de sanctions. Elle estime qu’il découle de cette disposition que la seule demande sommaire permise est une demande d’immunité et que, dans les circonstances de l’affaire au principal, les demandes sommaires de Schenker et d’Agility ne répondaient pas à cette condition et ne pouvaient donc protéger leur position au niveau national en présentant des demandes sommaires à l’Autorità. DHL ajoute que, étant donné qu’elle a introduit une demande d’immunité auprès de la Commission, «les autres entreprises qui auraient offert postérieurement à la Commission leur coopération – comme Schenker et Agility, en l’espèce – pouvaient éventuellement protéger leur position au niveau national seulement en présentant à l’ANC concernée des demandes principales de réduction des amendes, étant donné que […] cette réduction ne pouvait pas être demandée sous la forme sommaire à ce moment-là. Il s’ensuit, partant, que la présentation de demandes régulières de clémence à l’[Autorità] par Schenker et Agility doit être correctement datée du jour du perfectionnement des demandes sommaires respectives – c’est-à-dire, respectivement, le 11 juin 2009, pour Schenker, et le 11 janvier 2010, pour Agility. Dans les deux cas, cette date est postérieure au 23 juin 2008, date de présentation de la demande sommaire supplémentaire de DHL qui, selon l’[Autorità], contenait la première et unique demande de traitement favorable des sociétés appelantes dans l’affaire au principal relative au secteur routier de l’expédition internationale de marchandises» ( 48 ).

88.

Force est de rappeler qui ni le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 ni d’ailleurs le programme modèle en matière de clémence du REC de 2012 ne sont contraignants pour les ANC. En outre, s’il est vrai que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit la présentation des demandes sommaires d’immunité auprès des ANC dans les seules affaires de «type 1A», il ressort clairement du point 3 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 qu’une ANC «peut» adopter une approche plus favorable envers les entreprises qui sollicitent la clémence dans le cadre de son programme.

89.

Je considère donc qu’une ANC peut prévoir dans son programme de clémence un système de demandes sommaires qui n’est pas basé sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 ni sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2012, à condition toutefois que ce système respecte les principes généraux du droit de l’Union, dont les principes de non-discrimination, de proportionnalité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et le droit à une bonne administration.

90.

Le gouvernement italien a indiqué dans ses observations écrites ( 49 ) que le programme de clémence de l’Autorità ne prévoyait pas expressément à l’époque des faits au principal la possibilité pour l’Autorità «d’accueillir une demande sommaire présentée à la suite d’une demande principale de simple réduction de la sanction». Elle estime toutefois que cela n’aurait violé aucune disposition ou aucun principe du droit de l’Union, étant donné que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 ne constitue pas un document juridiquement contraignant pour les ANC et que, en tout état de cause, c’est ce programme lui-même qui considère souhaitable la plus large participation des entreprises au système de clémence ( 50 ).

91.

Selon DHL, le point 16 de la communication de l’Autorità «à l’époque des faits était clair et permettait la présentation d’une demande sommaire par l’entreprise qui avait déjà présenté ou s’apprêtait à présenter à la Commission une demande en vue d’obtenir la non-imposition des sanctions». Elle estime que «l’acceptation, par l’[Autorità], des demandes d’immunité présentées sous la forme sommaire par Schenker et Agility en l’absence des conditions visées [au point 16 de la communication de l’Autorità] constituait […] un véritable détournement de procédure […]. En décembre 2007, quand Schenker a présenté sa demande sommaire, la Commission avait déjà accordé à DHL l’immunité conditionnelle depuis trois mois (pour les trois secteurs du marché en cause). […] En l’absence de la condition fondamentale pour la demande sommaire, il ne pouvait y avoir le moindre doute interprétatif et les demandes d’immunité de Schenker et d’Agility étaient irrecevables» ( 51 ).

92.

Schenker estime par ailleurs que, en application de sa communication, l’Autorità pouvait accepter une demande sommaire de la part des entreprises qui avaient présenté à la Commission une demande de réduction des amendes. Elle estime que la seule condition visée au point 16 de la communication de l’Autorità applicable ratione temporis dans l’affaire au principal était qu’une entreprise qui entendait présenter une demande de clémence «sommaire» devait avoir «[...] déjà présenté ou s’apprêter à présenter une demande d’immunité à la Commission [...]». «Du moment que toute entreprise n’ayant pas encore présenté une demande d’immunité à la Commission ne peut par définition pas savoir si elle sera ‘la première dans l’ordre chronologique’ au regard de l’infraction qu’elle entend dénoncer (c’est-à-dire si sa demande d’immunité sera ‘acceptée’), le fait qu’une autre entreprise ait déjà demandé l’immunité à la Commission pour la même infraction, et/ou qu’elle ait déjà obtenu l’immunité conditionnelle correspondante est sans importance et ne saurait compromettre le droit de l’entreprise en question de présenter également à l’[Autorità] (ou à une autre ANC) une demande de clémence sous la forme ‘sommaire’» ( 52 ).

93.

Agility ajoute que l’«on déduit facilement du libellé du programme de clémence national la possibilité pour [l’Autorità] de recevoir une pluralité de déclarations sommaires. L’article 16 de la réglementation nationale et [le point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006] prévoient la possibilité de présenter une demande sommaire pour l’entreprise ‘qui a présenté ou qui s’apprête à présenter une demande d’immunité à la Commission’. Dès lors que c’est la simple intention de présenter une demande de clémence (et non sa présentation effective) qui importe et qu’elle est antérieure à la connaissance par l’entreprise de son ordre d’arrivée (et à l’éventuel octroi de l’immunité conditionnelle), la formulation [du point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 et de l’article 16 de la communication de l’Autorità] admet manifestement que plusieurs entreprises se trouvent dans la même situation, de sorte que leurs demandes sommaires respectives sont recevables» ( 53 ).

94.

S’il est certain que l’éventuelle adoption de règles nationales en matière de clémence et leur application relèvent de la compétence des États membres et qu’ils peuvent adopter une approche plus favorable envers les entreprises qui sollicitent la clémence dans le cadre de leurs programmes de clémence que celle prévue par le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, à condition de respecter le droit de l’Union, en particulier l’article 101 TFUE, les dispositions de la Charte et les principes généraux du droit de l’Union ( 54 ), il ressort toutefois des observations présentées à la Cour une incertitude réelle sur le sens et/ou la portée de la communication de l’Autorità.

95.

C’est, par conséquent, à la juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer le sens et la portée de cette communication afin de vérifier si l’Autorità s’en est effectivement départie et, le cas échéant, si, ce faisant, elle aurait violé le droit de l’Union, en particulier, les principes généraux du droit. À cet égard, la juridiction de renvoi doit notamment vérifier dans l’affaire au principal si l’égalité de traitement de tous les demandeurs de clémence et le droit à une bonne administration ont été respectés et que la confiance légitime a été protégée.

V – Conclusion

96.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État de la manière suivante:

1)

Le programme modèle en matière de clémence du Réseau européen de la concurrence (REC) de 2006 n’a pas d’effet contraignant à l’égard des autorités de concurrence des États membres (ANC). Toutefois, lorsqu’un État membre adopte un programme de clémence, basé ou non sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, il doit respecter le droit de l’Union et, spécifiquement, dans le domaine du droit de la concurrence, veiller à ce que les règles qu’il établit ou applique ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE. En outre, les États membres, y compris leurs ANC, sont liés par les dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les principes généraux de l’Union lorsqu’ils mettent en œuvre les articles 101 TFUE et 102 TFUE. Par conséquent, lorsqu’une ANC adopte un programme de clémence, en principe apte à déployer des effets juridiques, ce programme doit respecter la Charte et les principes généraux du droit de l’Union, dont les principes de non-discrimination, de proportionnalité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et le droit à une bonne administration.

2)

Le droit de l’Union n’établit entre la demande d’immunité qu’une entreprise a présentée ou qu’elle s’apprête à présenter à la Commission européenne et la demande sommaire d’immunité qu’elle a présentée à une ANC pour la même entente aucun lien juridique qui exigerait qu’une ANC soit tenue, en vertu du point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 et du point 45 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, d’apprécier la demande sommaire d’immunité qui lui est présentée à la lumière de la demande présentée ou qui sera présentée à la Commission ou de contacter la Commission ou l’entreprise elle-même, afin d’établir si cette dernière, postérieurement à la présentation de la demande sommaire, a constaté l’existence d’exemples concrets et spécifiques de comportements dans le secteur prétendument couvert par la demande d’immunité présentée à la Commission, mais qui ne l’est pas par la demande sommaire d’immunité.

3)

Les États membres peuvent adopter une approche plus favorable envers les entreprises qui sollicitent la clémence dans le cadre de leurs programmes de clémence que celle prévue par le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, à condition de respecter le droit de l’Union, en particulier l’article 101 TFUE, les dispositions de la Charte et les principes généraux du droit de l’Union.


( 1 )   Langue originale: le français.

( 2 )   JO 2003, L 1, p. 1.

( 3 )   JO 2004, C 101, p. 43 (ci-après la «communication sur la coopération au sein du REC»).

( 4 )   http://ec.europa.eu/competition/ecn/model_leniency_fr.pdf.

( 5 )   http://ec.europa.eu/competition/ecn/mlp_revised_2012_en.pdf.

( 6 )   JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la «communication de la Commission sur la clémence».

( 7 )   Le marqueur a pour fonction de permettre au demandeur d’immunité de «réserver» la première place dans l’ordre d’arrivée des demandes de clémence et de compléter cette demande ultérieurement. Le point 14 de la communication de la Commission sur la clémence prévoit que «[t]oute entreprise souhaitant solliciter l’immunité d’amende doit prendre contact avec la direction générale de la concurrence de la Commission. Elle peut soit demander dans un premier temps l’octroi d’un marqueur, soit présenter immédiatement une demande formelle d’immunité d’amende à la Commission […]». Selon le point 15 de la même communication, «[l]es services de la Commission peuvent accorder un marqueur protégeant la place d’une entreprise dans l’ordre d’arrivée des demandes pendant un délai qui sera déterminé au cas par cas afin de leur permettre de rassembler les renseignements et éléments de preuve nécessaires. Pour pouvoir obtenir un marqueur, l’entreprise doit communiquer à la Commission des informations concernant son nom et son adresse, les participants à l’entente présumée, le ou les produits en cause, le ou les territoires affectés, une estimation de la durée de l’entente présumée et la nature de l’entente présumée. Elle doit également informer la Commission de toute demande de clémence déjà présentée ou qui serait présentée à d’autres autorités au sujet de l’entente présumée et justifier sa demande d’un marqueur. Lorsqu’ils accordent un marqueur, les services de la Commission fixent le délai dans lequel l’entreprise doit compléter sa demande en fournissant les renseignements et éléments de preuve nécessaires pour atteindre le niveau de preuve requis pour l’immunité. […] Si l’entreprise s’exécute dans les délais impartis par les services de la Commission, les renseignements et éléments de preuve seront considérés comme ayant été communiqués à la date d’octroi du marqueur».

( 8 )   Décision de la Commission du 28 mars 2012 relative à une procédure d’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/39.462 — Transit) [C(2012) 1959].

( 9 )   Ma réponse à la première question relative au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 s’applique mutatis mutandis au programme modèle en matière de clémence du REC de 2012, même si ce dernier n’est pas applicable ratione temporis aux faits en question dans le litige au principal.

( 10 )   C’est moi qui souligne. «Le programme modèle du REC en matière de clémence est un instrument non contraignant qui vise à l’harmonisation de fait ou ‘en douceur’ des programmes de clémence des autorités nationales de concurrence, afin d’éviter que les entreprises qui pourraient solliciter le bénéfice de la clémence ne soient dissuadées de le faire en raison des divergences entre les programmes de clémence existant au sein du REC. […] Malgré la nature non législative de cet instrument ainsi d’ailleurs que d’autres instruments tels que la communication sur la coopération et la déclaration commune, leurs incidences pratiques, en particulier sur les activités des autorités nationales de concurrence et de la Commission, ne sauraient être ignorées», c’est moi qui souligne. Voir conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2010:782, point 26). Voir, également, point 7 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, qui prévoit notamment que ce programme «doit promouvoir une harmonisation en douceur des programmes de clémence existants et faciliter l’adoption de tels programmes par les quelques autorités de concurrence qui n’en disposent pas encore».

( 11 )   Voir, en ce sens, point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC. Voir, également, point 4 du rapport sur l’état de la convergence des programmes de clémence de 2009 qui prévoit que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’est pas un document juridiquement contraignant. Les autorités se sont cependant politiquement engagées à faire tous leurs efforts pour aligner leurs programmes respectifs de clémence sur ce programme modèle ou, à défaut, d’introduire des programmes alignés. Document disponible uniquement en langue anglaise sur le site Internet http://ec.europa.eu/competition/ecn/model_leniency_programme.pdf.

( 12 )   JO 2006, C 298, p. 17.

( 13 )   Arrêt Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389, points 21 et 23).

( 14 )   Ibidem (point 20). En effet, comme la Commission l’a souligné, «chaque État membre est libre d’adopter ou pas un programme de clémence dans le domaine du droit de la concurrence. Si une autorité de la concurrence décide d’adopter un programme de clémence national, il est autonome par rapport aux programmes de clémence des autres États membres et au programme de clémence de la Commission européenne, à la condition bien évidemment qu’il respecte le droit européen, notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE, le règlement no 1/2003, ainsi que les principes généraux du droit européen».

( 15 )   Dont le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

( 16 )   Voir point 72 de la communication sur la coopération au sein du REC, qui prévoit que «[l]es principes décrits dans la présente communication seront également suivis par les autorités de concurrence des États membres qui ont signé une déclaration conforme à l’annexe à la présente communication, dans laquelle elles déclarent avoir pris acte des principes énoncés dans la présente communication, y compris le principe relatif à la protection des personnes ayant demandé à bénéficier de mesures de clémence, et acceptent de les respecter. La liste de ces autorités a été publiée sur le site Internet de la Commission européenne. […]». L’Autorità figure parmi les ANC qui ont signé la déclaration en cause.

( 17 )   Je relève également que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’a été publié ni dans la série L du Journal officiel de l’Union européenne, qui a pour objet de publier des actes juridiquement contraignants, ni même dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, qui contient des actes non contraignants tels que des informations, des recommandations et des avis concernant l’Union. Voir, par analogie, arrêt Expedia (C‑226/11, EU:C:2012:795, point 30). Le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 peut être consulté sur le site Internet de la Commission http://ec.europa.eu/competition/ecn/model_leniency_fr.pdf.

( 18 )   Voir point 3 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, qui prévoit que les «membres du REC s’engagent à mettre tout en œuvre, dans les limites de leurs compétences, pour aligner leurs programmes respectifs sur le programme modèle du REC. Ce dernier n’empêche pas une autorité de concurrence d’adopter une approche plus favorable envers les entreprises qui sollicitent la clémence dans le cadre de son programme. En soi, le programme modèle du REC ne saurait faire naître de confiance légitime d’aucune nature chez ces entreprises» (c’est moi qui souligne). Voir point 4 du rapport du REC de 2009 sur la convergence des programmes de clémence au sein du REC, qui confirme que «[t]he Model Programme is not a legally binding document», à savoir «le programme modèle n’est pas un document juridiquement contraignant» (traduction libre). Document disponible uniquement en langue anglaise sur le site Internet http://ec.europa.eu/competition/ecn/model_leniency_programme.pdf.

( 19 )   Voir, par analogie, arrêt Expedia (C‑226/11, EU:C:2012:795, point 31).

( 20 )   À mon avis, le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 constitue une sorte de «feuille de route» pour les éventuels programmes de clémence des États membres en matière de concurrence. En outre, si un programme national est basé sur le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, le programme modèle peut éventuellement servir de source d’interprétation conformément au droit national.

( 21 )   Au point 25 de l’arrêt Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389), la Cour a dit pour droit que «les programmes de clémence constituent des outils utiles dans la lutte efficace pour déceler et mettre fin à des violations des règles de concurrence et servent, ainsi, l’objectif de l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE». Voir, également, arrêt Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 42).

( 22 )   Voir arrêts Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389, point 24) et Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 27 et jurisprudence citée).

( 23 )   Voir, par analogie, arrêt Expedia (C‑226/11, EU:C:2012:795, point 28).

( 24 )   Le droit à une bonne administration est consacré à l’article 41 de la Charte. Selon la jurisprudence de la Cour, il résulte du libellé de l’article 41 de la Charte que cet article ne s’applique pas aux États membres, mais aux seules institutions, aux organes et aux organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, point 28; YS e.a., C‑141/12 et C‑372/12, EU:C:2014:2081, point 67, ainsi que Mukarubega, C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 44). Cela dit, le droit à une bonne administration constitue un principe général du droit de l’Union. Or, étant donné que, dans l’affaire au principal, l’Autorità met en œuvre l’article 101 TFUE, les exigences découlant du principe général du droit à une bonne administration trouvent à s’appliquer. Voir, en ce sens, arrêt N. (C‑604/12, EU:C:2014:302, points 49 et 50).

( 25 )   Voir les termes de la deuxième question posée par la juridiction de renvoi.

( 26 )   Idem.

( 27 )   Arrêt Ioannis Katsivardas – Nikolaos Tsitsikas (C‑160/09, EU:C:2010:293, point 27 et jurisprudence citée).

( 28 )   Voir articles 16 à 18 de la communication de l’Autorità. Je relève, également, que l’Autorità figure sur la «[l]ist of authorities accepting summary applications as provided by the ECN Model Leniency Programme in Type 1A cases», à savoir sur la «liste des autorités qui acceptent des demandes sommaires conformément au programme modèle en matière de clémence du REC dans les affaires de type 1A» (traduction libre). Les termes «type 1A» visent les situations qui permettent de bénéficier d’une exemption de toute amende. Document disponible uniquement en langue anglaise sur le site Internet de la Commission http://ec.europa.eu/competition/ecn/list_of_authorities.pdf.

( 29 )   Voir les termes de la deuxième question posée par la juridiction de renvoi.

( 30 )   Il ressort du libellé de la deuxième question et de ses termes «nonobstant le contenu du point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC» que la juridiction de renvoi elle-même considère que cette disposition exclut, en principe, tout lien juridique entre la demande d’immunité qu’une entreprise a présentée ou qu’elle s’apprête à présenter à la Commission et la «demande sommaire d’immunité qu’elle a présentée à une ANC pour la même entente». Comme le programme en matière de clémence du REC de 2006 a été adopté après l’adoption de la communication sur la coopération au sein du REC (2004), je considère que la deuxième question revient en réalité à savoir si le programme en question a modifié le point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC.

( 31 )   C’est moi qui souligne. Voir point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC.

( 32 )   C’est moi qui souligne.

( 33 )   Voir points 39 et 40 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006. Il s’ensuit que le point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 confirme les termes du point 38 de la communication sur la coopération au sein du REC.

( 34 )   Voir point 40 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

( 35 )   Il convient de rappeler que ce programme modèle, y compris la liste en question, n’est pas, à mon avis, contraignant pour les ANC.

( 36 )   En effet, les points 22 à 25 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoient la présentation des demandes sommaires d’immunité auprès des ANC uniquement dans les affaires de «type 1A» qui visent, selon le point 5 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, le niveau d’assistance accordée par le demandeur de clémence à l’ANC.

( 37 )   Voir point 22 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

( 38 )   S’agissant du libellé de la deuxième question préjudicielle, il convient de noter que le programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 n’utilise pas la notion de «demande principale». À cet égard, je partage l’observation faite par le gouvernement allemand que cette dénomination ne convient pas, car on pourrait comprendre que la demande sommaire présentée à une ANC est un type d’annexe de la demande introduite auprès de la Commission.

( 39 )   Une situation qui est fortement contestée par DHL.

( 40 )   Le gouvernement italien a annexé à ses observations écrites un courriel du 9 juillet 2008 des services de la direction générale de la concurrence («DG COMP») adressé à l’Autorità. Il ressort de ce courriel que l’Autorità a présenté à la Commission, au cours d’une réunion du REC, une question relative au traitement des différentes demandes de clémence présentées à l’époque par DHL à la Commission et à l’Autorità. Dans ce courriel, la DG COMP a confirmé que «[a]pplicants should be aware (and are informed so by the Commission) that any conditional immunity granted by the Commission does not extend to member states/NCA and a separate application is required. If Company A, in making its application in Italy, has not covered itself fully by omitting road freight forwarding it is quite simply an error on its part». [«Les demandeurs de clémence doivent être conscients (et sont informés à cet égard par la Commission) que toute immunité conditionnelle accordée par la Commission ne lie pas les États membres/ANC et qu’une demande distincte est requise. Si l’entreprise A, dans sa demande de clémence en Italie, n’a pas entièrement protégé sa position en omettant l’expédition par la route, cela constitue tout simplement une erreur de sa part.»] (traduction libre). Contrairement aux observations de DHL lors de l’audience, le contenu même de ce courriel confirme que, malgré la faculté de la Commission et des ANC d’échanger des informations au sein du REC, il n’incombe pas à l’ANC de contacter la Commission s’agissant des différentes demandes de clémence. Il confirme, aussi, d’une part, le principe d’autonomie et d’indépendance des demandes de clémence présentées à la Commission et des demandes de clémence présentées aux ANC et, d’autre part, le fait qu’il incombe au seul demandeur de délimiter correctement la portée de sa demande de clémence (sommaire) introduite auprès d’une ANC.

( 41 )   Voir point 25 du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, point 41, paragraphe 1, de la communication sur la coopération au sein du REC et articles 11 et 12 du règlement no 1/2003.

( 42 )   En application du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

( 43 )   Voir les termes de la deuxième question posée par la juridiction de renvoi.

( 44 )   C’est moi qui souligne. Voir point 13, paragraphe 2, du programme modèle en matière de clémence du REC de 2006.

( 45 )   Je relève, en outre, que le principe d’autonomie et d’indépendance des demandes de clémence présentées à la Commission et des demandes sommaires présentées aux ANC a été souligné par le point 46 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2012, qui prévoit qu’«une demande sommaire présente un résumé correct de la demande de clémence adressée à la Commission. Donc, si un demandeur de clémence a obtenu d’une autorité nationale de la concurrence un marqueur et qu’il donne ensuite des informations et des preuves à la Commission qui indiquent que l’étendue de l’entente présumée est bien différente de celle dont il était fait état dans sa demande sommaire adressée à l’autorité nationale de la concurrence (l’entente couvre par exemple un produit supplémentaire), le demandeur fera en sorte de donner à ladite autorité, auprès de laquelle il a introduit une demande sommaire, des informations actualisées, de façon à maintenir l’étendue de sa protection venant de l’autorité à un niveau égal à celui de la protection venant de la Commission» (traduction fournie par la Commission dans ses observations), c’est moi qui souligne.

( 46 )   En effet, selon le point 46 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006, «[l]e programme modèle du REC ne prévoit la présentation de demandes sommaires que pour les cas de type 1A». Ce point dispose également que «[l]es demandes sommaires de type 1B et 2 ne sont ni utiles ni toujours pratiques […]».

( 47 )   Selon le point 42 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2012, «Summary applications will be possible irrespective of the applicant’s position(s) in the leniency queue at the Commission and the NCA, i.e. in Type 1A, Type 1B and Type 2 applications». «Les demandes sommaires seront possibles indépendamment de la position de(s) demandeur(s) dans l’ordre d’arrivée des demandes de clémence auprès de la Commission et des ANC, à savoir pour les demandes de type 1A, type 1B et type 2» (traduction libre).

( 48 )   Voir point 26 des observations de DHL.

( 49 )   Voir point 77.

( 50 )   Elle relève que le point 8 des notes explicatives annexées au programme modèle en matière de clémence du REC de 2006 prévoit expressément la «possibilité pour une autorité de concurrence d’ajouter des dispositions plus détaillées adaptées à son propre système de mise en œuvre des règles de concurrence ou de réserver un traitement plus favorable aux demandeurs si elle le juge nécessaire pour des raisons d’efficacité».

( 51 )   DHL ajoute que «Schenker et Agility ont demandé à la Commission le traitement favorable les 5 et 20 novembre 2007 – c’est-à-dire pas moins de cinq mois après la demande d’immunité de DHL à la Commission et même après les inspections menées par cette dernière, notamment en Italie – et, au moment de leur demande à la Commission, elles avaient déjà été informées de ce que l’immunité conditionnelle avait déjà été accordée à une autre entreprise. Partant, du moment que les demandes ‘sommaires’ de Schenker et Agility à l’[Autorità] étaient liées à de simples demandes de réduction de l’amende devant la Commission, elles n’auraient pu donner lieu qu’à une réduction également au niveau national. Cependant, dans la mesure où elles avaient été formulées en tant que demande d’immunité, elles n’auraient même pas dû être versées au dossier d’instruction de l’[Autorità]».

( 52 )   Voir points 58 à 60 des observations de Schenker.

( 53 )   Voir point 63 des observations d’Agility.

( 54 )   Voir, par analogie, arrêts Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389, point 24) et Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 27 et jurisprudence citée).